Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Laperrousaz Ernest-Marie. À propos de deux traductions et commentaires récents du Cantique des Cantiques . In: Revue des
Études Anciennes. Tome 73, 1971, n°3-4. pp. 365-373;
doi : https://doi.org/10.3406/rea.1971.3904
https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1971_num_73_3_3904
ET COMMENTAIRES RÉCENTS
ration, s'est permis d'écrire : « La variété des opinions est telle que
l'on pourrait conclure à bon droit que la faculté maîtresse des exé-
gètes n'est point la raison, comme cela devrait être, mais
l'imagination » (P. Vulliaud, Le Cantique d'après la tradition juive, Paris,
1925, p. 18). Il reste vrai que le Cantique est à cet égard sans égal
dans toute la Bible D1. Pour simplifier, relevons qu'en fait, dans le
Cantique des Cantiques, certains ont vu une allégorie, celle de noces
mystiques, d'autres le souvenir d'un drame liturgique, d'autres, enfin,
des poèmes chantant l'amour humain. C'est ce que rappelle Ë. Dhorme,
dans la « Bible de la Pléiade » : « C'est surtout l'interprétation
allégorique, à partir des débuts de notre ère, qui permit aux rabbins du
synode de Yabnéh de ranger cet ouvrage de poésie amoureuse parmi
les livres sacrés. On y découvrit le symbole de l'amour de Iahvé pour
son peuple et de l'amour du peuple pour son Dieu... L'exégèse
chrétienne suivit la voie tracée par les Juifs, l'église et le Christ
remplaçant la synagogue et Iahvé, dans l'expression de l'amour réciproque
entre le bien-aimé et la bien-aimée. La liturgie accueillit les plus beaux
passages pour les appliquer aux fêtes de la Vierge ou des vierges>
suivant les principes de la méthode allégorique. Les mystiques, comme
Ste Thérèse d'Avila ou S. Jean de la Croix, empruntèrent les strophes
les plus enflammées pour décrire les rapports de l'amour divin avec
l'âme fidèle. Des auteurs modernes ont cru reconnaître dans le
Cantique des traces d'un drame qui se serait joué dans le Temple de
Jérusalem à l'occasion d'une fête de Tammouz- Adonis et d'Istar.
Renan lui-même insistait sur le caractère de représentation théâtrale
que présentent certaines scènes du texte sacré. Mais en réalité ces
aspects du poème se comprennent très bien si l'on admet la théorie
qui, depuis la fin du xixe siècle, a prévalu parmi les orientalistes les
plus compétents, à savoir qu'il s'agit d'un recueil de chants destinés
à célébrer, dans les veillées nuptiales, le fiancé et la fiancée, le
premier représenté comme un roi, la seconde comme la Sulamite (VII,
1 ss.). Les chants sont tantôt exécutés par le chœur, tantôt par des
solistes au nom du bien-aimé ou de la bien-aimée. Ils prennent aussi
la forme d'un duo entre les deux protagonistes, l'homme et la femme,
qui se répondent et s'exaltent comme dans les idylles de Théocrite
ou de Virgile »2.
Dhorme penche, d'après ces lignes, pour la dernière des hypothèses
qu'il y évoque : selon lui, le Cantique des Cantiques peut très bien
n'être qu'un simple recueil de poèmes chantant l'amour humain.
