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Revue des Sciences Religieuses

Le « Chant de la Perle »
Jacques E. Ménard

Résumé
Cette étude est constituée d'une Introduction, de la traduction du texte syriaque et d'un commentaire. Le Chant de la Perle est le
plus beau poème de la littérature syriaque. Grâce à des rapprochements avec la mystique du miroir (v. 77 ss.) et avec la
doctrine iranienne de la daêna, il peut être interprété comme une re-découverte du « moi » ontologique et transcendental et
comme le rassemblement des âmes individuelles en l'âme générale du monde. L'âme-perle et le Sauveur- Prince symbolisent
alors cette âme individuelle et cette âme générale. C'est ainsi qu'à la sent. 9 de l'Évangile selon Philippe le Christ sauve
semblablement son âme. On aurait ici le dogme du gnosticisme pur.

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Ménard Jacques E. Le « Chant de la Perle ». In: Revue des Sciences Religieuses, tome 42, fascicule 4, 1968. pp. 289-325;

doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1968.2516

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1968_num_42_4_2516

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LE CHANT DE LA PERLE *

I — Introduction

Le Chant de la Perle est le plus célèbre poème de la littérature


syriaque (1). Le texte syriaque nous en a été conservé par un seul
manuscrit, le ms. du British Museum, add. 14, 645, qui date de 936

* Cette étude de l'auteur a été entreprise avec les membres de son


séminaire de syriaque : MM. M. Roberge, G. Claudel, J.-P. Duplantier, G.
Rotureau.
(1) Cf. W. Wright, Apocryphal Acts of the Apostles, 2 vol., Londres, 1871 ;
Th. Noldeke, dans Z.D.M.G., 25 (1871), p. 676 (recension de Wright) ;
C. Macke, dans Theologische Quartalschrift, 61 (1874), p. 3 s. ; R.-A.
Lipsius, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, I,
Braunschweig, 1883, p. 292 ss. ; P. Bedjan, Aeta Martyrum et Sanctorum, III,
Paris-Leipzig, 1892, p. 110-115 ; A.-A. Bevan, The Hymn of the Soul (Texts
and Studies, V, 3), Cambridge, 1897 ; A. Hilgenfeld, dans Berliner Philo-
logische Wochenschrift, 18 (1898), p. 389 ; F.-C. Burkitt, The Hymn of
Bardaisan rendered into English, Londres, 1899 ; M. Bonnet, Nicetas de
Thessalonique (Analecta Bollandiana, 20), Bruxelles, 1901, p. 159 ss. ;
G. Hoffmann, Zwei Hymnen der Thomasakten, dans Z.N.W., 4 (1903),
p. 293 ss. ; A. Hilgenfeld, Der Konigssohn und die Perle, dans Zeitschrift
der wissenschaftlichen Théologie, 47 (1904), p. 229-341 ; E. Preuschen,
Zwei gnostische Hymnen, Giessen, 1904 ; R. Raabe, dans Handbuch zu den
neutestamentlichen Apokryphen, éd. E. Hennecke, Tubingue, 1904, p. 587-
592 ; J. Halévy, Cantique syriaque sur saint Thomas, dans Revue
Sémitique, 16 (1908), p. 85-94 ; 168-175 ; A. Guillaumont, Littérature syriaque,
dans Histoire des littératures, 1 : Littératures anciennes orientales et orales
(Encyclopédie de la Pléiade), Paris, 1955, p. 757-761 ; M.-R. James, The
Apocryphal New Testament, Oxford, 1955 (réimpression), p. 411-415 ;
R.-A. Lipsrus, M. Bonnet, Aeta Thomae, dans Aeta Apostolorum apocrypha,
II, Adam,
A. 2, Hildesheim,
Die Psalmen
1959 des
(réimpression),
Thomas und ce.
das 108,
Perlenlied
20-113,als20,Zeugnisse
p. 219-224
vor-;
christlicher Gnosis (Beih. Z.N.W., 24), Berlin, 1959 ; A.-F.-J. Klijn, The So-
called Hymn of the Pearl (Acts of Thomas ch. 108-113), dans V.C., 14
290 J. E. MÉNARD

ap. J.-C. (2). Ce texte syriaque peut être considéré comme l'original,
car le texte grec édité par R.-A. Lipsius et M. Bonnet représenterait
un stade plus évolué dans l'histoire de la pensée gnostique.
Contrairement à A. Adam, nous ne croyons pas que Y Hymne soit le témoin
d'une gnose pré-chrétienne (3). La découverte de Nag Hamadi nous a
appris au sujet des textes gnostiques en général que, selon toute
vraisemblance, la gnose fut d'abord païenne, puis chrétienne, sans avoir été
pour autant pré-chrétienne.
En effet, les plus anciennes influences que l'on peut retracer dans
le Chant de la Perle sont celles de l'Apocalyptique juive et du
christianisme. \jHymne qui est écrit à la première personne raconte que
l'auteur vécut au Royaume de son Père. Alors qu'il était encore petit
enfant, il fut envoyé à la recherche de la perle ; on le chargea de
pierres précieuses, mais il dut se dévêtir de sa robe étincelante. On lui
enjoint de descendre en Egypte rechercher la perle qui repose au
fond de la mer, près de l'antre d'un serpent ou d'un dragon écumant ;
s'il réussit à soustraire la perle à ce dernier, il sera autorisé à remettre
la robe scintillante et à devenir l'héritier du Royaume avec son frère.
Le Petit Prince quitte donc le Royaume avec deux compagnons. Il
traverse la Mésopotamie et arrive en Egypte, où ceux-là le quittent.
En Egypte, il rencontre un homme de sa race, un fils de nobles auquel
il fait part de son «affaire». H s'habille comme les Egyptiens qui
lui offrent même de leur nourriture, et, sous l'effet de la torpeur, il
s'endort et oublie sa mission. Un plan est alors envisagé au Royaume
de son Père, et on lui expédie une lettre : semblable à l'aigle, celle-ci
vole vers lui et lui rappelle ses origines et sa mission, elle le réveille.
Le Prince ensorcelle le serpent et lui ravit la perle. Il rejette ses
vêtements de faux Egyptien et retourne à son Père. La lettre le précède

(1960), p. 154-164 ; G. Bornkamm, Thomasakten, dans Neutestamentliche


Apokryphenz, II, éd. E. Hennecke-W. Schneemelcher, Tubingue, 1964,
p. 349-535 (avec une ample bibliographie aux p. 297-298 et 303) ; G. Quis-
PEL, Makarius und das Lied von der Perle, dans Le origini dello gnosticismo
(Colloquio di Messina, 13-18 avril 1966 [Testi e discussioni pubblicati a
cura di Ugo Bianchi (Supplements to Numen, XII)] = ICOG), Ley de, 1967,
p. 625-648 : Idv Das Lied von der Perle (Sonderdruck aus Eranos-Jahrbuch,
XXXIV/1965), Zurich, 1967.
(2) La remarque d'A. Adam, Die Psalmen des Thomas und das Perlenlied
als Zeugnisse vorchristlicher Gnosis, p. 48, note 46, que le texte se trouve
aussi dans le ms. Sachau, Nr. 222, Berlin, 1881, édité par P. Bedjan, Acta
Martyrum et Sanctorum, est due à une mauvaise interprétation ; c'est le
texte publié par Wright qu'on a tout simplement introduit dans le ms.
de Berlin, cf. A.-F.-J. Klijn, The So-called Hymn of the Pearl, p. 154,
note 1.
(3) Cf. A. Adam, op. cit., p. 58.
LE CHANT DE LA PERLE 291

sur la route qui le conduit à nouveau à travers la Mésopotamie. La


robe, qui lui avait été promise, lui est envoyée de la part de ses parents
par la main des trésoriers. En elle, comme à travers un miroir, il se
reconnaît, il s'en revêt et remonte vers son Père, et avec lui il apporte
la perle au Roi.
A part les grands thèmes gnostiques de l'oubli, du vêtement qui
sert de miroir au Petit Prince pour Jui rappeler sa race et lui permettre
de se ré-identif ier à son « moi » ontologique et transcendental, la
majorité des idées de YHymne reprennent des éléments de l'adamologie
juive, tels qu'on les retrouve, par exemple, dans Phil., II, 5-11 (4) : la
descente et la remontée du Christ qui apparaît revêtu au ciel de la
gloire d'un fils de Dieu, comme c'est le cas de l'Adam de l'adamologie
juive, pour ensuite tomber dans le monde de l'Incarnation, afin de
pouvoir, contrairement à Adam cette fois, reconquérir l'égalité avec
Dieu par l'obtention du Nom (5). En Phil., II, 5-11, il est dit du Christ
supsôslc; àç av0pcorco<; ; cette tournure n'est pas grecque et ne

(4) Cf. R.-P. Martin, Carmen Christi. Philippians, II, 5-11 in Recent
Interpretation and in the Setting of Early Christian Worship (Society
for New Testament Studies, Monograph Series, 4), Cambridge, 1967.
(5) Le Christ de l'Hymne paulinien est comme les anges de l'adamologie
juive qui descendent et remontent. L'étude sémantique du terme pop»?} (Ocoû)
démontre que son sens est très près d'« image » ou de « ressemblance ».
Dans les Livres arméniens d'Adam (cf. E. Preuschen, Die apokryphen
gnostischen Adamschriften [Festgruss B. Stade], Giessen, 1900, p. 187),
il est raconté qu'Eve vit Adam, après sa mort, resplendissant de lumière
comme auparavant, lorsqu'ils étaient tous deux au Paradis. On retrouverait
des visions analogues dans la Vita Adae et Evae ou dans l'Apocalypse de
Moïse. Adam était donc revêtu avant sa chute d'un corps de lumière. Le
premier homme participait ainsi, selon les sources rabbiniques, de la gloire
de Dieu, cf. Gn. R., XI, 2 ; B. Murmelstein, Adam, Ein Beitrag zur Messias-
lehre, dans Wiener Zeitschrift zur Kunde des Morgenlandes, 35 (1928),
p. 255, note 3. Il était un être lumineux, dont le talon assombrissait la boule
du soleil, et il était la lumière du monde, cf. Philon, De opifido mundi,
143, 144, 148 ; Jerushami Sabbath, II, 35 b ; Gn. R., 17, 8 ; Tan. Noah, 1.
Selon une autre tradition, Adam est un baal teshubah (cf. H.-J. Schoeps,
Aus frù'hchristlicher Zeit, Tubingue, 1950, p. 10, note 3) qui, après sa
chute, s'est repenti et est retourné au Paradis. C'est ainsi que Tertitllien
écrit dans son De Poenitentia, XII, 9 : Adam enomologesi restitutus in para-
disum suum. De fait, au témoignage de l'Apocalypse de Moïse, XXXVII, 4,
Adam fut transporté à sa mort au troisième ciel. La Sophia Salomonis, X, 1
enseigne que la Sophia a relevé de sa chute le « Père du monde », et il y est
fait nommément allusion au salut d'Adam. On pourrait aussi verser au
dossier l'enseignement des papyrus magiques sur le salut d'Adam et sa
délivrance des Archontes, les puissances astrales, grâce au Nom divin, cf.
E. Peterson, La libération d'Adam de Z'avàpcY), dans R.B., 55 (1948), p. 199 ;
J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe et la gnose, dans Rev. S.R., 41
292 J. E. MÉNARD

peut s'expliquer que par Dn., VII, 13. Les deux compagnons du Prince
pourraient être aussi l'Elie et le Moïse de la scène de la
Transfiguration (ML, XVII, 1-9 ; 31c, IX, 2-10 ; Le, IX, 28-36), où Mt et Me ont

