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BIBLIOTHÈQUE DE LA REVUE D'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE


FAse. 15

APERÇUS SUR L'ESPAGNE CHRETIENNE


DU IVme SIECLE
ou

LE «DE LAPsa»
DE BACHIARIUS
PAR

DUHR, s. J.

BUREAUX DE LA REVUE
40, RUÈ DE NAMUR, 40
1934
IMPRIMATUR:
De mandata
t P. LADEUZE, Reet. Univ.
Lavanii, 20 a junii 1934.
INTRODUCTION

Dans la brève notice que l'écrivain marseillais Gennade con-


sacre à Bachiarius, il ne mentionne pas le De lapso (r). Il ne semble
pas l'avoir connu (2). Le traité était destiné pourtant à jouir
dans la suite d'une popularité plus grande que le De {ide. Le
catalogue des livres de l'abbaye de Murbach, rédigé vers 84 0 ,
signale parmi ses trésors le De Reparatione lapsus (sic) (3)· Vers
le milieu du XIIe siècle, l'anonyme de Melk fait un bref éloge de
« l'écrit à Janvier» : « travail d'un esprit remarquable. » (4)

(1) Le titre complet de l'ouvrage est Liber de reparatione lapsi. Nous le


citerons toujours sous la rubrique De lapso. Nous avons longuement parlé
du De '{ide dans deux articles parus dans la Revue d'histoire ecclésiastique
de Louvairi (J. DUHR, Le De '{ide de Bachiarius, dans RHE. 1928, t. XXIV,
1?I-1~;.J<>I-33I. La première étude, sur la date du De {ide, est à com-
1"léterp~):.llnenoteque nous avons fait paraître dans le même périodique .
•J.J1)JJB;R,:4Py;oPosdu«De '{ide» de Bachiarius, dans RHE. I934, t. XXX,
········p,85~95J.
•• ~1.1débutcl.eèel>ai:tic1es (p. 5-10), on trouvera un bref résumé de ce
q\r'o,~tPt1l1sé'etdecequepensent encore les écrivains de ce mystérieux
])êl,'Son1.1a,g€i.~la:.bibli(jgraI>hie (p. IO-II, note 7) il faut ajouter: A.
LA:~~~~T,a:rt:>Ell!c'hîarius, dans Dict. d'histoire et de géograPhie ecclésias-
tiat~esit'XI).GO~.è58-(;l$,.:raris,I931 ; J. M. BaVER, Bachiarius Peregrinus?,
. dffi>FfJl-studi>0fp,tlèSiasNeqs, 19 28, LVII, p; 361-366; dom G. MORIN, Pages
in~1itr!sri,~:.cleU$;'fJse{/4d()o-Jérôme$ des en.vironsde l'an 400, dans Revue béné-
di(;t~~~,;li92;8Jt;.~, p .. 289-310.
(:?l.GEN~ADmS, De Viris in.lustribus, cap. XXIV; éd. C. E. RICHARD-
SON ,dans Te:Jfte und Tjntersuchungen, t. XIV, fasc. l, p. 71.
(g)H.BLOCK, J.Ein karoling. Bibliothekenkatalog aus dem Kloster M'ur-
baeh, dans Strassburger Festschrift zur 46. Versamml. deutscher Philologen
und Sch'lûmann.er, p. 257-285. Strasbourg, 1901; cité par GALL ]ECKER,
O. S. B., Die Heimat des hl. Pirmin des Apostels der Alamannen, p. 175.
Munster-en-W., 1927.
(4) ANONYMUS MELLICENSIS, De scriptoribus ecclesiasticis, édité par
B. PEZ, O. S. B., cap. LIlI, p. 466. Augsbourg, 1716.
6 INTRODUCTION

On ne se contente pas de louer le traité, à l'occasion on le cite.


Au IXe siècle, Raban Maur (t 856), dans son commentaire
sur le livre de Josué, transcrit le passage du De lapso qui a trait
aux six cités de refuge (I); clans la première moitié du XIe
siècle (2), Fulbert de Chartres ( t I028) fait connaître à Guillaume
V le Grand, duc d'Aquitaine (990-1029) (3), l'opinion de Bachia-
rins sur la mort de Salomon (4).
Les copies de la lettre semblent s'exécuter nombreuses au XIe
et au XIIe siècles. Seule la bibliothèque nationale de Paris en
possède trois, datées de cette époque. Si le manuscrit latin 2374
(XIe s.) ne contient que le début du traité, deux autres: le lat.
I4993 (XIIe s.) et le lat. 14849 (XIIe ou XIIIe s.) le donnent
tout entier (5). A ce même siècle remontent le manuscrit I398 de
Troyes et le manuscrit 539 de l'académie de Montpellier (6).
A partir de cette époque le silence semble se faire autour du
De lapso, jusqu'au jour où (1569), d'après un manuscrit inconnu,
Jean Jacques Grynaeus (Gryner) le livrera à l'impression (7).
Plus soignée est l'édition exécutée par Florius, chanoine d'Aqui-
lée ; l'abbé Migne l'a insérée dans sa collection des Pères latins (8).
Les historiens H. Florez (9) et A. Gallandi (10) se sont contentés
d'adopter ce texte. Nous l'utiliserons à notre tour: il est satis-

(1) PL, t. CVlIl, col. 1090; cfr De lapso, 15. PL, t. XX, col. 1052.
(2) La lettre est postérieure à l'année 1020: elle fait allusion à une
aum6ne envoyée par le duc à l'évêque de Chartres en vue de la reconstruc-
tion de la cathédrale, brûlée dans la nuit du 7 au 8 sept. IOZO ... propter
eleemosynam quam misit ad restaurationem ecclesiae nostrae.
(3) Sur Guillaume V et ses goûts littéraires, voir .Histoire littéraire de
la France, t. VII, ze édit., pal- M. PAULIN PARIS, p. 284-z89. Paris, 1867.
(4) FULBERT DE CHARTRES, Epist. LXV (olim LXXXI) ; PL, t. CXLI,
col. Z33 = De lapso, 12 ; PL, t. XX, col. I048 B, C.
(5) LÉOPOLD DELISLE, Inventaire des manuscrits latins de la bibliothèque
nationale 8823-18613, aux nOs 14849 et 14993. Paris, 1863-I87L - Le
manuscrit 14849 porte le titre Liber Bacharii (sic) ePiscoPi de paeniten-
tia, et divise la pièce en deux parties. La seconde est intitulée: Epistola
consolatoria.
(6) A. LAMBERT, art. Bachiarius, dans Dictionnaire d'histoire et de géo-
graPhie ecclésiastiques, t. VI, col. 62.
(7) L'édition se trouve reproduite dans la Bibliotheca Veterum Patrum,
t. V, p. II74-II8I. Lyon, 1677.
(8) PL, t. XX, col. 1037-I06z.
(9) H. FLOREZ, Espana sagrada, t. XV, p. 485-512. Madrid, 1787.
(10) A. GALLAND!, Bibliotheca Veterum Patrum, t. IX.
INTRODUCTION
7
faisant pour l'étude que nous allons entreprendre. Parfois
nous aurons cependant à le corriger en nous inspirant des trois
manuscrits de la bibliothèque nationale que nous avons colla-
tionnés, ainsi que des extraits recueillis par Raban Maur et par
Fulbert de Chartres.

Nous diviserons notre étude en cinq chapitres qui auront


pour sujets: 1. Les acteurs du drame, IL la date du traité,
III. les idées du De lapso, IV. la Bible utilisée dans le De lapso
et le De (ide, enfin V. la physionomie morale et le tempéra-
ment littéraire de Bachiarius (I).

(1) Au cours de notre travail nous citerons le De lapso en donnant le


numéro du paragraphe et la colonne de l'édition de Migne. Ainsi par ex.
3. 1039 A = De lapso, 3 ; PL, t. XX, col. 1039 A.
CHAPITRE l

LES ACTEURS DU DRAME

Le De lapso est un véritable drame moral. Parler d' « acteurs »


n'est nullement exagéré, Mais avant de présenter les person-
nages il faut dire en quelques mots l'occasion et le but de la
lettre.

Le De lapso a été rédigé à l'occasion d'un scandale (I) qui, au


dire de l'auteur, avait ému non senlement la cité qui en fut le
théâtre, mais le monde entier (2). Il s'agissait d'un diacre qui
s'était lié avec une vierge consacrée à Dieu. Bachiarius, en l'ap-
prenant, en avait été secoué jusqu'aux os (3). La flèche du diable
qui avait frappé un membre du « corps)} auquel il appartenait,
rayait blessé lui-même (4). Voilà pourquoi il ouvre la bouche,
:n.~lf.• poutaccroître le . désastre mais pour le réparer, non pour
~yi~e1"ila.plçtie mais pour la guérir (5).
,cpà.~sdeuxparties nettement distinctes Bachiarius s'adresse
~;;a,1>pPÇL ~.Jq.tl,vierqui semble être le chef spirituel du pauvre
del'ctoml;Jé,po:ur lui prêcher la miséricorde et la condescendance;
et~:pr$sh:tijaupécheur pour l'engager à se repentir et à se
relever D'un.boutà l'autre de son ouvrage, Bachiarius

(r}AYdivirnus.. l1orrendaec1adis ex.cidium (r. I037B).


(z) .•. ;non.solul11 ipsiimquam Încolit civitatem, sed etiam tot~ml orbem
farnae ipsius desper<:J.tione compleri (10.1046 C-D) ? ... Ecce per quot
terrarllm tractusfetoris tui, hoc est, famae turpis opinio peragravit (zr.
1059 B).
(3) ... quia sunt mota viscera mea; et ita commoverunt se ossa mea
(1. 1037 B).
(4) Neque enim absque damno meo hoc accidisse dixerim malum, ubi
membrum corporis mei diabolica sagitta percussit... (r. 1037 B-r038 A).
(5) Sed absit hoc a fide mea, ut aliquam dicam plagam esse, quae
non habeat consolationem (1. 1037 A).
ro CHAPITRE l

prétend bien ne faire entendre que le langage de l'Écriture inter-


prêtée à sa façon. Toute son ambition est de se faire l'écho de la
parole inspirée pour inculquer à l'un la miséricorde, à l'autre la
confiance (1).

JANVIER

Quel est ce Janvier (2) que Bachiarius prend d'abord à


partie (3) ?
Les éditeurs du De lapso, dans la Bibliotheca Vetent11t Patrum,
en font un prêtre ou un évêque (4) ; Florez lui donne le nom
vague de « Prelado» (5) ; Tillemont nous le présente comme un
diacre, ami de Bachiarius, « et sans doute abbé du monastère dont
estait ce moine» (c'est-à-din~ le lapsus) (6) ; A. Lambert adopte
cette manière de voir (7).
C'est bien à tort qu'on a cherché à faire de Janvier un évêque
ou un prêtre (8). Aucun indice ne nous permet de lui attribuer
la dignité sacerdotale.

(1) Galaad enim interpreLatur acervus testis, et hunc acervum testem,


totum canonem divinorum librorum esse sentimus (1. 1037 A).
(z) Par une inadvertance regrettable le P. Z. GARCIA VILLADA: dans son
Historia eelesiastica de Espana (t. l, 2 e partie, p. I43, Madnd, 1929),
confond le lapsus lui-même avec Janvier, que Bachiarius au contraire
respecte et vénère. Voici le texte du P. Villada : « Baquiario escribi6 otra
obra ascética acerca De la reparaci6n del caido, dedicada a un personaje
Hamado Juan. Este debîa de haber cometido un pecado torpe, y encontraba
dincultades para salir de su estado ... ))
(3) Le nom de Januarius se rencontre assez fréquemment en Espagne.
Un Januarius prit part au concile d'Elvire (GAMS, Kirchengeseh. v. Spa-
nien, t. II, Ire section, p. 18, 20). A Émérlta, nous ~etrouvons le même
nom dans deux inscriptions (CIL, II, nO 565 (Januaria) et nO 542 (Janua-
rius). - Parmi les trois martyrs cordouans chantés par Prudence, figure
également un Januarius (Fastus, Januarius, Martialis). Cfl' PRUDENCE,
PeristePh., IV, 20-24; PL, t., LX, col. 360-361.
(4) ... ut Januarius sive presbyter sive episcopus ... (Biblioth. veto Patr.,
t. VI, p. I I 77. Lyon, I677).
(5) FLOREZ, Espana sagrada, t. XV, p. 360 ... ({ no queria volverle à
recibir su prelado Januario ... ))
(6) TILLEMONT, Mémoires, t. XVI, p. 474-
(7) A. LAMBERT, art. Bachiarius, dans Diet. d'hist. et de géogr. ecclé-
siast., t. VI, col. 62 ... « il (le lapsus) vivait dans une communauté dont
le chef était le diacre Januarius, destinataire de la lettre. ))
(8) Déjà Tillemont disait « Janvier qui n'estoit pas l'évesque de ce
diacre~~ ... » (Mémoires"t.~XVI,~p. 474).
LES ACTEURS DU DRAME II

Il ne semble pas non plus avoir été le chef du monastère du


laps%s. Jamais Bachiarius ne fait allusion à ce titre; jamais, pour
l'incliner à la miséricorde, il ne fait appel à sa paternité spirihlelle ;
bien au contraire, dans la partie qui lui est adressée (nOS 2- 13),
il ne prononce même pas le mot de monastère. Si Janvier doit
ramener le coupable, c'est non pas dans un monastère ma,is dans
1'« ecclesia» (1), parmi les fidèles (2), Enfin, dernière raison, la
plus convaincante à notre sens, lorsque Bachiarius engage le cou-
pable à regagner son monastère (3), il s'offre lui-même à l'y
reconduire (4) et à l'y inslruire seul à seul (5). On ne peut raison-
nablement pa.s supposer qu'il ait l'audace d'usurper <lin si le IÔle
qui revenait de droit à Janvier, si ce dernier eût été à la tête
du couvent.
Loin d'être abbé, il n'était, selon toute vraisemblance, pas
même moine. Sans doute, suivant le désir du pape Sirice, les
clercs devaient être choisis parmi les religieux (6), mais la règle
admettait des exceptions (7). Par ailleurs le « beatissime frater »
que Bachiarius adresse à Janvier, n'implique aucunement la
fraternité monastique (8).
Ce qu'on peut affirmer sans hésitation, c'est que le desLinataire

(1) Bachiarîus oppose nettement 1'« ecclesia)) où le lapsus n'ose rentrer,


"tUmonastère où « il l'invite à se retirer» (15. 1052 A). - Nolo ut eum
Begreges a Christi membris ... (9. 1045 D).
Ilfaut noter également que Bachiarius recommande à Jan vier de
Sé'r1Ülëfutrcr le coupable de manière à. empêcher même sa mère de venir
lUi ( ... si mater illa carnalis sît, llec ei aditus detur intrandi.
P~reme Tecommandation eût été inutile, s'il se fût agi d'une
moilasterii tui carcerem;.. (16. I054 A).
ego ad ducendulll te sine dilatione properabo (17.1054 C).
~);tüma)J:ll'tuam mihi cupio sociari ... (17. 1055 A).
... clericol'um officiis aggregari et optamus et
.: (S;c SnÜCE;, epist. ad Himerium, c. 13; PL, t. XIII, col. 1I44).
de toute évidence du fait que des diacres et des évêques
maûés. .(Conc. de ToZède (400), cano I; MANSI, Concil. ampliss.
colümt., t. III, coL 998 C ; et cano VII ; op. cit., col. 999 D).
(8) C'est une idée chère à Bachiarius que celui qui est baptisé a Dieu
pour Père et, par conséquent, tous les chrétiens comme frères (De fide,
2; PL, t. XX, col. 10Z2 A). - De plus Janvier était diacre comme l'as-
cète espagnol. Ce fait explique également pourquoi Bachiarius appelle
le coupable le frère de Janvier (7. ro4~ C; 8. 1044 A) ou leur frère à. tous
deux (6. 1041 C).
12 CHAPITRE 1

de la première partie du De lapso était « de la tribu de Lévi » (1)


et par conséquent diacre (2). Mais comment expliquer dès lors
le rôle prépondérant qu'il joue, l'autorité quasi-épiscopale qu'il
exerce sur le coupable? Décider si le malheureux doit être
admis à la pénitence (3), l'exclure de la communauté des fidèles
et l'y ramener (4) ; le séquestrer (5) et lui rendre par ses entre-
tiens salutaires (6) l'espoir et la vie: tout cela semble dépasser les
attributions d'un simple diacre. Nous ne voyons pas d'autre solu-
tion à cette énigme si ce n'est de reconnaître dans le rigoureux
justicier, l'archidiacre de l'église de la cité épiscopale où il se
trouvait. On sait que l'archidiacre (7) jouissait d'une influence
très considérable (8). « Familier de l'évêque, écrit le P. Prat, et
confident de ses secrets, rompu au maniement des affaires et en
possession d'un pouvoir d'autant plus convoité qu'il était moins
défini, l'archidiacre devenait en fait le second personnage du
diocèse» (9). Nous n'en sommes pas d'ailleurs réduits à de simples
conjectures. Plus d'une indication confirme notre hypothèse.
Dans un très curieux passage, où Bachiarius s'adresse directe-
ment au lapsus, il lui recommande d'user de la manière forte,
sans même excepter l'injure, pour obtenir que prient pour lui ceux

(1) Et tu ex tribu Levi es, qui ecclesiastico servis officio (4· 1039 C).
(2) Lévite et diacre c'était tout un au IVe siècle. Voir en particulier,
pour ne citer que quelques témoignages: Lettre de S. SIRICE à Himère,
7-10; PL, t. XIII, col. II38, 1139; S. JÉROME, Adv. Jovin., 1. II, 34 ;
PL, t. XXIII, col. 332-3; S. AMBROISE, De officiis, 1. I, cap. L; PL,
t. XVI, col. 96 sq.; S. ISIDORE DE SÉVILLE, Etymol., lib. VIII, c. XII;
PL, t. LXXXII, col. 292 : Levitae ex nomine auctoris vocati. .. Hi graece
diaconi, latine ministri dicuntur ...
(}) Tu vero ... revertentem aeternae mortis paena cOlldemnas (5.
1040 C-1041 A) ?
(4) Nolo, ut eum longe segreges a Christi membris ... (9. 1045 D).
(5) Memento autem, ut omnes a conspectu ejus ejicias ... (7.1043 B).
(6) Et tu, beatissime, in defuncto fratre opus imitare Elisaei... (7.1043A).
(7) Voici comment saint JÉROME parle de l'élection de l'archidia.cre :
... Diaconi eligant de se, quem industrium noverint et archidiaconum
vocent. Ad Evangelum, Epist. CXLVI, 1; PL, t. XXII, col. 1194.
(8) Saint Jérôme nous apprend que l'archidiacre jouissait d'une telle
considération qu'il croyait déchoir en se faisant prêtre. Certe qui primus
fuerit ministrorum, quia per singula concionatur in populos, et a pontificis
latere non recedit, injuriam putat, si presbyter ordinetur (In Ezech.,XLVIII,
13; PL, t. XXV, col. 484 B).
(9) F. PRAT, Les prétentions des diacres romains, dans Recherches de
science religieuse, 1912, t. III, p. 472.
tES ACTEURS DU DRAME I3
que son infortune a laissés indifférents. Il lui propose d'imiter les
bourreaux de saint Étienne, qui, en accablant leur victime de
pierres, méritèrent que le martyr intercédât pour~eux (I). L'allu-
sion transparaît très nette. Le protomartyr, le plus influent des
sept diacres, 1'« unus e septem» (2), représente le diacre inexo-
rable que le lapsus doit fléchir à tout prix, et que Bachiarius
lui-même, dans toute la première partie de sa lettre, s'est efforcé
de rendre plus miséricordieux. Un diacre aussi influent ne peut
être que l'archidiacre, 1'« U11US e septem », ou, commecs'exprime
Prudence en parlant de saint Laurent, le « primus e septem» (3)
de l'église épiscopale. Cette conclusion est d'autant plus vrai-
semblable qu'un peu plus bas, Janvier est assimilé à Joab,
le chef de la milice (4), le « proximus» et 1'« amicus» de David (5).
En cet endroit Bachiarius propose au lapsus de faire comme Ab-
salon qui incendia la moisson de Joab, non pas pour lui nuire
comme à un ennemi, mais pour se concilier par cette violence un
regard de la part de celui qui dédaignait ses flatteries, et obtenir
d'être remis en présence de 1'« ami» et du «proche» de David (6).
Suivant le parallèle établi par Bachiarius lui-même, les « milites »
de David, sont les « ministri Christi », c'est-à-dire les diacres (7) ;
le chef de la milice, Joab, représente par conséquent l'archidiacre

ille unus ex quatuor (le ms. ambrosien e septem) confesso-


martyrum, eum ab insano populo lapidibus urgeretur,
<i;;;îfJ[?j~jsd (!;rit'{$lsJ de Aegypto (Ps. 105, I), id est animae de corpore disce-
fiexQ, patri pro peccatoribus supplicavit (Act., VII, 59)

ms. ambrosien (PL, t. XX, col. 1051, note cl, qui

(PRUDENCE, PeristePh., II, 37 sqq.; PL,

principis militiae (8. 1044 B).


texte porte « Christi )J. Mais Bachiarius identifie sans cesse le
et David. Voici quelques exemples: Abfuit paulisper a conspectu
nostro l'ex noster David ... (13. 1050 A); ... non vult David hoc est
Dominus Christus (19. 1058 A); ... cognatio pro Davide ... 'occisa ?.. :
. mors pro Christo illata ... (6. 1042 C) ?
(6) ... sicut Absalon, non ob hoc segetem Joab incendit, quod nocere
vell et in tamquam inimico ; sed ut vel sic ad detrahentem sibi respiceret,
quem non audierat blandientem; et ita ejus praesentiam mereretur, qui
Christi erat proximus vel amicus (14. 1051 C).
(7) ... militibus David, boc est, ministris Christi,,,. (13. 1049 B).
CHApITRE i

qui était connu et respecté comme «l'ami » et le « proche » de


l'évêque (r).

Les attributions de Janvier nous orientent vers la même


conclusion.
«Et toi, lui recommande Bachiarius, relève le frère que le démon,
le brigand, avec la troupe de ses satellites, a frappé; présente-le à
l'hôtelier (stabulario), c'est-à-dire au bienheureux évêque (2), qui,
pour ses soins, sera davantage récompensé par le Seigneur» (3).
Ce passage, comme d'ailleurs toute la première partie de la lettre,
ne se comprend que si Janvier a la responsabilité de la conduite
morale des diacres. C'est à lui, en particulier, de dénoncer à
l'évêque celui qui se laisserait aller à l'inconduite ou susciterait
du scandale. Or c'est précisément à l'archidiacre qu'incombait
cet office. Saint Isidore de Séville, dans sa lettre à l'évêque Leu-
defred, n'aura garde d'omettre ce point en signalant les attribu-
tions de l'archidiacre. « L'archidiacre, écrit le saint docteur, com-
mande aux sous-diacres et aux diacres (levitis) ... C'est lui qui
reçoit le fruit de la quête et en distribue la part aux clercs.
C'est 1'archidiacre qui dénonce à l'évêque les débordements des
diacres .... » (4)
Nous reconnaissons l'office de l'archidiacre encore à un autre
détail. Dans un passage énigmatique, Bachiarius fait dire à
Janvier: «Qu'on ne fasse pas mémoire de lui (du coupable) car
il s'est lui-même étranglé par un péché honteux» (5); puis,

(1) L'archidiacre était « le diacre de l'évêque )). Cfr H. LECLERCQ, art.


Diacre, dans Dict. d'clrch. cMét. et de lit., t. IV, col. 741.
(2) Le texte porte ... « assigna stabulario, hoc est, B. episcopo» (9.
1045 C). Le P. Lambert reconnaît dans ce B. Ba1conius évêque du diocèse
de Braga (A. LAMBERT, art. Bachiari ..ts, dans Diet. d'hist. et de géogr.
ecclésiast., t. VI, col. 63). Mais la leçon n'est rien moins que certaine:
le ms. ambrosien ne l'a pas; le ms. lat. 14993 de la bibliothèque na-
tionale de Paris a « ... id est, beato episcopo)) ... C'est « beatissimo )
qu'il faut lire très probablement, comme plus loin (17. 1055 B = beatis-
simum pontificem). Ce mot revenant si souvent, le copiste l'aura peut-
être abrégé cette fois-là.
(3) Et tu ergo collige fratrem, quem dia bolus latro cum satellitum suorum
turba percussit: assigna stabulario, hoc est beatissimo (?) episcopo, qui
si quid in eo impenderit, amplius a Domino consequetur (9. 1045 C, D).
(4) ... Ab archidiacono nuntiantur episcopo excessus diaconorum ...
(EPist. Le'Vtdejredo ePiscopo, 12, 13; PL, t. LXXXIII, col. 89 6).
(5) Sed qui dicis, non fiat eius memoria, quia turpi peccato se ipsum
jugulavit... (8, 1044 B).
LES AC'fEURS DU DRAME 15
plus loin, comparant le lapsus à Asaël tué par Abner, l'avocat
du pardon interpelle ainsi son interlocuteur: « Est-ce que Asaël
ne te fait pas souvenir de la consolation des frères (r), lui que
toute l'armée de David pleura? Est-ce qu'il a été effacé du livre
de vie, je veux dire du mémorial qu'on lisait le dimanche»
(... aut de libro vitae deletus est, id est, de memoria Dominicae
lectionis, 8. 1045 A) ?
Il n'est pas douteux que Bachiarius reproche à Janvier d'avoir
traité le lapsus plus durement que les Israélites n'avaient traité
Asaël, dont la mort symbolisait néanmoins la chute honteuse
du malheureux diacre (2). Asaël, en effet, remarque l'ascète
espagnol, n'a pas été effacé du livre de vie, le diacre, au contraire,
a été rayé de la leçon dominicale.
Avant de nous demander ce qu'est cette leçon dominicale
nous devons faire plusieurs remarques préliminaires. La « lectio
dominicalis» est une «lectio» qui se faisait «à l'office du dimanche ».
Dans cette« lecture» ou commémoraison le nom du diacre coupable
figurait explicitement : autrement on ne se serait pas aperçu
de son omission. Enfin, c'est Janvier qui faisait cette « lectio »ou
du moins la réglait, car c'est à lui personnellement que Bachiarius
reproche de ne plus faire mention du lapsus.
Ceci dit : qu'est-ce que cette « lectio », cette « commemoratio» ?
résoudre cette question il faut dire un mot de la lituraie1:>
la messe au IVe siècle, en Espagne.
Duchesne ramène, avec raison semble-t-il, le type gallican
parco?séquent aussi le type espagnol qui est tout un) au type
syrienqUl nous est connu par la 23 e catéchèse de saint Cyrille de
Jérusalem (vers 347), par les Constitutions apostoliques, et les
homélies de saint Jean Chrysostome (4). Or on sait qu'en Orient
le rôle joué par le diacre pendant la messe est resté très important.

(1) Numquid autem Asae1 consolationem fratrum non meminit ...


(8. 1045 A). La phrase est obsoure, mais on peut, semble-t-il, la traduire
c0r.nme suit: Est-ce que le cas d'Asaël ne te rappelle pas que les frères
dOlvent cousoler un des leurs devenu malheureux ?
.(2) :.: ab Abn.er ... in renibus refertur esse peroussus. lu quo loco mem-
bn, vltlum fOl'mcatiouis poni, nullum puto esse qui dubitet (8. 1045 A).
(3! A la .fiu du IVe siècle le «dominicus dies ») c'est le dimanohe ... « qui
dommlco dIe studiose jejunat, non credatur catholicus. ) (Cone. Carthag.,
398) e. 64 ; cfr MA.NSI, t~ III, col. 956).
(4) L. DUCHESNE, Origines d'u culte chrétien, Se éd. p. 56-7; 89- 1 00.
I920.
16 CHAPITRE 1

En Occident au contraire, une réaction, déjà sensible dans la


liturgie mozarabe, attribue peu à peu au prêtre des fonctions
que le diacre, jadis, remplissait dans l'office divin (1). Mais au
moment où nous sommes, le rôle du diacre est encore intact.
Aussi la « lectio) dont parle Bachiarius peut s'entendre parfaite-
ment, soit de la « Prière litanique )} que le diacre développait après
l'homélie et dans laquelle il recommandait l'Église catholique, les
évêques, les prêtres, etc ... (2) ; soit, - et le mot «lectio) rend cette
hypothèse plus probable, - de la lecture des diptyques (3). La
lecture des noms (recitatio nominum), Isidore de Séville nous
l'apprend, était faite par les diacres (4). Ce n'est évidemment pas
un simple diacre qui ajoutait ou retranchait des noms. C'était
l'affaire de l'archidiacre, « du diacre de l'évêque ). En rayant
le laps'Us des diptyques, Janvier avait équivalemment divulgué
son crime. On comprend ainsi comment Bachiarius ait pu lui
reprocher d'avoir diffamé le malheureux, de l'avoir déshonoré (5).

Le plaidoyer de Bachiarius nous laisse entrevoir la physionomie


morale de cet archidiacre. Tempérament bilieux,de volonté droite,
mais d'une rigidité dénuée, semble-t-il, de bienveillance, et inac-
cessible à la pitié; intelligence lucide et pénétrante (6) mais quel-
que peu étroite; janséniste avant la lettre, il ne fait aucune
distinction entre la faiblesse et la malice, entre la corruption et

(1) On pourrait parler ici de « désorientation» de la liturgie gallicane


et espagnole. Elle dut se produire au Va ou au VIe siècle, surtout en Es-
pagne; l'influence romaine n'y fut probablement pas étrangère.
(2) L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien, 5e éd., p. IIO-III.
(3) Cfr Dom F. CABROL, art. Diptyque, dans Dict. d'archéol. chrétienne
et de liturgie, t. IV, col. 1058-1059. Paris, 1920. - Les diptyques, conte-
naient les noms des vivants, en tête desquels figurait, au moins depuis le
concile de Vaison (529), le nom du pape; il Y avait aussi les diptyques des
morts.
(4) Epist. Leudefredo ePiscopo, 8; PL, t. LXXXIII, col. 895. - Dom
CABROL, art. Diptyque, dans Dict. d'arch. chrét. et de lit., cite le témoignage
d'Innocent l (t 417) comme le premier indice de cette pratique en Occi-
dent. - Si notre interprétation de ce passage de Bachiarius est exacte,
nous pouvons conclure qu'elle était à la fin du IVe siècle déjà passée en
coutume, du moins en Espagne.
(5) Ecce prohibitur ne ... in notitiam saecularium sive hominum munda-
norum, casus fratris vel ruina seminetur ... (ro. r046 C).
(6) Non contradico perspicaciae tuae, quam ex Scripturarum volu-
minibus concepisti (4. 1040 B).
LES ACTEURS DU DRAME I7
le dévoiement; il ne soupçonne même pas que sous les appa-
rences d'un même vice peuvent se cacher l'égoïsme le plus abject
aussi bien qu'un désintéressement capable de l'héroïsme le plus
sublime. Pareil à cet empereur romain, qui s'écria en apprenant
que son fils venait d'être tué clans la bataille, «ce n'est qu'un
homme de moins ), Janvier ne voit dans le pauvre diacre, vain-
cu par le démon de la chair, qu'un misérable qu'il faut abandon-
ner. Les vertus, la bravoure, les services rendus: il ne s'en sou-
vient plus. Mais nous aimerions croire que Bachiarius exagère
lorsqu'il nous le dépeint « fier de son intégrité )}, se pavanant
au-dessus de la malheureuse victime (1).
Ce qui le rend si dur, c'est qu'il oublie par trop que même les
âmes les plus hautes peuvent avoir leurs moments de faiblesse,
et que les héros eux-mêmes sont pétris de notre pauvre boue
humaine (2). A force d'exigence, ce vertueux se montre injuste
à l'égard du malheureux diacre, qui méritait mieux que la répro-
bation pure et simple.

LE « LAPSUS »

Dans un passage de sa lettre à Himère, évêque de Tarragone,


le pape Sirice déplore l'immoralité d'une grande partie du clergé
espagnol. « Nous avons appris, écrit le pontife romain, que des
prêtres du Christ, et des diacres (levitas) en grand nombre, encore
de longues années après leur ordination, procréent des enfants
soit avec leurs épouses (3) soit avec d'autres femmes. Pour
excuser leur crime ils allèguent la prescription; ils l'appuient
sur ce fait que dans l'Ancien Testament les prêtres et les ministres
de l'autel usaient de ce droit ) (4).

(r) Primum, ut compatiaris ei qui mortuus jacet; neque elatus inte-


gritatis tuae triumpho superexcrescas eum, aut superextendas te ei, quem
repentina mors rapuit ... (7. 1043 A).
(2) Bachiarius lui rappelle cette vérité dans un mouvement très pathé-
tique : Memento, frater, quod caro sumus... Lubrica est via saeculi
hujus, glaciali iniquitate constricta ... (9. I045 B).
(3) Le canon XXXIII du concile d'Elvire imposait aux évêques, aux
presbytres, aux diacres et à tous les membres du clergé en charge, de
s'abstenir de tout commerce charnel avec leurs épouses. Cfr HEFELE-
LECLERCQ, Histoire des conciles, t. l, l, p. 23 8-2 39.
(4) Plurimos enim sacerdotes Christi atque levitas, post longa conse-
18 CHAPITRE 1

Le cas du malheureux diacre, dont parle le De lapso, éclaire


d'une lumière nouvelle la situation lamentable que déplore l'évê-
que de Rome; mais il nous prouve en même temps par la répro-
bation et l'indignation que la faute provoqua, qu'il serait injuste
de prétendre que tout le clergé était corrompu.
Le diacre dont il est question, était issu probablement d'une
famille païenne (1), riche et influente (2). Après sa conversion,
comme beaucoup de jeunes gens alors (3), il décide de se con-
sacrer à Dieu. Il quitte son père et sa mère (4) et entre dans un
monastère situé dans la solitude au-delà d'un fleuve (5). Dans ce
lieu de retraite le moine pratiqua certainement un jeûne rigou-

crationis suae tempora, tam de conjugibus propriis, quam etiam de turpi


coitu sobolem didicimus procreasse, et crimen suum hac praescriptione
defendere, quia in veteri Testamento sacerdotibus ac ministris facultas
legitur attributa (a. 385). Cfr PL, t. XIII, col. 1138 B.
(1) Les incirconcis, c'est-à-dire les hommes de ce siècle, vivant dans
le péché et le paganisme (homines hujus saeculi, in peccati sui errore et
gentilitate viventes), le disent sorti de leur milieu ... « qui (= le lapsus)
cum nostro emersisset de corpore »... Cfr 10. 1047 A.
(2) C'est du moins ce que laisse soupçonner le scandale retentissant
provoqué par la défection du malheureux. La chute d'un membre du
clergé, sans relief, n'eût pas causé un tel fracas.
(3) On peut lire deux exemples de vocation de jeunes gens dans la
Lettre Ad Theodorumlapsum de S. Jean Chrysostome (1, I7; PG, t.
XLVII, col. 303-4; 304-3°6).
(4) Au moment de la chute la mère vit encore, puisque Bachiarius
recommande à Janvier de lui interdire l'accès auprès de son fils (7. 1043 B).
(5) Cela résulte du passage suivant ... ultra Jordanem (qui symbolise
un fleuve espagnol) in solitudine, quae interpretatur angustia; id est,
cellula monasterii parva vel modica (15. 1052 A). Le monastère avait
par conséquent quelque analogie avec celui de Saint-Martin, situé près
de la Loire, non loin de Tours, dans un endroit, nous dit Sulpice Sévère,
si silencieux, si à l'écart (tam secretus et remotus) qu'on n'y regrettait
pas la solitude du désert (... ut eremi solitudinem non desideraret (Vita
S. Martini, c. la; Corp~ts script. eccl. lat., t. l, p. 120). - On sait que le
Jourdain présente cette particularité de descendre au-dessous du niveau
de la mer et de se perdre dans la Mer morte comme dans un abîme.
q jordanis, qui descensus exprimitur » (5. JÉROME, Comment. in Jonam,

c. IV, 5; PL, t. XXV, col. II46 D). Or, Isidore de Séville définit le
{( Baetis » (le Guadalquivir) de la manière suivante: « Baetis autem
dictus, eo quod humili solo decurrat. Ba(J" enim graeci, humile vel mersum
vocant» (Etymol., l. XIII, cap. XXI; PL, t. LXXXII, col. 494 B). Il
ne serait donc peut-être pas trop téméraire de situer ce monastère dans
la Bétique, près d'une ville comme Cordoue, Hispalis ou Italica.
LES ACTEURS DU DRAME I9
reux, il se montra assidu à la prière et scrupuleux observateur
des règles. Nous n'en sommes pas réduits à supposer cette ferveur :
Bachiarius y fait une allusion très nette quand il conseille au
malheureux, après sa chute, de rentrer dans le monastère témoin
de son austérité, de remonter l'échelle de vertu dont il était tombé
et de regagner le degré de sainteté où il s'était haussé jadis (1).
C'est par cette vie de prière et de pénitence que notre moine se
prépare au diaconat (2). Il devait avoir environ vingt-cinq
ans quand il fut élevé à cette dignité (3). Parmi les sept

(1) ... Scalam illam Jacob (Gen., XXVIII, 12) unde lapsus es, dum
velis ascendere, adhuc posita nondumque subtracta est: et licet in ruina
tua omnia membra colliseris, tamen iterum conare ascendere : et donec
venias ad illum gradum unde cecidisti, fortiter te serva atque custodi...
(16. 1054 B). - Saint Jean Chrysostome rappelle lui aussi à Théodore
sa ferveur d'autrefois, son mépris des aises, son assiduité à la prière, à
la lecture; son humilité qui lui faisait taire ses titres de noblesse,
et embrasser les genoux de ses frères (Ad Theodorum lapsum, 1. II, 1 ;
PG, t. XLVII, col. 310).
(2) Saint JÉROME, dans sa lettre à Rustique, conseille au futur clerc
de se préparer dans un monastère à la réception de sa dignité.
... Sancti sunt c1erici et omnium vita laudabilis. Ita ergo age, et vive
in monasterio, ut clericus esse merearis, ut adolescentiam tuam nuna sorde
commacules, ut ad altare Christi quasi de thalamo virgo procedas, ...
Cum ad perfectam aetatem veneris, si tamen vita comes fuerit, et te
vel populus, vel pontifex civitatis, in clericum elegerit, agito quae c1erici
sunt, et inter IpSOS sectare meliores (EPist. ad Rusticum, CXXV, 17;
PL, t. XXII, col. 1082). - Bachiarius nous dit clairement que le lapsus
était diacre, dans cette objection qu'il place dans la bouche de Janvier.
« C'est un lévite, celui qui est tombé, il n'y a donc pour lui aucun remède»
(... Levita est iste qui cecidit: non ei remedii potest medicina conferri)
(4- 1040 A).
(3) Concil. Carthag. III (a. 397) cano IV: Item placuit, ut ante viginti
quinque annos aetatis nec diaconi ordinentur ... (MANS!, t. III, col. 880).
- Cette règle resta longtemps en usage en Gaule: cfr Cone. A gathense,
(a. 506), cano XVI; MANS!, t. VIII, col. 327 C; Conc. Arelatense, IV (a.
524), cano I; MANS1, t. VIII, col. 626 B; et en Espagne: cfr Concil.
Tolet., II (a. 531 ?), capit. 1; MANS1, t. VIII, col. 785 B: ... Quod si...
vigesimum et quintum annum aetatis suae peregerint, ad diaconatus
officium... promoveri debent. Concil. Tolet. IV (a. 633), capit. XX;
MANS!, t. X, col. 625 D. Dans ce canon on rappelle d'abord la coutume
juive, et l'ancien usage de l'Église: In veteri lege, ab anno vigesimo
quinto levitae tabernaculo servire mandantur: cujus auctoritatem in
canonibus et sancti patres secuti sunt. On déplore ensuite l'abus qui
provenait de ce qu'on avait abandonné cet usage: Nos et divinae legis
20 CHAPITRE l

diacres (1) de la cité épiscopale (2) où il prit rang, le nouveau


dignitaire se fit vite remarquer par son austérité, sa pureté, son
intrépidité. Bachiarius, témoin de sa générosité des débuts, rap-
pelle dans sa lettre ce passé irréprochable. Oui! «je l'ai vu, écrit-
il, au milieu du combat, il luttait avec le bouclier du jeûne contre
les attraits de la gourmandise; il luttait avec la cuirasse du silence
contre les javelots et les autres traits maudits de la médisance» (3).
Il se plaît à nous faire admirer la bravoure et l'habileté de son
ancien frère d'armes. « Comme un frère, reprend Bachiarius, il a
marché avec nous contre des ennemis communs (4), il s'y est mon-
tré agile comme le cerf, aussi adroit à dépister les pièges de l'en-
nemi qu'habile à les éviter; et comme le cerf il se révéla redoutable
destructeur de serpents c'est-à-dire des puissances hostiles » (5).

et conciliorum praecepti immemores, infantes et pueros levitas fecimus


ante legitimam aetatem ... On décide enfin de revenir à l'ancienne règle ...
a viginti et quinque annis aetatis levitae consecrentur ...
(1) Concil. Neocaesareense, can. XIV: Diaconi septem debent esse
juxta regulam, licet et valde magna sit civitas (MANSI, t. II, col. 546 B).
(2) Le lapsus habitait une cité épiscopale: cela ressort du rappro-
chement des deux textes suivants: et nos passi sumus, non sal'um
ipsam quam incolit (c. à. d. le « lapsUS)l) civitatem, ... (10. 1046 C), et
le suivant ... tametsi beatissimum pontificem qui in iisdem locis cum
sacerdotibus suis divino assistit altari (17. 1055 B).
(3) Ego illum certe in praelio vidi constitutum: pugnabat cum scuto
jejunii adversus illecebras gulae: pugnabat cum taciturnitatis lorica
contra detractionis jacula et reliqua tela maledicta ... (8. 1044 B).
(4) Ecce in communes inimicos processit frater nobiscum in praelio
(2. 1038 A).
(5) Velox erat sicut cervus, id est, qui non solum perspicacia mentis,
inimici laqueos evitabat, verum etiam serpentium, hoc est, adversariarum
virtutum interfector exstitit (8. 1045 A, B). - Bachiarius, dans la der-
nière partie de la comparaison, est d'accord avec Pline. Et iis (cervis)
est cum serpente pugna. Vestigant cavernas, nariumque spiritu extra-
hunt renitentes ... (C. PLINE, Nat. Hist., 1. VIII, cap. L, nO 7). Tout ce
passage ne peut s'entendre raisonnablement de la lutte intérieure que le
religieux entreprend contre lui-même, et qui a pour champ de bataille le
monastère où il vit. Ce sont des ennemis extérieurs contre lesquels Bachia-
rius associé au diacre a eu à se défendre; il a eu fort à faire pour repousser
les calomnies et les violences. Il s'agit vraisemblablement ici de la guerre
acharnée qu'on avait menée contre les priscillianistes. L'austérité des
deux lutteurs, qui transparaît dans le De lapso, avait peut-être contribué
à les rendre suspects, Ils avaient bec et ongles, et ils s'en servaient.
LES ACTEURS DU DRAME 21

Aussi Bachiarius n'hésite pas à le déclarer le plus vaillant de


toute l'équipe (1).

