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Jean Rouch

Culte des génies chez les Sonray


In: Journal de la Société des Africanistes. 1945, tome 15. pp. 15-32.

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Rouch Jean. Culte des génies chez les Sonray. In: Journal de la Société des Africanistes. 1945, tome 15. pp. 15-32.

doi : 10.3406/jafr.1945.2562

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jafr_0037-9166_1945_num_15_1_2562
CULTE DES GÉNIES CHEZ LES SONRAY

PAR
Jean ROUGH.

//. ' Planches.


Durant un séjour d'un an au Niger — 1er décembre 1941, 27 décembre
1942 '• — il m'a été donné d'observer, puis, d'étudier, certaines manifesta
tions du culte des génies en pays sonray. J'occupais alors le poste d'i
ngénieur chef de la subdivision de l'ouest des Travaux Publics du Niger.
Ce travail me permettait de parcourir une grande étendue de territoire
et d'être en contact direct avec beaucoup d'indigènes. M. le Professeur
Griaule m'envoya en mars 1942 un questionnaire fort précis sur le génie
des eaux, qui me permit d'entrer en contact avec le sacré. Je commençai
une enquête. Les encouragements reçus et l'aide que m'assura M. le
Professeur Th. Monod, directeur de l'Institut d'Afrique, me poussèrent
à la conduire plus avant. Derrière le génie des eaux, toute une mythol
ogieapparaissait. Au mois d'août, ayant gagné la confiance de certains
Noirs, je pus travailler directement avec eux, leur acheter des objets
rituels ', assister à leurs cérémonies, les photographier. J'eus alors la
chance d'être secondé par des informateurs initiés, des agents mêmes du
culte : lesonyanké Godyé, de Sakoiré", violoniste et dessinateur de talent,
connaissant un grand nombre de textes rituels, et qui m'introduisit dans
des milieux assez fermés2 ; le jeune sorko Damouré Zika, ancien élève
de l'école de Niamey, petit-fils de Kalia, la femme qui commande aux
pêcheurs de toute la région, dont la parenté nous permit d'entrer dans
les confréries de sorko ; enfin le personnel indigène des T. P. qui m'assura
toujours de sa collaboration, malgré la répugnance de certains bons
musulmans pour « le culte des idoles » 3. -
Au mois de novembre une panne opportune de camion me permit de
1. Actuellement au musée de Г1. F. A. N. à Dakar.
2. Il exécuta en couleur avec du'Crayolor une centaine de dessins représentant
les génies, les Planches III, a et III, b sont les reproductions de deux de ces dessins.
3. Il me faut signaler de plus l'aide précieuse fournie par un petit travail de
M. Boubou Hama sur les Folé (Niamey, 1939).
16 . SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
descendre en pirogue le Niger depuis Ayorou jusqu'à Tillabéri. Je pus
ainsi fouiller cet archipel du fleuve, là où les anciennes croyances peuvent
le mieux se conserver. Bon nombre de documents et d'objets furent
rapportés de cette expédition.
Mais la guerre interrompit ce travail pendant près de trois ans. Grâce
aux amis indigènes qne j'avais laissés là-bas, je ne perdis pas tout contact,
et c'est malgré tout sur un terrain familier que je reprends aujourd'hui
cette étude.

SITUATION GÉNÉRALE.

1. Position géographique.
La région où nous allons évoluer est celle qu'Urvoy appela le Moyen
Nigo,r. C'est le bassin du fleuve qui s'étend de Labbezenga jusqu'à Say.
L'extrapolation doit être faite à tout le pays sonray, soit depuis Djenné
jusqu'à Gaya, sans oublier les petites colonies sonray éparses comme
celles d'Agadès, de Bamako (organisation Hàouta Maïga Godyé), de
Dakar (organisation Souley Maïga) où j'ai pu me rendre compte de la
vigueur des croyances, qui semblait encore accrue par la séparation1.
On réunit en général sous le nom de Sonray, tous les habitants de
la région qui parlent un dialecte sonray. Il faut pourtant y distinguer
en gros les Sonray proprement dits, qui habitent au nord du parallèle de
Tillabéri, les immigrants Djerma et Kado qui vivent au sud de cette
ligne, les immigrants Peuhls métissés Kourtey et Wogo de l'archipel de
Tillabéri, et enfin les pêcheurs Sorko qui constituent une caste très
fermée et très ancienne les classant nettement à part.

2. Position religieuse. Coexistence de l'islamisme et du culte des géniks.


Ces Sonray furent islamisés de bonne heure. C'est au xvie siècle que-
le Dia Kos^oy introduisit et imposa la nouvelle religion musulmane. Mais
malgré l'influence pro-islamique des Askias, puis des zélés propagand
istes qui collaboraient avec les conquérents marocains l'on voit au
xviiie siècle, Ousman ben Mohamed benOusman, dit Dan Fodié, classer
les Noirs par leur assiduité religieuse en trois catégories :
\ ° Les vrais musulmans.
.

2° Les faux- musulmans. -


3° Les infidèles.