(1967), p. 311-312. Le Nom est celui, par exemple, de l'Evangile de Vérité


(p. 38, 6-40, 29), cf. J.-E. Ménard, Les élucubrations de l'Evangelium Veri-
tatis sur le Nom dans Studia Montis Regii, 5 (1962), p. 185-214. Une autre
figure apocalyptique est celle du Fils d'Homme de Dn., cf. R. Marlow, The
Son of Man in Recent Journal Literature, dans C.B.Q., 28 (1966), p. 20-30.
Ces deux figures apocalyptiques d'Adam et du Fils d'Homme se
ressentent sans doute du mythe de l'Urmensch. Le mythe est en effet très
vieux. En Iran, le mythe de Gayômart (<gaya maretan, «vie mortelle »)
n'apparaît que dans le Bundahisn (moyen-iranien), mais il est
certainement plus ancien. Toutefois, le Sauveur iranien n'est pas Gayômart, c'est
Saosyant. Et, jusqu'à quel point le Vohu Manah est-il un sauveur 1
L'Ancien Orient, de son côté, ne connaît que de vieux rois divins (Gilgames,
Tammuz) ou des sages primitifs (Adapa). Ez., XXVIII parle de
l'Urmensch comme roi du Paradis. Gn., I-II décrit la création du premier
homme 'Adam ; il est en possession de la sagesse (Jb., XV, 7 s. ; Sg.,
X, 1 s. ; Enoch slave, XXX, 12 ; XXXI, 2 ; Ps.-Clém., Horn., XVI, 11 s.)
et plein de splendeur (Sir., XLIX, 16 ; I QH, XVII, 15). C'est au niveau
de l'Apocalyptique et de la littérature rabbinique que des aspects
androgyne, macrocosmique et dualiste de l'Urmensch sont liés à la personne
d'Adam (Philon, les légendes adamologiques). Ce sont là des milieux
hétérodoxes du judaïme, cf. J.-E. Ménard, Die Handschriften von Nag
Hammadi : Einfluss des Iranismus und des Judentums auf den Gnosti-
zismus, dans Akten des XXIV. Internationalen Orientalisten-Kongr esses
(Mùnchen 1957), éd. par H. Franke, Munich, 1959, p. 481-485 ; C. Colpe,
Die religionsgeschichtliche Schule. Darstellung und Kritik ihres Bildes
vom gnostischen Erlôsermythus (F.R.L.A.N.T., 60), Goettingue, 1961, p.
140 ss. ; H.-M. Schenke, Der Gott « Mensch » in der Gnosis. Ein reli-
gionsgeschichtlicher Beitrag zur Diskussion iiber paulinische Anschauung
von der Kirche als Leib Christi, Goettingue, 1962 ; J.-E. Ménard,
L'Evangile selon Philippe. Introduction, texte, traduction, commentaire,
Paris, 1967, p. 19, note 70.
Telles sont les données certaines que nous possédons sur la théorie de
l'Urmensch avant ou à l'avènement du christianisme, et c'est à l'aide de
ces éléments épars que les gnosticismes du IIe siècle ont édifié leur
notion d'vAv8poj7cot; qui demeure néanmoins quelque chose d'original. Aussi
est-on étonné de retrouver encore chez certains auteurs, comme Adam
ou Martin, dans l'ouvrage plus haut cité (p. 83), la conviction de la
grande ancienneté du « Sauveur-sauvé ». Le « Sauveur à sauver » est un
thème relativement récent. Il apparaît ici dans le Chant de la Perle, dans
l'Evangile selon Philippe (sent. 9, 81 et J.-E. Ménard, L'Evangile selon
Philippe, p. 201), dans l'Evangile de Vérité (p. 42, 37), mais c'est
surtout dans le mandéisme et le manichéisme qu'il devient un thème central.
Les plus anciens témoignages pourraient en être les Odes de Salomon,
VIII, 22 ss. ; XLII, 17 ss. ; Actes de Jean, 95. Il est faux de considérer
r"Av6pu)xo<; du Poimandrès comme un parallèle. Ce traité hermétique est
né entre 100 et 300 de notre ère.
LE CHANT DE LA PERLE 293

rj. Et, comme le signalait déjà Preuschen (6), la rencontre


du Prince avec l'un de sa race ici-bas (v. 24-28), la mention du frère
aux côtés du Père et de la Mère (v. 15, 42), pourraient rappeler, par
exemple, ce texte d'iRÉNEE, Adv. Haer., I, 30, 1, selon lequel les
Ophites distinguaient le Sauveur Suprême, le premier Homme, du
Christ terrestre. Serait-ce ce jumeau que le Christ-Prince rencontre
lors de sa descente, ou est-ce son appel venu de là-haut que le Christ
terrestre entend ? Il n'y aurait là que contradiction apparente, car les
différentes émanations des récits mythiques de la gnose ne sont
inventées que pour signifier la même vérité : le retour de l'image terrestre
à son archétype céleste. A moins qu'il ne faille supposer que le Thomas,
dans la bouche duquel on a mis le Chant de la Perle, soit, comme celui
de YEvangïle selon Thomas, le Atôu|i.o;, le jumeau du Christ céleste
auquel il s'identifie. Mais, pour revenir au Christ, disons que le Christ
des c. 7 ss. de la Pistis Sophia (7) voit également venir à lui son
vêtement céleste, sur lequel sont écrits les mystères célestes. Et c'est
ce vêtement qu'il revêtira à nouveau à la fin des temps. C'est dire que
le Prince-Sauveur du Chant de la Perle pourrait être, à un premier
niveau, le Christ lui-même.
Faudrait-il aller jusqu'à l'identifier au Christ de l'Eglise syriaque ?
Pour cette dernière, en effet, le Sauveur est d'abord envoyé des cieux ;
il se dépouille ensuite de sa gloire divine, revêt des vêtements
terrestres, descend au royaume des ténèbres et apparaît aux Puissances
comme un homme. Celles-ci ne le reconnaissent pas, tout en entendant
sa voix. C'est pourquoi il les domine. Venu pour racheter ceux qui,
comme lui, sont étrangers sur terre, il leur ouvre les portes de l'Hadès
et les reconduit à leur demeure céleste (8).
Mais il y a d'autres éléments, plus spécialement judéo-chrétiens
cette fois, qui se sont glissés dans le texte du Chant de la Perle, comme
l'a récemment montré G. Quispel(9). Il est dit que le Petit Prince
fait part à celui qu'il rencontre (v. 27) de son « affaire ». S'agit-il ici
dune affaire commerciale ? L'expression syriaque demeure générale et

(6) Cf. Zwei gnostische Hymnen, p. 35 ss., 48. Le même auteur étudie
plus loin dans son ouvrage (p. 66 ss.) les différents parallèles bibliques
que peut évoquer le Chant de la Perle.
(7) Cf. p. 6 ss. Sehmidt-Till.
(8) Cf. A.-F.-J. Klijn, Early Syriac Christianity-Gnostic f dans Le
origini dello gnosticismo ( = ICOG), p. 575-579.
(9) Cf. Makarius und das Lied von der Perle, dans Le origini dello
gnosticismo (= ICOG), p. 625-644.
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vague, mais une correction dans le texte grec comporterait le mot


é(txopeïa (ç) ; l'expression désigne bien une transaction du genre. De
plus, le Prince revient toujours, dans ce qui semblerait être son pays
natal, au lieu de rendez-vous des marchands (v. 18, 70). Aurait-il donc
été considéré à un stade primitif de la rédaction comme un marchand ?
Cela serait en contradiction dans l'Antiquité avec son sang royal ! Or,
dans la tradition judéo-chrétienne, ainsi au log. 76 de V Evangile selon
Thomas et dans les Ps.-Clém., Rec, III, 62, c'est toujours un marchand
qui est à la recherche de la perle, et, toujours, on lui donne le nom de
«sage », un trait secondaire dans la tradition évangélique.
On pourrait encore citer d'autres témoins de la tradition syriaque :
Ephrem, Aphraate, Isaac de Ninive (10). C'est dire que certaines
couches rédactionnelles du Chant de la Perle refléteraient un climat
syriaque et qu'avec elles nous pourrions être aux origines de VHymne.
Mais nous nous hâtons d'ajouter que la tradition syriaque elle-même
ne fait que reprendre une tradition évangélique (Mt., XIII, 45-46).
Nous serions tout au plus en présence d'une influence chrétienne
générale, que la tradition syriaque a reprise à son propre compte ; et la
perle, en passant dans le monde syriaque et iranien, aura été
réinterprétée en fonction de la connaissance du « moi », perle en iranien étant
gôhr, c'est-à-dire substance, essence. Contrairement à Quispel (11),
nous ne croyons pas non plus que l'image céleste (le frère ou le
vêtement) soit une théorie propre au Testamentum Domini (12), pas plus

(10) Cf. Ephrem Syrus : IV, 701, 20 Lamy : Tu es vir, ille sapiens, etc.
(cf. L. Leloir, L'Evangile d'Ephrem d'après les œuvres éditées. Recueil
de textes [C.S.C.O., 180/Subsidia, 12], Louvain, 1958, p. 28) ; Vita Rab-
bulae, p. 165 Overbeck : Quasi sapiens mercator, etc. (cf. Tj. Baarda, The
Gospeltext in the Biography of Rabbula, dans V.C., 14 [1960], p. 112) ;
Aphraate, Demonstr., XTV, 16, p. 610 Parisot : Prudens mercator facul-
tates suas vendat et margaritam sibi comparet ; Isaac de Ninive, XXIV,
p. 121 Wensinck : Be alert, my brother, and be like a prudent merchant,
bearing thy pearl and wandering through the world... Les textes sont cités
par Quispel, art. cit., p. 626.
(11) Cf. art. cit., p. 630 ss.
(12) Aux parallèles gnostiques, manichéens, mandéens, mazdéens que
l'on a pu invoquer, par exemple, dans l'interprétation du log. 84 de
l'Evangile selon Thomas, on pourrait ajouter ceux fournis par la Kabbale et la
théosophie juive du Moyen Age, cf. G. Scholem, Von der mystischen
Gestalt der Gottheit, Zurich, 1962, p. 249-271 ; 306-313 et G. Vajda,
Recherches récentes sur V ésotérisme juif, II (1954-1962), dans R.H.R., 164
(1963), p. 59-61. Non seulement se retrouve alors, pleinement développé,
le thème de la rencontre avec l'image (avec l'image expressément nommée
le plus souvent, d'après Gn., I, 26-27, selem et assimilée de même en certains
LE CHANT DE LA PERLE 295

que le vêtement ou l'Egypte ne sont particuliers à Macaire (13) . Si une


première lecture du Chant de la Perle peut donc être chrétienne, il
fallait à cette première lecture chrétienne un complément de synthèse,
pour que le Prince puisse être à la fois celui qui est sauvé et qui sauve,
et ce complément sera fourni par l'apport de la théorie iranienne de
la daëna.

cas à une sorte de « double » personnel, à l'archétype, à la « nature


parfaite » de l'inspiré, du « prophète » ou du « juste », de l'initié, tout aussi
bien qu'à un «ange» ou à un «vêtement»), mais cette rencontre est,
ici ou là, donnée comme une expérience vécue ou possible, décrite sous
forme de « confession mystique », de récit fait par le spirituel à la
première personne et rappelant ainsi le tour et le ton du Chant de la
Perle ou de certaines pièces de recueils mandéens. Sans doute s'agit-il
là de spéculations assez tardivement apparues dans le judaïsme, mais on y
relève des rapprochements qu'elles appellent avec le Chant de la Perle
et tel ou tel texte mandéen relatif à la rencontre du défunt et de sa
daëna. L'explication serait à en chercher dans la jonction et le mélange
de deux traditions : l'une - orientale, gnostique, issue de l'eschatologie
iranienne ; l'autre - philosophique, néoplatonicienne, jouant de théories
telles que celles du « daimôn » personnel et du « corps astral » ou «
pneumatique » et parvenue de la sorte à transformer en « vision de soi » la
« connaissance de soi », cf. H.-Ch. Puech, dans Annuaire du Collège de
France, 64e année, (1963-1964), p. 209-210.
(13) La symbolique du vêtement a une longue histoire. Dans les
religions qui entourent le peuple de la Bible et celui du N.T., le vêtement
peut être l'image du corps qui enveloppe l'âme, et il est alors
l'expression du caractère du monde matériel à l'égard du monde spirituel, cf.
H. Jonas, Gnosis und spatantiker Geist, I : Die mythologische Gnosis
(F.R.L.A.N.T., N.F., 33), Goettingue, 1934, p. 102, 51, note 1 ; G. Widen-
gren, The Great Vohu Manah and the Apostle of God. Studies hi Iranian
and Manichaean Religion (Uppsala Universitets Ârrskrift, 5), Uppsala-
Leipzig, 1945, p. 18, 37, 72 : le corps n'est pas naturel à l'âme. Mais le
vêtement est aussi un attribut céleste, il porte en ce cas différents noms,
cf. R. Reitzenstein, Die hellenistischen Mysterienreligionen nach ihren
Grundgedanken und Wirkungen z, Leipzig-Berlin, 1927, p. 46 : vêtement
céleste, vêtement de l'âme, vêtement de gloire, cf. 1 QS, IV, 8, vêtement
de lumière, cf. Chant de la Perle, v. 9 ; Huwïdagmàn, Vie, p. 101 Boyce.
La grande réalité ainsi symbolisée est celle de l'unité mystique de l'âme
et de son « moi » authentique, car l'âme ne cesse jamais d'être une
étincelle, une parcelle de divinité. Dans la Bible, le vêtement souligne l'ordre
que fait régner Dieu dans le monde et le rôle sacerdotal qu'il a confié à
l'homme. Le vêtement est nécessaire à ce dernier, non seulement pour le
protéger contre les forces de la nature ou les Puissances cosmiques, mais
aussi parce qu'il lui garantit son autonomie et manifeste son pouvoir et
sa vocation à l'intérieur de la communauté du salut. Les multiples fonctions
qui assurent la croissance de la communauté sont marquées par différents
costumes : prophétisme, sacerdoce, royauté, différence de sexes. Partout,
depuis la tunique de peau de Gn., III jusqu'aux vêtements blancs de
296 J. E. MÉNARD

Preuschen le remarquait déjà (14). L'interprétation chrétienne ne


nous permet pas en effet de voir comment le Sauveur ou le Prince,
qui s'oublie lui-même et est à sauver, peut assurer son salut et, à la
fois, celui de la perle. Comme nous le disions précédemment, la théorie
du Sauveur-sauvé (ou à sauver) n'apparaît au plus tôt dans l'histoire
que dans les Apocryphes néotestamentaires, et il constitue un des
grands thèmes du mandéisme et du manichéisme. Puisque le Chant de
la Perle est oriental et qu'il présuppose l'existence de l'empire parthe,
que sa perspective géographique est celle de ce même empire parthe
et de l'Hyrcanie du sud-est de la Mer Caspienne, que son milieu social
est celui de l'empire des Arsacides avec ses institutions féodales (donc
avant l'avènement des Sassanides en 226 ap. J.-C), que, même pour
l'articulation de ses idées gnostiques, il présente certaines analogies
avec l'épopée parthe Wis u Râmïn, dans laquelle sont semblablement
associés la mer, la perle, le Dragon et le Prince, que la proportion des
mots et des expressions empruntés à l'iranien (comme parwanqin
[v. 16], daëwa [v. 50], gûn [v. 84]) est plus grande chez lui que
dans toute autre pièce de la littérature syriaque, que son langage
symbolique nous renvoie toujours à llran, le vêtement étant apporté au
Prince des hauteurs d'Hyrcanie (à noter la forme parthe Wirkân, et

