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DU

AU CHANT MYSTIQUE
ÉROTIQUE
:

LE, RE,SSORT POÉTIQUE


DU CANTIQUE DES CANTIQUES
Iean-Pierre SoNNrr

Le Cantique
est apparemment des cantiques
le plus « profane »
despar
par
et livres
son bibliques
thème
l'absenie de toute réfé-
-apparait
rence
nom religieuse
de Dieu n'y(ledans un mot
pas, sauf
composé ct 8,6). Cequilivre a eu toutefois une
fortuneenspirituelle
le
autres loin devant
met livres tous lesLe cantique
scripturaires.
doit cette
cette destinée
opération à I'allégorie,la perti-
qui transpose
nence d'une euvre dans le un domaine de référence àutre qie
champ de référence
par le texte en son suggéré
sens
Dans lalittéral.
tradition juive,
de lalerelation
cantique a été lu comme l'alégorie
amoureuse de
notamment Dieu et de son de
dans le contexte peuple,
la sortie d'Égypte.
Dieu est alors Ieau-dessus
bien-aimé « bondissant
des montagnes,
les collines » (2,g)sautant par-dessus
dans l,acte de
la
du pàque
passager.
la méme Ou encore,
tradition,le bien_ dans
-Messie, nouveau le
aimé représente Moise, qui « bondissant au-
dessus
raccourcit montagnes
des le délai deDansla»,rédemption2.
la tradition chrétienne, le bien-aimé
est presque invariablement
identifié
dans au christ,
sa relation à l'Église (ainii dans les Homélies
d'Origène),
le Cantique à l'àme
|ean croyante
spirituelde
de la (dans

l. voiranglaise
l'édition
d.eetla
De-Rabbi traduction
IaMekhilta
Ishmael par
publication
I. z.Lauterbach,
Jewish societyPhiladelphie,1933. The
of America,
2. Ainsi
d'homéliesdans
de ilav quelessont
Kahana(trad.pesikta
recueils
la alle-
for
de M.
mande
Braude,
Pesikta press,
New
Rabbati
d'après
Buber
Feasts,
special
Fasts and
siabÉa*,
Haven,
196g,
par
lgg5, 5g).w.
(Discourses
A.
p. traa'.
Yale p".
p.Wunsche,Leipzig,
l'édition c.
University
315) et la
80 l.-P Sonnet

Croix), ou méme à la Vierge (dans le commentaire de Rupert de


Deutz). Ces transpositions allégoriques, ces variations sur le « sens
spirituel », ont quelque chose de surprenant, voire méme d'in-
congru, quand on connait le véritable propos de ce poème et notam-
ment l'intensité érotique des images qu'il développe. L'allégorisation
du Cantique nous mettrait-elle en présence d'un détournement
textuel, d'un travail de censure transformant un poème érotique en
un texte theologically correct?
Le paradoxe s'éclaire-t-il lorsqu'on remonte aux origines, c'est-à-
dire à la canonisation du Cantique3? Qu'est-ce qui a fait retenir ce
livre au sein du canon comme un liyre inspiré ? Nous ne savons pas
quand le Cantique a fait son entrée dans les Écritures saintes, mais
nous savons que des discussions quant au caractère inspiré d'un
autre livre du groupe des « Écrits » le livre de Qohélet ont
-
rejailli sur le Cantique à la fin du premier - Ces
siècle de notre ère.
discussions eurent lieu dans l'académie de Yabné (entre 75 et ll7),
lorsque les maitres pharisiens eurent à réorganiser le judaisme après
la destruction du Temple. Privé de son institution centrale, le
judaisme eut alors à se resserrer autour d'un autre monument: ses
Écritures. A Yabné, le Cantique trouva son plus ardent défenseur en
la personne de Rabbi Aqiba, grande figure du judaisme pharisien
(mort en 135) : « Personne n'a jamais contesté en Israél que le
Cantique des cantiques souille les mains. Car le monde entier fut
incomparable le jour où le chant des chants fut transmis à IsraèI, car
toutes les Écritures sont saintes, mais le chant des chants est le saint
des saints des Écrituresa. » Le Cantique s'imposa gràce à son attribu-

3. Sur la canonisation du Cantique, voir D. B.qnrHÉr-euv, « IJétat de la Bible juive


depuis le début de notre ère jusqu'à la deuxième révolte contre Rome (131-135) »,
dans I.-D. Kersru et O. WERMELTNcTn (éd.), Le Canon de l'Ancien Testament. Sa
formation et son histoire, Genève, Labor et Fides, 1984, pp. 9-45, en particulier
pp.26-28 (repris dans 7.o., Découvrir l'Écriture [coll. Lectio dMna], Paris, òerf, 2000,
pp. 19-55); R. T. BrcrwlrH, « Formation of the Hebrew Bible », dans M. f. Mur.oEn
(éd.), Mikra. Text, Translation, Reailing and Interpretation of the Hebrew Bible in
Ancient Judaism and Early Christianity, Assen, Van Gorcum, 1988, pp.6l-73;
|. Tnuulr, « Constitution et clÒture du canon hébraique », dans J.-N. Arrrrr et alii,
Le Canon des Écritures. Études historiques, exégétiquà et systématiques, Paris, Cerf
(coll. Lectio divina, n' 140), 1990, pp.140-144.
4. Mishna, Yadayim,3,5. La question de savoir si une euvre « souille ou non les
mains » est, dans le judaisme rabbinique, une manière traditionnelle d'interroger
Le ressort poétique du Cantique gl

tion salomoniennes et gràce à son interprétation allégorique, dont on


trouve des traces dans la tradition rabbinique ancienne6.le poème a
été lu, sans doute très tòt après sa compilation, en clé prophétiq.r.,
c'est-à-dire à la lumière du thème (développé par res pìopiet.rj a.
l'amour conjugal entre Dieu et son peuplei. C,eit préciÉ mentl, usage
du cantique qui semble avoir fait l'objet de discussions à yabné, ainsi
qu'en témoigne la remarque de Rabbi Aqiba : « Celui qui fait des
effets de voix avec le cantique lors des banquets et le traite comme
une chanson, celui-là n'a pas de part dans le monde à venirs. » Il n,est
donc pas question de « détourner » ce texte sacré, à vocation essen-
tiellement liturgique, en en faisant une chanson à boire. Après yabné,
et à la suite du blanc-seing donné par Aqiba, la traditioniabbinique
témoigne exclusivement en faveur d'une lecture allégorique iu
Cantique. On peut toutefois objecter qu'en dega d,un usàge .i d,rr"
tradition d'interprétation, un texte est reconnu inspiré À sa lettre
méme, et celle-ci, dans le Cantique, énonce un dialogue amoureux
entre un homme et une femme. La question dès lors rebondit: en
étant lu allégoriquement, le cantique aurait-il été, dès les origines,
méconnu dans sa pertinence propre ? Et l'aurait-il été tout au long de
sa tradition d'interprétation ? Il faut, apparemment, mieux inier_
roger le paradoxe : pourquoi ce texte, oir s,articule le dialogue amou_
reux de l'homme et de la femme, s'est-il si bien prété à l'aiticulation
du dialogue mystique en toutes ses allégories ? pour répondre à cette

sur le caractère sacré ou non d'un texte. Touchant le rouleau d'un livre inspiré,
l'homme est mis en contact avec la sphère du sacré; l'impureté qu'il contracte le met
en dehors du monde profane.
.S-.Eléazar ben Azaria, qui présida pour un temps l'académie de yabné, considé-
rait Ie cantique comme « la fleur de farine de froment de la sagesse de salomon »;
voil Becurn, Die Agada der Tannaiten, t. l, Strasbourg,2, éd., 1903, p.229.
lva
6. voir les_témoignages produits par BARrHÉLÉMy, n Éiat de la Bible » (voir note
_.
3), p. 27 , sur la base du recueil de Becu yx, Agaila. Ajnsi que re rappelle H. Fìscn, c'est
la con_ception du poème comme simple diaÉgue amoureu* quielst o seconde, dans
la tradition, apparaissant avec Théodore de Mopsueste au rvisiècle du còté chrétien

{u còté jrif (Poetry with


et bien.plus tald purpise. Biblical poetry and Interpretation,
Bloomington, Indiana University press, 1990, p. 97).
7. Cf. Os l-3; mais aussi fr 2,2.20;Éz t6;23;ls 54,4-9.
8. Tosefta, Sanhédrin, 12,10; cf. les autres textes rabbiniques cités par |.E. oE ENe,
« Quel est le sens du cantique des cantiques ? un "cas limite d'irerméneutique
biblique" », ci-dessous, pp. ll4-116.
82 I.-P Sonnet

question, il convient de mieux cerner la poétique du Cantique, en


s'interrogeant sur la forme de discours qu,il mei en place.

I. FRAGMENTS DU DISCOURS AMOUREUX

Dialogiques.