1. Il faut étendre ce culte des génies à tout petit groupe de Sonray expatriés. Si
j'en crois Souley Maïga de Dakar, le plus beau « Dongo Hori » auquel il eut joué
du violon eut lieu à Mayence en 1919 sur les bords mêmes du Rhin.
CULTE DES GÉNIES CHEZ LES SONRAY 17
C'était dans le dessein de savoir ceux qui pouvaient être soumis à
l'esclavage-; mais cette classification est toujours valable. Si « les vrais
musulmans » sont aussi rares que les véritables « infidèles », la major
itédes Sonray rentrent dans la deuxième catégorie. Mais 'toutes les
nuances sont visibles parmi ces « faux musulmans » : il y a des musul
manstièdes qui ne suivent pas avec exactitude la loi coranique et qui ne
manquent pas de participer de façon détournée au culte des génies —
par une offrande anonyme — ; il y a les infidèles qui, malgré une parti
cipation très active au culte des génies, n'en camouflent pas moins celle-
ci derrière un certain zèle musulman — ainsi n'est-il pas rare de voir
un danseur rituel quitter le cercle d'une cérémonie, faire son salam, et
continuer de plus belle les danses de possession — ; il y a, entre ces deux
extrêmes, toutes les transitions possibles.
Les nécessités politiques et économiques entraînèrent ces compromiss
ions entre les deux partis: Les plus farouches musulmans durent se
concilier les bonnes grâces des Sorko « idolâtres » détenteurs du monop
oledu transport sur le fleuve. De l'autre côté, l'on alla même jusqu'à
introduire parmi les génies une famille de génies marabouts — les gandji
koaré — , ou dans les textes rituels des formules islamiques : ay да wàda
irkoy да, je m'adresse à Dieu, ou bismillah.
Mais il n'y avait, après tout, aucune raison à ce que ces deux religions
ne puissent coexister et former un système sinon orthodoxe, du moins
suffisamment homogène. Car si le Coran .dicte une dure loi pour gagner
la paix de Гаи-dëlà, le culte des génies donne un moyen de s'assurer la
paix d'ici-bas. Et' si le génie du tonnerre punit de mort un cultivateur
coupable d'avoir travaillé aux champs le jeudi, ce foudroyé n'en fera
pas moins un très bon « azana », un élu, s'il a mérité la grâce d'Allah.
Autrement dit, si la religion musulmane est à l'échelle de l'éternel,
celle des génies ne semble pas prétendre à dépasser l'échelle du tem
porel.

LES MYTHES

Le monde sonray est peuplé d'êtres invisibles * qui côtoient de très


près les humains Mis forment des familles complexes de génies dont les
mythes retracent les hauts faits» Ces mythes sont transmis par tradition
orale soit sous la forme fixe mais abstraite dés textes rituels, soit sous la
forme mobile, mais aussi plus claire, des « histoires », emphatiques
interprétations des premiers. Il est difficile de rassembler les éléments
en un récit ordonné et précis dont les indigènes n'ont pas le besoin.

1. J'en connais Í20 environ.


Société des Africanistes. . 2
18 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Toutes ces histoires particulières, tous ces textes spéciaux cadrent néan
moins à peu près dans un tout. Mais, on ne doit pas y rechercher une
logique rigoureuse : la mythologie sonray estcoutumière de la contra*-
diction.

1 . Le premier sorko faran maka.


A Gourzankey, dans le Maçina, vivait une femme nommée Maka.
Elle était versée dans les sciences secrètes, peut-être même était-elle
génie i. Dans le W, ац sud de Say vivait un pêcheur Sorko nommé
Nassilù II avait un fils, Issa 2, qui péchait pour lui. Un jour, cet Issa
creusait la terre de Karé Kap to pour construire une case. Il trouva dans
la terre rouge une femme qui était Мака3. Issa épousa Мака, il en eut
un enfant, le Sorko Faran Мака 4.
Faran Мака vint habiter* Gao où il devint un grand pêcheur. Mais un
jour, il rencontra dans une île un infirme qui commandait alors aux
poissons, le génie Zinkibarou occupé à faire danser au son de la musique
une famille de génies qu'il venait de capturer, les Taurou. Faran Мака
décida de vaincre ce Zinkibarou. A Tafala, près de Gao, Zinkibarou fut
le vainqueur et s'enfuit vers le sud. Мака ayant appris à son fils des
sortilèges plus puissants, Faran Мака reprit sa poursuite. Il dut remonter
l'affluent du Niger, le Gouroubi, jusqu'à la ville de Gassadoundou. Là,
Zinkibarou fut terrassé. Les génies Taurou furent délivrés et Faran Мака
les ramena dans sa pirogue vers Gao. Son esclave, Santama, qui s'était
emparé des instruments de musique de Zinkibarou, devint un grand
musicien
Faran Мака s'était ainsi attiré la reconnaissance des génies Taurou.

2. Les différentes famîlles de génies.


Le père des Taurou, Dandou Ourfama avait eu comme fils Si Zabéri'.
Ce dernier avait comme femme — ou comme fille — une fille au teint
clair, Dikko, gardienne des troupeaux de Si 6. Cette Dikko avait de
1. Récit de Issa, chef Sorko de Satoni. Je n'ai pu identifier cette ville de Gourzank
ey.
2. Ou Binta, selon Kalia.
3. Le texte rituel dit simplement (vers 33 du texte général des Taurou) : iri kay
mana funu kala. кота kirey га « Notre grand mère sortit vraiment d'un amas de
terre rouge ». -
Suivant Sanhori, Мака tenait à la main le goru gobu baton de fer aux vertus puis
santes, qui est actuellement entre les mains de Sanhori.
4. Récit de Sanhori et de Issa de Satoni.
5. Récit de Kalia et de Hamidou Tahirou, à rapprocher des histoires de Farang
racontées par Dupuis-.Yakouba. Zinkibarou s'y nomme Korarou.
6. Si bari K&gay Koy : chef des écuries de Si . Texte général desTaurou*
CULTE DES GÉNIES CHEZ LES SONRAY . 19
nombreux enfants : la fille aînée, Kirey, toujpurs vêtue de rouge, Manama
Sourgou le touareg, Moussa le chasseur Gourmantché, Manda Haoussa-
koy forgeron en pays Haoussa, et le cadet, Faranbarou Koda, qui restait
avec sa mère. Enfin d'une parenté plus douteuse étaient Dongo, un noir
Bellah vêtu de peau, et une fille très méchante, Niabéri. Il faut adjoindre
à ce groupe la servante Nayanga et. le serpent de toutes les couleurs,
Sadiara (l'arc-en-ciel).
Alliés à cette famille des Taurou, les Gandji Koaré, génies blancs,
nomades de race touareg, descendaient du vieil Hagam, un amide Dandou
Ourfama. Les dix enfants de ce dernier . étaient de zélés musulmans;
plusieurs avaient fait leurs études à l'École coranique de Médjne ou de
La Mecque ; seul le fils Serki, par trop batailleur, avait du être chassé
par son père.
Autre famille alliée des Taurou, les Folé du Haoussa étaient issus du
vieux Sada. C'étaient des Peuhls — ou captifs de Peuhls — qui faisaient
le commerce entre le pays Haoussa et le Niger tout en gardant leurs
troupeaux. Des hommes de petite taille, les Atakourma, les aidaient dans
ce travail.
Mais un Fólé Haoussa Garzakou avait émigré avec quelques enfants en
pays Gourma. Par alliance avec des gourmantchés, il avait fondé une
nouvelle famille, celle des Gándji Bi, les génies noirs *.