venir à son ventre puis à ses deux seins, l'auteur, au verset 3, ferait
mention de son « nombril, un cratère à demi formé où le vin ne manque
pas », selon Robert et Tournay, de son « nombril... un calice arrondi
où ne manque pas le vin épicé », pour Dhorme, de son « sein... une
coupe arrondie, où le vin parfumé ne manque pas », selon Segond
— pour ne citer que quelques traducteurs français. Vraiment, on
ne voit pas bien de quel liquide, qui « ne manque pas », il peut être
question à propos du « nombril »; tandis qu'il n'en est pas de même
s'il s'agit du « sein », c'est-à-dire du « sexe », de la bien-aimée. Mais, si
Robert s'est refusé à juste titre à suivre les « interprètes » qui «pensent
que le nombril est mentionné par métonymie pour le ventre », car,
précise-t-il, « il sera question du ventre dans la seconde partie du
verset, avec une autre comparaison. Or, il est remarquable que dans
la description, la mention de chaque partie du corps s'accompagne
d'une comparaison et d'une seule D1, s'il a raison de rappeler que
l'expression accompagnant le mot en discussion comprend un hapax
legomenon rendu dans le Targum par « la lune », et signifiant, en néo-
hébreu, « lune » ou « croissant », et que Kimchi traduit cette
expression par « bassin en forme de lune », traduction que « Budde accepte
théoriquement..., tout en reculant devant son étrangeté »2, il s'est
malheureusement laissé entraîner, dans sa traduction, par
l'interprétation allégorique qu'il donne de ce texte ; pour lui, cette expression,
concernant l'anatomie du corps de la bien-aimée, se comprend très
bien si l'on y voit une précision se rapportant à la topographie du site
de Jérusalem. Il écrit, à la suite des lignes que nous venons de citer :
« Elle s'explique pourtant de la façon la plus naturelle si l'auteur fait
allusion à un détail du relief du sol exprimant sensiblement cette idée
que Jérusalem est le nombril de la Palestine et du monde » ; et, après
avoir évoqué, à l'appui de cette idée, plusieurs passages bibliques,
« la tradition des apocryphes et des rabbins », « la tradition chrétienne »
(cartes médiévales), plusieurs études et, enfin, le fait que «
maintenant encore, dans l'église du Saint-Sépulcre, au milieu du chœur des
Grecs, « une reproduction naïvement réaliste de Y Omphalos ou
nombril du monde, concrétise l'opinion ancienne que le salut s'est opéré
au milieu de la terre suivant une application servile du Psaume LXXIII,
12 (hébreu LXXIV, 12) et d' Ézéchiel XXXVIII, 12 » (F.-M. Abel,
Syrie- Palestine. Les Guides Bleus, 1932, p. 572) », Robert ajoute :
« A la lumière de ces explications, l'expression mystérieuse... devient
compréhensible. On sait que la Ville Sainte est construite sur un épe-
1. A. Robert, Ibid., p. 259-260. A ce propos, D. Lys présente, en les faisant suivre d'une
courte discussion philologique, quelques remarques dont nous citerons celles-ci : « Mais si le
nombril est ici comparé à une coupe, la forme n'est pas celle d'un croissant (ce qui semble
bien être le sens du terme suivant), sauf si on en fait une section transversale, ce qui est
exclu dans une description du corps humain tel qu'il apparaît. S'il s'agit du bourrelet
ferme autour du nombril, il n'est pas en croissant mais en cercle. S'il s'agit du demi-cercle
des vallées autour de Jérusalem, l'image est l'inverse du nombril, Jérusalem étant sur
un pic, alors que sor est une coupe. ... La comparaison convient mieux pour le pubis,
le sexe : c'est la première chose qui se présente pour passer des cuisses au ventre ; vu de
face, le système pileux dessine bien un croissant, que d'ailleurs l'on remarque représenté
par des hachures sur diverses statuettes nues » (Daniel Lys, « Notes sur le Cantique »,
dans Congress Volume Rome 1968. Supplements to Vêtus Teslamentum, vol. XVII, Lei-
den, E. J. Brill, 1969, p. 177. Cet auteur signale, à la page suivante, « à l'appui » de Γ «
interprétation 'sexuelle' de Sor les remarques de Vogt dans Biblica, 1967, p. 72 »). Si nous
sommes d'accord avec la plupart de ces remarques, nous ne le sommes pas avec la
dernière d'entre elles. En effet, il nous semble que le croissant dont il s'agit, ici, est le « sexe »
lui-même — et non pas le « système pileux » de cette région du corps, comme le suggère
D. Lys.
2. R. Tournay, dans R. Tournay et Miriam Nicola'y, Ibid., p. 133.