Le titre (( chants, qui est à Salomon » (Ct 1,1) _


Le chant
- un poème des
nous annonce et le relie à salomon. Nous sommes donc
en territoire de sagesse, et de sagesse royale. Mais aussi en territoire
poétique, où les choses ne peuvent étre mises en équation de manière
pure et simple. Le « fe » qui parle au masculin dans le poème ne se
laisse pas identifier (sans plus) avec celui de salomon. ce «
Je » est lié
à la figure d'un amant aux visites toujours furtives, à la personne
d'un berger vivant aux marges de la société urbaine (et dèilors peu
assimilable au roi, qui siège dans la ville). Dans la finare, ce « » se
|e
distingue par ailleurs explicitement de Salomon, renvoyant appa_
remment ce dernier à son harem, lorsqu'il s,exclame : « Ma vigne
1=
la compagne] à moi, elle est pour m-oi; les mille sont à toi, SalJmon »
(8,12). Certains ont reconnu dans le Cantique un drame à trois
personnage Salomon, le berger et la bergère : le triangle classique
de l'intrigue- amoureusee. Mais c'est là ihercher unJ cohérence
Voir Paul Ricoeur

dramatique dans un texte qui défie toute mise en forme narratiye et


qui joue un autre jeu que celui de l'intrigue. Lire le Cantique, c,est
faire tourner un kaléidoscope présentant une série de variaiions sur
un méme thème, une suite de « fragments du discours amoureux »,
pour parler comme Roland Barthes, une collection de dialogues et de
monologues, entre réve et réalité, oìr se dit l,amour d,un homme et
d'une femme. Point d'histoire, point d'intrigue, point de fil narratif,
mais un assortiment de paroles dites ou échangéesr.. La thématique
reyale, dans le cantique, relève en fait de l'imaginaire des amants. La

9.Émise par-Ibn Ezraau xrsiècle, l'idée d'un drame a trois personnages a été
reprise par |acobi et Lòwisohn au xauc et développée par H. Ewald ei E. Renai au
xx..
Tout au plus peut-on discerner deux mòuvements dans l'euvre (le premier
,..10.
débouchant en Ct 5,1 sur une scène d'apparente union des amants), uinriqr;un.
reprise, accélérée et plus dramatique, des thèmes et motifs du premier mouvàment
Le ressort poétique du Cantique 83

bien-aimée glisse ici ou là dans ses propos une désignation ou une


image royale. « Le roi », dit-elle en parlant du bien-aimé, « m'a fait
entrer dans sa chambre » (1,4); elle décrit aussi son arrivée còmme
l'arrivée en grande pompe de la litière de Salomon (3,7-11). Dans
son regard à elie, il est un roi; mais n'est-ce pas vrai de tout amant
aux yeux de celle qui l'aime, et yice-versa d'ailleurs, ainsi que le
chante Ie poète : « |e te ferai un domaine oÌr l'amour sera roi [. . .], où
tu seras reinen » ? Le dialogue amoureux proposé par le Cantique ne
relève donc pas de l'autobiographie salomonienne. Ce dialogue
amoureux mis à l'enseigne du roi sage se propose bien plutòt comme
rn mashal, comme une parabole poétique soumise a notreperspica-
cité.
Les dialogues ne manquent pas dans la Bible hébraique, mais ils y
apparaissent toujours au sein d'un récit englobant. Il n'en est pas de
méme dans le Cantique, où l'échange des interlocuteurs n'est pris en
charge par aucun narrateur (qui les aurait « mixées » ou « éditées »)12.
Personne ne nous commente : « II lui dit : [...], ; n Elle lui répondit :
[. . .]. , Nous ne savons pas quand, où, et méme si ces paroles ont été
prononcées. Elles sont plutòt des paroles « a dire », comme dans un
livret d'opéra. Nous les découvrons en version intégrale, sans média-
tion aucune. Les lire, c'est se surprendre a réciter le rÒle de l'un ou
l'autre des protagonistes. Une fois passé le titre, nous sommes
plongés in medias res : « Qu'il me baise des baisers de sa bouche !
Tes caresses sont meilleures que le vin. Tes parfums sont agréables à

dans le second. De part et d'autre de la césure centrale se distribuent, sans organisa-


tion chronologique, les paroles de l'incessante recherche des deux amants. Voir
l'« agencement des thèmes » et l'« argument » proposés par P. BeeucHeuv, L'LJn et
l'Autre Testament.ll. Accomplir les Éuitures,Paris, Seuil (coll. Parole de Dieu), 1990,
pp. 161-164, 166-167, selon une subdivision qui reproduit celle de R.-J. TounNev,
Quand Dieu parle aux hommes le langage de l'amour. Études sur le Cantique des canti-
ques,Paris, Gabalda (coll. Cahiers de la Revue biblique, n'21), 1982,pp.9-29 (2, éd.,
1995, pp.7-26).
11. J. BREL, Ne me quitte pas. Au-dela méme des images royales, les amants s'ap-
paraissent l'un a I'autre comme des divinités; faisant l'éloge du corps de son amant,
la bien-aimée le compare a Ia statue d'un dieu (Ct 5,14-15); en la décrivant, il la
place au dessus des reines (6,9) et lui donne des titres qui l'associent a une déesse
(6,10).
12. Le cheur qui intervient en divers endroits (ainsi en Ct 5,9; 6,1; 7,1) est un
participant de l'interlocution; il n'est en rien une instance englobante.
84 J.-P. Sonnet

resplrer, ton nom est une huile qui s,épand» (Ct 1,2_3). Nous
nous
retrouvons exposés à des paroles «vives», que nous ne pouvons
désamorcer en nous disant qu'eles appartiennànt à ter ou tef person-
nage de l'histoire biblique. Bref, ces échanges ne reproduisrri
pu, un
discours prononcé en d'autres temps et d'àutres lieux (commà
dans
le récit historiographique de la Bible). ces échange s produisent, au
profit du lecteur, un discours alterné, un poème en forme de livret
d'opéra.
Tout le cantique s'énonce à la première personne, sous ra forme
de monologues et de dialogues. Le « /e », écrit Franz Rosen zweig,
est waiment ce qui porte visiblement ou invisiblement toutes
<<
les
phrases du cantique des cantiques. Ir n'existe pas, dans la Bible,
de
livre où le mot /e reviendrait, proportionneil^ement, prus souvent
qu'icir3. » Fr. Rosenzweig, on s'en sòuviendra, est ce penseur juif
à
qui s'associa Martin Buber, l'auteur d'un livre au tità fu^r^, Irh
und Du, Le Je et le Tu,livre où M. Buber défend et illustre la
moda-
lité irréductible du face à face, de l'existence vécue en dialogue,
dans
sa différence de la neutralité panoramique du n Et Fr. o.,i.
Rosenzweig de s'insurger contre les interprétitions qui ont
cherché à
neutraliser la dimension lyrique du càntique, en identifiant
son
« ]e » et son « Tu » avec des figures
historiques, des personnages
définis, cherchant par là à « transformer la parì lyrique, ie et
Ie le Tu
du poème, en un Lui ou EIle épiques et claiisra».
Penser la singularité du cantique uniquement en termes de
lch

13. Fr. Ros,Nzwztc, L'É.toile de ra-Rédemption,paris,


seuil (coll. Esprit), rgLz (éd..
originale allemande, l9Z1),p.238. Selon Fi. Rosenzweig, il n;ya
q",,1" Éi"ffirrg"
« où le Ie demeure silencieux » (p. 238)
« re seur iistant'd'oÉjectivite, f,-Lute

I"it1,ig"
-
qui est celui des paroles sur I'amour fort comme la mort (Ct
lJp.239) -
8,6-7).En d'autres mots, Rosenzweig suppose ici comme I'intervention
d,un na..u-
teur omniscient. De manière intéressanG, L. AroNso scHoKEL voit
dans ces versets
(souvent mis sur les lèvres de ra bien-aimée) un
*!t!q:t,
duo par les amants [,
trad. de l'espagnol par f. Rouwez, s.1., éditions du Moustier, f let
éiiiiqr" an
1ea.
originale espagnole, 1969), p.4g). ce serait donc ensemble qu,its
e.ron.ent u.re
vérité qui les transcende, mais qui reste intérieure a leur perspecìive
de vivants et de
mortels (« I'amour est fort comme la mort »).
14.Fr.RosrNzwptc,L',Étoile(voirnote r3),p.237;r'uouverture»desfiguresdu
dialogue amoureux est comme.relancée pri'I, question «eui?,
qui ,!"rra. f"
golme (Ct 3,6 ; 6,10 ;8,5) ; un mème phénòmène slobserve dais le nÀ d;;;; pr.
le bien-aimé a sa compagne : n Amoui , (2,7 3,5
; ;7,7 ; g,4).
Le ressort poétique du Cantique 85

und Du, de première et deuxième personnes grammaticales serait


toutefois passer à còté d'une autre différence essentielle qui s'y
exprime: la différence des genres, du masculin et du féminin,
portant au langage la différence sexuelle. Cette différence, en fait, ne
passe pas inapergue en hébreu, oìr la seconde personne est nécessai-
rement ou masculine (c'est la forme 'attà) ou, féminine (c'est la
forme 'at). Les suffixes possessifs de la deuxième personne varient
eux aussi en fonction du genre du possesseur. Lorsqu'elle lui dit « tes
caresses », elle dit dodéka (Ct 1,2.4); lorsqu'il lui dit « tes caresses », il
dit dodayik (4,10). Par trois fois, le bien-airné chante la beauté du
corps de sa compagne (4,1-14 ;6,4-10;7,2-lO)t5.Il détaille et décrit:
« Tes yeux..., ta chevelure..., tes dents..., tes lèvres..., ton cou..., tes
deux seins..., À chaque fois, les termes sont marqués par des suffixes
de forme féminine et se trouvent ainsi pris dans un tutoiement au
fémininr6. Surimprimant la difftrence des sexes à celle des personnes
grammaticales, le dialogue du Cantique offre ainsi le paradigme du
discours différencié. Ce qu'il exclut, c'est le discours à la troisième
personne, par un « on » neutre qui bénéficierait du point de vue de
Sirius, et qui ne serait pas engagé dans la double diftrence du « |e »
et du « Tu », du masculin et du féminin.

Les métaphores de I'union.

