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L'antiquité classique

De Stagnum « étang » à Stagnum « étain ». Contribution à l'histoire


de l'étamage et de l'argenture
Robert Halleux

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Halleux Robert. De Stagnum « étang » à Stagnum « étain ». Contribution à l'histoire de l'étamage et de l'argenture. In:
L'antiquité classique, Tome 46, fasc. 2, 1977. pp. 557-570;

doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1977.1869

https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1977_num_46_2_1869

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DE STAGNVM «ÉTANG» À STAGNVM «ÉTAIN»
Contribution à l'histoire de l'étamage et de l'argenture

Les dictionnaires latins admettent, à côté de stagnum «eau stagnante,


étang», un autre stagnum (moins correctement stannum) qui désigne deux
substances métalliques, l'étain et le plomb d'œuvre, c'est-à-dire un alliage
de plomb et d'argent l. Ce second vocable soulève une triple difficulté : la
distinction de ses deux sens dans les textes ; leur rapport entre eux ; leur
lien avec le premier stagnum, «étang». En fait, il s'agit d'un problème
métallurgique, sur lequel les techniques anciennes d'étamage et d'argenture
jettent quelque lumière.
La descendance romane et germanique de stagnum présuppose le sens
d'étain 2, mais celui-ci n'est attesté sans équivoque possible que dans les
contextes, relativement tardifs, où stagnum traduit le grec κασσίτερος.
Ainsi, par exemple, Avienus (Ora Marítima, 261-262) décrivant le mont
Cassius en Espagne 3 risque une étymologie :

et Graia ab ipso lingua cassiterum prius


stannum uocauit.
et la langue grecque en a tiré naguère le nom (Je l'étain κασσίτερος4.

1 Le Thesaurus faisant défaut, on trouvera commodément la plupart des occurrences de


stagnum dans A. Holder, Altceltischer Sprachschatz, II (Leipzig, 1922), col. 1631-1633.
La forme stagnum est donnée par les meilleurs manuscrits. Stannum est une corruption
Cf. A. Walde et J. B. Hofmann, Lateinisches etymologisches Wörterbuch, II
(Heidelberg, 1954), p. 585, s.v. stagnum 2.
2 W. Meyer-Lübke, Romanisches etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, 1936,
8217 B; H. Flasdieck, Zinn und Zink. Studien zur abendländischen Wortgeschichte
(Tübingen, 1952), pp. 14-17 ; J. Bruch, Vulgärlat. peltrum 'Zinn', Wien, 1959 (SBOAW,
233, 2).
3 Sur cette montagne, voir A. Schulten, Iberische Landeskunde. Geographie des alten
Spanien, II (Strasbourg, 1957, réimpr. Baden-Baden, 1974), p. 237. Sur l'étymologie de
κασσίτερος, voir G. Dossin, Grèce et Orient, dans RBPH, 49 (1971), pp. 7-13 (avec litt,
ant.).
4 Pour la même raison, le sens d'étain est sûr dans Avienus, Ora marítima, 96-98 ;
293 ; Descriptio orbis terme, 742-743 : metalli albentis stanni, où Denys le Périégète,
563, a κασσίτερος ; Charisius, Excerpta, t. I, p. 554 Keil : stagnum κασσίτερος ; Vulgate,
558 R. HALLEUX

Quant au sens de plomb d'œuvre, il n'est sûr que dans un seul passage de
Pline (XXXIV, 159). A propos de la métallurgie du plomb, probablement
en Espagne, le Naturaliste écrit :

Plumbi nigri origo duplex est: aut enim sua prouenit uena nec
quicquam aliud ex sese parit .· aut cum argento nascitur mixtisque
uenis conflatur. huius, qui primus fuit in fornacibus liquor stagnum
appel la tur.
L'origine du plomb est double : ou bien, il provient de ses minerais propres
et ne produit rien d'autre, ou bien il se forme avec l'argent et procède de la
fusion de minerais mixtes. De ce minerai, la première forme liquide qui s'est
produite dans les mines s'appelle plomb d'œuvre.
On sait, en effet, que la fusion d'un minerai mixte d'argent et de plomb
comme la galène (sulfure) ou la cérusite (carbonate) produit un alliage de
plomb argentifère, le plomb d'œuvre (Werkblei, crude lead) 5.
Pour le métallurgiste, aucune confusion n'est possible entre les deux
substances. L'étain est un métal blanc argenté, assez mou et très malléable.
Son poids spécifique est de 7,3, son point de fusion de 232° C. A basse
température, il est fragile et peut se réduire en poudre (peste de l'étain) 6.
Le plomb d'œuvre, quant à lui, varie dans son aspect et ses propriétés
selon les proportions des constituants mais il est, en général, terne,
peu malléable et cassant 7 surtout s'il est impur, c'est-à-dire arsenical ou
antimonial.
Si l'archéologie antique atteste un abondant emploi de l'étain, surtout
dans la vaisselle8, les objets façonnés en alliage argent-plomb sont ex-

