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Revue de l'histoire des religions

A. Robert et R. Tournay. Le Cantique des cantiques. Traduction et


commentaire
Antoine Guillaumont

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Guillaumont Antoine. A. Robert et R. Tournay. Le Cantique des cantiques. Traduction et commentaire. In: Revue de l'histoire
des religions, tome 167, n°2, 1965. pp. 197-203;

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Analyses et Comptes rendus

A. Robert,
traductionP.etS.commentaire,
S. t et. R. Tournay,
avec le concours
O.P., Le ("antique
de A. Feuillet,
des Cantiques,
P. S. S.
{« Études bibliques »), Paris, J. Gabalda, 1963, in-8°, 466 p.
Le Cantique des Cantiques est, parmi les livres qui forment l'Ancien
Testament, certainement celui dont l'interprétation est la plus
difficile ; aucun pourtant n'a été aussi souvent commenté, soit chez
les juifs, soit chez les chrétiens, dans les temps anciens et de nos jours.
Chargé de traduire Le Cantique pour la Bible de Jérusalem, M. André
Robert, professeur d'hébreu à l'Institut Catholique de Paris, a
travaillé pendant plus de dix ans à préparer un nouveau commentaire
de ce livre ; par les conférences qu'il donna à l'École des Hautes
Études en 1944-45 et 1945-46 et par quelques articles qu'il publia
ensuite, on savait qu'il reprenait, sous une forme nouvelle, la thèse
tombée en défaveur auprès de la plupart des critiques modernes, selon
laquelle Le Cantique aurait originellement une signiiication
allégorique. Il est mort en 1955, avant d'avoir pu faire paraître son
commentaire, substantiellement achevé. Celui-ci est publié dans l'imposante
collection des « Études bibliques », par le R. P. Tournay qui, donnant
son adhésion à la thèse de Robert, a apporté à l'ouvrage de ce dernier
d'importants compléments.
Robert décompose Le Cantique en cinq poèmes, chacun d'eux étant
constitué, selon un critère déjà défini par Buzy (Revue biblique, 49,
1940, p. 169-194), de deux éléments essentiels : description admirative
et possession mutuelle ; mais, tandis que pour Buzy ces poèmes
répétaient un thème identique, Robert croit à une situation qui se
développe et progresse d'un poème à l'autre, jusqu'à un dénouement.
Après le titre, un bref prologue (I, 2-4) situe l'action au temps de
l'Exil : la communauté d'Israël, se souvenant de l'amour du roi,
c'est-à-dire de Iahvé, pour elle, aspire à rentrer en Palestine. Le
premier poème, I, 5-II, 7, suppose le retour commencé ; Israël est
donc, d'une certaine manière, rentré en possession de son bien-aimé ;
mais peu nombreux sont ceux qui sont revenus et la masse de la
nation, « endormie » dans la terre d'exil, se montre peu soucieuse du
retour. Le deuxième poème, II, H-III, 5, transporte la scène en
Palestine, dont le printemps est joyeusement évoqué ; les « renards »
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sont les petites nations qui, installées en Palestine, ravagent le pays ;


le Temple (« la maison de ma mère », III, 4) est reconstruit (nous
sommes donc après 515) ; mais Israël poursuit sa quête dans la nuit :
son cœur n'est pas encore complètement -retourné à lahvé. Le
troisième poème, III, 6-V, 1, commence par évoquer la colonne des
rapatriés qui, en masse, « montent » à Jérusalem, préfigurant ainsi
l'avènement de l'ère messianique et la venue du Messie personnifié par
le « roi Salomon », dont le nom veut dire paix ; ce retour d'Israël est
comme un nouveau mariage avec lahvé, le rétablissement de l'alliance
après les infidélités dont l'épouse s'est rendue coupable ; purifiée par
les épreuves de l'exil, celle-ci est maintenant « sans tache » (IV, 7) ;
rien donc ne semble plus devoir faire obstacle à l'union avec le bien-
aimé. Cependant. le quatrième poème,- V, 2-VI, 3, évoque -dès les