Le Cantique est loin d'étre, cependant, un discours qui épuiserait


son propos dans une canonisation de la différence. L'attraction qui
porte les interlocuteurs du Cantique I'un vers l'autre est aussi déter-
minante que la différence qui marque leur dialogue. Les retrouvailles
des amants, toutefois, sont toujours fugitives, comme menacées par
la société qui les entoure les frères de la bien-aimée, les confrères
-
15.Ces passages ont été rapprochés du genre littéraire du wasf l'éloge de la
beauté du futur conjoint - jusqu'a la fin
illustré dans la poésie arabe (et pratiqué
- dans des villages syriens). Sur ce point et a propos de
du xx' siècle lors des mariages
parallèles dans les littératures de l'Orient ancien, voir M. H. Popp, Song of Songs,
Garden City, NY, Doubleday (coll. The Anchor Bible, n' 7c), 1977, pp. 54-85; voir
également M. Fer-r, The Song of Songs, San Francisco, Harper, 1990, pp. 127 -135.
16. Symétriquement, lorsqu'elle décrit la beauté de son corps a lui (Ct 5,10-16),
les termes sont marqués de suffìxes au masculin (a la troisième personnè toutefois).
86 I.-P. Sonnet

du bien-aimé (ses compagnons bergers), les gardes de la villerT. C,est


essentiellement par la parole qu'ils regoivent de s'unir, en s'appelant
l'un l'autre, en se quittant, en se donnant d,autres rendez_vtus, en
interrogeant des tiers sur celui ou celle qu'ils aiment, en révant l'un
de l'autre. Leur union se réalise alors a un niveau proprement
poétique: au niveau des métaphores qu'ils inventeni l,un pour
I'autre et l'un sur l'autre. Le langage des amants du Cantique d.
"rt,
fait,- métaphorique à l'excès, avec une intensité baroque, ir.o.rgr,r"
parfois à nos yeux. on le sait : le langage amoureux est un prodigìeux
laboratoire de métaphores, oìr se prolonge l'invention aì uriguge.
L'homme, selon la Genèse, a désigné o puil.o, nom tout bétail, tout
oiseau du ciel et toute béte des champs », mais sans trouver « une
aide qui lui soit accordée » (Gn 2,20). Dans le cantique des canti-
ques, la création poétique par l'homme se prolonge à un second
degré. Que font l'Adam et l'Ève du Cantique, eux qui ont trouvé
l'aide assortie ? Ils se donnent l'un à l'autre des noÀs d'animaux.
Tout un bestiaire habite leur langage. Il dit d'elle qu'elle est une
« cavale parmi les chars de pharaon » (Ct
1,9), une « colombe au
creux d'un rocher » (2,r4); elle dit de lui qu'il est « une gazelJ.e,le
faon d'une biche » (2,9). Mais il est aussi question, entré eux, de
tourterelle (2,I2), de renards (2,15), de chèvres et de brebis (4,1_2;
6,5-6), de lions et de panthères (4,g).
Il ne s'agit plus, comme dans le cas du premier Adam, de nommer
des animaux muets; il s'agit à présent de nommer l,autre homme _
ou femme gui, étre de langage, répond de plus belle. L invention
du langage -se fait ici l'un en face de l,autre, ou l,un pour l,autre,
comme rlans une joute amoureuse. « Comme un lis parmi les
ronces », dit-il d'elle, « telle ma compagne parmi les filles
" 1ctz,z1.
Elle enchaine aussitÒt, sur le méme registrà (végétal) : « comme un
pommier au milieu des arbres de la forét, tel est mon amant parmi
les gargons » (2,3). L'un se regoit de la parole de l,autre, dans la
,f-e_
trie du dialogue. c'est un jeu oir chacun est créateur, otr personne, ni
l'homme, ni la femme, ne possède un quelconque avantage, une

. 17. 2,17 ; g,l4).De son còté, elle a été mise au ban de sa famille
Ildoit fuir (Ct
f
l,,fli_.It" craint le mépris des bergers (1,7); elle sera battue p". t.s g"rai.rs à. t"
ville (5,7).
Le ressort poétique du Cantique 87

quelconque suprématie sur celle ou celui qui lui fait face. Les
exégètes anglo-saxonnes n'ont pas manqué de saluer ceci. Comme le
dit l'une d'elles, Phillys Trible : « Ni l'homme ni la femme n'exercent
ici un pouvoir ou un contròle possessif sur l'autre [...]. [Dans le
Cantique des cantiques] il n'y a pas de domination masculine, ni de
subordination féminine, ni de stéréotypes sur l'un ou l'autre sexers. »
Au fond, ce que le Cantique illustre, c'est le dialogue amoureux
comme sanctuaire de la liberté. La liberté des amants s'exerce et s'ex-
prime dans la création de métaphores « vives », comme dirait Paul
Riceur, de figures inédites, détournant la langue de l'ordre établi,
utilisant le langage pour introduire du nouveau dans le monde. C'est
dans leur dialogue fragile, menacé, quelque peu clandestin que cette
liberté créatrice donne toute sa mesure, à chaque réplique, presque a
chaque mot.
Le paradoxe de l'intimité des amants du Cantique, toujours en
quète d'un jaloux seul à seul, est que cette intimité passe par le
monde à travers la multiplicité des métaphores que déploie leur
discours. - « Avant que l'amour de ce couple soit l'allégorie d'autre
chose », écrit P. Beauchamp, « c'est la création entière qui est l'allé-
gorie de ce couplere. » L'univers, le monde commun a tous devient
le langage de l'intimité amoureuse. Entre la personne des amants et
le monde, il est en fait une donnée charnière: la donnée de leur

18. Ph. Truslr, God and the Rhetoric of Sexuality, Philadelphie, Fortress Press,
1978, p. 160 (je traduis); voir également Ph. Blnp: «La force et la beauté [du
Cantique des cantiques] s'expriment dans une relation de mutualité totale, qui n'est
contròlée ni par l'homme ni par la femme » (« Images of Women in the Old
Testament », dans R. Reopono RuerHEn [éd.], Religion and Sexism, New York, Simon
and Schuster, 1974,p.82 [je traduis]); M. Fer-«, Song(voir note l5), p. 118: «Le
langage des deux voix, féminine et masculine, du Cantique, aussi riches, sensuelles,
expressives d'émotion et enjouées l'une que l'autre [ , . . ] témoigne d'une culture non
sexiste, non hiérarchisée fait unique dans la Bible » (je traduis). En fait, la femme,
-
dans le Cantique, parle davantage que son compagnon, et d'une manière que l'on
peut dire plus intense (c'est elle, par exemple, qui se dit « malade d'amour » [2,5;
5,81); Ctr. Reuu a pioposé de voir dans l'ensemble du poème un monologue en
forme de rèverie, émanant de l'imagination de l'amante (« The Song of Songs and
Tamil Poetry » , dans Studies in Religion 3,1973-1974, pp.205-219). Si certaines des
réparties du bien-aimé sont bel et bien « rèvées » par sa compagne (ainsi par
exemple en Ct 5,2), d'autres interventions témoignent toutefois d'un dialogue
effectif.
19. BEAUCHAMP , L'Un et l'Autre Testament, t. 2 (voir note l0), p. 168.
88 J.-P. Sonnet

corps' ,\ la frontière entre le soi et le monde, re corps


est le milieu de
leur échange en lui s'échangent l,universalité du monde et la
singularité des- personnes2'. Dans re cantique, le corps est
ainsi re
creuset métaphorique par excellence. c'est à travers lui que
la créa-
tion entière s'offre à visiter le diarogue amoureux. ceci esiparticuliè-
rement manifeste dans la célébration poétique que chacun des
lmanls fait du corps de l'autre (4,1_L4; 5,10_16;6,4_10;7,2_10).
Dans le dernier de ces portraits, e\ Ct 7,2_lO, l,amant multiplie
à
plopos de sa compagne des métaphores qui associent cette deinière
à la terre d'Israél : « Ton cou, telle une tòur d,ivoire;
tes yeux, des
vasques de Heshbòn, près de la porte de Bat_Rabbim.
Ton nez,
comme la tour du Liban, sentinele face à Damas. Ta téte sur
toi
comme le Carmel; les nattes de ta téte telle une pourpre;
un roi est
pris à ces tresses » (7,5-6)21. La femme devient un paysage,
celui de la
terre d'IsraèI, et l'homme, son amant, devient le roi epousant
en elle
son royaume22. Le corps est ainsi, dans ces élogei de la beauté
physique comme ailleurs dans le Cantique, le cieuset
des méta_
phores. Dans ce poème dialogué, c,est d,ab-ord poétiquement
que les
corps concourent à l'union des amants : en catalysant les
métaphores
du monde, oìr se donne et s'accueille leur désir.

La fabrique poétique.