Nombres, 31, 22 ; Ezéchiel, 22, 18-20 et 27, 12, où la Septante a κασσίτερος ; C. Gl. hat.,
II, 187, 52 ; II, 187, 53 ; II, 339, 28 ; II, 501, 27 ; II, 527, 47 ; II, 544, 39 ; III, 370,
62 ; III, 434, 51 ; III, 496, 60. Enfin, S. Jérôme, In Amos, III, 7, 7, glose stannatura
(étamage) l'hébreu anäk (étain), cf. G. Brunet, La vision de l'étain, dans Vêtus Testa-
mentum, 16 (1966), pp. 387-395.
5 Cf. R. Halleux, Les deux metallurgies du plomb argentifère dans l'Histoire
Naturelle de Pline l'Ancien, dans Revue de Philologie, 49, 1 (1973), pp. 72-88.
6 Cf. D. V. Belyayev, A Handbook of the Metallurgy of Tin, Oxford, 1963.
7 Cf. M. Fourment et L. Guillet, Métallurgie du plomb, du nickel et du cobalt et
alliages de ces métaux, Paris, 1926, pp. 168-170.
8 Voir à ce sujet G. Bapst, Etude sur l'étain dans l'Antiquité et au Moyen Age.
et industries diverses, Paris, 1884, pp. 30-48 ; E. S. Hedges, Tin in Social and
Economie History, London, 1964, pp. 67-70. L'étain y est régulièrement durci par le
plomb.
DE STAGNVM «ÉTANG» À STAGNVM «ÉTAIN» 559

trêmement rares 9 et peut-être antérieurs à l'invention de la coupellation


qui sépare ces deux métaux.
Par conséquent, avant même d'aborder les textes latins, il existe de
solides présomptions pour le sens d'étain. Ainsi, on trouve, à partir de
Plaute 10 de fréquentes mentions de uasa stagnea. Ces vases, où Scribonius
Largus n, Pline 12 et les médecins postérieurs 13 prescrivent de cuire et de
conserver les médicaments, correspondent aux χασσι,τέρινα αγγεία des
pharmaciens grecs 14. En effet, le plomb d'œuvre est trop peu malléable
pour se laisser façonner en vaisselle 15. En outre, la toxicité du plomb était
bien connue 16.
Il en va de même dans les contextes monétaires comme dans un
fragment de la lex Cornelia de fais is (81 av. J.C.) 17 qui interdit le trafic
de monnaie de stagnum :

9 Un petit vase en forme de cerf de Mycènes contient 2/3 Ag et 1/3 Pb. Cf. G. Karo,
Die Schachtgräber von Mykenai, I (München, 1930), n° 388 et pi. CXV-CXVI. Mais à
l'époque plus récente, on n'en trouve aucun dans le catalogue d'analyses de D. E. Strong,
Greek and Roman Gold and Silver Plate, London, 1966, pp. 215-216.
10 Plaute, frg. inc. 33 = Festus, p. 166, 25 Lindsay, s.v. narita.
11 Scribonius Largus, Compos itiones, 31 ; 65 ; 268 ; 269 ; 271. De même, Colu-
melle, XII, 42, 1, prescrit d'y cuire la gelée de coings.
12 Pline, XXIX, 35 ; XXX, 38 (stagnea pyxide) ; XXX, 57 (stagneo uase). Ces
passages ne possèdent pas de parallèles grecs.
13 Medicina Plinii, II, 9 ; II, 1 1 ; III, 6, 7 ; Marcellus, De medicamentis, VIII, 9 ;
VIII, 10 ; XV, 58 ; XXVII, 80 ; XXVIII, 61 ; XXXV, 10 ; XXXV, 23 ; Mulomedicina
Chironis, 962, p. 287 Oder ; Végèce, Mulomedicina, I, 16, 6 ; Thédore Priscien, I, 23,
73 et Add., p. 283 Rose ; II, 31 (102), p. 332 ; Antidotaire de Bruxelles, 21, p. 370. Vase
à parfums chez Apulée, Métamorphoses,. X, 21. Pour les mêmes raisons de propriétés
mécaniques, c'est encore vraisemblablement d'étain qu'il s'agit chez Vitruve, X, 2, 11
(bucculis stagneis) ; Palladius, De agricultura, VI, 7, 1 (regulis stagneis) ; Marcellus,
XXI, 2 ; XXI, 8 (lamella stagnea) ; XXII, 10 (lamina stagnea).
14 Par exemple, Dioscoride, V, 95; Galien, XIV, 99; 309-310 K. Dans les
apocryphes Deflnitiones medicae, XIX, 432, il compare l'effondrement du crâne de l'enfant
aux vaisselles d'étain bosselées.
15 Sur les techniques, voir H. Maryon, Metalworking in the Ancient World, dans AJA,
53 (1949), pp. 93-101 ; D. E. Strong, Greek and Roman Gold and Silver Plate, pp. 8-
10 ; A. Mutz, Die Kunst des Metalldrehens bei den Römern. Interpretationen antiker
auf Grund von Werkspuren, Basel-Stuttgart, 1972.
16 Sur l'empoisonnement par le plomb, on verra surtout S. C. Gilfillan, Lead
Poisoning and the Fall of Rome, dans Journal of Occupational Medicine, 7 (1965), pp. 53-
60.
17 Citée par Ulpien, Digeste, XLVIII, 10, 9. Sur cette loi, voir E. Cuq, art. Lex dans
DSP, III (1904), p. 1138.
560 R. HALLEUX

eadem lege exprimitur, ne quis nummos stagneos plúmbeos emere


uendere dolo malo uellet.
la même loi interdit d'acheter ou de vendre des monnaies de stagnum ou de
plomb dans un but frauduleux.
On peut certes penser à des monnaies d'argent plombeux, mais aussi à
des monnaies d'étain comme celles qu'un texte aristotélicien attribue à
Denys le Tyran 18 ou surtout aux monnaies fourrées ou saucées qui se
répandent au Bas-Empire et dont on reparlera 19. La même conclusion
s'impose quand Suétone rapporte que Vitellius remplaça l'or et l'argent des
temples par le laiton (orichalcum) et le stagnum 20.
Le sens d'étain est également le seul possible dans un célèbre passage de
Pline (XXXIV, 160-161), dont nous omettons à dessein la première
phase, qui sera discutée plus loin.

