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Le « Chant de la Perle »
Jacques E. Ménard
Résumé
Cette étude est constituée d'une Introduction, de la traduction du texte syriaque et d'un commentaire. Le Chant de la Perle est le
plus beau poème de la littérature syriaque. Grâce à des rapprochements avec la mystique du miroir (v. 77 ss.) et avec la
doctrine iranienne de la daêna, il peut être interprété comme une re-découverte du « moi » ontologique et transcendental et
comme le rassemblement des âmes individuelles en l'âme générale du monde. L'âme-perle et le Sauveur- Prince symbolisent
alors cette âme individuelle et cette âme générale. C'est ainsi qu'à la sent. 9 de l'Évangile selon Philippe le Christ sauve
semblablement son âme. On aurait ici le dogme du gnosticisme pur.
Ménard Jacques E. Le « Chant de la Perle ». In: Revue des Sciences Religieuses, tome 42, fascicule 4, 1968. pp. 289-325;
doi : https://doi.org/10.3406/rscir.1968.2516
https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1968_num_42_4_2516
I — Introduction
ap. J.-C. (2). Ce texte syriaque peut être considéré comme l'original,
car le texte grec édité par R.-A. Lipsius et M. Bonnet représenterait
un stade plus évolué dans l'histoire de la pensée gnostique.
Contrairement à A. Adam, nous ne croyons pas que Y Hymne soit le témoin
d'une gnose pré-chrétienne (3). La découverte de Nag Hamadi nous a
appris au sujet des textes gnostiques en général que, selon toute
vraisemblance, la gnose fut d'abord païenne, puis chrétienne, sans avoir été
pour autant pré-chrétienne.
En effet, les plus anciennes influences que l'on peut retracer dans
le Chant de la Perle sont celles de l'Apocalyptique juive et du
christianisme. \jHymne qui est écrit à la première personne raconte que
l'auteur vécut au Royaume de son Père. Alors qu'il était encore petit
enfant, il fut envoyé à la recherche de la perle ; on le chargea de
pierres précieuses, mais il dut se dévêtir de sa robe étincelante. On lui
enjoint de descendre en Egypte rechercher la perle qui repose au
fond de la mer, près de l'antre d'un serpent ou d'un dragon écumant ;
s'il réussit à soustraire la perle à ce dernier, il sera autorisé à remettre
la robe scintillante et à devenir l'héritier du Royaume avec son frère.
Le Petit Prince quitte donc le Royaume avec deux compagnons. Il
traverse la Mésopotamie et arrive en Egypte, où ceux-là le quittent.
En Egypte, il rencontre un homme de sa race, un fils de nobles auquel
il fait part de son «affaire». H s'habille comme les Egyptiens qui
lui offrent même de leur nourriture, et, sous l'effet de la torpeur, il
s'endort et oublie sa mission. Un plan est alors envisagé au Royaume
de son Père, et on lui expédie une lettre : semblable à l'aigle, celle-ci
vole vers lui et lui rappelle ses origines et sa mission, elle le réveille.
Le Prince ensorcelle le serpent et lui ravit la perle. Il rejette ses
vêtements de faux Egyptien et retourne à son Père. La lettre le précède
(4) Cf. R.-P. Martin, Carmen Christi. Philippians, II, 5-11 in Recent
Interpretation and in the Setting of Early Christian Worship (Society
for New Testament Studies, Monograph Series, 4), Cambridge, 1967.
(5) Le Christ de l'Hymne paulinien est comme les anges de l'adamologie
juive qui descendent et remontent. L'étude sémantique du terme pop»?} (Ocoû)
démontre que son sens est très près d'« image » ou de « ressemblance ».