Hélas! cette ferveur ne devait pas durer. Le terrible « démon


de midi » le terrassa à l'improviste (2). Jusqu'alors le diacre s'était
préservé de toute souillure (3). Aussi croyait-il sa pureté hors
de toute atteinte (4). La beauté de son corps le perd (5), la
passion lui fait tourner la tête (6) et le voilà jeté à terre.
Les diacres étaient en contact très fréquent avec toutes les
classes de la société (7). C'est peut-être au cours des visites,

(1) Nolite esse sine formidine, beatissimi tratres, fortiorem percussit


inimicus, ... (2. 1038 B). - Ce mot « fortis» comporte encore un autre sens.
Saint Jérôme appelle « fortes)l, les évêques, les prêtres, les diacres qui
n'étaient pas mariés (... omnes fortes esse non possint ? Advers. Jovin.,
1. l, c, XXXIV; PL, t. XXIII, col. 257 B, C).
(2) Bachiarius en s'adressant au lapsus, lui dit, en faisant allusion
au traitement infligé par Hanon aux serviteurs de David, que la moitié
de la barbe lui a été rasée. Or, la moitié de la barbe, c'est, d'après notre
exégète original: la moitié de la vie... dimidia et tu rasus es barba, quia si
volueris reliquo vitae tuae tempore quod tibi superest laborare ... (13. 1049
B, C). Le lapsus, au moment de sa chute, pouvait donc être aux environs
de la quarantaine. - C'est l'âge critique, où la force et les illusions de
la jeunesse s'évanouissent, et où le tempérament risque de reprendre le
dessus.
(3) ... ob hoc, credo, quod incoinquinati corporis puri tas donum ei
velocitatis indulserat (= Asaël, à qui Bachiarius compare le lapsus)
(8. 1044 C-1045 A).
(4) ... sed in illo loco in quo securiorem se arbitrabatur esse ... (8.
1044 C).
(5) ... damna inimicam tuam corporis speciem, pel' quam aut ipse decep-
tus es, aut alios decepisti (16, I053 B).
(6) ... cujus caput in messe calore percussum est, id est, principale
mentis ejus inter ipsam spei libidinis flammam concaluit (Le parallé-
lisme exigerait qu'on corrige le texte de la façon suivante... inter ip-
sam spem libidinis ftamma concaluit) (7. 1043 A); pourtant, tel qu'il
est, il est parfaitement compréhensible.
(7) « Les devoirs de leur office mettaient les diacres en relations
constantes avec toutes les classes de la société. En dehors des malades
et des personnes assistées, un monde de bienfaiteurs, de fournisseurs,
de fermiers, de solliciteurs, d'artisans, d'agents de toute sorte devaient
passer par leur intermédiaire. Tout cela nécessitait de nombreuses visites
à domicile; ce sont les assiduae stationes domesticae, dont parle l'Am-
brasiaster» (cfr F. PRA.T, Les prétentions des diacres romains, dans Recherches
de science religieuse, t. III, 1912, p. 469).
22 CHAPITRE

faites à une famille de la cité (r), que le diacre apprit à con-


naître une jeune vierge (2) consacrée à Dieu qui avait pris le
voile (3). Une affection désordonnée s'éveilla dans les deux cœurs.
Peu à peu elle dégénéra en passion. La passion enfin aboutit à une
union sacrilège. Le scandale fut épouvantable, et remplit l'univers
de ses échos (4); aussi Bachiarius, alors absent d'Espagne,
l'apprend sans tarder (5). Navré d'un pareil naufrage, il décide

(1) Il était interdit aux clercs, même supeneurs (évêques, prêtres),


de se rendre cbez les vierges, sans compagnon (Conc. Carthag., III,
c. XXV; MANS!, l. c., t. III, col. 884); mais cette défense ne portait pas
lorsque les vierges habitaient avec leurs parents.
(z) Bachiarius l'appelle « juvencula» (zo. IOS8 C). Cela peut étonner
car le concile de Saragosse exige l'âge de 40 ans, pour la prise du voile
(c. VIII; MANS!, t. III, col. 63S C). Non velandas esse virgines, quae
se Deo voverint, nisi quadraginta annorum probata aetate, quam sacer-
dos comprobaverit. - Ailleurs, comme en Afrique, on n'exigeait que
2S ans (Concil. Càrthagin., III, c. IV; MANS!, t. III, col. 880 D).
Il est possible que la vierge dont il est question ici ait pris le voile avant
la décision du concile de Saragosse. Ce sont des infidélités de ce genre qui
ont peut-être inspiré cette mesure de prudence. - Même après ce concile,
011 n'attendait pas toujours l'âge de quarante ans pour donner le voile
aux vierges. Un trait consigné dans la vie de saint Martin nous fait saisir
sur le vif comment on créait des religieuses à cette époque. Un certain
Arborius, préfet (vir praefectorius), tout heureux de voir sa fille (puella)
guérie de la fièvre par l'apposition d'une lettre de S. Martin sur la poi-
trine de l'enfant « statim puellam Deo voverit et perpetuae virginitati
dicarit; profectm;;que ad Martinum, puellam ei. .. obtulit, neque ab alio
eam quam a Martino habitu virginitatis imposito passus est consecrari»
(SULP. SÉVÈRE, Vita Martini, cap. 19, nOs 1, 2; Corpus script. eceZ. lat.,
t. l, p. lz8).
(3) Lorsque nous exposerons les idées du De lapso, nous aurons à
revenir sur cette prise du voile. Notons cependant que Bacbiarius com-
pare la vierge qui prend le voile, à Rébecca qui se couvrit d'un voile quand
elle apperçut Isaac (Gen., XXIV, 65 = 20. 1059 A). Les anciennes for-
mules rituelles de la « velatio virginum )) ne contiennent pas ce rapproche-
ment tout à fait original; elles ne font allusion qu'à une sorte de mariage
mystique (L. DUCHESNE, Orig. du culte chrétien, Se édit., p. 44S, 447 svv.
Paris, 19zo).
(4) ... et nos passi sumus, non solum ipsam quam incolit civitatem,
sed etiam tot'Um orbem famae ipsius desperatione compleri? (IO. 1046
C-D) ... enorrnis nimium et ultra staturaIU peccaminum reliquorum
gigantis forma est (Z1. 1059,B, C).
(S) Audivimus enim horrendae cladis excidium ... (1. 1037 B).
LES ACTEURS DU DRAME 23
de porter secours au naufragé (I). Au moment où il prend la plume
la situation est la suivante. Le malheureux se trouve toujours
emprisonné dans la cage (cavea) du péché (2) ; enveloppé des
«( filets» du vice (3), vaincu par l'appât de la chair (4). Il n'a pas
encore quitté sa compagne (5) et il n'est pas du tout décidé encore à
rompre l'union sacrilège, le plaisir coupable le charme toujours (6),
la perspective de devoir se soumettre à la pénitence lui fait
peur (7) ; au cas où il voudrait rompre, un proche parent de la
jeune fille menace de se venger sur lui de l'avoir déshonorée (8).
Certains lui conseillent de régulariser l'union sacrilège en la
transformant en mariage légitime (9) ; enfin au vice de la luxure
est venu se joindre la passion de la boisson (ro). M.ais ce qui mena-
ce de le fixer à tout jamais dans le vice, c'est de croire ce que
d'aucuns lui suggèrent, à savoir que sa chute est irréparable (II).
Malgré ces mauvaises dispositions, Bachiarius ne désespère pas
de sauver le malheureux. Il garde bonne opinion de son ancien
compagnon de lutte: il pense que le «( coup de passion » une fois
apaisé, l'ancien moine retrouvera sa lucidité, sa générosité,

(1) Age ergo, amice, cons urge ; et perdita inter fluctus saeculi mel'cede
atque substantia, velut naufragus ael un am tabulam, boc est, ad scientiam
te divini canonis tene ... (22. 1060 D-1061 A). - Bacbiarius n'attend pas
longtemps, car le scandale est encore assez récent. Si la faute est gigantes-
que (jam gigas est) c'est moins à cause de sa durée, qu'à cause de son énor-
mité (enormis nimium) (21. 1059 B, C).
(z) ... donec etiam recludatur in cavea ... (13. I050 B).
(3) Qui vero captus est in rete vitiorum (13. 1050 B).
(4) Donec muscipulam fornicationis evaseris ... (13· r050 C).
(S) ... fiens et lugens redde atque restitue (19. 1058 A).
(6) Sed cur, frater, adhuc jacentem te torpor delectat (15. 1053 A) ?
(7) Quid expavescis ? Quid refngis curam (16. IOS3 B) ?
(8) ... me autem l1ecesse est quotidie persecutorem saeculi formidare,
qui in me dedecus proximae suae optat u1cisci (15. 10S2 A).
(9) Veniat ille qui dicit, crimen hoc emendandum nuptiis, et de scele-
ris tanti nomine, conjugium esse vocandum (zo. IOS8 B).
(IO) Donec muscipulam fornicationis evaseris, non te ebrietatis laqueis
credas ... Bachiarius note que les deux vices vont d'ailleurs ensemble:
quia luxuria atque ebrietas, quaedam sibi in vitiorum nativitate germa-
nitas est (13. 10S0 C). Cette remarque rappelle le mot de Tertullien
« •• , Duo ista daemonia conspirata et coniurata inter se sunt ebrietatis
et libidinis)) (De spectaculis, cap. X ; Corpus script. eccl. lat., t. XX, p.
12, 1. 19, 20).
(II) ... l1equaquam in te desperatio inimica crescat, eo quod asserat
ille infidelis, lapsum non posse reparari. .. (zz. 1060 C).
CHAPITRE l

et qu'il se décidera à reconquérir par un martyre volontaire la


pureté et la sainteté qu'un moment de folie lui a fait perdre.

BACHIARIUS

Il nous reste à préciser le titre qui confère à Bachiarius le droit


de reprendre Janvier de sa sévérité et de ramener l'espoir dans
le cœur du lapsus. On aurait tort, croyons-nous, de voir dans
cette intervention la preuve d'une juridiction épiscopale.
Au moment où il rédigeait son De lapso, Bachiarius n'était pas
évêque. Lui-même l'insinue clairement quand il répond à ceux
qui l'accusent de se charger d'un rôle qui dépasse sa compé-
tence (I) ; et surtout quand il affirme qu'il se contente d'arracher
de la gueule du lion le bout de l'oreille de la pauvre victime;
laissant à l'évêque le privilège de délivrer la brebis tout entière (2).
Toute son ambition se réduit à se pencher sur le défunt pour
le réchauffer par la parole de l'Écriture et pour le ranimer en lui
rendant l'espérance (3). Le ton d'autorité et de commandement
qu'on ne peut méconnaître dans le De lapso ; ces « volo >}, « nolo )},
« quaeso >} ou des formules équivalentes (4) n'ont rien qui doive
nous surprendre chez un caractère franc, un peu rude comme
celui de Bachiarius (5). L'émotion violente qui anime tout le
morceau explique mieux encore la véhémence du langage, qui,
à y regarder de près, n'est autoritaire qu'en apparence.

(1) ... nec arguat me quispiam esse praesumptionis ... (17. 1055 A).
(z) Non est minimum, si extremam aut summam auriculam de leouis
faucibus extrahamus (Amos, III, 12) : tametsi beatissimum pontificem ...
non aliud reor quam Davidicum opus imitari ; ut quandd de grege leo aut
vrsus ovem rapuerit, insurgat adversus eum et praestrangulatis faucibus
praedam ex gutture eripiat ... (1 Sam., XVII, 34-6) (17. 1055 B).
(3) Tamen animam tu am mihi cupio sociari ... (17.1055 A) .... huic vi-
duae conjllngar ac proximem, ut auditis his, possit ,sine difficultate con-
cipere, et salutis spiritum parturire (17. 1055 B).
(4) Ne, quaeso, beatissime ... (6. lo4I C); ... Ne spernas, q~taeso,
fratrem defundum ... (7. 1042 C); Ne, quaeso, beatissime, percussum
fratrem ... relinquamus ... (8. I044 A). - Nolo, ut eum longe segreges ...
(9. 1045 D). Sed ... plangatur defundus, sepeliatur mortuus ... (II. I047B).
... interrogare te vola ... (5. 1040 B).
(5) Dans le De (ide on remarque déjà la même liberté de langage. -
Les diacres se faisaient remarquer parfois par leur franchise arrogante
(S. JÉROME, In Ezech., c. 48; PL, t. XXV, col. 484 B).
LES ACTEURS DU DRAME

Sans être évêque, Bachiarius croit cependant que d'excellentes


raisons l'obligent d'intervenir dans le débat. .
Et d'abord membre du même corps du Christ dont fait partie
le lapsus, il s'est senti frappé par la même flèche qui a tué le
malheureux (I).
A cela s'a.joute que la diacre dont il déplorait la mort spirituelle
était un moine, comme lui (2), peut-être même avaient-ils vécu

(1) Neque absque damno meo hoc accidisse dixerim malum, ubi mem-
bl'um corporis mei, diabolica sagitta percussit, cum Apostolus dicat:
« Si patitur unum membrum, compatiuntur omnia membra)) (1 Cor.
XII, 26; 1. I037 B-1038 A). On presserait trop, semble-t-il, l'expression
membr'um corporis mei, si on voulait en conclure que le diacre infidèle
était un membre soit de sa famille charnelle, soit de sa famille spirituelle,
qu'il s'agisse d'une communauté religieuse ou d'un diocèse. La citation
de saint Paul précise le sens de « corporis mei )), qui doit se traduire par
« d'un corps qui est mien )), dont je fais partie, c. à. d. du Corps du Christ.
-- Le lapsus n'eût-il été que simple chrétien, c'eût été par conséquent
pour Bachiarius une raison suffisante d'intervenir dans son cas.
(2) J. DUHR, Le «De (ide)) de Bachiarius, dans RHE, t. XXIV, 1928,
p. 7-8. - Dans un passage du De lapso, Bachiarius revendique l'antique
Joseph comme sien, à un titre spécial: Sicque etiam sextam civitatem
Sichem quam JosePh noster in haereditatem consequitur, propter quod
ibi sepultus est, valebis intrare (15. I053 A). Sur le tombeau de Joseph à
Sichem, au temps de saint Jérôme, voir: Liber Hebraicorum quaestionum
in Genesim, c. XLVIII, 6; PL, t. XXIII, col. I601.
Voici les raisons qui expliquent cette préférence curieuse:
a) Bachiarius se proclame fils d'Abraham (desiderantes Abrahae filii
fieri ... De (ide, 1. 1019 C). Il a donc comme « frères » tous les ({ patriarches )),
les descendants d'Abraham (De lapso, 4. 1040 B pour Lévi) et tout
particulièrement Joseph que Prudence appelle le « patriarcha noster))
(Cathemerin. VI, 57 svv.).
h) Joseph, le continent . le pauvre était tout naturellement regardé
comme le chef de ceux qui ont renoncé à tout (Paulin diacre, Libellus de
benedictionibus Patriarcharum, c. X, ; PL, t. XX, col. 731 A), et le Père
des saints (S. ISIDORE DE SÉVILLE, De ortu et obit~t Patru-m, c. XXIII;
PL, t. LXXXIII, col. 136 - cfr déjà PRISCILLIEN, T1'act. X; Corp.
script. eccl. lat., t. XVIII, p. 101, 1. 13-15), par conséquent des moines.
c) Bachiarius qualifie le Christ de Samaritain (De (ide, l ; PL, t. XX,
col. 10Z1); il se compare lui-même à la Samaritaine interrogée près du
puits (De (ide, l ; 1. c., I019 D), et affirme qu'il ne rougit pas d'être traité
comme un Samaritain (De (ide, 2; 1. c., 1024 B.); or Joseph avait 5011 tom-
beau en Samarie. Il pouvait être appelé par conséquent Samaritain .
d) Peut-être pourrait-on ajouter que le nom de Joseph signifie Sauveur
( ... et vocavit eum lingua aegyptiaca Salvator m'btndi) (Gen., XLI, 45).
Bachiarius pouvait donc dire «Josephnoster)), comme il dit « David noster.
pour • Christus noster)) (De lapso, 13; 1. c., r050 A; 19. 1058 A).
26 CHAPITRE l

ensemble pendant quelque temps dans le même monastère (1) ; de


plus il était probablement diacre comme lui (2). Enfin il se
rappelait encore les durs combats qu'ils avaient livrés ensemble
(3). Il Y avait appris à estimer et à aimer 1'ardent et l'habile lut-
teur. On comprend aisément que dans ces conditions Bachiarius
ne puisse pas se taire, et qu'il soit décidé à mettre tout en œuvre
pour sauver un malheureux dont il déplore la chute (4), un ami
qu'il aime toujours malgré tout, et un soldat qui peut redevenir
ce qu'il avait été jadis.

e) Il n'est pas impossible enfin que Bachiarius ait voulu marquer que
Joseph était bien chrétien, contre des païens qui essayaient de l'accaparer
en l'assimilant à Sérapis (cfr FIRMICUS MATERNUS, De errore prolan. relig.,
c. XV; PL, t. XII, col. IOII SVV.).
(1) C'est du moins ce qui semble résulter de la manière toute naturelle
dont Bachiarius s'offre à reconduire le lapsus dans son ancien monastère
et d'y séjourner avec lui: ... manda; et ego ad ducendum te sine dilata-
tione properabo (16. 1054 C).
(2) Tillemont, dans ses Mémoires (t. XVI, p. 475), conclut de l'inter-
pellation « beatissime frater)), adressée par Bachiarius à Janvier, que le
premier était au moins du même rang que le second. Cette argumentation
ne vaut pas, puisque dans le De (ide Bachiarius interpelle de la même ma-
nière saint Jérôme, qui était prêtre. Mais peut-être trouvons-nous un
indice plus sérieux de sa dignité dans le fait que Bachiarius en s'adres-
sant à Janvier appelle le lapsus « notre frère» (ne, quaeso, beatissime,
tratrem nostrum in profundo putei ... demersum, ... 6. 1041 C). Or, Janvier
et le diacre sont frères parce qu'ils sont tous les deux lévites (Et tu ex
tribu Levi es ... Levita est iste qui cecidit. .) (4. 1039 C-I040 A). - Une
allusion plus nette au diaconat de Bachiarius se trouve dans le De (ide.
En parlant des évêques, Bachiarius ajoute cette relative « quibus (episco-
pis) capita pro sancti(icatione submittim~!s » (7. 1035 B). Or, dans le De lctpso
le même auteur réserve précisément ce mot sancti(icatio à l'ordination
des diacres, et l'oppose à la consecratio de l'évêq\w ... adhuc nec levitae
$ancti(icati erant, nec pontifex consecratus .. (4- 1040 B). - Le « capita ...
submittimus )) se comprend parfaitement de l'imposition des mains faite
par l'évêque, telle que la prescrit, par ex., le IVe concile de Cartbage,
cano IV: Diaconus cum ordinatur, sol'us episcopus, qui eum benedicit,
manum super caput illius ponat ... (MANSI, t. III, col. 951). - Le « sub-
mittimus» nous rappelle le conseil que Commodien donne précisément
aux diacres ... « Rebus in diversis exemplum date parati; - Inclinate
caput vestrum pastoribus ipsi)) .. (COMMODIEN, Instruct., lib. II, cap.
XXVII, dans Corpus script. eccl. lat., t. XV, p. 97).
(3) Ecce in communes inimicos processit frater nobiscum in praelio ...
(2. r038 A).
(4) Hoc, dilectissime frater, tui amore et dolore compulsus ... (23.
1062 B).
LES ACTEURS DU DRAME

Mais indépendamment de ces raisons, il fallait à tout prix faire


cesser un scandale dont les échos remplissaient l'univers et dont
riaient les hommes du monde et les païens, tout en y trouvant
l'excuse de tous leurs vices (1).

(1) Hi ergo exhilarantur, cum audiant ruinam militis Christi, vel ex


illiusse consolantur opere dicentes ... (10. I047 A).
CHAPITRE II

LA DATE DE LA LETTRE

1. LE TERMINUS {( POST QUEM )

1. - Dans l'œuvre tpistolaire de saint Jérôme, nous trouvons


une lettre écrite à un certain Sabinianus diacre (r). Fuyant
l'Italie, ce personnage avait abordé jadis en Palestine et s'était
fait moine. Il avait l'air sérieux, pieux, austère. Il se gardait bien
de dire qu'il était venu chercher dans l'oubli du cloître un asile
sûr contre les vengeances d'un mari outragé. La vie édifiante
du début ne dura guère. Bientôt la passion de la chair le res-
saisit; il s'éprend d'une vierge consacrée au Christ, et pousse
l'impiété jusqu'à utiliser la grotte de la Nativité pour ses

(1) Epist. CXLVII; PL, t. XXII, col. II95-1204. - Dom DE BRUYNE,


dans un article publié dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissen-
schaft (I929, t. XXVIII, p. 232-234), considère cette lettre, à l'encontre
du P. Cavallera (Saint Jérôme, t. I, p. I72, Paris 1922), comme une
fiction. Les raisons tirées uniquement des invraisemblances qui s'y trou-
veraient accumulées ne nous convainqUent pas. Ce qui serait, à notre avis,
infiniment plus invraisemblable que ces invraisemblances, c'est que saint
Jérôme, dans le seul but d'exercer sa plume, se soit amusé à inventer
de toutes pièces une histoire aussi saugrenue. Le texte tiré de la lettre LXXXI
adressée à Rufin en 399, ... poteram et ego, qui saepissime figuratas con-
troversias declamavi, aliquid de vetere artificio repetere, et tuo te more
landare (PL, t. XXII, col. 735), ne prouve rien dans l'occurrence.
Saint Jérôme. en effet, fait allusion à un vetus artificium, qui s'entend
beaucoup plus naturellement d'exercices de style pratiqués jadis dans les
écoles de rhétorique où il s'étaitformé (F. CAVALLERA, Saint Jérôme, t. l, p.
9). Quant à la lettre CXVII, que déjà le P. Cavallera signalait comme « une
déclamation dictée par saint Jérôme, pour s'exercer au beau style ) (1. c.,
t. I, p. 308), elle ne témoigne évidemment ni pour ni contre la fiction
de la lettre CXLVII. - L'usage d'ailleurs que nous ferons de cette dernière
dans notre argumentation fait abstraction de son contenu vrai ou faux.
Ce qui nous importe, et personne ne le met en doute, c'est qu'elle ait été
composée en Palestine.
tA DATE DU «DE LAPSO » 29
entreprises. Une tentative d'enlèvement échoue heureusement,
grâce à la vigilance de la supérieure. Voilà l'individu que Jérôme
entreprend de ramener au repentir.
Or, entre cette lettre de saint Jérôme et celle de Bachiarins,
des rapprochements s'imposent:
a) Et d'abord l'allure générale du style; le langage direct et
vivant qui interpelle, objecte, interroge, commande; les procédés
littéraires aussi bien que les exégèses les plus inattendues appli-
quées aux textes scripturaires accumulés à plaisir, se retrouvent
dans les deux morceaux si pareilles qu'un lecteur non prévenu
risquerait de prendre la prose de Bachiarius pour celle de saint
Jérôme (r).
b) Même ressemblance dans les idées:
1. Saint Jérôme aussi bien que Bachiarius rappellent à leurs
correspondants respectifs, les surprises de la mort pour les amener
à se repentir, sans tarder.
... Propterea elatus es in super- Ac forsitan suggesserat tibi ûle
biam, et vestimentum tuum est sapientior omnibus bestiis et con-
facta luxuria, et quasi ex arvina siliator antiquus (Gen. II l, I),
pingui et quodam adipe eructans quia possis istam paenitentiam
verba mortifera, non te resPicis .. .in senectute agere, et nunc
esse moritt1ntm, nec unquam post jamem desiderii tui sub conjugii
exPletam libidinem, paenitentia nomine satiare. Sed tu ne extin-
remorderis. guas evangelicam scintillam hu-
(EPist. CXLVII, 2; PL, t. more vitiorum, quae de illo
XXII, col. II96.) totius libri igne proeedit, ubi ait
(La même idée se trouve dé- « Stulte, hac nocte exposeetur
veloppée dans le n. 3 de la lettre.) anima tua a te » (Luc, XII, 20) ...
(20. IoS8 A, B.)
z. Les deux recommandent pareillement aux coupables de ne
pas irriter Dieu par leur obstination dans leur péché.
Si enim ei ignoscitur post pee- N 010 offensam Dei provoces
catum, qui peecare desistit, et atque multipliees ... quomodo me-
ille fleetit judieem qui rogat: rebitur veniam, quod veluti in-
impaenitens autem omnis ad ira- sultans Deo et ejus judicio,
cundiam provocat judicantem ... publiee tibi coeperis vindicare?
(l. c. 3; PL, t. XXII, col. II98.) (13. !Oso A.)

(1) Comparer en particulier saint JÉROME, Epist. CXLVII, 9; PL,


t. XXII, col. 1202 et BACHIARIUS, De lapso, 14; PL, t. XX, col. I050C-
1°51 A.
CHAPITRE 1

3. Tous deux font appel à la sainte Écriture pour inculquer


aux désespérés l'espoir et la confiance.
Liber ille, quem Propheta devo- ... et perdita inter fiuctus sae-
rat, omnis series scripturarum est. cuH mercede atque substantia,
In qui bus et paenitens plangitur, velut na,ufragium in unam tabu-
et justus canitur, et maledicitur lam, hoc est, ad scientiam te
desperanti. divini canonis tene, quae te addu-
(1. C., 3 ; PL, t. XXII, col. II98 .) cat ad Httus ...
(22. 1060 D - 1061 A.)

4. Tous deux proposent aux diacres infidèles un traitement


identique:
Hortatus sum ut ageres paeni- . .. per omnem mortem consti~
tentiam, et in cilicio et cinere volu- tuas te Deo. Ingredere monasterii
tareris, ut solitudinem peteres, ut tui carcerem, et tenebras solitu-
viveres in monasterio, ut Dei dinis ... exquire.
misericordiam jugibus lacrymis (16. 10S4 A.)
implorares.
(1. C., 8 ; PL, t. XXII, col. 120r.)

S. Tous deux s'offrent à partager l'expiation qu'ils conseillent.


Quid neglecto vulnere proprio, ... Ecce, frater, ... si quid in-
alios niteris infamare? . . . Es- felicitati meae cre dis , spondeo
to, ego fiagitiosus sim, ut vulgo secundum misericordiam Domi-
jactitas, saltem mecum age pae- ni, hujus me laboris quam suadeo,
nitentiam; criminosus, ut simulas, velle esse participem : consortium
imitare lacrymas criminosi. vero tuum, cupidus salutis tuae
(l. c. 9 ; PL, t. XXII, col. I20r.) non solum ingero, sed etiam offero.
(17. 10S4 B, C.)

c) Jérôme et Bachiarius utilisent les mêmes exemples scriptu-


raires.
I. Le bon Samaritain.

Quamvis de Ierosolymis des- Magister noster a latronibus


cenderis, et sis in itinere vul- vulneratum, non solum cura di-
neratus, inde te Samaritanus im- gnum judicat verum etiam ad
positum jumento, curandumque stabulum suum et ovile restituit ...
ad stabulum referet. (9. 1 0 45 C.)
(EPist. CXLVII, 9; PL, t.
XXII, col. 120~.)
LA DATE DU « DE LAPSO » 31

2. Lazare, le frère de Marthe et de ]0.1[arie.


Sed et si mortuus jaces in Solet Christus de tali sepulcro
sepulcro, tamen et foetentem Do- mortuos suscitare ...
minus suscita bit. (II. 1048 A.)
(EPist. CXLVII, 9; PL, t.
XXII, col. 1202.)

3. Thamar et Absalom.
Quid postquam Thamar virgi- Imitare ilium Amnon Davidis
nem frater et consanguineus pol- filium (II Reg. XIII, 15 sqq.).
luisti, versus in Absalom, occi- Qui CUln in sororis suae stuprum
dere eum cupis ... illicita fiamma caluisset, post-
(l. C., 9; PL, t. XXII, col. 1202.) modum eam magis exosus est,
quam antea amaverat, et pro hoc
facto occisus est a tratre, ...
(13. 1050 B.)
4. Saül:
.. .cum et Deum paeniteat,quod Ille nuntius Saulis mortis (II
Saul in regem unxerit (1 Reg. 15). Reg. l, 2 sqq.) ... illum (David)
(1. C., 4; PL, t. XXII, col. suo gladio peremit .. .
II98.) (10. 1046 B.)

S. Caïn.
Quod ad Caïn dictum est, tibi Quid vero ille fratricida, cui
dictum puta ... ob hoc signum dominus mandat
(l. c. 9; PL, t. XXII, col. imponi. .. (3. 1039 B.)
1202.)

6. Les deux lettres font allusion à l'amphithéâtre.


Hocplango, quod te ipse non Qui vero captus est in rete
plangis, quod te non sentis mor- vitiorum, et patienter ImmlClS
tuum ; quod quasi gladiator para- suis, hoc est, venatoribus acqui-
tus libithynae, in proprhtrn tu- escit, donee etiam rec1udatur in
nus ornaris. cavea, et ibi longo temporis spa-
(1. C., 8 ; PL, t. XXII, col. 120r.) tio saginetur ad pompam; tum
maxime principalibus saeculi,
cum occisus fuerit, placiturus est.
(13. 10S0 C.)

d) Les deux écrivains se rencontrent enfin dans l'emploi des


mêmes mots, des mêmes expressions.
32 CHAPITRE II

1. ... Non enim sani opus habent Ut quid, rogo, medicus noster .. .
medico ... (1. c. 3 ; PL, t. XXII, constituit genera pigmentorum .. .
col. Iog7.) (3. 103 8 B.)
... N umquid medicus non est
in Galaad ...
(1. 1037 A.)

2.... Non enim sani opus ha- Porrige manum tuam iacenti
bent medico, sed male habentes fratri. .. (9. 1045 B.)
(Luc., V, 31), iacenti manum por- . .. stolas suas et candidas eas
rigo, et conspersum in sanguine fecerunt in sanguine Agni ... (22.
suo, ut propriis fletibus lavet~w, 1062 A.)
exhortor. Et tu ergo lava stolam tuam in
(I. C., 3; PL, t. XXII, col. II97·) fonte lacrymarum ... (23. 1062 A.)

3 ... .solum desperationis crimen ... nequaquam in te desperatio


est, quod mederi nequeat. inimica crescat... ideo non remit-
(1. C., 3 ; PL, t. XXII, col. II9 8.) titur ei, quia non crediderit Do-
minum reddere sibi posse quae
perdidit. (22. 1060 C.)

4 .... et fracto navigio tab1ûam, . .. et perdita interfluctus s~e­


per quam salvari poterat, non culi mercede atque substanha,
retentat ... velut naufragus ad unam tabu-
(/. C., 3 ; PL, t. XXII, col. II97)· lam". tene ... (22.1060 D-I061 A.)

5. Non indiges sumptibus; non ... evadere... de hac plaga ?


Plaga forti percuteris ... (10. 1046 B.)
(1. C., 2 ; PL, t. XXII, col. II96.)

6.... qui non vis erigi post nti- ... In ruina tua omnia membra
nam, nec oculos ad caelum levas ... colliseris... (16. 1054 B.)
(1. C., 1; PL, t. XXII, col. II95·) ... ruina seminetur ...
(10. 1046 C.) .
... qui de humili labitur, levlOr
est ruina ... (22. 1061 B.)

7. . .. nec oculos ad caelum levas .. .erige oculos quos conscientiae


(/. C.,1. PL, XXII, II95.) pudor inclinavit ... (14. r050 C)
Quid incurvus terrae haeres, ... qui confusus pudore peccah,
et totus in caeno jaces ? (/. C., nec erigere se nec oculos audet
9; PL, t. XXII, col. 1202.) attoUere (9. 1045 B.)
LA DATE DU (< DE LAPSO »
33
8. Secundum autem duritiam ... non insultes ei, cujus iram
tuam et cor impaenitens, thesau- sustentare non poteris.
rizas tibi iram in die irae (Rom. (18. 1055 C.)
II, 5). (/. c., 1; PL, t. XXII,
col. II95.)

9. . .. qui te rebellantem Plan- ... plangatur defunctus, sepelia-


git et mortuum ? tur mortuus ...
(1. c., 9; PL, t. XXII, col. 1202.) (II. 1047 B.)
10. " .non possum tibi ingerere ... consortium vero tuum ... non
quae scripsisti. solum ingero, sed etiam offero ...
(/. C., 7; PL, t. XXII, col. 120L) (17. 1054 C.)

Les rapprochements que nous venons d'établir sont tels, à notre


avis, qu'on peut raisonnablement en conclure que l'un s'est
inspiré de l'autre. Nous concédons bien volontiers que la similitude
du sujet traité devait avoir comme conséquence naturelle une
certaine similitude dans l'expression; mais il suffit de comparer,
par exemple: le De lapsu virginis, de Nicétas de Rémésiana
à la lettre de saint Jérôme, pour se rendre compte que des
idées communes peuvent s'exprimer dans un style différent.
La différence est d'autant plus curieuse que le De lapsu virginis,
comme nous le montrerons plus loin, dépend du De lapso de
Bachiarius.
Il faut noter, en outre, que saint Jérôme donne longuement des
précisions sur la conduite de son diacre infidèle, et que sur douze
paragraphes, il n'en reste que six (l, 2, 3, 8, 9, 12) qui développent
des thèmes plus théoriques et plus généraux. Pour retrouver tant
de pensées, tant de mots, tant d'expressions semblables en si
peu de pages, il faut ou que Jérôme ait puisé dans leDe lapso, ou
que Bachiarius ait lu la lettre de saint Jérôme .
C'est cette dernière hypothèse que nous adoptons. La raison
extérieure est obvie. On ne voit pas comment, avant 385, le De lap-
so aurait pu parvenir jusqu'en Palestine; tandis que nous savons
par la correspondance de Jérôme avec Lucinius qu'en Espagne,
les écrits du moine de Bethléem étaient copiés, lus et goûtés
dès qu'ils paraissaient. Il est donc beaucoup plus vraisemblable
que l'ascète espagnol, qui était grand liseur, et qui connaissait
de près la valeur exceptionnelle de saint Jérôme, se soit inspiré,
dans une occasion analogue, de la lettre du moine de Bethléem.

3
34 CHAPITRE II

La critique interne des deux morceaux conduit au même ré.


sultat. Saint Jérôme ne fait visiblement pas de littérature; il
jette sur le parchemin ce que l'indignation ou le cœur lui dicte.
Les phrases, courtes, précises, serrées, jaillissent de la plume du
grand exégète comme des étincelles. « Je t'en supplie, aie pitié
de ton âme. Crois au jugement futur de Dieu. Souviens-toi
quel est l'évêque qui t'a ordonné diacre» (/. C., 4; PL, t. XXII,
col. II9 8). Mais voici qu'il s'arrête dans son exhortation véhé-
mente, le sourire blasé du malheureux le paralyse. « Je vois bien
que tout cela te paraît ridicule, à toi qui te complais dans les
comédies, les poètes lyriques et les mimes de Lentulus» (1. C.,
3; PL, t. XXII, coL II97) ; puis il s'efforce avec une nouvelle
virulence de le faire rougir de son crime et de l'amener à se repen-
tir. Dans le De lapso nous ne retrouvons pas ce jaillissement;
tout est au contraire ordonné, étudié, calculé. Les phrases sont
rythmées, les métaphores sont naturelles et admirablement sui-
vies, rien n'est laissé au hasard de l'improvisation. Pour juger
de la différence des deux auteurs je ne veux citer que deux
exemples. Saint Jérôme écrit: « Tu veux tuer celui qui te pleure,
rebelle et mort ».... « qui te rebellantem plangit et mortuum» ?
(1. C., 9; PL, XXII, col. 1202). Bachiarius s'empare de cette idée;
mais il ne se contente pas de nous montrer le pécheur mort,
il nous fait assister à l'embaumement et à l'ensevelissement
du cadavre moral (II. 1047 B-1048 A). Jérôme encore fait allu-
sion au bon Samaritain (/. c. 9; PL, t. XXII, col. 1202). Bachia-
rius montre en Jésus le bon Samaritain, mais de plus, il engage
Janvier à suivre cet exemple. « Et toi aussi relève (collige) le frère
que le diable, le brigand, avec la foule de ses satellites, a frappé;
présente-le à l'hôtelier, c'est-à-dire au bienheureux évêque qui,
pour sa peine, recevra du Seigneur une plus ample récompense (1).
Ainsi tout plaide pour l'antériorité de saint Jérôme.
Puisque la lettre de saint Jérôme a été écrite en Palestine, donc
après l'année 385 (2), le De lapso se place après cette date.
z. Dans la partie qui s'adresse directement aU lapsus nous ren-
controns un personnage que j'appellerai volontiers son mauvais

(1) 9. 1045 C.
(2) Nous ignorons malheureusement la date précise de cette lettre.
Cfr F. CAVALLERA, Saint Jérôme, t. II, p. 159: «Lettre CXLVII, de date
inconnue, à Sabinien». - L'établissement définitif de saint Jérôme en
Orient, date de la fin de l'année 385 (F. CAVALLERA, op. cit., t. II, p. 156 ).
LA DATE DU « DE LAPSO » 35
génie, qui le menace de sa vengeance au cas où il abandonnerait
la compagne de son crime (1), qui lui conseille de transformer le
concubinage en un mariage légitime, qui lui inspire enfin le dé-
sespoir en lui montrant que tout repentir, tout retour est impos-
sible. Voici les textes: ... « me (c'est le lapsus qui objecte) autem
necesse est quotidie persecutorem saeculi formidare, qui in me
dedecus proximae s'uae optat ulcisci» (2).
... « Veniat ille qui dicit, crimen hoc emendandum nuptiis, et
de sceleris tanti nomine conjugium esse vocandum» (20.
1058 B). - Enfin le dernier... « nequaquam in te desperatio
inimica crescat, eo quod asserat ille infideZis, lapsum non posse
reparari... » (22. I060 C).
D'après ces phrases, le signalement de ce redoutable personnage
est le suivant:
Il est d'abord un « très proche parent» de la vierge infidèle.
Tillemont conjecture qu'il s'agit vraisemblablement du père de la
malheureuse (3).