Les interlocuteurs du cantique ne sont pas poètes à reur


insu.
pans so1 ouvrage L'Art de la poésie biblique,Robeit Alter montre que
la spécificité de la poésie du cantique tient notamment dans ra
manière qu'a le poème de mettre en avant l,acte de la création
poétique23. Ainsi en est-il dans la multiplication des «
comme >», keen
hébreu « Ses yeux sont comme des iolombes » (5,12) _
- dans les

. voir Fr. Ltrvov, « Le cantique des cantiques », dans R. ArrrR et F. Krnrraops


20.

léd), Plrlltotédie littéraire ae ù nibte, trad. àe I'anglais par p._E. O*-,,-plrir,


BaU2rl;-2!Ol. (édition originale américaine, 1987), pp. 386_3g7.
2l.Voir également Ct 6,4 1«Tu es belle, ma .ò*prgrr., comme Tirtsa, jolie
comme ]érusalem. »
22.«Dtt miel et du lait.sont sous.tarangue», dit-il en évoquant ses
baisers (ct
4,ll), faisant ainsi écho a. la description-traditionnelle de ia t..." a;Irr"ei, o..:
« coulent le lait et le miel » (voir Fr- Lnwov, « Cantique » '
[cf, note ZO1, p. ,&l.
23. R. ALTER, L'Art de la poésie bibrique, trad. Chr. Leroy
et f.-p. sonnet, Bruxelles,
Le ressort poétique du Cantique 89

comparaisons explicites qui alternent avec les métaphores Pures et


simples 11Js5 yeux sont des colombes» (1,15;4,1). Articuler le
-
« comme >», c'est, discrètement, expliciter la fabrique poétique. De
méme en est-il de la récurrence du verbe damà, qui signifie « ètre
semblable, comparable (à) », ou, dans une autre conjugaison,
« comparer (à) ». C'est 1à un verbe relativement peu fréquent en
hébreu biblique (trente occurrences dans l'ensemble de la Bible
hébraique), qui revient cinq fois dans les brefs chapitres du
Cantique : ,

A ma cavale parmi les chars de Pharaon, je te compare ldimmttìkJ, ò ma


compagne. (1,9)
Mon amant est comparable[dòmé) a une gazelle ou au faon des biches.
(2,9)
Voici que ta taille est comparablefdamtà] à un palmier et tes seins à des
grapPes;
je dis : je monterai au palmier, je saisirai ses régimes. (7,8)
Échappe-toi, mon amant ! Et sois semblable / comparable, toi, lùdemè
leka) àune gazelle ou au faon des biches, sur des monts embaumés.
(8,14; cf. 2,17)

Expliciter l'analogie ou le geste comparant, c'est souligner la


du poème : les amants sont l'un en face de I'autre comme des
poièsis
poètes artisans. Cette fabrique poétique se réfléchit dans les multiples
allusions aux artéfacts qui jalonnent le Cantique. Certes toute la
nature, en sa faune et en sa flore, ainsi que la terre d'Israèl ont
rendez-vous dans leurs métaphores, mais aux éléments créés se
mélent, dans d'étonnantes alternances, les produits de la création
humaine : tentes en poil sombre (1,5), rideaux somptueux (1,5),
torsades d'or avec incrustations d'argent (1,10-11), poutres et
lambris (1,17), palanquin d'argent, d'or et de pourpre (3,10), ruban
(4,3), boucliers et armures (4,4), colliers (4,9), lingot d'or fin (5,11),
bracelets d'or et plaque d'ivoire (5,14), piliers d'albàtre sur des socles
d'or fin (5,15), anneaux et coupe en demi-lune (5,2-3), pourpre
,(7,6), sans parler des références aux monuments architecturauxza.
Un mot à propos des « anneaux » et de la « coupe » qui viennent
Lessius (coll. Lelivre et le rouleau, n" ll), 2003 (éd. originale en anglais, 1985),
pp.260-264 voir également H. FISCH, Poetry (cf. note 6)' p. 91.
24. Sont mentionnés : la Tour-de-David (4,3), la Tour-d'Ivoire (7,5), la Tour-du-
Liban (7,5), rempart et tours (8,10).
90 l.-P. Sonnet

d'étre mentionnés. Ils apparaissent au chapitre 7, au début du troi-


sième des chants célébrant la beauté de la jeune fille en chacune des
parties de son corps. Les « anneaux » permettent de magnifier le
contour des hanches de la belle, et la « coupe » le dessin de son
nombril. En 7,2, il est précisé à propos des « anneaux » : « euvres de
mains d'artiste ». Ainsi que l'écrit R. Alter, voilà qui met le poète en
perspective, comme maitre artisan lui aussi, ciseleur et orftvie : « Il y
a [. ' . ] un avantage tactique à ouwir Ia description sur des ornements
aux courbes parfaites et sur une coupe ou un calice arrondis car la
beauté de la femme est à ce point exquise que l'analogue qui lui
convient le mieux est celle du savoir-faire du maitre artiàn, le
tertium quid implicite de la comparaison étant le savoir-faire du
poète associant avec bonheur image et objet pour chaque aspect de
ce corps gracieux25. »
Dans le discours des amants, le poème se réfléchit ainsi comme
poème, comme artéfact poétique. L,intimité des amants est sans
doute celle du jardin ou de la chambre oìr ils aspirent à se retrouver,
a l'abri du monde hostile. Mais cette intimité est tout autant
celle du
q9ème qu'ils s'échangent. « eu'il me baise des baisers de sa bouche »,
dit-elle, au seuil du texte que nous lisons (r,2). ces baisers ne sont-
ils pas aussi les mots que se disent les amants ? « Le temps de la
chanson est arrivé », dit-il, en évoquant ra chanson de la toirrterelle
au printemps (2,I2); mais cette chanson n,est-elle pas aussicelle de
leur duo ? « Fais-moi entendre ta voix, car ta voix Àt ,ruu".. . », dit_
elle, en mettant cette demande sur les lèvres du bien_aim é (2.,L4);
mais n'y répond-elle pas en proftrant son poème ? La médiation du
poème est'partout. Nous sommes loin d'un naturalisme (NewAge ou
autre) : les amants mis en scène, non moins que le poète, n'ignJrent
pas que le désir humain s'accomplit toujours aussi en euvre de
langage et de culture. si le corps est omniprésent dans le cantique,
c'est en tant que « corpoème », pour parler comme le poète algérien
|ean sénac26, en tant que corps porté au langage et inscrit dÀs les
Promesses du langage. « on peut se demander », écrit p. Riccur27,

25. R. Arrrn, L'Art delapoésiebiblique (voir note 23),pp.265-266.


26. J. SÉNAC, G,uvre complète,Arles, Actes Sud, 1999, p. 561.
27. P. RrccuR, « La métiphore nuptiale ,, dans p. Rrceun et A. LACoceu r., penser
la Biblq Paris, Seuil (coll. La couleuides idées), 1998, p. 419.
Le ressort poétique du Cantique 91

« si la véritable consommation [de cet amour] n'est pas dans le chant


lui-méme. » Est-il étonnant que, pour conjurer la mort, Ia femme
formule un ordre éminemment métaphorique : « Mets-moi comme
un sceau sur ton ceur28, comme un sceau sur tes bras2e» (8,6). Le
sceau est à la fois un artéfact, une pièce d'orfèvrerie, et un signe écrit :
une empreinte, une manière d'écriture, et parfois une véritable écri-
ture (le livre .de l'Exode parle de sceaux gravés de noms et de
phrases3o). Comme l'ont fait remarquer certains auteurs, le sceau
porté sur le caur et sur le bras fait écho a Dt 6,6.8, et à la pratique
des phylactères3r. La pérennité de l'amour se lie ainsi à l'« écrit » du
sceau, et à ce qui se scelle dans l'écrit. Et puisqu'il est question de
sceau, remarquons que le Cantique tient du sceau-cylindre, ce sceau
au déroulement sans fin. La structure du Cantique est circulaire, la
seconde moitié réfléchissant la première32; le poème (j'y reviendrai)
se termine par une forme de da capo, sur une image qui renvoie au
début. Ce qu'il faut, de manière impérative, pour que l'amour ne soit
pas éteint par les grandes eaux (8,7), c'est que la conversation amou-
reuse se prolonge, car c'est dans le poème, toujours à dire et à redire,
que l'amour des amants se survit.

28. Cf. en Gn 38,18, le sceau suspendu a un cordon, porté sur le ceur.


29. Cf. erlr 22,24,le « sceau attaché a [a] main droite ».
30.Voir Ex 28,11 : «Tu graveras les deux pierres auxnoms desfils d'Israè,l àla
fagon du ciseleur de pierres, comme la grawre d'un sceau » (cf.28,21); Ex 39,30:
« Ils écrivirent dessus une inscription en gravure de sceau : Consacré a Yhwh ! »
(cf.3e,6.ta).
31. Voir R. GonoIs, The Song of Songs and Lamentations, New York, Ktav, 1974,
p. 99; M. H. Popr, Song (voir note l5), p. 336; H. Frscu, Poetry (voir note 6), p. 98 ;
R. Arren, «Afterword», dans A. Brccs et Ch. Blocu, The Song of Songs. A New
Translation, Berkeley, University of California Press, 1995, p. l3l.
32. Le Cantique se distribue en deux panneaux (les deux descriptions de la femme
en 4,1-7 et 7,1-6; les deux épisodes dans le jardin en 4,12-16 et 6,1-12, ainsi que
d'autres motifs périphériques) autour d'un centre; Ie centre est lui-méme composé
de deux moments totalement différents. Le premier (5,1) est l'entrée de l'amant
dans son jardin (moment d'union et de consommation sexuelle) et le second
(5,2-8) est I'expérience de la disparition du bien-aimé dans le rève ou a l'éveil du
rève (moment de quéte de celui / celle qui, toujours, se dérobe). Entre les deux
moments, une pause, marquée par l'invitation faite a tous (« compagnons » et
« amants ») a participer a h joie du couple. Voir ci-dessus note 10; voir également
Fr. LaNov, « Cantique » (voir note 20), pp. 397-399.
92 l.-P. Sonnet