Dans les Livres arméniens d'Adam (cf. E. Preuschen, Die apokryphen
gnostischen Adamschriften [Festgruss B. Stade], Giessen, 1900, p. 187),
il est raconté qu'Eve vit Adam, après sa mort, resplendissant de lumière
comme auparavant, lorsqu'ils étaient tous deux au Paradis. On retrouverait
des visions analogues dans la Vita Adae et Evae ou dans l'Apocalypse de
Moïse. Adam était donc revêtu avant sa chute d'un corps de lumière. Le
premier homme participait ainsi, selon les sources rabbiniques, de la gloire
de Dieu, cf. Gn. R., XI, 2 ; B. Murmelstein, Adam, Ein Beitrag zur Messias-
lehre, dans Wiener Zeitschrift zur Kunde des Morgenlandes, 35 (1928),
p. 255, note 3. Il était un être lumineux, dont le talon assombrissait la boule
du soleil, et il était la lumière du monde, cf. Philon, De opifido mundi,
143, 144, 148 ; Jerushami Sabbath, II, 35 b ; Gn. R., 17, 8 ; Tan. Noah, 1.
Selon une autre tradition, Adam est un baal teshubah (cf. H.-J. Schoeps,
Aus frù'hchristlicher Zeit, Tubingue, 1950, p. 10, note 3) qui, après sa
chute, s'est repenti et est retourné au Paradis. C'est ainsi que Tertitllien
écrit dans son De Poenitentia, XII, 9 : Adam enomologesi restitutus in para-
disum suum. De fait, au témoignage de l'Apocalypse de Moïse, XXXVII, 4,
Adam fut transporté à sa mort au troisième ciel. La Sophia Salomonis, X, 1
enseigne que la Sophia a relevé de sa chute le « Père du monde », et il y est
fait nommément allusion au salut d'Adam. On pourrait aussi verser au
dossier l'enseignement des papyrus magiques sur le salut d'Adam et sa
délivrance des Archontes, les puissances astrales, grâce au Nom divin, cf.
E. Peterson, La libération d'Adam de Z'avàpcY), dans R.B., 55 (1948), p. 199 ;
J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe et la gnose, dans Rev. S.R., 41
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peut s'expliquer que par Dn., VII, 13. Les deux compagnons du Prince
pourraient être aussi l'Elie et le Moïse de la scène de la
Transfiguration (ML, XVII, 1-9 ; 31c, IX, 2-10 ; Le, IX, 28-36), où Mt et Me ont
(6) Cf. Zwei gnostische Hymnen, p. 35 ss., 48. Le même auteur étudie
plus loin dans son ouvrage (p. 66 ss.) les différents parallèles bibliques
que peut évoquer le Chant de la Perle.
(7) Cf. p. 6 ss. Sehmidt-Till.
(8) Cf. A.-F.-J. Klijn, Early Syriac Christianity-Gnostic f dans Le
origini dello gnosticismo ( = ICOG), p. 575-579.
(9) Cf. Makarius und das Lied von der Perle, dans Le origini dello
gnosticismo (= ICOG), p. 625-644.
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(10) Cf. Ephrem Syrus : IV, 701, 20 Lamy : Tu es vir, ille sapiens, etc.
(cf. L. Leloir, L'Evangile d'Ephrem d'après les œuvres éditées. Recueil
de textes [C.S.C.O., 180/Subsidia, 12], Louvain, 1958, p. 28) ; Vita Rab-
bulae, p. 165 Overbeck : Quasi sapiens mercator, etc. (cf. Tj. Baarda, The
Gospeltext in the Biography of Rabbula, dans V.C., 14 [1960], p. 112) ;
Aphraate, Demonstr., XTV, 16, p. 610 Parisot : Prudens mercator facul-
tates suas vendat et margaritam sibi comparet ; Isaac de Ninive, XXIV,
p. 121 Wensinck : Be alert, my brother, and be like a prudent merchant,
bearing thy pearl and wandering through the world... Les textes sont cités
par Quispel, art. cit., p. 626.
(11) Cf. art. cit., p. 630 ss.