(1) 15. 1052 A. - La phrase est amphibologique. Le sens obvie semble


être le suivant: « Tous les jours j'ai à redouter un persécuteur mondain,
qui désire venger sur moi le déshonneur de sa proche parente». - Mais
pareille interprétation ne cadre en aucune manière avec l'ensemble du
passage. En effet, dans ce cas, loin d'être difficile, voire impossible, comme
le lapsus le prétend, la séparation serait facile; car en se séparant de la
malheureuse, il n'aurait plus à redouter aucune vengeance, et il n'aurait
pas besoin de se garer dans les cités de refuge que Bachiarius lui indique.
Il faut donc commenter le passage de la façon suivante: « Si je venais
à me défaire de cette union scandaleuse, en laissant ainsi la jeune fille
dans le déshonneur, j'aurais à redouter tous les jours la vengeance de
son « très proche parent ». - Ce sens est d'autant plus nécessaire que ce
même individu, comme nous le voyons par les textes suivants, non seule·
ment ne s'oppose pas à l'union, mais au contraire pousse au mariage
des deux coupables.
(2) « Proximae suae ». - Le mot « proximus» s'emploie pour désigner
la parenté à tous les degrés. Dans un passage de la vie de saint Martin,
écrite par Sulpice Sévère, le terme désigne le frère et l'oncle (Vita Mar-
tini, cap. 20, nO 4, 6. Cfr Corpus script. eccl. lat., t. l, p. 129). En général
il s'emploie pour tous ceux qui sont intimement unis par le sang, l'affi-
nité, l'amitié (cfr FORCELLINI, au mot proximus dans Totius Zatinitatis
lexicon, t. III, p. 539). Bachiarius utilise le verbe « proximare » dans le
sens de rapports conjugaux .... «huic viduae conjungar ac proximem »
(17. 1055 B).
(3) ... « on conseilloit à ce moine d'épouser celle qu'il avoit violée,
(peut estre aussi pour éviter) les poursuites que le père irrité par l'injure
de sa fille, fais oit contre lui» (TILLEMONT, Mémoires, t. XVI,p. 474).
CHAPITRE n

Il est en second lieu un laïc « persecutor saeculi » (1) ; un homme


qui non seulement vit dans le monde mais suivant les maximes
du monde (2). Il ne s'inquiète ni de Dieu ni de la loi morale.
Enfin il est un « infidelis », c'est-à-dire un homme qui a failli
à ses engagements, tout particulièrement à ceux de son bap-
tême (3) et qui est retourné aux désordres auxquels il avait
renoncé lors de sa conversion (4)·
Cet homme est manifestement violent; il use de la menace
autant que de la persuasion pour fixer le malheureux diacre
dans son union sacrilège.
Enfin le drame se passe dans une région où la lutte contre les
priscilliens avait été ardente (5), en Bétique par exemple.
Or, tous les traits de ce signalement se retrouvent dans un

(1) Prudence désigne par judex saeculi, un juge laïc (PeristePh. X,


386; PL, t. LX, col. 477) de même SULPICE SÉVÈRE, Chron., 1. II, c. 50,
5 ; Corpus script. ece!. lat., t. l, p. 103, 1. 20.
(2) Bachiarius emploie le mot dans ce sens... Filii enim incircum-
cisorum qui sunt nisi homines h%jus saeculi, in peccati sui errore et gen-
tilitate viventes (10. 1047 A) ?... neque in finibus Ascalonis, hoc est,
in notitiam saecularium sive hominum mundanorum (10. 1046 C). - Cfr
aussi saint JÉROME, Epist. CXVII, 4; PL, t. XXII, col. 955. Quod si
ferre non potes et delicias ejus fugis: atque (ut hoc vulgo solet dici)
saecularis est IIJ,ater ...
(3) Le mot infidelis est opposé à orthodoxe; comme le mot gentilis
à ehristianus (cfr Conc. d'Elvire, c. XVI; MANS!, t. II, col. 8 D; et BAC HIA-
RIUS, De fide, 2; PL, t. XX, col. 1022 = province soupçonnée d'hérésie).
(4) Priscillien nous décrit les désordres dont lui et les siens s'étaient
dégagés en se convertissant. « Ad haec enim, ut ipsi novistis, peractis
omnibus h%manae vitae experimentis et malorum nostrorum conver-
sationibus repudiatis, tamquam in portum securae quietis intravimus ...
et repudiatis prioris vitae desideriis, in quibus erubescebamus ... inanem
saeculi gloriam respuentes ... » (Tract. l, 2; dans Corp%s script. eccl. lat.,
t. XVIII, p. 4-5). Dans le Tractatus II il revient sur ce même passé ...
« sordidentes saecularium actuum tenebras respuentes totos nos dedis-
semus (c'est-à-dire lui avec tout le groupe qui s'était attaché à lui) Deo ».
(Tract.II, 41 ; Corpus script. eccl. lat., t. XVIII, p. 34-35). Puis indirecte-
ment il nous décrit la vie nouvelle adoptée par lui et ses amis .... « nec
probibere si quis contemptis parentibus, liberis, facultatibus, dignitate
et adhuc et anima sua deum malluerit amare quam saeculum... (1. c.,
43; Corpus script. eecl. lat., t. XVIII, p. 36). Cette vie comprenait par con-
séquent la renonciation à la famille, à la fortune, aux enfants, aux
hommes, à sa propre âme, à tout esprit du siècle et du monde.
(5) Le lapsus, nous l'avons vu, avait pris une part très active dans ce
combat (cfr supra, p. 20).
LA DATE DU « DE LAPSO » 37
individu que saint Jérôme, dans son De viris, classe parmi les amis
et les compagnons de lutte de Priscillien. Relisons le texte du
grand Dalmate. « Tiberien de la Bétique, pour écarter de lui le
soupçon d'hérésie et spécialement de priscillianisme, écrivît une
apologie dans un style ampoulé et fleuri (I). Mais après le massacre
de ses compagnons (2), vaincu par les souffrances de son exil,
il modifia sa vie; suivant le langage de la sainte Écriture,
« il retourna à son vomissement », et maria sa fille consacrée au
Christ» (3). Il suffit de lire cette notice de saint Jérôme pour se
convaincre que les qualificatifs de « persecutor saeculi », et
d' « in:fi.delis » conviennent parfaitement à cet ancien défenseur de
Priscillien. Aussi nous paraît-il probable que le « proximus »
du De lapso s'identifie avec Tibérien.
Pareille affirmation étonnera sans doute plus d'un historien.
Ils y verront des difficultés, des invraisemblances. Ils objecteront
en premier lieu qu'un scandale de mœurs qui a lieu en Espagne
pouvait être difficilement connu par le solitaire de Bethléem. -
Bachiarius leur répond en affirmant par deux fois, de la façon
la plus formelle, que les échos de ce crime, avaient rempli
le monde (4). Or, et ceci est à noter, celui qui écrit n'est
pas un oriental porté aux exagérations; c'est un auteur
positif, précis, net, qui garde toujours le sens des réalités (5).

(1) PRISCILLIEN semble faire allusion à cette apologie dans son Tractatus
l (dans Corpus script. ece!. lat., t. XVIII, p. 3) ... quamvis frequentibus
libellis locuti fidem nostram hereticorum omnium docmata damnaveri·
mus et libello fratrum nostrorum Tiberiani, Asarbi et ceterorum ...
(2) Il s'agit du drame de Trèves en 385. - Sulpice Sévère nous apprend
que Tibérienprésent, avait été épargné, mais pour être exilé dans l'He
« Sylinancim» (îles Sorlingues ?) (SULPICE SÉVÈRE, Chron., II, cap. SI ;
Corpus script. ece!. lat., t. l, p. I04, 1. 13) ... Tiberianus ademptis bonis
in Sylinancim insulam datus.
(3) Tiberianus Baeticus scripsit, pro suspicione qua cum Priscilliano
accusabatur hereseos, apologeticum tumenti compositoque sermone,
sed post suorum caedem, taedio victus exilii, mutavit propositum et
iuxta sanctam scripturam « canis reversus ad vomitum suum », filiam,
devotam Christo virginem, matrimonio copulavit (De vil'. inl., c.
CXXIII, éd. BERNOUILLI dans Texte und Untersuch., t. XIV, p. 53).
(4) ... sed etiam totum orbem famae ipsius desperatione compleri ?
(IO. 1°46 C. D. ; - cfr aussi 21, I059 B).
(5) Dans le De fide, nous avons eu plus d'une fois l'occasion d'insister
sur l'exactitude et la précision des termes que Bachiarius emploie. Dans
le De lapso nous retrouvons partout la même précision.
CHAPITRE II

De plus, n'oublions pas que Jérôme avait en Espagne des cor-


respondants - comme ce Lucinius de Bétique (1) - empressés
à le mettre au courant des événements heureux ou malheureux.
Voici une seconde difficulté. Si saint Jérôme faisait allusion
au même fait qu'à celui qui a pour objet le De lapso, il n'eût pas
manqué de relever ce qui aggravait singulièrement le cas de
Tibérien : à savoir le fait d'avoir marié sa fille, consacrée à Dieu,
non pas à un individu quelconque, mais à un diacre. - Ceci n'est
pas exact, et Bachiarius lui-même nous en est garant. En effet,
ce n'est pas le mariage qui était défendu aux diacres par les ca-
nons du concile d'Elvire, mais l'usage du mariage (2). Pas une
seule fois l'ascète censeur ne fait la moindre allusion au diaconat
pour détourner le malheureux d'une union impossible; son argu-
mentation se résume de la manière suivante: une vierge qui a reçu
le voile s'est unie à un Époux éternel qui ne la répudiera jamais;
toute union subséquente sera pour elle, non seulement sacrilège
mais invalide. Ce même raisonnement nous le trouvons utilisé
par saint Jean Chrysostome dans sa lettre ad Theodorum lapsum
et par Nicétas de Rémésiana dans l'ad Susannam lapsam.
Mais enfin, dira-t-on encore, pourquoi Bachiarius désignerait-il
le père de cette jeune fille par le mot vague de «proximus » ? -
S'il est difficile de fixer avec certitude les raisons psychologiques
qui déterminent le choix dès mots et des expressions chez tel
ou tel auteur, il nous est possible, du moins dans le cas présent,
de les conjecturer avec une probabilité suffisante. Le mot « pro-
ximus» était dicté par la discrétion autant que par la prudence.
Ceux qui étaient au courant des événements n'avaient pas besoin
d'indications plus précises pour discerner le conseiller coupable, et
pour les autres, qu'avait-il besoin de révéler tous les dessous du
drame? Bachiarius est partisan de la plus stricte discrétion, même
pour le crime du lapsus (3). Parler d'une façon plus explicite,

(1) TILLEMONT, Mémoires, t. XII, p. 158 svv. - La lettre LXXI est


datée par CAVALLERA de l'année 398 (Saint Jérôme, t. II, p. 160); elle
suppose que les deux correspondants se connaissaient depuis longtemps.
(2) Cone. d'Elvire, c. XXXIII. Placuit in totum prohiberi episco-
pis, presbyteris et diaconibus ... abstinere se a conjugibus suis, et non
generare filios; quicumque vero fecerit, ab honore clericatus extermi-
netur (MANSI, t. II, col. II C).
(3) Et nos ergo, secundum quod meretur, corpus illius contegamus
(II. 1047 C).
LA DATE DU (, DE LAPSO »
39
c'eût été provoquer la colère du coupable et aggraver inutile-
ment le scandale déjà considérable.
Nous pourrions multiplier les difficultés. Il n'en est aucune qui
ne trouve une solution suffisante. Il reste donc probable que le
père de la vierge coupable est le Tibérien que Jérôme, dans son
De viris, nous fait connaître.
Il est vraisemblable que Tibérien, condamné à Trèves en 385
et envoyé en exil, ne revint en Espagne qu'après la mort de Ma-
xime, c'est-à-dire après 388. Bachiarius par ailleurs nous laisse
entendre que la chute a mis un certain temps à se préparer. Le
scandale a pu ainsi se produire aux environs de l'année 390. -
Le De lapso se placerait de ce fait, après cette date.

3· - L'Adversus Jovinianum, daté de l'année 393 (1), nous


fournira peut-être une dernière précision. Le De lapso offre avec
le traité de saint Jérôme des similitudes indéniables. Nous y
rencontrons a) des mots, des expressions identiques; b) des exem-
ples bibliques tout à faît pareils, enfin c) des idées et des manières
d'argumenter analogues.

a) LES MOTS ET LES EXPRESSIONS.

S. Jérôme. Bachiarius.
In joribus evangelii, Anna fllia Ecce in ipsius introitu scholae
Phanuelis univira inducitur, sem- (îl s'agit de la sainte Écriture)
perque jejunans ... occurrunt illi duo auctores semi-
(Adv. Iovin., II, 15; PL, t. nis carnalis.
XXIII, col. 309 B.) (3. 1039 A.)

Igitur cum per has portas (des Reaediflcentur ergo per tropo-
sens), quasi quidam perturba- logias nominum claustra porta-
tionum cunei ad arcem nostrae rum, Restruatur ... porta probatica
mentis intraverint... (ouïe) .. porta piscatoria (vue) '"
(Adv. Jovin., II, 8; PL, t. (18. 1056-7.)
XXIII, col. 298 A.)

(1) F. CAVALLERA, Saint Jérôme, t. II, p. 157 ; cfr aussi t. l, p. 153-


160 ; t. II, p. 43.
CHAPITRE II

Unde et stulte asserere voluis- Non est minimum, si extre-


H.. .in singulorum amissione mem- mam aut summam auriculam de
brorum, dolorem esse communem, leonis faucibus extrahamus ...
... si digitum amputes, si sum- (17. 1055 B.)
mitatem auriculae ...
(Adv. Jovin. II, 30; PL, t.
XXIII, col. 327 A, B.)

... et illud imperet : Ne sis jus- Respice illum qui dicit: noli
tus multum (Eccles., VI, 17)." nimium esse justus.
(Adv.]ovin., 1,14; PL, t.XXIII, (9. 1045 C.)
col. 232 C.)

. .. in medio uberum meorum '" cujus caput in messe calare


commorabitur (Cant., l, 16) : in percussum est, id est, princiPale
princiPali (~YEfhOVtK6V) cordis, ubi mentis ejus inter ipsam spei libi-
habet sermo Dei hospitium. dinis flammam concaluit.
(Adv. J ovin. 1,30; PL, t. XXIII, (7· 1043 A.)
coo. 253 C.)

Si ad proposita respondea- ... conjus us peccati pudore con-


mus, pudore sujjundimur. tineat se ...
(Adv.Jovin., 1,36; PL, t.xXIII, (n. 1047 B.)
col. 260 A). ... qui conjus us pudore pecca-
ti, nec erigere se, nec oculos audet
attollere.
(9. 1045 B.)

'" majorique procacitate defen- Et quis dicit, aduiter habeat,


dunt libidinem, quam exercent. utatur, exerceat?
(Adv. Jovin., II, 37; PL, t. (20. 1058 B.)
XXIII, col. 336 B.)
- Exercere opera nuptiarum.
(1. c. 1., l, 34; PL, t. XXIII, col.
257 B.) - suam (uxorem) habeat,
sua utatur.

... in vino luxuria est. . .. quia luxuria atque ebrietas,


(Adv. Jovin., l, 35; PL, t. quaedam sibi in vitiorum nati-
XXIII, col. 258 C.) vitate germanitas est.
(13. 1050 C.)
LA DATE DU ~( DE LAPSO »

'" et gloriosior ille sub vero ... fortiorem percussit inimi-


imperatore Christo, non qui nobi- cus ...
Iior, sed qui fortior est. (2. 1038 B.)
(Adv. Jovin., l, 35; PL, t.
XXIII, col. 259 B.)
.. .qt~ale illud bonum est, q·uod ... .,. illud quale est qcuod CL qui bus-
(Adv. J ovin., l, 7; PL, t. dam ... (10. 1046 A.)
XXIII, col. 220 A.)
... sed in singulorum a111is510ue, Neque enilTI absque damntJ meo
rnembrorum communis dolor est. hoc excidisse dixerim maIum, ubi
Adv. Jovin., II, 20; PL, t. membntm corporis mei diabolica
XXIII, col. 314 D- cfr aussi l. c., sagitta percussit, CUlU Apostolus
II, 30; PL, t. XXIII, col. 327.) dicat : si patitur unum membrum,
compatiuntur omnia membra (1
Cor., XII, 26.) (1. 1038 A.)
- (Nolo, ut eum longe segreges
a Christi membris ...
(g. 1045 D.)

b) LES EXEMPLES BIBLIQUES.

1. Les six villes de refuge.


Sex urbes jugitivorum descri- ecce sex refugii civitates
buntur in Lege, qui homines in- (Jas. XX, 2 svv) quas, si placet,
terficere noIent es : et ipsae urbes ingredere.
sacerdotales sunt. (15. 1052 A.)
(Adv. Jovin., II, 33; PL, t.
XXIII, col. 330 D-331 A.)
2. Le pécheur de l'épître aux Corinthiens.
Nam illum violatorem novercae, De hoc facto apostolus dicit ;
quem in prima ad Corinthios epis- (( Dedi huiusmodi hominem Sata-
tola tradiderat Satanae, in inte- nae in interitum carnis, ut spiri-
ritum carnis, ut spiritus saivus tus salvus fiat ...
fieret ... (zo. 1059 A.)
(Adv. Jovin., l, 8;PL, t. XXIII,
col. 221 B.)

3. Samson.
[Samson]. .. et multo piures hos- majorem inimicorum exer-
Hum moriens, quam vivus occi- citum prostravisse, quam ante
derit ... quando Nazaraeus, hoc est, imma-
(Adv. J ovin., l, 23; PL, t. culatus fuerat, reperitur ?
XXIII, col. 241 D.) (6. 1042 B.)
CHAPITRE II

4. Rebecca.
Denique et Rebecca in Gellesi Tunc, credo, ei (au Christ) in
ob nimiam castitatem et Eccle- conjugium copulata est (la vierge),
siae typum, quem in sua virgini- quando secundum exemplum Re-
tate signabat, ALMA scribitur, non beccae ad Isaac de Mesopotamia
Bethula, .. (Gmt., XXIV, 4Z) .. , venientis, pallium quo velaretur
(In Jovin., 1. I, 32; PL, t, XXIII, caput, accepit (Gen., XXIV, 65).
col. z54 D.) (20. 1058 D-I059 A.)

5. La Sunamite (qui intervient dans l'histoire d'Élisée).


Quod et in veteri Lege de Suna- Quid dico propinquulll? Si
mitide illa scribitur, quae solita mater illa camalis sit, nec ei
sît Elisaeum recipere, et ponere aditus detur intrandi. Sic enim
ei mensam, et panem, et cande- Elisaeum in S~mamitis (le pseudo-
labrum, et caetera. Origène a de même: mulier Suna-
(Adv. J ovin., l, 26; PL, t. mitis. Tract. VIII, édit. de Mgr
XXIII, col. 245 D-z46 A.) Batiftol, p. 89. Paris, 1900) filio ...
fecisse cognoscis.
(7. 104 2 Cet 1043 B.)
6. David et Bethsabée.
... Ille(David) occidit Uriam Et tamen David, non prae-
Hethàeum, moechus exstitit in sente Uria Hethaeo, quamvis
'Bethsàbee. milite suo, quamquam homine
(Adv. Jovin., l, 24; PL, t. terreno, praesumpsit sibi concu-
XXIII, col, 243 A.) bitum Bethsabee (2r. 1059 C.)
[Bachiarius utilise l'exemple
autrement; en effet, cette union
ayant abouti à un légitime mariage
le lapsus aurait pu s'en prévaloir
pour justifier sa conduite].
7. David et la jeune Sunamite.
... et jam senem Sunamitidis ... David... in sencctute cum
puellae caiefactum esse comple- virgine invenitur ...
xibus. (ZI. 1060 B.)
(Adv.Jovin.I,24; PL, t.XXIII,
col. 243 A.)

8. Les Gabaonites.
Gabaonitae occurrunt filiis Melior fuit concubina Saulis
Israel, et caesis aliis gentibus, in filia Respha, (II Reg. XXI, 10),
lignarios et aquarios reservantur. quae eorpora defunctorum quos
(Adv. Jovin., II, 33; PL, t. David pro Gabaonitarum uitione
t. XXIII, col. 331 A.) percusserat,. . (2. 1038 B.)
LA DATE DU (1 DE LAPSO » 43

g. S. Étienne.
[Stephanus] ... qui primus mar- [Stephan us] . .. confessorum ca-
t31rio coronatus est. put et martyrum, ..
(Adv. J ovin., II, 35; PL, t. (14. 1051 A.)
XXIII, col. 259 B.)
c) LES IDÉES ET LA MANIÈRE D'ARGUMENTER.

r. - Virgines tuae quas PY1i- Ac forsitan suggesserat tibi ille


dentissimo consilio, quod nemo saPientior omnibus bestiis et con-
unquam legerat, nec audierat, de siliator antiquus ... Sed video ad
Apostolo docuisti Il melius est quid se pro sui defensione C011-
nubere quam uri )), occultas adul- vertat; scriptum est enim, in-
tems in apertos verterunt marit08. quit, « melius est Hubere quam
Non suasit hoc Apostolus, .. Vir- uri ».
gilianum consilium est: Conju- (20. 1058 A, C.)
gium vocat, hoc praetexit no- ... quomodo merebitur ve111-
mine culpam (Énéide, 1. IV, v. am, quod veluti insultans Deo et
I7Z) (1). ejus judicio, publiee tibi coeperis
(Advers. Jovin., II, 36; PL, vindicare?
t. XXIII, col. 335 A). (13. 1050 A.)
Veniat ille qui dicit, crimen
hoc emendandum nuptiis, et de
sceleris tanti nomine coniugium
esse vocandum. (zo. 1058 B).
2. Voici un singulier raisonnement de saint Jérôme. J ovinien,
pour justifier le mariage et l'usage du mariage des prêtres, allé-
guait l'exemple du grand prêtre Zacharie. Et Jérôme lui fait cette
curieuse réponse: « C'est vrai,Zacharie et Élisabeth étaient mariés,
mais ils eurent un fils vierge. » C'est le fruit extraordinaire qui, à
son avis, justifie dans ce cas le mariage. Or Bachiarius raisonne
exactement de la même manière. Le laps~ts justifie sa tentative
criminelle par l'exemple de David s'unissant à Bethsabée. « Eh
bien! soit, reprend l'ascète, je ne réprouve pas le mariage: mais
à condition qu'il en provienne un Salomon. »

(1) Sans citer le vers de Virgile, Bachiarius utilise la même idée. Noter
les trois pensées parallèles :
1) ... prudentissimo consilio .. . Suggesserat ille sapientior ... Sed
2) ... de Apostolo docuisti .. . video ad quid ... convertat; scrip-
tum est enim, inquit (Apostolus),
Il melius est nubere ...
3) ... occultos adulteros in aper- .. . publiee tibi coeperis vindicare.
tas" .
44 CHAPITRE II

Et tamen ille qui nobis objecit Sed nec ego contradico huic
Zachariam et Elisabeth, .. sciat, conjugio, si potes talem frudum
de Zacharia et Elisabeth J ohan- eX hoc matrimonio procreare,
nem fuisse generatum, id est, qualis processit de Bethsabee at-
de nuptiis virginem,.. de matri- que David ... Salomon, ..
monio castitatem, ut a Propheta (ZI. 1060 A, B.)
virgine, virgo Dominus et annun-
tiaretur, et baptizaretur.
(Adv. Jovin., 1, z6; PL, t.
XXIII, col. 246 A.)
3. Saint Jérôme affirme nettement que l'union matrimoniale
que tenterait après sa prise de voile une vierge consacrée au
Christ, serait non seulement un adultère, mais un inceste.
Cette même idée nous la trouvons longuement exploitée dans le
De lapso.
Et si nupserit virgo, non [Toute l'argumentation de Ba-
peccavit. Non iUa virgo, quae se chiarius n'est que le développe-
semel Dei ettltui dedieavit : harum ment de cette idée ... ].
enim si quanupserit, habebit (les nOS 18, Ig, 20).
damnationem, quia primam :fi.dem Quin immo et illa quam tibi
irritàm fccit .. .Virginesenim, quae fecit sceleris culpa consortem,
pàst Cànseerationem nupserint, non revertatur ad virum suum.
tarft adulterae .sunt, quam ineestae (18. 1055 C.)
(Adv. Jovin., 1, 13; PL, t. XXIII, Non vult David, hoc est,
col. 229, B, C.) Dominus Christus, ut in conspectu
ejus ab alio viro habeatur uxor
ejus. (Ig. 1058 A.)
Et quis dicit, adulter habeat,
utatur, exerceat ? Sed video ad
quid se pro sui defensione con-
vertat ; scriptum est enim, inquit,
« melius et nubere, quam uri» (1
Cor., VII, 9). Hoc de virgine dic-
tum est, vel vidua. Ista fam virgo
non est ... Virgo non est, quia cor-
rupta est: vidua non est, qu,ia vir
ejus vivit in aeternum.
U xor patris erat haec juvencula
quae deliquit, illius Patris qui
nos genuit in verbo veritatis (]ae.,
l, 18). (Cfr nO 21; 20. I058-9·)
... « Ruben ... et ipse torum pa-
tris maculavit illieite.(I5. 1052 A.)
LA DATE DU « DE LAPSO » 45
Ces similitudes sont telles que, à notre avis, il faut conclure
à des emprunts. Et cette fois encore nous n'hésitons pas à déclarer
que c'est Bachiarius qui a utilisé saint Jérôme. Nous ne revenons
pas sur la raison extrinsèque que nous avons développée à propos
de la lettre de saint Jérôme adressée au diacre Sabinien. Le
lecteur a pu se rendre compte lui-même comment Bachiarius ex-
plique, développe, exploite des idées que Jérôme énonce et res-
.serre dans quelques mots ou dans quelques phrases. En bonne
critique c'est le texte le plus long, le plus clair, le plus développé
qu'on doit considérer comme le dérivé.
Nous concluons par conséquent que Bachiarius a rédigé son
De lapso après l'Adversus Jovinianlltm, c'est-à-dire après 393.

II. LE TERMINUS « ANTE gUEM»

I. - Parmi les œuvres de saint Ambroise se trouve inséré


un opuscule qui porte le titre De lapsu virginis conseeratae (r).
Ce traité est identifié par des critiques, non toutefois sans quel-
que réserve, avec le LibeU1;tS ad lapsam virginem que Gennade
attribue à Nicétas de Rémésiana (2). C'est une déclamation, une
improvisation, disent certains, que l'évêque consécrateur adressa
à une vierge du nom de Susanne, pour la faire revenir de son
égarement. L'allocution est faite dans un style redondant, poé-
tique, clair, populaire. Elle n'est originale ni par les idées ni par
l'expression. A la différence de saint Ambroise, que son biogra-
phe nous montre si accueillant et si condescendant pour les pé-
cheurs (3), l'orateur est terrible pour la coupable; c'est à peine
si, après toute une vie de pénitence, elle peut espérer le pardon (4) .
Or cet auteur si peu original se rencontre en bien des points
avec Bachiarius.

(1) PL, t. XVI, col. 369-384.


(2) GENNADIUS, De viris inlustribus, cap. XXII: ... dedit et Ad lap-
sam virginem libellum, omnibus labentibus emendationis incentivum
(éd. RICHARDSON, dans Texte und Untersuchungen, t. XIV, 1, p. 70). -
Cfr O. BARDENHEWER, Gesch. d. altchristl. Literatur, t. III, p. 533;
601-2; Fribourg-en-Br., I912.
(3) Vita, XXXIX, 1; PL, t. XIV, col. 40.
(4) Inhaerere paenitentiae usque ad extremum vitae, nec tibi prae-
sumas ab humana die veniam dari. (De lapsu virginis, VIII, 38 ; PL, t.
XVI, col. 379.)
CHAPITRE II

a) Nous avons noté que le De lapso est nettement divisé en


deux parties. L'une est adressée à Janvier et a pour but de
l'incliner à la miséricorde; la seconde (13 sqq.) s'en prend au
lapsus lui-même et cherche à lui inspirer le repentir de sa faute,
et l'espoir de son relèvement.
Or, chose curieuse, le De lapsu virginis contient également
deux parties. Après s'être adressé d'abord à la vierge pour la faire
rougir de sa faute, réfuter ses objections et lui conseillerla réclu-
sion, l'orateur s'interrompt tout à coup pour interpeller le séduc-
teur et lui reprocher son double crime d'adultère et de sacrilège.
Autant le procédé est naturel et indiqué dans le De lapso, autant
il nous surprend dans le De lapsu virginis. Nous serions bien
étonnés si saint Jean Chrysostome, dans sa lettre ad Theodorum
lapsum, s'arrêtait tout à coup pour faire le chapitre à la mal-
heureuse qui avait séduit le jeune moine.
Cette disposition étrange nous fait soupçonner que Nicétas
de Rémésiana imite Bachiarius. Ce qui corrobore cette hypothèse
ce sont, précisément dans ce chapitre IX qui concerne le tenta-
teur, deux morceaux copiés presque textuellement du De lapso.
Le premier extrait, de beaucoup le plus caractéristique et qui est
tout à fait dans la manière de Bachiarius, développe cette idée
que le misérable, en attentant à la pudeur de la vierge consacrée
à Dieu, a commis un sacrilège:
Bachiarius. Nicétas.
Donec ne opus Babylonis regis Balthasar rex ille Pers arum
imiteris, ut in phialis temPli (sic), qui in vasis Domini ... bibere
dominici vinum perditionis potare cum suis amicis et concubinis
debere te credas ... usurpavit ; ipsa nocte angeli ma-
Quia vero Phialae in temPlo nu percussus crudeli morte puni-
Domini virgines nunc~tpentur ... tus est (Dan. V, 30): quid de
Polluisti uxorem David (= Chris- te arbitraris, perdite pariter
ti), ne ulterius hoc praesumas ... et perdit or, qui vas rationabile
(I9. 1057 C-I058 A.) consecratum Christo, sanctifica-
tum Spiritui sancto, impie teme-
rasti, polluisti sacrilege, ..
(De lapsu virginis, IX, 39; PL,
t. XVI, col. 379 C.)

(1) De te autem quid dicam, filio serpentis ... Cap. IX, n. 39; PL,
t. XVI, col. 379-380.
LA DATE DU « DE LAPSO »
47
Nicétas ici ne fait évidemment que développer, délayer une
idée qui est tout à fait dans la manière de Bachiarius, et que
celui-ci exprime avec précision et concision.
Dans le second passage, Nicétas administre au coupable, mais
avec de la rhétorique en plus, la pénitence conseillée au lapsus par
l'ascète espagnol.
lngredere monasterii tui car- Petas nItro carcerem paeniten-
cerem; et tenebras solitudinis ... tiae, obstringas catenis viscera,
exquire ... ac sicut catena rigentis animam tuam gemitibus jeju-
ferri, sic duriori consuetudine et niisque crudes; sanctor~tm petas
lege constrictus... veniam... ex- auxilium, jaceas sub pedibus elec-
specta. (16. 1054 A, B.) torum ;.. ,
. -. opportune, importune non (De lapsu, virginis, IX, 40 ;
desinas supPlicare ... PL, t. XVI, col. 380 A.) (1)
(r4· 1051 A.)

Notons encore le conseil sui- Exc1ude ergo vel nunc, in-


vant; Ac forsitan suggesserat felix, de corde tuo blandimenta
tibi ille sapientior omnibus bes- serpentis, ...
tiis et consiliator antiquus.,. (1. c., IX, 42 ; PL, t. XVI, col.
(zo. IoS8 A.) .380 C.)

b) Pour compléter cette preuve de la dépendance de Nicétas


vis-à-vis de Bachiarius, voici d'autres rapprochements. Il est à
noter que les longueurs, les développements qui délayent la pen-
sée loin de la renforcer, sont toujours du côté de Nicétas.
'" Non vult enim mortem pec- '" remedium i11ud, quoI divi-
catoris, sed ut convertatur et na vox per Ezechielem miseris
vivat (Ezech., XXXIII, II). porrigit : nolo, inquit, mortem pec-
(3. 1039 B.)
catoris, quantum ut convertatur,
'" cum mihi propheta procla- et vivat (Ezech., XXXIII, II).
met: « Numquicl medicus non est Et iterum post haec in quit Do-
in Galaad, aut resina non est minus, dixi: convertere ad me.
Hlic» ?
Numquidresina non est in Galaad,
(1. 1037 A.)
aut medicus non est ibi ? Quare
[Bachiarius cite le texte à peu non ascendit sanitas filiae populi
près et intervertit les deux ter- mei (Jerem., VIII, 22) ?
mes].
(De lapsu virginis, VIII, 3.3;
PL, t. XVI, col. 376, B, C.)

(1) On remarquera combien les expressions de Nicétas sont forcées


et peu naturelles.
CHAPITRE II

Quibus te venenis infecit ille


occurl'unt illi duo auctores
..... ~ui venenato serpentis dente qui Evam decepit; ut tanta t.e
caecitate percuteret, tantam am-
perc'/Ilssi, ... (3. 1 0 39 A.) "
mae tuae faceret 0 bllVlOne m?
.
(l. c., IV, 18; PL, t. XVI, col.
371 B.) .
_ dicet aliquis: Mehus est
Sed video ad quid se pro sui
defensione convertat ; scl'iptum est nubere quam uri (1 Cor. V~I: 9)·
. l'nquit « melius est nubere Hoc dictum ad non polhcltam
enlm" . pertinet,. ad nondum velata~.
quam uri)). Hoc de virg~ne dlc~um
Caeterum, quae se spopondtt
est, vel vidua. Ista Jam vlrg?
Christo, et sanctum vela~en ac-
non est .. · quia corrupta
' est:
. . VI-
. cepit, jam nupsit, jam Immor-
dua non est, quia vil' ejus Vlvlt In
tali juncta est viro.
aeternum. (De lapsu virginis, V, 21 ; PL,
(20. 1058 B.)
t. XVI, col. 372 C-3 A.)
.. , facti tui ipsa judex esto
damna inimicam tuam cor-
crudelior. In primis omni~ .cura
po~i~ speciem, .. Horrea~t. ~xina­ vitae hujus interimenda h?l est,
nita membra jejunio, et clllcmm ...
et quasi mortuam te exis~lman~,
pro tegmine habere. consuescas; ..
sicut et es, quomodo pOSSlS rev~­
ipse tibi tortor exslste ...
viscere, cogita. Deind.e lugubr~s
(16. 10S3A-4B .)
tibi accipienda est vest~.s, et me~s
ac membra singula digna. cash-
gatione punienda. Amputen.tur
crines, .. Defluant oculilacrymls, ..
Pallescat facies,.. Denique totum
corpus injuriis et jejuniis macere-
tur, cinere aspersum et opertum
cilicio perhorrescat;... Sensus
etiam crucietur ;..
(De lapsu virg., VIII, 35 ; PL,
t. XVI, col. 377 A-37 8A .)

Nicétas de Rémésiana est mort vers 414 (1). Le De lapso a


donc été écrit avant cette date (2).

(1) O. BARDENHEWER, Gesch.


der altchristlichen Literatur, t. III, p.
599· Fribourg-en-Br., 19~2. 'adis ue vers l'an 400 Rutin a
(2) Nous avons ess~ye de p~ouver J de Jers cette époque Bachiarius
utilisé et même transcnt en partle ~;l~~i: e~ particulièrement à Aquilée.
était donc connu dans le Nord de
C'est là vraisemblablement, durant un e ses
d voyages que Nicétas a pu
,
lire le De lapso.
LA DATE DU « DE LAPSO »
49
2. - Il nous reste à recueillir une dernière indication. Ba-
chiarius écrit: «Ecce in saeculi fine consistimus, instant pro Christi
nomine praelia passionum. Nous voici à la fin du siècle, imminents
sont les combats des passions (qu'il nous faudra endurer) pour le
nom du Christ» (r). Que devons-nous entendre par ces mots
« in saeculi fine» ?
Le sens obvie semble être celui de « parousie ». Bachiarius
avait lu Tertullien et saint Cyprien. Or ces deux auteurs croyaient
la venue du Christ toute proche (2). - Nous savons également
par Sulpice Sévère que de son temps l'attente de la fin du monde
restait vivace dans un certain nombre d'esprits, tant en Orient
qu'en Occident. En Espagne, en particulier, un jeune homme
se fit passer d'abord pour Élie et puis pour le Christ. Et vers le
même temps un autre individu se donnait pour saint Jean-
Baptiste. Tout cela, ajoute Sulpice Sévère, nous fait croire que
l'Antéchrist a déjà commencé à exercer son action (3). - Ce qui
semble renforcer encore cette interprétation, c'est que Bachiarius
lui-même fait allusion à des combats plus ardus qui attendent les
disciples du Christ (4).
Pourtant, malgré ces vraisemblances, nous croyons que ces
mots in saeculi fine doivent s'entendre dans un sens plus réaliste.
Et d'abord, à supposer que Bachiarius ait voulu parler de la fin
du monde, il l'aurait fait à sa manière. Cette manière, qui lui est
tout à fait spéciale, consiste à procéder par tropologie et par
symbolisme. Sur un fait, un mot de l'Écriture, il échaffaude,

(I) 6. 1042 A. - B~chiarius insinue par là que l'occasion de se réha-


biliter ne manquera pas au malheureux soldat frappé dans une première
rencontre. Quid mirum, si ille quem fornicationis hasta percussit, in
passionis congressione superaverit ? Quid si victor fuerit in martyrio (c'est-
à dire dans la lutte contre les passions), quem vicerat incontinentia et
libido (6. I042 B) ?
(2) Scire enim debetis et pro certo credere ac tenere pressurae
diem super caput esse coepisse et occasum saeculi atque antechristi
tempus adpropinquasse (S. CYPRIEN, Epist. LVIII, l, éd. HARTEL dans
Corpus script. cccl. lat., t. III, p. 656, 1. I6-19 ; - cfr encore la même lettre
cap. 2, 1. c., p. 657, l. 13; (de saeculo jam morient) ; cap. 7, 1. C., p. 662,
1. 18 (Antechristi imminentis adventu).
(3) Ex quo conicere possumus, istius modi pseudoprofetis existen-
tibus, Antechristi adventum imminere, qui jam in istis mysterium
iniquitatis operatur (Vita Martini, C. 24; Corpus script. eccl. lat., t. l,
p. I33, l. 26-28).
(4) S. MATTHIEU, chap. XXIV, 8-12,
CHAPITRE Ii

avec une hardiesse déconcertante, des constructions parfois à
double étage (r). Cette particularité de notre moine nous
incline à croire que c'est la fin du siècle qui lui suggère la fin
du monde. Dans sa pensée les deux se complètent et ne s'excluent
nullement.
Si Bachiarius avait eu en vue uniquement la fin imminente du
monde, nous devrions trouver au cours du De lapso ou dans le
De fide quelque indice de cette conviction. On sait, en effet,
combien ceux qui sont persuadés de la catastrophe prochaine,
reviennent volontiers sur cette idée qui les hante. Il suffit de
citer saint Grégoire le Grand, par exemple. Or dans le De fide
aucune allusion à cette destruction redoutée (2). Le De lapso nous
fournit au contraire une preuve que Bachiarius ne croyait pas à la
:fin imminente du monde. Nous avons vu que le lapsus au mo-
ment de sa chute devait avoir environ quarante ans. Le démon
en lui infligeant ce coup, lui avait ravi les mérites « de la moitié
de sa vie ». Suivant l'expression originale de Bachiarius, il lui avait
rasé la moitié de sa barbe (3). Pourtant, ajoute-t-il, que cela
ne le décourage pas: il lui reste Z' autre moitié pour expier
ses fautes et regagner des mérites (4)· Un tel conseil suppose
évidemment qu'on ne croit pas à un événement tragique, immi-
nent et soûdain (5)·

(1) Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, les 30 homm~s qui,vinren~ au


secours de Jérémie (JÉRÉM., XXXVIII, 7, Il) symbolIsent a la fOlS la
sainte Trinité - et l'âme, la chair et l'esprit: trinité d'éléments qui
composent la personne humaine (6. 1042 A). Dans le chapitre qui a pour
titre Bachiarius et la Bible, nous aurons l'occasion d'insister sur cette par-
ticularité de cet esprit bizarre.
(2) Vers la fin de son De {ide il menace ceux qui ne veulent pas croire
à sa bonne foi, qu'ils seront au jour du jugement (in die judicii) placés
parmi le peuple incrédule (des juifs) ou parmi les faux témoins (7· .I?3 6 A).
Mais Bachiarius ne dit rien de la prochaine échéance de la reddIüon des
comptes.
(3) ... dimidia et tu rasus es barba ... (13. 1049 B). . .
(4) ... dimidia ... quia si volueris reliquo vitae tuae tempore quod übJ
superest laborare, concrescet (13· 1049 B, C).
(5) En 1928 Dom G. MORIN a publié deux lettres anonymes, dues
très probablement sinon certainement, à la plume de Bachiarius (Revue
Bénédictine, 1928, t. XL, p. 293-302). Dans l'une (l. c. p. 301) d'elles l'auteur
cite un texte de saint Matthieu « Non fiat fuga vestra hieme, vel sabbato»
(XXIV, 20). Or le mot fuga loin de le faire penser à la fin du mond~
n'évoque dans son esprit que la «manie de discourir». «de parler» qUl
ne mène à rien de bon.
LA DATE DU « DE LAPSO »

Les mots « finem saeculi » doivent donc s'entendre, selon nous,


dans le sens réel: de la fin d'une période de cent ans. Le De lapso
se placerait donc avant 400.
A cette conclusion un point pourrait faire difficulté.
Bachiarius fait envisager au diacre coupable le martyre comme
moyen possible d'expier sa faute (1). Ne doit-on pas conclure
de ce fait que l'Espagne commençait à être troublée par l'inva-
sion des barbares, ce qui placerait la date du De lapso après 400 ?
Cette lettre, et c'est une première réponse, n'est certainement
pas écrite dans une atmosphère de persécution. Il suffit de la lire
pour s'en rendre compte. Ensuite de l'avis de Bachiarius lui-même,
ce ne sont pas les barbares, dont les traces ne se trouvent nulle
part, qui se préparent à torturer le diacre coupable, mais les
passions dont une recrudescence est à prévoir à bref délai et qu'il
lui faudra affronter (2).

Concluons. Si nous combinons les résultats auxquels ont abouti


nos recherches sur le terminus ante quem et le terminus post quem,
nous pouvons admettre au moins comme très probable, que le De
lapso a été rédigé entre 394 (3) et 400.

(1) Si venerit passionis occasio memento... Si vero forsitan defue-


rit bujus felicitatis occasio,oo (16. 1054 A).
(2) ... instant pro Christi nomine praelia passionum (6. 1042 A).-
Peut-être ces mots doivent-ils s'entendre de la lutte contre les priscilliens,
qui, de fait, reprit vers la fin du siècle?
(3) Il a fallu évidemment un certain temps avant que l'Adversus
Jovinianum, composé en 393, ait pu être connu et répandu en Espagne.
CHAPITRE III

LES IDÉES nu « DE LAPSO»

Le De lapso nous introduit dans une question encore fort obscu-


re et très débattue: celle du régime pénitentiel en vigueur aux
premiers siècles de l'Église. Les historiens récents qui ont essayé
de retracer l'évolution et de fixer les modalités de l'institution
miséricordieuse de Jésus-Christ n'ont guère songé à consulter
Bachiarius. Le P. Galtier croit faire beaucoup d'honneur à un
auteur si peu connu en lui sacrifiant trois lignes dans son De
Paenitentia (r). Mgr Batiffol (2) et M. Poschmann ne le mention-
nent même pas. Nous reconnaissons bien volontiers qu'on cher-
cherait vainement auprès de lui la solution intégrale du problème
pélùtentiel. Mais peut-être n'est-il pas inutile de connaître sa
pensée et celle de son entourage sur le cas précis d'un clerc majeur
tombé dans une faute publique d'impureté, et, en particulier,
d'apprendre de lui si un tel pécheur pouvait encore espérer de
l'Église le pardon de sa faute, à quelles conditions et par quelles
interventions. Dans une matière si obscure les moindres lueurs
ont leur importance.