Le jeu de la métaphore

Le paradoxe du cantique réside ainsi dans sa manière de


miser à
la fois sur l'artifice du poème et sur le pouvoir des métaphores.
Dans
un essai très stimulant, le poète et critique littéraire
|oÉn Hollander
a scruté la manière dont les poèmes s'engendrent dans
le jeu de leurs
questions, de leurs réponses et de leurs impératifs33. Les questions
ne
manquent pas dans le Cantique : « eui est celle_ci qui monte du
désert en colonnes de fumée ? » (3,6; la question revient en
6,5);
« Qu'a donc ton amant de plus qu,un
autre, 6 la plus belle des
femmes ? » (5,9) ; « Or) est allé ton aàant, ò la plus belà
des femmes ?
Où s'est dirigé ton amant, que nous le cherchions avec toi?» (6,1).
Ainsi que le souligne I. Hollander, ce sont la des questions qui n,ont
de réponses que poétiques. Dans le Cantique, ces réponses,
oi, uborr_
dent les métaphores, suivent l'énoncé des questions; elles peuvent
aussi, comme en 6,10, se glisser dans la question elle_méme,
qui
multiplie les métaphores, ou prutÒt les comparaisons : «
eui est celle
qui surgit comme l'aurore, belle comme la lune, resplendissante
comme le soleil, redoutable comme les drapeaux en bataille3a? »
(6,10).
A ce point de l'enquéte, il importe de mesurer la spécificité du
Cantique en matière de discours métaphorique.
eu,en est_il des
métaphores dans la poésie bibrique ? Ainsi que le fait remarquer
R. Alter, « il est un fait que dans une bonne purì d" ra poésie
biblique
l'image joue un rdle assez secondaire, ou encore elle est à peine
présente. L"'originalité" en matière d'invention métaphorique
ne
semble en tout cas pas avoir été une valeur poétique recherchéà
pour
elle-p§p.ss. » Le plus souvent, la poésie UlUtiqu. joue sur ,, ,Ép"r_
toire d'images conventionnelles, et re livre dès psaumes offre
ìne
33' f' HorreNonx, Melodious Guile. Fictive pattern in poetic Language,New
Haven
et Londres, Yale University press, l9gg, pp. tg-g4.
cette dernière expression est empruntée à la traduction de o. clpor
, .34' et
M. Brnoen, « Le Poème. cantique des ."niiqr., », dans La Bibre. Nouveile traduction,
Paris,Bayard,2001,p.1624.Dans.ces nidga-lòt,nàrapéesrou«draperies»,,"reco.r_
nais ici, lu le contexte, les constellations.
35. R. ArrER, L'Art de la poésie biblique (voir note 23), p.255.
La suite de mon
paragraphe abrège le développement du méme auteur à pàpos
des psaumes et du
liwe de Iob (pp. 256-260).
Le ressort poétique du Cantique 93

belle illustration de l'emploi ingénieux d'un tel répertoire. Le livre de


Iob, sans doute, multiplie les images non conventionnelles, en raison
du génie particulier du poète qui l'a écrit et de sa capacité étonnante
d'imaginer les tensions du réel en dehors du cadre de la sagesse regue
et des habitudes perceptives. Mais, méme chez Iob, l'image, la méta-
phore, toute innovante qu'elle soit, reste subordonnée au réftrent de
départ, qu'elle vient colorer de manière violente ou surprenante; elle
ne nous transporte pas dans le monde métaphorique. Lorsque |ob
demande à ses amis s'ils sont «rassasiés de sa chair» (lb 19,22),le
lecteur n'en vient jamais a douter que |ob envisage par là le compor-
tement répressif de ses amis à son égard, et non leur cannibalisme. Le
Cantique, quant à lui, a en propre de brouiller les frontières, et de
faire basculer les choses dans le monde de la métaphore, en son
propre champ de référence36. La métaphore en vient à engager un
comportement déterminé, à dicter une ligne de conduite :
Comme un pommier au milieu des arbres de la forét,
tel est mon amant parmi les gargons.
À son ombre, selon mon désir, je m'assieds;
et son fruit est doux a mon palais. (2,3)

Il ne suffit pas de voir l'amant comme un pommier; il y a à agir


en conséquence: à s'asseoir à son ombre et a manger de son fruit.
Deux versets plus loin, la bien-aimée implorera d'ailleurs :

« Soutenez-moi avec des pommes » (2,5).


Voici que ta taille est comparable à un palmier et tes seins à des
grapPes;
je dis : je monterai au palmier, je saisirai ses régimes. (7,8)

Il n'est pas assez de comparer la silhouette de la belle à celle du


palmier; il faut en conséquence monter à l'arbre. Tout le paradoxe
du discours poétique du Cantique est là, dans cette manière de se
prendre au jeu des métaphores tout en en rappelant l'artifice (« est
comparable à r).
Une métaphore peut commander une longue séquence dans le

36. « Les images deviennent indépendantes de ce à quoi elles font référence; elles
deviennent mémorables en elles-mèmes », écrit de son cÒté M. V. Fox (The Song of
Songs and the Ancient Egyptian Love Songs, Madison, University of Wisconsin Press,
1985, p. 329 ; je traduis).
94 l.-P. Sonnet

cantique. La métaphore du jardin est ainsi firée entre res chapitres 4


et637, de manière telle que la jeune femme devient un jardin iil y
aa
se comporter à son égard comme on se comporte à l,égard d,un
jardin aux fruits luxuriants.
[Lui :] Tu es un jardin verrouillé, ma scur, 6 fiancée [ . . . j. (4,12)
[Elle :] Ie suis une fontaine de jardins.
Que mon amant vienne à son jardin et en mange les fruits de son
choix! (4,15-16)
[Lui :] Je viens à mon jardin, ma scur, 6 fiancée. (5,1)
[Elle :] Mon amant descend a son jardin,
aux parterres embaumés. (6,2)
[Lui :] Au jardin des noyers je descends. (6,11)
Ou encore, et la métaphore est ici filée du premier au dernier
chapitre du poème, «les amants du cantique jouent à la guerre3s».
Elle est sa «cavale parmi les chars de pharaon» (r,9). Les chars de
Pharaon étaient attelés à des étalons. Il s'en faut de peu pour qu'une
jument en chaleur, làchée parmi des chars, transforme les rangì bien
ordonnés d'un bataillon en une furie d'étalons en pagaille. Tel est
feffet de la belle auprès des hommes. S,iI arbore ,o, àtàdu, d (digtò,
2,4), elTe est quant à elle « terrible comme les drapeaux en bataille »
(nidgal6t,6,4; cf.6,10); son cou à elle est une tour «bàtie pour des
trophées : mille boucliers y sont suspendus » (4,4); ses frères parlent

,faire un rempart crénelé, une porte renforcée; elle iépond


d'en
qu'elle est rempart et que ses seins sont comme des tours (g,9--10).
Leur relation adopte de multiples tactiques, tactiques de défense à
l'égard des groupes hostiles, ou encore tactiques amoureuses. Et,
dans un désarmement final, elle se présente « comme celle qui
rencontre la paix >», kemòq'et shalòm (8,10). Est-ce étonnant quand
on s'appelle S(h)ulamit et qu'on joue, non sans dérision, à Shel,omo_
salomon3e? |'ai bien dit : ils jouent à la guerre. La métaphore initiale
ne cachait pas l'artifice : n A ma cavale parmi les chars de pharaon, je

37.Yoir E. M. Gooo, «Ezekiel's ship: some Extended Metaphors in the ord


Testament », dans Semirtcs l, 1970, pp.94-96.
38. L. ALoNSo ScuÒxEr., Le Cantique des cantiques (cf. note l3), p. g6; voir égale_
ment H. Ftscu, Poetry (l note 6),pp.%-9a.
39..cette ironie porte notamment sur les trois interdits de la loi royale en
_
Deutéronome 17, quant aux chevaux (d. Ctl,g),au nombre de femmes (cf O,A), aux
richesses (8,7). À. propos du jeu de moti sur les noms en ct g,l0-ll, voir M.
Grnsrel,
Le ressort poétique du Cantique 95

te compare, ma bien aimée » (1,9). Une fois la métaphore installée,


comme dans l'établissement d'un pacte, celle-ci commande les déve-
loppements qui suivent, requérant qu'on joue son jeu à la guerre
et à la pait'o. -

Métaphore et métonymie.

En fait, dans le Cantique, une métaphore maitresse s'accompagne


souvent de prolongements métonymiques. Alors que la métaphore
se produit comme pure substitution (un signifiant fait intrusion et
avec lui un champ de référence inédit, en créant une discordance et
une nouvelle concordance), la métonymie est une substitution qui
met à profit un code ou un contexte préalables. « La substitution
métonymique », écrit Alfredo Zenoni, « pré-suppose tout le vaste
discours dans lequel les choses sont distinguées, classées, référées et
opposées les unes aux autres, en tant que partie d'un tout, contenu
d'un contenant, instrument d'un agent, effet d'une cause, moyen
pour une fin, contraire d'un positif, espèce d'un genre, etcar. »
S'appuyant sur les contiguités ou les proximités du code d'une
langue et d'une culture, ou encore sur celles du monde projeté d'une
Guvre, la métonymie dispose de ces contiguités pour passer d'un
élément à un autre. Dans le Cantique, l'enchaìnement est ainsi de
type métonymique, lorsqu'il met en jeu une paire de mots conven-
tionnelle (c'est-à-dire une proximité préalable dans Ie code) : argent
et or (1,11 ; 3,10), soleil et lune (6,10), vin et huile (4,10), lait et miel
(4,11), droite et gauche « Sa gauche est sous ma téte, et sa droite
m'enlace » (2,6;8,3). Ou- encore, la mise en relation répétée, dans le
Cantique, des « yeux » et de petites pièces d'eaux (en 5,12, ses yeux à
lui sont « comme des colombes sur des bassins à eau, se lavant dans
du lait, se posant sur des vasques »>; en 7,5 ses yeux à elles sont des