(12) Aux parallèles gnostiques, manichéens, mandéens, mazdéens que
l'on a pu invoquer, par exemple, dans l'interprétation du log. 84 de
l'Evangile selon Thomas, on pourrait ajouter ceux fournis par la Kabbale et la
théosophie juive du Moyen Age, cf. G. Scholem, Von der mystischen
Gestalt der Gottheit, Zurich, 1962, p. 249-271 ; 306-313 et G. Vajda,
Recherches récentes sur V ésotérisme juif, II (1954-1962), dans R.H.R., 164
(1963), p. 59-61. Non seulement se retrouve alors, pleinement développé,
le thème de la rencontre avec l'image (avec l'image expressément nommée
le plus souvent, d'après Gn., I, 26-27, selem et assimilée de même en certains
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(48) Le titre « Roi des Rois » apparaît déjà chez les Achéménides et
fut repris par les Arsacides. Dans la Chronique d'Arbela il est encore
employé par le roi Bahram III (276-293 ap. J.-C), cf. E. Sachau, Die
Chronik von Arbela, Ein Beitrag zur Kenntnis des altesten Christentums im
Orient {A.P.A.W., Phil.-hist. KL, Nr. 6), Berlin, 1915, p. 66, 68.
(49) Cf. c. 4 et G. Bornkamm, Mythos und Légende in den apokryphen
Thomas- Akten. Beitrage zur Geschichte der Gnosis und zur Vorgeschichte
des Manichaismus {F.R.L.A.N.T., N.F. 31), Goettingue, 1933, p. 119 s.
(50) Cf. Perspectives de la recherche sur les origines du gnosticisme, dans
Le ongini dello gnosticismo (= ICOG), p. 716-746.
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II — TRADUCTION (51)
A - La mission
B - La descente et l'oubli
C - L'appel et le retour
D - Le vêtement royal
72 Mon (vêtement) resplendissant, que j'avais enlevé,
et ma toge, dont il était recouvert,
73 me furent portés là des hauteurs d'Hyrcanie
de la part de mes parents
74 par leurs trésoriers ;
à cause de leur fidélité, ils en avaient le soin.
75 Tout en ne me souvenant pas de sa dignité,
parce que c'est dans mon enfance que je l'avais quitté chez
mon Père,
76 subitement, dès que je le rencontrai,
tel mon miroir, le (vêtement) resplendissant me ressembla :
77 tout entier, je le vis en moi-même < tout entier >
comme <moi-même tout entier>, je me retrouvai en lui,
78 car deux nous étions dans la division,
mais un à nouveau étions-nous dans une unique forme ;
79 de même, pour les trésoriers,
qui me l'avaient apporté, je vis aussi
80 qu'ils étaient deux (et) une seule forme,
car un unique sceau était gravé sur eux, (celui) du Roi
81 qui me retournait r<honneur>,
<le gage de ma> richesse par leurs mains,
82 mon (vêtement) resplendissant orné
de couleurs superbes (et) <brillantes>,
83 d'or et de béryles,
de calcédoines et de (pierres) chatoyantes
84 et de < sardoines > de < teintes > variées.
Il était aussi ouvragé selon sa grandeur,
85 avec des pierres de diamant,
toutes ses coutures bien cousues ;
86 et l'image du Roi des Rois
était <tout entière> peinte sur toute son étendue,
87 et <comme> les pierres de saphir,
ainsi était-il, dans sa hauteur, de couleurs variées.
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E — La remontée
III — COMMENTAIRE
Die Psalmen des Thomas und das Perlenlied als Zeugnisse vorschrist-
licher Gnosis, p. 64-65. Si l'on suit le texte syriaque, sans tenir compte
de la correction de Noldeke acceptée par Pkeuschen, on lit « de l'or
de la maison des êtres élevés », des 'elohim (grec : tûv avw , p. 219,
26 Bonnet) ; mais, comme en On., I, 2, cette expression, à l'exemple
du vent d'Elohim, peut bien n'être qu'un superlatif, cf. E.-A. Speiser,
Genesis (Anchor Bible, 1), New York, 1964, p. 5 ; D.-W. Thomas,
A Consideration of Some Unusual Ways of expressing the
Superlative in Hebrew, dans Vetus Testamentwm, 3 (1953), p. 209-224.
I* Ga{n)zak du v. 6b admis par Preuschen et Bornkamm est dû à
une légère corruption du texte syriaque, car le texte grec (p. 219,
26-220, 1) se lit ainsi : à'oyjjxot; xùv (xs-jdXwv ôyjoaopwv, cf. A. Adam,
op. cit., p. 65.