I. LA POSSIBILITÉ DU PARDON

L'archidiacre Janvier justifie son inflexible rigidité à l'égard


du lapsus par la raison suivante: « Il est diacre (levita) , celui
qui est tombé, il ne peut donc y avoir pour lui aucun remède » (3)·

(1) Bacchiarius tandem (saec. 4-5), in sua epistola « De reparatione


lapsi», totus est in inculcanda paenitentia, qua diaconus in fomicationem
lapsus reparari possit (PL, t. XX, col. 1037-1062). - De Paenitentia,
2 e édit., p. 257 (F), Paris, 193I.
(2) P. BATIFFOL, Études d'histoire et de théologie positive, 6 e édit. (dans
son Étude sur les origines de la pénitence), Paris, I920.
(3) Sed dicis fortasse, levita est iste qui cecidit: non ei remedii
potest medicina conferri (4. 1040 A).
LES IDÉES DU « DE LAPSO » 53
En ôtant de la sorte au malheureux tout espoir de pardon, il le
condamne équivalemment àla peine éternelle (r). Comment expli-
quer cette sévérité? Est-elle conforme à la pratique pénitentielle
de cette époque? Oui, répond Mgr Batiffol, car le clerc (évêque,
prêtre, ou diacre) tombé dans une faute grave, publique ou se-
crète, ne pouvait plus être admis ni à la pénitence publique, ni à
la pénitence privée. Tout au plus pouvait-on lui imposer une
pénitence mesurée à sa faute, en spécifiant que cette satisfaction
n'aurait rien de public. On lui permettait d'espérer dans la misé-
ricorde de Dieu, mais l'Église n'intervenait plus dans son cas (2).
Beaucoup plus nuancée et plus juste nous paraît la thèse
que le P. Galtier formule sur le même sujet dans son De Paeni-
tentia. La voici traduite: Bien que, à l'endroit des clercs majeurs
tombés dans des crimes plus graves (apostasie, meurtre, impure-
té), le régime pénitentiel ait été variable, on peut cependant
affirmer, semble-t-il, que la pratique générale consista à les
admettre à la communion des laïcs par la pénitence, non pas
publique mais privée (3).

(1) ... fornicatorem ad tempus fra-tTem revertentem aeternae mortis


paenae condemnas ? (5. 1040 C-I041 A).
(2) P. BATIFFOL, Études d'histoire et de théologie positive, 6 e édit.,
p. I7o-173. Paris, 1920. Il cite la lettre du pape Sirice à Himère (cfr
]AFFÉ-ÉWALD, Regesta, t. l, nO 225) pour le cas d'une faute publique,
et saint Léon (cfr ]AFFÉ-ÉWALD, Regesta, t. l, nO 544) pour le cas d'une
faute secrète. Citons du moins la fin du commentaire que Mgr Batiffol
fait des paroles de saint Léon. « .•. il (le pape) veut qu'il (le clerc tombé
dans un péché secret) espère dans la miséricorde de Dieu, mais sans que
l'Église intervienne. Découvrir ici l'intervention d'une absolution secrète,
alors que saint Léon ne parle que de retraite et de satisfaction, serait
étrangement abuser de la faculté de lire entre les lignes. Il n'y a de secrète
ici que la satisfaction, à laquelle saint Léon attribue très directement la
rémission, d'ailleurs incertaine, du clerc pénitent: « satisfactio, si fuerit
digna, sit etiam fntctuosa» (MGR BATIFFOL, op. cit., p. 173). - M. POSCH-
MANN a sur ce point la même opinion que Mgr Batiffol (Die abend-
liindische Kirchenbusse im Ausgang des christlichen Altertums, p. 200.
Munich, I928).
(3) Etsi de clericis, saltem majoribus, in majora crimina lapsis non una
fuit veteris Ecclesiae « observatio », tamen praxis generalis fuisse videtur
ut ad laïcorum communionem, non per publicam quidem, sed per priva-
tam paenitentiam admitteretur (De Paenitentia, 2e édit., p. 256. Paris,
I932). La dégradation, d'après le même théologien, aurait tenu lieu de
pénitence publique (P. GALTIER, L'Église et la rémission des Péchés aux
premiers siècles, p. 459. Paris, 1932).
S4 CHAPITRE III

Ce qu'on peut concéder à Mgr Batiffol, c'est qu'il se rencon-


trait, encore à la fin du IVe siècle, des partisans d'un rigorisme
sans pitié, qui refusaient tout pardon au clerc coupable.
Mais les tenants de la miséricorde ne faisaient pas défaut.
L'intérêt poignant du De lapso consiste précisément en ce qu'il
nous montre aux prises, dans un cas concret, deux représentants
également convaincus des deux tendances opposées: Janvier et
Bachiarius.
>1<

* '"
Relisons dans la lettre du pape saint Sirice, adressée à l'évêque
de Tarragone, Himère, le 10 février 385, la décision qui concerne
les clercs tombés dans le péché d'impureté. « Comme plusieurs
de ceux dont nous parlons, c'est du moins ce que nous apprend
ta sainteté, regrettent d'être tombés par ignorance, à ceux-là
nous ne voulons pas refuser le pardon, à cette condition toutefois
que, sans espoir d'avancement, ils restent fixés dans l'office (la
dignité) qu'ils occupaient au moment de leur chute ... Quant à
ceux qui se prévalent d'un privilège illicite leur venant soi-disant
de la Loi ancienne, pour user du mariage, de par l'autorité du
siège apostolique, ils sont destitués de toute dignité ecclésiastique;
ils ne pourront plus jamais administrer les mystères sacrés
(l'Eucharistie) dont eux-mêmes se sont privés en aspirant à
satisfaire des désirs impurs. Et parce que les exemples présents
nous engagent à prendre des dispositions pour l'avenir: tout
évêque, prêtre et diacre qui agira désormais de cette manière ...
qu'il sache que dès maintenant (jam nunc) nous lui refusons tout
accès au pardon. C'est par le fer qu'il faut retrancher des blessures
qui résistent aux remèdes» (r). On aura remarqué, je pense, la
gradation marquée dans les châtiments infligés aux clercs cou-
pables. Ceux qui ont péché par ignorance peuvent rester ce qu'ils
étaient. Seul l'espoir de pouvoir être promu à un office, une dignité
supérieure, leur est ôté. Seront au contraire dégradés, ceux qui
se prévalent d'un prétexte illusoire pour excuser leur conduite
impure: ils pourront toutefois ~ être pardonnés et prendre rang

(r) Et quia exempla praesentia cavere nos praemonent in futurum :


quilibet episcopus, presbyter atque diaconus, quod non optamus, deinceps
fuerit talis inventus, jam nunc sibi omnem per nos indulgentiae aditum
intelligat obseratum : quia ferro necesse est excidantur vulnera, quae
fomentorum non senserint medicinam (PL, t. XIII, col. II40 A, B-II41 A).
LES IDÉES DU « DE LAPSO » 55
parmi les laïcs - mais à l'avenir (1) il n'y aura plus aucun par-
don (ni privé ni public) pour l'évêque, le prêtre ou le diacre qui
retomberont dans le même vice (2). Ils seront retranchés pure-
ment et simplement. I1s ne pourront donc plus recourir à a~cune
pénitence ecclésiastique; l'Église renonce à intervenir comme
médiatrice du pardon entre l'âme pécheresse et Dieu.
Tel est, semble-t-il, le sens qu'il faut donner au texte de la
lettre de saint Sirice. Mais les textes les plus clairs sont souvent
bien mal compris! Dans le cas présent la conduite de l'archi-
diacre nous fournit un commentaire vivant des décisions de
saint Sirice.
Avant de s'adresser directement à Janvier en personne, Bachia-
rius, au début de sa lettre, fait allusion à l~inflexible dureté
de « tout un groupe », qui l'écœure et l'irrite (3). Ces privilégiés
qui ont eu le bonheur de sortir indemnes du combat, n'essaient
même pas de porter remède à la blessure mortelle dont ils voient
mourir leur frère, frappé par l'ennemi. Ils ne se rendent pas
compte que l'ennemi ne s'est attaqué au plus vaillant (fortiorem)
que pour mieux abattre les autres (4).
Ce groupe dont le lapsus a été pendant tout un temps la gloire
et le modèle, n'est autre, comme nous l'avons dit plus haut, que
celui des diacres de l'église de la cité où se produisit le scandale.
Mais voici que Bachiarius se tourne vers l'archidiacre, le grand
responsable qui insuffle à ses subordonnés son propre rigorisme.
A travers les objurgations nous entrevoyons la conduite de] anvier
à l'égard du coupable. Au lieu de corriger le malheureux, il l'as-

(1) Il faut noter que Sirice donne ce châtiment comme une mesure
nouvelle (in futurum) prise par lui pour garantir la pureté des clercs
qui entourent le « Saint des saints)). Il ne s'agit pas ici, comme on le voit,
du droit de l'Église de pardonner les péchés et tous les péchés; c'est la
question du fait qui est seule en cause.
(2) La lettre de Sirice ne traite directement que de l'usage du mariage
avec des femmes légitimes. Ses mesures valent à plus forte raison quand
il s'agissait de rapports cbarnels avec des femmes illégitimes.
(3) Sed non admittitur in totum animus meus lamentationi vacare
vel ftetui, quia adversus vos mihi locus est irascendi (2. I038 A).
(4) Ecce jacet frater ab boste percussus: adhuc forsitan palpitat;
et vos, quia sine vulnere revertimini, ne consolationem quidem plagae
ipsius deferri tentastis. Nolite esse sine formidine, beatiisimi fratres;
fortiorem pe~cussit inimicus, ut celerior postmodum ei fieret aditus ad
reliquos (2. 1038 A, B).
CHAPITRE III

somme (r) ; au lieu de lui lancer la corde (2) pour le retirer du puits
du vice, il accable le noyé des pierres du désespoir (3) ; au lieu de
tendre la main à celui qui, atterré par la honte, n'ose même plus
lever les yeux (4), il l'évite regardant comme une flétrissure
d'entretenir encore la moindre relation avec ce pécheur (5);
au lieu de prier pour lui pour que le feu du jugement ne le con-
sume pas (6), il le méprise (7) ; au lieu de le reconduire, nouveau
Samaritain, à la bergerie (8), il le maintient séparé loin du trou-
peau, loin des membres du Christ, comme une brebis galeuse (9) ;
au lieu de le séquestrer dans un endroit solitaire et, comme un
autre Élisée, de réchauffer à son contact et de ressusciter ce
nouveau fils de la Sunamite (ro), il a la cruauté de se pavaner
au-dessus du cadavre du malheureux: pareil au gladiateur qui
pose le pied sur son adversaire vaincu (II); au lieu d'être le
médecin qui sauve, il imite celui qui conseille d'achever le blessé
qu'il désespère de guérir (r2).
Pareille manière de faire suppose évidemment la conviction
que, pour ce diacre coupable, tant la pénitence publique que la
pénitence privée est impossible. Non seulement le malheureux est
dégradé mais il reste retranché des « membres du Christ », de la
communauté des fidèles; nous n'avons d'ailleurs pas besoin de
deviner cette conviction. L'archidiacre nous la communique clai-

(1) Accipiet virgam correptionis et baculum qui sustentare p05sit


infirmum (5. I04I A).
(2) Ecce frater in lacu est ... Mittamus ei pannos veteres ... (6. I042 A).
(3) Ne, quaeso, beatissime, fratrem nostrum in profundo putei sub ini-
qui principis potestate demersum, lapidibus desperationis obruamus
(6. 104 I C).
(4) ... nec oculos audet attollere (9. 1045 B).
(5) Quid erubescis conjungi homini peccatori (9· 1045 C) ?
(6) Loquere cum Domino, boc est, ora ad Cbristum, ne eum luturi
judicii ignis exurat (3· I039 C).
(7) Ne spernas, quaeso, fratrem deful1ctum (7· 1°42 C).
(8) Et tu ergo collige fratrem, ... assigna stabulario, boc est B. episcopo ...
(9. 1045 C).
(9) Nolo, ut eum longe segreges a Christi membris ... (9. I045 D).
(IO) ... ut qui peccati frigore mortuus est, consolationis tepore revo-
cetur ad vitam (7. 1043 B).
(II) ... neque elatus integritatis tuae triumpho superexcrescas eum,
aut superextendas te ei, quem repentina mors rapuit '" (7. 1043 A).
(12) Nonne simile est, si quis percussus graviter, extremo anhelet in
fine; et hunc terrenus medicus, si forte visitaverit, quia non posse vivere
suspicetur, hortetur occidi (!O. 1046 Al ?
LES IDÊES DU « DE LAPSO » 57

rement et sans ambages, et ces paroles nous fournissent la clef


de sa conduite: Levita est iste qtti cecidit, non ei remedii potest
medicina conferri : C'est un diacre, celui qui est tombé, il ne peut
donc y avoir pour lui aucun remède (r). Qu'on relise maintenant la
parole de saint Sirice à l'évêque de Tarragone: « l'évêque, le prêtre,
le diacre ... qui désormais (deinceps) sera encore trouvé coupable,
qu'il sache que tout accès au pardon lui est fermé par nous;
c'est par le fer qu'il faut couper les membres malades qui résistent
aux remèdes ». La parole de Janvier n'est que l'écho de celle du
pape (2).

*' * >1<

Vers le même temps oil le pape Sirice adressait sa mISSIve


à l'évêque de Tarragone, saint Jean Chrysostome écrivait deux
lettres à un moine infidèle à ses vœux, du nom de Théodore (3).
Ce qui nous intéresse dans ces lettres c'est 1'esprit de bonté,
d'optimisme et d'indulgence qui les transfigure. Au contact assidu
de saint Paul, le grand évêque de Constantinople avait acquis « ce
cœur de chair », ce don de sympathie par lesquels Newman carac-
térise l'apôtre des Gentils. Il comprend, il sent toutes les misères
physiques et morales. Il accueille avec un égal empressement
les pauvres et les pécheurs repentants; aux premiers, il donne le
pain du corps, aux seconds il prodigue la promesse du pardon
le plus .complet. Il est bien de la lignée des Athanase, des Mélèce,
et des Flavien. Cette bonté que nous retrouvons dans toute
l' œuvre du grand moraliste transparaît également dans ces deux
lettres, mais avec une nuance de fraîcheur et de jeunesse qui lui
donnent un attrait tout spécial. Il passe dans ces pages comme
un souffle de printemps qui réveille la campagne glacée et ressus-
cite la vie. Voici comment le grand évêque s'exprime sur le
pardon des fautes, même des plus graves.

(1) 4. I040 A.
(2) ... quilibet episcopus, presbyter, atque diaconus, quod non opta-
mus, deinceps fuerit taUs inventus, jarn nunc sibi ornnern per nos indul-
gentiae aditurn inteUigat obseraturn : quia ferro necesse est excidantur vulnera,
quae fomentorum non senserint medicinam (PL, t. XIII, col. 1140 B-
II41 A).
(3) Les critiques ne s'accordent pas sur la date précise de ces deux lettres.
Tillemont et Montfaucon adoptent l'année 369; par contre Rauschen
les place entre 371 et 378 (cfr O. BARDENHEWER, Gesch. d. altchr. Lite-
ratur, t. III, p. 345. Fribourg-en-Br., 1912).
CHAPITRE III

« L'espoir du pardon, écrit-il, est la chaîne solide qui nous


raccroche au ciel (r), aussi jamais aucun pécheur ne doit déses-
pérer. Le démon fait tout pour faire croire au pécheur que tout
espoir de rémission est illusoire: car il sait bien que le désespéré
est totalement vaincu (2). Dieu au contraire, même quand l'hom-
me l'attaque dans son délire, ne parle et n'agit que pour guérir(3)·
Amoureux de la beauté des âmes, il ne se lasse pas de rappeler
le pécheur (4), et rien ne l'irrite tant que de désespérer de sa
bonté (5). Ce Père miséricordieux, non seulement accueille
l'âme repentante, il lui pardonne, il la réhabilite, bien plus,
parfois il la rend plus resplendissante que si elle n'était pas
tombée (6).
Voilà pourquoi Dieu ne méprise jamais la pénitence sincère (7),
pénitence qui ne requiert pas le temps mais la volonté: témoins
les Ninivites et le bon larron (8). Ainsi, ce qui est grave ce n'est
pas de tomber, mais de rester par terre, de ne pas se relever (9)·
Oui, tout péché, quelque grand qu'il soit, a son remède; tant
que nous sommes ici-bas (ro) le repentir peut effacer une vie

(1) Ab Theodorum lapsum, l, 2; PG, t. XLVII, col. 2 79.


(2) ." qui desperationis cogitatione ligatur, fractus viribus, quo modo
superare poterit vel obsistere ... (1. C., l, 3 ; PG, t. XLVII, col. 281) ?
(3) 1. C., l, 4; PG, t. XLVII, col. 282.
(4) Nemo enim, nemo corporeae amator formae, quantumlibet
insanus, tanta amicae suae ardet concupiscentia, quanto studio Deus
animarum nostrarum appetit salutem.. (t. C., l, 13 ; PG, t. XL VII, col.
296).
(5) Neque enim ea, quae perpetrare ausi sumus, illum, tam possunt
irritare, quam quod nolimus demum resipiscere (1. c. l, 15 ; PG, t. XLVII,
col. 300).
(6) Quod autem contingat, eos qui per paenitentiam restituti sunt,
admodum resplendere, et saepe magis quam ii qui nunquam lapsi sunt,
id ex Scripturis divinis palam fecimus (1. c. I, 16; PG, t. XLVII, col.
30 3).
(7) ... nunquam aversatur sinceram paenitentiam .. (l. c, l, 6; PG, t.
XLVII, col. 284).
(8) ... non enim ex temporis longitudine, sed ex animi affectu paeni-
tentia aestimatur (1. C., l, 6; PG, t. XLVII, col. 28 4- 285).
(9) Non enim cecidisse grave est, sed lapsum jacere, nec resurgere,
sed malis ultro haerentem et torpentem desperatis cogitationibus pro-
positi, imbecillitatem tegere (l. C., l, 7; PG, t. XLVII, col. 28 5).
(10) ... ut autem ostendat nobis nullum esse peccatum, cui remedium
afferri non possit .. (1. C., l, 8; PG, t. XLVII, col. 286).
LES IDÉES DU « DE LAPSO » 59
entière des fautes les plus graves (r). Le péché de Judas lui-
même eût pu être remis par la pénitence (2).
Dans la seconde lettre adressée à Théodore, resté sourd au pre-
mier appel, on retrouve des idées toutes semblables. Les remèdes,
affirme le grand évêque, sont divers comme les péchés; le divin
médecin guérit le meurtre comme l'adultère (3) ; il ne faut donc
jamais désespérer (4). Le marchand, même après un naufrage. ne
renonce pas à la navigation: il reprend la mer et récupère son
argent perdu; on voit des athlètes couronnés même après de nom-
breuses défaites; le soldat qui s'enfuit lâchement peut redevenir
un guerrier intrépide et redoutable à l'ennemi; oui! des apostats.
retournés au combat, ont remporté la palme du martyre (5). Enfin
s'adressant au malheureux égaré: « courage donc, le repentir effa-
cera non seulement toute trace de la blessure reçue, mais tu
redeviendras un adversaire plus terrible que jamais pour le démon.
Ainsi, en te terrassant, l'ennemi t'aura rendu plus vaillant pour le
combat. » (6)

(1) ... ne hune quidem si desperet approbaturus :mm, etiamsi ad ex-


tremam usquc senectam in nefariis ilIis atrocibusque fiagitiis perseve-
raverit (1. C., l, 4; PG, t. XLVII, col. 281).
(2) Ego enim, etsi supra fidem loqui videar, neque illud (Judae) pec-
catum majus esse dixerim, quam auxilium, quod nobis a paenitentia
offertur (1. C., l, 9; PG, t. XLVII, col. 288).
(3) ... statim (David) ad medicum accurrit, et medicamina apposuit,
jejunium, lacrymas, fietus, orationes frequentes, saepius adhibitam pec-
cati confessionem ; iisque modis Deum placavit, ita ut ad pristinam cligni-
tatem rediret, adeo ut etiam post adulterium et caedem, patris memoria
filii idololatriam posset obtegere (Ad Theod. lapsum, II, 2 ; PG, t. XLVII,
col. 3II).
(4) Numquid qui cadit non resurget (]erem., VIII, 4) ? inquit divi-
num oraculum. Tu vero huic repugnas et contradicis : nam lctpsum des-
perare nihil aliud est quam dicere, qui cadit non resurget (1. C., II, 4;
PG, t. XLVII, col. 313).
(5) 1. C., II, l ; PG, t. XLVII, col. 309.
(6) Parmi toutes ces idées consolantes 011 aura sans doute remarqué
la phrase où le grand moraliste n'hésite pas à affirmer que dans la péni-
tence ce n'est pas le temps qui importe, mais la volonté ( ... non e11im
ex temporis longitudine, sed ex animi affectu paenitentia aestimatur ;
1. C., l, 6; PG, t. XLVII, col. 284-85).
- Quel contraste si de la lettre à Théodore, si cordiale, si consolantc,
si optimiste, nous passons à l'allocution de Nicétas de Rémésiana. Qu'il
nous suffise de citer le passage suivant. L'évêque s'adresse à la vierge
infidèle pour la pousser à faire pénitence ... Secl tu quae jam ingressa
es agonem paenitentiae, insiste, misera, ; fortiter inhaere tanquam in nau-
60 CHAPITRE III

* "' *
Ouvrons maintenant le De lapso, pour apprendre ce que Ba-
chiarius pense du cas jugé désespéré par l'archidiacre. On s'aper-
cevra très vite que sous un langage différent et parfois très original
se cachent les idées et l'optimisme ensoleillé de saint Jean Chry-
sostome.
Désespérer du salut de ce pauvre malheureux (1), faire con-
naître le scandale au lieu de l'étouffer (2), livrer son cadavre en
proie aux bêtes sauvages et aux oiseaux, c'est-à-dire aux vices ou
aux hommes du siècle (3) : c'est un crime impardonnable et qui
mérite le sort de l'écuyer de Saül qui étrangla son maître, déses-
pérant de le voir vivre (4). Le pécheur, quelque coupable qu'il
soit, DC doit jamais désespérer. Le désespoir est le grand mal
qu'il faut extirper à tout prix. « Avant tout, ô mon frère, ainsi
s'exprime Bachiarius, que le désespoir ennemi ne vienne pas à
grandir en toi, parce que cet infidèle t'affirme que la chute est
irréparable en alléguant la parole du Seigneur: tous les péchés,
même les blasphèmes sont pardonnés aux hommes, mais celui
qui aura péché contre l'Esprit ne sera pas pardonné (S. MATTH.,
XII, 3I). Et moi je te dis « désespérer du Seigneur, voilà le péché
contre l'Esprit, car le Seigneur est Esprit )} (S. JEAN, IV, 24).
En conséquence, si les fautes ne sont pas remises c'est parce que
le pécheur croit que le Seigneur ne peut lui rendre ce qu'il a
perdu (5). Quel obstacle (je te le demande) pourrait-il exister au

fragiis tabulae, sperans pel' ipsam te de profundo criminum liberari.


lnhaere paenitentiae usque ad extremum vitae, nec tibi praesumas ab hu-
mana die veniam da1'i ; q'uia decipit te qui hoc tibi polliceri votuerit, Quae eni1n
proprie in Dominum peccasti, ab ipso solo te cOllvenit in die judicii
exspectare remedium (De lapsu virginis, cap. VIII, Il. 38 ; PL, t. XVI,
col. 379 A, B). C'est la pénitence toute la vie, et encore le pardon n'e::;t-il
qu'à attendre de Dieu seul.
L'évêque de Rémésiana et l'archidiacre Janvier sont visiblement de
la même école.
(1) 10. 1046 A, B.
(2) ... et nos passi sumus, non solum ipsam quam incolit civitatem,
sed etiam totum orbem famae ipsius desperatione compleri (ro. 10 46 C).
(3) ... tantum ne cadaver ejus devoralldum feris aut alitibus, id est,
vitiis sive hominibus saeculi relinquamus (II. 1048 A).
(4) ... quem David statim morte damnavit; cum percussum ab hos-
tibus desperasset esse victurum, et eum sublata spei fiducia jugulasset
(10. I046 B).
(S) ... hoc ipsum desperare de Domino, in Spiritum esse peccare, ... et
ideo non remittuntur ei, quia non crediderit Dominum reddere sibi posse
LES IDÉES DU I( DE LAPSO » br
pardon? Notre-Seigneur est tout-puissant. Est-il impossible au
Tout-Puissant d'effacer le péché? Notre-Seigneur est bon; car
nul n'est bon si ce n'est Dieu (S. Luc, XVIII, 29). Celui qui
est avant tout bon (praecipua), celui qui est la bonté parfaite,
comment pourrait-il ne pas exaucer celui qui prie? Lève-toi donc,
ami, et, pareil au naufragé, après avoir perdu parmi les flots du
siècle marchandises et fortune (1), accroche-toi à l'unique planche

quae perdidit (22. ro60 C). - On remarquera l'interprétation de Bachia-


rius de ce fameux texte de saint Matthieu sur le péché contre le Saint-
Esprit. Nous ne la trouvons chez aucun auteur antérieur. Ce n'est pas
celle d'Origène, de S. Ambroise, de S. Hilaire, de S. Jérôme (In Matth.,
1. II, c. XII; PL, t. XXVI, col. 81), (voir CORNELIUS A LAPIDE, In
Evang. Matth., c. XII, 31), de S. Athanase (EPist. IV ad Serap. n. 8 ;
PG, t. XXVI, col. 6so-7S) ni celle de S. Jean Chrysostome (In Matth.,
Hom. 41 (al. 42), n. 3; PG, t. LVII, col. 449). Le sermon LXXI de saint
Augustin est particulièrement instructif à ce sujet. Le grand docteur
expose d'abord longuement combien cette question est difTIcile, prend
mille précautions, aplanit le terrain de toutes façons, puis il arrive à la
solution qui lui agrée: Le péché contre le Saint-Esprit, c'est l'imPénitence
(Impaenitentia, peccatum in Spiritum sanctum; Serm. LXXI, 20; PL,
t. XXXVIII, col. 4SS-6). Notez qu'au commencement S. Augustin parle
de l'opinion qui règne sur la matière et la cite: Nonnullis videtur eos
tantummodo peccare in Spiritum Sanctum, q1tli lavacro regenerationis
abluti in Ecclesia, et accepta Spiritu Sancto, velut tanto postea dono
salvationis ingrati, mortilero aliq1tlo peccato se immerserint (Serm. LXXI,
7; PL, t. XXXVIII, col. 448).
Ainsi, dans le péché contre le Saint-Esprit, les uns voient tout Péché
mortel commis après le baptême (ORIGÈNE, De PrinciP., 1. l, c. 3 n. 6-8 ;
PG, t. XI, col. IS3 C ... qui autem dignus jam habitus est Sancti Spiritus
participatione, et retro fuerit conversus, hic reipsa et opere blasphemasse
dicitur in Spiritum sanctum. C'est l'opinion que rappelle saint Augustin,
Serm; LXXI, 7; PL, t. XXXVIII, col. 448) ; les autres l'état de rébellion
contre la vérité (S. AMBROISE, De Paenit., 1. II, c. IV. 20; PL, t. XVI,
col. SOI, C; De Spirit. Sancto 1. l, c. III, 54. PL, t. XVI, col. 717) ;
d'autres encore, la négation de la divinité d1tl Christ (S. HILAIRE, In Matth.,
c. XII, 17; PL, t. IX, col. 989; et S, ATHANASE, Epist. IV ad Serap. 8;
PG, t. XXVI, col. 6So), ou l'ave1tlglement coupable qui attribue au démon
les œuvres de Dieu (S. JÉROlVIE, Epist. XLII, ad Marcellam, l, 2; PL,
t. XXII, col, 477-478; PACIEN; Epist. III ad Sempron., n. 15; PL, t.
XIII, col. 1073-4) ; S. AUGUSTIN, enfin, l'imPénitence finale.
Parmi toutes ces solutions celle de Bachiarius (il la donne comme une
opinion personnelle: Ego autem dico) est la plus claire et de beaucoup
la plus aisée. Pécher contre le Saint-Esprit, c'est douter de Dieu, de sa
toute-puissance et de sa bonté (22. I060 C).
(1) Nous reconnaissons ici une pensée toute pareille exploitée déjà par
S. Jean Chrysostome: Nullus mercator naufragium passus, amissoque
62 CHAPITRE tn

(du salut), je veux dire à la science du canon divin (des Écritures) :


elle te ramènera au rivage. Pourquoi donc, demande encore
Bachiarius, le Médecin a-t-il mis en réserve tant de remèdes
dans les livres sacrés qui sont comme les tiroirs d'une pharmacie,
si parmi tous ces emplâtres il n'en est aucun qui puisse guérir la
blessure infligée par l'ennemi au lapsus (1) ?
Combien ont expérimenté l'art du guérisseur divin, à com-
mencer par Adam et Ève chassés du paradis de délices, c'est-à-dire
de l'Église, et éloignés de l'arbre devie, c'est-à-dire de l'Eucharistie,
mais ramenés ensuite auprès du Christ par le martyre, symbolisé
par le glaive de feu, ou par la science, figurée par le Chérubin (2) !
David coupable de meurtre et d'adultère recourut, lui aussi,
au divin remède de la pénitence et il fut guéri de ses blessures,
sans être d'ailleurs pour autant, dans la suite, garanti des coups
de l'ennemi (3). Comment Dieu n'aurait-il pas pitié des âmes,
lui qui va jusqu'à reprocher à Pharaon lui-même de n'avoir pas

onere, navigare desiit: sed rursum mare, fluctus, vastumque pelagus


permeat, amissasque pecunias recuperat (EPist. II ad Theodorum lap-
sum, PG,t. XLVII, col. 30 9).
(1) Ut quid, rogo, medicus noster inter librorum suorum loculos tot
eonstituit genera pigmentorum, si nihil est ex omnibus emplastris ejus,
quo)ana;i possit vulnus quod inflixit inimieus (3. 1038 B- 1039 A) ?
(2) ... et eo usque de ligno vitae, id est, Christi participio exsules fie-
rent, donee ad eum per romphaeam flamme am (Gen. III, 24) id est ignitam
martyrii passionem, aut per Cherubim Domini qui interpretatur multitudo
scientiae, remearent ... (3. 1039 A, B).
(3) Bachiarius suit ici de bien près saint Jean Chrysostome.
S. Chrysostome: Bachiarius:
Siquidem beatus ille vir, Da- Nonne ille egregius et fortis
videm dico ... alienae uxoris amore David... postea mulieris inepta
eaptus est: nec ibi solum constitit, nuditate superatur? Qui mox
sed propter concupiscentiam adul- ut prophetae vocibus (II Sam. VII),
terium, propter adulterium ho- quod peceassit, agnovit, statim ad
micidium patravit: sed quia duo paenitentiae malagma conlugiens,
tanta vulnera acceperat, non ideo cicatrices criminum contessionis sa-
tertium addidit; sed statim ad tisfactione sanavit.
medicum accurrit, eCmedicamina (8. 1044 A).
apposuit, jejunium, lacrymas, fle-
tus, orationes frequentes saepius
adhibitam peccati confessionem;
iisque modis Deum placavit, ..
(EPist. II, 2; PL, t. XLVII, col.
310-3 I I ).
tES IDÉES DU « DE LAPSO »

voulu se repentir (r). Si dans sa rigueur Dieu ne pardonnait pas


aux pécheurs, il n'y aurait que bien peu d'hommes qui seraient
sauvés (2). La nature humaine est si faible, la grâce du baptême
si fragile (3), et le chemin de la vie si glissant (4) ! - Aussi tant
que dure la vie, le repentir, et par là-même le pardon de Dieu, est
toujours possible. Dans sa lettre, le bienheureux Jean demande
de prier pour le frère qui n'a pas de péché « ad mort em », c'est -à-dire
qui n'aura pas péché jusqu'à la fin de sa vie CS). Toujours le divin
Potier qui les a façonnées, peut refaire les âmes qui se sont

(1) ... qui etiam Pharaonem arguit, quare nequaquam paenitere digna-
tus sit ... (n. 1048 A). - L'indulgence de Bachiarius dépasse cependant
parfois les limites. Au moyen d'une « tropologie )) par trop hardie il parvient
à garantir le salut à Caïn (3. 1039 B) ; à la race d'Héli « rejetée par Dieu
à cause des péchés graves, mais massacrée pour David, c. à. d. le Christ ))
(6. I042 B, C) ; à Salomon l'idolâtre, sous prétexte qu'il fut enseveli avec
ses pères (12. 1048 C) ; à Coré et à toute sa bande (synagoga illa Core)
parce que leurs « petits autels)) (arulae) (LXX. = 7Tvp"îa, réchauds)
furent épargnés (12. 1048 C-I049 A).
(2) Considera ergo, frater, quam paucis tribuitur ut de amphitheatro
mundi istius, ubi cum feris, hoc est, cum vitiis depugnatur, immaculati
a peccati morsu membra liberent sua. Quod expertus ille dicebat : ne
tradas bestiis animas confitentes tibi (Ps. LXXIII, 29) (12. I049 A). -
Saint Jean Chrysostome dit, lui aussi: ... nemo plane, nisi forte paucis-
simi numero, in regnum caelorum ingrederetur ... (Ad Theodor. Epist.
II, 15 ; PG, t. XLVII, col. 301).
(3) ... mare illud, hoc est, forma baptismi... in nobis cito periclitatur
aut frangitur (9. 1045 B).
(4) Lubrica est via saeculi hujus ... (9. 1045 B).
(5) ... id est, non usque ad extremum vitae suae finem peccatorum
suorum mala fuerit secutus (5. 1041 B). Cette exégèse diffère de celle
d'un saint Ambroise par exemple (De Paenit., l, 9-II, n. 40-50; PL,
t. XVI, col. 478-482) qui entend par péché « ad mortem » un péché parti-
culièrement grave, dont le pardon ne peut être obtenu que par un homme
particulièrement saint; - ou d'un Pacien (EPist. III ad Sempron.,
n. 16; PL, t. XIII, col. 1074 = induratio in peceato). Dans ses Rétrac-
tations (1. l, c. XIX, n. 7; PL, t. XXXII, col. 616), saint Augustin se ren-
contre avec Bachiarius :... peccatum fratris ad mortem ... ita definivi
ut dicerem « Peccatum fratris ad mortem puto esse, cum post agnitio-
nem Dei per gratiam D. N. J. C. quisque oppugnat fraternitatem, et
adversus ipsam gratiam qua reconciliatus est Deo, invidentiae facibus
agitatur» (= Sermo Domini in monte, 1. l, e. XXII, n. 73). Quod quidem
non confirmavi, quoniam hoc putare me dixi : sed tamen addendum fuit,
si in hac tam scelerata mentis perversitate finierit hanc vitam; quoniam
de quocumque pessimo in hac vita constituto non est utique desperan-
dum, nec pro illo imprudenter oratur, de quo non desperatur.
CHAPITRE II1

brisées contre les pierres des tentations (r). Aux regards du Dieu
de la miséricorde, la vertu de continence équivaut à l'innocence
qu'on aurait eu le malheur de perdre (2). Bien plus, le soldat,
lâche dans une première rencontre, peut se ressaisir et redevenir
plus intrépide et plus redoutable qu'il ne l'a été précédemment (3)·
Samson, vaincu par les cajoleries d'une femme, a détruit, en
mourant martyr, une armée plus considérable d'ennemis, que
durant tout le temps qu'il était nazaréen, c'est-à-dire imma-
culé (4).

* * *
Ce pardon de Dieu, qui a comme condition essentielle la
volonté de se défaire du péché (5), s'étend à toutes les fautes
graves, même à celles de la luxure. « Eh! quoi, s'écrie Bachiarius
en apostrophant l'archidiacre, toi qui ne détestes pas l'avare,
toi qui ne fuis pas l'envieux, toi qui n'évites pas le calomniateur,
ni le voleur, pourquoi punis-tu de la mort éternelle un frère
qui revient, après un moment d'égarement? (6) Pourquoi cette
rigueur inégale vis-à-vis de péchés que l'Apôtre condamne avec
la même sévérité (7) ?
(1) Sic vasa sua nequaquam figulus patitur interire (jerem., XVIII,
6) qui etiam ea confracta et in lapidibus illisa redintegrare posse se dicit
(6. 1042 C).
(2) •.. ut cognoscamus tantam esse misericordiam Domini, ut etiam
interruptae castitatis tempora possint restructa ad priorem similitudinem
continentiae virtute revocari (r8. 1057 B).
(3) Solet percussus miles in primo certamine, in secundo fortius dimi-
care, et contra percussorem suum, magis iratus insurgere (6. 1042 A). -
Cette idée se retrouve également chez saint Jean Chrysostome: ... miles
etiam saepe post fugam, bellator strenuus evasit, hostesque profiigavit ...
verum quia in ipso procinctu certaminis te supplantavit, id solum effecit,
ut fortiorem te redderet ad pugnam cum ipso ineundam (Ad Theod.
laps., Epist. II, 1; PG, t. XLVII, col. 309-310).
(4) ... quem cum in perniciem sui mulieris blandimenta vicissent;
postmodum in fine obitus sui, sub martyrii passione, majorem inimico-
rum exercitum prostravisse, quam ante quando Nazaraeus, hoc est,
immaculatus fuerat reperitur (6. 1042 B) ?
(5) Unde vides quod sicut peccati contagione maculamur, ita expul-
sione ejus abluimur (5· 1041 C).
(6) Tu vero, qui avarum non detestaris, qui invidum non refugis, qui
detractorem raptoremque non devitas, fornicatorem ad tempus fratrem
revertentem aeternae mortis paena condemnas (5. 1°40 C-1041 A) ?
(7) Lege ergo beatum Apostolum qui dicit: «Neque fornicarii, neque
LES IDÉES DU « DE LAPSO)} 65

Si le scandale est public la faute n'est pas pour autant irré-


missible (r). Pareil aux serviteurs de David, à qui le roi fit
dire: « Restez à Jéricho jusqu'à ce que votre barbe ait repoussé
et vous reviendrez ensuite» (II SAM., X, 5), le lapsus peut, lui
aussi, rentrer en grâce avec son roi à condition de supporter la
honte, l'ignominie de la part des bons, et l'anathème de tous.
Le roi lui-même, désolé de l'outrage qui nous est fait, nous ven-
gera, nous ses soldats, car l'ennemi en nous frappant compte le
déshonorer lui-même (2).
Cependant Bachiarius n'a pas encore touché le point délicat
sur lequel Janvier fonde sa sévérité. Il ne s'agit pas seulement
d'un péché d'impureté, doublé d'un scandale public: mais le
coupable est diacre et voilà qui rend la faute particulièrement
grave et, semble-t-il, irrémissible (3). Aussi c'est à ébranler, à faire
crouler cette dernière conséquence que l'ascète espagnol emploie
toute sa science et tout son art. Il se garde bien de faire allusion
à une législation quelconque: il eût été réfuté d'avance. C'est
l'Écriture (4), la « grande école» du Médecin (5), grâce aux exem-
ples etaux témoignages de miséricorde qui s'y trouvent accumulés,
qui lui fournira le moyen de faire triompher sa cause. Dans le
livre de l'Exode, écrit Bachiarius, nous voyons des lévites pécher
avec tout le peuple; bien plus, au témoignage d'Ézéchiel, ils furent
les premiers à abandonner Dieu (6). Et pourtant l'Écriture leur

invidi, neque maledici, neque avari, neque detractores regnum Dei


consequentur (cfr l Cor. VI, 9; 5. 1040 C).
(1) Sed et super hoc spes (13· 1049 C).
(2) Crede mihi, quia regi nostro dolebit injuria, ulciscetur nos milites
suos, quibus in debonestatione sua fecit ista inimicus (13. 1049 C-1050 A).
(3) ... Levita est iste qui cecidit : non ei remedii potest medicina con-
ferri (4. 1040 A).
(4) ... et hune acervum testem, totum canonem divinorum librorum
esse sentimus; ubi illdissolubilium cumulus testimolliorum, ut quidam
congestus est lapidum: in quo cumulo medicus verus, noster Domillus
Jesus Christus ... invenitur (1. 1037 A).
(5) ... aperiamus Scholam medici nostri... In ipsius introitu Scholae
(3. 1039 A). Erras, frater, recurre ad Scholarn medici (4. 1040 A). - Un
texte publié par Muratori (Thes. inscr., t. II, p. CMXXIV, n. I5, cité par
TIRABOSCHI, Storia della letteratu,ra italiana, t. II, 269, Naples, 1777)
nous apprend qu'il y avait à. Rome du temps d'Auguste une «schola medi-
corum », c. à.. d. une corporation, une association de médecins. - Bachia-
rius ici prend le mot dans un autre sens: celui d'« officine ", d'endroit où
le médecin enseigne.
(6) Qui primi exierunt a me, cum erras set Israel (EZECH., XLIV, 10)
(1\-. 1040 A).
66 CHAPITRE III

reproche moins leur crime qu'elle ne loue leur promptitude à se


convertir (Exode, XXXII, 26, 27). - Le grand-prêtre lui-même
qui fabriqua l'idole, obtint le pardon, grâce à la prière de son
frère (Exode, XXXII, 32). Mais, diras-tu, au moment du crime les
lévites n'étaient pas encore « sanctifiés », le pontife n'était pas
encore consacré! - Pardon!. .. Lévi (c'est l'enseignement de
l'Apôtre) était déjà « sanctifié » dans Abraham (He br. , VII, 9- 10 ) ;
et Aaron, avant de sortir de l'Égypte, avait déjà célébré la Pâque
avec le peuple. Or la Pâque ne peut se célébrer sans prêtre (I).
Mais quoi qu'il en soit de ce fait, il est certain que les lévites
avaient été « sanctifiés » du moins au moment où, sur le conseil
d'Esdras, la famille sacerdotale et celle du grand Jésus Navé
quittèrent,comme les autres, les femmes étrangères, syriennes, idu-
méennes, moabites ou ammonites. Or cette séparation leur valut,
comme aux autres Israélites, le pardon de leur péché. Pour les
diacres comme pour les fidèles vaut la maxime: c'est le péché qui
nous souille et son expulsion nous lave (2). Dans le cas spécial
du lapsus l'indulgence est d'autant plus justifiée, qu'il ne s'est
pas jeté dans le crime sans résistance, mais que c'est dans le
combat, dans la bataille qu'il est tombé (3)·

.;; * *
Bachiarius, on levait, oppose à la sévérité de Janvier, un opti-
misme consolant puisé, comme celui de saint Jean Chrysostome,
dans la sainte Écriture. L'archidiacre, comme saint Sirice, met
l'accent sur les exigences qui pèsent sur les prêtres et les diacres
du fait que le divin Maître a voulu que l'Église, son Épouse, rayon-
ne d'une pureté sans tache. A partir du jour de leur ordination,

(1) Tamen sic possem respondere tibi secundum apostolicam sen-


tentiam ... (Hebr., VII, 9, IO) ; quia in Abrahae lumbis latens Levi deci-
mas Melchisedech dedit et accepit. Aut ipsi Aaron quid tibi minus vide-
tur fuisse de pontifieali honore vel gradu, cum Aegyptum signis percussit
horrendis, et egrediens nocte eum populo, sanctum celebravit pascha ?
Scimus autem quia sine sacerdote pascha non poterat celebrari (4. 1040 B).
(z) Qui tamen omnes peecato eodem, accipientes consilium Esdrae,
et recedentes a mulierum alienigenarum consortio, caruerunt. Unde vides
quod sieut peccati contagione maculamur, ita expulsione ejus abluimur
(5. 104 1 B, C).
(3) ... quia plus quidem misericordiam meretur quem in certamine hostis
percussit, quam ille quem dormientem latro confoderit (8. 1044 B).
LES IDÉES DU « DE LAPSO »

les ministres sacrés doivent être purs de corps et de cœur pour


plaire à Dieu dans les sacrifices qu'ils offrent tous les jours (I).
Saint Jean Chrysostome au contraire, et, à sa suite, Bachiarius
n'oublient pas que ces ministres restent des hommes composés
de chair et d'os dont la nature glisse facilement vers les abîmes.
Aussi mettent-ils davantage en relief l'immense bonté et l'infinie
miséricorde de Dieu. Ce sont ces deux tendances qui commandent
au fond le régime pénitentiel de l'Église; elles expliquent et justi-
fient des attitudes si opposées à l'égard des pécheurs, même
(comme nous le voyons dans le De lapso) au sein d'une mêr '.e
église, parmi le clergé attaché à la même cathédrale (2).
Bachiarius ne reflète cependant qu'imparfaitement les idées
de saint Jean Chrysostome. Un reste de rigorisme intransigeant
transparaît dans sa manière d'envisager les conditions du pardon.