3. La guerre entre les génies.


Les motifs de ce conflit sont assez confus. Ce fut soit une suite du
combat de Faran Maka et de Zinkibarou, soit le résultat d'une erreur de
Dikko, qui joua du tubal (tambour de guerre), soit la conséquence d'une
famine en pays Gourma. De toutes façons, les Gandji Bi voulurent
s'emparer des troupeaux de Dikko.
La guerre débuta dû côté de Tombouctou. Elle opposa les Gandji Bi
aux Taurou et aux Gandji Koaré. Les Folé Haoussa se contentèrent du
ravitaillement de ces derniers.
Au bout d'un an, aucun succès marqué n'avait donné l'avantage à l'un
ou l'autre parti. Le Taurou Moussa, accompagné de sa sœur Kirey, .se
contentait d'incendier la brousse du pays Gourma à l'aide de son arc de
fer.
Le Taurou Dongo, lassé par tout ce temps perdu, vint trouver sa
soeur Kirey et son frère Manda. Il leur proposa un plan d'attaque : ils
allaient monter tous les trois au cielpendant la nuit. Le forgeron Manda
ferait Ле la lumière avec son briquet, Kirey désignerait de son lolo (lance
à long fer) les objectifs, et lui-même, Dongo, les détruirait à coup de
1. gSd'i, brousse, génie de la brousse. Récit de Kalia,- et (Je Godyé de Sakoiré .
20 ». SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Manda'
pierres que lui. aurait forgées en formes de haches. C'est ainsi
que pendant la nuit le tonnerre détruisit un village du Gourma. Moussa
tirait à l'arc sur les fuyards quand l'un des Gourmantché le fit prison
nier.
Cette foudre meurtrière fut le signe de là déroute des Gandji Bi. Les-
Taurou et leurs alliés Gandji Koaré" ramassèrent les prisonniers, mais
Kirey, en délivrant son frère Moussa, perdit un œil i.
Ainsi se termina cette guerre. Et depuis ce jour les Gandji Bi sont les
captifs de leurs vainqueurs 2. • . .

4. La première fête rituelle et l'initiation du Sorko Faran Maka.


Ce jeu du tonnerre avait beaucoup plu à Dongo, II demanda à sa
sœur Kirey et à Manda Haoussakoy de recommencer. Un nouveau village
fut ainsi détruit et cinquante habitants furent tués. Dongo repentant alla
trouver sa mère Dikko pour lui demander de réparer les dégâts. Dikko
s'adressa. au vieux Dando.u Ourfama. Celui-ci prit un grand vase de
terre, le hampi, et fit appeler le pêcheur Sorko Faran Maka. Dandou
apprit à Faran Maka le texte rituel des -Taurou. Faran Maka le récita et
tous les Taurou arrivèrent autour du hampi. Suivant le conseil de Dandou,
le hampi fut rempli d'eau 3 que Dongo prit dans sa bouche pour en arroser
les foudroyés. Ceux-ci revinrent à la vie 4.
Dongo dit alors : « Faran. Maka, chaque fois que je fais le mal,
« appelle-moi comme aujourd'hui et personne ne mourra par ma faute.
« Et tu apprendras ce texte à tes enfants avant qu'ils soient vieux. Et.
« ils devront faire comme toi après ta mort, sans cela ils ne pourront pas
« manger. Si vous allez dans le fleuve, le crocodile et l'hippopotame
« vont vous tuer si vous ne savez pas cette prière ».
Faran Maka fut initié de cette façon, au cours de cette première céré
monie, du premier yene. Dongo semble dès lors — sans doute par suite
de son rôle décisif dans la guerre — avoir pris la première place des
génies 5.
1. D'où l'un des surnoms actuels de Kirey mo fo : la borgne,
2. Récit de Sonyanké Godyé de Sakoiré.
3. Ou de lait selon Kalia.
4. Cette première cérémonie est décrite ainsi dans le texte rituel général des
Taurdu : (vers 5i et 62). - .
yene se na faru maka k'e Pour le yéné on appela Faran Maka
i kulu mana margu kala dud и humpo да Ils (les -Taurou) sont tous réunis sur le
■ hampi de Dandou
5. Récit de Godyé de Sakoiré. Le texte rituel des Taurou dit :
за markěde yene ■- depuis le yéné de Markendé
Cette première fêle eut lieu au village de Markendé. Peut-être peut-on l'identifier
culte des génies chez- les sonray 21

