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Résumé
Trois ouvrages viennent de paraître qui apportent une contribution intéressante à l'étude des deux grands mouvements « Rose-
Croix » en Allemagne, c'est-à-dire, d'une part, des trois textes de 1614, 1615, 1616, et, d'autre part, de la société
paramaçonnique dite des Rose-Croix d'Or. Paul Arnold reprend et complète un livre qu'il avait déjà écrit sur cette question ; il
tente de mieux situer le « Cénacle de Tübingen » et la pensée de J. V. Andreae dans l'histoire des idées, de la fin du XVe siècle
jusqu'à nos jours. Bernard Gorceix procure la première traduction française des trois textes réunis, accompagnée d'instructifs
commentaires. Enfin, R. G. Zimmermann, étudiant l'influence de l'hermétisme sur le jeune Gœthe, nous donne à cette occasion
le meilleur travail jamais paru sur les Rose-Croix d'Or au XVIIIe siècle.
Faivre Antoine. Rose-Croix et Rose-Croix d'Or en Allemagne de 1600 à 1786. In: Revue de l'histoire des religions, tome 181,
n°1, 1972. pp. 57-69;
doi : https://doi.org/10.3406/rhr.1972.9808
https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1972_num_181_1_9808
1) P. 93, il est question d'une « tour d'Olympi », alors qu'il s'agit sans doute
d'un génitif; en ce cas, « tour d'Olympe » s'imposerait. P. 107, Paul Arnold
écrit que « les quatre éléments sont :[...] purement néo-platoniciens et n'ont
nul rapport avec la doctrine de Paracelse ». Certes, Paracelse part de l'idée de;
Trinité reflétée dans toute la Création, et c'est seulement par ce détour qu'il
retrouve les quatre éléments classiques ; mais ceux-ci n'en constituent pas moins
une des données fondamentales de sa cosmologie (cf. par exemple A. Koyré,
Mystiques spirituels, alchimistes, Paris, A. Colin, 1955, p. 63, n. 4, plusieurs
références y relatives). P. 220, il convient de lire « Rois, I, 7 », au lieu de « Rois,
III, 7 ». P. 244, ligne 9, une expression maladroite semble confondre Frédéric;
le Grand et Frédéric-Guillaume II.
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* **
1) Bas Weltbild des jungen Gœlhe. Sludien zur hermelischen Tradition des
deulschen 18. J ahrhunderls . Erster Band, Elemente und Fundamente, Munich,
W. Fink, 1969, 14 h.-t., un index des noms, 368 p.
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•
professeur de J,- W.. Schroder, le Doktorvater de Œtinger" et du
médeeinde Gœthe en 1768, le Dr Johann Friedrich Metz.
La, science même semble cautionner l'ésotérisme : Charles
Bonnet, Leibniz, sont volontiers cités, de même que Newton
pour sa gravitation dans le petit et le grand -monde, pour
l'éther conçu comme sensorium- divin, et pour som idée de
polarité des forces centrales. D'autre part,, le magnétisme,
plus encore que l'électricité, passionne les esprits : le jésuite-
Max Hell, au début du siècle, reprend les idées du P. Kircher
avant que Mesmer fasse connaître presque universellement
ses théories magnétiques. F. J. W. Schroder, héritier
intellectuel de Boerhaave et partisan de la « polarité » hermétique
— assez, répandue, il est vrai — « expansion-contraction »,
constate que la nature contient sûrement un système
immanent à elle, et qui dépasse l'entendement humain, car dès que
celui-ci exprime un système, il se limite : dans : le particulier.
Quant à Friedrich Ghristoph Œtinger, le plus grand théosophe
allemand de son époque, il consacre sa , vie à unir science et
dogme. Il rejette les idées leibniziennes de monade et de
matière, coupables de nier la création continue conservée
par le système newtonien lui-même. Selon Œtinger, si
l'évolution à l'infini de germes préformés est un non-sens,
l'apparition quotidienne de naissances toute nouvelles est une vérité.
Désireux de débarrasser le langage d'un vocabulaire
mythologique usé par les rites maçonniques; il ne parle pour ainsi-
dire jamais du mythe de Lucifer, mais il en garde
soigneusement la structure; qu'il: présente: sous un vêtement
philosophique, voire scientifique.
Ce contexte, soigneusement étudié, permet à Zimmermann
d'aborder « la phase de préparation de l'Ordre des Rose-
Croix d'Or », qu'il nous présente grâce à une documentation
aussi sérieuse, aussi rigoureuse, que celle de H. Schick ou
de Paul Arnold pour la première • Rose-Croix. La ; Rose-Croix
.
.
le premier, selon Zimmermann; à avoir associé le mot « or » au
symbole de la rose et de la croix (« Golden- und Rosenkreutz »),.
et ceci dans un écrit de 1709 consacré à la pierre philosophale,
où. l'on trouve également des « Statuts » de - la Fraternité
(Zimmermann, p. 159). Sur le premier point, Zimmermann?
se trompe, à: moins qu'implicitement il se réfère au ; seul
xvine siècle, car P.' Arnold a trouvé cette expression (« Rose-
Croix d'Or ») sous la plume de Petrus Mormius, dans un livre
publié à Leyde en 1630 (cf. P. Arnold, p. 132, et des
références semblables chez R. Le Forestier, La Franc-Maçonnerie
occultiste et lemplière, Paris, Aubier," 1970, p. 66). La remarque
de Zimmermann est pourtant importante, si on la limite au,
siècle des Lumières. De toute manière, avec ces statuts des
Rose-Croix, de Samuel Richter, commence l'un des chapitres
les plus difficiles du xvme siècle allemand : l'histoire de la.
période « moyenne » et « tardive »>de cette Fraternité
(Zimmermann, p. 159). Nous ne savons toujours pas grand-chose
sur la première moitié du siècle. . Le lecteur n'en appréciera
que davantage les données éparses recueillies par
Zimmermann, et qu'un ensemble moins lacunaire mettra sans doute,
un jour, pleinement en valeur.. Ici encore, P. Arnold nous
fournit , un renseignement que l'on ne trouve pas chez
Zimmermann : l'existence d'un traité d'alchimie paru en 1737
àiFrancfort, signé J. G. Toeltius, dans lequel il s'agit de la.