V Apocalypse, le vêtement est le signe des situations spirituelles de


l'humanité. Suivant la situation dans laquelle se trouve l'homme, face à
l'intervention divine, le vêtement a une signification religieuse. La présence,
l'absence et les changements de vêtements traduisent en un langage coloré
les avances et les reculs, les échecs partiels et finalement le succès définitif
de l'initiative divine aux prises avec la liberté humaine. Le Dieu de la
Bible est le seul capable de couvrir la nudité de l'homme, cf. E. Haulotte,
Symbolique du vêtement dans la Bible {Théologie, 65), Paris, 1966.
La mention de l'Egypte, comme lieu du mal et prison de l'âme, n'est
pas non plus propre à Macaire. L'Egypte est le symbole de tout ce
qui touche au monde xaxà cuaO^civ yt nûtioc, t] oû>jia (cf. Philon, De Migr.
Abr., 77) ; elle est 6 oœfjia-txô; oïxo; (cf. ibid., 23), rj xoù aiôjiaxoç xo\r'a
(cf. De Agric, 88), -q juoc/psToç xal y(koTzoHri<; <f6ai; (cf. De Migr. Abr.,
202) et xi xt)<; «J^X^Ç otftzfov (cf. De Congressu, 21). Dans Apoc, XI,
8, le terme signifie avant tout le monde corporel. Hippoltte (cf. Elench.,
Vf 7, 41, 89 Wendland) rapporte que pour les Naassènes /^oirroç fâp loti
to oûfia xax ' aoxouc, et elle est (cf. ibid., V, 7, 39, p. 88, 19 Wendland)
>5 xàxco p£iç . A la suite de Philon, Clément d'Alexandrie écrit (cf.
Strom., I, 5, 30, 4 : II, p. 20, 2 Stahlin) : Aqurcxo; U b xôa|j.oç
et eïx' ouv xo3|jloo xat àxaTfjr e^te naôoJv xa' xaxiûv ooy.$okov
(cf. Strom., II, 11, 47, 1 :II, p. 138, 1 Stahlin).
(14) Cf. Zwei gnostische Hymnen, p. 46.
LE CHANT DE LA PERLE 297

non la forme sassanide Gurgân) (15), l'explication la plus sûre et seule


capable de restituer à YHymne un sens plus entier est celle du Sauveur,
âme universelle, et de la perle, âme individuelle, c'est-à-dire une
explication empruntée à la théorie de la daëna iranienne. A la suite de
R. Reitzenstein, G. Widengren (16) rappelle le Fïhrist al 'Ulum d'Ibn
an-Nadïm, où l'on a la description de la rencontre après la mort : la
Vierge qui ressemble à 1 ame du parfait va à la rencontre du défunt.
Remontant vers la divinité suprême, Ahura Mazdâ, l'âme du juste
défunt rencontre son ego, la daëna, symbolisée par la figure d'une
belle Vierge qui le conduit jusqu'aux lumières illimitées. Dans le
Fragment de Zarathustra, le personnage qui parle est le Sauveur, mais c'est
en même temps l'âme sauvée, car la daëna est à la fois l'âme universelle,
la somme globale des daënas, comme elle est l'âme individuelle (17).
Il en va de même du vêtement. Il est un symbole, dans les textes en
vieil et moyen iranien, de cette partie de l'âme qui est restée au ciel (18).
Cette robe, dans les livres pehlevis, reçoit le nom de (hân i) vohuman(ik)
vastrag et représente le Vohu Manah, ou Manvdhmêd vazurg, le Grand
Nous, le Vahman vazurg des textes manichéens en moyen iranien.
Cette partie de l'âme n'est pas à proprement dit de l'âme, gyân, mais
bien le voôç, vahman ou manvahmëd, comme il ressort du texte de
Tourfân T II D 178. Or, cette rencontre du Vohu Manah et de
Zarathustra est attestée déjà dans des textes avestiques, dont un résumé se
trouve actuellement dans le Denkart, VII, 2, 60-61 (19). Les théories
iraniennes, celle spécialement de la daëna, nous permettraient donc une
nouvelle lecture, cette fois plus complète, du Chant de la Perle, et cette
relecture mettrait en évidence la doctrine du Sauveur à sauver et du
retour de l'âme à son voùç. On rejoindrait ici une doctrine chère à
Tatien, celle de la syzygie de la <J>oyjfj et du voûç , ainsi que l'écrit
H.-Ch. Puech, en parlant du Chant de la Perle : « L'épisode, tout

(15) Cf. G. Bornkamm, Thomasakten, dans Neutestamentliche Apokry-


phen3, II, p. 303-305 ; G. Widengren, Les origines du gnosticisme et
l'histoire des religions, dans Le origini dello gnostieismo ( = ICOG), p. 52-53.
(16) Cf. art. cit., p. 34-35.
(17) Cf. H.-S. Nyberg, Die Religionen des alten Iran, Leipzig, 1938,
p. 119 s. Preuschen identifie cette âme individuelle à la Sophia valen-
tinienne, mythe de l'âme individuelle perdue dans le monde matériel (ainsi
p. 60) et qui doit être réunie à son Sauveur, le Noô;. On revient ainsi à la
constitution de la syzygie : Christ- Sagesse.
(18) Cf. G. Widengren, The Great Vohu Manah and the Apostle of
God, p. 49 ss.
(19) Cf. Id., Les origines du gnosticisme et l'histoire des religions, p. 50»
298 J. E. MÉNARD

l'Hymne même, a pour but de signifier, selon une théorie qui se


retrouve notamment chez Tatien, le salut de l'âme par l'esprit, la
restitution de l'homme en son état primitif et parfait opérée par la aoÇofia,
la conjonction de la fyuyî] avec le icvsô[ia ou le voôç qui lui est
apparié» (20).
Mais même dans cette interprétation, le Chant de la Perle présente
encore des contradictions. Ses données géographiques, si l'on veut ne
pas modifier le texte (21), sont difficiles à concilier avec la route droite
•qui va d'Hyreanie en Egypte et que devaient emprunter les caravanes.
Babylone se trouve en dehors de cette route, de même que la Mésène
donnant sur le Golfe Persique. Et Sarbûg n'est ni Sarûg ni Shurup-
pak, la ville d'Ut-Napistim de l'épopée de Gilgames, mais bien Sarbug
mentionné trois fois dans le texte syriaque (v. 19, 50, 69) et rendu dans
le texte grec par Àa(3ûpiv0o<; . L'expression grecque désigne sans doute le
centre ou un quartier de Babylone selon la supposition bien plausible
de W.-E. Crum (22), à savoir que te mot arabe sarbuka signifie «
labyrinthe ». Le tout s'explique, si ces nouvelles données géographiques sont
dues à des interpolations manichéennes, ainsi que le propose G. Born-
kamm (23). La Mésène avait été le pays d'origine de Mani, lequel
descendait de haute noblesse parthe, et Babylone avait été le lieu de
son activité apostolique et de son martyre. Donc, même si, ou plutôt,
parce que la question de la datation des textes iraniens religieux est
épineuse, ces derniers étant chronologiquement plus tardifs que les
textes gnostiques eux-mêmes (24), on peut dire qu'un terminus ad quem
de la datation du Chant de la Perle serait 226 ap. J.-C. h'Hymne
refléterait un stade pré-manichéen ou pré-mandéen.
En effet, bien des détails du Chant de la Perle sont à retracer dans
la littérature mandéenne. Dans cette littérature, c'est de la maison de
la vie, où habitent les deux premiers-nés (25), qu'est envoyée l'âme
universelle, c'est-à-dire Hibil, le deuxième fils (26) ; il est appelé le
« jeune enfant » (27), l'enfant (taljâ) qui chante des hymnes magiques

(20) Cf. Annuaire du Collège de France, 63e année, (1962-1963), p. 207.


(21) Cf. A. Adam, Die Psalmen des Thomas und das Perlenlied als
Zeugnisse vorschristlicher Gnosis, p. 62-64.
(22) Cf. Coptic Analecta, dans J.T.S., 44 (1943), p. 123, 181.
(23) Cf. Thomasakten, p. 304-305.
(24) Cf. A. Bausani, Letture iraniche per l'origine e la definizione tipo-
logica di gnosi, dans Le origini dello gnosticismo ( = ICOG), p. 263.
(25) Cf. Ginzâ de droite, p. 308, 12 Lidzbarski.
(26) Cf. ibid., p. 239-249.
(27) Cf. ibid., p. 243, 23.
LE CHANT DE LA PERLE 299

merveilleux (28). Il s'appelle Hibil-Zïwà, l'Abel de la lumière de


splendeur (29), il est le roi des anges de lumière et le « ré veilleur » des
hommes (30). Le «viatique» que cette âme universelle («l'homme
étranger») (31) apporte du ciel est communiqué à l'âme individuelle. Les
trésoriers sont les gardiens du vêtement céleste et ils en revêtent l'âme
lors de sa remontée (32). L'âme est la pure perle (33), la perle Nituftâ,
c'est-à-dire la goutte qui est tombée du ciel dans la mer (34). Il est
aussi vraisemblable qu'une secte baptismale rigoriste enseignait que
l'âme universelle avait goûté aux aliments égyptiens et exigeait comme
condition de la remontée de l'âme une abstinence totale des mets des
enfants de ce siècle (35). Les écrits mandéens mentionnent également
cette lettre céleste qui s'envole de la maison de la vie (36) et qui
s'envole à nouveau du monde avec l'âme (37). Lorsque cette dernière se
dépouille du vêtement corporel, elle se revêt du vêtement de vie et elle
devient une image de la Grande Vie de lumière (38), elle remonte à
son pays d'origine (39). Le Chant de la Perle peut donc être né dans
un milieu mandéen, peut-être celui des menakke dé mentionnés par
Théodore bar Kônai, ainsi que le prétend A. Adam (40).
Mais, contrairement à ce même auteur (41), nous pensons que la
preuve de la popularité du Chant de la Perle dans les milieux
manichéens nous est fournie par quelques textes des Manichaica coptes
récemment découverts au Fayoûm, surtout par le fragment d'un
Psaume du Christ (42) : « Christ, conduis-moi ; mon Rédempteur, ne

(28) Cf. Mandàisehe Liturgien, p. 248, 10 Lidzbarski.


(29) Cf. Ginzâ de droite, p. 363, 20 ss. ; 365, 10.
(30) Cf. Mandàisehe Liturgien, p. 173, 8.
(31) Cf. Ginzâ de droite, p. 273, 14 ; Qolastâ, p. 161.
(32) Cf. Ginzâ de gauche, p. 487, 5-17.
(33) Cf. Qolastâ, p. 102, 9.
(34) Cf. Bas Johannesbuch der Mandâer, p. 231, 23 ss. Lidzbarski.
(35) Cf. Ginzâ de droite, p. 306, 34-35.
(36) Cf. Qolastâ, p. 87, 3 ss. La lettre qui est portée par l'aigle peut
facilement être un élément syriaque. Dans le Baruch syriaque, la lettre
est en effet apportée par l'aigle (cf. LXXVII, 17, 19). L'image se retrouve
dans les Kephalaia manichéens, p. 182, 1-9, 22, 30 Polotsky-Bôhlig à propos
de l'appel et de la réponse. Et le gôhr i xvarr est la « substance du xvar*-
nah ». L'iconographie du x^ar^nah est liée à un oiseau rapace (cf. Vere-
thraghna sur les monnaies Kushana).
(37) Cf. Qolastâ, p. 111.
(38) Cf. ibid., p. 86, 2-4.
(39) Cf. Ginzâ de gauche, p. 487, 9 ss. ; 511, 20-27 ; 562, 19-32 ; 582, 12.
(40) Cf. op. cit., p. 69.
(41) Cf. ibid., p. 70.
(42) Cf. Psautier manichéen copte, p. 116, 24 ss. Allbeny.
300 J. E. MÉNARD

m'oublie pas... Je suis un Prince (fiqfiaTàvoç) portant la couronne avec


les rois. Je ne savais pas combattre, car je tire mon origine de la ville
des dieux... J'ai quitté mes parents, je suis parti, j'ai souffert la mort
pour eux ». Suivent la description de la remise de l'armure, la mission
de vaincre les Puissances mauvaises, la promesse de la couronne de
victoire, l'oubli de l'origine divine, la consommation de la boisson
maléfique et l'anéantissement de l'Envoyé céleste par les Puissances. Il est
dit en un autre endroit (43) : « II (l'Esprit Saint) tira l'Homme
primordial hors de la lutte comme une perle que l'on remonte du fond
de la mer. » Très instructifs aussi pour notre propos sont les textes
manichéens, détruits en grande partie, et dans lesquels Mani joue le
rôle du Rédempteur (44) ; il y est appelé l'Apôtre de la lumière, la
perle de lumière, qui est venu des mers agitées (45). Et une étude
des Psaumes de Thomas du Psautier manichéen copte (46) démontre
que le Premier Envoyé du Père des Splendeurs est un petit enfant qui
a besoin dans son combat contre les Puissances mauvaises des différents
autres Envoyés célestes, mais qui est aussi capable à lui seul de se
sauver. Il est un Sauveur-sauvé.
Ces rapprochements avec les textes manichéens permettent de jeter
quelque lumière, comme nous le disions plus haut, sur des détails d'ordre
géographique du Chant de la Perle, et, vu que les motifs indiqués
antérieurement ne laissent pas penser que le Chant a été conçu
primitivement pour Mani, la Mésène se trouvant en dehors de la route qui
conduit directement d'Hyrcanie en Egypte et Babylone, la ville des
démons, faisant double emploi avec l'Egypte, on peut admettre que
l'Hymne, déjà constitué, fut bientôt appliqué à Mani et agrémenté
d'extraits de sa Vita. Cela concorderait bien avec les convictions du
fondateur d'être lui-même l'Envoyé de la lumière, pour devenir par la
suite la personne du Rédempteur. Dans plusieurs fragments de Tour-
fân, il se nomme également l'enfant du souverain, devenu un étranger
après être sorti de la magnificence (47). Il est possible que s'explique

(43) Cf. KephaUia, p. 85, 24 ss.