5.1 Les génies après la guerre.


C'est à partir de ce moment que les génies paraissent franchir défin
itivement la frontière de l'humain et du divin.
Dikko qui ne voulait plus être à la merci d'une nouvelle guerre, « entra
dans le fleuve » avec son fils cadet Faranbarou, sa servante Nayanga,
ses nouveaux esclaves Gandji Bi; ses trois serpents familiers, et. ses
troupeaux qui se métamorphosèrent en animaux aquatiques. Elle devint
ainsi Harakoy Dikko, Dikko le chef du fleuve (PI III. a) génie de l'eau.
Elle règne sur le monde aquatique, en interdisant L'accès, à ceux qui ne
descendent pas de Faran Maka, qui ne sont pas Sorko. Tous les acci
dents heureux ou malheureux, pêche abondante ou pirogue ■ coulée lui
sont attribués J.
Dongo (PL. III, b),Kirey, Manda Haoussakoy devinrent les génies du
ciel, terribles dispensateurs de la foudre, mais aussi maîtres de l'hiver
nageindispensable aux récoltes. Le chasseur Moussa les. aide de son
arc.
Les Gandji Koaré et leurs captifs Gandji Bi partirent dans la brousse
du nord où ils nomadisent et régnent en maîtres sous l'autorité de Serki,
amadoué par son mariage avec Danganda.
Les Folé Haoussa continuèrent à parcourir ' avec leurs troupeaux et
leurs marchandises la brousse du sud, dont les animaux sauvages, biches,
pintades, sont'gardés par les nains Atakourma.
Les Gandji Bi vaincus, captifs des Taurou et des Gandji Koaré, devin
rentles meilleurs intermédiaires entre. le monde réel et irréeL
Mais Niabéri, la méchante fille de Harakoy Dikko fonda une nouvelle
famille maudite de Tiarkaw, c'est-à-dire de sorciers, que l'on appelle les
Hargey, les froids. Difformes, paralytiques et cruels,. cette mère et ses
monstrueux enfants volent dans la nuit avec leurs ailes de feu, répandant
sur les hommes le mal, et se terrent durant la journée dans les cime
tières2. . .

6. Les Zondom ou Haouka.


Enfin, une dernière famille de génies est apparue depuis vingt ans,
celle des Zondom ou Hapuka. Ils se manifestèrent pour la première fois
avec Baracondié de l'itinéraire de. René Caillé. Ce village se trouve en effet à l'em
placement de Saraféré qui s'appelle également Farankoira, le village de Faran, réputé
avoir été fondé par Faran Maka. • •
1. Ou aux facéties du jeune Faranbarou son fils.
2. Ces Hargey sont les terribles exécutants des ordres des Tâurou mais aussi des
êtres qui font le mal pour lui-même, de leur propre initiative. Récit de Sanhori et
•de Godyé de'Sakoiré.
22 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES-
à Filingué en 1926 au cours de danses de jeunes gens. Un paysan de la
Nigeria les avait ramenés de « Malia », c'est-à-dire delà Mer Rouge. Ils
sont soumis à une hiérarchie militaire et administrative, mi-française,
mi-anglaise. On y trouve par exemple un Zénéral Malia (général Mer
Rouge) un King Zouzi Malia (King Judge) et un très sévère Commandant
Mougou. •
Ces Zondom rendent, aux cérémonies, hommage à Dongo et s'ils ne
sont pas encore reconnus au même titre queles autres génies, si on les,
réserve aux jeunes gens, ils commencent déjà à être admis dans l'ancien
rituel *.
Malgré cette évolution constante, les mythes de base ne paraissent
pas se modifier beaucoup. De nouveaux personnages, de nouvelles aven
tures peuvent survenir, ils s'adaptent à un thème relativement fixé 2,

LES RITES.

C'est au cours du premier yene de Markendé que le Sorko Faran Maka


ut initié. Tel fut l'origine des rites que nous allons étudier maintenant
sous la forme des textes, de la musique, de la danse et du rituel propre
mentdit.

1. Les textes.
Ces textes sont des formes abstraites des mythes. Transmis par tradi
tion orale, ils ne sont dits que par les agents spécialisés. Ce sont des
prières à leur stade initial d'incantation, de passage de l'humain au
divin," dont chaque phrase aune force. Ils peuvent être collectifs, s'adres
ser à tout^ une famille de génies, ou individuels, destinés à un génie
déterminé. En général, les premiers servent d'entrée en matière, puis
le privilège s'établit, et l'on récite les seconds. Chaque génie en possède
un, ce qui porte à plus de cent textes d'une dizaine de vers au moins ce
livre immatériel de prières que les spécialistes doivent connaître.
Voici, à titre d'exemple, l'un des textes- destiné au génie de l'eau
Harakoy Dikko — j'en connais trois aujourd'hui — .
dikko talaymu bulaymu Dikko Talaymou Boulaymou3

1. Information de Sadigari Zima de Niamey. ' .


2. Cette influence de l'extérieur sur les personnages des mythes laisse prévoir-
l'introduction de héros de l'histoire du Sonray parmi les divinités. Signalons simple
mentles coïncidences curieuses entre le fils de Dandou Si Zabéri et le célèbre
Sonni Ali surnommé le Si, « idolâtre » et persécuteur des marabouts.
3.' Talaymou Boulaymou seraient des noms flatteurs.
CULTE DES GÉNIES CHEZ LES SONRAY 23
saku nda g'ède alhau Alhaou qui secoue le cou *
i mana g'ede la sabu La lance ne compte pas le, nombre de-
cous
dara tubal za dara kàbaivey Le tambour de Dara depuis les palmes
de. Dara2
dikko tiasadize Dikko fille de Tianssandi3
bundu folo nka кпакйа ne bundu Le seul bâton vint, elle Га fait tomber,
bagu no dara bagu darad edi elle dit^pourun bâton détruit, il
faut détruire Dara, brûler Dara 4
kuru ma да dSga mane Le tourbillon doit être comme le
courant
ma да wîdi ividi sobay soho kala II doit tourner très vite ,eť continuer
wïda t'e jusqu'à être un vrai tourbillon 5
hau fabo i ma kiïdaС gunu ra On doit conduire les vaches maigres
dans l'île G
nda bari fabu i ma kada gunu ra Si les chevaux deviennent maigres
on doit les conduire dans l'île
ndà farkey fabu i ma kada gunu Si les ânes deviennent maigres on
ra . doit les conduire dans l'île •
nda gunu fabu. may do i да kàda Si l'île devient maigre chez qui va-
t-on la conduire ? '
i ma kada irkoy da nad a do On doit la conduire chez Dieu et
chez son prophète 7.