V. 7 b. Il ne s'agit que de pierres précieuses, et non d 'opales
(Preuschen) ni de topazes (Halévy) ni d'agates (Adam). Le pays de
Kushân est à identifier à celui de Gn., X, 8 (Gn., II, 13). Il est situé
entre la Médie et Elam. Ses dynasties dominèrent la Babylonie du
XVIIIe au XIIe siècles av. J.-C. Il est distinct du Kush africain, cf.
J.-F. McCurdy, art. Cossaeans, dans Dictionary of the Bible, éd.
J. Hastings, Edimbourg, 1929, p. 161.
V. 8. Le diamant ('âdâmôs), c'est Adamas. Le nom ne tire pas son
origine d'Adam, mais du grec à^â\i.aQ. L'Adamas du Psautier
manichéen (p. 209, 24 ss.), l'homme d'acier, est l'un des cinq fils de l'Esprit
Vivant, émanation du Père de la Grandeur, qui vient au secours de
l'Homme primitif déchu, cf. A. Adam, op. cit., p. 42 ; K. Rudolph,
Théogonie, Kosmogonie und Anthropogonie in den mandaischen Schrif-
ten. Eine literarische und traditionsgesehichtliche Untersuchung (F.R.
L.A.N.T., 88), Goettingue, 1965, p. 245, note 1.
V. 9. Le vêtement du Prince sera décrit avec encore plus d'éclat
aux v. 82 ss. Il est à rapprocher de celui de 8g., XVII, 24a : è%\ fap
Tto&Vjpouç êv§6|xatot; ^v oXoç 6 kqo\i.os ; pour Philon, Vit. Mos., III,
12 s., le manteau du Grand-Prêtre représente le monde, sa couleur
bleue, pourpre et violette représente l'air, ses fleurs, la terre, et ses
pommes de grenade, l'eau. Ailleurs, ibid., Ill, 14, sa couleur pourpre
signifie le feu, cf. A. Adam, op. cit., p. 66-67, note 96. Le Prince
pourrait donc aussi ressembler au Grand-Prêtre cosmique.
V. 10. Et ce vêtement du Prince, son « moi » ontologique et
transcendental, est fait pour lui sur mesure, il lui est identique, comme
sa daêna, son ange, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe, p.
LE CHANT DE LA PERLE 313
les enfants de l'adultère dans les textes gnostiques, cf. J.-E. Ménard,
L'Evangile selon Philippe, p. 158. On ne saurait dire s'il écume le
poison (Preuschen) ou s'il écume de rage (Halevy).
V. 14-15. Le ms. comporte la leçon « mon héritier », Wright lit
« héritier » et le texte de Preuschen a « héritant ». A l'exemple du
Christ de PMI., II, 5-11, et non comme Adam, le Prince doit d'abord
sauver la perle ; il pourra alors reconquérir sa « forme » divine, sa
« ressemblance », son « double », son jumeau, le premier Homme d'iR.,
Adv. Haer., I, 30, 1 ou du Ginzâ de droite, p. 308, 12, et entrer dans
le Royaume. L'idée d'héritage revient souvent dans les textes
gnostiques, cf. C. Schmidt, W. Till, Koptisch-gnostische Schriften, I2
(G.C.S., XLV), Leipzig, 1954, Index, s.v. Erbe, Erbteil, Ererben, p.
404 ; la x>.7jpovo|i'!a est l'héritage du voûç selon le Psautier manichéen,
p. 64, 3 ; 139, 59 ; 154, 12 ; 158, 16 ; 220, 20.