IL LES CONDITIONS DU PARDON

La pénitence qui efface le péché et restitue à l'âme la grâce


perdue est une œuvre de collaboration entre le pécheur et Dieu.
La part de l'homme, et c'est elle seule que nous envisageons
en ce moment, comporte trois actes: l'aveu des fautes, le repentir
et la satisfaction. Comme il s'agit d'un scandale public, le De lapso
n'avait pas à insister sur la confession; aussi ne parlerons-nous
que des deux derniers actes.

I. LE REPENTIR.

Bachiarius cherche avant tout à décider le malheureux prison.


nier du plaisir charnel, à renoncer à son péché et à se séparer
de la compagne de son crime. Pour le détourner en particulier
du projet exécrable (3) d'une union définitive, il va lui démontrer

(1) S. SIRICE, Epist. ad Himerum, VII, IO; PL, t. XIII, col. II39 A,
B.
(z) C'est ainsi qu'on peut comprendre comment à S. Calliste, plus in-
dulgent, succède S. Sirice plus sévère et plus rigide.
(3) Sed et tu frater, quisquis tibi hoc suaserit, exsecrare (ZI. I059 A).
68 CHAPITRE III

que pareil mariage est une abomination, une insulte à Dieu (1),
parce qu'il est un sacrilège, un adultère, un inceste.
Il est d'abord un sacrilège, pareil à celui que commit Bal-
thazar, le roi de Babylone, en violant les vases sacrés du temple
de Jérusalem (Dan.,V, 2 sq.). Ces vases, en effet, explique Bachia-
rius, ce sont les vierges du Seigneur (2).
Il est de plus un adultère. Car le jour où, à l'exemple de
Rébecca venant de la Mésopotamie pour épouser Isaac, cette
vierge a reçu le voile (Gen., XXIV, 65), elle s'est unie par le ma-
riage à son Époux (divin) toujours vivant (3).
Mais voici des objections spécieuses formulées soit par le lapsus
soit par ses mauvais conseillers.
a) D'abord, l'Apôtre ne dit-il pas « Il vaut mieux se marier
qu'être brûlé)} (1 Cor.,VII, 9)? - Saint Paul, répond Bachiarius,

(1) Tu tamen, frater, nequaquam scelerato acquiescas, impudicoque


conjugio : non insultes ei cujus iram sustentare non poteris (18. !O55 C).
(2) Quia vero phialae in templo Domini virgines nuncupentur, prophe-
ta nos docet dieendo: Tritieum juvenibus, et vinum suave oiens virgi-
llibus (ZacJ~. XI, 17), ac si cui vini liquor infunditur, quid nisi phiala
lluncupetur (19. 1057 C) ? - Ce curieux passage, nous l'avons vu plus
haut, a été imité par Nieétas de Rémésialla, dans son De lapsu virginis.
(3) Tune, credo, ei in conjugium copulata est, quando secundum exem-
plum Rebeccae ad Isaac de Mesopotamia venientis, pallium quo velaretur
caput, accepit (Gen., XXIV, 65) (20. 1058 C, D-I059 A). - La « Velatio»
de la tête est un rite très ancien, usité dans l'initiation soit sacrée soit
conjugale. Le christianisme l'a accepté et introduit dans l'initiation bap-
tismale (S. CYRILLE DE JÉRUSALEM, Procatéchèse, cap. IX; PG, t. XXXIII,
col. 349), et dans la consécration des vierges à Dieu, regardée comme
une sorte d'union matrimoniale. Saint Ambroise met ce sens bien en relief
dans le passage suivant: Initiatas, inquit, sacris mysteriis, et consecratas
integritati puellas nubere prohibes. Utinam possem revocare nupturas 1
utinam possem flammeum nuptiale pio integritatis mutare velamine
(De virginitate, 1. l, cap. V, n. 25, 26 ; PL, t. XVI, col. 272) 1 C'est préci-
sément la « prise du voile» qui constituait un empêchement dirimant
à un mariage ultérieur (Item quae Christo spiritaliter nupserunt, et
velari a sacerdote meruerunt, si poste a vel publiee nupserint vel se clan-
culo corruperint, non eas admittendas esse ad agendam paenitentiam,
nisi is, cui se iunxerant, de saeculo recesserit ... (INNOCENT l ad Victricem,
c. XIII, XIV; PL, t. XX, col. 378, 379). Bachiarius nous en insinue la
raison. Parce que la « velatio » était considérée comme la consommation
des épousailles divines. (Tune, credo, ei in conjugium copulata est,
quando ... pallium quo velaretur caput, accepit (20. !O58 C-I059 A) ...
et surtout: Virgo non est, quia corrupta est ... (20. 1058 C).
LES IDÉES DU « DE LAPSO )

a en vue la vierge ou la veuve (1). Or, celle dont il est question ici,
n'est plus vierge, et elle n'est pas veuve; elle n'est plus vierge
parce qu'elle a été connue; elle n'est pas veuve parce que son
Époux est éternel (2).
b) Adultère tant que vous voudrez! Pourtant Bethsabée n'est-
elle pas devenue l'épouse légitime du roi David? - Il est im-
possible, réplique Bachiarius, d'assimiler des cas si différents.
Bethsabée était l'épouse d'un soldat, celle-ci, au contraire, est
celle d'un roi. Là il s'agit d'un homme terrestre qui a pu être
trompé; ici il est question du Roi céleste, immortel, éternel.
David au moins n'admit pas Bethsabée, tant qu'Urie fut présent;
mais toi tu revendiques cette union adultère alors que le mari,
un roi immortel et éternel, est vivant et présent! - A la rigueur
ce mariage adultère pourrait-il se tolérer s'il pouvait en sortir
un autre Salomon, c'est-à-dire le pacifique qui tient sous son
sceptre tout l'univers, c'est-à-dire tout l'homme (3). Mais un tel fils
est le fruit de la pénitence. Ce sont les larmes et les gémissements
qui l'engendrent (4). - Enfin David, lui-même adultère dans sa
jeunesse, montra dans sa vieillesse l'exemple de la continence (III
Reg., l, l sqq.), nous faisant comprendre par là qu'une longue
chasteté après la faute équivaut à la virginité (5)·
c) Enfin, dernière objection. Cette épouse infidèle n'a-t-elle
pas été répudiée, rejetée (par son Époux) ? Dès lors n'est-elle pas
redevenue libre de disposer d'elle-même (6) ?
Erreur, mon frère (7) ? Dieu lui-même te dit par la bouche

(1) Hoc de virgine dictum est, vel vidua (20. 1058 C).
(2) Virgo non est, quia corrupta est, vidua non est; quia vir ejus vivit
in aeternum (20. I058 C). Voir le même raisonnement, exprimé d'une
façon moins originale et moins crûe, chez S. JEAN CHRYSOSTOME, Ad
Theodor. laps. Epist. II, 3; PG, t. XLVII, col. 3I2) et dans le De lapsu
virginis (PL, t. XVI, col. 372 C-373 A).
(3) ... Salomon, hoc est, pacificus et universi orbis, id est, totius hominis
tenuit principatum (21. 1060 B).
(4) Talis filius nascitur ex paenitentia: talem parturiunt gemitus et
lamenta plangentium (21. I060 E).
(5) ... ut intelligamus, quia post peccatum longa castitas imitatrix
est virginitatis (2I. !O60 B).
(6) Sed fortasse dicas: Agnita stupri causa, vir ejus eam dejecit ...
(21. 1060 A).
(7) Fallis te, frater, quia per Prophetam ipse proclamat ... (La citation
n'est pas littérale) « Quis liber repudii matris vestrae, quo eam dimisi
(Is., L, 1) ? Et alibi: numquid qui cadit, non resurget ? aut avertens non
70 CHAPITRE III

de son prophète où est la lettre de divorce de votre mère, par la-


quelle je l'ai répudiée» (Is., L, 1) ? et encore « Est-ce que celui
qui tombe ne se relève pas? Celui qui s'égare ne se convertit-il
pas? Pourquoi donc mon peuple ne se repent-il pas de ses fautes;
pourquoi ceux qui s'obstinent dans leur mauvais vouloir n'ont-ils
pas voulu revenir à moi? Non, non! même la femme de mau-
vaise vie n'est pas rejetée par Dieu, puisqu'ùn prophète reçoit
du Seigneur l'ordre d'en prendre une pour épouse» (OSÉE, l, 2
sqq.) (2).
Il n'y a donc pas d'excuse possible: il faut à tout prix renoncer
~ ce mariage adultère, qui de son vrai nom doit être appelé
mceste. Car cette jeune fille qui a péché était l'épouse du Père,
de ce Père qui nous a engendrés dans la parole de la vérité
(JAC., I, 18) (3). Aussi le texte suivant de l'Apôtre peut lui être
appliqué: «J'entends parler d'une impudicité commise parmi
vous, et d'une impudicité telle qu'il ne s'en rencontre pas de
semblable, même chez les païens: quelqu'un s'est uni à la femme
de son père » (4).
~aconc1usion qui se dégage de tout ceci est très nette. Le lapsus
doIt :enoncer à cet abominable mariage et ramener l'infidèle à
s?n Epoux légitime (5). Séparés l'un de l'autre, de peur que le
tIson fumant soudain ne reprenne feu, qu'ils ne restent unis
que par la pénitence (6). Que le malheureux diacre, attentif à
cette parole de l'Écriture: « Insensé, cette nuit même ton âme te

convertatur ? Quare non paenitet populus meus a malitiis suis et detenti


in propositione sua maligna, noluerunt reverti ad me (JERE~., VIII, 4,
5) ? (21. 1060 A).
(1) Ecce propheta ex praecepto Domini meretricem duxit uxorem
(Os., I, 2 sq) ; et tu dicis animam ad perditionem a Deo esse projectam ?
(Z1. 1060 A).
(2) ?x:or patris erat haec juvencula quae deliquit, illius Patris qui nos
« ~enU1t ~n verbo verit~ti~)) (JAC., l,. 18) (20. 1058 C). - C'est pour cette
meme raIson que Bachlanus nous dIt que saint Étienne avant de mourir
s'adressa au « Père)) ... patri pro peccatoribus supplicavit (Act., VII, 59)
14. 1051 A, B). Le Père ici, c'est le Christ.
(3) 1 Cor., V, 12.
(4) Quin immo et illa quam tibi fecit sceleris culpa consortem rever-
tatur ad virum suum (18. 10 55 C). '
(5~ ... ut quam habuisti in corruptelae vitio collegam, habeas in paelli-
tentlae labore consortem : non ut conjuncti paeniteatis, sed ut separati
ad .alterutrum, unum opus agendo jungamini; quia fumantem adhuc
de l11cendio titionem, cito vorax flamma comprehendit (zr. 1060 B).
LES mÉES DU « DE LAPSO ) JI
sera réclamée », ne remette pas à plus tard, la séparation (1).

(1) S. Luc, XII, 20. (20. 1058 B). - Pour détourner le lapsus de
son mariage, Bachiarius ne fait pas une seule fois allusion à sa dignité
de diacre. Cela peut étonner car vers la fin du IVe siècle le célibat ecclé-
siastique était de plus en plus inculqué au clergé supérieur: évêques,
prêtres et diacres. Non seulement il leur était défendu de vivre mari-
talement avec leurs épouses (cfr HEFELE-LECLERCg, Histoire des con-
ciles, t. II, Partie II, Appendice VI, p. 1341-1344; et E. VACAN DARD,
Les origines du célibat ecclésiastiq~te, dans Études de critiq~te et d' histoire
religieuses, t. I, p. 10Z-IOS), mais saint Ambroise n'hésitait pas à dire
que les ordres supérieurs étaient incompatibles avec le mariage. « Sors
(Levi) virginitas est)) (Exhortatio virginitatis, c. VI, 39; PL, t. XVI, col.
347; De officiis, 1, 50, n. 248; PL, t. XVI, col. 97-8). Celui qui cherche
une épouse, dit encore le même docteur, ne peut pas dire « mon partage
c'est le Seigneur)) (Qui quaerit uxorem, non potest dicere : « Portio mea
Dominus )) ; Exhort. virginitatis, 41; PL, t. XVI, col. 348). Sans constituer
encore un empêchement dirimant du mariage (il ne le deviendra qu'en
1I23 sous Calixte II), la dignité de diacre semblait exclure l'union conj u-
gale (... alieni etiam ab ipso consortio conjugali, sacri ministerii gratiam
recepistis ? S. AMBROISE, De Officiis, 1. I, c. L, n. 248 ; PL, t. XVI, col.
97-8).
Au moment où Bachiarius écrit, cette incompatibilité n'était pas encore
si fermement reconnue ni défendue. Son silence s'explique à la lumière
de la décision du concile d'Elvire (can. 33, cfr MANSI, t. II, col. I I C),
pareille à celle que formulera plus tard le concile d'Ancyre (3 1 4) (can.
JO ; MANSI, 1. C., t. II, col. 531) : suivant laquelle le mariage après la ré-
ception des ordres sacrés est valide mais entraîne simplement la dégra-
dation. « Mais si, au moment de leur élection ils se sont tû (€Z TOrES
atW7l'~aav1'€s ... ) et ont accepté, en recevant les ordres sacrés, de vivre
dans le célibat, et si plus tard ils se marient, ils perdront le diaconat
(cfr HEFELE-LEcLERcg, Hist. des conciles, t. l, Part. I, p. 3 12 -3 1 3).
Bachiarius ne fait pas davantage appel à la législation civile. Il eût
pu invoquer pourtant au moins deux lois qui se rapportaient plus ou
moins au scandale qui le préoccupait: Cod. Theodos., 1. IX, tit. XXV:
De raptu vel matrimonio sanctimonialium virginum vel viduarum:
1. Imp. Constantius A. ad Orfitum. Eadem utrumque raptorem
severitas feriat: nec sit ulla discretio inter eum qui pudorem virginum
sacrosanctarum et castimoniam viduae labefactare scelerosi raptus acer-
bitate detegitur. Nec ullus sibi ex posteriore consensu valeat raptae blandiri.
Dat. XI Kal. Sept. Constantio VII et Constante Coss. (a. 354)·
Interpretatio: Quicumque vel sacratam Deo virginem, vel viduam for-
tasse rapuerit, si postea biis de conjunctione convenerit, pariter puniall-
tur.
2. Imp. Jovianus A. ad Secundum P. P. Si quis, non dicam rapere,
sed vel attemptare matrimonii iungendi causa, sacratas virgines vel invi-
tas, ausus fuerit, capitali sententia ferietur. Dat. XI Kal. Mart. Antio-
72 CHAPITRE III

II. LA SATISFACTIO:N.

La satisfaction, l'expiation est le second effort que Dieu exige


du pécheur comme condition de son pardon. Pour expier sa faute,
Bachiarius indique au lapsus deux moyens: la réclusion et les
exercices de la pénitence corporelle.

LA RÉCLUSION.

C'est Janvier qui aurait dû séquestrer le coupable, en un


endroit secret où même sa mère n'eût pu le visiter (1) et où,
nouvel Élisée, seul à seul avec le coupable, il lui eût rendu
l'espoir et la vie (2). A défaut de l'archidiacre, Bachiarius prend
sur lui de conseiller au coupable de se retirer dans la solitude
du couvent où il a vécu jadis; et de s'enfermer dans une cellule
petite et étroite (3), comme dans une prison (4).

LA PÉNITENCE.

La pénitence corporelle, la mortification est le second moyen


d'expier sa faute. Bachiarius nous en définit la nature, il indique
l'esprit qui doit l'inspirer, enfin il nous en décrit la pratique.
On ne peut mieux désigner la mortification que par la cité de
refuge « Ramoth» qui signifie mort élevée ou vision de mort
(excelsa mors, vel visio mortis). Mort élevée, elle l'est à coup sûr

chiae, ]oviano A. et Varroniano Coss. (a. 364). - Cette deuxième loi


atteignait surtout le lapsus. Sa faute méritait la peine capitale. Mais,
parce que diacre, il n'était justiciable que devant la juridiction ecclésias-
tique (Ile Cone. de Carthage, Cano 10; MANS!, t. III, col. 695 E-696 A).
Ce fut précisément le crime d'Idace d'avoir déféré Priscillien, un évêque,
au tribunal de l'empereur Maxime. On comprend dès lors pourquoi
Bachiarius ne mentionne pas des lois, qui par ailleurs eussent pu servir
sa cause.
(1) Memento autem, ut omne8 a conspectu ejus ejicias : nullus videat,
nullus in medio sit, ... (7. 1043 B, C).
(2) Et tu, beatissime, in ~ defuncto fratre opus imitare Elisaei... (7.
I043 A).
(3) ... est Bosor ultra Jordanem in solitudine, quae interpretatur an-
gustia ; id est, cellula monasterii parva vel modica ... (15. I052 A).
(4) Ingredere monasterii tui carcerem (16. I054 A). Ici il ne s'agit
que d'une prison morale, mais il n'y avait pas que des prisons morales
dans les monastères (Cfr S. SIRICE, Lettre à Himère, VI; PL, t. XIII, col.
I I 37).
LES IDÉES DU il DE LAPSO » 73
puisqu'en mortifiant les membres elle soulève l'homme jusqu'à
la hauteur d'où il est tombé (1); et qu'elle est, en outre,
une mort bien plus noble que celle qui décompose le corps (2).
Elle est chose excellente puisqu'elle nous fait mourir à nous-
mêmes. De plus, elle est un feu qui purifie: elle est le feu que
le divin Maître est venu apporter sur la terre (S. Luc, XII,
49) ; et le feu qui consume le foin et la paille (1 .Cor., III, I2~.
Elle est encore le couteau qui tranche toute habItude mauvaI-
se, elle est enfin une sorte de martyre dans lequel nous assumons
nous-mêmes le rôle de bourreau (3).
Mourir à soi est pénible. Pour en avoir le courage il faut se
stimuler sans cesse par le souvenir de ses faules (4), par la pensée
du jugement de Dieu, par la vision des tourments de la géhenne
et de l'enfer dont la pénitence nous délivre (5) et enfin par le dé-
sir d'imiter la grande victime expiatrice des péchés du monde (6) ..
Après avoir indiqué les sentiments qui doivent animer celUI
qui expie ses fautes, Bachiarius passe à la description du martyre
volontaire que le lapsus doit s'infliger. Qu'il s'enveloppe d'un
cilice et se couvre de cendre. Sans jamais songer aux mérites passés,
qu'il reste tendu vers l'avenir (7), qu'il permette au médecin

(1) Vere enim 'excelsa mors paenitentia dicenda est cum mortiucatis
membris deducatur homo ad excelsa cœlOIum ul1de fuerat ante dIlapsus
(15. I052 B). ,
(2) ... quia multo nobilius est per paenitentiam mori, quam commUlll
bac morte dissolvi (15. 1052 B).
(3) Si vero forsitan defuerit bujus felicitatis occasio (le martyre), ipse
tibimetipsi tuus poteris esse persecutor ... (16. 1054 A).
(4) ... semper peccatorum tuorum stimulos recorderis (16., I053 C).
(5) Ramoth = visio mortis. - Si autem visionem mOItis sentlre
velimus, ita potest intelligi; quia cum sumus in paenitentia constltutI,
et ante oculos nobis ponimus gehennae il1fernique tormenta, videmus
ipsam speciem mortis, de qua paenitentiae beneucio libe~a~ur (15. IO?2 B).
-- Praeveni ultricis gehennae saeva tormenta, et ipse tIbi tortor exsIste ...
(I6. 1053 C-1054 A). . .
(6) Tantum memineris te in ancillae filii civitate agere paemtentlam ;
quia o11'tnis qui peccat, serv~ts est peccati (S. JOAN., VIII, 34); ut fo~~am
servi accipiens, necesse est humilies teipsum usque ad mortem (PhthPp.,
II; 7, 8) (15. 1°5 2 B, C).
(7) Est Gaulon in unibus Manasse, quae interpretatur volutatio, ut tu
memineris tibi in cilicio et cinere esse volutandum: et boc III umbus
Manasse, qui interpretatur oblivio, ut obliviscens ea quae ante gessisti,
in prima te extendas ... (15. I052 C).
74 CHAPITRE III

divin d'amputer, avec les petits couteaux de l'Évangile (r), la


gangrène de ses péchés (2) ; qu'il s'en prenne à ce corps dont la
beauté lui a été si funeste.
Puis, s'adressant directement au coupable: Oui! ({ que tes mem-
bres épuisés par le jeûne inspirent l'horreur; que le cilice, souillé
par toi d'une façon ignoble, devienne ton vêtement habituel (3) ;
que le Moïse, qui est en toi (c. à. d. l'homme de la loi de Dieu
et le serviteur de sa volonté), broie (4) le veau intérieur (Exode,
XXXII, 20), instrument de ta débauche, dans le désert; je veux
dire, par la règle et le jeûne extermine ta chair et réduis-la à
néant (5). Entre dans la prison de ton monastère; recherche les
ténèbres de la solitude qui te rendront la lumière perdue; la
faim remplacera les ongles de fer (6) ; et la soif terrible qui dévore
jusqu'à la moëlle des os, te tiendra lieu de feu (7) ; d'une main
farouche mets tes entrailles à nu (8), les veilles seront tes
gardes (9), la règle et la vie régulière t'enserreront comme d'une
chaine de fer rigide (ro). A ces conditions, grâce à cette sorte de
martyre, tu peux compter sur le pardon et la miséricorde du

(r} ... cultellos evangelici ferramenti (16. 1053 B)? - ferramentum


estnn mot de médecine. Cfr CELSUS, De medicina, 1. VII, c. 22 (édit.
TEUBNER), p. 3031. 8 ; 1. VII, c. 26, p. 307, 1. 14; 1. VII, c. 16, p. 310,
1. 23; p. 3II, 1. 29, 32.
(2) Surge, quia medicus advenit, qui dicit secandas esse putredines
peccatorum, et post haec curandam plagam ipsius cicatricis (16. 1053 A).-
S. CYPRIEN, dans son De mortalitate (cap. XIV, éd. Hartel, dans Corp.
eedes. script. lat., t. III, p. 305, 1. 18), parle aussi de {( contagio morbidae
putredinis ».
(3) Horreant exinanita membra jejunio, et cilicium quod sordida ra-
tione pollueras, pro tegmine habere consuescas ... (16. 1053 B).
(4) Le ms. Paris. lat. 14993 a limat au lieu de terat. Ce verbe est plus
en harmonie avec le « ad nihilum redacta tenuetur », qui suit.
(5) ... id est, carnem tuam legis ac jejunii disciplina conficiat, ut ad
nihilum redacta tenuetur (16. 1053 C).
(6) Le texte porte gula. Ungula, qui donne un sens plus satisfaisant,
est donné par le ms. Paris. lat. 14993.
(7) ... et pro supplicio ignis internas ossium medullas durae sitis depas-
cat incendium (16. 1054 A).
(8) ... ut manu carnificis voluntatis, per abstinentiae paenam costa-
rum compago nudata visceribus sit ... (16. 1054 A).
(9) Sit tibi vigilia velut ofliciorum custodia publicorum ... (16. 1054 B).
(10) ... ac sicut catena rigentis ferri, sic duriori consuetudine et lege
constrictus ... (16. 1054 B).
LES IDÉES DU ({ DE LAPSO » 75
ciel (r). Courage donc! L'échelle de Jacob d'où tu es tombé, est
toujours là. Malgré la faiblesse de tes membres fracassés dans
ta chute, essaie de regagner l'échelon où tu étais parvenu jadis.
Jusque-là reste vaillant: car si toute montée est glissante, celle-
là plus rapidement encore nous jette dans l'abîme ».
Nous venons de voir quelle est, d'après Bachiarius, la part
du pécheur dans son relèvement moral. Il est temps d'envisager
les autres interventions qui jouent leur rôle nécessaire ou impor-
tant dans toute conversion.

III. LES AGENTS DU PARDON.

1. LA SAINTE TRINITÉ.

Pour retirer le malheureux de l'abîme du péché, Bachiarius


conseille à Janvier d'utiliser le secours de la bienheureuse Trinité
(sive beatae auxilium Trinitatis) (2). Le rôle dévolu aux trois
Personnes divines s'explique aisément lorsqu'on note que Ba-
chiarius, suivant en cela une indication de Firmicus Maternus (3),
attriblle la chute du lapsus à trois dieux: à Vénus, à Mars et à
Mercure (4). De cette manière le relèvement se présente comme
l'exacte contrepartie de la chute.
A cette raison s'en ajoute une seconde. Le péché affecte tout
l'homme; il corrompt par conséquent les trois éléments: le corps,
l'âme et l'esprit, dont Bachiarius, à la suite de Priscillien (5), le dit

(1) Eia, eia quid dubitas? Scalam illam Jacob (Gen. XXVIII, 12)
unde lapsus es ... adbuc posita nondumque subtracta est: et licet in ruina
tua omnia membra colliseris, tamen iterum con are ascendere : et donec
venias ad illum gradum unde cecidisti, fortiter te serva atque custodi ;
quia licet lubricus sit omnis ascensus, tamen ille cito vergit ac dejicit
in profundum (16. 1054 B).
(2) Ecce frater in lacu est: assumamus triginta bomines, id est, sive
beatae auxilium Trinitatis... (6. 1042 A).
(3) Sunt autem qui actus decernunt hominibus Mars, Venus et Mer-
cu:r;ius (FIRMICUS MATERNUS, Mathesis, 1. IV, cap. XXI, 1; éd. Teubner,
p. 280).
(4) ... et hoc coram diis tuis, Venere, Marte atque Mercurio: id est,
fornicatione, vel avaritia, vel furore ... (29. 1057 C).
(5) Les deux passages suivants tirés du Traité VI de Priscillien sont
caractéristiques: ... quia nos divinae consortes esse voluit naturae,
CHAPITRE III

composé. Faut-il s'étonner que la Trinité du ciel intervienne


pour refaire la trinité créée, son image et son symbole (1).
Le De lapso ne nous renseigne pas sur la manière dont la Tri-
nité sainte exerce son rôle dans la réhabilitation des âmes.

2° JÉSUS-CHRIST.

L'action de Jésus-Christ nous est exposée avec plus de détails.


C'est lui le grand médecin (2) qui dispose de toutes sortes
d'onguents (pigmentorum) (3) et d'emplâtres (emplastris) capables
de guérir n'importe quelle blessure. L'art de ce médecin en chef
(archiatrum) n'est dérouté par aucune maladie (4). A son école
(scholae) ceux-là même qui sont réputés incurables retrouvent
l'espoir et la santé (5). Il accueille toute âme qui rejette son péché
avec dégoût (6), il la ressuscite (7), il brise les liens qui l'enla-
cent (8), il la venge au besoin de ses ennemis triomphants (9) ;

ita nos eorpore anima et sPiritu triformi praeceptorum observatione


clistringat ... (Tract. VI ; Corp. script. eecles. lat., t. XVIII, p. 70, 1. 17-18)
... ut, sicut supra diximus, corpore, anima et sPirittt triformi in deo opere
perfecti ... (1. c., p. 76, 1. 4) - Cfr aussi FIRMICUS MATERNUS, De errore
profanarum religionum, V; Corp. script. eccles. lat., t. II, p. 82-83.
(1) Bachiarius rapproche les deux trinités dans le même texte .... id
est, sive beatae auxilium Trinitatis, sive cum labore animi, carnisque et
spiritus, demersum in profundo putei liberemus (6. 1042 A).
(2) Pour le sens d'" arcbiater» (médecin en chef) dl' MARQUARDT,
La vie privée des Romains, trad. V. Henry, t. II, p. 439 sqq. Paris, 1892.
(3) Le mot pigmentum a trois sens: il désigne 1) les couleurs (les subs-
tances colorantes); 2) le fard (que nous appelons parfois « le rouge ))l,
l'onguent de toilette; 3) enfin le suc des plantes avec lesquelles on fait
des poisons et des remèdes ... qui venenis et berbarum pigmentis salu-
taria soleant remedia comparare (FIRMICUS MATERNUS, Mathesis, l. VIII,
c. XVII; édit. (Teubnerl de W. KROLL et de F. SKUTSCH, p. 314.
Leipzig, 1913.)
(4) Hane fuit quod lateret A rchiatr'um, cui nequaquam artis suae
peritia provideret (3. 1039 Al ?
(5) Erras, frater, recurre ad scholam medici (4. 1°40 A).
(6) Unde etiam suspicamur Davidem ei non fuisse commotum (il
n'en voulait pas à. Amnon), quia cito vidit cum paenitentiam recepisse
(I}. I050 B).
(7) Solet Christus de tali sepu1cro mortuos suscitare ... (II. 1048 A).
(8) ... et virtute paenitentiae disrupisse ejus laqueos (13. 1°50 B).
(9) 13. 1049 C-1050 A.
LES IDÉES DU « DE LApSO »
77
enfin le Christ, l'époux (vir) s'unit de nouveau à l'âme pour lui
faire produire des vertus et des mérites (r).

(1) Sed nec Hebron aditus tibi claudatur, quae iuterpretatur conjunctio
sive conjugium. Revertatur enim anima tua ad virum suum, id est, ad
spiritum Dei (= le Christ), a quo pro tempore peccaminum fuerat vi-
duata (15. 1053 A). - Ici nous nous trouvons en présenced'uneinfiuence
du gnosticisme ou plus exactement de l'ophisme. Nous ne répétons pas
ce que nous avons dit à ce sujet dans notre étude sur le De fide, à propos
des Écritures (J. DUHR, Le De fide de Bachiari%s, dans RHE. I928,
t. XXIV, p. 324-327).- Dans ce passage l'âme est considérée comme l'é-
lément passif, femelle qui conçoit et enfante. Le Christ, identifié avec le
Spirit,us Dei (... ad Spiritum Dei, 15. 1053 A; dT aussi 22. 1060 C), est le
« vir)), l'époux qui féconde l'âme grâce à la semence des divines Écritures
(r8. 1057 A) et lui fait enfanter l'esprit de salut (spiritus salutis). Chez
Bachiarius la gnose, la science qui répare, rachète, purifie et sauve est
la sainte Écriture. Identifiée en quelque sorte avec le Verbe lui-même,
elle participe à sa vertu fécondante ... aggregata de scripturis copiositate
verborum, huic vid%ae (= l'âme privée de son époux) conjungar ac proxi-
mem, ut auditis his, possit sine difficultate conciPere et salutis spirit'Um
pa'rturire (r7. 1055 B). On comprend ainsi commentla « m'Ultit'btdo scientiae))
sauva Adam et Ève (3. r039 B) et pourquoi Salomon est proclamé ad-
mirable parce qu'il a été jugé digne d'être uni à la Sagesse (au Verbe)
(hoc est sapientiae copulari) (12. 1048 B).
La théorie étrange que Bachiarius expose ici n'est en somme qu'une
version corrigée et exorcisée d'un système de doctrine que Priscillien
a emprunté à l'ophisme.
Suivant les ophites le Christ (Christus) comprend les trois Éons supé-
rieurs (Christo, qui in se complectitur tres summos Aeones ... Cfr GIRAUD,
Ophitae, p. 94, Paris, 1884). C'est aussi un des points que Orose reproche
aux Priscillianistes : « Trinitatem autem solo verbo loquebatur, nam unio-
nem absque ulla exsistentia aut proprietate adserens sublato «et)) patrem
filium spiritum sanctum hunc esse unum Christum docebat (OROSE,
Commonitori'um, dans CSEL, t. XVIII, p. 154-5). Chez Priscillien nous
trouvons cette curieuse expression Christus fons tripartitus (Tract. 1; CSEL,
t. XVIII, p. 5,1. 10 et p. 31, 1. 30) qui semble bien insinuer cela. Le passage
suivant est plus significatif encore « ... baptizantes (nos) sicut scriptum est,
in nomine patris et filii et spiritus sancti, non dicit autem in nominibus
tanquam in multis, sed in uno quia umts Deus trina potestate venerabilis
omnia et in omnibus Christus est)) (Tract. II; CSEL, t. XVIII, p. 37,
1. 20 sqq. Cfr aussi p. 71, l. 21 sqq.). - Bachiarius, lui aussi, parle sou-
vent de Christus mais son langage est parfaitement orthodoxe.
Les ophites prétendaient en second lieu que l'Esprit et le Fils étaient
deux TlOms qui désignent un même Éon (Spiritus et Filius duo nomina ...
quae unum et eumdem Aeonem designant) (GIRAUD, Ophitae, p. 92,
n. 68. Paris, 1884). On l'appelle :fils, parce qu'il joue le rôle du principe
masculin; et esprit parce qu'il assume aussi la passivité de l'élément
CHAPITRE Hl

3° LES COLLABORATEURS SECONDAIRES.

Dieu et l'âme sont les acteurs principaux dans le drame inté-


rieur de la conversion et du relèvement moral. Mais au-dessous
et en dehors d'eux il y a place pour d'autres influences qu'il im-
porte de signaler.

CL L'évêq1le.

Le rôle le plus important revient à l'évêque. Par deux fois


le De lapso mentionne celui qui, à l'exemple du bon Samarit~!n,
doit rappeler, panser, convertir les pécheurs (r). Une premlere
fois dans un passage où il est recommandé à Janvier de relever
le malheureux, frappé par le démon et la tourbe de ses satellites,
et de le présenter à l'hôtelier, c'est-à-dire « au bienheureux évê-
que » (2), pour qu'il en reçoive les soins appropriés (3). L'efficacité

femelle (Filius, masculi principii quum partes agat ... Spiritus elementi
feminei potius gerit vices ... ) (GIRAUD, Ophitae, p. 93).
C'est dans le même sens que Bachiarius n'hésite pas à identifier le
fUs (le Christ) et l'Esprit (cfr supra, 15. 1053 A), et à lui ~ttribue~
le rôle du mari. Priscillien expose le même point de vue : Chnstus de]
virtus et dei sapientia ; cuius cum simus viri (ici le rôle passif .d~ l'Esprit-
Christ est insinué) et ipse vir ... desponsatos nos in fide exhlblturum se
apostolus uni viro castam nos virginem repromisit ... (Tract. l, dans CSEL,
t. XVIII, p. 28).
Suivant les ophites enfin, la nouvelle créature qui des poussières ter-
restres monte vers la nature éternelle, n'est plus ni femme, ni homme,
mais un homme nouveau, qui est à la fois du sexe mâle et du sexe femelle
(GIRAUD, p. 105). Or précisément, suivant Priscillien,Yhomme ré~énéré
uni au Fils-Esprit, n'est plus exclusivement ni homme m femme, malS par-
ticipe aux deux sexes: il est non seulement actif mais pass~f... quia
non est masculus neq~te femina, sed omnes unum s'&tmus zn Chnsto Jes'Vt
(Tract. I; CS EL, t. XVIII, p. 28). Bachiarius semble refuser de suivre
son maître jusque-là.
(1) ... aut velut pastor bonus vagantem revocet, alligetque attritam,
errantemque convertat (17. 1055 B, C).
(2) Et tu ergo collige fratrem, quem diabolus latro. cum sat~l1itum
suorum turba percussit : assigna stabulario, hoc est b[eatlsslmo] ep1scopO,
qui si quid in eo impenderit, amplius a Domino conseque.tur (9., I?45 .C).
(3) Ce conseil de l'ascète espagnol suppose, semble-t-1l, la. leg~slatlO~
du concile d'Elvire (can. 32; MANSI, t. II, col. II A, B). Sl qUlS graVI
lapsu in ruinam mortis inciderit, placuit, agere paenitentiam non debere
sine episcopi consultu, sed potius apud episcopum agat ...
LES IDÉES DU « DE LAPSO » 79
de l'intervention épiscopale est décrite dans un autre endroit.
Pour moi, avoue notre ascète, tout ce que je puis faire c'est de
retirer de la gueule du lion, le sommet ou le bout de l'oreille,
et c'est déjà beaucoup (r) ; mais c'est à l'évêque de ce lieu ... ,
d'imiter l'exploit de David, de se dresser contre le lion ou l'ours,
de le serrer à la gorge et de lui arracher sa proie (2).
Il est regrettable que Bachiarius ne se soit pas davantage
expliqué sur la manière concrète dont l'évêque devait intervenir
dans le cas du lapsus. Cette simple indication nous suffit pour-
tant pour nous rendre compte qu'on était persuadé que Jésus-
Christ ne remettait pas les fautes en dehors de ses ministres
. à qui il avait confié le pouvoir d'absoudre ou de reteriir les fautes.

b. Les autres membres dl4- clergé, l'Église, les fidèles.


Parmi les membres du clergé qui doivent s'intéresser au sort
du coupable, Bachiarius mentionne expressément le corps des
diacres. Le lapsus doit à tout prix amener ceux dont il était jadis
le frère et le compagnon, à intercéder pour lui. Et s'ils ne se lais-
sent pas émouvoir par une attitude humble et soumise (3) qu'il
ne craigne pas d'imiter Absalon et de les faire sortir de leur
indifférence en leur adressant des injures (4).
Si les diacres ne semblent pas prendre à cœur le sort malheu-
reux de leur ancien confrère, l'Église, elle, pleure sur lui avec
une sollicitude maternelle. Pareille à cette mère qui se jeta aux

(1) Non est minimum, si extremam aut summam auriculam de leonis


faucibus extrahamus (AMOS, III, 12) ... (17. 1055 B).
(2) ... tametsi beatissimum pontificem qui in iisdem locis cum sacer-
dotibus suis divino assistit altario, non aliud reor quam Davidicum opus
imitari; ut quando de grege leo aut ursus ovem rapuerit, insurgat
adversus eum, et praestrangulatis faucibus, praedam ex gutture eri-
piat ... (17. 1055 B).
(3) 14· 105 1 A : humilis esto ac acclinis ...
(4) Ecce vides, ubi occasio precum nascitur ex injuria et paena sancto-
rum (14. 105 1 B). - Absalon incendia le champ d'orge de Joab, afin
d'attirer de cette manière les regards sur lui, et d'être remis en la pré-
sence de l'ami de David. Les saints, en effet, remarque Bachiarius, doivent
avoir un double mérite: celui qui compte aux yeux de Dieu, et celui qui
est profitable aux hommes. Le premier est symbolisé par le froment,
le second par l'orge. Brûler le champ d'orge c'est donc équivalemment
dire que les saints sont inutiles à leurs semblables, quoi qu'il en soit
par ailleurs de leur mérite auprès de Dieu, qui ne peut leur être ravi
(14. 1051 C-1052 A).
80 CHAPITRE III

pieds du prophète Élisée (II Rois, IV, 27), elle accourt auprès du
Christ pour le supplier de ressusciter le défunt (r).
Bachiarius enfin demande à l'archidiacre de ne pas écarter le
coupable de l'assemblée des fidèles (2). Ce contact, à son avis, ne
peut que lui faire du bien. Les louanges qu'il entendra le feront
rougir de son indignité, les blâmes au contraire lui feront mesurer
l'étendue de sa faute. Les félicitations comme les réprimandes
seront pour lui comme des coups de fouets qui le presseront à ex-
pier ses péchés (3).

c. Les pnissances an géliq1ie s.