En plus de ces textes adressés à un génie ou à une famille de génies,


il existe d'autres textes plus impersonnels qui font partie de rites spéciaux,
les korté 8. Ces derniers textes prennent plutôt l'allure d'une exhortation
destinée à un objet, à une personne, ou à soi même (harpon que l'on

1. C'est le geste des danseurs rituels.


2. Le tambour de guerre de la ville de Dara. Nous avons vu que Dikko avait. peut-
être déclanché cette guerre en jouant de ce toubal.
3. J'ignore qui est Tianssandi. D'autres textes disent que Dikko est fille de Alhaou/
Je ne sais s'il faut voir là une seule et même personne, ou son père etil"sa mère.
4. Il est ici question des causes de la guerre entre les génies, mais est difficile
d'interpréter celte histoire de bâton. Notons que cet. incident se passe à Dara, là où
les vers du début représentent Dikko jouant du toubal (tambour de guerre).
5. Ces allusions à la force des courants et des tourbillons du fleuve sont habituelles
aux textes de Dikko, génie de l'eau.
6. Ces vers et, les suivants paraissent être une allusion à une famine, peut-être
celle qui. déclencha la guerre. ' »
7. Formule finale coranique. Ce texte m'a été donné par Kalia. Il a été traduit
.

par Damouré Zika son petit-fils. Cette traduction a été vérifié à Paris par M. Saïdou.
8. Exactement « médicament ». Voir plus loin, § rites proprement dits.
24 • SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
lance, nasse que l'on mouille, ennemi qui vous attaque). Et si dans ces
phrases rentrent souvent des noms de génies, je crois'qu'il faut y voir
davantage des formules de magie *.

2.' La musique.

Tous ces textes ne sont pas simplement récités, ils sont chantés. A
chacun d'eux, correspond un air de musique spécial qui semble avoir
une importance aussi grande que les paroles. Joués simplement au violon
ou au tambour, ces airs de musique suffisent quelquefois, sans qu'aucun
mot ne soit prononcé, à remplir le rôle du texte dont ils semblent alors
contenir toute l'efficience. Ainsi, passant en pirogue au dessus d'un
endroit difficile, le Godyé de Sakoiré jouait-il simplement l'un des airs,
destiné à Harakoy Dikko 2.

3. La danse.
Au son de cette musique, au rythme^ des mots, les danseurs mêlent
leurs pas compliqués. La danse cérémonielle est un des éléments les-plus
importants dû culte. Grâce à elle, l'homme se transforme en un dieu. Ces
danses sont complexes. Au début, les danseurs se suivent les uns der
rière les autres, formant une sorte de lente marche circulaire. dans le
sens des aiguilles d'une montre. Les musiciens sont en dehors -de ce
cercle autour duquel les agents du culte, Sorko ou Zima, s'agitent en
chantant. Sur ce motif simple et général se brodent les danses particu
lières3. La marche majestueuse s'accélère un peu, les pas diminuent de
longueur pour compenser l'augmentation de vitesse. La danse devient
un piétinement saccadé que les agents du culte entourent de toute leur
sollicitude. Et déjà l'on quitte le domaine de la pure chorégraphie pour
entrer dans celui du surnaturel. Ce n'est plus un danseur, ce n'est pas
encore un génie. La mystérieuse métamorphose se traduit par de grands
frissons et des larmes abondantes. Au paroxysme le personnage s'arrête,
s'agenouille et la danse se prolonge et s'achève dans cette immobilité
même.

1. Il est toujours difficile de séparer le magique- du religieux; néanmoins, ici, la


prépondérance du rite semble classer nettement ces Korté dans la magie,
2. Encore plus paradoxale est la reproduction entière de ces textes à l'aide d'un
seul tambour. .
3. Chaque génie semble avoir sa danse propre, au même titre que textes et
musique. Il est néanmoins très difficile de déterminer celle-ci, car le rôle que joue
ohaque danseur dès le début de la possession, mêle à la danse des attitudes propres
qui la déforment complètement.
culte. de* génies chez les sonhay 25

3. Les objets rituels.


. Les objets rituels forment la transition matérielle entre le visible et
l'invisible. Ces objets ne sont pas seulement les signes d'identité des
génies une fois incarnés, ils ont eux-mêmes un pouvoir, une force vitale1.
La plupart font partie du cérémonial-, objets servant au .culte public,
soit comme instrument général de 'celui-ci, (le Hampi), soit comme-
attribut particulier d'un génie. Mais certains semblent être réservés à
une seule personne, objets servant à un culte privé, forces mystérieuses
à la disposition de l'adroit propriétaire. Cependant ces deux catégories
ne sont pas aussi nettement tranchées, car les objets publics en dehors
des cérémonies sont utiles à ceux qui les détiennent et, inversement,
les objets privés peuvent tenir leur place dans une cérémonie 2.
Tous les objets que j'ai vus étaient d'usage courant, pas de masque,
pas de statue. Ils sont fabriqués' par les ouvriers spécialisés ordinaires.
Ici encore là technique pure se distingue mal de la religion. La consé
cration, qui semblerait pouvoir fournir un critère du sacré, n'est malheu
reusement pas toujours très nette. Car, si elle consiste le plus souvent à
répandre sur l'objet le sang d'un sacrifice, quelquefois un acte beaucoup
plus anodin suffit, par exemple le fait qu'un génie se soit servi de cet .
objet au cours d'une cérémonie. Enfin certains objets sont appelés, du
fait de leur consécration nécessaire,- à jouer dans la vie matérielle un
rôle supplémentaire. Ainsi le fer d'un harpon doit être consacré au génie
de l'eau au cours d'une cérémonie spéciale ; mais ayant ainsi acquis le
droit de tuer les animaux du fleuve il a, de plus, reçu le pouvoir de
protéger des accidents la pirogue où il se trouve.
Le hampî. C'est un grand vase de terre hémisphérique. Il sert norma
lement de bassine à eau.- Nous avons vu que c'est Daňdou qui avait
expliqué au Sorko Faran Maka l'usage essentiel de celui-ci. Depuis, le
hampi joue dans les yene, dans les fêtes des Taurou, un rôle très import
ant,II est en quelque sorte le laboratoire sacré de ces cérémonies, rece
vant l'eau ou le lait qui serviront à ranimer les foudroyés, servant de
dépôt, à la fin de l'hivernage, aux prémices des récoltes, ou, .comme
le montre la photo d'Issa Satoni, de récipient à pierres du tonnerre3 (PL
'
11,3).
Les haches (desi). Haches de pierre ou de fer.-
Les haches de pierre sont des objets néolithiques réputés haches de