(44) Cf. Homélies, p. 54, 12 ss. Polotsky-Ibscher.
(45) Cf. ibid., p. 55, 17 ss.
(46) Cf. p. 203-227 Allberry.
(47) Cf. F.-W.-K. Muller, Handschriften-Reste in Estrangelo-Schrift
aus Turfan, Chinesisch-Turkestan, III (S.P.A.W.), Berlin, 1934, p. 877 ;
T II D 178 (A.P.A.W.), 1926, IV, p. 112-113 ; M 7 (S.P.A.W.), Berlin,
1934, p. 874-875.
LE CHANT DE LA PERLE 301

ainsi la fin surprenante du poème, laquelle annonce encore, après le


retour du fils à la maison du père, une apparition du fils du roi en
compagnie de son père devant le «roi des rois» (Mani), bien que le
père du Prince porte déjà ce titre, qui est un titre parthe (48). Cette
discordance s'éclairerait également à la lumière de la fiction
biographique dont le tout a été entouré postérieurement et qui se rapporte à
Mani. On retrouve de ces mêmes traits dans l'hérésiologie
anti-manichéenne des Acta Archelai (49).
Le Chant de la Perle semble donc avoir été soumis à des relectures
correspondant à des couches rédactionnelles successives : 1) le Prince
parti à la recherche de la perle constituerait la couche rédactionnelle
primitive, judéo-chrétienne et syriaque (thème du marchand sage et
de la perle, cf. Evangile selon Thomas, log. 76 et Ps.-Clém., Rec, III,
62) ; 2) le thème du Prince qui a besoin d'être sauvé et qui sauve la
perle (lame individuelle) reprendrait la théorie de la daëna universelle
qui se sauve elle-même avec les daënas individuelles ; 3) une troisième
relecture, manichéenne cette fois, serait celle qui mentionne Sarbûg,
Babylone et la Mésène : Babylone a été le lieu de l'activité apostolique
et du martyre de Mani, la Mésène était son lieu d'origine. Tel qu'il
se présente à nous, le Chant de la Perle est un témoin du
pré-manichéisme.
Contrairement à U. Bianchi (50), nous pensons donc que le Chant
de la Perle peut être interprété comme une re-découverte du « moi »
ontologique et transcendental (grâce au miroir des v. 77 ss.), comme le
rassemblement des âmes individuelles, représentées par la perle, et
comme leur retour dans l'âme générale du monde, le Prince. L'âme-
perle et le Prince-Sauveur ne seraient en somme que la même chose ;
c'est ainsi que le Christ de la sent. 9 du nouvel Evangile selon
Philippe de Nag Hamadi sauve son âme, en sauvant toutes les autres. On
aurait ici le dogme du gnosticisme pur.

(48) Le titre « Roi des Rois » apparaît déjà chez les Achéménides et
fut repris par les Arsacides. Dans la Chronique d'Arbela il est encore
employé par le roi Bahram III (276-293 ap. J.-C), cf. E. Sachau, Die
Chronik von Arbela, Ein Beitrag zur Kenntnis des altesten Christentums im
Orient {A.P.A.W., Phil.-hist. KL, Nr. 6), Berlin, 1915, p. 66, 68.
(49) Cf. c. 4 et G. Bornkamm, Mythos und Légende in den apokryphen
Thomas- Akten. Beitrage zur Geschichte der Gnosis und zur Vorgeschichte
des Manichaismus {F.R.L.A.N.T., N.F. 31), Goettingue, 1933, p. 119 s.
(50) Cf. Perspectives de la recherche sur les origines du gnosticisme, dans
Le ongini dello gnosticismo (= ICOG), p. 716-746.
302 J. E. MÉNARD

II — TRADUCTION (51)

Titre : Hymne de l'Apôtre Jude Thomas


au pays des Indiens.

A - La mission

1 Lorsque, tout petit enfant,


<j'habitais> dans mon royaume, la maison de mon Père
2 et que la richesse et le <luxe>
de mes éducateurs me comblaient de joie,
3 c'est de l'Orient, notre région,
qu'après m 'avoir équipé, mes parents m'envoyèrent
4 et qu'avec la richesse de notre trésor
ils (me firent) peut-être, en me l'attachant, un paquet.
5 II était gros et pourtant (si) léger
qu'à moi seul je pouvais le porter :
6 c'était de l'or de la maison des dieux,
de l'argent <des grands trésors>,
7 des < calcédoines d>Inde,
des (pierres) chatoyantes <du> Royaume de Kushân.

(51) Cette traduction du Chant de la Perle est ordinairement constituée


à chaque verset de deux stiques. Nous gardons la numérotation de
Preuschen, qui est celle de Bevan. Ce dernier ajoutait aux v. 25-26 deux
stiques, de même que, après le v. 67 et le v. 71, il en supposait un à chaque
fois. C'est ce qui explique qu'en ces trois endroits notre traduction ne
comporte qu'un stique. Bornkamm suit de même Preuschen, contrairement
à Adam. Les crochets obliques (< >) indiquent que la leçon suivie,
très généralement celle de Preuschen, ne concorde pas tout à fait avec
celle du ms. Seules les divergences majeures entre le texte de Preuschen
et le ms. sont indiquées dans le commentaire. Les parenthèses ordinaires
signifient l'addition d'un mot. La première traduction française du Chant
de la Perle remonte à 1908, c'est celle de J. Halévy, Cantique syriaque sur
Saint Thomas, dans Revue Sémitique, 16 (1908), p. 85-94 ; 168-175 ; elle
se réfère constamment aux restitutions de Hoffmann. Nous passons
respectueusement sous silence la traduction de F. Amiot, La Bible apocryphe.
Evangiles apocryphes (Textes pour l'histoire sacrée choisis et présentés par
Daniel-Rops), Paris, 1952, p. 269-274.
LE CHANT DE LA PERLE 30$

8 Ils me ceignirent du diamant


qui taille le fer.
9 Ils me retirèrent (le manteau) resplendissant
que, dans leur amour, ils m'avaient fait,
10 et ma toge de pourpre
qui était ajustée à ma mesure, tissée ;
11 ils conclurent avec moi une entente
et l'écrivirent dans mon cœur, pour que je n'oublie pas i
12 Si tu descends au fond de l'Egypte
et que tu rapportes la perle, l'unique,
13 celle qui est au fond de la mer,
(dans les) parages du serpent qui écume,

14 tu re-vêtiras ton (manteau) resplendissant


et ta toge qui repose sur lui,
15 et avec ton Frère, notre second,
tu <deviendras héritier> dans notre Royaume.

B - La descente et l'oubli

16 Je quittai l'Orient, je descendis,


avec moi étaient deux compagnons,
17 car le chemin était périlleux et difficile
et j'étais trop petit pour le parcourir.
18 Je franchis les frontières de la Mésène,
le point de rencontre des commerçants de l'Orient,
19 et je parvins au pays de Babel
et je pénétrai dans les murs de Sarbûg.
20 Je descendis jusqu'au fond de l'Egypte
et mes compagnons se séparèrent de moi.
21 Je me dirigeai directement vers le serpent,
j'habitai les parages de sa demeure (me disant) :
22 pendant qu'il sommeillera et se reposera,
je lui ravirai ma perle.
304 J. E. MÉNARD

23 Et, parce que j'étais seul, que j'étais isolé,


je fus un étranger pour les gens de ma demeure.
24 Mais je vis là un fils de ma race, un fils de nobles,
d'<Orient>,
25 un beau jeune homme gracieux,
26 fils d'oints (ou : de l'onction) ; il vint s'attacher à moi,
27 et je fis de lui mon confident,
<mon> compagnon à qui je communiquai mon affaire.
28 Je le mis en garde contre <l'Egypte>
et contre le contact des êtres impurs.
29 Et je portai leur vêtement,
de peur qu'il ne me <soupçonnent> d'être venu de
l'extérieur
30 pour m 'emparer de la perle,
et qu'<ils> (n') <excitent> le serpent contre moi.
31 Mais par suite de quelque chose
ils remarquèrent que je n'étais pas un fils de leur pays
32 et se lièrent à moi dans leurs perfidies,
même, ils me donnèrent à manger de leur repas ;

33 et j'oubliai que j'étais le fils des Rois


et je servis leur roi.
34 Et j'oubliai la perle
au sujet de qui mes parents m'avaient envoyé.
35 A cause de la lourdeur de leurs nourritures
je tombai dans un sommeil profond.
36 Tout ce qui m 'arriva,
mes parents le remarquèrent et furent affligés pour moi.
37 II fut proclamé dans notre Royaume
que chacun devait venir à notre porte,
38 les Rois et les Chefs de Parthie
et tous les Grands de l'Orient.
39 Ils prirent à mon sujet la décision,
que je ne devais pas être abandonné en Egypte,
LE CHANT DE LA PERLE 305

40 et ils m'écrivirent une lettre,


et chaque Grand y apposa son Nom :
41 « De ton Père, le Roi des Rois,
et de ta Mère, l'impératrice de l'Orient,
42 et de ton Frère, notre second,
à toi, notre fils en Egypte, salut.
43 <Réveille-toi> et lève-toi de ton sommeil,
entends les paroles de notre lettre ;
44 souviens-toi que tu es fils de Rois,
vois l'esclavage, qui tu sers,
45 souviens-toi de la perle
au sujet de qui tu es parti en Egypte ;
46 rappelle-toi ton (vêtement) resplendissant,
pense à ta toge glorieuse,
47 pour que tu t'en revêtes et que <tu (en) sois paré>,
que dans le livre des héros ton Nom soit prononcé,
48 et qu'avec ton Frère, notre successeur,
tu < deviennes héritier > dans notre Royaume. »
49 Ma lettre était une lettre
que le Roi de sa main droite avait scellée,
50 loin (des yeux) des méchants, des fils de Babel,
et des démons <révoltés> de Sarbûg.

C - L'appel et le retour

51 Elle s'envola sous la forme de l'aigle,


le roi <de tous> les oiseaux,
52 elle vola et se posa près de moi
et elle devint toute parole.
53 A sa voix et à la voix de son cri
je me réveillai et je me levai de mon sommeil,
54 je la pris contre moi et l'embrassai,
je défis <son sceau»> et lus.
306 J. E. MÉNARD

55 Tout comme (c') était gravé dans mon cœur,


(ainsi) étaient écrites les paroles de ma lettre.
56 Je me souvins que j'étais fils de Rois
et que mon élévation répondait à sa nature,
57 je me rappelai la perle
au sujet de qui j'avais été envoyé en Egypte.
58 Je commençai à pratiquer des rites magiques
autour du serpent terrifiant et écumant.
59 Je l'assoupis et l'endormis,
en prononçant sur lui le Nom de mon Père,
60 le Nom de notre second
et de ma Mère, la reine de l'Orient,
61 je m'emparai de la perle
et je me retournai pour me diriger vers la maison de mon
Père.
62 Leur vêtement sale et impur,
je m '(en) dépouillai et l'abandonnai dans leur pays,
63 je pris le chemin <pour venir>
vers la lumière de notre région, l'Orient.
64 Et ma lettre, celle qui m'avait réveillé,
je la trouvai devant moi dans le chemin ;

65 de même que par sa voix elle <m'> avait éveillé,


ainsi par sa lumière elle me dirigeait.
66 Car la soie de Séleucie (?)
brillait devant moi de son éclat
67 et la direction de sa voix
ranimait aussi mon élan
68 et, dans son amour, m'<attirait>.
69 Je sortis, passai à Sarbûg,
laissai Babel sur ma gauche
70 et arrivai dans la grande Mésène,
au port des commerçants,
71 situé sur le rivage de la mer.
LE CHANT DE LA. PERLE 307

D - Le vêtement royal
72 Mon (vêtement) resplendissant, que j'avais enlevé,
et ma toge, dont il était recouvert,
73 me furent portés là des hauteurs d'Hyrcanie
de la part de mes parents
74 par leurs trésoriers ;
à cause de leur fidélité, ils en avaient le soin.
75 Tout en ne me souvenant pas de sa dignité,
parce que c'est dans mon enfance que je l'avais quitté chez
mon Père,
76 subitement, dès que je le rencontrai,
tel mon miroir, le (vêtement) resplendissant me ressembla :
77 tout entier, je le vis en moi-même < tout entier >
comme <moi-même tout entier>, je me retrouvai en lui,
78 car deux nous étions dans la division,
mais un à nouveau étions-nous dans une unique forme ;
79 de même, pour les trésoriers,
qui me l'avaient apporté, je vis aussi
80 qu'ils étaient deux (et) une seule forme,
car un unique sceau était gravé sur eux, (celui) du Roi
81 qui me retournait r<honneur>,
<le gage de ma> richesse par leurs mains,
82 mon (vêtement) resplendissant orné
de couleurs superbes (et) <brillantes>,
83 d'or et de béryles,
de calcédoines et de (pierres) chatoyantes
84 et de < sardoines > de < teintes > variées.
Il était aussi ouvragé selon sa grandeur,
85 avec des pierres de diamant,
toutes ses coutures bien cousues ;
86 et l'image du Roi des Rois
était <tout entière> peinte sur toute son étendue,
87 et <comme> les pierres de saphir,
ainsi était-il, dans sa hauteur, de couleurs variées.
308 J. E. MÉNARD

E — La remontée

88 Et je vis en plus que tout en lui


était secoué par les mouvements de <ma connaissance>,
89 et comme à parler,
je vis aussi qu'il s'apprêtait.
90 J'entendis le son de ses mélodies
que <dans sa descente> il murmurait :
91 « C'est moi le plus dévoué des serviteurs
que l'on a dressé au service de mon Père,
92 <j'ai senti> aussi en moi
que ma stature, comme ses œuvres, a grandi. »
93 Et dans ses élans royaux
il tend de tout son être vers moi
94 et dans la main de ses donateurs
se précipite pour que je le prenne ;
95 et mon amour me presse
de courir à sa rencontre et de le recevoir.
96 Je tendis (mon corps) et le reçus,
je me parai de la beauté de ses couleurs,
97 et ma toge miroitante de couleurs,
je <me> vêtis <tout entier> d'elle tout entière.
98 Je l'endossai et je suis remonté
à la porte du salut et de l'adoration.
99 Je courbai la tête et j'adorai
la splendeur de mon Père <qui> l'avait envoyé vers moi,
100 dont j'avais suivi les ordres,
comme il avait accompli ce qu'il avait promis.
101 A la porte de ses satrapes
je me mêlai à ses Grands ;
102 car il se réjouit à mon sujet et me reçut
et j'étais avec lui dans son Royaume,
103 et dans l'invocation de son <trône>
tous ses serviteurs l'acclamaient,
LE CHANT DE LA PERLE 309

104 <parce qu'>il m'avait promis


de (re) venir avec lui à la porte du Roi des Rois,
105 et avec <l'offrande de ma> perle
de paraître avec lui devant notre Roi.