'
premiers versets la torpeur de l'épouse ; endormie, celle-ci montre
peu d'empressement à ouvrir à son bien-aimé, et quand elle se ressaisit,
celui-ci a disparu ;. elle doit le chercher de nouveau dans la nuit,
recherche,. accompagnée d'épreuves, qui symbolise les vicissitudes et
les tâtonnements qui suivirent la; nouvelle installation en Palestine;
en décrivant son bien-aimé (V, 1U et s.), l'épouse se réfère constamment
au Temple, la demeure de lahvé, et ainsi deviennent clairs bien des
détails qui, appliqués à une personne, étaient diffîcilement explicables.
Le cinquième poème est le plus long ; il groupe tout l'ensemble VI,
4-VIII; 5 a, dont Buzy faisait trois poèmes. « Reviens, reviens,
Sulamite » (VII, .1) doit s'entendre du. retour des exilés, mais aussi,
conformément au sens moral de shûb; de In conversion à lahvé : le
retour de l'exil ne sera effectif que s'il y a « conversion » complète des
cœurs; tel serait le thème du Cantique. En décrivant, des pieds à la
tête, le corps de la bien-aimée, c'est, en réalité, la terre palestinienne
que le poète évoque, du sud au nord (le « nombril » est Jérusalem, le
« ventre » la montagne de Juda, les « deux seins » sont les monts Ebal
et Garizim, etc.). Le vœu formulé par l'épouse (VIII, 1) que le bien-
aimésoit son frère paraît- susceptible seulement d'une explication
allégorique ; ce frère n'est autre que le Messie qui sera de même nature
que l'épouse elle-même, mais qui, à l'époque post-exilique, est conçu, à
l'instar de la Sagesse, comme ayant un rapport très étroit avec lahvé.
L'union delahvé avec son peuple totalement revenu à lui est
indissociable, dans son évocation, de l'avènement messianique lui-même.
L'union du bien-aimé et de la bien-aimée est désormais définitive. Les
versets VIII; 5 b-1 a (7 b, « aphorisme d'un sage », est une glose
marginale passée dans le texte) forment un « dénouement » : Israël, tiré de
son sommeil, regroupé au pays de ses pères, aime désormais lahvé
d'un amour qui répond fidèlement à celui que lahvé a pour lui, « fort
comme la mort », exclusif et inextinguible. Robert voit dans VIIIj 8-12
deux « épigrammes » qui sont des additions pharisiennes du temps de
Jean Hyrcan. et dans les versets 13 et 14 deux autres brefs appendices
d'une époque postérieure.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS 199