1. Cette force vitale n'est d'ailleurs pas indépendante du principe supérieur, du


génie qui la lui a transmise. ' •
2. Remplacer par exemple (comme le .« gourou gobou ») d'autres objets absents.
3. Ce hSmpi particulier serait même l'exacte reproduction du premier humpi remis
à Faran Maka.
26 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
Dongo, génie du tonnerre, qui s'en sert comme projectiles. Ce serait son
frère, Haoussakoy Manda, qui les forgerait. Elles servent surtout de
protection contre la foudre. On les déterre au cours d'une cérémonie
spéciale.
La hache de fer de Dongo est une hache ordinaire emmanchée fer dans
bois, et ornée d'une ou deux clochettes. Cet objet est très répandu,
chaque Sorko doit posséder une telle hache. Dans les cérémonies le Sorko
s'en sert pour flatter Dongo mais dès que celui-ci s'est- incarné en son
danseur, on lui passe sa hache ; Dongo la lance en l'air et s'en sert
comme d'un jouet l (PI. III, 1). '
Le génie de l'eau possède une hache à cloche de cuivre, mais c'est
un objet beaucoup moins répandu que le précédent. Haoussakoy a une
hache (avec ou sans cloche). Faranbarou joue quelquefois avec une petite
hache. Enfin les gandji bi Fatimata, Bonaïzé et certains génies d'origine
Mossi ont aussi des haches rituelles.
Les lances. Le lolo est une pique à long fer (PI. II, 1) objet rituel du
génie Kirey. Ce lolo lui sert pour désigner à Dongo l'objectif à frapper.
Il sert plus spécialement à déterrer les pierres de tonnerre (PL II, 3).
Les yag'i sont de simples lances, du type de la lance touareg. Elles
sont destinées à Mahama Sourgou et aux génies Gandji Koaré.
Les sabres, poignards, couteaux. Le tokáta, sabre touareg, et le kabe
zinde 2ama,^poignard.à bracelet, sont les attributs de ces mêmes génies
Gandji Koaré. Les zama, couteaux de-chasse, servent à Moussa le Gour-
mantché et à certains Hargey.
Les batons de fer ou de bois.
Le guru gobu est un bâton defer. Celui que j'ai vu n'était destiné à
aucun génie mais à l'ensemble des Taurou. Sa puissance est considérable.
C'est celui-là même que tenait Maka, la mère de Faran Maka, lorsqu'elle
fut découverte dans un amas de terre rouge. Il pouvait tuer- à distance
les ennemis que lui désignait son propriétaire 2.
Les gobu- bâtons de bois, sont, soit des massues, comme celle des
Gandji Bi Zatao et Gandé' (PI. II, 2), soit des cannes recouvertes de
cuir, comme celles des Folé Haoussa, soit des « bâtons de danse » de
plus petites dimensions, ornés de lanières de cuir et de cauris et qui
semblent exclusifs des Taurou 3.
Les hilli sont des cornes d'antilope-coba, longues de 0 m. 60 au moins,

1. Ce jeu serait le symbole double de la pierre que jette Dongo et du fracas accom
pagnant ce jet.
2. Le Sorko Daoudou, père de Sanhori le propriétaire actuel, a eu la prudence de
confier à Kalia seule, la sœur de" Sanhori, le texte secret permettant un tel usage.
Sanhori ne le connaît pas.
3. Voir le dessin de Dongo (pi. III, 2).
CULTE DES GÉNIES CflEZ LES SONRAY 27
souvent ornées de cuir et de coquillages ; elles servent exclusivement de-
cannes au génies Gandji Bi (PI. 111, 3).
Vêtements. Enfin de très nombreux vêtements servent à habiller les
génies, une fois incarnés. Ce sont : des vestes, de la couleur, du génie,
de coton noir ou de cuir pour Dongo(Pl. II, 1), rouge pourKirey, rayées
noir et, blanc pour les Gandji Bi ; des écharpes de laine ou de cuir; des
ta-bliers de cuir ornés de cauris et de clochettes ; des coiffures de toile,
de feutre, de paille .ou de cuir ; des colliers et des bijoux ; garde-robe
compliquée d'un théâtre surnaturel.
Tous ces objets, sauf ceux d'un usage constant, sont gardés par les
agents du culte dans de grands couffins.