Specula etiam ex eo laudatissima ut diximus, Βrundís i tempe-


rabantur, donee argenteis uti coepere et ancillae.
Nunc adulteratur stagnum addita aeris candidi tertia portione in
plumbum album.
Fit et alio modo, mixtis albi plumbi nigrique libris ,· hoc nunc aliqui
argentarium appellant.
¡idem et tertiarium uocant, in quo duae sunt nigri portiones et tertia
albi. Pretium eius in libras χ xx. Hoc fistulae solidantur. Inprobiores
ad tertiarium additis partibus aequis albi argentarium uocant et eo
quae uolunt incoquunt.
Pretium huius faciunt in p. χ Ιχχ.
Albo per se sincero pretium sunt χ Ixxx, nigro χ ν H.
On faisait autrefois à Brindes, comme nous l'avons dit, des miroirs très
estimés en alliage à base de stagnum, jusqu'à ce que même les servantes se
soient mises à se servir de miroirs d'argent.
Aujourd'hui le stagnum est altéré en ajoutant un tiers de cuivre blanc au
plomb blanc.

" Aristote, Economiques, II, 2, 1349 A 32, cf. Pollux, IX, 79 (émission
à défaut d'argent). D'autre part, Polyen {Stratagèmes, IV, 10, 2) attribue à
Perdiccas une émission comparable, mais contenant une faible proportion de cuivre.
19 Cf. M. Besnier, art. S t annum dans DSP, IV, 2 (1911), p. 1463.
20 Suétone, Vitellius, 5. Comparer avec S. Augustin, Soliloquia, II, 15, 29, PL 32,
899 : stannum autem vel plumbum non absurde, ut opinor, falsum argentum uoeamus, quod
id res ipsa uelut imitatur.
DE STAGNVM «ÉTANG» À STAGNVM «ÉTAIN» 561

Cela se fait autrement en alliant une livre de plomb blanc et une livre de
plomb noir. C'est ce que certains appellent aujourd'hui argentariwn.
Les mêmes appellent tertiarium celui qui contient deux tiers de plomb noir,
et un tiers de plomb blanc. Son prix est de 20 deniers la livre. Il sert à
souder les tuyaux.
Des artisans plus malhonnêtes ajoutent au tertiarium une quantité égale de
plomb blanc, l'appellent argentarium et le plaquent à chaud sur tout ce
qu'ils veulent. Ils le vendent 70 deniers la livre.
Le plomb blanc pur se vend 80 deniers : le noir, sept deniers.
Au paragraphe précédent, que nous avons cité plus haut, Pline a défini
stagnum comme un alliage de plomb et d'argent. On attendrait donc que
stagnum soit ici aussi l'alliage argentifère. En réalité, on verra qu'il n'en
est rien. Tous les commentateurs qui ont essayé d'imposer ce sens ont
abouti à des apories 21.
En fait, la difficulté du texte réside dans la méthode de travail du
Comme les érudits l'ont à présent établi 22, Pline reproduit
scrupuleusement ses sources, mais avec leur terminologie propre. Ainsi,
dans notre passage, il juxtapose toutes ses fiches relatives au stagnum,
sans tenir compte de la polysémie du terme. En outre, il y emploie
avec stagnum, terme technique et peut-être vulgaire, la
de la bonne langue latine, où plomb se dit plumbum nigrum et
étain plumbum album ou candidum 23. Il convient donc de dissocier les
diverses «fiches» constituant le texte et de le suivre pas à pas.
Pline rapporte alors que, dans les ateliers de Brindes, le stagnum entrait
dans la composition (temperabantur) u de miroirs estimés. Un texte
parallèle (XXXIII, 130) spécifie l'autre ingrédient, Vaes, cuivre ou

21 Voir K. B. Hofmann, Zur Geschichte des Zinkes bei den Alten, dans Berg- und
Hüttenmännische Zeitung, 41 (1882), p. 517; H. Blümner, Technologie und
der Gewerbe und Künste bei Griechen und Römern, IV (Leipzig, 1887), pp. 8 1 -82, η.
6 ; M. Berthelot, Sur les noms qalaï, calláis et sur ceux de l'étain, dans Journal des
Savants, 1889, p. 380; M. Besnier, op. cit., p. 1458 ; M. Stephanides, Petites
à l'histoire des sciences, dans REG, 31 (1918), pp. 204-205 ; K. C. Bailey,
The Elder Pliny's Chapters on Chemical Subjects, II (London, 1932), pp. 197-198 ; H.
Gallet de Santerre et H. Le Bonniec, Pline l'Ancien. Histoire Naturelle. Livre XXXIV,
Paris, 1953, pp. 311-313.
22 Cf. W. Kroll, art. Plintos der Aeltere dans RE, XXI, 1 (1951), col. 428-430.
23 Cf. Lucrèce, VI, 1076 ; César, BG, V, 12, 4 ; Pline, IV, 104 ; 1 12 ; 1 19 ; VII,
197; XXXIII, 94; XXXIV, 156; 157; 158.
24 Temperare est le terme propre pour désigner les mélanges chimiques et les alliages,
cf. Pline, II, 79 ; XXIX, 50, etc.
562 R. HALLEUX