Cette interprétation est de même nature que celle qui,


traditionnelle dans le judaïsme, est développée dans le targum et a été
reprise en dernier lieu, sous une forme systématique, par JoQon (Paris,
190'.)) ; mais elle en diffère grandement dans l'application. Selon ce
dernier, Le Cantique retraçait, sous une forme allégorique, toute
l'histoire religieuse d'Israël, répartie en deux grandes périodes : la
première alliance de Iahvé avec Israël, commençant à l'Exode et se
terminant avec la ruine de Jérusalem et la déportation à Babylone
(I. r>-V, 1), puis la nouvelle alliance que Iahvé fait avec son peuple
après le retour de l'exil, alliance qui inaugure l'ère messianique et doit
être éternelle (V, "2-VTII, 14). Pour Robert, la période évoquée est
seulement celle des années qui suivirent la construction du Second
Temple et qui virent le lent retour de l'exil et la réinstallation difficile
en Palestine : période d'intense fermentation religieuse et littéraire,
dont l'auteur du Cantique fut, en partie, le contemporain (la
composition du livre est placée dans la seconde moitié du ve siècle). Tout en
conservant dans le détail certaines exégèses de Joiion, Robert ne
manque pas de marquer ses distances par rapport à son prédécesseur.
Il convient de dire que son commentaire est d'une tout autre qualité :
exempt des outrances qui déparent celui du savant hébraïsant jésuite,
il est tout en nuances, plein de souplesse, voire de finesse. Le principal
argument que Robert fait valoir en faveur de sa thèse est que Le
Cantique doit être interprété compte tenu des attaches littéraires qu'il
a avec les autres livres bibliques et des résonances qu'évoquaient
nécessairement les mots et les images employés par l'auteur à l'esprit
de lecteurs à qui la littérature prophétique était familière ; or celle-ci
fait un fréquent usage du langage nuptial en parlant des rapports de
Iahvé et d'Israël (cf. notamment Osée, I-III, Ézéchiel, XVI) ; l'auteur
du Cantique a simplement usé d'un langage poétique qui était
suffisamment clair pour ses lecteurs. Cet argument est complété par une
preuve a posteriori : cette interprétation rend seule compte de tous les
détails du texte, notamment de ceux qui, en grand nombre, et de
l'aveu de tous, font difficulté pour l'exégèse « naturaliste » ; c'est
principalement à montrer cela que s'emploie, pas à pas, le commentaire.
Le commentaire d'A. Robert est, sans aucun doute, celui qui
présente sous la forme la plus habile et la plus acceptable la thèse
allégorique, au point que l'on peut se demander si cette thèse trouvera
jamais un meilleur défenseur. Beaucoup moins artificiel que celui de
Joiion. il excelle, par les nombreux rapprochements qu'il fait avec
d'autres textes bibliques et par la convergence des indices, à créer
peu à peu une certaine vraisemblance. Ainsi présentée, la thèse
allégorique paraît, tout compte fait, beaucoup plus vraisemblable que
la thèse mythico-cultuelle, largement en faveur, qui laisse à
l'imagination une part autrement grande ! Ajoutons que le commentaire de
Robert s'accommode du texte tel qu'il est, évite les transpositions,
réduit à un nombre infime les suppressions et corrections, ce qui est
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tout en faveur de l'interprétation proposée : on n'a pas oublié les


nombreux découpages, les multiples transpositions et corrections qui
ont servi à étayer d'autres thèses !
Il nous semble cependant que les arguments présentés par Robert
en faveur de. la thèse allégorique, ne sont! pas suffisants. Certes le
langage nuptial : est courant chez les prophètes, mais quand ceux-ci

:
y recourent ils ne manquent pas d'en marquer eux-mêmes le caractère
symbolique, comme on peut le voir au ch. II d'Osée ou au début du
en. XVTď Ezechiel ; ou bien ce caractère symbolique est suffisamment
clair par lui-même et ne peut laisser place au doute (cf. Isaïe, LIV ;
Jérémie,. II-III). Sans doute l'influence de ce langage traditionnel,
devenu courant et familier, a-t-elle pu suffire pour que Le Cantique,
assez rapidement après sa , composition, reçoive : une interprétation
.-


allégorique et s'entende de l'amour de Iahvé et de son peuple, ce qui
a; motivé son insertion dans le canon.. Mais comment croire que, si
tel était déjà le sens que l'auteur, voulait donner à son œuvre, il ait
compté simplement sur ce contexte pour l'éclairer, et que nulle part
il n'ait signifié, ou simplement laissé entendre, qu'il usait d'un langage
symbolique? Mais il l'aurait fait précisément, nous dit-on, dans
,

certaines expressions ■ qui sont obscures pour l'exégèse naturaliste ;