Biblical Names. A Literary Study of Midrashic Derivations and Puns, Ramat Gan, Bar
Ilan University Press, 1991, p. 192.
40. De mème, la métaphore.de la « seur » (en 4,9.10.12; 5,1) amène-t-elle la réfé-
rence symétrique au frère en 8,1 : «Que n'es-tu pour moi comme un frère, ayant
sucé les seins de ma mère ! » '.
41.A. Znttot{1, «Métaphore et métonymie dans la théorie de Lacan», dans
Cahiers internationaux du symbolisme,3l-32, 1976, p. 192.
96 I.-P. Sonnet

«étangs à Heshbòn ») s'explique notamment parce que, dans le code


de la langue hébraique, 'ayin signlfie à la fois « eil » et << sourcea2».
Mais le discours des amants peut mettre également à profit des
proximités préalables dans le monde projeté du poèmea3. En 1,14,la
bien-aimée passe ainsi de la réftrence à une grappe de henné (« Mon
amant pour moi est une grappe de henné ») au lieu par excellence oùr
est produit le henné: «parmi les vignes d'Ein Gedi» (1,14)aa. De
méme, on peut dire des multiples références associant les amants au
monde végétal qu'elles relèvent d'une exploration métonymique du
« monde » projeté dès le premier chapitre du poème, les fruits et
arbres a fruits se trouvant « à portée de la main » des amants dans le
décor dans lequel ils se meuventas.
De manière répétée et caractéristique, le poète du Cantique (ou si
on veut, les interlocuteurs du Cantique) a l'art, après nous avoir
transportés dans le champ référentiel d'une métaphore, d'en
explorer des ramifications latérales, par voie métonymique, en s'ap-
puyant sur des contiguités dans le code ou dans le monde. Ainsi en
7,9-lo:
Voici que ta taille est comparable à un palmier et tes seins à des
graPPes;
je dis : je grimperai au palmier, je saisirai ses régimes.
Que tes seins soient comme les grappes de la vigne,
l'odeur de ton haleine comme celles des pommes,
et ton palais comme le bon vin [. . . ] .

Le désir si imaginatif de l'amant met à profit des proximités (dans


le monde et dans le code) pour passer du tronc au fruit, des régimes

42. Les alTitérations et paronomases qui font la texture du Cantique illustrent elles
aussi ce rapport métonymique, mettant à profit des proximités phonétiques en
l'occurrence -
dans la langue. Ainsi en 4,13-l4,la métaphore initiale « Tes jets
-
sontlun pardes [parc, verger] de grenadiers » -
se trouve prolongée par une liste de
-
fruits et d'épices dont les noms jouent sur les sonorités prd du mot pardes (et dtt
phonème k). Il en est de méme, en 4,6-9, dans le passage de lebònà (encens) à
lebandn (Liban) et à, libabtint (« tu as pris mon ceur » ).
43. Cette distinction ne doit pas faire oublier que le monde projeté d'une euvre
et le code linguistique et culturel dont elle relève sont parfois indissociables.
44. Remarquons qu'il a été question de gedì (chevreau) quelques versets plus haut
(1,8: gediyotayi( «tes chevreaux») : la relation est donc aussi de proximité
textuelle.
45. Voir R. Arrln, «Afterword» (voir note 3l),p.125.
Le ressort poétique du Cantique 97

de dattes aux grappes de raisins, des dattes et des raisins aux


pommes, du raisin au produit du raisin, le vin; ou encore de l'ha-
leine, il remonte à son lieu d'origine, Ie palais; le désir glisse sur ces
proximités en passant d'un sens corporel à l'autre : le toucher (il
i'agit de saisir les régimes et les grappes), l'odorat (l'odeur de l'ha-
leine comme celle des pommes), le goùt, dans le baiser final, au goùt
de vin.
Ce jeu entre métaphore et métonymie devient particulièrement
pertinent si on prend en compte la dimension onirique du
Cantiquea6. « |e dors mais mon ceur veille », déclare la bien-aimée
en 5,2. Plutòt que d'une veille hors du sommeil, et donc d'un réveil,
c'est d'une veifle dansle sommeil de la jeune femme qu'il s'agit sans
doute ici. Bref, c'est dans son réve qu'elle nous transporte, qui se
trouve étre, paradoxalement, le réve de s'éveiller à la « voix » du bien-
aimé, c'est-à-dire au bruit qu'il ferait en entrant chez elle de nuit, par
effraction. Ailleurs, le poème implique qu'elle est sur sa couche, le
bien-aimé lui disant par deux fois « lève-toi » (2,10.13) partage-
-
t-elle ici aussi un rève, le rève d'ètre épiée par lui « à travers le
treillis »? (2,9). Un peu plus loin, en 3,1-2, elle déclare : « Sur ma
couche, les nuits, j'ai cherché celui que mon ceur aime; je I'ai
cherché et ne l'ai point trouvé! [Est-ce en ses réves?] Je me lèverai
donc... [Est-ce toujours en réve?]» N'oublions Pas que la bien-
aimée conjure par trois fois les filles de Jérusalem de ne pas réveiller
son amant « avant son bon vouloir » (2,7 ;3,5; 8,4) et qu'elle l'éveille
(i sous le pommier » dans le dernier chapitre (8,5). Et remarquons la
référence (symétrique) en 7,10 à ce qui pourrait étre l'endormisse-
ment des amants dans un baiser mutuel, dont le vin, dit-elle, « glisse
sur les lèvres des dormeurs. »

Le rève peut avoir contaminé bien des choses dans le Cantique;


« Il n'y a pas de division claire entre les
ainsi que l'écrit Harold Fish,

46. Voir notamment Y. ZlxOurcu, Le Cantique des cantiques. Introduction et


commentaire (en hébreu), Tel Aviv et |érusalem, Am Oved et Magnes Press (coll.
MikraLeYisrael),1992,pp.27-2S,quirenvoieaui'travauxplusanciensdef' L.Vot't
Huc, Das Hohe Lied in einer noch unversuchten Deutung, Fribourg et Constance,
l8l3 et B. FREEHoR «The Song of Songs. A General Suggestion », dans lewish
Quarterly Reriew, 39, 19 48-1949, pp. 397 -402.
98 I.-P. Sonnet

sections "réve" et les sections "veille" du poèmea7. » Il ajoute : « Bien


des problèmes de compréhension disparaissent si l'on reconnait
dans
le poème le libre flux d'images et le kaléidoscope mouvant du
révea8. » En se livrant à ce qu'on pourrait appeler l,«
écriture
oniriqueae» (celle qu'appelait l'évocation de la ielation révée des
amants), l'auteur du Cantique est, en fait, devenu poète à la
deuxième puissance ; réciproquement, en redoublant d'iÀagination
poétique, il a pu donner libre cours au langage du réve. òurr, .".
accélérations et ses prodigieux raccourcis, dani ses fixations sur la
particularité d'une «vue», dans ses surprenantes réorientations de
l'imaginaire d'un sens à l'autre, d'une icène à l,autre, le Cantique
illustre en effet, de manière étonnante, les recoupements qui existent
entre l'activité onirique et le discours poétique. Le réve a ìans doute
sa logique propre, que les cultures humaines ont scrutée de
bien des
manières. Mais nous devons à sigmund Freud, Roman
]akobson et
Jacques Lacan d'avoir mis en lumière le surprenant recouyrement
entre la rhétorique du réve et celle de ra poésie : les condensations et
déplacements caractéristiques du réve se raissent décrire comme
autant de figures de style, analogues à celles de la métaphore et de la
métonymieso.
Un phénomène de condensation métaphorique se reconnait,
parmi bien d'autres, au chapitre 5. Dans son réve, la jeune femme
trahit son attente la plus secrète : que le jeune homme s'introduise en
son intimité. De l'intérieur de sa chambre (et de l'intérieur du réve),
elle le voit introduire Ia main pour libérer re verrou : « Mon amant
avance sa main par la fente; et mes entrailles s,en émeuvent.
|e me
lève moi-méme pour ouvrir à mon amant. Et mes mains distillent
de
la myrrhe, et mes doigts de la myrrhe onctueuse sur les paumelles
du

47. H. FrsCH, Poetry (voir note 6), p. g9 (je traduis).


48. Ibid., p. 89.

_- ?.D.: analogies littéraires, mème modernes, peuvent ètre ici précieuses.


H. Ftscs (!o,e1V, pp. 99-100), fait référence au « literary genre of dreamìsion
like
Finnegans wake or like coleridge's "Kubra Khan'i>, ainsi
{u,a certaines nouvelles de
s' Y. Agnon (voir H. FrscH, « The Dreaming Narrator in s. y. Agnon », dans Nover,
4,1970, pp. 49-68).
50. Voir I. LaceN, « L'instance de la lettre dans l,inconscient », dans
l»., Écrits I,
Paris, Seuil, 1966, pp. 249-2Bg (avec une référence a la Sulamiie !
tp. 259D; voir
également A. ZrNoNr, « Métaphore et métonymie » (voir note l), pp.
BZ igg.
Le ressort poétique du Cantique 99

verrou » (5,4-5). L'analogie sexuelle est ici difficilement récusablesr.