bronze25. Des miroirs antiques, soumis à l'analyse, sont composés d'un


alliage de cuivre et d'étain. Avec le temps, le taux d'étain augmente, ce qui
améliore les propriétés réfléchissantes. A l'époque romaine, il varie entre
19 et 32%. On ne trouve pas de traces d'argent26.
La fin du texte décrit diverses compositions destinées à falsifier le
stagnum. Le parallèle des recueils grecs de recettes permet d'y établir le
sens d'étain.
a) addition d'un tiers de cuivre blanc, c'est-à-dire de cuivre zincifère ou
arsenical 27. La recette se trouve dans les papyrus chimiques de
Leyde et de Stockholm 28. La phrase permet d'établir l'équivalence
stagnum = plumbum album 29 .
b) mélange en parties égales de plomb et d'étain. L'alliage est appelé
argentarium, c'est-à-dire, à cause du plumbi qui précède, le plumbum
argentarium parce qu'il a l'aspect de l'argent. Comme l'a bien vu
Bailey 30, c'est cet alliage qui est utilisé aux chapitres 95 à 98 dans
la fabrication de différents types de bronze31.

25 Pline, XXXIII, 130 : atque ut omnia de speculis peragantur in hoc loco, optima aput
maiores fuerant Brundisina, stagno et aere mixtis.
26 Pour les miroirs grecs (Sn 5 à 10 96, Pb 5 à 14%), voir L. O. Keene Congdon,
Metallic Analyses of Three Greek Caryatid Mirrors, dans AJA, 71 (1967), pp. 149-153.
Pour les miroirs étrusques (Sn 7 à 15%), C. Panseri et M. Leoni, The Manufacturing
Technique of Etruscan Mirrors, dans Conservation, 3 (1957), pp. 49-62 ; Sulla technica di
fabbricazione degli specchi di bromo etruschi, dans Studi Etruschi, 25 (1957), pp. 305-
319. Pour les miroirs romains (Sn 19 à 32%), H. Bi.ümner, Technologie und
IV, pp. 188-189, analyses 17, 34-38 ; A. De Ridder, art. Speculum dans DSP, IV,
2 (1911), p. 1422; W. Geilman et F. Weibke, Chemische und metallographische
eines Spiegels aus der Römerzeit, dans Nachrichten von der Gesellschaft der
Wissenschaften zu Göttingen, Math. Phys. KL, N.F. 1, 10 (1935), pp. 103-108 (résumé
dans Angewandte Chemie, 48, 1935, p. 520).
27 Le cuivre blanc est du cuivre arsenical, dont la fabrication est décrite dans le P. Leid,
χ, recette 22, 11. 154-161. L'arsenic augmente la blancheur de l'alliage. Le miroir analysé
par Geilmann et Weibke (ci-dessus, n. 26), a été superficiellement arsénié.
28 P. Leid, χ, recette 8, 11. 49-55 (alliage 4 parties de Sn, 3 de cuivre blanc, 1 d'Ag) ;
recette 29, 11. 196-204 (2 parties de Sn, 1 de cuivre blanc de Gaule) ; P. Holm., recette 3,
11. 21-27 (6 parties de Sn, 1 de cuivre blanc de Gaule).
29 Si in se traduit simplement par «ajouter à», l'alliage contient 2/3 Sn et 1/3 Cu.
Mais si on lui donne le sens distributif de «par rapport à», on ajoute 1/3 de plomb par
rapport au poids d'étain. L'alliage contient alors 3/4 Sn et 1/4 Cu.
30 Bailey, The Elder Pliny's Chapters, II, pp. 197-198.
31 S. Boucher, Pline l'Ancien, H.N. XXXIV : plumbum argentarium, dans RBPH, 51
(1973), pp. 62-67, essaie de traduire plumbum argentarium par étain dans ces passages,
mais les analyses alléguées à l'appui de cette démonstration attestent la présence de plomb
en proportions comparables à l'un ou l'autre type d' argentarium décrit par Pline.
DE STAGNVM «ÉTANG» À STAGNVM «ÉTAIN» 563

c) le tertiarium qui contient 2/3 Pb et 1/3 Sn. C'est un alliage voisin


de notre soudure32. L'emploi de l'étain dans la soudure est bien
connu. En latin tardif, le soudeur se dit stagnarius n.
d) un alliage de tertiarium et d'une quantité égale d'étain, soit au total
1/3 Pb et 2/3 Sn. Cet alliage est aussi appelé argentarium. Dans ce
cas, on ne comprend pas l'adjectif improbiores, puisque cet alliage
contenant plus d'étain est plus précieux que le premier argentarium.
Mais c'est mal connaître la pensée de Pline, qui ne raisonne pas en
économiste. Pour lui, composer un nouvel alliage, c'est une
au second degré, une escroquerie d'escroquerie34. En outre,
le prix (70 deniers) est légèrement supérieur à celui de ses
(56 deniers).
Le sens d'étain est donc le plus probable et celui de plomb d'œuvre, un
hapax de XXXIV, 159.

La première phase de XXXIV, 160 nécessite une discussion séparée, car


elle fournit peut-être un élément de solution :
Stagnum inlitum aeréis uasis saporem facit gratiorem ac compescit
uirus aeruginis, mirumque, pondus non auget.
Le stagnum enduit sur des vases de cuivre les rend plus agréables au goût
et arrête le poison du vert-de-gris. Chose surprenante, il n'augmente pas le
poids.