Colophon : Fin de l'Hymne de Jude Thomas l'Apôtre


qu'il chanta en prison.

III — COMMENTAIRE

Titre. Le titre, comme le colophon, n'appartient pas à la


tradition manuscrite. C'est cependant celui que l'on conserve ordinairement
à l'Hymne, cf. A. Adam, Die Psalmen des Thomas und dos Perlenlied
als Zeugnisse vorchristlicher Gnosis, p. 48, note 45. Un titre comme
« Hymne du Fils du Roi » serait sans doute meilleur et plus conforme
aux treize premiers Psaumes de Thomas du Psautier manichéen copte,
avec lesquels le Chant de la Perle est de toute évidence apparenté et
qui portent des titres semblables.
Selon certaines traditions, Thomas aurait été l'Apôtre d'Edesse
ou de la Parthie. Ce n'est que dans les Actes de Thomas qu'il apparaît
comme l'Apôtre de l'Inde, cf. G. Bornkamm, Thomasakten, p. 298-299.
L'Apôtre est souvent appelé « Didyme Jude Thomas », et cette
appellation est surtout propre à la langue syriaque ; c'est sous cette
désignation de 'Io63cc<; 6(o\mç, A'lBujxoc; qu'il est le héros des Actes de
Thomas, c. 1 : II, 2, p. 100, 4-5 Bonnet. On pourrait établir ici un
rapport entre les Actes et l'Evangile selon Thomas. Les Actes font à
maintes reprises allusion au privilège qu'avait l'Apôtre d'être le
confident des [xoot7jp'.cc àTOxputpa de Jésus, des Xô^oi cb:dppr|Tot ou des
ccTOppyj-ca que lui transmettait le Christ (cf. Actes de Thomas, c. 10,
p. 114, 11-13 ; c. 47, p. 163, 21-164, 1 ; c. 78, p. 193, 5-7). Le
Prologue de l'Evangile selon Thomas est visé plus particulièrement au
c. 39 des Actes (p. 156, 12-15 ; à confronter avec la version syriaque).
Le c. 47 de ces mêmes Actes (p. 163, 20-164, 4) se réfère sans aucun
doute au log. 13 de l'Evangile selon Thomas, et d'autres passages
suggéreraient aussi des rapprochements. Certains épisodes des Actes
semblent illustrer tel logion de l'Evangile de Nag Hamadi (ainsi c.
13-14 et c. 92 à expliquer par les logia 37 et 92). Les Actes seraient
donc postérieurs à l'Evangile. Celui-ci ne peut présenter que de
lointains parallèles (par exemple, au sujet de l'enfant, cf. Hippolyte,
310 J. E. MÉNAKD

Elench., V, 7, 20 et Evangile selon Thomas, log. 4) avec le Prot


évangile de Thomas ou Evangile de l'enfance de Thomas, c. V, 3, cf. A.
de Santos Otero, Dos kirchenslavische Evangelium des Thomas
(Patristische Texte und Studien, 6), Berlin, 1967. Voir là-dessus H.
Ch. Puech, dans Annuaire du Collège de France, 58e année, (1957-
1958), p. 237 et Gnostische Evangelien und verwandte Dokumente,
dans Neutestamentliche Apokryphenz, I, p. 203-207.
C'est dans la bouche de l'Apôtre qu'est mis le Chant de la Perle,
car c'est par le baiser que le Christ s'identifie à son jumeau, en
l'occurrence Thomas (cf. Evangile selon Thomas, log. 13), comme c'est le
cas des parfaits ou de Marie-Madeleine, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile
selon Philippe, p. 149-150, 171 (au sujet des sent. 31 et 55).

V. 1. Le Prince est un petit enfant qui ne pourra pas toujours


se souvenir de tous les détails de son enfance (ainsi le « peut-être »
du v. 4 et le grand oubli en Egypte des v. 33 ss.), et il ressemble au
petit enfant, qui est l'Homme primitif, l'âme universelle dans les
Psaumes de Thomas. Ce petit enfant (cf. Psautier manichéen, p. 204,
22 Allberry) doit lutter contre le Dragon et les Puissances pour
reprendre possession de sa robe. Il souffre en ce monde, et cela n'est
pas sans rappeler PAdam-Christ de Phil., II, 5-11 (Is., LII-LIII).
Si l'Homme primitif, première émanation du Père de la Grandeur, a
besoin des autres émanations divines qui viendront à son secours,
comme aux v. 37 ss. du Chant de la Perle, il est aussi un fils
vainqueur (cf. Psaume, I, p. 204, 22-205, 9) qui retourne à la maison de
son Père, au pays du repos, après que sa sœur de lumière soit venue
à sa rencontre (cf. Psaume, II, p. 205, 25). Somme toute, le petit
enfant des Psaumes de Thomas demeure avant tout un Sauveur-
sauvé ou à sauver.

Comme l'écrit H.-Ch. Puech, Le manichéisme, dans Histoire


générale des religions. Indo-Iraniens, Judaïsme, Origines chrétiennes,
Christianismes orientaux, éd. M. Gorce-R. Mortier, Paris, 1945, p. 97,
à propos du salut de l'Homme primitif : « Dans cet épisode, l'Homme
primitif apparaît bien comme le type de l'être sauvé et du Sauveur
qui se sauve lui-même. Le salut y est décrit, avant tout, comme le
réveil d'une conscience momentanément abolie par l'ignorance que
produit le corps, et il aboutit à une déification, c'est-à-dire à un
retour à notre origine divine. Cette résurrection spirituelle est l'œuvre
du Nous — l'élément sauveur — qu'incarne en fin de compte
l'Homme primitif, tandis que son « armure » qui demeure retenue par
les Ténèbres, figure l'élément à sauver, la Psyché, l'Ame. L'éveil
LE CHANT DE LA PERLE 311

du Nous est provoqué ou symbolisé par l'intervention de l'Esprit


Vivant, qui, comme on le devine par ailleurs, apporte à l'âme la
« puissance vitale », le Pneuma ou Esprit... Le besoin et la volonté
du Salut trouvent ici des symboles saisissants. La supplication que
l'Homme adresse au Père est suivie d'un cri aigu de l'Esprit Vivant,
d'un Appel qui trouve, à son tour, un écho dans la Réponse de
l'homme. Appel et Réponse s'incarnent en deux personnages, qui
deviennent deux divinités du manichéisme, Khrôshtagh et Padhvâkhtagh
. . . L'âme donne Réponse à cet Appel par un acte de désir, de
confiance et d'adhésion, jailli ici de l'Homme ou, plus exactement —
car c'est presque un don de grâce — de la Mère, qui est la Mère de
l'Homme primitif et la « Mère des vivants », c'est-à-dire de tous les
croyants à venir. Le dialogue du couple divin se clôt... par leur
ascension, qu'accompagne l'Homme sauvé, au Royaume de Lumière. » Les
rapprochements du Prince du Chant de la Perle avec l'Homme
primitif, de la perle qui remplace ici l'armure, de la Mère avec l'Esprit
Vivant, de la lettre et de la réponse du Petit Prince avec l'Appel
et la Réponse et de l'oubli sont frappants.
V. 2. Le participe passif afel du verbe syriaque que nous
traduisons par la tournure « comblaient de joie », laquelle a le mérite
de respecter l'ordre des mots de l'original, évoque aussi l'idée de
repos, de V avdrauan; gnostique (le grec a : àvaTraodjxevoç, p. 219, 23
Bonnet), cf. Psautier manichéen copte, p. 81, 11, 14 ; 203, 13 ; 205, 8 ;
207, 12 ; 213, 17 ; 223, 5 ; J.-E. Ménard, L'Evangile de Vérité.
Rétroversion grecque et commentaire, Paris, 1962, Index, s. v.
àvdirauat<;, p. 206 ; Id., L'Evangile selon Philippe, Index, s. v. Repos,
p. 284.
V. 3-5. Le «paquet» rappelle le «viatique» que l'âme
universelle, l'homme étranger, apporte du ciel et qu'il communique à l'âme
individuelle, cf. Qolastâ, p. 161, 4-6 Lidzbarski :

Equipé, je suis bien équipé,


les Uthras de la lumière m'ont équipé.
Je suis équipé, la Vie m'a équipé,
je suis bien équipé, les Uthras de la lumière m'ont équipé.
Ils m'ont équipé du viatique de la KuStâ,
ils m'ont armé de leur sagesse.

Cf. Ginzâ de droite, p. 273, 14 Lidzbarski.


V. 6. Plusieurs traductions ont été données du v. 6a, cf. A. Adam,
312 J. E. MÉNARD

Die Psalmen des Thomas und das Perlenlied als Zeugnisse vorschrist-
licher Gnosis, p. 64-65. Si l'on suit le texte syriaque, sans tenir compte
de la correction de Noldeke acceptée par Pkeuschen, on lit « de l'or
de la maison des êtres élevés », des 'elohim (grec : tûv avw , p. 219,
26 Bonnet) ; mais, comme en On., I, 2, cette expression, à l'exemple
du vent d'Elohim, peut bien n'être qu'un superlatif, cf. E.-A. Speiser,
Genesis (Anchor Bible, 1), New York, 1964, p. 5 ; D.-W. Thomas,
A Consideration of Some Unusual Ways of expressing the
Superlative in Hebrew, dans Vetus Testamentwm, 3 (1953), p. 209-224.
I* Ga{n)zak du v. 6b admis par Preuschen et Bornkamm est dû à
une légère corruption du texte syriaque, car le texte grec (p. 219,
26-220, 1) se lit ainsi : à'oyjjxot; xùv (xs-jdXwv ôyjoaopwv, cf. A. Adam,
op. cit., p. 65.
V. 7 b. Il ne s'agit que de pierres précieuses, et non d 'opales
(Preuschen) ni de topazes (Halévy) ni d'agates (Adam). Le pays de
Kushân est à identifier à celui de Gn., X, 8 (Gn., II, 13). Il est situé
entre la Médie et Elam. Ses dynasties dominèrent la Babylonie du
XVIIIe au XIIe siècles av. J.-C. Il est distinct du Kush africain, cf.
J.-F. McCurdy, art. Cossaeans, dans Dictionary of the Bible, éd.
J. Hastings, Edimbourg, 1929, p. 161.
V. 8. Le diamant ('âdâmôs), c'est Adamas. Le nom ne tire pas son
origine d'Adam, mais du grec à^â\i.aQ. L'Adamas du Psautier
manichéen (p. 209, 24 ss.), l'homme d'acier, est l'un des cinq fils de l'Esprit
Vivant, émanation du Père de la Grandeur, qui vient au secours de
l'Homme primitif déchu, cf. A. Adam, op. cit., p. 42 ; K. Rudolph,
Théogonie, Kosmogonie und Anthropogonie in den mandaischen Schrif-
ten. Eine literarische und traditionsgesehichtliche Untersuchung (F.R.
L.A.N.T., 88), Goettingue, 1965, p. 245, note 1.
V. 9. Le vêtement du Prince sera décrit avec encore plus d'éclat
aux v. 82 ss. Il est à rapprocher de celui de 8g., XVII, 24a : è%\ fap
Tto&Vjpouç êv§6|xatot; ^v oXoç 6 kqo\i.os ; pour Philon, Vit. Mos., III,
12 s., le manteau du Grand-Prêtre représente le monde, sa couleur
bleue, pourpre et violette représente l'air, ses fleurs, la terre, et ses
pommes de grenade, l'eau. Ailleurs, ibid., Ill, 14, sa couleur pourpre
signifie le feu, cf. A. Adam, op. cit., p. 66-67, note 96. Le Prince
pourrait donc aussi ressembler au Grand-Prêtre cosmique.
V. 10. Et ce vêtement du Prince, son « moi » ontologique et
transcendental, est fait pour lui sur mesure, il lui est identique, comme
sa daêna, son ange, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe, p.
LE CHANT DE LA PERLE 313