V. 16. La mention de TOrient (v. 3, 16, 24, 38, 60, 63) manifeste
à nouveau que l'orientation vers l'Est peut avoir eu son origine dans
le monde syriaque, cf. C. Vogel, La croix eschatologique, dans Noël,
Epiphanie, retour du Christ (Lex Orandi, 40), Paris, 1967, p. 86, note
2. C'est ainsi que l'auteur de la sent. 76 de l'Evangile selon Philippe
de Nag Hamadi identifie le Saint des Saints à la chambre nuptiale
orientée vers l'Est. Or, une des conditions habituelles de la prière
chrétienne était l'orientation vers une ouverture donnant sur l'Est, et
c'est le cubiculum qui, dans l'habitat, était la pièce la mieux exposée et
la mieux orientée.
Les compagnons pourraient faire allusion au trait adamologique de
la présence d'Elie et de Moïse dans la scène de la Transfiguration. Es
sont les parwanqin (terme iranien conservé dans le texte syriaque,
comme dans les textes mandéens et manichéens, cf. G. Bornkamm,
Thomasakten, p. 303), et ils sont les membres de la suite du Prince,
qui sont appelés au v. 20 de simples compagnons.
V. 18-19. Ainsi que nous le disions dans llntroduction, la
mention de Babylone, de Sarbûg et de la Mésène sont des interpolations
manichéennes. Mais Warkàn pourrait aussi désigner un faubourg
d'Ispahan, et la route du Prince vers l'Egypte passerait alors
nécessairement par la Mésène et Babylone, cf. A. Adam, op. cit., p. 62-63 ;
pour G. "Widengren, Les origines du gnosticisme et l'histoire des
religions, p. 52, la perspective géographique du Chant de la Perle est
celle de l'empire parthe avec son centre de gravité dans l'Est, dans le
Xvarâsân. Comme au v. 70, la Mésène serait la patrie des
commerçants à laquelle appartiendrait le commerçant sage du log. 76 de
l'Evangile selon Thomas.
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son ange (cf. Ext. Théod., 22, 1 ; 35, 3), ainsi que l'exprime le texte
grec des v. 76 ss.
Et la beauté du jeune homme, en qui le Prince se reconnaît,
vient du fait qu'il est fils d'oints (Preuschen) (le ms. a «onction»).
L'onction de la ocppoqîç est un sacrement de lumière qui confère
la beauté, cf. Evangile selon Philippe, sent. 66 et commentaire de
J.-E. Ménard, p. 184-185.
V. 28. Le pur est opposé à la matière et au mélange psyeho-
hylique, cf. Evangile selon Philippe, sent. 10, 17, 42, 82, 83. Or,
l'Egypte représente précisément ce monde, cf. Introduction, note
13. Adam et Bornkamm conservent la leçon du ms. et du grec :
« les Egyptiens ».
Y. 29 ss. Le Christ de Phil., II, 5-11 est apparu comme un
homme : oy^jiaxt eôpefleiç àç avflpwTîo:; (cf. Dn., VII, 13). Le a>ç pau-
linien est repris ici dans le texte syriaque au v. 29a.
A la suite du Christ de Phil., II, 5-11, le Christ gnostique a
reçu l'élément pneumatique, le Démiurge l'a revêtu du Christ
psychique, et, par l'économie de l'Incarnation, il s'est vu entourer d'un
corps de substance psychique, de manière à être visible, palpable,
passible. Il en va de même du gnostique ; il est une semence
pneumatique enveloppée du psychique invisible, puis de la nature « hy-
lique », invisible aussi, enfin de la tunique de peau, la chair visible.
Et c'est de ces différentes enveloppes qu'il doit se débarrasser,
s'il veut retourner à son « moi » et re-découvrir sa race.
V. 32-35. Mais les Puissances vont lier le Prince, comme nous
le disions au v. 23, elles vont jusqu'à lui offrir de leurs nourritures
terrestres qui causent chez lui l'assoupissement. Or, cet
assoupissement est comparable à l'ivresse et au sommeil des textes gnos-
tiques ; c'est laX^flyj, l'oubli, cf. Evangile de Vérité, p. 17, 24, 33,
36 ; 18, 2, 6. L'image de l'enivrement est à interpréter selon la
doctrine de la gnose hellénistico-orientale, où l'ivresse est mise en
rapport avec l' cqviuata , alors que c'est l'état de veille et de sobriété
qui correspond à la gnose, ainsi C.H., I, 27 : d> Xaoi, à'vBps; f/j-feveû; oi
jiéÔYj xal ottv({) éaotoùç èxSeSœxdxeç xai xf[ cqvcoaîa toû ôsoû,
vVjcjxxxe, Ttaùaaaôe Ss xpatiraX&vteç, OeXfdjievoi uTtvep àXo^, cf. R.