Le sens obvie du texte est une référence à une pratique d'étamage. On sait,
en effet, que l'étamage consiste à appliquer un revêtement d'étain
hygiénique et d'aspect argenté sur des objets fabriqués en métaux de
base dont les propriétés mécaniques sont supérieures à celles de l'étain.
Dans l'Antiquité, il s'agit surtout d'objets de cuivre. On peut étendre

32 Dans P. Oxy., 915 (572 PC), reçu de plomb et d'étain livrés par un plombier pour
souder les tuyaux d'un bain (εις χόλλησιν των σωλήνων), on a 12 livres de plomb pour 3
d'étain, ce qui donne une soudure pauvre à 4/5 Pb et 1/5 Sn.
33 C. G/. Lat., III, 201, 19 : collistis stagnarius; III, 271, 23 : χολλυστής stagnarius;
III, 325, 62 : κολλητής stagnatorius.
34 Comparer avec des jugements analogues en IX, 139; XVI, 231-233 ; XXXVII,
197.
564 R. HALLEUX

retain à la brosse ou au tampon (étamage au frotté), mais la méthode la


plus simple et la plus pratiquée fut l'étamage à chaud au trempé 3S. L'objet
de cuivre est d'abord dégraissé puis décapé pour enlever la couche d'oxyde
qui le recouvre souvent. On l'enduit alors d'un flux (chlorure) qui favorise
l'adhérence de l'étain. Ensuite, on l'immerge assez lentement dans le bain
d'étain en fusion et on le retire aussitôt. Il ressort revêtu d'une couche
d'étain. Dans les objets de cuivre, la réaction cuivre-étain est très rapide et
il se forme très vite un composé intermétallique. Des particules de cuivre
peuvent se détacher, contaminer le bain qui s'enrichit sans cesse en cuivre.
En cas d'immersion prolongée, il peut même se produire une disparition
totale de l'objet36. Cette contamination du bain en cuivre explique la
remarque de Pline: pondus non auget31. Il faut alors un ressuyage à la
main pour enlever le surplus d'étain.
Dans le cas d'objets finement modelés, le trempage à l'étain fondu
pourrait endommager le relief. D'autre part, de tels objets, comme les
monnaies saucées, ne portent pas de traces de ressuyage ou de gratte -
brossage. Aussi, A. Thouvenin a pensé que les étameurs romains et
laissaient baigner les objets de cuivre dans une solution aqueuse
de pierre de vin (bitartrate de potasse) contenant de la grenaille ou de la
limaille d'étain. Portée à ebullition, une telle solution dépose sur l'objet un
glaçage particulièrement lisse et brillant 38. Mais on n'a aucune trace de ce
procédé dans les textes,
En revanche, le papyrus X de Leyde donne la recette de l'étamage à
l'amalgame, fondé sur la propriété que possède le mercure de s'allier à
divers métaux. On fabriquait d'abord un amalgame étain- mercure en

35 Sur cette méthode, voir W. E. Hoare, L'étamage à chaud, tr. fr. de J. P. Gustin,
Bruxelles, 1950.
36 Nous avons étamé des tiges de cuivre par trempage au Laboratoire des Métaux Non
Ferreux de l'Université de Liège. Il faut prendre garde à avoir un bon décapage pour lequel
nous avons utilisé l'acide nitrique dilué. L'étain s'oxyde rapidement à l'air libre. Il faut un
flux de matières carbonées pour empêcher l'oxydation.
37 Baii.ey, Chapters, II, pp. 197-198 et Gallet de Santerre-Le Bonniec, op. cit.,
pp. 311-313, expliquent que la perte de poids due au décapage est compensée par l'apport
d'étain.
38 A. Thouvenin, Notes techniques. I. Au sujet des monnaies saucées du bas-empire.
II. Au sujet des garnitures de ceintures en bronze étamé d'époque mérovingienne, dans
RAE, 20 (1969), pp. 389-393 ; L'étamage des objets de cuivre et de bronze chez les
dans Revue d'Histoire des Mines et de la Métallurgie, 11, 1 (1970), pp. 101-109.
DE STAGNVM «ÉTANG» À STAGNVM «ÉTAIN» 565

broyant finement au mortier du mercure avec de la grenaille d'étain. On


appliquait cette pâte sur les objets. Il suffisait alors de les mettre au four
pour évaporer le mercure et obtenir une brillante couche d'étain 39.
Dans ce cas, le stagnum est, ici encore, l'étain, appliqué par une
méthode quelconque. Cette interprétation est confirmée par les nombreux
vases étamés d'époque impériale40. Le sens de «plomb d'oeuvre» en
XXXIV, 159, s'expliquerait par une image. L'alliage en fusion évoque en
effet de façon frappante le bain d'étamage.
Mais certains commentateurs de Pline 41 ont estimé que le stagnum
sur les objets pouvait être le plomb d'oeuvre. Dans ce cas, la
dénomination de deux substances s'expliquerait par un commun
usage dans le revêtement des objets de cuivre. L'hypothèse est séduisante,
mais appelle une vérification dans les textes anciens et au laboratoire.
Un autre texte de Pline (XXXIV, 162) associe l'étamage à l'argenture :
Album (plumbum) incoquitur aeréis operibus Gallianim inuento ita ut
uix discerní queat argento, eaque incoe tilia uoeant. Deinde et argen-
tum incoquere simili modo coepere equorum maxime ornamentis
iumentorumque ac iugorum in Alesia oppido .· reliqua gloria Biturigum
fuit. Coepere deinde et esseda sua colisataque et petorita exornare
simili modo.
L'étain s'applique à chaud sur les ouvrages de bronze par une invention
gauloise, au point qu'on peut à peine les distinguer de l'argent. On appelle
ces objets «plaqués par cuisson». Ensuite, ils se mirent à appliquer l'argent
de la même manière, surtout sur les ornement de chevaux, de bêtes de
somme et de jougs dans la place d'Alésia : le reste de la gloire en revint aux