143 (sent. 24). A l'exemple du Christ de Phil., II, 5-11, le Prince se


défait de sa |xop<p^, de son selem, de son « ange », de son « vêtement ».
V. 11. L'entente est comme la lettre (v. 55) et sa voix (peut-être
v. 63) : toutes trois sont intérieures. Le cœur, c'est le voôç, qu'incarne
l'Homme primitif, l'Homme intérieur. La gnose est essentiellement une
mystique par introversion. La seule vraie connaissance est celle du
voûç, se re-découvrant lui-même. C'est lui qui peut produire
l'identification du sujet humain à l'objet divin. L'homme, se re-découvrant lui-
même, peut s'identifier à Dieu. C'est parce que le voûç ne fait qu'Un,
avec le Beau (cf. Plotin, Enn., V, 5, 8) que l'Intelligence ne peut
vraiment le saisir qu'à travers elle-même. Ces deux connaissances, celle
de soi, et celle de Dieu, sont solidaires, cf. C. H., XIII, 22 ; Cl. Alex.,
Paed., III, 1, 1:1, p. 235, 20-21 Stâhlin ; H.-Ch. Puech, dans Annuaire
du
62e Collège
année, (1961-1962),
de France, 58e
p. 195-203
année, (1957-1958),
; Id., ibid., 63e
p. 233-239
année, (1962-1963),
; Id., ibid.,
p. 199-213. Nous reviendrons sur l'oubli à propos des v. 33 ss.
V. 12 ss. La descente du Prince est celle de l'Esprit ou du Christ
gnostique qui descend dans le monde pour sauver ce qui n'est en
somme que lui-même, cf. J.-B. Ménard, L'Evangile de Vérité, p. 150-
152, et cette descente du Christ gnostique est le scheme théologique
qui a donné naissance au descensus ad inferos, cf. Id., L'Evangile
selon Philippe, p. 190. Pour A. Adam, op. cit., p. 73-74, cette descente
et cette remontée ressembleraient à celles du Christ chez Aphraate : le
Sauveur ne possédait pas ce que nous possédons, et il est venu pour
que nous ayons ce que nous ne possédions pas et que, lui, possédait,
cf. Demonstr., VI, 10.
V. 12. L'expression syriaque gâô signifie la profondeur de la
matière, opposée à la profondeur du Père et de ses mystères, comme
chez les Valentiniens, par exemple, cf. F.-M.-M. Sagnard, La gnose
valentinienne et le témoignage de saint Irénée {Etudes de philosophie
médiévale, XXXVI), Paris, 1947, Index, s. v. pdfloç, Paôûç. p. 634.
L'expression syriaque a donné naissance à l'expression copte « le fond
de la terre » du log. 9 de Y Evangile selon Thomas, laquelle on ne
traduit ordinairement pas, mais qui vient bien de {3d0o<; -pjc en Mt., XIII,.
5. La perle est l'unique, comme l'indique le ms.
V. 13. Le tannin, qui est le serpent ou le dragon de mer, était le
symbole de la fécondité ou de la vie éternelle (cf. Ex., VII, 9 s., 12 ;
Deut., XXXII, 33 ; Ps., XCI, 13) et il représente dans les textes gnos-
tiques une Puissance mauvaise. Sa forme syriaque le rapproche de
« vie » ou d'Eve, d'où les enfants de l'Eve matérielle et du serpent sont
314 J. E. MÉNARD

les enfants de l'adultère dans les textes gnostiques, cf. J.-E. Ménard,
L'Evangile selon Philippe, p. 158. On ne saurait dire s'il écume le
poison (Preuschen) ou s'il écume de rage (Halevy).
V. 14-15. Le ms. comporte la leçon « mon héritier », Wright lit
« héritier » et le texte de Preuschen a « héritant ». A l'exemple du
Christ de PMI., II, 5-11, et non comme Adam, le Prince doit d'abord
sauver la perle ; il pourra alors reconquérir sa « forme » divine, sa
« ressemblance », son « double », son jumeau, le premier Homme d'iR.,
Adv. Haer., I, 30, 1 ou du Ginzâ de droite, p. 308, 12, et entrer dans
le Royaume. L'idée d'héritage revient souvent dans les textes
gnostiques, cf. C. Schmidt, W. Till, Koptisch-gnostische Schriften, I2
(G.C.S., XLV), Leipzig, 1954, Index, s.v. Erbe, Erbteil, Ererben, p.
404 ; la x>.7jpovo|i'!a est l'héritage du voûç selon le Psautier manichéen,
p. 64, 3 ; 139, 59 ; 154, 12 ; 158, 16 ; 220, 20.
V. 16. La mention de TOrient (v. 3, 16, 24, 38, 60, 63) manifeste
à nouveau que l'orientation vers l'Est peut avoir eu son origine dans
le monde syriaque, cf. C. Vogel, La croix eschatologique, dans Noël,
Epiphanie, retour du Christ (Lex Orandi, 40), Paris, 1967, p. 86, note
2. C'est ainsi que l'auteur de la sent. 76 de l'Evangile selon Philippe
de Nag Hamadi identifie le Saint des Saints à la chambre nuptiale
orientée vers l'Est. Or, une des conditions habituelles de la prière
chrétienne était l'orientation vers une ouverture donnant sur l'Est, et
c'est le cubiculum qui, dans l'habitat, était la pièce la mieux exposée et
la mieux orientée.
Les compagnons pourraient faire allusion au trait adamologique de
la présence d'Elie et de Moïse dans la scène de la Transfiguration. Es
sont les parwanqin (terme iranien conservé dans le texte syriaque,
comme dans les textes mandéens et manichéens, cf. G. Bornkamm,
Thomasakten, p. 303), et ils sont les membres de la suite du Prince,
qui sont appelés au v. 20 de simples compagnons.
V. 18-19. Ainsi que nous le disions dans llntroduction, la
mention de Babylone, de Sarbûg et de la Mésène sont des interpolations
manichéennes. Mais Warkàn pourrait aussi désigner un faubourg
d'Ispahan, et la route du Prince vers l'Egypte passerait alors
nécessairement par la Mésène et Babylone, cf. A. Adam, op. cit., p. 62-63 ;
pour G. "Widengren, Les origines du gnosticisme et l'histoire des
religions, p. 52, la perspective géographique du Chant de la Perle est
celle de l'empire parthe avec son centre de gravité dans l'Est, dans le
Xvarâsân. Comme au v. 70, la Mésène serait la patrie des
commerçants à laquelle appartiendrait le commerçant sage du log. 76 de
l'Evangile selon Thomas.
LE CHANT DE LA PERLE 315

V. 20. Le verbe syriaque qui souligne la séparation des


compagnons célestes et du Prince évoque la doctrine de la sent. 53 de
l'Evangile selon Philippe, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe,
p. 168-170 et du "Opoç (limite) gnostique entre le monde supérieur et
le monde inférieur, cf. Ir., Adv. Haer., I, 2, 2, 4, c'est-à-dire du axaupoç
par lequel le Christ céleste domine les Puissances, cf. C. Schmidt,
W. Till, Koptisch-gnostische Schriften, p. 10, 35 ; 168, 24, etc.
V. 22b. Sur le ms. on lit « ma perle ».
V. 23. La gnose est la remontée de l'âme à ses origines. Ici-bas,
l'âme est perdue dans la matière, elle est asservie au péché (cf.
Evangile selon Philippe, sent. 110), aux passions (cf. ibid., sent. 61), elle est
prisonnière (cf. Evangile de Vérité, p. 17, 35) des Puissances qui la
gardent comme des brigands (cf. Evangile selon Philippe, sent. 13, 14,
34, 106, 127 ; Ext. Théod., 72, 2) ; voir aussi, plus loin, v. 32. L'homme
est ainsi un étranger dans le monde ; il est àXXdtpioç, aXXofsv^c (cf.
Evangile selon Philippe, sent. 81), Éjsvoç (cf. Cl. Alex., Strom., IV,
26, 165, 3 ss. : II, p. 321, 27-33 Stâhlin ; Evangile de Vérité, p. 31, 1 ;
Psautier manichéen, p. 54, 11-23).
V. 24-27. Aussi au jeune homme beau, qui peut être le deuxième
Christ d'lR., Adv. Haer., I, 30, 1 ou l'un des deux premiers-nés du
Ginzâ de droite, p. 308, 12, le jeune Prince fait part de son « affaire ».
Et c'est normal, puisqu'il s'agit alors de la réunion de deux semblables,
un thème fondamental du gnosticisme, cf. Evangile selon Philippe,
sent. 44, 102, 113 et commentaire de J.-E. Ménard, p. 160-161, 220,
230. C'est une loi naturelle que les individus d'une même espèce
animale ou humaine s'unissent ensemble. La gnose est essentiellement
une mystique transformante. Pour pouvoir s'unir aux êtres plêroma-
tiques, comme l'Homme, l'Esprit, le Logos, la Lumière, il faut que
l'homme s'identifie à eux, il faut d'abord qu'il re-devienne Homme, il
faut qu'il se reconnaisse, qu'il retourne à l'intérieur de soi-même,
qu'il se dévête des vêtements souillés dont il sera fait mention aux
v. 28-29, qu'il reconnaisse sa race, cf. Plotin, Enn., VI, 9, 7 ; V, 1, 1.
Dieu n'est extérieur à aucun être, et l'âme qui le connaît (cf.
Evangile de Vérité, p. 22, 23 ss.) reprend conscience de sa race et de sa
dignité (cf. Enn., VI, 9, 1), elle sait d'où elle vient et où elle va
(cf. Evangile de Vérité, p. 22, 13-15), et elle s'unit à ce qui lui est
congénère et apparenté. Il y a ici, comme chez Plotin, Enn., V, 5, 8,
une compénétration du sujet et de l'objet, par laquelle le Beau est
déjà présent à l'âme, sans y être jamais venu. Chaque vo5ç, chaque
homme authentique — la gnose ne cesse d'être une anthropologie,
est une parcelle de divinité, un morcellement du Père, un (xépoç de
316 J. E. MÉNARD

son ange (cf. Ext. Théod., 22, 1 ; 35, 3), ainsi que l'exprime le texte
grec des v. 76 ss.
Et la beauté du jeune homme, en qui le Prince se reconnaît,
vient du fait qu'il est fils d'oints (Preuschen) (le ms. a «onction»).
L'onction de la ocppoqîç est un sacrement de lumière qui confère
la beauté, cf. Evangile selon Philippe, sent. 66 et commentaire de
J.-E. Ménard, p. 184-185.
V. 28. Le pur est opposé à la matière et au mélange psyeho-
hylique, cf. Evangile selon Philippe, sent. 10, 17, 42, 82, 83. Or,
l'Egypte représente précisément ce monde, cf. Introduction, note
13. Adam et Bornkamm conservent la leçon du ms. et du grec :
« les Egyptiens ».
Y. 29 ss. Le Christ de Phil., II, 5-11 est apparu comme un
homme : oy^jiaxt eôpefleiç àç avflpwTîo:; (cf. Dn., VII, 13). Le a>ç pau-
linien est repris ici dans le texte syriaque au v. 29a.
A la suite du Christ de Phil., II, 5-11, le Christ gnostique a
reçu l'élément pneumatique, le Démiurge l'a revêtu du Christ
psychique, et, par l'économie de l'Incarnation, il s'est vu entourer d'un
corps de substance psychique, de manière à être visible, palpable,
passible. Il en va de même du gnostique ; il est une semence
pneumatique enveloppée du psychique invisible, puis de la nature « hy-
lique », invisible aussi, enfin de la tunique de peau, la chair visible.
Et c'est de ces différentes enveloppes qu'il doit se débarrasser,
s'il veut retourner à son « moi » et re-découvrir sa race.
V. 32-35. Mais les Puissances vont lier le Prince, comme nous
le disions au v. 23, elles vont jusqu'à lui offrir de leurs nourritures
terrestres qui causent chez lui l'assoupissement. Or, cet
assoupissement est comparable à l'ivresse et au sommeil des textes gnos-
tiques ; c'est laX^flyj, l'oubli, cf. Evangile de Vérité, p. 17, 24, 33,
36 ; 18, 2, 6. L'image de l'enivrement est à interpréter selon la
doctrine de la gnose hellénistico-orientale, où l'ivresse est mise en
rapport avec l' cqviuata , alors que c'est l'état de veille et de sobriété
qui correspond à la gnose, ainsi C.H., I, 27 : d> Xaoi, à'vBps; f/j-feveû; oi
jiéÔYj xal ottv({) éaotoùç èxSeSœxdxeç xai xf[ cqvcoaîa toû ôsoû,
vVjcjxxxe, Ttaùaaaôe Ss xpatiraX&vteç, OeXfdjievoi uTtvep àXo^, cf. R.
Eeitzenstein, Poimandres. Studien zur griechisch-âgyptischen und
fruhchristlichen Literatur, Leipzig, 1904, p. 337, 7 ss. Il faut que
les hommes sortent de leur état d'ivresse ; C. H., VII, 2 décrit
l'égarement de l'homme terrestre au moyen de l'image suggérée par
[teôûetv, tandis que vrjcpstv désigne la contemplation extatique. La
LE CHANT DE LA PERLE 317