4. Les rites proprement dits.


Les [nterdits. Les interdictions, contraires des pratiques que nous
verrons tout à l'heure, paraissent assez peu nombreuses. Il est surtout
difficile de les séparer d'autres contraintes extérieures au culte des génies.
Deux seulement sont nettement rattachées à celui-ci : l'interdiction de
travailler au champ le jeudi (règle dictée par Dongo à Faran Maka), et
l'interdiction aux femmes, qui pilent le mil, de frapper dans leurs mains
quand le pilon est en l'air (simulacre moqueur des jeux de Dongo avec
sa hache). Mais si le foudroiement est la punition des dérogations, il ne
semble pas que pendant la saison sèche, tout au moins — périod&pendant
laquelle il n'y a pas de tonnerre — ces interdits soient suivis avec rigueur.
Les Korte. Ce sont des rites personnels réservés aux grands initiés
(Sorko, Zima) vivant en contact permanent avec les génies. Ces cér
émonies intimes comprennent en général un sacrifice, la récitation d'un
texte rituel; et la confection d'une poudre ou d'un liquide servant à
toutes les fins 1 : guérir les malades, tuer ses ennemis à distance, guérir
de la peur, paralyser la main qui va frapper, échapper à ses ennemis en
s'envolant, faire tomber quelqu'un de cheval, pêche miraculeuse... ces
cérémonies seront n'importe où, au hasard des circonstances; néanmoins,
l'habitude de certains endroits plus favorables, l'usage de la même
pierre pour certains sacrifices transforment ces lieux privilégiés eh autels.
Les cérémonies publiques. Ces Iwri, ces fêtes ont lieu, soit. à une date
déterminée de l'année — yçne du début et de la fin de l'hivernage — ,
soit à des occasions accidentelles — foudroyés, noyés, maladies des ini
tiés, vengeances, consécration d'un harpon — . Elles consistent en danses
de possession que nous avons déjà décrites. Elles réunissent outre les

1. C'est cette poudre ou ce liquide qui s'appellent le, korte. D'où la traduction de
ce mot par « médicament ». Maïs il arrive qu'il n'y ait pas de produit matériel,
simplement une « médecine » supérieure.
\
28 . SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
nombreux spectateurs, les musiciens, les bari, « chevaux » .des génies,
les prêtres Zima etSorko. Lorsque le génie, flatté par la musique et par
les textes .rituels, prononcés par les prêtres « descend sur son cheval »,
c'est-à-dire s'incarne en son danseur, on le revêt de ses habits rituels,
on lui donne ses objets (PI. II, 2). Dès lors ce n'est plus un homme,
c'est le génie lui-même qui est présent, qui règle la suite de la cérémonie,
qui donne aux prêtres. ses conseils, dicte au peuple ses ordres, le menace,
exige de lui tel sacrifice ou telle cérémonie nouvelle. Puis, apaisé par
les cadeaux, par le sang versé, .il s'en va lentement quittant comme à
regret, le corps pantelant de son bari épuisé.

LES AGENTS DU CULTE.

Là differentiation sacerdotale est très poussée chez les adeptes du culte,


des génies, mais la séparation entre les spectateurs et les initiés- inférieurs
est seule fonction du zèle dès premiers. Mais, à l'intérieur même du
groupe des initiés, la spécialisation est stricte. Elle est- due surtout au.
caractère héréditaire de certaines fonctions qui séparent Sorko de Zima,
bari de musiciens1. .

1. Les tiarkaw.
Une place spéciale- doit être réservée à ces sorciers buveurs de sang.
Ils forment une société particulière et s'entourent d'un grand secret dont
la terreur, semble le principal garant. Liés mystérieusement aux génies
Hargey — qui sont eux mêmes tiarkaw — ils bénéficient des dons redou
tables de ceux-ci : ils volent avec des ailes de feu, leurs yeux rouges
sont lumineux, ils se métamorphosent avec une incroyable facilité. Je
n'ai jamais vu de tiarkaw 2, mais souvent, la nuit, les indigènes apeurés
me montraient une vive lueur qui se déplaçait à mne incroyable vitesse :
c'était, paraît-il, un tiarkaw en maraude.

2. Les musiciens.
Ils ne sont pas tous héréditaires, néanmoins l'apprentissage de père
en fils est le plus répandu. Les musiciens profanes sont très nombreux,
et seuls certains se spécialisent dans la musique sacrée. On peut les
classer suivant l'instrument dont ils se servent.
1. Avec néanmoins des cumuls possibles. Mais seulement en descendant l'échelle
hiérarchique : un Sorko pourra être bari mais non l'inverse.
2. Car « en civil- » ils ne se distinguent pas des autres indigènes, tenant à leur
' anonymat.
CULTE DES GÉNIES CHEZ LES SONRAY 29
harey kari, joueurs de tambour. Ils-emploient le dom dom, tambour
d'aisselle à tension variable, le gaga tambour d'aisselle à tension fixe, le
turu, tambour sphérique posé à terre, le tubal timbale hémisphérique.
Ces musiciens forment la base rythmique mais aussi, grâce aux notes
variables du dom dom, ils jouent eux-mêmes les airs. Ils sont héréditaires
et descendent de Santama, le premier captif de Faran Maka, qui apprit
la musique en entendant les Taurou, alors détenus par Zinkibarou, jouer
leurs airs de danse l. Ils sont surtout spécialisés dans la musique destinée
aux Taurou et Hargey.
gasu kari, joueurs de calebasse. Ces instrumentistes très spéciaux se
servent d'une calebasse hémisphérique retournée sur le sol, maintenue
à l'aide d'un bâton à encoche glissé sous le pied. Ils frappent sur cette'
calebasse à l'aide de deux sedi, sortes de battoirs composés de cinq joncs
assemblés par une bande de coton. Le son très caractéristique de cet
instrument est surtout agréable aux génies Gandji Bi.
godye, violonistes. Ils se servent du violon monocorde. Un archet de
crins, tendus par un arc de cuivre, fait vibrer une corde de crin tendue
au dessus d'une peaud'iguane recouvrant une demi-calebasse. Malgré
le rudimentaire de cet instrument, les musiciens sont de véritables vir
tuoses. Leur musique semble plaire indifféremment à toutes les familles
de génies. Mais ces instrumentistes réservent, en général^ leur talent à
une famille ou à un génie déterminés. Ils consacrent en conséquence
leur violon par un sacrifice de poulet de la couleur de ce génie.
Mais pour ajouter un pouvoir spirituel à leur instrument, ils le garnis
sentparfois d'un bruiteur spécial, le dibba, qui semble une sorte de
consécration amovible 2. Ce dibba est une longue et flexible lame d'acier,
terminée par une plaque où sont fixés de petits anneaux. On l'adapte
très facilement au manche du violon qu'il prolonge.
Les godye appartiennent souvent au groupe des sonyanké. Les autres
ne semblent pas héréditaires.
molo kari, guitaristes. Ils jouent de la guitare à trois cordes. Le faible
son de celle-ci paraît en avoir limité l'emploi. Ils sont néanmoins très
appréciés par les Zondom.
gese, flûtistes. Ils sont fort adroits mais ne parviennent pas à faire
beaucoup de bruit. Ils sont aussi réservés aux Zondom.