Il nous reste à parler du rôle que Bachiarius assigne aux
puissances angéliques ou patriarcales (4).

(1) Currat ad Elisaeum mater ejus; id est, sollicite plangat ecclesia,


resurget enim, si fideliter hoc speraverimus a Christo (7. I043 A). -
Tertullien mentionne déjà l'intervention de l'Église, ou plus exactement
de la communauté chrétienne, dans la pénitence ... « Le pénitent alimente
d'ordinaire les prières par les jeûnes, il gémit, il pleure, il mugit jour et
nuit vers le Seigneur son Dieu, il se roule aux pieds des prêtres, il s'age-
nouille devant ceux qui sont chers à Dieu, il charge tous les frères d'être
ses intercesseurs pour obtenir son pardon» (De Paenit., IX, 4, éd. de La-
brioUe dans Textes et Documents, publiés sous la direction de MM. HEM-
MER et LEJAY, p. 41).
(z) Nolo, ut eum longe segreges a Christi membris ... (9. 1045 C).
(3) Non emendationis parvum putes esse tormentum, si peccator
adsciscitur in consortium beatorum; quia illorum praemia, sua sentit
esse tormenta. Si quis laudatur, erubescit; si quis vituperatur,agnoscit.
Inter haec verborum flagella constitutus, satisfactioni emendationique
semper approximat (9. 1045 D-I046 A). - Bachiarius emploie souvent
le mot « emendare)) : « culpam emendare II (16. 1054 A) ; « dura sententia
emendat corrigitque peccatum» (lB. 1055 C-I056 A) ; « crimen hoc emendan-
dumnuptiis» (zo. 1058 B) ... «ut culpam emendare possis desertoris et refugi»
(16. 1054 A). C'est là parler le langage des juristes. L'emendatio, en effet, se
fait par le « tormentum II (correction physique ou morale) ; - la punitio,
par la paena. La première est « médicinale », la seconde est « vindicative II
(ultrix est paena). La première est faite par un ami parfois sévère, la seconde
est exercée par l'ennemi qui ne songe qu'à se venger et non à faire du
bien au coupable.
(4) L'archicliacre aurait dû s'occuper aussi du lapsus. Nous avons
vu plus haut ce que Bachiarius attendait et exigeait de lui. Nous n'avons
pas à y revenir. - Notons cependant que vers ce même temps où l'ascète
espagnol proposait à Janvier, comme exemple à. imiter, Élisée ressusci-
tant le fils de la veuve (7. 1043 A, B), saint Martin renouvelait le geste
LES IDÉES DU « DE LAPSO 8r

Le passage où il parle de leur action est énigmatique et obscur.


A cela rien d'étonnant car l'auteur lui-même tient à déclarer qu'il
procède ici d'une manière tropologique, c'est-à-dire allégorique(r).
Avant d'aborder le sujet proprement dit, Bachiarius commence
par une remarque préliminaire: à savoir que tout péché peut
être pardonné, que toute chute mortelle peut être suivie d'un re-
lèvement. « Les vases sacrés emportés par le roi assyrien (JÉRÉM.,
XXVII, r6) doivent retourner au temple (1 Esdr., l, 7-II) pour
que Babylone l'impure ne les garde pas toujours» (2). Les
conditions du relèvement sont symbolisées par trois hommes:
Zorobabel, Esdras et Naaman le Syrien. Le premier représente
l'esprit de sagesse, l'amour de la vérité et la connaissance du
mal (3); le second rappelle la science des Écritures (4); enfin
Naaman symbolise la confiance et l'intrépidité (5).
Le paradis terrestre qu'Adam aurait dû garder et cultiver
(operari et custodire) (6); le temple du Seigneur incendié (7) ;

du prophète juif avec le même succès (SULPICE SÉVÈRE, Vita S. Martini,


cap. 7 ; dans Corp. script. eccles. lat., t. l, p. II7-B).
A défaut de l'archidiacre c'est Bachiarius qui se propose de conduire
le lapsus au lieu de l'expiation (I7. 1054 C), de rester avec lui, bien plus
(et c'est ici que nous retrouvons ses idées et son langage gnostiques)
de s'unir à. lui pour lui faire concevoir et enfanter le salut, grâce à la se-
mence des Écritures (... tamen animam tuam mihi cupio sociari; nec
arguat me quispiam esse praesumptionis, quia licitum est mihi semen
de fratris defuncti vidua suscitare) (Deut., XX, 7. 9) ... sed quaesita mul-
titudine seminis, aggregata de scripturis copiositate verborum, huic
viduae conjungar ac proximem, ut auditis bis, possit sine difficultate
concipere, et salutis spiritum parturire (17. 1055 A, B).
(1) Reaedificentur ergo pel' tropologias nominum claustra portarum
(lB. r056 B).
(z) Licet dominici templi vasa l'ex captaveritAssyrius (JEREM., XXVII,
16), tamen revertantur ad templum (1 Esdr., l, 7-II), ne ea in perpetuum
Babylon immunda possideat (r8. 1056 A).
(3) ... Zorobabel, hoc est, spiritus sapientiae, qui jam intellexit mu-
lierum potentiam malis bominibus principari (c. à.. d. les hommes mauvais
sont dominés par l'élément passif; cfr J. DUHR, De fide de Bachiarius, dans
RHE, 19ZB, XXIV, p. 325-6), et totus in veritate confidit ... (lB. 1056 A).
(4) ... veniat Esdras, bibliotbeca legis, et memorialectionis (lB. 1056A).
(5) ... veniat Naaman Syrus, virtus confidentiae contemptorque formi-
dinis ... (18. 1056 A).
(6) ... quia Adam positus est in paradiso operari (Gen., II, 15), et cus-
todire (lB. 1056 B).
(7) Licet pel' flammam turpis concupiscentiae incenderit templ um
Domini princeps cocorum ... (18. 10,56 A).
82 CHAPITRE iII

la Jérusalem d'Esdras qui devait être reconstruite et gardée (1) :


autant de figures de l'âme pécheresse. Sans s'arrêter davantage
aux deux premières comparaisons, Bachiarius, en décrivant la
reconstruction de Jérusalem, va nous montrer les puissances
angéliques à l'œuvre. Celles-ci, en effet, ont pour tâche de rétablir
dans leur intégrité et dans leur perfection les sept sens, figurés
par les sept portes de Jérusalem. La porte probatique (probatica,
LXX : 'T~V mJÀYjv 'T~V 1Tpo~a-nK~v) évoque chez Bachiarius le sens
de l'ouïe, puisque l'ouïe « éprouve» (comprobamus) ce qui est
bien ou mal, suivant la parole de l'Apôtre, « si estis in fide (ex
auditu), ipsi vos probate» (II Cor., XIII, 5) (2). La porte des pois-
sons (piscatoria) (3) rappelle la vue, puisque le regard d'un
immense coup de filet prend tout ce qu'il atteint (4). La porte
A nathoth (5) (II Esdr., IH, 6), qui signifie « respondens signum »,
symbolise à merveille le front où nous avons reçu le signe de
notre salut et celui de la sainteté du Seigneur (6). La porta

(1) •.. ac dispositis per singula Hierusalem loca ... ut collapsa restruan-
tur ... (18. 1056 B).
(2) Étymologiquement la porte probatique veut dire « la porte des bre-
bis» (1I'pOba7'Wv). - Bachiarius joue sur le mot latin « probare ».
(3) LXX: 7'~V 1I'vÀ7)v 7'~V lX8u7)pàv (II ESDR., III, 3).
(4) ... quia ipse visus pro sagena poterit aestimari : quidquid aspexerit,
statim capit; et captum, ad cordis cellaria interiora transmittit (18.
1056 C). Saint Jérôme emploie lui aussi l'expression, « cellarium pectoris »
(EPist. CVIII, 12; PL, t. XXII, col. 876).
(5) LXX: 7'~V 1rvÀ7)v 'Iaaavat. - A cette porte Bachiarius adjoint les
loca unguentariorum, et il entend par là les parties du corps qui sont tou-
chées par les onctions du saint Chrême; ces parties doivent être rétablies
par d'autres puissances angéliques que par celles qui s'occupent du front
( ... quae per tropologias nominum ab aliis virtutibus dicuntur esse res-
tructa. Unguentariorum autem loca quae sunt, nisi illa quae chrismatis
sanctificatione tanguntur?) (18. 1057 A).
(6) ... in Anathoth, quae interpretatur respondens signum, quod sus-
picatur esse frontis patibulum, ubi signum salutis nostrae et Domini-
cae sanctitatis accepimus : quod est aurea lamina, ubi pontifex nomen Do-
mini scriptum mandatur accipere tetragrammaton (18. I056C).r-Il s'agit
évidemment ici du « signe de la croix », signe de notre salut: il rappelle
le sang divin versé pour nous racheter; signe de la sainteté de Notre-
Seigneur: car suivant la lettre aux Philippiens (II, 8) Jésus fut « obediens
usque ad 1ll0rtem, mortem autem crucis ». - La croix ayant quatre cOtés,
elle rappelle naturellement le tetragramme; le front à son tour, où la croix
est en quelque sorte fixé, est comparé et au pectoral du grand-prêtre de
l'ancienne loi, et au frontispice de la maison (patibulum) où fréquemment
LES IDÉES DU « DE LAPSO »

frugis (II Esdr., III, 13) n'est-elle pas la bouche d'où sortent les
paroles de Dieu, semences de tous les fruits (r), et par là-même
ne représente-t-elle pas le sens du goût? La porte stercoraire
(stercorea: LXX: 'T~V 1TVÀYjV 'Tfjs K01Tptas; II Esdr., III, I4)
nous fait penser au sens de l'odorat, au nez par lequel nous esti-
mons comme un bien, ce qui n'est que fumier (PhiliPp., III, 8) (2).
La porte forte (tortis, corruption pour fontis: LXX : T~V 1TVÀYjV 'Tfjs
7TYjyijS; II Esdr. III, 15) s'identifie avec les mains ou le sens du
toucher, parce que nous n'avons pas tenu « fortement» ce que
nous tenions, et un autre a enlevé notre couronne (Apoc. III,
II) (3). Enfin les murs de la porte de la piscine (N atatoriae ; LXX:
TO TE'LXOS KOÀUpf3~epas (II Esdr. III, 15) ce sont les marques de
la chasteté: car à travers la paroie de la continence brisée (dis-
soute) par la luxure, les flots salutaires du baptême se sont
répandus et perdus (4). Tout cela est évidemment bien étrange.
Pour retrouver sept sens, Bachiarius énumère parmi eux, le
front et le symbole de la chasteté (l'hymen); et quel effort

on inscrivait soit une phrase de bon augure, soit une deprecatio incendio-
rum, soit une figure symbolique destinée à écarter le maléfice, soit enfin le
nom du propriétaire (cfr MARQUARDT, La vie privée des Romains, trad.
V. Henry, t. l, p. 265. Paris, r892). Le signe de la croix, remarque saint
Jean Chrysostome, signifie tout cela: il est le signe du salut, la terreur
des démons, et la marque de l'appartenance au Christ. Et donc « Gloria
nostra crux est, caput bonorum omnium, fiducia et corona» (In Matth.,
Hom., LIV, 4; PG, t. LVIII, col. 537-8).
Tertullien déjà disait à peu près comme Bachiarius : ... « frontem signa-
culo terimus» (De corona, c. III; PL, t. II, col. 80 A) (cfr aussi F. DÔLGER,
Antike u. Christentum, t. l, 1929, p. 17-I9).
(1) ... porta Frugis (II Esdr., III, 13), quam nos suspicamur esse oris
ac saporis officium, pel' quam omnium seminum, hoc est, verborum Dei
fructus egreditur (18. 1057 A). - La même idée se trouve déjà exposée
dans le De tide « ••• omnium creaturarum satio, caeli, terrae et maris ...
(De fide, 8 ; PL, t. XX, col. r036 B).
(2) ... porta stercorea, quam nos suspicamur esse narium sive odoratus
introitum, per quem nos turpis decepit illicebra, et aestimavimus lucra
esse, quae erant stercora (PhiliPp., III, 8) (r8. 1057 A).
(3) Fortis porta (II Esdr., III, I5) quam credo manuum nostrarum
sive tactus officium esse; quia non tortiter tenuimus quod tenebamus,
et alter tulit coronam nostram (Apoc., III, II) (18. I057 A).
(4) ... et muri Natatoriae (II Esdr., III, 15) id est, forma baptismi
nostri, et mystici fontis disrupta munimenta, quae sunt castitatis insi-
gnia; quia soluto pel' luxuriam continentiae pariete, velut abruptis obi-
cibus sacri laticis, fontis undam effudimus atque perdidimus (18. I057B).
CHAPITRE III

d'imagination ne fait-il pas pour arriver à identifier les sept portes


de Jérusalem avec les sept sens!
Nous n'hésitons pas à reconnaître dans cette théorie bizarre
l'influence du priscillianisme à base de gnosticisme et d'astro-
logie. Nous avons vu comment Priscillien et après lui Bachiarius
reconnaissent dans l'homme trois éléments: l'esprit, l'âme et le
corps. Or, ces éléments subissent des influences diverses. L'esprit,
qui est simple, est sous la domination du Christ (Dominus Spiritus
est; 22.r060 C) ; l'âme (anima) qui a, selon Priscillien, des parties
comme le corps, est régie par les vertus patriarcales (1) ; enfin le
corps est soumis aux puissances angéliques, préposées aux astres
sinon identifiées avec eux. Mais pendant que les membres sont
influencés par les douze signes du Zodiaque (2), les sept sens
subissent l'action des sept planètes, qui sont précisément des
portes purificatrices.
«( Une théorie plus purement astrologique, écrit M. Cumont
à propos de la religion syrienne, enseignait que les âmes des-
cendaient sur la terre du haut du ciel en traversant les sphères
des sept planètes et acquéraient ainsi les dispositions et les qualités
propres à chacun des astres (3). Après le trépas, elles retournaient
par le même chemin à leur première demeure. Pour parvenir
d'une sphère à la suivante, elles devaient franchir une porte
gardée par un commandant (apxwv) ... A mesure qu'elles s'éle-
vaient, elles se dépouillaient «( comme de vêtements» des passions
et des facultés qu'elles avaient reçues en s'abaissant ici-bas, et
débarrassées de tout vice et de toute sensualité, pénétraient dans le
huitième ciel )} (4).
Le gnosticisme s'était approprié ces données eschatologiques.

(1) ... Tradidit (Priscillien) autem nomina patriarcharum membra esse


animae, eo quod esset Ruben in capite, Juda in pectore, Levi in corde,
Beniamin in femoribus, et similia ... (cfr OROSE, Commonitorium, dans
CSEL, t. XVIII, p. 153).
(2) Voir sur tout ceci J. A. DAVID S, De Orosio et sancto Augustino Pris-
cillianistarum adversariis commentatio historica et philosoPhica, p. 203-
206. La Haye, 1930.
(3) La manière dont Priscillien décrit la descente des âmes, rappelle de
bien près cette théorie astrologique (Cfr ORO SE, Commonitorium, 2; CSEL,
t. XVIII, p. 153).
(4) F. CUMONT, Les religions orientales dans le paganisme romain, 4 e
édit,. p. II6-II7. Paris, 1929.
LES IDÉES DU « DE LAPSO » 85

Il suffit, pour s'en convaincre, de lire l'Histoire de JosePh le Char-


pentier (chap. XIII, XXII).
Or, rappelons-nous que Bachiarius se représente précisément
la conversion comme une montée de l'âme vers le ciel d'où elle est
tombée (r). C'est pendant cette ascension vers Jérusalem, vers la
grâce et la sainteté, que les sens corrompus par le péché doivent
être rétablis dans leur pureté, leur intégrité par les puissances
angéliques symbolisées par les sept portes de la ville de David.
Dans notre étude sur le De (ide nous avions déjà fait remar-
quer que Bachiarius s'inspirait volontiers de Firmicus Mater-
nus (2) ; ici nous avons une nouvelle preuve que la mathesis l'in-
téressait et le préoccupait.

(1) Vere enim excelsa mons paenitentia dicenda est, cum mortificatis
membris deducatur homo ad excelsa caelorU1n unde tuerat ante dilapsus
(15. 1°52 B).
(2) J. DUHR, Le De (ide de Bachiari1l!s, dans RHE, 1928, t. XXIV, p.
3 1 9- 20 .
CHAPITRE IV

BACHIARIUS ET LA BIBLE

Bachiarius connaissait admirablement l'Écriture sainte. Dans


le De /ide aussi bien que dans le De lapso il semble avoir cons-
~an:ment devant son esprit tout le «canon » des livres saints (r) ;
11 cIte avec une égale facilité l'Ancien Testament et le Nouveau.
S'agit-il d'écarter des soupçons injurieux, d'atténuer la sévérité
de Janvier, ou d'amener le lapsus à se repentir de ses fautes
et à les expier: toujours il recourt presque uniquement au texte
sacré. Il a tellement lu et relu la Bible qu'il la manie sans aucun
effort'. Maximes et exemples semblent se présenter d'eux-mêmes
à son esprit, et s'accumulent sous sa plume. Ainsi quand il recom-
mande à l'archidiacre de rester seul à seul avec le lapsus, il lui cite
aussitôt en exemples: Élisée (IV Rois, IV, 33), Notre-Seigneur
(Matth., IX, 25) et saint Pierre (Act., IX, 40 ) (7· r043 C). Veut-il
montrer qu'on a tort d'imputer à quiconque les fautes de son
pays ou .de son entourage il aligne entre autres: Abdias, la veuve
de Sarepta, Job, Ruth, Abraham, les Mages et Moïse lui-même
instruit dans les arts des Égyptiens (De /ide, l ; PL, t. XX, col:
10Z1-rozz A) (z). Il serait facile de multiplier les exemples d'uti-

(1) Bachiarius donne le nom de canon à tout l'ensemble des Écritures


... totum canonem divinorum librorum. (De lapso, I. 1037; cfr encore, 3.
1039 A; 12. I048 E). Les deux testaments, figurés par les deux deniers
que le bon Samaritain donne à l'hôtelier (9. I045 C), forment comme un
seul bloc, un seul monceau de témoignages ... et hunc acel'vum testem
to~um canonem divinorum librorum esse sentimus... (1. 1037 A). ~
SaIllt Ambroise voit, lui, un symbole des deux testaments dans les deux
pIèces de .~onnaie de la veuve (Epist. XXVI, 6; PL, XVI, 1043 C-I044B).
(2) VOlcIles textes utitilisés : Jean l, 46 ; Act., l, 17, I8; Gen., XXXVII,
18:.,' Jérémie, XXVIII, 9 (cfr XXXVII, 16); Nombres, XVI, 1 sqq;
Lemt. X, l, sqq; Jean, VIII, 48; l Rois, XVIII, 3, 4 sqq. ; l Rois, XVII,
9, 10; Nombres, XXII, 38; et XXIII, 7 sqq.; Job, XLII, 8 (LXX) ; Gen.,
XI, ~I ;. Matth., II, I. - On voit avec quelle facilité et quelle aisance
Bachmnus passe de la Genèse à saint Matthieu; du Lévitique ou du
BACHIARIUS ET LA BIBLE

lisations scripturaires aussi abondantes. Ils nous prouvent que


la Bible était en toute vérité le domaine de Bachiarius. C'est là
qu'il se sentait chez lui.
Mais ce qui est pour nous d'un intérêt plus considérable que
le nombre et la variété des textes cités, c'est d'apprendre:
1. Quels sont les livres que l'ascète espagnol a utilisés;
2. Quelle est la version dont il s'est servi;
3. Enfin comment il interprète le texte sacré.
I. LES LIVRES UTILISÉS.
A, LES ÉCRITS INSPIRÉS,
Le De /ide aussi bien que le De lapso sont de véritables mo-
saïques composées de textes, extraits de toute la Bible. Ils sont
rares, les livres de l'Ancien Testament ou les écrits du Nouveau
qui n'aient pas fourni au moins une pierre. Pour l'Ancien Testa-
ment sont omis: 1. ParaliPomènes, Esther (r), les Proverbes,
Baru,ch, Joël, Jonas, Michée, Habacuc, Sophonie, Aggée, Ma-
lachie et l Machabées: en tout treize livres sur soixante-douze;
et pour le Nouveau Testament: l'Épître aux Colossiens, la Ir. à
Timothée, les épîtres à Tite et à Philémon, et enfin les épîtres II
et III de saint Jean, en tout six sur vingt sept.
Les livres qui, par contre, ont été le plus amplement exploités
sont le Pentateuque, les livres de Samuel et des Rois, les Psaumes,
les livres sapientiaux (sauf les Proverbes), les prophètes Jérémie
et Ezéchiel, enfin les épîtres de saint Paul (dix sur quatorze) (z).

livre des Rois à saint Jean. - Il arrive même à notre auteur de fusionner
plusieurs textes ensemble, pour en composer comme une mosaïque:
voir un exemple: 14. 1°5 1 B, C.
(1) Esther est considéré comme apocryphe encore au IVe siècle par
plusieurs Pères orientaux; ainsi par S. Athanase (EPist. lest., 39; PG,
t. XXVI, col. II76, 1436) et par S, Grégoire de Naziance, Carminum, 1. l,
C. XII; PG, t. XXXVII, col. 47 2 sqq.
(2) Nous donnons le détail des citations: elles peuvent avoir leur uti-
lité pour l'histoire du texte de la Bible.
A côté du chapitre et du verset cités ou utilisés par Bachiarius, nous
mettrons entre parenthèses le paragraphe du traité et la colonne de
Migne (t. XX) où se trouve la citation ou l'allusion.
A. DANS LE De (ide.
1. A ncien Testament.
I. Genèse: l, 3 1 (5. 1033 A) ; XI, 31 (1. IOZI B) ; XII, 1 (1. I019 D) ;
XXXII, 18 sqq. (1. 1020 C) ; XXXIV, 23 (1. 10Z1 B).
88 CHAPITRE IV

z. Exode: II, 10 (I. 1021 B); XX, 26 (3. 1025 A); XXXIV, 23 (7.
1°38 A).
3· Lévitique: X, 1 sqq. (1. 10Z0 C); XIV, 36 sqq. (z. loz4 A); XVIII,
14 (4· 1030 A).
4· Nombres: XIV, 17 (I. IOZO C) ; XVI, 1 sqq. (1. 1020 Cl.
5· Deutéronome: XII, 23 (4· 1030 A); XVII, 6 (7. I035 C); XIX,
19 (7· 1°3 6 A) ; XXXII, 7 (7. I035 A).
6. Ruth: l, 4 (r. 10Z! A).
7· l Sam. : V, 4 (2. 10z4 A).
8. l Rois: XIV, 25 (8. 1°36 C) ; XIV, z7 (8. 1°36 A) ; XVII, 9. 10 (1.
IOZl A) XVIII, 3 (1. r. 1021 A).
9· II Paralipomènes: IX, 16 (8. I056 A); XII, 10, I I (8. 1°3 6 B).
10. Job: XLII, 8 (= LXX) (r. 10Z1 A).
Ir. Psaumes: XXXII, 15 (4. 1°31 A) ; XXXVIII, 17 (z. I024 B) ; XCI,
3 (4- I031 A).
12. Ecclésiaste: l, 9 (r. 10I9 C).
13· Ecclésiastique: X, 9, 15 (5. I032 B).
14· Isaïe: XIV, I2 (5. I032 A) ; XLVII, IZ (5. I03z B) ; LII, 7 (8. I036 B).
15· Ézéchiel: XXVIII, IZ (5. 103z A).
16. Jérémie: XXXVIII, 16 (4- 1030 A).
17· Nahum: l, 15 (8. 1°36 B ... quorum pedes veloces sunt super
montes).

II. Nouveau Testament.

1. S. Matthieu: l, 5 (z. 10z3 B) ; V. Z2 (z. IOZ3 B) ; XXI, 22 (2. 1024 B) ;


XXIII, 9 (2. 1022 B) ; XXVI, 47-8 (r. 1020 C).
2. S. Marc: XIV, 43-4 (1. 1020 C) (Judas).
3· S. Luc: XXII, 47-8 (I. 1020 C).
4· S. Jean: I, 46 (r. 1020 C) ; IV, 7 sqq. (1. 1019 D) ; VII, 50, 51 (2.
!O Z 3 B) ; VIII, 4 8 (I. 1021 A) ; XIII, 27 (1. 1020 C) ; XV, 26 et
XVI, 13 (3. loz7 A).
S· Actes des Apôtres: XX. 9 (z. 1023 A).
6. ~pître aux Ro~ai~s : VII, 8 (5. 103z A) ; XIV, zr (S. 1033 A).
7· Ep. l aux COrInthIens: X, 6 (z fois = 1. 1019 C; 6. 1033 B) ; XIII,
I. (2. 10Z3 B).
8. Ép. II aux Corinthiens: l, 15 (5. I033 B); V, 16 (1. I019 C) ; XH,
7 (5. 1°32 A).
9· Épître aux Éphésiens: VI, 16 (8. 1036 A).
IO. ~p. II aux Thessaloniciens: II, 3 (5. 1°32 A).
II. Ep~tre II à Timothée: III, S (8. 1°36 B) ; IV, 7 (8. 1°3 6 B).
lZ. Épltre aux Hébreux: XIII, 17 (7. lo3S B).
13· Épître l de S. Pierre: III, IS (z. 1024 B).
14· Épître II de S. Pierre: l, 15 (6. 1034 A).
IS· Épître de S. Jude: I I sqq. (1. I021 A).
16. Apocalypse: XXII, 19 (7. I035 B).
BACHIARIUS ET LA BIBLE 89

B. DANS LE De lapso.
1. Ancien Testament.
1. Genèse: II, 15 (3. 1039 A ; 18. 1056B) ; III, 1 (3· 1039 A, 20-1°5 8 A);
III, 24 (3. 1039 B) ; IV, 15 (3· 1039 B) ; VI, 4 (Z1. lO59 B) ; XIV, 14
(3. 1039 C); XIV, zo (4- lO40 B); XVIII, 23 sqq. (3· 1039 B) ; XXII,
15 (7. 1043 A) ; XXIV, 65 (20. 1059 A) ; XXVIII, 12 (16. 1054 E) ;
XXXIII, 19 (15. 1053 A) ; XXXIV, 1 sqq. (18. lO55 C) ; XXXIV,
25 (4. 1039 C) ; XLIX, ZI (15. 1°52 D).
2. Exode: XII, II (17. 1055 A) ; XII, 31 (4- 1040 B) ; XXIII, 5 (9.
1045 B) ; XXVIII, 36 (18.1056 C); XXIX (Z1. 1059 A) ;XXXII,
20 (16. 1053 C) ; XXXII, 26 (4. 1040 B).
3. Lévitique: XX, lO (18. 1055 C).
4. Nombres: XII, l, 2 (5." 1040 B) ; XII, 10 (5. 1040 C) ; XVI, 3 1, 3 2
(12. lO48 C).
5. Deutéronome: XX, 7, 9 (17· I055 A).
6. Josué: XX, Z sqq. (15. 1°52-3).
7. Juges: XVI, 1 sqq. (6. 1°42 B).
8. l Samuel: III, 14 (6. 1°42 B) ; XXII, 7 (16. lO53 B) ; XXIII, 18
(6. 1°42 B).
9. II Samuel: l, 2 sqq. (10. 1°46 B) ; 10 (10. lO46 B); 19.20 (10. 1046 C) ;
II, 18 (8. 1044 C) ; II, 23 (8. 1044 C) ; III, 13 (19. 1058 A) ; III, 27
(8. I045 A) ; X, 4 sqq. (13. 1049 B); XI, Z (8. I044 A) ; XI, 27 (2r.
1059 C) ; XII, 1 (8. 1044 A) ; XIII, 28 (13. 1050 C) ; XIV, 23 (14·
1050 C); XIV, 30 (14. 1051 B); XX, 3 (19. IOS8 A); XXI, 10
(2. 1°38 B) ; XXI, 16. 17 (8. 1044 B) ; XXIV, 1 (8. 1044 A).
10. l Rois: l, 1 (2r. 1060 B) ; XI, 17 (12. 1048 B) ; XIII, 1 (Ir. 1047 C);
XVIII, 33 (ZI. 10S9 B).
II. II Rois: V, 27 (5. 1040 C) ; IV, 20 (7· 1°42 C) ; IV, 34 (7· 1043 A);
IV, 31 (7. 1043 C;; XIII, 21. Z4 (9. 1045 D).
12. Ruth: IV, 1 sqq (17. 1055 A).
13. l Esdras: l, 7-11 (18. 1°56 A) ; X, 18 (5. 1°41 B) ; XIII, 1 sqq. (5·
1°41 B).
14. II Esdras (Néhémie) III, l, 2, 3, 6, 8, 13, 14, IS, 16, 17 (18. loS6 B-
1057 A).
IS. Tobie: l, 17 sqq. ; II, 8 sqq. (II. 1047 C).
16. Judith: VIII, 3 (7. 1043 A).
17. Job: XXXI, I l (19. 1057 C (LXX) ; II, 13 (r. 1037 A).
18. Psaumes: IV, 6 (16. 1053 C) ; XXII, 4 (5. 1°41 A) ; LVII, S (23. 1062
B) ; LXXIII, 19 (12. 1049 A); LXXVIII, 31-4 (22. 106r A);
LXXXII, 2 (8. 1044 B) ; CV, 1 (14. lO51 A); CXXXVI, 9 (2. 1059
B).
19. Ecclésiaste: VII, 71 (9. I045 C) ; XV, 18 (9. 1645 B).
20. Sagesse (attribuée à Salomon) : IX, 15 (8. I04S A) ; IX, 4 (12. 1°48 B).
2r. Ecclésiastique: VII, 36 (LXX: VII, 3Z).
22. Isaïe: L, 1 (zr. 1060 A).
23. Jérémie: III, 1 (18, 1056 A); VIII, ZZ (1. 1037 A) ; XXXVIII, 7,
I I (LXX: XLV) (6. 1°41 C) : XVIII, 6 (6. 1°42 C); XXVII, 16
(18. 1056 A) ; VIII, 4-5 (Z1. 1060 A).
CHAPITRE IV 1
B. LES APOCRYPHES.
Les priscillianistes étaient accusés d'utiliser des livres apo-
cryphes (r). Orose nous transmet même le titre d'un de ces écrits:

24· Ézéchiel: XVIII, 32 (3. 1039 B) ; XIX, 8, 9 (13.105° B) : XXX, 25


(II. 1048 A) ; XXXIII, 20 (5. 1041 A) ; XLIV, IO (4. 1040 A).
25· Daniel: II, 14 (LXX) (19. r057 C).
26. Osée: l, 2 (zr. 1060 A).
27. Amos: III, I2 (I7. 1055 B).
28. Zacharie: IX, 17 (LXX) (19. 1057 C).
29· II Machab. : XII, 39, 40 (2. 1038 B).
II. Nouveau Testament.
1. S. Matthieu: V, 37 (17. 1054 B) ; IX, 13 (2. 1°38 A) ; IX, 25 (7. 1043 C) ;
XII, 31 (22. 1060 C) ; XVIII, 15, 16 (10. 1°46 D) ; XXIII, 4 (17.
1054 B).
z. S. Marc: Il, 21 (22. 106r B).
3· S. Luc: X, go (9. 1045 C) ; XII, 20 (20. 1°58 B) ; XII, 49 (r6. 1053 B);
XV, 4 (15· 1053 A) ; XV, 13 (22. 1060 D) ; XVIII, 19 (22. 1060 C) ;
XXIII, 34 (14- I05I B).
4· S. Jean: IV, 24 (22. 1060 C) ; VIII, 34 (15. I052 B) ; XV, 15 (22. 1061
A).
5· Actes des Apôtres: VII, 59 (14. 1051 B) ; IX, 40 (7· 1043 C).
6. Lettre aux Romains: XII, 17 (J:4. I05I C) ; XII, l (r6. 1054 A)
X, 17 (18. 1°56 B).
7· l Épître aux Corinthiens: III, 12 ,13 (16. 1053 B) ; V, l (zo. 1058 C) ;
V, 5 (20. 1059 A) ; VI, 9 (5. 1040 C) ; VII, 9 (20. 1058 C) ; VII,
29 (20. r058 B) ; IX, 27 (23. r062 B) ; X, 17 (r8. 1056 B) ; XII, l
(r6. 1054 A) ; XII, 17 (14. r05I C) ; XII, 26 (1. r038 A).
8. II Épître aux Corinthiens: l, 23 (1. 1037 B) ; II, 3 (refuga) (r6. 1054
A) ; XII, 21 (7. 1043 A) ; XIII, 5 (18. I056 B).
9. Épître aux Galates : II, 6 (5. I04I B).
10. Épître aux Éphésiens: V, 5 (19. 1057 C) ; VI, 14 (8. 1044 A).
II. Epître aux Philippiens: II, 7, 8 (15. r052 C) ; III, 8 (18. 105'7 A) ;
XII, 17 (15· 1°52 C).
12. l Épître aux Thessaloniciens: V, 14 (17. 1055 B).
13· II Épître aux Thessaloniciens : V, 8 (8. 1044 A).
14· Épître aux Hébreux: VII, 9, IO (4. 1040 B) ; xr, 18 (7. I043 A) ;
XIII, 4 (zo. 1058 B).
15· Lettre de S. Jacques: l, r8 (20. 1058 C) ; III, 6(14. 1°51 B) ; V. 20
(17. 1055 B).
16. l Épître de S. Pierre: V, 8 (II. I048 A).
17· l Épître de S. Jean: V, 16 (5. I04I B).
18. Apocalypse: II, 5 (22. 1062 A) ; III, I I (8. 1057 B) ; IV, 6 (g. 1045
B) ; VII, 15, 17 (22. I062 A).

(1) PRISCILLIEN, Tractat. II, 53; dans CSEL, t. XVIII, p. 4I-42.


1 BAGHIARIUS ET LA BIBLE 91
la Memoria apostolorum, dont Priscillien se serait inspiré (1).
Saint Jérôme nous apprend que l'Ascensio Isaiae et l'Apoca-
lypsù Eliae étaient particulièrement goûtées par des femmes de
la Lusitanie (2). Bachiarius connaissait ces apocryphes (3) ; P'~ut­
être est-il possible de reconnaître dans le De (ide et dans le
De lapso des allusions à certains d'entre eux.
Vers le début de sa profession de foi, l'ascète espagnol mention-
ne Moïse et ajoute ce détail que le grand chef du peuple juif « avait
été formé dans les arts des Égyptiens l) (Moysi Aegyptiorum arti-
bus erudito ... 1. 1021 B). Or, dans un apocryphe sur Jannès et
Membres nous lisons: « .. :Lorsque Moïse fut né~ ses parents l'ex-
posèrent sur le Nil dans une caisse enduite de poix ... La fille du
Pharaon l'avant découvert, l'adopta comme son fils, et le confia
aux sages J ~nnès et J ambri, qui l'instruisirent dans la sagesse» (4)·
L'allusion à cet apocryphe n'est pas certaine cependant, car
Bachiarius a pu tirer directement le renseignemmt du discours de
saint Étienne où il est dit: « Et Moïse fut instruit dans toute la
sagesse des Égyptiens» (5). - Un peu plus loin c'est Eutychus,
tombé du troisième étage (A ct., XX, 9), dont on nous rappelle le
souvenir; puis l'ascète espagnol continue: «Nous aussi nous som-
mes peut-être encore assis à la fenêtre, c'est-à-dire dans la voie de
la lumière et la splendeur de la foi» (6). Étrange langage! qui ne
s'explique, semble-t-il, que par les apocryphes. Les Actes de Paul
et de Thècle (7), la Passion de sainte Justine et de Cyprien ont

(1) OROSE, Commonitorium, 2; CSEL, t. XVIII, p. 154·


(2) AScellSio enim Isaiae, et Apocalypsis Eliae hoc habent tesiimonium.
Et pel' hanc occasionem, multaque hujuscemodi, Hispaniarum et maxime
Lusitalliae deceptae sunt mulierculae, oneratae peccatis ; quae ducuntur
desideriis variis, semper discentes et numquam ad scientiam veritatis
pervenientes (II Timoth., III, 7) (In Isaïam, 1. XVII, c. 64 ; PL, t. XXIV,
col. 622-3). - Voir ces deux apocryphes dans FABR1CIUS, Codex pseude-
PigraPhus Veteris Testam., t. l, p. 1072 sqq. et I086 sqq.
(3) De fide, 6; PL, t. XX, col. I034 A.
(4) Cfr FABRICIUS, Codex psettdePigraPhus Veter. Test., 2 8 édit., t. l,
p. 81 3. Hambourg, 1723. .. . Ipsum autem inventum filia Pharaonis
istius filium sibi adoptavit, tradiditque Janni et Jambri sapientibus, qui
instituerunt eum sapientia.
(5) Acles, VII, 22 ... et llutrivit eum sibi in filium. Et eruditus est
Moyses omni sapientia Aegyptiorum.
(6) Nos fortasse adhuc in fenestra, id est, in lucis via et fidei splendore
residentes ... (De -(ide, 2; PL, t. XX, col. r023 A).
(7) Acta Pauli, VII: Pendant que Paul parlait ainsi au milieu de l'as-
92 CHAPITRE IV

tous deux vue sur cette fenêtre d'où on apprend les mystères de
la foi (1).

Dans le De lapso nous trouvons des allusions à plusieurs


apocryphes: au Liber Jubilaeorum, à l'Hypomnesticttm JosePh,
et peut-être à l'Évangile de Nicodème.
C'est le Liber Jubilaeorum qui amène Bachiarius à affirmer
que Aaron était prêtre avant d'avoir été consacré par Moïse
(cfr 4. 1040 B = Lib. Jubil., cap. XXX et cap. XXXI) (2);
c'est ce même apocryphe qui lui fait mettre en relief l'exploit de
Lévi contre Sichem (4. 1039 C = Lib. Jub., cap. XXXI) (3)·
Parmi les femmes que mentionne Bachiarius nous trouvons Beth-
sabée (21. 1059 C; 8. 1044 A) ; Rébecca (20. 1048 D) ; Ruth (17.
1055 A) ; la Sunamite (7. 1°42 C; 1043 D). Or, dans un cha-
pitre de l'Hypomnesticum nous trouvons parmi les femmes
« quae bene erga maritos se gesserunt): Rébecca, Abigaël,
Bethsabée, Raab, Ruth, la femme qui tua Abimélech, la
veuve de Sarepta et la Sunamite (4). Enfin c'est l'Évangile de
Nicodème qui peut-être a fait songer Bachiarius à la « Biblio-
theca Esdrae » (5).

semblée dans la maison d'Onésiphore, une vierge, Thècle, dont la mère


s'appelait Théoclie, et fiancée à un homme nommé Thamyris, assise à la
plus proche fenêtre de sa maison ... (cfr LÉON VOUAUX, Les Actes de Paul,
p. 159-160, Paris, 1913).
(1) Celle-ci (Justine) d'une fenêtre toute proche (aml7'fis ŒvveyyuS'
IJvpt80s ail'rfis) apprit du diacre Praülios les grandes œuvres de Dieu ...
(cfr L. RADERMACHER, Griechische Quellen zur Faustfrage. Der Zauberer
Cyprianus ... , p. 76, Vienne et Leipzig, 19z7).
(z) Bachiarius ne cite pas explicitement l'apocryphe, il s'en garde bien,
mais par un raisonnement tiré de l'Écriture, il cherche à établir un point,
pour lui acquis d'avance.
(3) L'apocryphe présente cet exploit comme un fait capital.
(4) Ch A. FABRICIUS, Codex pseudePigraPhus Veteris Test., ze édit.,
t. II, p. 73 sqq. (Appendice). Hambourg, 17z3.
(5) ... usque hic invenimus in ... Veniat Esdras, bibliotheca Le-
bibliotheca Esdrae... gis ... (18. 1056 A).
(Evang. Nicodemi, Pars II, cap.
XII, dans TISCHENDORF, Evan-
gelia ApocrYPha, p . .pz, Leipzig,
18 76).
BACHIARIUS ET LA BIBLE 93

2. LA VERSION.

La comparaison des textes et les indications que nous four-


nissent le De {ide et le De lapso nous ont fait aboutir aux con-
clusions suivantes (1) :
I. Dans la version utilisée par Bachiarius et celle de la Vulgate,
les Psaumes présentent un texte identique (2).

'" Peregrinus ego sum, sicut ... et peregrinus, sicut amnes


omnes patres mei (Ps. XXXVIII, patres mei. ..
13) (= cfr De fide, :2; PL, t. (VULG. Ps, XXXVIII, 13)·
XX, col. 1024 B).
Scitote quol1iam DomÎl1us ipse
est Deus: ipse fecit nos, et non
ipsi nos (Ps. XCIX, 3) (= De
fide, 4; PL, t. XX, col. I031
A).
Virga tua et baculus tuus, ipsa
me consolata sunt (Ps. XXII, 4)
',= De lapso, 5; PL, t. XX,
1041 A).

C'est à peine si dans le long passage tiré du Psaume LXXXVIII


(3 1 -34) on relève un 0'.1 deux mots légèrement différents.
2. Pour les autres livres de l'Ancien Testament la version
de Bachiarius serre le texte des LXX de bien plus près que les
autres versions anciennes, y compris celle de la Vulgate.
Genèse:
... per « romphaeam» fiam- LXX: cpÀoytvYjJ! pOfLcpalav ...
meam (Gen. III, :24) (De lapso, 3 ; [VULG.: ... et fiammeum gla-
PL, t. XX, col. 1039 B). dium ... ].

... credidit [Abraham] et repu- (LXX) : ... È1TtauvaEv... Ka~


'\ 1 fi ' ~ ,~ 1
tatum est ei ad justitiam (Gen., E/lOy,a Yj aVT<p EtS' U,KatoavvYjv
XV,6) (De lapso, 3; PL, t. XX, VULGo : ... et reputatum est illi.
col. I039 B).