se rapproche de 1' exoxaotc causée par la |ié0Yj (ef. Philon,


Ebr., 15), qui est comme un sommeil (otcvoc) et qui est le symbole
de l'ignorant et de l'aveugle, de celui qui est enfoui dans le monde
matériel, alors que le voyant est sobre (v^<p(ov), cf. Somn., II, 101 ss.,
162 ; Plant., 177 ; Ebr., 154 ss. La \i.édr\ philonienne provoque dans
le corps I'àvaia07jola et dans l'âme Tapota (Ebr., 154), cf. H.
Peeisker, art. jjlsÔtj, dans T.W.N.T., IV, p. 551-552.
V. 36-37. Comme dans les Psaumes de Thomas, par exemple, les
entités divines se préoccupent du sort du petit enfant, l'Homme
primitif, et elles sont prêtes à intervenir. Il vaut mieux conserver
le terme «porte» qui traduit exactement le terme syriaque. C'est la
porte qui permet l'accès au Royaume, cf. Evangile selon Philippe,
sent. 27. Le « mystère de la porte » était connu des milieux
canoniques comme des milieux gnostiques (cf. Jn., X, 1 ; Hymne des
Naassènes ; Justin, cf. Hipp., Elench., V. 26, 14-17 et G. Widen-
gren, Baptism and Enthronement in some Jewish-Christian Gnostic
Documents, dans The Saviour God [Comparative Studies in the
Conception of Salvation presented to Edwin Oliver James],
Manchester, 1963, p. 209-210 : l'initié baptisé et consacré se dépouillait
de ses vieux vêtements, se revêtait du manteau céleste et pénétrait
par la porte).
V. 38-40. Le Roi et les Grands décident d'envoyer une lettre
qui provoquera l'èicioxpocp^ et la (letàvoia du Prince. Le thème
est celui du Livre retrouvé qu'est précisément l'Evangile de Vérité,
par exemple (p. 22, 38-39) ; c'est la lettre, le livre royal ou la stèle
qui fait découvrir au destinataire les secrets célestes et son origine
divine, cf. A.-J. Festugière, La révélation d'Hermès Trismégiste,
I3 : L'astrologie et les sciences occultes (E.B.), Paris, 1950, p. 319 ss.
Dans les Kephalaia manichéens, p. 182, 1-9, 22, 30, c'est une lettre
que l'Esprit Vivant, la «Mère des vivants» envoie à l'Homme
primitif. Cette lettre est une de paix et de salutation (elprjv/j, àoitaa|jid<;,
STtiotoXVj ) . La Lumière- voôç est aussi une lettre qui permet à l'âme
de prendre conscience de son « moi » transcendental, de sa race.
Ainsi s'effectue la (xetd - vota, cf. Evangile de Vérité, p. 19, 5 ;
35, 22 et commentaire de J.-E. Ménard, p. 107, 173 ; Id.,
L'Evangile selon Philippe, Index, s.v. Conversion, p. 280.
Et cette lettre sera apportée au Prince par un aigle (v. 51).
Dans la littérature rabbinique, Salomon est emporté par un aigle
(cf. Qoh. R., II, 27 sur Qoh. II, 25) ; dans Y Assomption de Moïse
(X, 8-9), Israël monte sur les ailes de l'aigle. C'est l'Apocalypse de
318 J. E. MÉNARD

Baruch, LXXVII, 17, 19 qui présente le parallèle le plus frappant :


la lettre y est apportée par l'aigle. Voir aussi Introduction, note 36.
V. 41. Le titre « Roi des Rois » est un titre arsacide, cf.
Introduction, note 48. La Mère est la « Mère des vivants » des textes
manichéens et des textes gnostiques en général, cf. Apokryphon de
Jean, C III, fol. 18, 17 ss., p. 74 Krauee-Pahor Labib ; C II, fol.
12, 6 ss., p. 142 ; BG (Papyrus de Berlin 8502), fol. 43,1-2, p. 127
Till ; Hypostase des Archontes, pi. 137, 15 Pahor Labib ; Sophia
Jesu Christi, fol. 98, 9-99, 14, p. 237-239 Till. Le Père, la Mère
et le Fils constituent une triade bien connue des écrits gnostiques :
le Roi des Rois est le Père de la Grandeur du manichéisme, la
«Mère des vivants» est l'Esprit Vivant qui, dans des systèmes
plus évolués, aura cinq fils.
V. 43. Tout comme dans YEvangile de Vérité, p. 30, 13-31, 1,
c'est l'Esprit qui vient, grâce à sa parole, ressusciter le Christ,
projection mythique du « moi ». La « parole » est un terme qui
correspond mieux au terme syriaque et qui convient mieux à la lettre
qui est vivante. On ne peut s'empêcher de la rapprocher du logos
johannique, et elle ressemble étonnamment au mythe du vêtement, à
tel point qu'on peut identifier les deux l'un à l'autre.
V. 44-45. Comme nous le disions au v. 23, l'âme universelle déchue
dans la matière est prisonnière des Puissances qui la tiennent en
esclavage. Le Prince qui sommeille dans l'oubli et qui ne se souvient plus de
la perle, l'autre âme, l'âme individuelle, devient un Sauveur à sauver.
V. 47. C'est lorsqu'il se vêtira à nouveau de son manteau céleste que
le Prince détiendra la res rapienda, son Nom, comme en Phil., II, 5-11.
L'imposition du Nom, l'onction et le vêtement céleste sont intimement
unis dans la littérature apocalyptique et la littérature chrétienne ; c'est
au moment de la remontée de 1 ame au ciel que le Nom et le vêtement
lui sont remis, cf. Hermas, Le Pasteur (Sim., IX, 3), p. 318-320 Joly ;
II Enoch, XXII, 8-10 ; A.-J. Festugière, La révélation d'Hermès
Trismégiste, III : Les doctrines de l'âme (E.B.), Paris, 1953, p. 146 ss.
L'inscription du nom dans le Livre céleste est bien connue des milieux
apocalyptiques (aussi v. 40).
V. 48 b. Pour harmoniser ce stique avec le v. 15, tous traduisent
comme nous, sauf Adam, qui conserve la leçon du ms. : « afin qu'avec
lui tu sois dans notre Royaume ».
V. 49. Le sceau est la ocppoqfç apposée par la main droite du Roi,
c'est-à-dire la main de la perfection, cf. Kephalaia manichéens, XC,
LE CHANT DE LA PERLE 319

p. 225, 14-19 Polotsky-Bôhlig, et c'est cette ocppcqîç qui donne la forme


et la beauté, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe, p. 185.
«Ma» lettre est la leçon du ms.
Y. 50. Si Sarbûg était pour Sarûg (Harràn) ou Mabbûg, la
présence des démons pourrait s'expliquer du fait que les deux villes étaient
le centre de cultes voués aux divinités étrangères ou planétaires, cf.
A. Adam, op. cit., p. 64.
Y. 51. Comme l'aigle désigne dans l'Antiquité les sphères élevées,
ainsi la forme, la |xopcfVj, la dmûta est l'image céleste. Aussi gardons-nous
dans le texte : « sous la forme ». La dmûta mandéenne et la daëna
iranienne jouent le rôle de cette image céleste dans la rencontre de l'âme
avec son ange, cf. H.-Ch. Puech, dans Annuaire du Collège de France,
63e année, (1962-1963), p. 209-210.
Y. 52. Et la Merkaba devient Chekhina. Le terme employé par
l'auteur syriaque pour signifier la présence de l'aigle correspond à
rèaxrjvoiaev èv Vj|xîv de Jn., I, 14. Et c'est la présence de la Parole, du
Logos.
Y. 53 ss. La voix, c'est l'Appel qui ranime le Prince. Cet Appel
éveille des résonances divines dans son cœur, dans son Noôç. Cette
harmonie entre l'objet et le sujet (cf. Plotin, Enn., V, 5, 8) fait que
le Prince embrasse la lettre ; le geste du baiser est un signe
d'identification dans les gnoses, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe,
Index, s. v. Baiser, p. 279.
Y. 56. Le terme syriaque que nous traduisons par « élévation »
comporte le sens de liberté, c'est-à-dire le sens de l'è£ooaîa gnostique,
cf. J. Dupont, GNOSIS, La connaissance religieuse dans les Epîtres
de saint Paul (Universitas Catholica Lovaniensis. Dissertationes ad
gradum magistri in Facultate Theologica consequendum conscriptae,
series II, 4), Louvain-Paris, 1949, p. 282-327.
Y. 58 ss. C'est par des formules rituelles, qui sont aussi des mots
de passe (dxolofîat), que l'âme se fraie un chemin à travers les
Archontes, tremblant de peur, et qu'elle regagne le Royaume céleste,
cf. Ir., Adv. Haer., I, 21, 5 ; I Apoc. de Jacques, p. 33, 11-34, 1,.
p. 43-44 Bohlig-Pahor Labib ; Evangile de Marie, fol. 15, 1-17, 7>
p. 71-75 Till ; Origène, Contre Celse, VI, 31 ; W. Bousset, Die.
Himmelsreise der Seele, dans Archiv fur Religionswissenschaft, 4
(1901), p. 136-169, 229-273 ; H.-Ch. Puech, Gnostische Evangelien und
verwandte Dokumente, dans Neutestamentliche Apokryphen 3, 1, p. 195.
Comme dans l'Evangile selon Philippe (sent. 61, 106, 127, peut-être
sent. 49), le parfait ne peut plus être retenu par les Puissance»
320 J. E. MÉNARD

aveugles, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe, p. 165, 178-179,


223-224, 245-246. Et le Nom qu'invoque le Prince est celui du Père,
du Fils et de la « Mère des vivants » (l'Esprit Vivant) ; dans le valen-
tinisme, le mot de passe est le Nom du Fils (cf. Ext. Théod., 22, 4),
l'èzîayj|xov ô'vo|xa (cf. Ir., Adv. Haer., I, 15, 2), qui n'est connu que des
initiés et qui ne peut provoquer que de la crainte chez les non-
initiés. Faudrait-il voir ici une allusion au rite baptismal ? C'est en
effet au baptême que l'initié recevait le Nom, cf. K. Kudolph, Die
Mandàer, II : Der Kult (F.R.L.A.N.T., N.F., 56, 57), Goettingue, 1960-
1961, p. 389. Après les prières consécratoires qui suivaient l'onction
avec l'huile, le Nom du Tout-Puissant était prononcé sur lui ; il était
alors délivré des Puissances cosmiques et il remontait au ciel, cf.
E. Segelberg, Masbûta. Studies in the Ritual of the Mandaean
Baptism, Uppsala, 1958, p. 66, 93 ; Id., The Coptic-Gnostic Gospel
according to Philip and its Sacramental System, dans Numen, 7 (1960),
p. 194. Selon ce dernier auteur et dans le même article, p. 192, le
sceau (la ocp pcqîç) du Nom que reçoit le gnostique de VEvangile selon
Philippe est celui de la Sainte Trinité.
V. 61. Et le Prince se retourne, après s'être emparé de la perle.
L'expression « se retourner » fait allusion à l'opposition qui existait
dans le monde grec entre OTpécpeiv et èxiatpécpsiv, le premier verbe
rappelant le cycle de la nécessité ou de la fatalité (sijxapjxévyj) et le
second ayant le sens de l'orientation, cf. P. Aubin, Le problème de la
« conversion ». Etude sur un terme commun à l'hellénisme et au
christianisme des trois premiers siècles (Théologie historique, I), Paris, 1963,
p. 19. L'èTciaTpcxpyj succède à l'oubli des v. 32-35. Voir aussi le
commentaire des v. 38-39.
V. 62. Le Prince se dépouille des vêtements de la souillure. Le
rite du baptême chrétien (décrit par Hippolyte) ou mandéen suppose
le dépouillement des vêtements, cf. K. Rudolph, Die Mandàer, II :
Der Kult, p. 388-389 ; E. Segelberg, Masbûta, p. 126, 163.