39 La fabrication de l'amalgame Hg/Sn est décrite dans P. Leid, χ, recette 5, 11. 25-29 ;
recette 36, II. 232-239 ; recette 84, II. 467-471. L'étamage à l'amalgame est décrit dans la
recette 26, II. 181-186 (I partie Sn, 2 Hg, 1 de terre de Chio). Cf. A. Banderet et P.
Bastien, Analyses chimiques de monnaies romaines saucées du 3e et du 4e siècle, dans
BSFN, 16 (1961), pp. 31-32. Certaines sont saucées au Sn seul, d'autres à l'alliage
Sn/Ag, ce qui fait plutôt penser à une argenture à l'amalgame.
40 Ce sont les αγγεία γεγανωμένα de Criton chez Galien, XII, 490 Κ ; Aetios, XII,
1 ; XII, 55 (γανόω τφ χαττιτέρψ). Sur l'histoire générale de l'étamage, voir F. W. Gibbs,
The Rise of the Tinplate Industry, dans Annals of Science, 6 (1950), pp. 390-404 ; 7
(1951), pp. 25-62.
41 H. Gallet de Santerre et H. Le Bonniec, Pline l'Ancien. Histoire Naturelle,
p. 311.
566 R· HAI.LFUX

Bituriges42. Ils se mirent ensuite à orner de façon semblable leurs esseda,


leurs colisata, leurs petorita43.
La prétention gauloise d'avoir inventé l'étamage est peut-être
car des textes grecs classiques semblent y faire allusion 44.
L'archéologie prouve en tout cas que les bronziers d'Alesia y étaient passés
maîtres45. L'industrie fut du reste favorisée par la position géographique
d'Alesia sur la route de l'étain occidental 46. Mais ce que Pline présente
comme une invention d'Alesia, c'est un procédé d'argenture opérant par
des méthodes voisines de celles de l'étamage (simili modo). De quelle
méthode s'agit-il?
Avant la découverte des procédés hydroplastiques, on connaissait quatre
moyens d'argenter les métaux 47 : le plaqué, l'argenture à la feuille,
l'argenture par voie humide, l'argenture à l'amalgame. Dans l'argenture au
plaqué, on lamine ensemble une tôle de cuivre et une tôle d'argent
soudées. On obtient ainsi une «plaque de Sheffield» à partir de laquelle on

42 Sur le sens de cette expression, qui est hors de notre propos, voir L. Berthoud, Les
textes de l'Antiquité qui concernent Alésia, dans Pro Alesia, 2 (1907-1908), pp. 317-320 ;
R. Durand, Note sur le texte ci-dessus de Pline, ibid., pp. 320-322 ; C. Jui.i.ian,
Chronique gallo-romaine. L'origine de l'étamage, dans REA, 10 (1908), p. 269.
43 Ce sont des espèces de véhicules.
44 Si même on néglige Platon, Critias, 116B, où le rempart de l'Atlantide est enduit
d'étain, il faut tenir compte de IG, VII, 303, 13-15 (Oropos, 240 av. J.C., compte de
refonte de vieilles offrandes en argent) : των άργυρωμάτων δσα εστίν άχρεΐα πυρώσαντες χαί
άποξύσαντες τον χαττίτερον. Ce sont vraisemblablement des objets en cuivre étamé imitant
l'argenterie. En effet, on les chauffe en dessous du point de fusion du noyau (πυρώσαντες et
non τήξαντες), c'est-à-dire juste assez pour liquéfier la pellicule d'étain que l'on racle
(άποξύσαντες). Par ailleurs, il serait bien étonnant que les Grecs n'aient pas su recouvrir
des vases de bronze d'un enduit d'étain alors qu'ils recouvraient d'étain la céramique dès
l'époque mycénienne, cf. S. Immerwahr, The Use of Tin on Mycenaean Vases, dans
Hesperia, 35, 4 (1966), pp. 381-396.
45 Voir, par exemple, M. Besnier, Les vases de métal découverts à Alésia en 1909,
dans Pro Alesia, 4 (1909-1910), pp. 641-649 ; Note additionnelle sur l'âge des vases de
métal découverts à Alésia en 1909, dans Pro Alesia, 5 (1910-1914), pp. 833-836. Voir
aussi J. Toutain, Alésia gallo-romaine et chrétienne, La Charité-sur-Loire, 1933, p. 104 ;
M. Renard, Alesia, dans Phoibos, 2 (1947-1948), p. 42 ; E. De Saint-Denis, Alésia fut-
elle incendiée par César?, dans Latomus, 9 (1950), pp. 157-173.
46 Voir J. Carcopino, Promenades historiques au pays de la dame de Vix, Paris, 1957,
spec. pp. 98-99 ; J. D. Muhly, Copper and Tin. The Distribution of Mineral Resources and
the Nature of the Metals Trade in the Bronze Age, Hamden, 1973, pp. 262 sq.
47 A. Roseleur, Guide pratique du doreur, de l'argenteur et du galvanoplaste, Paris,
1866, pp. 212-235 ; D. Tommasi, Dorure, argenture, cuivrage, nickelage, galvanoplastie,
manuel pratique, Paris, 1890, pp. 31-36.
DR STAGNVM «ÉTANG» Á STAGNVM «ÉTAIN» 567