(1) Pour être bref nous nous contenterons d'appuyer nos affirmations
sur quelques exemples seulement.
(2) On sait que S. Jérôme, pour les Psaumes, a conservé le texte ancien.
94 CHAPITRE IV

" .et vidit Deus, quia bona sunt LXX : ... KaL loou !<a'\à IdaJJ
valde ... (Gen., l, 30, 31) (De fide, VULGo : ... et e1'ant valde bona,
5; PL, t. XX, col. 1033 A).
Deutéronome.
Interrogate patres vestros et LXX: ... TOUS 1TPWbmÉpOVS
dicent vobis ... (Deut., XXXII, 7) aov Kai ~.povat aOL
(De (Ide, 7, PL, t. XX, col. VULGo : ... maiores tuos, et
1035 A). c1iccnt tibi.
Nombres.
Arulae tamen eorum (Nombres, LXX: 'T'à 1TvpEÎa 7'à XaÀ.Kâ.
XVI, 37), (De lapso, 12; PL, t. VULGo : thuribulae.
XX, col. I042 C).

Job:
Job ex Esau profani et infi- (Ce détail est pris des LXX,
delis stirpe descendit Job, XLII, 5. - S. Jérôme
(De fide, I; PL, t. XX, col. critique cette affirmation. In
102I A). Quaest. Haebr. in Genesim, PL,
t. XXIII, C. 97I B).
Furor hominis incontinens est LXX: 8vp,às yàp opyfjS' àKa'T'aax€-
(Job, XXXI, 12). TaS .. •
VULGo : Ignis est usque ad per-
ditionem devorans, et omnia era-
dicans genimina.
Samuel.
Subleva lapides tuos super al- LXX: E7'~'\waov 'Iapa~'\ Inr€p
titudines tuas, et cogita de inter- 'TWV TE8v1]Xo7'wV €1Tt Tà vcp1] aov
fectis tuis quomodo ceciderunt Tpuvp,unwv . 1TWS €1TWaV SVVU'Tot.
potentes in praelio. Non nuntietur 20. M~ àJJayyEt'\1]7'E €JJ TlB, lcat
hoc in Geth, neque praedicetur p,~ €vayyE,\ta1]aB€ €V Tuîs €S08OLS
in viis Ascalonis ne forte 1aeten- 'AaKa'\wvos, p,~ 77'OT€ EfJcppavBwa~
tur filiae alienigenarum et exhi- Bvya'TlpEs à'\'AocpvÀwv, p,~ 77'OTE
larentur filii incircumcisorum àya'A)W:laWJJTUL 8vyaTlpEs TWJJ
(II Sam., l, I9, 20) &17'€PL'Tp,~7'WV .
(De Zapso, IO ; PL, t. XX, col. VULG.: Inc1yti, Israel, super
I046 C). montes tuos interfecti sunt : quo-
modo ceciderunt fortes? 20. -
NoHte annuntiare in Geth, neque
anmmtietis in compitis Ascalo-
nis : ne forte laetentur filiae Phi-
listhiim, ne exultent filiae incir-
cumcisorum.
BACHIARIUS ET LA BIBLE 95
Josue.
Est Bosor ~tltra J ordanum . .. LXX : Ka~ ÈJJ T0 1TÉpm'
(Josue, XX, 8) TOV '1wpo avov ,
(De lapso 15 ; PL, t. XX, col. VULGo : ... trans Iordanem.
1052).
... etiam cades, in terra repro- LXX: = Kao1]S.
missionis (Jos., XX, 7) VULGo : = Cedes.
(De lapso, 15 ; PL, t. XX, col.
1052 C).

Sichem ab alienigenis cen- LXX. : ... ov ÈKT~aœTo ... àp,JJâ-


tum agnis scribitur comparata DwV €Kœrov.
(Jos., XXIV, 32). VULGo : ... centum llovellis ovi-
bus ...
Isaïe:
Quis liber repudii matris ves- LXX.: 1Toîov Tà [3tô,\{OJJ 'TOV
trae, quo eam dimisi ? (Is., L, 1) , l """ \ co
U7ToaTaaLOV 7'YiS p,rrrpos vp,wv, 4J""
Èça1T€aTHÀu afJT~JJ, ...
(De lapso, 21 ; PL, t. XX, col. VULG.: Quis est hic liber re-
I060 A). pudii matris vestrae, quo dimisi
eam?
Jérémie.
Et dixi, postquam meretricata LXX: Kat. lLl1u J-LE"'rà 'i"à 1fOp-
es, ad me revertere (Jerem., v€vaat d.V'T~V Tarira 7TaV'TŒ n'Pas JLÈ
III, 7). " ./, .
uvua'Tp€'f'oJJ
(De lapso, I8; PL, t. XX, col. VULG.: Et dixi, cum fecisset
1056 A). haec omnia: ad me revertere.
(Voir aussi Jérém., VIII, 4, 5;
De lapso, 2I; PL, t. XX, col.
1060 A).

Ézéchiel:
Unumquemque in viis SUtS LXX.: ... Élcua'ToJJ ÈJJ Taîs àôoîs
judicabo (Ezech., XXXIII, 20) av7'Ov KpWW ...
'A A

(De lapso, 5; PL, t. XX, col. VULGo : ... Unumquemque jux-


1041 A). ta vias suas judicabo de vobis ...

E cclésiasiaste (I).
Omne quod fuit, ipsum quod LXX. : Tt 'T'à y€yovos ; afJrà rà
eri! ; et non est omne recens sub yEVYiaOp,EVov . .. Kat OfJK Éan 1Tâv
sole (Ecete., l, 9) 1TpoacpaTOV 1577'à TOV ~'\wv.
(1) Le texte de la Sagesse, cité par Bachiarius, est identique à la Vulga-
te: Corpus quod corrumpitur aggravat animam (Sagesse, IX, 15. De
lapso, 8; PL, t, XX, col. 1045 A).
CHAPITRE IV

(De (ide, l, PL, t. XX, col. VULG.: Quid est quod fuit ?
101 9C). ipsum quod futurum est; ... nihil
sub sole novum.
SABATIER, Biblior. sanctor. ver-
siones antiquae, t. II, p. 354:
Quis est quod fuit ? quod factum
est? ipsum quod erit.

Amos.
... extremam aut summam au- LXX: ... Àof3ov c1J'TLov ...
riculam... (Amos, III, 12) (De VULGo : '" extremum auriculae.
lapso, 17; PL, t. XX, col. 1053 B).

3. La version du Nouveau Testament semble avoir été faite


directement sur le grec (1).
S. Luc.
Stulte hac nocte exposcetur VULG.: Stulte, hac nocte ani-
anima tua (Luc, XII, 20) (2) (De mam tuam repetunt a te ('T~V
,/. l , ~,\ - )
lapso, 20; PL, t. XX, col. I058B). 'l'vX7]v aov CJ/rrat'TOVGLV a'Tl'o GOV'

S. Jean:
Spiritus qui a Patre proce- VULG.: docebit vos omnem
dit, ipse vobis annuntiabit om- veritatem.
nia (Jean. XVI, 13)
(De (ide, 3. PL, t. XX, col.
1027 A).
Jam non dicam servos, sed VULGo : vos autem dixi amicos.
(ilios (cpOIOVS) (Jo., XV, 15) (3)
(De lapso, 22; PL, t. XX, col.
1061 A).

Actes:
... Lapso Eutycho « de tertio d'Tl'o TOÙ rptG'TÉyov.
tecto» (Act., XX, 9) VULGo : de tertio coenaculo.
(De (ide, 2; PL, t. XX, col.
1023 A).

(1) Souvent les différences entre le texte de Bachiarius et celui de la


Vulgate sont assez minimes; aussi peut-on parfois les expliquer par un
manque de mémoire, sans avoir besoin de recourir à une version diffé-
rente de celle de la Vulgate.
(2) Le texte est peut-être cité de mémoire et à peu près.
(3) Bachiarius a dans sa version sûrement ( fllios », car il bâtit sur ce
mot tout un raisonnement.
BACHIARIUS ET LA BIBLE 97
S. Paul (1).
l. Ep. aux Corinthiens.
Omnia haec in figuram nostri ... 'Tafha oÈ 'TV7I'Ot ~p,wv ÈyEv~e'Y)aav
contigerunt (1 Cor., X, 6). VULGo : Raec autem in figura
facta sunt nostri.
SABATIER, l. c., t. III, p. 693.
Raec autem in {iguram nostri
fada sunt.
Si patitur unum membrum ••.
\,'
Kat êt'TE
1
7TaaXêt
t\
EV
1\
fL€IIO"
compatiuntur omnia membra (1 GVfLm:LaXêt mJ,VTŒ 'TCt P,Ü\7].
Cor., XII, 26)
(De lapso, l ; PL, t. XX, col. VULGo : Et si quid patitur unum
1038 A). membrum, compatiuntur omnia
membra.
Dedi huiusmodi hominem Sa- VULG.: ... tradere huiusmodi
tanae ... (I Cor., V, 5) Satanae ...
(De lapso, 12 ; PL, t. XX, col.
1049 A).

Ile Epître aux Corinthiens.


, \ ~ ,\ \ ,1. 1
... et testem Deum invoco . •• E7TtKaIlOL'p,at E'TI't 'T7]V.. 'l'VX7]V.
super animam meam (II Cor. l, VULG.: Ego autem testem Deum
23) (De lapso, l ; PL, t. XX, col. invoco in animam meam.
1037 B) (2).

Ile Epître aux Thessaloniciens.


... Nisi venerit retuga et dis- VULGo : ... nisi venerit discessio
cessio (II Thess., II, 3) (3) primum.
(De lapso, 5 ; PL, t. XX, col. S. AUGUST. : nisi venerit retuga
1032 A). primum (De civit. Dei, XX,
c. XIX; PL, p. XLI, col. 685).
SABATIER, l. c., t. III, p. 859
(d'après le ms. de St-Germain)

r ... quid nisi venerit retuga pri-
mum et revelatus fuerit homo
peccati. ..

(1) L'Épître aux Romains est citée exactement de la même manière.


Il en est de même de l'Épître aux Galates.
(2) Par contre II Cor., XII, 7 est absolument identique (De lapso,
5 ; PL, t. XX, col. 1032 A).
. (3) Galland suppose que Bachiarius s'est servi d'une version plus an-
CIenne où refuga et discessio se trouvaient réunis (cfr PL, t. XX, col.
1018).

7
98 CItAPITRE IV

S. Jacques :
Qui revocaverit peccatorem ab ... on
C\ f' ',l, À'
0 E7TtUTpE'f'as ap,apTw ov
t

errore viae suae salvabit animam ÈK 7TÀav1]S dôovathov ...


suam (Jac., V,20) VULGo : qui converti fecerit pec-
(De lapso, 17; PL, t. XX, col. catorem ab errore viae suae, sal-
1055 B). vabit animam eius a morte.

S. Jude:
Quosdem quidem eripite de ... ÈK 7TVpOS ap7Ta'ovTES .•.
igne ... dubios vero... (Jude, 23)
(De lapso, 17; PL, t. XX, VULG.:... illos vero salvate,
co1. 1055 B). de igne rapientes.
Apocalypse.
Memento unde cecideris et age VULGo : memor esto itaque unde
paenitentiam, et priora opera tua excideris et age paenitentiam, et
fac: alioquin venio tibi cito et prima opera fac, sin autem venio
amovebocandelabrum tuum( Apoc. tibi et movebo candelabrum
II, 5) (De lapso, 22 ; PL, t. XX, tuum.
col. 1061 B-62 A).

4. Certaines indications du De lapso nous font deviner que la


Bible dont se servait Bachiarius avait des titres. Ainsi le 25 e
verset du 30me chapitre d'Ézéchiel se trouve compris dans un
ensemble que Bachiarius appelle in proPhetia Pharaonis (De
lapso, I I ; PL, t. XX, col. 1048 A) ; le passage tiré de saint Mat-
thieu (XVIII, 15, 16) « et reliqua » est dans le Sermo praecepti
(De lapso, 10; PL, t. XX, col. 1046 D); le 1er chapitre du
livre II de Samuel est englobé dans le Lamenti edictum (De
lapso, 10; PL, t. XX, col. 1046 C) (1).

3. L'EXÉGÈSE.

Il nous reste à montrer comment Bachiarius interprète la


Bible et exploite à ses fins le texte sacré. C'est ici surtout que
(1) Peut-être la version avait-elle subi déjà quelques remaniements.
En effet dans un texte qui suit si fidèlement les LXX, on est étonné
de rencontrer: tortis porta (II Esdr., III, 15) pour tontis porta ('/l'vÀ'/) 'Tfj~
'/l',/}'Yfj~) ; Porta Anathoth (II Esdr., III, 6) au lieu de porta Asana ('Toil
'Iaaavat) ; Suracim (1 Rois XIV, 25) pour Susacim (l;'ovaaldl') (De (iile,
8; PL, t. XX, col. 1°36 C).
BACHIARIUS ET LA BIBLE 99
nous pourrons saisir sur le vif l'originalité d'un esprit qui ne
pense presque jamais comme les autres, et qui se pique de rester
personnel jusque dans ses emprunts. Nous rappellerons d'abord
brièvement comment Bachiarius explique certains passages de
la Bible; ensuite nous exposerons plus amplement comment,
au moyen de l'étymol6gie des noms et du symbolisme des nom-
bres et des faits, il exploite les livres inspirés.

I. L'exégèse de Bachiarius, il faut bien le reconnaître, est trop


subjective; elle ne' tient pas assez compte de la tradition;

1
trop souvent c'est le sentiment qui l'inspire et l'imagination
qui la construit. Le sens critique et la raison n'y ont qu'une faible
part. Si l'ascète espagnol est particulièrement heureux quand il
nous dit que l'expression de saint Jean « peccatum ad mortem»
1
1
doit s'entendre du peccatum « usque ad mortem» (S. 1041 B)
ou encore, que le péché contre le Saint-EspriL1>0ur lequel il
n'existe aucune rémission, c'est le péché de désespoir (22. I060 C),
nous sommes quelque peu surpris de le voir affirmer que Aaron
était déjà grand-prêtre avant d'avoir été consacré par son frère,
parce que Lévi, son ancêtre, était déjà « in Abrahae lumbis
latens» au moment de la rencontre avec Melchisédech (4. I040 B).
Une fois engagé dans cette voie, grâce à des interprétations fan-
taisistes, Bachiarius parvient à placer parmi les élus: la famille
d'Héli, mise à mort par Saül pour la cause de David, c'est-à-dire
pour le Christ (6. 1042 C); Salomon l'idolâtre parce qu'il
fut enterré à côté de ses ancêtres (12.I048 C) ; Coré le révolté
et toute sa bande (12. 1048 C-1049 A). Caïn lui-même sera
marqué non du signe de la réprobation, mais de la miséricorde
de Dieu (1). Mais il dépasse décidément toutes les limites,
quand il veut nous faire croire que le dégoût physique qui saisit
Amnon après son crime, est une marque de son repentir (13.
1050 B).

2. Si dans les textes les plus clairs Bachiarius découvre un


sens qui nous surprend, en donnant aux manifestations physiques
une signification morale, que n'y trouvera-t-il pas lorsqu'il exploi-
tera les richesses scripturaires au moyen de la tropologie. La tropo-

(1) Bachiarius arrive à cette conclusion en entendant le mot «occidi»


dans le sens moral: non vult enim mortem peccatoris, sed ut convertatur
et vivat (Ezech., XVIII, 32) (3. 1039 B).
ioo CHAPITRE IV

logie, Bachiarius lui-même nous la définit dans le De (ide: c'est


la méthode exégétique qui affirme qu'un texte donné a tous les
sens qui peuvent d'une manière ou d'une autre se rapporter au
Christ et à l'Église (1). Ainsi compris tous les personnages, tous
les événements relatés dans l'Ancien Testament, les noms propres
aussi bien que les nombres, ne sont plus que des symboles du
Christ, de l'Église et de la vie chrétienne.
a) Bachiarius se complaît dans la méthode étymologique. Voici
quelques spécimens de cet « art sans principes et sans règles, tout
conjectural» (2). Racha (MATTH., V, 22) signifie vide (vacuus). Et
qui est vide si ce n'est celui qui n'est pas rempli de la vérité de la
foi et qui est comme l'airain qui résonne ou la cymbale retentis~
sante (1 Cor., XIII, 1) (3). «( Altare» d'après son nom même (alta
re) n'est autre chose que la connaissance des choses sublimes (4).
Le «( Cherubim Domini »n'est que la grandeur de la science (multi-
tudo scientiae) qui a ramené à Dieu nos premiers parents (5).
Zorobabel est le «( spiritus Sapientiae» (De lapso, 18, PL., t.
(1) ... qui tamen sensus ad typum Christi Ecc1esiaeque pertineat (De
fide, 6 ; PL, t. XX, col. I033 B). S. Eucher dit de son côté: Tropologia,
moralis intelligentia (Instructionum, 1. II, cap. XV; PL, t. L, col. 822).
Et saint Jérôme concède que dans ce procédé on peut user de libertés
que n'admet pas la critique textuelle ... novit prudentia tua, non easdem
esse regulas in tropologiae umbris, quae in historiae veritate (EPist.
LXXIV, 6 ; PL, t. XXII, col. 685).
(2) Les Stoïciens s'étaient servis beaucoup de l'étymologie pour l'inter-
prétation des mythes (DECHARME, La critiq~!e des traditions religieuses chez
les Grecs, p. 29I sqq. Paris, 1904). Leurs étymologies étaient aussi fan-
taisistes que le reste. Plutarque, lui aussi, usa du procédé étymologique
et sa linguistique est, elle aussi, épouvantable (DECHARME, ibid., p. 494).
« Au temps de Plutarque, l'étymologie reste donc ce qu'elle était au temps
de Platon: non pas une science, plutôt un art sans principes et sans règles,
tout conjectural. Mais ces conjectures mêmes, quand elles s'appliquent
aux noms divins, ne manquent pas d'intérêt, si fausses qu'elles soient,
puisqu'elles témoignent de l'effort des interprètes et des préoccupations
qui les guident dans ce genre de recherches» (DECHARME, 1. C., p. 494).
(3) Racha enim, vacuus interpretatur (De fide, 2; PL, t. XX, col.
w23 B). - Saint Jérôme l'interprète autrement et mieux ... qui autem
dixerit Raca, quod interpretatur vanus et absque cerebro (Advers. Pela-
gianos, 1. II, II; PL, t. XXIII, coL 545).
(4) ... quia altare ex proprietate nominis sui, nonnisi sublimium rerum
alta cognitio est (De fide, 3 ; PL, t. XX, col. 1025 B-W26 A). Cfr J. DUHR,
Le De fide de Bachiarius, dans RHE. I928, t. XXIV, p. 109-W.
(5) Cherubim Domini qui interpretatur multitudo scientiae ... (De
lapso, .3; PL, t. XX, col. 1039 B). - L'explication est d'autant plus
BACHIARIUS ET LA BIBLE rOI

XX, col. 1056 A) et Satanas le «(contrarius» (r). Voici une cas-


cade d'identifications du plus curieux effet: Salomon c'est-à-dire
le pacifique qui a tenu sous S011 sceptre l'univers, c'est-à-dire
tout l'homme (... Salomon, hoc est, Pacificus et universi orbis, id
est, totius hominis tenuit principatum) (2). Pour terminer signa-
lons une étymologie curieuse, celle de Galaad. «( Galaad veut dire
monceau-témoin (acervus testis). Ce monceau-témoin, à notre
avis, c'est tout le canon des livres divins, où se trouvent réunis
comme en un tas une foule de témoignages indissolubles. Sur ce
monceau, celui qui le cherche, trouve le vrai médecin Notre-
Seigneur Jésus-Christ.» (3) Un esprit, friand d'analogies comme
l'est celui de Bachiarius, pensait sûrement à autre chose en écri-
vant ce mot «( acervus-testis ». Il désignait probablement par cette
image, obscurément sans doute, mais assez clairement pour
qu'on puisse le deviner, l'ambon des chrétiens qui se dressait dans
les églises. En effet, le parallélisme entre Galaad Bt l'ambon se
poursuit de deux façons :
Galaad était d'abord le monceau-témoignage. Or c'est préci-
sément à l'ambon qu'on lisait ce que saint Jérôme appelle le
«( testimonium ecclesiasticae epistolae » (4), c'est-à-dire les lettres
attestant la foi et l'honorabilité de ceux qui se présentaient à
l'assemblée chrétienne. C'est là aussi que les néophytes rendaient
témoignage de leur foi. C'est là enfin qu'on venait attester les
faits miraculeux, les guérisons accordées par Dieu aux fidèles.

curieuse que le Chérubin loin d'avoir à ramener les premiers parents


devait au contraire les tenir éloignés du paradis terrestre.
(1) Satanas enim interpretatur contrarius: pel' quod, credo, significat,
ut quidquid contrarium deliciis, quidquid contrarium voluntati est, totum
caro sentiat quae deliquit : ut spiritus salvus fiat in diem Domini Nostri
Jesu Christi (De lapso, 20; PL, t. XX, col. W59 A).
(2) De lapso 21 ; PL, t. XX, coL 1060 B). Voici l'enchainement : Salo-
mon = pacificus ; pacificus = mitis ; mites=possidebunt terram (MATTH.,
V, 5) ; terra = orbis universi ; orbis universi = totius hominis (d'après
la théorie philosophique de l'homme microcosme).
(3) Galaad enim interpretatur acervus testis ; et hune acervum testem,
totum canonem divinorum librorum esse sentimus; ubi indissolubilium
cumulus testimoniorum, ut quidam congestus est lapidum : in quo cumulo
medicus verus, noster Dominus Jesus Christus, si quaesitus fuerit inve-
nitur (r. 1037 A). Un monceau-témoin est signalé dans le livre de Josué;
il fut érigé par les Israélites après le passage de Jourdain (Josue, IV, 21-
24)·
(4) S. }ÉROME, De viris inlustr. LIV, Origène, dans PL, t. XXIII,
co1. 663.
102 CHAPITRE IV

Galaad est en second lieu l'endroit où l'on trouvait toujours


le médecin. Or, à l'ambon on lit précisément l'Ancien et le
Nouveau Testament qui contiennent des remèdes pour toutes les
maladies (1) .
b) Les nombres, autant que les noms propres, ont leur secret.
Dans les trente hommes qui viennent au secours de Jérémie
p~écipité dans un puits (JÉRÉMIE, XXXVIII, 7, II), Bachiarius
discerne le symbole de la sainte Trinité. « Voici que le frère se
trouve dans le puits, prenons avec nous trente hommes, je veux
dire, le secours de la bienheureuse Trinité » (2). Eutychus, re-
marque Bachiarius, durant le discours de saint Paul, tomba du
troisième.ét,age (Act., XX, 9). Cela veut dire probablement (credo)
~ue ses Idees sur le mystère de la sainte Trinité n'étaient pas
Justes (... credo, aliquid de Trinitate erranti...) (3). Les trois cents
boucliers dont les « cursores » du roi sont pourvus, symbolisent
également le même mystère (4).
Ces nombres sont plus riches de sens encore; un seul symbole
n'en épuise pas la signification totale. Les trente sauveteurs ne
figurent pas seulement la sainte Trinité, mais encore l'âme,
la chair et l'esprit, qui tous trois doivent collaborer pour sauver
le malheureux tombé dans le puits du péché (5). Les trois étages
dont les Actes nous parlent, en même temps qu'ils-rappellent le
mystère des Personnes divines, symbolisent les étapes de la rés ur-
rection du jeune homme « restituit calorem fidei, et vitam reddidit
hoc est veniam. relaxavit » (De fide, 2 ; PL, t. XX, col. 1023 A):
Qua~t ~u~ tr~ls cents boucliers, ils indiquent en plus du mystère,
la dissemmatlOn de toutes les créatures: du ciel, de la terre,
et de la mer (... sive omnium creaturarum satio, caeli, terrae et
maris (De fide, 8 ; PL, t. XX, col. 1036 B) (6).
Ce symbolisme à plusieurs plans est assurément curieux, et nous

(1) Cfr H. LEcLERcQ, art. Ambon, dans Dict. a/arch. cMét. et de liturgie,
t.I, col. 1333 sqq.
(2) Ecce .frater in lacu est: assumamus triginta homines, id est, sive
beatae auxilium Trinitatis ... (6. 1042 A).
(3) De fide, 2 ; PL, t. XX, col. 1023 A.
(4) Trecenta enim aurea scuta, sive beatae Trinitatis ... fides (De fide,
8; PL, t. XX, col. 1036 B).
(5) ... sive cum labore aniIni, carnisque et spiritus, demersum in pro-
fundo putei liberemus (6. 1042 A).
(6) On le voit, Bachiarius note la « tripartitio» partout: dans le ciel
dans l'univers et dans l'homme. '
BACHIARIUS ET LA BIBLE 103

devons le noter comme une des caractéristiques de l'esprit de


Bachiarius (1).
c) Les personnages, les choses, les événements dont nous parle
l'Ancien Testament, perdent en quelque sorte, sous la plume
de Bachiarius, leur réalité historique ; ils ne sont plus que des
figures. Adam et Ève, chassés du paradis, sont les fidèles expulsés
de l'Église et privés de la communion (3· 1039 A); Sodome
menacée de la destruction par le feu, c'est l'enfer contre lequel
le pécheur peut se gélfantir par la prière (3.1039) ; la Sunamite
.1 qui supplie Élisée de ressusciter son fils, c'est l'Église qui pleure
sur son enfant mort (7. 1043 A) ; Asaël, frappé par Abner dans
les reins, figure le diacre mortellement blessé par le vice de la
luxure (8. 1045 A) ; le mari de Judith terrassé par le soleil de
midi, c'est l'esprit emporté par la flamme de la passion (7· 1043 A);
le « populus israeliticus » n'est autre que la « plebs ecclesiastica »
(10. 1046 B) ; David est identIfié avec le Christ (19· 105 8 A),
aussi les «milites David », ce sont les « ministri Christi », c'est-à-dire
les diacres (13' 1049 B) ; et les amis de David, ce sont les amis du
Christ (14. ro50 C-ro5I A) ; la Terre promise représente l'Église
(15. 1052 A) ; dans Rébecca se couvrant d'un voile, Bachiarius
reconnaît la fiancée du Christ (20.1058 C-1059 A).
Si des personnages nous passons aux choses et aux actions,
nous retrouvons les même procédés d'exégèse. Le « lignum
vitae » du Paradis doit s'entendre du Christ-Eucharistie; le
glaive de feu symbolise le martyre (3. 1039 A, B) ; et la pluie
du ciel (aqua de caelo) devient la goutte céleste de la miséricorde
(2. 1038 B). Le vieux linge que les sauveteurs de Jérémie utili-
sèrent pour tirer le prophète de la citerne, figurent les exemples
des anciens que Janvier doit rappeler au lapsus pour lui rendre
l'espérance (6. 1042 A) ; saint Jean, dans l'Apocalypse, ne parle
d'un lac transparent comme du verre (vitreum) que pour nous
signifier que la grâce du baptême est bien fragile (9· 1045 B).
Dans l'âne du frère qu'il faut aider à relever (Exode, XXIII,
5), voyez la chair vaincue par le péché (9. 1045 B) et dans
les deux deniers que débourse le bon Samaritain, les deux Tes-

(1) Un autre spécimen très curieux de ce symbolisme multiple, nous est


fourni dans un p~ssage où Bachiarius traduit le mot lenticula : par len-
tille et fiole, pour symboliser tout à la fois la délicatesse et la fragilité de la
chasteté. . .. partem agri plenam lenticula rubicunda quae est verecundiae
nostrae et delicatae castitatis forma, confregimus (13· 105 0 A).
1°4 CHAPITRE IV

taments de la sainte Écriture (9. r045 C). La barbe à demi


rasée qui donnait aux soldats de David l'aspect efféminé, repré-
sente la moitié de la vie du pauvre diacre, annihilée par-le vice
(r3· r049 C). La lentille rouge n'est autre chose que la pudeur,
la fleur de la chasteté (r3. rosa A) ; et l'orge du champ de Joab,
incendiée par Absalom, évoque le profit que les saints procurent
aux hommes (r4. r05r C). Les vases sacrés du temple symbolisent
les vierges consacrées à Dieu (r9. r057 C). Pour recouvrer le
vêtement de lin (byssum) aux teintes pourpre (purpura), rose
(coccus) et bleu (hyacinthus) le lapsus doit pleurer, verser son
sang, rougir de honte au souvenir de ses fautes passées, et enfin
rendre son corps livide à force de coups (Z3. ro6z A).
Vers la fin de sa lettre, Bachiarius s'adresse au lapsus et lui
dit: «Regarde, ce ne sont jamais de vieux animaux qui sont
immolés en sacrifice, mais toujours ou un agneau ou un veau ou
un chevreau (hircus) ou un bouc: c'est-à-dire des petits péchés
sans gravité (parva vel modica). En un seul endroit nous lisons
qu'Élie a offert un bœuf et une fois seulement (1 Rois, XVIII, 33).
Il est réservé au Sauveur de tuer les péchés invétérés de tout
le peuple» (zr. r059 A, B). Ces péchés invétérés de tout un peuple
représentent, à n'en pas douter, le « vieil homme ». Le pseudo-
Origène dit à peu près équivalemment : « Christus veteris hominis
peccata deflebat» (Tract., VII, édit. P. Batiffol, p. 81. Paris,
1900 ). Nous ne revenons pas ici sur le long parallèle que Bachia-
rius établit entre les portes de Jérusalem et les sens, reconstruits
par les puissances angéliques. Morceau curieux entre tous, où
Bachiarius nous laisse entrevoir sa théorie spirituelle, nuancée
de gnosticisme.
Mais tout ce que nous avons dit montre à l'évidence avec quelle
virtuosité Bachiarius maniait les textes de la Bible. Tout en
admirant l'étendue de ses connaissances et la variété de ses cita-
tions on regrette cependant de le voir modeler à son gré la matière
scripturaire avec une facilité, peut-être devrait-on dire avec un
sans gêne, qui confine à la sophistique.
CHAPITRE -V

LE TEll,1PÉRAJVIENT LITTl<'::HAIRE ET MORAL


DE BACHIARIUS

En analysant le style du De lapso on constate sans peine que


Bachiarius a subi l'influence profonde de trois écrivains: de
Tertullien, de saint Cyprien et de saint Jérôme. Nous avons
déjà parlé du dernier, nous n'y revenons pas. - Parmi les œuvres
de Tertullien c'est le De Paenitentia qui a laissé, semble-t-il, les
traces les plus visibles dans le traité. De-ci de-là le De spectaculis
ou le De cuUu feminarum transparaissent à travers certaines
expressions (r). Des écrits de saint Cyprien ce sont la lettre ad
Demetrian-um et le De lapsis qui ont été plus abondamment
exploités (z). C'est en particulier de l'écrivain martyr que le

(1) Pour le De Paenitentia comparer: De Paenit. c. 10; PL, t.


l, col. 1245 B (Non potest corpus ... ) à De lapso, 1; PL, t. XX, col.
1037 B-1038 A; De Paenit., 8; PL, t. l, col. 1242 C ( ... bumeris ... labora-
verat) à De Zapso 2 ; PL, t. XX, col. 1038 A ; De Paenit. 9 ; PL, t. l, col.
1243 B (satisfaction, fruit de la pénitence) à. De lapso, 8 ; PL, t. XX, col.
1044 A ; De Paenit. 10; PL, t. l, col. 1245 A (ubi prostrato superscenditur)
à De lapso, 7 ; PL, t. XX, col. 1043 A.
Pour le De SpectacuZis comparer: De Spect. 10; PL, t. l, col. 643 A
(... ebrietatis et libidinis) àDe lapso, 13; PL, t. XX, col. I050 C.
Pour le De Cultu leminarum comparer: De mût. lem. 1. II, c. XIII
PL, t. l, col. 1334 ( ... serico probitatis, byssino sanctitatis, pupura
pudicitiae), à De lapso, 23 ; PL, t. XX, col. I062 A.
(2) Pour l'Ad Demetrianum, comparer: Ad Demetr., 2; éd. BARTEL,
dans CSEL, t. III, I. p. 352 (... tacere ultra non oportet ... ) = De lapso,
1; PL, t. XX, col. I037 A; Ad Demetr., 12; 1. C., p. 359 ( ... quale est unde)
= De lapso, 9 ; PL, t. XX, col. 1046 A ; Ad Fortunat., 1 ; 1. c, p. 3I7 (tem-
pus infestum adpropinquare jam coepit) =De 1apso, 6 ; l. C., col. 1042 A.-
Pour le De lapsis comparer: De lapsis, 4; édit. BARTEL, dans CSEL,
t. III, p. 239 (... mea simul membra percussa) = De lapso, 1; PL, t. XX,
col. 1037 B-I038 A ; De lapsis, 4 ; 1. C., p. 239 (... nec ... integritas propria ...
blanditur) = De lapso, 7 ; 1. C., col. 1043 A ; De lapsis, 28; 1. C., p. 257
(... parvis ... et modicis) = De lapso, 15 ; l. C., col. 1052 A.
106 CHAPITRE V

mome espagnol tient le goût des citations scripturaires et l'hor-


reur de toute citation d'écrivains païens (r).

***
Une des particularités les plus caractéristiques du style de
Bachiarius, et qui nous révèle en même temps un trait du
tempérament moral de l'écrivain, ce sont les comparaisons et
les métaphores tirées de l'amphithéâtre (2) et de la médecine.
1. Le monde est un « amphithéâtre » où nous avons à lutter
contre les fauves: les vices. Hélas! ils sont bien peu nombreux
ceux qui savent préserver leurs membres de la morsure des
bêtes (3). Le grand adversaire que nous rencontrons dans l'arène,
c'est le démon, symbolisé par Goliath, le terrible ennemi du
peuple de Dieu. Travesti en « venator » ou en « rétiaire », tantôt
il décoche sur les âmes sa flèche et ses dards (4) ; tantôt, les
trompant par ses ruses (5), il cherche à les emprisonner dans son
filet (6). Le lapsus s'est laissé vaincre par lui. Au lieu de se montrer
« secutor » intrépide (7) il s'est laissé prendre dans les rets des vices

Pour la leUre Ad Donatum comparer: Ad Donat., 7; édit. HARTEL,


dans CSEL, t. III, p. 9 (... ut saginatus in paenam ... ) = De lapso, 13;
l. C., col. 1050 C ;
(1) Voü' plus haut à la p. 41 note I.
(2) Le langage de l'armée et celui de la gladiature sont d'ailleurs tout un
(G. LAFAYE, art. Gladiateurs, dans Dict. des antiq. grecques et romaines,
t. II, p. 1583).
(3) Considera ... quam paucis tribuitur, ut de amphitheatro mundi istius,
ubi cum leris, hoc est, cum vitiis depugllatur, immaculati a peccati
i'nol'S'u membra liberent sua (IZ. I049 A).
(4) ... diabolica sagitta ... (1. 1038 A); ... tela maledicta (8. 1044 C).
Le « venator» combattait en effet avec l'arc et des « tela » de toutes sortes.
(5) ... quae (anima) ... ab insidiatore supplantata esse noscitur (ro. I047A).
(6) Le rétiaire était armé de la lance (hastam zabolicam = diabolicam)
(16. 1053 B), ou du trident (fuscina, üidens) (LAFAYE, art. Gladiate'urs,
dans Diet. des ant. grecques et romaines, t. II, p. 1585) et du filet ( ...
in rete vitiorum ... ).
(7) Le « secutor » avait la spécialité de pOUTsuivre le rétiaire (LAFAYE,
art. Gladiateurs, dans Dict. des antiquit. grecq~tes et romaines, t. II, p. 1585);
Bachiarius insinue que le laps1;ts était un « secutor)) par ces mots ... ab
eo quem persequitur ... refertur esse percussus (8. 1045 A). Le « secutor))
comme le « Samnite» était revêtu de la cuirasse. Le malheureux diacre
avait eu le tort de s'en dévêtir (Defuit ei lorica ... 8. 1044 A). Dans le
De fide (PL, t. XX, col. 1°36 B; cfr RHE. 1928, t. XXIV, p. 327-329).
Bacbiarius lui-même joue le rôle de « secutor)). Avec le « bouclier de la
foi » il prétend se garantir contre les traits empoisonnés (venenata spicula)
et pcotéger tous ses membres contre les coups ... de langue, de son ennemi.
LE TEMPÉRAMENT DE BACHIARIUS 1°7
(in l'ete vitiorum) et, comme un cerf traqué, il s'est rendu aux
chasseurs pour se laisser enfermer dans la cavea (r) en attendant
d'être produit devant les puissants du siècle (2), après avoir
été préalablement engraissé. C'est une honte pour le lapsus de
s'être non seulement laissé toucher (3) (deceptus) par l'adversaire,
mais d'être tombé sans aucune grâce (4)·
Pourtant la blessure n'est pas incurable; la chute n'est pas
nécessairement définitive. Assumant le rôle des spectateurs,
Bachiarius semble crier à Janvier qui s'apprête à achever le diacre
terrassé: « Je demande qu'il soit soigné, son cœur palpite encore;
qu'il soit réservé pour un (nouveau) combat » (5)· Le vaincu d'au-
jourd'hui peut redevenir le vainqueur de demain. « L~ soldat (6)
blessé dans un premier combat, lutte d'ordinaire plus vaillamme'1t
dans le second; il se redresse avec plus de colère contre celui
qui l'a frappé» (7)·

(1) La cavea de l'amphithéâtre peut se comprendre de deux manières.