V. 63. Comme dans tous les textes gnostiques, le Royaume du Père


est le Royaume de la lumière. Et la suggestion d'A. Adam au v. 63 a,
op. cit., p. 67 : « je pris le chemin de la voix intérieure » correspond
mieux au v. 55, dt'f pouvant être une déformation de tirtâ,
«conscience ».
V. 64. Litt : « et ma lettre, mon « réveilleur », je la trouvai devant
moi dans le chemin ». A l'exemple de Hibil-Ziwâ des Mandàische Litur-
gien, p. 173, 8 Lidzbarsky, la lettre est un « réveilleur ».
LE CHANT DE LA PERLE 321

Y. 65. La voix et la lumière sont les éléments classiques des théo-


phanies, cf. ML, XVII, 5 ; Act., IX, 1-19 ; XXII, 2-21 ; XXVIII, 9-18.
Y. 66. Le premier stique du verset est traduit par Preuschen,
Halévy et Boknkamm de la façon suivante : « (écrite) (en rouge) sur
du papier (ou de la soie) de Chine », et par Adam par : « car la soie
royale (?) ». Nous traduisons par Séleucie, parce que cette ville fut la
capitale des Séleucides, puis des Parthes.
Y. 67. Litt : « par sa voix et par sa direction ». Dans le deuxième
stique, il ne s'agit pas de crainte (Preuschen, Halévy), mais
d'empressement (Adam, Bornkamm) ou, mieux, de trouble.
Y. 68. L'amour de la lettre manifeste bien qu'elle est considérée
comme un être vivant. Elle est l'ange, la daêna qui attire.
Y. 69 ss. Le Prince-Mani laisse à gauche (symbole des hyliques, des
terrestres, cf. J.-E. Menard, L'Evangile selon Philippe, Index, s.v.
Droite, p. 281) Babylone et gagne la Mésène, rendez- vous des
marchands de sa race.
Y. 74. Comme dans le Ginzâ de gauche, p. 487, 5-17, ce sont les
trésoriers qui sont les gardiens du vêtement céleste et qui en revêtent
l'âme dans sa remontée vers les hauteurs d'Hyrcanie. « Fidélité » se
dit en syriaque srârâ, la « Vérité », et c'est cette Vérité, ou le fait d'être
solide (sar), qui explique l'union de ces deux notions dans maints
textes gnostiques coptes.
Y. 76-78. Pour mieux souligner l'identification entre la lettre
(l'ange) et le Prince (le voôç perdu dans la matière), l'auteur fait
appel à la théorie du miroir, cf. Platon, I Al., 133 c ; Porphyre, Ad
Marc, 13, p. 282, 22 Nauek ; Actes de Thomas, 112 : II, 2, p. 223,
7 Bonnet ; Actes de Jean, 95 : II, 1, p. 198, 12 Bonnet ; Actes d'André,
5-6 ; II, 1, p. 39 ss. Bonnet ; même II Cor., III, 18 ; Je, I, 22-24 ; Odes
de Salomon, XIII, p. 15-16 Labourt-Batiffol ; Ginzâ de droite, V, 1,
p. 161, 31-41 ; 170, 11-20 Lidzbarski. Le texte grec est peut-être encore
plais évocateur, cf. p. 223, 7 ss. Bonnet: oox è|j.v7]|xdv£oov §è xfjç Xajiitpdxyjxdç
jxou " rcatç fàp a>v st. xaî xo|itBi{] véoç xaxeXsXowcsiv aùxvjv ev toïç xoô
icaxpôç [foacXe'O'.ç* é^aicpvyjç Se ibôvroç jjlou tyjv saô^xa <bç èv èadxxp(j>
6|xo'.o)0sîaav, xal okov è|xauxov è^'aùxrjv e0£aad|AYjv, xai e^vcov xat glSov
èjxaoxdv, oxt xaxct piépoç &a]pyj|j.E0a èx xoû aùroû ovxeç, xai
l'v ea|iav hà |xop<p?j<; \uàc La gnose est vraiment une re-décou-
verte de son «moi». L'image terrestre qui n'est que le jiépoi; de son
archétype céleste, sa ji-opep-^ se retrouve en cette dernière, cf. Ext.
Théod., 22, 1 ; 35, 3 ; Evangile selon Philippe, sent. 113.
322 J. E. MÉNARD

A la sent. 75 de YEvangîle selon Philippe, le miroir est l'eau du


baptême. Cela vient d'un jeu de mots syriaque. Alors que les Odes de
Salomon, XIII ont comme miroir le Seigneur {maria), Ephrem change
«Seigneur» en «eau» (maiâ), cf. Hymne sur l'Epiphanie, IX, 7 et
E. Beck, Des heîligen Ephraem des Syrers Hymnen de Nativitate
{Epiphania) [C.8.C.O., 186-187], Louvain, 1959, p. 178 et 164.
Grâce à cette identification de la lettre et du Prince, leur dualité
est abolie et ils sont réunis à l'Unité. La gnose est un rassemblement,
une a6*A.\e£i<; à partir de la dualité et de la multiplicité, cf. Evangile
de Vérité, p. 25, 6 ss. Le « nouvel Homme », le « moi » universel se
constitue ou se re-constitue avec toutes les parcelles de divinité qu'il
est venu chercher sur terre. Il est une réplique de Dionysos Zagreus
déchiqueté par les Titans et qui revit du rassemblement de ses membres
dispersés, cf. Firmicus Maternus : tov d|jiipiaxov xai. xôv jxe|jL£p'.a}iévov
voûv, De error e profanarum religionum, VII, 8 et P. Boyancé, Echos des
exégèses de la mythologie grecque chez Philon, dans Philon
d'Alexandrie (Colloques nationaux du Centre National de la Recherche
Scientifique, Lyon, 11-15 septembre 1966), Paris, 1967, p. 169-186 et H.-Ch.
Puech, ibid., p. 187. Cet Homme, le Jésus manichéen, c'est l'âme
générale du monde qui reprend conscience d'elle-même pour s'unir au Nous,
cf. H.-Ch. Puech, Die Religion des Mani, dans Christus und die Reli-
gionen der Erde (Handbuch der Religionsgeschichte, éd. par P. Konig,
II), Vienne, 1951, p. 499-563. Entre plusieurs autres textes, qui
signalent ce retour à l'Unité à partir de la multiplicité, signalons Ir., Adv.
Haer., I, 14, 5 : "va yj xù>v IO.Yjpco[Jiàxa)v svdtr^ iadxr^ta eyouaa xapiro-
cpopTfl" jxîav iv iiâat xtjv ex xâvxcov <56vcc|jliv; ibid., II, 12, 3 : ipsi ad unitatem
recurrere dicunt et omnes unum esse )Ext. Théod., 36, 2 : jxé^ptg r^ccç
évaxxfl aùxoïi; ei<; xo nXyjpcojxa" "va YJjJieù;, oi icoXXot, ev f£VG|i.svo'., [ot]
xàvxeç x(p évl x(j5 Si'yjnâç [xepiaôévxi àvaxpa0ù)|iEV.
V. 79-80. Les trésoriers ne font aussi qu'un, à cause du sceau,
c'est-à-dire de la acppGqïq des parfaits ; la perfection du sceau unique
les unit. A l'exemple de l'image et de l'ange de l'Evangile selon
Philippe, les parfaits, eux aussi, ne font qu'un, cf. sent. 31.
V. 81 a. Nous traduisons sur le grec : dxeSîSouv (ioi tijiVjv.
V. 81b. Le vêtement est le gage de la richesse future, comme te
Livre que revêt le Christ de Y Evangile de Vérité est le testament où
est cachée la fortune du Père (p. 20, 15-27). Adam et Bornkamm
suivent la leçon du ms. : « mon gage et ma richesse ».
V. 82-85. La description du vêtement, comme nous le disions au
v. 9, est comparable à celle de 8g., XVIII, 24 a et de Philon, Vit. Mos.,
LE CHANT DE LA PERLE 323

III, 12 ss. : le Prince ressemble au Grand-Prêtre cosmique. Au v. 85 a


réapparaît PAdamas du v. 8.
Y. 86. Et le vêtement est un miroir, non seulement du Prince,
mais du Père : se re-connaissait lui-même, le voûç re-connaît Dieu.
La gnose est essentiellement une mystique par introversion. La seule
vraie connaissance est celle du vous, se re-découvrant lui-même. C'est
lui qui peut produire l'identification du sujet humain à l'objet divin.
L'homme, se re-découvrant lui-même, peut s'identifier à Dieu. Ces deux
connaissances, celle de soi-même et celle de Dieu, sont solidaires, cf.
(7.27., XIII, 22 ; Cl. Alex., Paed., III, 1, 1 : I, p.235, 20-21 Stâhlin ;
H.-Ch. Puech, dans Annuaire du Collège de France, 58e année, (1957-
1958), p. 233-239 ; Id., ibid., 62e année, (1961-1962), p. 195-203 ;
Id., ibid., 63e année, (1962-1963) p. 199-213.
Y. 88. Nous corrigeons le ms. d'après Preuschen. Le « vêtement »
ou l'« ange » est secoué par la connaissance ou la re-connaissance de son
image, le Prince. La rencontre se terminera dans un embrassement
(v. 94 ss.) et une identification. Le thème est central dans l'Evangile
selon Philippe, cette fois sous la forme du îepôç ~\â\i.<K . Les
mouvements de connaissance qui secouent le manteau pourraient être comparés
à ceux de l'esprit de l'homme dans la Sophia Salomonis, II, 2.
Y. 89 ss. Le manteau vivant est comme le Hibil mandéen qui
chante des hymnes magiques merveilleux, cf. Mandàische Liturgien,
p. 248, 10 Lidzbarski. Il est aussi comme ce Christ des Basilidiens qui
se moquent des Puissances, cf. Ir., Adv. Haer., I, 24, 4 ; le t a ( B t o v
céleste des Apocryphes apparaît aussi sous la forme d'un àvrçp su|xopcpo<;,
xaXdç, i)iapoTCpdaa>TO<; , cf. Actes de Jean, 88 : II, 1, p. 194 Bonnet ;
dans les Actes de Paul, levais dénoue les liens de l'Apôtre avec un
sourire et repart, cf. Papyrus de HambourgYl^a^eicUaoXoo et E. Peter-
son, Einige Bemerkungen zum Hamburger Papyrus-Fragment
der Acta Pauli, dans Y.C., 3 (1949), p. 149. Dans le manichéisme, le
Sauveur sourit aux parfaite (cf. M 4 et F.-W.-K. Mûller, II
[A.P.A.W.], 1904, p. 53); le Christ se moque du monde dans le
Psautier copte, où le ciel est la ville de la moquerie, cf. p. 191, 10-11 ;
193, 28 ss. ; 226, 1 ss.
Les chante du manteau, qui sont des chante de louanges, ressemblent
enfin aux hymnes d'action de grâces des Eons, c'est-à-dire des parfaits,
dans le valentinisme, cf. Ir., Adv. Haer., I, 2, 6.
Y. 90 a. A. Adam, se rapprochant de la leçon du ms., traduit : « à
ceux qui l'apportaient » au lieu de « pendant sa descente ».
324 J. E. MÉNÀBD

V. 92. Le suffixe des « œuvres » peut être interprété aussi bien par
«ses» (Preuschen, Halévy, Bornkamm) que par «mes» (Adam).
Grammaticalement, il ne peut s'agir que des œuvres du Père ; à leur
exemple, le manteau a grandi. De petit qu'il était, il est maintenant à
la taille du Prince.
V. 94. Comme dans le Ginzâ de gauche, p. 487, 5-17, les trésoriers
revêtent l'âme du manteau, lors de sa remontée.
V. 96. La lumière céleste confère la beauté, cf. Ecrit anonyme du
Codex II de Nag Hamadi, p. 150, 14, p. 47 Bôhlig-Pahor Labib ; p.
156, 6, p. 59 ; p. 158, 3, 7, 15, 21, p. 65, 67 ; p. 159, 15, p. 69 ; p.
167, 8, p. 87. Dans le manichéisme, la beauté provient de la sphère de
la lumière, celle du voûç, cf. Psautier, p. 151, 30 ; 161, 5 ; 164, 5, 11 ;
166, 8 ; 174, 6 ss. ; M 32 et F.-W.-K. Muller, (A.P.A.W.), Berlin, 1904,
p. 64 ; M 75, p. 70 ; M 33 II et F.-C. Andreas, W.-B. Henning,
(8.P.A.W.), Berlin, 1934, p. 87.
V. 97. Le deuxième stique doit être traduit très littéralement,
afin de rendre toute sa force à la mystique d'identification qui y est
exprimée. Cette attirance mutuelle du Prince et de son vêtement est le
meilleur commentaire de certains passages de l'Evangile de Vérité,
ainsi p. 21, 11-22.
V. 99 ss. La splendeur du Père, devant lequel les Eons se
prosternent dans leurs actions de grâces (v. 89 ss.), rappelle celle du Père
de la Grandeur dans le manichéisme ; le Père est la Lumière. Il a
accompli sa promesse ; après que le Fils se soit abaissé, il lui accorde
le Nom, et avec le Nom, le manteau céleste. Et ce Fils reprend sa place
parmi les Grands. Alors qu'il s'était mêlé auparavant à ce qui était
impur, il se mêle (v. 101) maintenant à ce qui lui ressemble, cf.
Evangile selon Philippe, sent. 42, 102, 113, etc. Ce retour s'effectue, parce
que le pneumatique a rejoint son Eon, son ange, son « moi »
transcendental : l'union consiste à unir les semblables, cf. C.H., XI, 20 : to fàp
é'jxotov T(f 6jjioî(j) voïjidv. Maintenant, le Prince est vraiment èv jxopcpyj
ôsoû.
V. 102. La joie est un thème qui revient fréquemment sous la
plume des auteurs gnostiques, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile de Vérité,
p. 87-88. C'est toute la joie que partagent le Père et ses Eons d'être
réunis, cf. Evangile de Vérité, p. 42, 11-38.
V. 103. Depuis Bedjan, les traducteurs rendent da-drûsâ par « de
l'orgue à eau». Vu le caractère ancien de l'Hymne, on pourrait se
refuser à accepter cette traduction, parce qu'elle suppose l'intrusion
LE CHANT DE LA PERLE 325

d'un terme grec ( u&paoXewv ), cf. G. Hoffmann, dans Z.N.W., 4 (1903),


p. 282 ; le grec comporte la leçon : eocp^noiç çpcovaïç (p. 224, 17 Bonnet).
Adam (p. 68) corrige en d-kursië, « de son trône », cf. C. Brockelmann,
Lexicon syriacum, p. 167 b, 348 a.
V. 104 s. Il est fait mention d'un Roi qui est au-dessus du roi
parthe, le Roi des Rois. Ce Roi pourrait être Mani, et le trône du v. 103
serait alors le Berna, le trône sur lequel siégeait Mani, lors de la grande
cérémonie manichéenne ; devant ce trône l'âme individuelle était
amenée pour être sauvée, cf. H.-Ch. Puech, Le manichéisme, dans Histoire
générale des religions, p. 112. Cette âme est la perle.
Si Mani pouvait s'identifier au Petit Prince dans ses péripéties
terrestres, il le dépasse maintenant. Il est devenu le Roi des Rois
entouré de toute sa splendeur. Grâce à son apostolat terrestre, il est
devenu l'authentique archétype céleste. C'est aussi à ce titre que le
Chant de la Perle et son Prince sont du pré-manichéisme.
Jacques-E. Menard

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