-,

ainsi en est-il, emll, 17, du mot bétér, auquel Jouon accordait déjà
« une importance capitale pour l'intelligence du Cantique » (op. cit.,
p.. 170) ; partant de l'exégèse -de ce dernier, Robert le traduit par
« alliance » et voit dans l'emploi insolite de ce mot une allusion à
Genèse, XV : les « montagnes de l'alliance » seraient « celles du pays
promis aux descendants d'Abraham au cours du sacrifice sanctionnant
l'alliance entre Yahvé et lui » (p. 129), c'est-à-dire celles de la Palestine.
Il faut avouer que s'il y a là une clé pour l'interprétation du Cantique,.
cette clé est trop bien í cachée1 ! On trouvera, dans le commentaire
de Robert, bien d'autres exemples d'exégèses forcées pour étayer la
thèse : qu'on se reporte, par exemple, au commentaire de V, 11 et s.
(p. 210 eť s.) : à travers le bien-aimé, c'est le Temple qui est décrit ;
a sa tête est d'or » parce qu'elle est assimilée au saint des saints, ses
boucles sont « noires comme le corbeau » par allusion à l'obscurité du
sanctuaire, les termes difficiles, 'aphîqê maim et millê't désignent la

mer d'airain, etc.2. Parfois le commentateur élimine arbitrairement le


sens : obvie gênant pour: sa: thèse : la mention du *« roi Salomon »
en III, 7-11 ne renverrait nullement au personnage historique de
;

renom (comment admettre, en effet, que l'on ait pu identifier, même

1) De nombreuses traductions ont été proposées pour ce mot. On retiendra


celle de É. Dhorme, dans la Bible de la Pléiade : a horizon », la ligne qui « coupe »
le ciel.
2) Nous proposons de traduire ainsi ce verset 12 : « Ses yeux sont comme
des colombes auprès des cours d'eau, se lavant dans le lait, assises sur la bertre »,
'aphtqîm évoque, plutôt qu'un bassin, des cours d'eau, et mille' t, littéralement
« remplissage », paraît désigner le remblai qui forme la berge.
ANALYSES ET COMPTES RENDUS '20l

symboliquement, à ce roi l'époux qui est Iahvé '!), mais le nom est
choisi- par le poète seulement pour son sens étymologique et pour
signifier que le personnage ainsi désigné répond à « l'intense désir de
paix qui anime les âmes de ses contemporains » (p. 146) ; de: même,
si, plus loin, emVII, 1, la bien-aimée est appelée « Sulamite », c'est
simplement parce qu'elle est, selon l'étymologie * de son ' nom, la
« pacifiée » (p. 249-250 et cf. p. 333-335), sans aucune allusion à la
Sunamite Abisag. Il y a, en réalité, dans l'emploi de ces noms, un
argument très sérieux en faveur de la thèse selon laquelle Le Cantique
est un recueil de chants nuptiaux, les époux étant considérés, durant
les jours des noces, selon un usage bien attesté dans le folklore syrien,
comme roi et reine (on sait que la légende, fondée sur / Rois, II, 17-25,
fit de la belle Abisag l'épouse préférée de Salomon).
La plus grande objection à la thèse allégorique nous paraît tenir
au. fait que; l'infidélité de l'épouse, qui est un élément essentiel du
thème prophétique, ne transparaît guère dans Le Cantique. Robert a
eu raison de ne pas suivre Jouon, qui avait voulu trop tirer de V, 3 :
dans les motifs futiles qui empêchent la jeune femme d'ouvrir aussitôt
àson:bien-aimé (« J'ai ôté matunique; comment la remettrai-je !
J'ai lavé mes pieds, comment les salirai-je ? »), comment voir, en effet,
symboliquement exprimées, les infidélités d'Israël, que les prophètes
ont évoquées à l'aide des métaphores les plus violentes et les plus
crues ? Mais Robert insiste beaucoup sur le « sommeil» de l'épouse,
dans lequel il voit la négligence des rapatriés dont le cœur n'est pas
encore pleinement tourné vers Iahvé. Si l'époux répète comme un
refrain : « N'éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée avant qu'elle
ne le veuille » (II, 7 ; III, 5; VIII, 4), c'est, explique-t-il, parce que
Iahvé attend i que la conversion- du cœur soit spontanée (p. 111) ;
cette exégèse paraît bien arbitraire ! L'exégèse de V, 2, « Je dors, mais
mon cœur veille », touche au contresens : « Le sommeil de la Sulamite
représente ses infidélités... Mais il ne vise pas, comme le pense Jotion,
les infidélités antérieures à l'exil : l'horizon du Cantique est
uniquement postexilien: (...), et sa thèse est que la nation, imparfaitement
convertie, est dans une sorte de sommeil dont elle ne sortira que par
une décision- de sa volonté libre» (p. 195-196). Le texte ne veut-il
pas dire, tout au contraire, que l'épouse, loin d'être indifférente, est-
vigilante jusque dans son sommeil '? En réalité, nulle part on ne voit
que l'épouse ait quoi que ce soit à se faire pardonner, surtout pas son
sommeil,, qui est, non celui; de l'indifférence, mais celui -qui suit la
possession amoureuse, comme cela est clair dans le refrain qui clôt
la plupart des poèmes.
Ces critiques, qui portent sur le fond de la thèse et sur certains
points où celle-ci nous paraît fausser le commentaire ne doivent pas
faire oublier toutes les richesses de bon aloi que contient ce
commentaire où l'on retrouve les qualités de ceux qui ont illustré la collection
des « Études bibliques » : abondance fondée sur une vaste et sûre
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érudition, clarté dans l'ordonnance, bon sens dans les discussions,