fabrique des objets. Dans l'argenture à la feuille, l'ouvrier applique au


brunissoir une feuille d'argent sur l'objet chauffé. Ces deux techniques
sont certainement antiques 48. L'argenture par voie humide opère par
du cuivre dans une solution aqueuse de sels d'argent. Nous
n'avons aucune preuve que ces sels aient été connus des anciens. Dans
l'argenture à l'amalgame, on met le mercure en contact avec l'argent réduit
en très fines parcelles en les broyant ensemble au mortier. On obtient ainsi
une pâte avec laquelle on frotte vigoureusement les objets de bronze à
argenten Après evaporation du mercure, l'objet est recouvert d'une
pellicule d'argent. Des études récentes sur le site d'AIésia semblent
que les bronziers y appliquaient déjà des amalgames 49.
L'hypothèse d'une cinquième méthode, par trempage, a été formulée à
propos des monnaies d'argent fourrées, c'est-à-dire possédant un noyau en
métal vil, généralement en cuivre, recouvert d'une couche de métal
précieux 50. Longtemps, les numismates ont pensé qu'elles avaient été
fabriquées par soudure de coiffes en argent : une mince tôle d'argent aurait
été fixée sur l'âme de cuivre. Mais M. Picon et C. Guey ont estimé que les
structures observées étaient incompatibles avec l'hypothèse d'une lame
d'argent soudée et que ces monnaies pouvaient être fabriquées par
dans un bain d'argent en fusion. Il se formerait ainsi, sur le noyau de
cuivre, une couche d'argent et une couche d'eutectique argent-cuivre51.
Pour vérifier cette hypothèse, nous avons plongé une tige de cuivre dans
un creuset de porcelaine contenant de l'argent en fusion. L'opération est
peu commode, car l'argent fond à 960° C et nous avons dû recourir au
four de coupellation pour atteindre cette température. Il est rigoureusement
impossible que les monnayeurs aient ainsi plongé un à un, avec des
les flans dans un bain aussi chaud.
En revanche, nous avons composé un alliage à 20% Ag et 80% Pb,

48 Voir, par exemple, F. Drexel, Alexandrinische Silbergefâsse der Kaiserzeit, thèse,


Bonn, 1909, pp. 189 sq.
49 G. A. Duch, La voie héracléenne, voie du mercure et du cinabre, dans RAE, 15
(1964), pp. 123-131. Cf. J. Le Gall, Alésia, Paris, 1963, p. 191. Nouveaux arguments de
M. Mangin, Les installations de travail des bronziers d'AIésia, dans RAE, 22 (1971), pp.
7-68.
50 L. H. Cope, Surface-silvered Ancient Coins, dans Ε. T. Hall et D. M. Metcalf
(edit.), Methods of Chemical and Metallurgical Investigation of Ancient Coinage, London,
197251 M.
(Royal
Picon
Numismatic
et C. Guey,
Society,
Monnaies
Special
d'argent
Publication,
fourréesn°fabriquées
8), pp. 261-278.
par trempage, dans
BSFN, 23 (1968), pp. 318-320.
568 R. HALLEUX

c'est-à-dire un alliage de stagnum. Il fond aisément sur un bec Bunsen. Le


trempage se fait sans difficulté et laisse sur le cuivre une pellicule d'un bel
aspect, qui peut encore être rendue plus brillante par dissolution
du plomb. Par conséquent, si même on réserve le cas des monnaies,
il reste que l'argenture par trempage au plomb d'œuvre doit être retenue
comme une technique possible, dont les modalités doivent d'ailleurs être
précisées.
Le simili modo de Pline s'explique alors de deux façons ·. ou bien
de l'étamage par amalgame à l'argenture par amalgame, ou bien
de l'étamage par trempé à l'argenture par trempé de plomb d'œuvre ".
C'est ce rapprochement de l'étamage et de l'argenture qui explique les
deux sens de stagnum53. Il était en effet normal que le plomb d'œuvre
reçoive le même nom que l'étain, puisqu'il était, lui aussi, applicable aux
incoctilia.

Dans ces conditions, rien n'interdit le rapprochement de stagnum


«métal d'étamage et d'argenture» et de stagnum «étang», voie que les
étymologistes n'ont pas tentée S4.

52 On peut comprendre dans ce sens Pune, XXXIII, 94, stagnum aeramentis


(iungitur), stagno argentum : «Le stagnum se joint aux objets de cuivre (ou de bronze),
l'argent au stagnum». Dans le premier membre de phrase, le stagnum est retain. Dans le
second, ce ne peut être l'étain car, selon Pune (XXXIV, 161), l'argent ne se soude pas à
la soudure d'étain : neque argentum ex eo (se. plumbo albo) plumbatur, quoniam prius
liquescit argento, «l'argent n'est pas soudé à l'étain, car l'étain se liquéfie avant l'argent».
Dans ce dernier texte, force nous est de corriger en argento Vargentum des manuscrits, car
le point de fusion de l'étain est de loin inférieur à celui de l'argent. L'argent, selon les
se soude à l'alliage argent-plomb, c'est-à-dire au plomb d'œuvre : Pomponius,
Digeste, XLI, 1, 27 ·. 5/ tuum scyphum alieno plumbo plumbaueris alienoue argento ferumi -
naueris, non dubitatur scyphum tuum esse. Cf. Bailey, Chapters, I, p. 209 ; Ε. Pernice,
Hellenistische Silbergefàsse im Antiquarium der Königliche Museen, Berlin, 1898 {58
Programm zum Winckelmannsfeste), pp. 26-27.
53 En outre, quand il n'y a pas de danger d'intoxication, on peut étamer à l'étain-
plomb, ce qui revient moins cher, favorise une éventuelle soudure et diminue la
du bain en cuivre. Ne peut-on penser qu'à l'étamage- plombage correspondrait
l'argenture-plombage ?
54 Pour les etymologies proposées, voir O. Schrader, Sprachvergleichung und
II, 1, Die Metalle, 3* éd., Jena, 1906, p. 96 ·, O. Schrader et A. Nehring,
Reallexikon der indogermanischen Altertumskunde, Berlin, 1929, p. 701, s.v. Zinn ; A.
Walde et J. B. Hofmann, Lateinisches etymologisches Wörterbuch, t. II, p. 585, s.v.
stagnum 2 ·, A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine,
Paris, 1967, p. 646, s.v. stagnum; H. Flasdieck, Zinn und Zink, pp. 14-17. Le rap-
DE STAGNVM «ÉTANG» À STAGNVM «ÉTAIN» 569