Rose-Croix.. D'autre part, bien qu'il cite un correspondant
de Œtinger, Hermann Fictuld, Zimmermann semble ignorer
que Fictuld avait parlé des Rose-Croix d'Or dès; 1747, et
plusieurs fois jusqu'en 1769 (cf. Le Forestier, op. cit.; p. 66 s.,
et P. Arnold, p. 241). On peut même affirmer que Hermann
Fictuld « lance en 1747 une Société de la Rose-Croix d'Or »
(P.- Arnold, p. 24).
Sur cette origine des Gold-und Rosenkreuzer, la thèse de
Zimmermann se résume ainsi : l'Ordre de ce nom, qui apparut
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organisation puissante, semble n'avoir aucun lien avec les
Ordres du même nom qui existèrent dans les décennies
précédentes. Cette thèse mériterait d'être étudiée avec soin
.
.
passe très rapidement sur le problème, donne l'impression
qu'il s'agissait d'un seul et même Ordre (p. 243). Il; semble
qu'ici,, la; prudence de Zimmermann s'impose ; mais il n'est
pas-certain qu'on4 puisse jamais vérifier le second point de
son= exposé, c'est-à-dire l'hypothèse séduisante selon laquelle
la Franc-Maçonnerie française, avec ses grades de « Chevalier
Rose-Croix », inventés par Tschoudy vers 1765, influença
l'Allemagne. Zimmermann pense même que l'activité des
Rose-Croix « tardifs » (Spalrosenkreuzer) date de la
fondation du Rite français adonhiramite, en 1762. En tout cas,
F. J. W. Schroder, mentionné plus haut, pressenti et pressé
par les fondateurs de l'Ordre, fit pour celui-ci une
propagande active, ce qui n'étonne guère de la part d'un alchimiste.
Schroder étant, mort en 1778, l'Ordre se servit aussi de
Œtinger. Toutefois, le rôle de chef spirituel de1 cet Ordre
« tardif » n'échut point à Œtinger, mais, au moins de fado,
à Johann Gottfried Jugel.. On retiendra surtout que Œtinger
fut vraisemblablement initié chez ces Spalrosenkreuzer, ce
que Zimmermann parvient presque à démontrer en citant des
textes jusqu'ici trop négligés par; les chercheurs. .
Quant à Gœthe, il ne fut certainement jamais affilié. On
sait qu'il faisait . partie d'un * Ordre adverse, celui des
Illuminés de Bavière, interdits et poursuivis en mars 1785, un -
mois avant que Gœthe interrompe sa rédaction de Die
Geheimnisse, œuvre poétique exaltant la tolérance, où' il1
faisait encore, pour la dernière - fois, apparaître le symbole
de la rose et de la croix... Sans doute l'associait-il jusque-là
— pense avec bon sens Zimmermann — à l'idée d'une adora-
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plus limité dans son propos, certes, mais concernant le même sujet. A propos
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Johann Valentin Andreae nous est mieux connu, en
attendant de le devenir davantage, peut-être, grâce aux travaux
actuellement en cours de Richard Van Diilmen et de Roland
Edighofïer. Hans Grassl et R. C. Zimmermann susciteront
sans doute des vocations de recherche sur la Rose-Croix du
siècle des Lumières. Peu à peu, des lacunes se comblent, des
influences se précisent, des œuvres s'éclairent réciproquement.
En même temps, le message spirituel de quelques beaux
textes occidentaux nous est restitué plus intégralement,
rendant mieux perceptible ce qu'il peut proposer aux hommes de
notre temps.
Antoine Faivre.
de Henry More, l'auteur omet de citer la bonne thèse de Serge Hutin (//. More,
Hildesheim, G. 01ms, 1966). De même, il ignore l'ouvrage fondamental de
Joachim Trautwein consacré à Hahn {Die Theosophie Michael Ilahns, Stuttgart
Calwer, 1969). Le prénom de l'historien Le Forestier est René, et non pas
Robert. P. 162, à propos de l'expression « Philosophe Inconnu », il commet
quelques confusions, faute d'avoir connu l'étude de Robert Amadou sur ce
sujet (cf. « Cahiers de la Tour Saint-Jacques », Nr. VII, Paris, s. d., vers 1963).
A propos de Friedrich Karl von Moser, il aurait dû citer la bonne étude de Max
Geiger (in Aufklàrung und Erweckung, Zurich, EWZ, 1963, p. 191 à 202).
En plusieurs endroits (cf. à l'index des noms), Zimmermann identifie à tort
Irénée Philalèthes à Eugenius Philalèthes, de son vrai nom Thomas Vaughan,
frère jumeau du poète Henry Vaughan. P. 327, note 267, où il est question de
Dutoit-Membrini, il convenait de mentionner l'étude de Paul Wernlé, Der
schweizerische Protestantismus, Tubingen, t. III.