Mais le plus remarquable, ainsi que le fait remarquer P. Beauchamp,
réside en ceci que la rencontre s'inscrit, le réve aidant, « sur la porte
et non dans les corps, faisant de Ia porte avec ses accessoires comme
une redondance de chaque corps en une seule parois2». La porte et
son verrou, oir se pressent les mains des amants, est ainsi à la fois ce
qui les sépare et le lieu métaphorique de leur union.
Quant à la métonymie, elle a été décrite par l.Lacan comme le
trope par excellence du désir, où s'articule sa demande, oir se
conjugue et se conjure son manque. Le désir met à profit les proxi-
mités, les connexions (et les césures) entre les éléments du code
entre les signifiants pour circuler : « C'est là que rampe, c'est-là
-
que glisse, c'est là que fuit, tel le furet, ce que nous appelons le
désir53. » Un tel glissement, de proche en proche, traverse le
Cantique, dans l'exploration latérale (et métonymique) des images
métaphoriques, mais aussi dans la quéte qui y est toujours relancée.
Cette quéte s'exprime notamment dans le réve et aux limites du
rève : « Moi, j'ai ouvert à mon amant ! Mais mon amant, se dérobant,
est passé. Mon désir est sorti à sa parole. Je l'ai cherché, mais je ne l'ai
pas trouvé» (5,6). La méme phrase etle méme constat- « je l'ai
cherché, mais je ne l'ai pas trouvé » reviennent deux fois
l'autre quéte nocturne, celle du chapitre - 3, lorsque la bien-aiméedans est
couchée, au verset 1, (et réve donc, peut-étre) et lorsqu'elle est à la
poursuite de son amant dans les rues de la ville, au verset 2 (en son
réve, peut-étresa). En Os 2,9, Ie méme syntagme concerne également
une poursuite amoureuse, mais il s'agit cette fois des amants que
cherche IsraéI, épouse infidèle : « Elle poursuivra ses amants et ne les
atteindra pas, elle les cherchera et ne les trouvera pas. » Au fond, la
surprise que réserve le Cantique, c'est que la logique de la méto-

51. Le mot yad, « main », dont Ct 5,4 représente le seul usage au singulier dans le
poème, a une signification phallique en Is 57,8-10; le méme usage s'observe dans Ia
poésie ougaritique et dans l'hébreu de Qumran; voir M. H. Pope, Song(voir note
1s), pp. 517-srg.
52. P. BEAUcHAvry, L'Un et l'Autre Testament, t. 2 (voir note l0), p. 172.
53. I. LACAN, Les Quatre Concepts fondaffientaux de la psychanalyse, Paris, Seuil,
1973, p. 194.
54. Voir la mise en parallèle des deux scènes et leur lecture en clé onirique par
Y. Zerovtrcn, Cantique (voir note a6),pp.76-77.
100 I.-P. Sonnet

dans le passage incessant qu'elle opère, de proche en proche,


l1"i"l
d'un signifiant à l'autre, d'un objet à I'autre, n,y faìt pas le jeu d,une
pathologie amoureuse, celle de la poursuite des amanrs et de la perte
dans le multiple (à l'instar de salomon). Force est de constater que le
cantique articule de manière constante le mouvement latéral ou
centrifuge de la métonymie, à celui focal ou centripète de ra méta-
p,hore, qui est, quant à elle, hantée par l'unique : n ùnique, quant à
elle, ma colombe, ma parfaite » (6,9). En d,autres mots, le Cantique
ne débouche pas sur la dissémination amoureuse. La quéte n'est pas
vaine : le poème nous fait passer de l'affirmation de la bien-aimée, en
1,6, <<Ma vigne à moi, je ne l'ai point gardée » (du moins, elle ne l,a
pas gardée comme ses frères entendaient qu'elle la garde) à l,affirma_
tion du bien-aimé, «Ma vigne à moi, elle est pour moi » (g,12)ss. On
pourrait donner au Cantique le sous-titre : tout ce qu,il faut pour
revendiquer ou habiter une métaphore. Mais,
désignation de l'unique dans la métaphore, dans ",
-è-. temps, la
la trouvaille oir tout
se condense, ne signifie pas l'exténuation du désir; celui_ci, au
contraire, est toujours relancé métonymiquement. La logique
onirique et la logique poétique concourent ainsi dans une étÉique
amoureuse sui generis, à la fois ludique et infiniment sérieuses6.

55. A.propos de la position centrale de la métaphore de la vigne, voir M. coue*,


-
1Métaglores et autres figures littéraires dans lè cantique dès cantiques », dans
Graphè,8, 1999, pp. 11-3I.
s0' À propos de la dimension ludique du rapport amoureux, voir X. Lecnox, re
- de chair. Les Dimensions éthique,
corps esthétiqui et spirituelle de l'amour,paris, cerf
(coll. Recherches morales), 1992, pp. 37 - 42. Faisant-r éfér ence a la notion
de piaying
.!9, ?. W WrNNlcor (leu et réalité, paris, Gallimard,, 1975), X. Lacroix pJrt" a.i
« bienfaits de cette "aire intermédiaire" ou de ces phénomènes
transitionnels entre
moi et non-moi ou entre illusion et réalité qui permettent l'expérience d,une conti-
nuité entre le dedans et Ie dehors, 1pp. :z-rs). Lieu bénéirque de gratuité, de
distanciation et de déplacement des rè[les, le jeu est néanmoins nécessairement
« une parenthèse ou, du moins, un écart » (p. 4l). La parenté du jeu
et de l'érotisme
avec la création artistique (et notamment-poétiquej est soulignée par X. Lacroix
dans une réflexion remarquable sur le rapport mutuel entre eithétique et éthique
(pp.7s-e2).
Le ressort poétique du Cantique 101

L' imp ér atif mét aph orique.

Infiniment ludique et infiniment sérieux, Ie Cantique, il ne faut


pas l'oublier, se termine sur un « impératif métaphorique » : « sois
comparable, toi, à une gazelle ou au faon des biches, sur des monts
embàumés» (8,14; impératif déjà formulé en 2,17). Plus précisé-
ment, le poème se termine sur trois impératifs enchàssés :

[Lui:] Toi qui milieu des jardins 1...), fais-moi entendre:


es assise au
lBlle :) Échappe-toi, mon amant ! Et sois comparable, toi, .-
à une g ielle ou au faon des biches, sur des monts embaumés'

Oìr l'on voit qu'ils sont muse l'un pour l'autre. Il lui demande de
lui souffier son ròle, et ce ròle est métaphorique. Ainsi que l'écrit R.
Alter, u la femme indique à l'homme qu'il accomplira au mieux son
ròle d'amant en étant comme le jeune cerf, en jouant le jeu de la
comparaison poétique, en trouvant son plaisir parmi les lis et ces
-ort, de bienheureuse intimitési». Merveilleuse illustration de la
manière dont des métaphores exubérantes poussent l'action vers
l'avant. Le langage poétique ouvre, de manière prophétique, des
chemins nouveaux a la hberté aimante, notamment lorsqu'elle est
menacée. Cet impératif métaphorique a par ailleurs la fonction du da
capo ìt la fin d'une partition, puisqu'il nous ramène à l'arrivée
bondissante du bien-aimé, comme une gazelle ou un faon de biche
au chapitre 2 (2,9 et2,17). Assumer la métaphore, c'est ainsi repren-
dre le chemin du poème.

II. FRAGMENTS DU DIALOGUE MYSTIQUE

Au terme de ce parcours dans la poétique du Cantique, la ques-


tion doit ètre posée à nouveau : en multipliant ses lectures allégori-
ques, la tradition d'interprétation juive et chrétienne a-t-elle abusé
d,un texte qui parle de tout autre chose ? En substituant Ie dialogue
mystique uu dirlogrr" érotique, a-t-elle méconnu la proposition du
Cantique ? Ou bien a-t-elle, à sa manière, exaucé I'offre du texte

57. R. Arrrn, L'Art delapoésiebihlique (voir note 23),p.263'


toz I.-P. Sonnet

poétique ? De manière plus précise, on se demandera : dans ses


lectures allégoriques, la tradition interprétante a-t-elle été guidée
essentiellement par des facteurs externes ainsi la symbolique de
l'amour conjugal développée par les prophètes- de l'alliance ? Ou bien
a-t-elle trouvé dansle Cantique la clé d'une relecture mystique ?
Le fait est que le discours de la tradition a eu, a l'égard du
Cantique, le réflexe le plus légitimess. C'est ce qu'a montré avec per-
spicacité Anne-Marie Pelletier dans son étude, Lectures du Cantique
des cantiques. Del'énigme du sens auxfigures du lecteufs. La tradition
interprétante a répondu à l'offre du Cantique, en acceptant de se
prendre au pur jeu dialogique, en « embrayant » les signifiants du
poème, à commencer par le « ]e » et le « Tu » qui s'y disent. Ce
faisant, le discours de la tradition a trouvé dans le Cantique ce qu'il
n'aurait pas pu trouver ailleurs, et notamment dans les autres méta-
phores proposées par l'Écriture exprimant la relation de Dieu et de
son peuple60. Ces difÉrentes métaphores celle du vigneron et de
sa vigne6r, du roi et de ses sujets62, du père- et du fi1s63, de la mère et
de l'enfant6a, du maitre et du serviteur6s, de l'homme et de ses
animaux domestiques66, du potier et de l'argilerz ont leur perti-
nence propre, mais elles se révèlent déficientes sur-un point, qui est
celui de la parole échangée, du face-à-face dialogué. point de parole
entre l'homme et la béte, la vigne et le vigneron, entre le potier et la
glaise qu'il fagonne. Si la parole a bien sùr sa place dans la relation du