pondération dans les choix. Indépendamment du matériel fourni, qui
est de grand prix, on trouvera, sous la plume d'A. Robert, maintes
remarques qui mériteraient d'être retenues : « La plupart des auteurs,
écrit-il p. 230, ... n'ont pas saisi que tout Le Cantique est une œuvre
d'imagination, qui traduit par des fictions les sentiments de l'âme » ;
ce jugement nous paraît très pénétrant ; il ne faut pas vouloir donner,
en effet, une signification réaliste, ou symbolique, à tous les épisodes
qui relient entre eux les discours ; certains n'ont qu'une fonction
littéraire (ainsi en est-il, pensons-nous, de la course nocturne de la
bien-aimée) et n'ont d'autre but que d'amener ce qui est l'essentiel :
l'expression des sentiments, qui revêt, le plus souvent, la forme
conventionnelle de l'éloge ; allant plus loin que Robert en ce sens, nous
penserions volontiers que l'on a eu tort en s'efforça nt de donner un
caractère dramatique à cette œuvre essentiellement lyrique.
La traduction qui accompagne le commentaire, dans l'ensemble
précise et heureuse, n'est autre que celle que Robert a donnée dans la
Bible de Jérusalem ; les différences que l'on peut relever sont de pure
forme. Une seule concerne le texte et son interprétation ; à III, 10,
Robert avait admis, dans la BJ, la correction hobnim, « ébène »,
proposée par plusieurs critiques • ici il conserve, avec raison, le texte
'ahabâh, traduit par « œuvre d'amour », mais il ne justifie pas, dans
le commentaire, sa traduction ; dans ses additions (p. 440), le
P. Tournay propose une autre traduction. Le verset doit être traduit,
pensons-nous : « Son intérieur est tapissé (râsûph, part, passif) avec
amour ['ahabâh est un accusatif de manière) par les lilies de Jérusalem »
(min après un verbe passif, cf. Joi'ion, Gram., § 132 d).
Outre le commentaire de Robert, ce volume contient, divers
compléments du P. Tournay, qui en accroissent, de façon fort
appréciable, la valeur : non seulement, en tête, une préface où est exposée
la thèse de Robert, et une bibliographie ; mais surtout, en fin de
volume, des notes et additions, où il met à jour le commentaire en
signalant les derniers apports de la critique ou des études qui avaient
échappé à Robert ; parfois il propose des traductions dilïérentes ou
même exprime son désaccord sur l'interprétation de certains détails.
Le P. Tournay a plus encore enrichi le volume par un gros mémoire
sur Les parallèles non bibliques ; c'est un dossier assez complet des
textes appartenant au « milieu biblique » et présentant quelques
affinités avec Le Cantique : chants d'amour égyptiens, textes
sumériens, babyloniens et ougaritiques, poésies grecques, poèmes d'amour
ou chants nuptiaux appartenant à la tradition juive et à la littérature
ou au folklore arabe. En constituant ce dossier, le P. Tournay a eu
pour but de fournir une contre-épreuve à la thèse de Robert et de
montrer les différences radicales qui existent entre Le Cantique et les
textes qui présentent avec lui des affinités plus ou moins grandes ; il
admet comme possible l'influence des chants d'amour égyptiens, qui
ANALYSES ET COMPTES RENDUS 203