De stagnum «étang» dérive le verbe stagnare qui signifie «former une


nappe stagnante» 55 et «être recouvert d'une nappe stagnante» 56. Mais on
trouve aussi, dans ce second sens, stagnari, comme on peut le voir dans les
exemples suivants :
Columelle, X, 1 1 :
loca ... stagna ta palude
des lieux recouverts par l'eau stagnante d'un marais.
Stace, Silves, III, 2, 109-110:
ripa ... Cecropio stagna ta luto
la berge que colmate de boue l'oiseau de Cécrops î7.
Justin, XXXVI, 3, 7 (à propos de la mer Morte) :
nom neque uentis mouetur resistente turbinibus bitumine, quo aqua omnis
stagnatur.
Car elle n'est même pas mise en mouvement par les vents, car le bitume
dont toute l'eau est recouverte résiste aux tourbillons.
Dans ces exemples, stagnare signifie bien «recouvrir d'une nappe
stagnante». Mais nous sommes tout près du sens d'«étamer, recouvrir
d'une couche protectrice». Ce passage est facile de «recouvrir d'une nappe
liquide stagnante» à «recouvrir d'une couche de métal fondu», car le
procédé d'étamage le plus simple consiste, comme on l'a vu, à tremper
l'objet de cuivre dans un bain d'étain fondu qui se fige sur le cuivre.
Le changement sémantique est perceptible dans un autre passage du
même Justin (XXXVII, 2, 6) :
(Mithridate) antidota saepius bibit et ita se aduersus insidias ...
remediis stagnauit.
Il but assez souvent des antidotes et ainsi il se blinda contre les pièges au
moyen de remèdes.

prochement avec stagnum «étang» est rejeté comme étymologie populaire, cf. J. Sofer,
Lateinisches und Romanisches aus den Etymologien des Isidorus von Sevilla, Göttingen,
1930, p. 158.
" Virgile, Géorgiques, IV, 288; Quinte-Curce, VIII, 9, 7; IX, 2, 17.
56 Salluste, Histoires, IV, frg. 10 Maurenbrecher = Non. Marc, p. 138, 7;
Ovide, Met., I, 324 ; Silius Italicus, Púnica, VI, 36.
57 II s'agit du Nil. L'oiseau de Cécrops est l'hirondelle qui faisait son nid sur les
berges.
570 R. HALLEUX

Ce sens de «préserver, immuniser» se retrouve dans des contextes


médicaux plus tardifs 58. Holder y voit une image reprise aux techniques
d'étamage 59. Et, de fait, on est très proche des gloses qui rendent stagno
par γανώ «étamer» 60.
Par conséquent, et malgré la date relative des attestations, il n'est pas
téméraire de suggérer l'hypothèse suivante : le verbe stagnare, dérivé de
stagnum «étang» et signifiant «être recouvert d'une nappe stagnante» puis
«recouvrir d'une nappe stagnante», convenait particulièrement bien à la
première forme d'étamage, l'immersion dans un bain d'étain fondu qui
dépose à la surface de l'objet une couche de métal qui se fige. Le bain lui-
même reçut le mot de stagnum dans la langue des artisans. Il ne désigne le
plomb d'œuvre que dans le cadre restreint d'un transfert de techniques 61.

Rue Joseph Dethier 17, Robert Halleux,


B-4442 Villers l'Evêque. Chargé de recherches du F.N.R.S.

58 Végèce, Mulomedicina, I, 18 ; II, 87, 5 ; II, 134, 4 ; IV, 2, 5 ·, IV, 2, 6.


59 Holder, Altcelt. Sprachschatz, loe. cit.
60 C. Gl. Lat, II, 187, 51 : stagnât γανοϊ ; II, 261, 37 : γανώ stagnum ; II, 261, 38 :
γανωτής stagna tor ; S. Jérôme, In Amos, III, 7, 7, col. 1072 Β : stannatum siue litum ;
Collectio Auellana, 99, 8, p. 443 Günther : ceratum aut picatum uel stagnatum ; An-
tidotaire de Bruxelles, 17, p. 369 : in cacabo stagnate, cf. A. Blaise et H. Chirat,
latin-français des auteurs chrétiens, Paris, 1954, p. 773, s.v.
61 Nous remercions vivement Monsieur Corneille Ek, professeur de métallurgie à
l'Université de Liège, qui a bien voulu nous guider dans cette recherche et nous ouvrir son
laboratoire.

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