Elle est ou la cuve à gradins des spectateurs, ou la cage d'où les ammaux
s'élançaient pour la chasse. Dans ce passage c'est de cette seconde manière
qu'il faut l'entendre. . .
(2) ... donec etiam recludatur in cavea, et ibi longo tempons spaho
saginetur ad pompam (13. 1°50 B) - Avant le combat, il y avait non seu-
lement la « montre)) (la pompa) des gladiateurs, mais aussi celle des bêtes
(cfr Acta Pattli, cap. XXVIII, éd. L. VOUAUX, p. 201, Paris, 19 1 3).
(3) ... deceptus est ab iniquo (II. I047 C). Deceptus estle mot technique
pour exprimer qu'un gladiateur avait été toucbé (blessé) par 5011 ad.ver-

!
f\
saire (LAFAYE, art. Gladiateurs, dans Dict. des antiq. grecqttes et romat11.es,
t. II, part. 2, p. 1595) --- le mot «percussus» a le même sens. Bachiarius
emploie ce dernier très souvent: 9. I045 C; 10. 1046 A ; 6. 1042 A ; B;
7. 1043 A; 8. 1044- A ; 8. 1044 B ; 8. I044 C; 8. 1045 A.
(4) ... mehus erat nec inchoare... quam tam turpiter cadere ... (la,
{ 1047 A).
(5) Curetur, rogo. quia adhuc palpitat ; et revertatur ad pugn?J11
(8. 1044 A) ..- Le «rogo » est l'équivalent du « missum )), le mot technique
par lequel les spectateurs déclaraient que la vie du gladiateur cOllché à
terre, impuissant, devait être épargnée (LAFAYE, art. Gladiateurs, l. C.,
t. II, p. 1595), pour lui permettre de reprendre sa revancbe, plus tard,
dans un second combat.
(6) Solet percussus miles in primo certamine, in secundo fortius climi-
care, ... (6. I042 A). Bachiarius, dans ce passage songe moins au miles qu'au
gladiateu1'. Car dans une guerre, il est peu vraisemblable qu'on se rencontre
dans un second combat, avec le même adversaire qui vous a blessé dans
un premier engagement.
(7) Solét percussus miles ... et contra percussorem suum magis ~ratus
insurgere (6. 1042 A). - Le cas n'était pas chimérique. Une inscnptlon
r08 CHAPITRE V

2. La médecine intéressait Bachiarius au moins autant que


l'amphithéâtre ou la palestre.
Constamment le De lapso nous parle du médecin. « N'y a-t-il
donc pas de médecin dans Galaad », demande-t-il dès le début (1).
Ce médecin, notre médecin à tous (medicus noster) (2) c'est Notre-·
Seigneur. Dans les « tiroirs » des livres saints il a renfermé les remè-
des les plus variés et les plus efficaces (3). L'habileté et la science
de ce médecin-chef (archiatrum) ferme mais bienfaisant (4), n'est
dérouté devant aucun mal (5). L'école de médecine où il exerce
son art c'est le monde; il l'a inaugurée au paradis terrestre (6),
dès le jour où Adam et Ève furent empoisonnés par la morsure
du serpent (7). C'est à cette « école » que Janvier devrait recou-
rir (8), et imitant le grand modèle, il devrait se faire à son tour
médecin, s'enfermer avec le malade seul à seul, pour le guérir (9)
et se garder avant tout, de donner le conseil intéressé et perfide
d'achever celui qu'il désespère de sauver (ro).
Après nous avoir fait connaître le médecin, Bacharius va nous
parler des remèdes. Ces remèdes que l'Écriture nous révèle, sont
aussi variés que les blessures (II); aussi Janvier a-t-il tort de
croire qu'il n'en existe pas pour la plaie du lapsus (12). L'ascète

nous apprend, en effet, qu'un gladiateur vaincu, mais épargné une pre-
mière fois, tua son adversaire dans un second combat. Aussi donne-t-elle
ce conseil: « Te moneo ut quis quem vicerit occidat)) (CIL, t. V, nO 5933).
(1) Numquid medicus non est in Galaad, aut resina non est illic (JÉRÉM.,
VIII, 2Z), (1. I037 A).
(2) 3. 1038 B.
(3) Ut quid, rogo, medicus nos ter inter librorum suorum loculos tot
constituit genera pigmelltorum ... (3. I038 B-I039 A).
(4) Surge, quia Medicus advenit ... Quid expavescis ? Quid refugis
curam (16. I053 A) ?
(5) Itane fuit quod lateret Arcbiatrum, cui nequaquam artis suae peri-
tia provideret (3. I039 A) ?
(6) Ecce in ipsius introitu scholae (z. I039 A).
(7) ... qui venenato serpentis dente percussi ... (3. 1039 A).
(8) ... recurre ad scholam Medici (4. 1040 B).
(9) .. .locus ... ubi nihil capiatur amplius, quam medicus et cadaver (1.
I043 C).
(10) ... huic cum sceleris sui nuptiae suadentur; quid aliud dicitur nisi
occidatur, quia vivere aut evadere non poterit de hac plaga (9. I046 B) ?
(II) ... medicaminum species perquiramus (3. 1039 A).
(12) Sed dicis fortasse, Levita est iste qui cecidit: non ei remedii potest
medicina conferri. Erras, frater. .. (4. 1040 A).
LE TEMPÉRAMENT DE BACHIARIUS r09

espagnol connaît les « pigmenta» (r), les ({ emplastra» (2), aussi


1 bien que les ({ malagmata ». Mais si les trois sortes de remèdes se ré-
vèlent également inefficaces, il n'y a plus qu'à recourir aux ({ ferra-
1 menta », aux bistouris pour retrancher les parties gangrénées (3)·
Bachiarius n'ignore pas que la résine est excellente pour fermer
(glutinare) les plaies (4). Et en recommandant à Janvier de faire
sentir la douce chaleur de la consolation (consolationis tepore
revocetur ad vitam) à celui que le froid du péché a tué (peccati
frigore mortuus est ... 7. r043 B), il semble se rappeler la remarque
de Celse que la chaleur est un excellent moyen de gu~rison, sur-
tout dans le cas où les plaies ont été causées par le froid (5).
Notre ascète n'ignore pas non plus les propriétés médicales de la

(1) ... genera pigmentorum (3. I039 A). Pigmentum peut signifier les
« couleurs)), l'onguent de toilette, ou le suc des plantes avec lequel on
compose des poisons ou des remèdes (cfr FIRMICUS MATERNUS, Mathesis,
VIII, 17). - Le pigmentarius était en même temps unguentarius : il
faisait le trafic des couleurs et des parfums (MARQUARDT, La vie privée chez
les Romains, trad. V. Henry, t. II, p. 448, Paris, 1893).
(2) ... ex omnibus emplastris ejus (3. 1039 A) ... malagmate paeni-
tentiae ... (3. 1039 A; 8. IOH A). - Les emplastra et les malagmata for-
ment précisément la matière des deux premiers chapitres des remèdes dans
Cornelius Celse (A. CORN. CELSI, De medicina, L. V, c. 19; éd. C. DA-
REMBERG, p. 172 sqq., Leipzig, Teubner, 1891 (De Emplastris) ; - et
1. c., 1. V, c. 18, p. 166 sqq. (De malagmatis) ; - cfr aussi PLINE, Hist.
Nat., 1. XXXIII, c. 35, 36, 56).
(3) ... cur subterfugis cultellos evangelici ferramenti (16. 1053 B) ? (cfr
aussi, 16. 1053 A) - le mot « ferramentum )), Celse nous l'apprend, est un
terme technique en chirurgie (CELSUS, De medicina, L. VIII, c. IX)
p. 344 (1. 6); L. VIII, c. II, p. 329 (1. 24) ; L. II, c. XVII, p. 63 (1. 34) ;
L. VII, c. XXVI, p. 3IO (1. 23) (éd. Teubner) 1891. - 1. C., L. VII, c.
XX, p. 301 (1. 21) scalpello curari ... - Déjà dans le De fide Bachiarius
parlait d'amputation: ... parte disecta (De fide, 3. PL, t. XX, col. 1029
A) ; et membro amputato (ibid.).
(4) ... scissa conglutinat (1. 1039 B). Cfr CELSE, De medicina, L. VIII,
c. IX, 1. C., p. 343 (1. 23) ... cui cocta quoque resina adjecta sit ... - le
mot « glutinare)) est tout à fait médical (CELSE, De medicina, L. VII,
c. XX, 1. C., p. 301 (1. 1) ; L. VII, c. XXV, 1. C., p. 305 (1. 30); L. VII. c.
XXVIII, 1_ C., p. 316 (1. 8) '" « glutinatis oris ... JJ. L. VI, c. VII, 1. C.,
p. 244 (1. 3) ... specillum lana involutum in resinam quam glutinosissimam.
- Cfr aussi PLINE, Hist. nat. L. XXIX, c. I I : vulnera candido (ovorum)
glutinari.
(5) CalOT autem adiuvat omnia, quae frigus infestat ... praecipueque
ea ulcera, quae ex frigore sunt (CELSE, De medicina, L. l, c. IX, 1. C., p.
25 (1. 28 sqq.).
lIO CHAPITRE V

lentille rouge (1) ni surtout l'usage du vieux linge, des «parmi )}


(de la charpie), pour les pansements (2). Particularités plus éton-
nantes encore, il a retenu que la salive d'une femme à jeun est
souveraine pour guérir la cécité (3), que le cerf est terrible aux
serpents, et sa corne excellente contre leurs morsures (4). Il vou-
drait de plus que sa lettre soit comme une « incantatio » salutaire
au Zaps1lts (5).
Faut-il s'étonner après cela que les mots techniques de médecine
abondent dans le De lapso. Nous entendons parler de la «cure »

(1) C'est la lentille rouge que Celse cite en premier lieu, celle que les
gens appellent « semion» (u'1}!-,Eîov) « quum sit ea lenticula rubicundior et
inaequalior» (De medicina, L. VI, cap. V, 1. c., p. 224).
(2) Les sauveteurs de Jérémie utilisèrent des lambeaux d'étoffe pour évi-
ter de blesser le prophète aux bras, en le retirant du puits avec des cordes
(6. 1042 A). - La charpie était très recherchée par les médecins. Une
épigramme attribuée à Lucilius, nous montre un médecin faisant un pacte
avec l'ensevelisseur le « pollinctor », c. à. d. celui qui entourait le cadavre
de linges et l'emmaillottait (cfr PRUDENCE, Cathemerinon, X, 49 sqq. ;
PL, t. LIX, col. 880: Candore nitentia claro - Praetendere lintea mos
est ... ). Le médecin s'engageait à faire mourir tous les malades confiés
à ses soins et à fournir ainsi de la besogne au «pollinctor ». Celui-ci, à
charge de réciprocité, devait soustraire une partie des vieux linges (1T"a-
!-,wvas') qu'on lui fournissait pour l'ensevelissement, et les passer au médecin
pour ses pansements (cfr SA.UMA.ISE, Hist. Augusta, In Flavium VoPiscum,
p. 346. Paris, 1620). - Voir l'épigramme dans l'Anthologie de Jacobs, t.
III, ep. 96, p. 137 (parmi les diiJu1T01'a); - pour les « panni » voir aussi
CELSE, De medicina, L. VII, c. XXIX, 1. C., p. 319 (1. 2).
(3) •.. ac pro verbo sponsi velut caecus effectus, salivam jejunii oris quae
in terram projicitur et conculcatur. .. (17. I055 A). Le passage fait allu-
sion à S. JEA.N, IX, 6, expuit in terram ... ; mais là le mot « à jeun)) ne se
trouve pas. - Cfr PLINE, Hist. nat., L. XXVIII, c. XXXII: mulieris
quo que salivam jej~trtae potentem dijudicant oculis cruentatis.
(4) ... Velox erat sic'ut cerv1;ts ; id est, qui non solum ... verum etiam ser-
pentium, hoc est, adversariarum virtutum interlector exstitit (8. 1045 A,
B). - Cfr CASSIUS FELIX, De medicina (éd. Rose), c. LXX, p. r68. Leipzig
(Teubner), 1879.
(5) Le Psaume LVIII, 'j.r 5 lui suggère peut-être la comparaison.
Au dire d'Ammien Marcellin, d'après un texte cité par Du CA.NGE (Glos-
sarium mediae et infimae latinitatis, 2 e éd. par L. Favre, t. IV, p. 318,
Niort, 1885), l'incantamentum était employé pour soulager les douleurs.
Sur l'importance qu'on attribuait à la voix, à 1'« incantation», voir MAs-
PÉRO, Études de mythologie et d'archéologie égyptiennes, t. II, p. 373, cité
par P. FOUCARD, Les mystères d'Éleusis, p. 149-15°. Paris, 1914.
LE TEMPÉRAMENT DE BACHIARIUS III

médicale à entreprendre ou à subir (1), de la « visite » du médecin


(2), de la « plaie )} (vulnus ou plagal causée par la lance de l'ennemi
ou la morsure du serpent (3). Le mot « jugulare» (8. 1044 B) se
retrouve chez Celse (4), ainsi que celui de «liberare» (5). La livor
dont Bachiarius souhaite que le lapsus recouvre son corps, est bien
connu d'Apulée qui nous parle de certaines herbes qui ont préci-
sément la propriété d'enlever les pâleurs (6).
Le moine espagnol semble même avoir eu une certaine connais-
sance anatomique du corps humain. Il nous parle de la « compago
costarum)} (16. 1054 A) (7) de la moëlle des os (... medullae os-
sium) (16. 1054 A). Les « celliers » intérieurs du cœur (18. I056 C)
ne sont-ce pas les « ventricules » ? Nous entendons parler égale-
ment de la «fistula linguae )}, de la cavité buccale (8). En repre-
nant à son compte l'idée traditionnelle qui, par allusion à la parole
de Notre-Seigneur à Nicodème (5. JEAN, III, 5), voyait dans le
baptême un véritable enfantement, Bachiarius l'exprime avec une
précision toute médicale (9).
Dans le De fide Bachiarius mentionnait déjà la « spina »

(1) 9. 1045 B: ... cura dignum; 16. 1053 B: ... quid refugis curam ?
8. 1044 A : ... curetur, l'ogo, quia adhuc palpitat ; I6. 1053 B : ... curandam
plagam.
(2) ... si forte visitaverit (Jo. 1°46 A).
(3) Vulnus et vulneratus reviennent sans cesse dans le De lapso.
Plaga: JO. 1046 B: evadere de hac plaga; 4. 1040 A: ... plaga populi
vttlnusque describitur; 10. 1047 B: ... bellatol'em cicatricum suarum
plaga commendat; 16. 1053 A: ... curandam plagam ipsius cicatricis.
(4) ... id non jugulat (CELSE, De mediçina, L. VIII, c. XIV, 1. C., p.
355, 1. 19).
(5) ... medicus eam liberet (CELSE, De medicina, L. VII, c. XX; 1. c.
p. 301, 1. 25).
(6) ApULÉE, De medicaminibus herbarum, cap. C, z: ~ ad livores tollendos».
(7) Dans le De fide Bachiarius avait déjà signalé la Cc nodorum compago »
(2 ; PL, t. XX, <01. 1024 B).
(8) fistula linguae, c'est-à-dire qui laisse passer la langue. Celse dit dans
le même sens" fistula urinae» (CELSE, De medicina, L. II, c. VIII, p. 47
l. 17). Cfr encore CELSE, ibid., L. VII, c. XV, p. 292; et PLINE, Hist.
Nat., L. XI, c. 66, I.
(9) ... quos ecc1esiastici fontis uterus et secreti ac perPle:>:i v·ulva mysterii
parturivit; quos natos Crucis cuna suscepit, Evangelii mamiUa lactavit
(22. 1061 A) ?
II2 CHAPITRE V

l'épine dorsale (r) : la lèpre (< cariosa» et (< tinniens» (2); et la trans-
fusion par le sang (3). On sait que le langage médical n'est généra-
lement pas très prude, pas plus que ne l'était celui des gnostiques.
On comprend ainsi pourquoi Bachiarius trouve presque naturel
de s'exprimer avec un réalisme qui va jusqu'à la crudité, quand
il parle de certaines parties du corps, des effets de la passion
charnelle ou des relations conjugales (4).
Nous en avons dit assez, pour montrer que Bachiarius aime à
sertir ses idées dans des images et des métaphores tirées de l'am-
phithéâtre, de la médecine et du mariage. Ce goût qui se main-
feste d'un bout à l'autre du De lapso, suppose chez l'auteur un
tempérament violent, dur et, il faut bien le dire, quelque peu
sensuel. On regrette de ne pas trouver assez chez lui cette bonté
de cœur qui apaise et guérit les plaies; cette noblesse d'âme
qui rend la fierté et la confiance à '<5eux qui sont tombés.

(1) Sur la « spina» voir CELSE, De meàicina, L. VIII, c. XIV, p. 354-5;


L. IV," c. XIV, p. 139, (1. 24) (compago) ; L. IV, c. 4X, p. 146 (1. 28).
(2) Sur la « caries» voir CELSE, 1. c., L. VIII, c. II, p. 329 (1. II); et p.
330 (1. 15) (cariosus) ; L. V, c. XXVIII, 12; L. VIII, c. II, p. 329 (1. 24) ;
p. 330 (1. II) (caries). - Ni Celse, ni même Cassius Félix ne parlent de
la lèpre. - Peut-être Bachiarius l'a-t-il appris à connaître ailleurs qu'en
Occident.
(3) Transfusio est un mot médical. Érasistrate, cité par Celse, prétend·
par exemple que la fièvre se transmet dans les artères par la transfusion
du sang (transfuso in arterias sanguine) (CELSE, De meàicina, Prooemium,
p. 10 (1. fl7) et ligne 31 : ... ut vera sit illa dransfusio »...
(4) Contentons-nous de quelques exemples:
... adulter habeat, utatur, exerceat (20. 1058 B) ?
Tunc urebatur et nupsit, nunc jam refrigeretur ut (et) vivat (20.
r058 C).
... dimidium barbae et tunicas eorum usque ad inguina praecidit ...
(13. 1049 B) .
.. .cilicium quod sordida ratione pollueras... (16. 1053 B).
... sed quaesita multitudine seminis, aggregata de scripturis copiositate
verborum, huic viduae conjungar ac proximem, ut auditis his, possit
sine difficultate concipere, et salutis spiritum parturire (17. 1055 A, B).
(5) Un passage typique est surtout à noter. Bachiarius nous apparaît
dur et presque cruel, lorsque froidement il détaille au pauvre lapsus le
terrible martyre qu'il doit subir, et où il doit lui-même se constituer son
propre bourreau ... ipse tibimetipsi tuus poteris esse persecutor ... (16.
1054 A, B). Et aussitôt après cette exhortation truculente il compare
l'âme du lapsus à une veuve, à laquelle il se propose de s'unir, pour sus-
citer la vie et le salut (17. 1055 A).
LE TEMPÉRAMENT DE BACHIARIUS II3

Même quand il prêche la miséricorde et la condescendance, Ba-


chiarius a quelque chose de rude; les passages les plus entraî-
nants et les plus virulents de sa lettre nous laissent froids, parce
que nous y rencontrons trop de jeux d'esprit. L'amour vrai,
compatissant, désireux du bien d'autrui n'est pas si compliqué.
Qu'on relise, pour s'en convaincre, les deux lettres de saint Jean
Chrysostome adressées à Théodore.
Pour compléter ce que nous venons dire sur le tempérament
moral du moine espagnol, il faut ajouter que le De lapso, aussi
bien que le De /ide nous le révèlent ardent et aggressif, aimant
le risque et le combat (r). Il semble particulièrement sensible au
point d'honneur. En effet, ce qui le vexe dans le cas du lapsus,
ce sont surtout les railleries et les quolibets que les gens du
monde, à cette occasion, font entendre à l'adresse des gens de
bien (2). Il est de plus, - et ces qualités ont bien leur prix, -
généreux et dévoué: il n'hésite pas à s'offrir pour partager les
souffrances expiatrices du lapsus (3) ; (< il accourra au moindre
signe »; on le sent enfin, sincère et droit.

***
Bachiarius est un rhéteur excellent. Il connaît tous les procédés
et toutes les ressources de la rhétorique. Ce qu'on doit admirer
chez lui c'est la clarté du plan, le naturel et l'équilibre des déve-
loppements, l'ordonnance des arguments qu'il dispose comme un
général d'armée ferait de ses bataillons, pour envelopper l'en-
nemi et briser toutes les résistances. Ce qui menaçait de faire
échouer sa' tentative de sauvetage, c'était le projet d'un mariage
scandaleux: aussi c'est là que notre rhéteur porte tout le poids
de son attaque. Merveilleuse surtout est la vie qui anime tout ce
traité. C'est une lutte corps à corps où l'ascète veut vaincre à
tout prix: il interpelle Janvier et le lapsus, il les fixe du regard,
il entend leurs objections; à peine les a-t-il recueillies sur leurs
lèvres qu'il s'en empare et s'acharne sur elles pour les anéantir.
Dans cette sorte de dialogue Bachiarius fait appel à tous les
sentiments: il argumente, il prie, il supplie, il commande, il
(1) ... processit frater nobiscum in praelio ... (2. 1038 A).
(2) 10. 1047 A: Hi ergo exhilarantur, cum audiant ruinam militis
Christi.
(3) •.. ac si tu ad nos fortasse venire confunderis, manda; et ego ad
ducendum te sine dilatione properabo (17. 1054 C).

8
CHAPITRE V

s'indigne, il menace. Combien cette éloquence vive, a.rdente, con-


crète l'emporte sur la rhétorique creuse et ampoulée de l'auteur
du De Susanna lapsa !
Non seulement notre avocat de la miséricorde a quelque chose
à dire, mais il le dit merveilleusement bien. Généralement les
phrases sont courtes; elles volent comme des flèches; pourtant
les longues périodes ne font pas défaut. Mais celles-ci, toujours
heurtées dans la pensée comme dans l'expression, n'ont rien de
l'ampleur majestueuse de celles de Cicéron (1).
En rhéteur qui se respecte, Bachiarius use de la répétition (2),
de l'alliUération (3) et des autres procédés ou figures du style.
Il a tout particulièrement le sens du rythme et du nombre. On
entend en quelque sorte les pierres pleuvoir sur le malheureux,
tombé dans le puits profond du péché, lorsqu'on lit à haute voix
cette fin de phrase: ... in profundo putei sub iniqui principis
potestate demersum, laPidibus desperationis obruamus (6. 1041
C). On sent le terrible coup de dent donné par le serpent sifflant
de fureur, à ces mots « ••• qui venenato serpentis dente percussi})
(3. I039 A). Pareilles trouvailles d'écrivain de race et de poète se
rencontrent presque à chaque page du De lapso. Bachiarius a le
don de nous faire sentir ce qu'il décrit. Les métaphores et les
comparaisons sont particulièrement heureuses et admirablement
suivies. « Il est glissant le chemin de la vie, recouvert de la glace
de l'iniquité; lorsque la chaleur de la passion l'a tant soit peu
dégelée on tombe vite et on s'écroule}) (4). Et ailleurs, s'adressant
au lapsus: <( N'étouffe pas dans l'eau des vices cette étincelle, jail-
lie du brasier de l'Écriture» (5). D'autres fois la pensée se condense
dans une phrase lapidaire ... « nec te inimica desperatio confrin-
gat» (14. r050 C) ; ou bien encore ({ non insultes ei cujus iram
sustentare non poteris» (18.Iü55 C). Une image, un mot évoque

(1) Comparer à ce point de vue la première phrase du De lapso : Nisi


vererer ... avec le début du Pro Milone «Etsi vereor, judices ... »
(z) ... pugnabat cum scuto jejunii ... pugnabat cum taciturnitatis lori-
ca ... (8. 1044 B, C).
(3) Tu vero, qui avarum non detestaris, qui invidum non refugis;
qui detractorem raptoremque non devitas, fornicatorem ad tempus ...
condemnas ? (S. 1040 C-I04I A).
(4) Lubrica est via saeculi hujus, glaciali iniquitate constricta : quam
cum modice concupiscentiae calor solverit, facilis est ad lapsum rui-
namque miserorum ... (9. I04S B).
(S) Sed tu ne exstinguas evangelicam scintillam humore vitiorum, quae
de illo totius libri igne procedit ... (zo. loS8 B).
LE TEMPÉRAMENT DE BACHIARIUS Ils
soudain d'impressionnantes perspectives. En comparant la mort
à la sortie de l'Égypte (1), Bachiarius nous fait souvenir à la
fois des misères et des souffrances de la terre, ainsi que de la
miséricordieuse toute-puissance de Dieu, qui met tout en œuvre
pour nous conduire au ciel: la Terre promise. Nous n'avons pas
à faire pour le moment une étude approfondie du vocabulaire et
de la langue de Bachiarius; en donnant ces quelques précisions
nous avons voulu montrer simplement que, si le style de notre
écrivain est étrange, il n'est certes pas banal.

>1<
* *
Dans notre étude sur le De fide nous avons jadis fait remarquer
combien notre ascète aime à voiler sa pensée sous des méta-
phores, pour laisser à la « perspicacia » de ses lecteurs le plaisir de
la deviner. Sa riposte adressée à saint Jérôme, en utilisant
l'image du dieu Dagon, est un modèle du genre. Le De lapso
nous offre, semble-t-il, un autre spécimen de ce procédé.
Bachiarius était assurément priscillianisant; il observe pour-
tant dans ses expressions l'orthodoxie la plus irréprochable.
Au fond de son cœur il restait l'admirateur de Priscillien; bien
plus, si nous entendons bien un passage du De lapso, il le vénérait
comme un martyr.
D'après la définition que nous pouvons recueillir dans le De
lapso, le martyre est la souffrance endurée pour le Christ. Et
comme par ailleurs David est identifié avec le Christ, tous ceux
qui meurent pour David ou pour sa cause sont déclarés martyrs.
Or, parmi tant d'exemples, Bachiarius choisit celui du prêtre Achi-
melech et des siens mis à mort par le roi Doëg (1 Sam., XXII,
r8 sqq.), et il termine par ces mots: « Et quid est hoc, nisi forma
martyrii, ut quos grave peccati crimen involverat, mors pro
Christo illata liberaret» (6. Iü42 B) ? Achimelech pourrait bien
n'être qu'un pseudonyme de Priscillien. En effet, Priscillien et
les siens avaient été accusés, eux aussi, de crimes abominables
(grave peccati crimen) ; c'est un souverain également qui avait
ordonné leur mort; de plus les victimes étaient considérées et
vénérées comme de vrais martyrs (forma martyrii). Bachia-
rius ne pouvait pas insinuer plus adroitement ni manifester avec
moins de risques, l'attachement au grand ascète qui l'avait séduit
et entraîné plus ou moins dans son sillage.
CONCLUSION

Il nous reste à recueillir et à grouper les données éparpillées


à travers cette étude pour préciser autant que possible la carrière
et le caractère de Bachiarius. C'est en Bétique, semble-t-il (p. 18,
note 5; p. 26, note r), près d'Hispalis ou d'Italica, que se trouvait
le monastère où il se donna à Dieu. Il y apprit à connaître et
à apprécier celui qui devait plus tard se laisser entraîner par les
séductions de la chair (p. 26). Impliqué dès le début dans l'aven-
ture de Priscillien, qu'il admirait et dont il partagera toujours
plus ou moins les idées (cfr De fide : chap. sur les Écritures dans
RHE. 1928, t. XXIV, p. 324-327; et De lapso, Intervention des
puissances angéliques, p. 80-8S), il se lança vraisemblablement à
corps perdu dans le combat (Ecce in communes inimicos processit
frater nobiscum in praelio) (2. 1038 A). Son ardeur combattive et
sa verve devaient en faire un lutteur redoutable.
Le premier rescrit de Gratien, obtenu par l'évêque Ithace,
vers la :fin de l'année 381 ou au début de 382, décrétait l'exil
contre les «hérétiques» (SULPICE SÉVÈRE, Chron., II, c. 47; CSEL,
t. l, p. 100). Atteint probablement par cette mesure, Bachiarius
quitta sans doute l'Espagne (... quibus renuntiasse memini. De
fide, 2; PL, t. XX, col. 1022 A) et se fit moine itinérant (peregrinus
ego sum) (De fide, 2; PL, t. XX, col. I024B). Ses pérégrinations
le menèrent jusqu'à Rome où il dut, par une profession de foi,
se laver des soupçons d'hérésie qui pesaient sur lui du fait de
son lieu d'origine (Suspect os nos, quantum video, facit non ser-
ma sed regio ;... De fide, l ; PL, t. XX, col. 1019 C). Pendant quel-
ques années encore il reste absent de l'Espagne; il n'y était pas
encore quand il apprit la chute de son ancien compagnon d'armes
(Audivimus enim ... De lapso, 1; PL, t. XX, col. 1037 B). Il n'y
rentra probablement qu'après 390, et se décida dans la suite à
écrire le De tapso pour inspirer le repentir à la malheureuse victime
du vice.
Bachiarius se révèle à nous comme un caractère ardent et fier;
c'est une âme loyale, généreuse, compatissante et dévouée.
CONCLUSION II7

Il reste fidèle à son ancien compagnon dévoyé; il souffre de son


~alheur et s'offre à lui pour prendre une large part à son expia~
tion. A côté de ces belles qualités nous avons dû noter chez lm
une certaine dureté qu'on serait tenté d'appeler cruauté. Un
relent de sensualisme se dégage également des métaphores
si fréquentes tirées de la médecine ou du mariage. -- ~ourtant,
à tout prendre, le cœur chez Bachiarius semble meilleur que
l'esprit. Plus érudit que profond, plus subtil que pénétrant,
plus rhéteur que théologien ou exégète il se complaît aux rappro-
chements les plus inattendus. Tro~ so~vent ce sont, les mots ~u,les
jeux de mots qui appellent les cl1atlOns et suggerent les idees.
Il est étonnant que cette verve ne l'entraîne pas plus souvent en
dehors de la doctrine traditionnelle; dans l'ensemble ses conclu-
sions sont parfaitement orthodoxes. Cette souplesse de l'imagina-
tion plus encore que de l'esprit, se reflète admirablement dans le
style vif, alerte, incisif qui fait voir et sentir tout ce qu'il exprime.
Parfois cependant, il faut deviner sous le voile d'une métaphore
ou d'un exemple, une pensée trop audacieuse que l'auteur n'ose
pas exprimer ouvertement.
- En lisant le De fide ou le De lapso, ce n'est pas seulement un
homme puissamment original qu'on a le plaisir d'entendre; mais
on voit sous un jour nouveau des problèmes que soulève l'étude
des origines chrétiennes, Tels sont, entre autres, l'influence du
gnosticisme sur la spiritualité et le traitement p~nitentiel ~
infliger à un membre du clergé élevé à un ordre majeur, tombe
dans un péché grave et public de luxure. Enfin grâce à cette
lecture, nous saisissons mieux, dans sa complexité et sa richesse,
la vie chrétienne en Espagne, à la fin du IVe siècle.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES

AMBON (l') des églises, comparé à turelle, p. 1 II ; - la « velatio »


Galaad (= acervus testis), p. dans la cérémonie baptismale,
101-10Z. p. 68, note 3.
ANGÉLIQUES (puissances), cfr MA- BIBLE (la), appelée Canon, p. 86
THESIS. note 1.
ApOCRYPHES (usage des livres) fait
par Priscillien et par Bachiarius, CÉLIBAT (des clercs), p. 71, note I.
CHRÊME (le saint), allusion, p. 8z,
p. 9 0 -9:2.
ARCHIATER, voir JÉSUS-CHRIST. note 5.
ARCHIDIACRE. Importance de sa CHRYSOSTOME (saint JEAN), son
charge, p. IZ note 8 ; - le fami- caractère, p. 57 ; - ses idées sur
lier de l'évêque, comparé par le pardon des fautes, p. 58-59.
Bachiarius à Joab, p. 13-14; - CLERCS (les), choisis de préférence
il devait surveiller les diacres et parmi les moines, p. 19, note z;
les dénoncer à l'évêque en cas de p. 1 l, note 6.
scandale, p. 14; - il réglait la CROIX (signe de), signification;
lectio dominicalis (lecture des comparé, au tetragramme, p.
diptyques), p. 16. 82, note 6.

BACHIARIUS. Données sur sa vie, DÉMON (le) « venator» ou « retiaire»,


p. 116 ; - son caractère, p. 112- p. 106; appelé « contrarius »
II3 ; - son style, p. II3- Il 5 ; - p. 101, note I.
son goût, pour la « tropologie », DIACRES, âge requis pour recevoir
p. 99-104; - admirateur de le diaconat, p. 19 note 3; -
Priscillien, p. Il5 ; - son défen- leur ordination appelée «consecra-
seur, p. 20 ; - a subi l'influence tio » p. 26, note 2 ; - nombre des
du gnosticisme, p. 77, note 1; diacres dans une cité, p. 20 note
p. 80, note 4; - et de la M athe- 1 ; - les relations des diacres
sis, p. 75, 80-85; - au moment avec les familles, p. 21, note 7 ;
où il écrit le De lapso il n'est ni -leur attitude parfois arrogante,
eveque, p. 24; - ni abbé de p. 24 note 5; - le diaconat
monastère, p. 25 note 1; - il n'invalidait pas le mariage, mais
est moine, p. 2'5; - et diacre, il en prohibait l'usage, p. 7 1
p. 26 note 2; - il se sert du note I.
langage des juristes, p. 80 note 3· DIPTYQUES. L'usage de la lecture
BAPTÊME (la grâce du), comparée des diptyques attestée par le De
au « mare vitreum» de l'Apoca- lapso, p. 16 note 4; - l'efface-
lypse, IV, 6, p. 103; - il en- ment du nom des diptyques équi-
fante les hommes à la vie surna- valait à l'excommunication, p. 16.
I20 INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES

ÉCRITURE, voir OPHISME. tion, p. 28, note 1; - Bachiarius


ÉGLISE (rôle de 1'), dans la récon- l'a utilisée dans le De lapso, p.
ciliation des pécheurs; - com- 29-34; ainsi que l'Adverst&s ]0-
parée par Bachiarius à la veuve vianum, p. 39-45.
qui se jeta aux pieds d'Élie JÉRUSALEM, voir MATHESIS.
pour en obtenir la résurrection JÉSUS-CHRIST est appelé Père, p.
de son fils, p. 79-80. 70 , note 2 ; Esprit et Époux (vir)
ESPRIT, cfr JÉSUS-CHRIST. des âmes, p. 77-78, note 1; _
ESTHER (le livre d'), considéré en- Il est également le médecin en
core comme apocryphe par des chef (archiater) des âmes, p. 76 .
Pères du IVe siècle, p. 87, note r. JOSEPH, pourquoi Bachiarius em-
ESPAGNE, situation morale du clergé ploie l'expression JosePh noster,
espagnol à la fin du IVe siècle, p. 25 note 2.
p. I7- 18. JURISTES (langage des), voir BA-
ÉVÊQUE, rôle essentiel joué par CHIARIUS.
l'évêque, de l'aveu de Bachia-
rius, dans la pratique péniten- LAPSUS (le) dont il est question
tielle, p. 78-79. dans la lettre de Bachiarius, était
EXPIATION (des péchés), assimilée moine avant son diaconat, p. 18,
au martyre, p. 73; - voir égale- 19; - il devint diacre dans une
ment MORTIFICATION. cité épiscopale, p. 20, note 2; _
il prit part à la lutte engagée
FENÊTRE, curieux emploi de ce contre le priscillianisme, p. 20,
mot chez Bachiarius et dans les et s'y révéla lutteur redoutable,
apocryphes, p. 91-92. p. 20, note 5 ; mais la beauté de
FIN DU MONDE, croyance à la fin son corps lui est fatale, p. 2r,
du monde chez saint Cyprien; note 5; -- âge du lapsus au mo-
en Espagne, à la fin du IVe ment du scandale, p. 21 note 2 ; _
siècle, p. 49. sa mère vit encore, p. II, note 2;-
FORTIS, sens du mot, p. 21, note 1. il est encore très mal disposé au
FRATER, sens du mot chez Bachia- moment où Bachiarius intervient,
rius, p. l l, note 8. p. 23- 2 4.
LÉGISLATION civile, punissant les
GNOSTICISME, voir OPHISME.
tentatives de mariage avec les
vierges et les veuves consacrées à
INFIDELIS, sens du mot, p. 3 6,
Dieu, p. 71, note 1.
note 3.
IVROGNERIE (l') unie à la luxure,
MARTIN (saint), le COuvent de Saint-
p. 23, note 10.
Martin près de Tours, p. 18,
note 5; - le saint renouvelle
JANVIER, le nom de Janvier en
le miracle d'Élisée, ressuscitant
Espagne, p. 10, note 3; - Celui
un mort, p. 80, note 4; - le
qui intervient dans le De lapso
saint impose le voile à une jeune
était archidiacre, p. 12-16; _
fille, p. 22, note 2.
sa physionomie morale, p. 16- 1 7.
MARTYRE, sens du mot d'après
JÉROME (saint). La lettre CXLVII
Bachiarius, p. Il5; - voir aussi
n'est pas, semble-t-il, une fic-
EXPIATION.
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES 121

MATHESIS (la) dans le De lapso de Mgr Batiffol et du P. Galber,


p. 75 (= les trois dieux, cause de p. 52-54; - décision du pape
la chute) ; p. 80-85 (= rôle des Sirice, p. 54-55, commentée par
puissances angéliques symbolées la conduite de Janvier, p. 55-7;
parles sept portes de Jérusalem) ; -- optimisme de saint Jean Chry-
(dr également De fide, dans sostome, p. 57-59; que partage
RHE. 1928, t. XXIV, p. 3 1 7- en partie Bachiarius, p. 60-66 ; -
3 20). explication des deux tendances
MONASTÈRE (le) du lapsus, p. 18, représentées par Janvier et Ba-
note 5 ; - vocations à la vie mo- chiarius, p. 66-67 ; - Bachiarius
nastique au IVe s., p. 18, note 3· essaie de prouver par l'Écriture
MORTIFICATION (la), ce qu'elle est, que le diacre coupable doit espé-
l'esprit dans lequel il faut la rer le pardon de sa faute, p. 65-
faire, la manière de l'accomplir, 66 - Indulgence exagérée de
p. 7 2 -74. Bachiarius à l'égard de certains
pécheurs que mentionne l'Écri-
NICÉTAS DE RÉMÉSIANA utilise le ture, p. 63, note r; p. 99·
De laps a dans le De lapsu virgi- PIGMENTUM, sens du mot, p. 76
nis consecratae, p. 45-48; sa note 3.
dureté envers les pécheurs, p. PORTES (les 7) de Jérusalem, voir
45· PUISSANCES ANGÉLIQUES.
PRISCILLIEN, sa vie avant et après
OPHISME, théorie ophiq ne de Pris- sa conversion, p. 36, note 4 ; -
cillien et de Bachiarius dans le son gnosticisme, voir OPHISME ;
rôle qu'ils assignent au Christ son sabellianisme, p. 77, note l
= vir, et au Christ = Esprit, p. (la Trinité = le Christ).
77-78, note 1. PRISON, dans les monastères, p. 72,
- La manière dont Bachiarius note 4.
décrit son propre rôle dans la
conversion du lapsus relève égale- RÉBECCA, figure de la vierge qui
ment de l'ophisme, p. 80, note 4; a reçu le voile, p. 22, note 3·
c'est dans un sens gnostique que RÉCLUSION, une partie de l'expia-
l'Écriture est, d'après Bachia- tion, p. 72.
rius, synonyme de semence, p. 80, REMÈDES contre les blessures: les
note 4 (voir De fide, dans RHE. pigmenta, les emplastra, les malag-
1928, t. XXIV, p. 324-327). mata, p. 109, et p. 76, note 3; -
la chaleur, p. 109, note 5; - La
PÉCHÉ (le) contre le Saint-Esprit, salive, p. IIO. note 3 ; - l'" 1n-
(Matth. XII, 31) - explication cantatio », p. IIO note 5.
personnelle mais naturelle de Ba-
chiarius, p. 60-6r, note 5; - le SAECULI (homo), sens du mot,
péché « ad mortem» (1 Jo. V, p. 36, notes 2 et 4.
16), p. 63, note 5 (dans son expli- SAINTS (les), doivent intercéder
cation Bachiarius se rencontre pour leurs semblables - ma-
avec saint Augustin). nière originale dont Bachiarius
PÉNITENTIEL (le régime) imposé au prouve cette affirmation, p. 79,
clerc majeur coupable: opinions note 4.
I22 INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES

TROPOLOGIE, ce qu'elle est; l'usage rieur, p. 68-70 ; - raison donnée


que Bachiarius en fait, p. 99 SVV. par Bachiarius, p. 68, note 3 ;
SEMENCE, voir OPHISME. - Ce mariage impie serait non
SIRICE (le pape), voir ESPAGNE et seulement un sacrilège, un adul-
PÉNITENTIEL. tère, mais encore une sorte d'in-
ceste, p. 70; - les vierges com-
TRANSFUSIO (la), p. II 2, note 3. parées aux vases sacrés du Tem-
TRINITÉ (la sainte), son rôle dans ple de Jérusalem, p. 68; - la
la conversion, p. 75-76; voir VIerge coupable qui s'est unie au
MATHESIS. lapsus est jeune encore, p. 22,
TRIPARTITIO (la), idée chère à Ba- note 2; - son père est proba-
chiarius, p. 102. blement ce Tibérien que saint
Jérôme nous fait connaître dans
VIERG~S consacrées à Dieu. Age
son De viris inlustr., cap. CXXIII,
reqUIs pour la « velatio», p. 22,
P·34-39·
note 2; - La « velatio» rite VIOLENCE (la), moyen original pro-
ancien, usité au baptê~e et
posé par Bachiarius au lapsus,
dans le rite de la consécration pour pousser ses compagnons à
des vierges; dans ce dernier cas
intercéder pour lui, p. u-I3 ; 79,
rend invalide tout mariage uUé- note 4.
T ABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ..................................... . :r7


1. Mentions, extraits, copies du De lapso.
2. Division du sujet.
CHAPITRE l : Les acteurs principaux du drame ....... . 9- 2 7
1. Occasion du De lapso ........................... . 9-10

2. JANVIER ............................ ··········· 10- 1 7

A. Il n'était ni évêque, ni prêtre, ni abbé de monas-


tère ...................................... . 10-II

B. Il était l'archidiacre de l'église épiscopale où le


lapsus était diacre ........ , ...••............. II-I6
3. LE « LAPSUS ». . .......................•........ I7- 2 4
A. Le moine, le diacre - sa générosité, son ardeur
combattive ................................ . I7- 21
21-22
B. La chute ............ ·.····················
C. Ses dispositions morales au moment où Bachia-
rius lui écrit ..........................••... 23- 2 4
4. BACHIARIUS ................................... . 24- 2 7
Raisons qui expliquent son intervention ...... . 25- 2 7

CHAPITRE II : La date et la Lettre. . .................. . 28-5 1


1. LE TERMINUS « POST QUEM» ................... . 28-45
a) Le De lapso est postérieur à la Lettre CXLVII
de saint Jérôme ........................... . 28-34
b) Le De lapso se place après les événements racon-
tés par saint Jérôme dans le chapitre CXXIII de
son De viris inlustribus .........•............
c) L'écrit de Bachiarius est même postérieur à l'Ad-
versus]ovinianum de saint Jérôme ........... . 39-45
2. LE TERMINUS « ANTE gUEM» .................... . 45-5 1
a) Le De lapso est antérieur au De lapsu virginis
consecratae de Nicétas de Rémésiana (t ca. 4 1 4) . 45-48
b) « In saeculi fine» ........................... . 49-5 1
3. CONCLUSION .................................. . SI
CHAPITRE III : Les idées du « De lapso)) ............. . 52 - 85
Ce qu'il nous apprend sur le régime pénitentiel appliqué
à. un clerc majeur coupable d'une faute scandaleuse.
I. LA POSSIBILITÉ DU PARDON ..................... . 5 2 - 66
a) Divergence des auteurs ..................... . 52-54
I24 TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES

b) La lettre de S. Sirice à Himère


c) La conduite de Janvier à l'égard du lapsus ....
d) L'optimisme consolant de saint Jean Chrysos-
tome ..............................••...... 57-59
e) La pensée de Bachiarius ....... " ........... . 60-6 7
2. LES CONDITIONS DU PARDON ..................... . 67-75
a) Le repentir - renonciation au mariage scanda-
leux ..................................... .
b) La satisfaction (Réclusion dans un monastère,
pénitence corporelle) ........................ . 7 Z -75
3. LES AGENTS DU PARDON ........................ . 75-8 5
a) La s,ünte Ttinité ........................... . 75-76
b) Jésus-Christ .. ~ ........................... . 76 -77
c) Les collaborateurs secondaires.
1. L'évêque ............................. . 78-79
2. L'Eglise, les fidèles .................... . 79- 80
3. Les « Puissances angéliques» ........... . 80-85
CHAPITRE IV : Bachiarius et la Bible ................. . 86- r0 4
a) Bachiarius connaît admirablement la Bible ... . 86-87
b) Les livres utilisés dans le De fide et le De lapso
(livres inspirés - les apocryphes) ............ . 87-9 2
c) La version dont l'écrivain s'est servi ......... . 93-98
d) Exégèse « tropologique ») des textes ........... . 97- I 04
CHAPITRE V : Le tempérament littéraire et moral de
Bachiarius ............................... . ID5-1I5
a) Les sources de Bachiarius ................... , 1°5- 10 6
b) Les métaphores empruntées à l'amphithéâtre et à
la médecine ................••.............. I06-II3
c) Bachiarius rhéteur ......................... . II3- I I 5
CONCLUSION. Rappel des données sur la carrière et le caractère
de Bachiarius ............................... . II6-II7
INDEX ALPHABÉTIQUE DES MATIÈRES ...................... . II9-122
TABLE GÉNÉRALE DES MATIÈRES ......................... . I23-12'4

IMPRIMERIE J. DUCULOT, GEMBLOUX (BELGIQUE).

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