58. Sur ce point, voir notamment H. Flscn, Poetry (voir note 6), pp. 95-101.
59. A.-M. PelLrnER, Lectures du Cantique des cantiques. De l'énigme du sens aux
figures ilu lecteur, Rome, Pontificio Istituto Biblico (coll. Analecta Biblica,
n' 121), 1989; a propos de cette étude, voir J.-P. SoNNEr, «"Figures (anciennes et
nouvelles) du lecteur". Du Cantique des cantiques au livre entier. ,4. propos d,un
ouwage récent », dans Nouvelle revue théologique, ll3, l99l, pp. 75-86.
60. Sur ce point, voir H. Flscn, Poetry (voir note 6), pp. l0 I - 102.
6l.Voir notamment Is 5,1-7; 27,2-5; lr 2,21; 12,10; Ez l7,l-10; Os l0,l;
Ps 80,9-17.
62.Yoir notamment Ex 19,6; I Sm 8,7; Is 6,5 ; Jr 8,19; ps 149,2.
63. Voir notamment Dt 14,l ; 32,6 ; ls 63,16 ; 64,7 ; ps 103,13- 14.
64. Voir notamment Is 49,15; 66,12-73, et la métaphores des entrailles mater-
nelles (rahamìm) de Dieu, cf.ls 63,7.t5; Ps 51,3 et passim.
65. Voir notamment los24,22; Is 45,4;48,3.
66. Voir notamment Is 1,3 ; Jr 23,1-4;Ez 34; Za ll,4-17 ;ps Z3,l-4;80,2.
67.Yoir notamment Is 29,16; 45,9-11 ;64,7 ;Jr 18,l-6; Jb 10,9.
Le ressort poétique du Cantique 103

père et du fils, de la mère et de l'enfant, du maitre et du serviteur, du


ioi et de ses sujets, cette parole n'est pas 1e lieu d'une symétrie dans
f interlocutiorr. Dun, le Cantique, la tradition interprétante a trouvé
le paradigme de l'échange en vis-à-vis.
parce-qu,il est ce dialogue où la distinction des personnes s'enri-
chit de cell. des genres, le Cantique a pu prèter au discours de la
tradition la morphologie, la syntaxe, le rythme et la symbolique du
dialogue avec I'autre. I1 y a, bien sùr, entre le Cantique et ses trans-
positions allégoriques une compatibilité de surface quant aux
g.rr"r: Dieu oo 1. Chtitt s'énoncent au masculin, tandis qu'Israél'
IÉg[r", l,àme ou la Vierge s'énoncent au féminin. Mais l'affinité est
plis profonde. La différence sexuelle, qui s'entend à chaque verset du
^Currtìqu",
constitue dans 1'expérience humaine le chiffre le plus
précieux de l'ouverture à l'autre, et dès lors de l'ouverture à l'altérité
àu divin. La différence des sexes est ce qui empéche chacun de se
totaliser comme « homme » (au sens générique), et qui, inscrivant en
chaque personne un manque fondamental, la fait ainsi porteur du
,*, d. connaitre l'autre et d'étre connue par lui (ou par elle). Est-ce
étonnant dès lors si le désir de l'autre et l'expérience mystique du
Tout-Autre mettent en jeu comme une langue commune ? En expri-
mant le souhait du seul a seul, en racontant }'attente et |a remémora-
tion, en disant les paroles de salutation et celles de l'adieu, le discours
amoureux articulà ce qui est aussi la logique et le tempo de Ia vie
mystique. Ici comme 1à, il s'agit de dialoguer avec un autre, imprévi-
sible en sa fidélité.
Le Cantique fournit par ailleurs le paradigme de la parole réci-
proque dans une création commune. La création que raconte Ie livre
àe la Cenase est le lieu d'une asymétrie fondamentale, l'homme y
étant suspendu au verbe créateur de Dieu. Le Cantique permet de
penser le rapport de l'homme et de Dieu dans leur moment de créa-
iio, .o--one, dans leur poétique commune, c'est-à-dire dans l'al-
liance. cette poétiqrr" .o1n-,rrre fait fond sur une création préalable;
par le jeu des méiaphores, elle fait toutefois ceuvre de re-création
àu.r, le « milieu » du langage' Le Cantique est le chant d'un « plus
»'

d'un surcroit. Les amants du cantique sont en extase devant ce

« plus », ce surcroit de bonté dispensé par l',amour et l',érotique


qu'il
cJmporte. Si le superlatif est employé a diverses reprises, à propos de
104 J.-P. Sonnet

l'amante notamment, «la plus belle des femmes » (cf. Ct 1,g; 5,9;
6,1), le Cantique est aussi bàti sur un comparatif, le comparatif sur
lequel s'ouvre le poème : « Tes caresses », lui dit-elle, « iont meil-
leures que le vin » (1,2 ; cf. 1,4; 4,10). La bonté des choses, que l,ex-
cellence du vin vient symboliser, se trouve dépassée par la révélation
de l'éros amoureux cette bonté supplémentaire que l,on
-
découvre au-delà de I'enfance. « seul parmi tous res livres de la
Bible », écrit Fr. Rosenzweig, « le cantique débute par un comparatif
"psillgqr que le vin" [.. ]. Ce "meilleur" renoue le fil exactement
-là oir le "très bon" .

qui achève la création I'avait »laissé6s. ce surcroit,


cet excès de bonté est en quelque sorte approprié au « plus », à l,excès
que représente la révélation de Dieu, au-delà de la créatio n. La créa-
tion n'obligeait pas a ce surcroit d'intimité et de bonté, que le
Cantique permet de chanter comme meilleures que le vin ».
«
Cependant, pas plus que le langage de l'éros amoureux, le langage
mystique ne peut congédier la création. Les métaphores de l'union
s'élaborent ici comme là sur la base de « ce qui tombe sous les sens ».
L'expérience des parfums, des couleurs, des lignes du paysage, de la
gràce des végétaux ou des animaux sont des expériences qu,on ne
congédie pas dans l'expérience de Dieu6e. Il y aura toujours un
surplus des métaphores, et des métaphores terrestres, par rapport au
langage rationalisant de la théologie, mème mystique. L,unlòn avec
Dieu peut se dire de la manière la plus concise qui soit : « fe suis à
mon amant et mon amant est à moi » (C|Z,I6;6,3); mais elle va plus
loin en explorant, encore et toujours, les métaphores de 1,union70.
celles-ci ont en propre de combler et de mouvoir la liberté aimante,

68. Fr. RosENzwuc, L'Étoile (voir note l3), p.235.


69. Dans leur dialogue mystique, Dieu et l'homme continuent de se donner des
noms d'animaux. « Reviens, colombe », dit le christ a l'àme dansle cantique spiri-
tueldelntN or r-e cRorx, « car sur le sommet des monts apparait le cerf blessÈ, (iru),
dans cEuvres complètes, trad. de l'espagnol par le R. p.^Òyprien, paris, Desclèe de
Brouwer, 1959, p. 695.
70. Le corps, ici aussi, est le milieu du discours métaphorique. La tradition juive le
manifeste dans la Kabbale à travers la mystique ésotériqìe du^shi'ùr qòma, qui surim-
prime le « corps » de la divinité, celui de l'homme o c.Zé a l'image de Dieu, et celui
de lamant-du Cantique (voir A.-M. PELLETTER, Lectures
[cl note SS], pp. 36g-390). La
tradition chrétienne, de son cdté, regoit dans le corps du christ ti chirre métapho-
rique par excellence (cf la relecture christologique du Cantique en |n 20,1-lg).
Le ressort poétique du Cantique 105

en lui donnant
les figures de son repos et de sa quéte. À. qui a lu le
Cantique, Dieu rend visite en bondissant au-dessus des collines, en
l'épiant à travers le treillis.
La tradition a ainsi reconnu dans le Cantique l'« embrayeur »
scripturaire par excellence. I1 est ce texte des Écritures où l'on bascule
dans le monde des métaphores, où l'on traverse le miroir et joue le
jeu des figures. Au terme de la description de la Sulamite dans sa
danse, l'amant-poète ajoute : « Un roi [c'est-à-dire lui-méme] est
pris à ces tresses » (7,6), et nous le sommes aussi, pris au jeu des
pronoms et des figures, accueillis dans celui des métaphores et des
métonymies. Ce pouvoir d'« embrayeur », le Cantique le projette sur
le récit environnant de l'alliance, dont il devient comme le portail
d'accès. En écrivant le Cantique, dit le Midrash, Salomon fit des
« poignées à la TorahTr», donnant aux lecteurs à venir d'« avoir
prise » dans le jeu dialogal et figuratif, narratif et éthique de l'al-
liance7z. Toutefois, si le Cantique détient un tel pouvoir, ce n'est pas
en exploitant la confusion imaginaire, mais en se produisant comme
poème, dans sa facture poétique, et ainsi dans l'ordre symbolique. De
manière unique dans le canon des Écritures, et au bénéfice de la tota-
lité de ce canon, Ie Cantique rappelle qu'il n'y a point d'alliance, et
d'entrée dans l'alliance, sans I'invention du langage et l'exercice du
langage en dialogue. « Cela compris », nous permet de conclure
Origène, « écoute le Cantique des cantiques, et hàte-toi de le pénétrer
et de répéter avec l'Épouse ce que dit l'Épouse, pour pouvoir
entendre ce que l'Épouse a elle-méme entenduT3. »

71. Shir haShirim Rabbah,l,1,8.


7Z.Yoir D. Bovenrn, « The Song of Songs : Lock or Key ? Intertextuality, Allegory
and Midrash », dans R. M. ScHwenrz (éd.), The Book and the Text. The Bible and
Literary Theory, Oxford, Basil Blackwell, 1990, pp. 214-230.
73. OnIcÈNr, Homélies sur le Cantique des cantiques, texte de la version latine de
férÒme et trad. O. Rousseau, Paris, Cerf(coll. Sources chrétiennes, n" 37bis),2'éd.,
1966, p.71.

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