Eeitzenstein, Poimandres. Studien zur griechisch-âgyptischen und
fruhchristlichen Literatur, Leipzig, 1904, p. 337, 7 ss. Il faut que
les hommes sortent de leur état d'ivresse ; C. H., VII, 2 décrit
l'égarement de l'homme terrestre au moyen de l'image suggérée par
[teôûetv, tandis que vrjcpstv désigne la contemplation extatique. La
LE CHANT DE LA PERLE 317
V. 92. Le suffixe des « œuvres » peut être interprété aussi bien par
«ses» (Preuschen, Halévy, Bornkamm) que par «mes» (Adam).
Grammaticalement, il ne peut s'agir que des œuvres du Père ; à leur
exemple, le manteau a grandi. De petit qu'il était, il est maintenant à
la taille du Prince.
V. 94. Comme dans le Ginzâ de gauche, p. 487, 5-17, les trésoriers
revêtent l'âme du manteau, lors de sa remontée.
V. 96. La lumière céleste confère la beauté, cf. Ecrit anonyme du
Codex II de Nag Hamadi, p. 150, 14, p. 47 Bôhlig-Pahor Labib ; p.
156, 6, p. 59 ; p. 158, 3, 7, 15, 21, p. 65, 67 ; p. 159, 15, p. 69 ; p.
167, 8, p. 87. Dans le manichéisme, la beauté provient de la sphère de
la lumière, celle du voûç, cf. Psautier, p. 151, 30 ; 161, 5 ; 164, 5, 11 ;
166, 8 ; 174, 6 ss. ; M 32 et F.-W.-K. Muller, (A.P.A.W.), Berlin, 1904,
p. 64 ; M 75, p. 70 ; M 33 II et F.-C. Andreas, W.-B. Henning,
(8.P.A.W.), Berlin, 1934, p. 87.
V. 97. Le deuxième stique doit être traduit très littéralement,
afin de rendre toute sa force à la mystique d'identification qui y est
exprimée. Cette attirance mutuelle du Prince et de son vêtement est le
meilleur commentaire de certains passages de l'Evangile de Vérité,
ainsi p. 21, 11-22.
V. 99 ss. La splendeur du Père, devant lequel les Eons se
prosternent dans leurs actions de grâces (v. 89 ss.), rappelle celle du Père
de la Grandeur dans le manichéisme ; le Père est la Lumière. Il a
accompli sa promesse ; après que le Fils se soit abaissé, il lui accorde
le Nom, et avec le Nom, le manteau céleste. Et ce Fils reprend sa place
parmi les Grands. Alors qu'il s'était mêlé auparavant à ce qui était
impur, il se mêle (v. 101) maintenant à ce qui lui ressemble, cf.
Evangile selon Philippe, sent. 42, 102, 113, etc. Ce retour s'effectue, parce
que le pneumatique a rejoint son Eon, son ange, son « moi »
transcendental : l'union consiste à unir les semblables, cf. C.H., XI, 20 : to fàp
é'jxotov T(f 6jjioî(j) voïjidv. Maintenant, le Prince est vraiment èv jxopcpyj
ôsoû.
V. 102. La joie est un thème qui revient fréquemment sous la
plume des auteurs gnostiques, cf. J.-E. Ménard, L'Evangile de Vérité,
p. 87-88. C'est toute la joie que partagent le Père et ses Eons d'être
réunis, cf. Evangile de Vérité, p. 42, 11-38.
V. 103. Depuis Bedjan, les traducteurs rendent da-drûsâ par « de
l'orgue à eau». Vu le caractère ancien de l'Hymne, on pourrait se
refuser à accepter cette traduction, parce qu'elle suppose l'intrusion
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