sont ceux qui offrent les affinités littéraires les plus grandes. La
présentation de ces textes est faite de telle sorte que l'on a, en passant
des uns aux autres, un examen des principales thèses qui ont été
soutenues touchant la nature du Cantique. Cette contribution ajoute
donc beaucoup à la valeur documentaire de cet ouvrage1.
A. GlîILLAUMONT.

Pierre Boyancé, La religion de Virgile, Presses Tniversitaires fie


France, coll. « Mythes et Religions », Paris, 1903, in-8°
couronne. 180 p. Prix : 7 F.
Ce livre -- avons-nous besoin de le dire ? — était attendu depuis
que M. Hoyancé consacre au poète do V lïnéide, et notamment au
vales du chant VI. des études de philosophie et de psychologie
religieuses qui ont renouvelé en profondeur notre compréhension de
Virgile et de son temps. En dépit des clichés littéraires sur le
classicisme romain et tout ce qu'il aurait d'artificiel, l'époque augustéenne
est une des plus complexes de l'histoire religieuse. Marquée — pour
ne pas dire ■• traumatisée » - — par les guerres civiles, sollicitée (dans
la mesure même où ce classicisme est une synthèse) tout à la fois par
l'épicurisme. le scepticisme, le stoïcisme et la nostalgie du passé
romain ; soucieuse tout ensemble de restauration cultuelle, de
traditionalisme archaïsant et de vérité rationnelle, cette génération a
mûri au travers de courants de pensée très divers que l'érudition et
la sympathie éclairée de M. Boyancé savent admirablement déceler
dans le chatoiement doré de la poésie virgilienne.
Davantage, à la multiplicité des doctrines dont l'appel a tour à
tour influencé le vales depuis le temps où il s'enthousiasmait pour
l'épicurien Siron, à l'implication mutuelle des niveaux de pensée
— cosmique, civique, populaire ou philosophique, intellectuel ou
sentimental — dont l'art opère magiquement la synthèse, s'ajoute
dans le cas de Virgile, précisément, la part d'une personnalité complexe
et délicate, où il n'y a pas que de la candeur. L'inspiration de Virgile
n'est pas indifférente aux idées, aux inquiétudes ou aux espoirs do
son temps, mais elle reste d'abord celle d'un poète. Aussi l'auteur do
ce livre si juste et si nuancé nous rappelle-t-il à la prudence qu'impose
l'analyse d'une œuvre littéraire : culture et sensibilité, philosophie;
et religion, patriotisme romain et humanisme hellénisant y interfèrent
constamment. Car Virgile « est l'homme en qui se sont accumulés
tous les héritages spirituels, comme Rome est la ville où ont conflué
tous les trésors du monde » (p. 36). On sera reconnaissant à M. Boyancé
de nous avoir donné d'un poète aussi profondément religieux ce
portrait humain et vrai.

1; Nous avons relevé quelques fautes dans l'impression des mots syriaques :
p. Ш, 8U, 147 et 215.

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