3. Les ваш. "


Ces « chevaux » des génies se recrutent parmi la foule des adeptes, ou

1. Récit de Hamidou, fils de Tahirou, harey kari de Niamey.


2. Cela permet aux violonistes de jouer de la musique profane avec le même in
strument, sans dibba.
30 ■ SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
plus exactement ce sont les génies eux-mêmes, qui les choisissent. On
s'aperçoit de ce choix àjine maladie particulière. Le futur bari est alors
possédé en permanence par un génie. Il est nécessaire de « l'arranger ».
Pour cela, une cérémonie spéciale, lekatyeyan doit avoir lieu. Les autres
génies incarnés sur les anciens bari demandent au génie inconnu son
identité. Celle-ci révélée, les Sorko ou Zima apprennent à ce nouveau
possédé ce qu'il doit savoir de son hôte : sa démarche, son costume, ses
faits et gestes, son histoire en un mot le rôle que le, bari devra tenir
dans les cérémonies. Cette initiation doit durer quatorze jours si le génie
est un Taurôu, un Gandji Koaré ou Folé. Haoussà, sept jours suffisent
si c'est un Gandji Bi ou un Hargey. A la fin de cette période le génie
satisfait quitte son bari qu'il hantera seulement pendant les cérémonies1.

4. Les Zima.
Les Zima sont des prêtres de deuxième ordre. Leur connaissance du
monde des génies leur vient de la fréquentation assidue des fêtes et des
grands initiés. Ils n'ont aucun don héréditaire, mais leur zèle leur a
donné la confiance de certains génies : leur science des textes leur permet
de les évoquer. Ils sont donc en général d'anciens bari. Mais leur manque
d'hérédité leur interdit l'approche directe des génies supérieurs. Ils -se
contenteront des Gandji Bi, passant par la porte de service pour accéder,
par l'intermédiaire de ces génies captifs, à leurs maîtres puissants. Néan
moins le rôle des Zima est loin d'être secondaire. Les Sorko sont rares
et ils les remplacent tant bien que mal: C'est sur eux que les habitants
de la plupart des villages comptent pour leur assurer lès . bonnes grâces
des puissances invisibles. De cet état de fait, le culte des Gandji Bi est
parfois plus étendu que celui des Taurou qui demandent plus de mal 'et
de précautions 5. , '

5. Les Sonyahké.
Ils forment un groupe fermé et héréditaire. On peut les, considérer
comme des Zima supérieurs, dont les dons permettent la fréquentation
plus facile des génies. Nous avons dit que beaucoup d'entre eux étaient
godye, violonistes.- Ils jouent des rôles importants, en dehors du culte
des génies, par exemple celui de circonèiseur 3. Ils sont- spécialisés dans
la chasse aux tiarkaw. Ils ont de plus. la réputation d'être les meilleurs
guérisseurs.
1. Les bari sont plutôt des femmes, mais il n'y a aucune exclusivité de sexe.
2. Ces Zima arrivenL à se créer une hérédité en se réservant, à l'intérieur de leur
famille, certains secrets:
3. Camouflant ainsi, sans doute, plus facilement leurs autres activités aux musul
mans.
CULTE DES GENIES CHEZ LES SONRAY 31

6. Les Do.
Ce groupe également à part ne fait qu'indirectement partie des agents
du culte des génies. Ils descendent de Tokantyeri, une guinéenne (?)
qui fut une amie, sinon une parente de Harakoy Dikko. Cette femme
qui vivait du ' côté de Tombouctou était spécialisée dans les soins aux
blessés par les crocodiles. Après la guerre des Taurou et des Gandji Bi
elle vint s'installer à côté de Tillabéri. Ses descendants, les do, se disent
eux-mêmes harakoy, chefs de l'eau. Mais cette magnifique parenté
semble les avoir un peu endormis dans les honneurs. Si au cours des
cérémonies on continue parfois à leur réciter des textes spéciaux, comme
à de véritables génies, leur rôle est devenu celui de scaphandriers,
nageant sous l'eaû * pour y rechercher les objets perdus ou les cadavres-
des noyés. Ils ne paraissent pas continuer à exercer une autorité sur les
Sorko.. Et pour vivre, ils doivent cultiver les champs 2.

7. Les Sorko. . '


Les Sorko, pêcheurs héréditaires et descendants de' Faran Maka,
l'allié des Taurou, initiés directement par ceux-ci forment le groupe le
plus puissant et le mieux. organisé. Le Tarrikh el Fettach fait remonter
leur parenté à celle du géant Oudj, pêcheur de Noë, et nous les retrouvons
à la première place tout au lónrg de l'histoire du Sonray. Au vme siècle
ils quittaient leur capitale du Bentia, Koukya, pour fonder la ville" de
Gao. Aux xue et xme siècles, ils battaient les Somono et Bozo qui leur inter
disaient l'entrée du lac Débo et descendaient jusqu'à Djenné. Ils avaient
formé l'avant-garde du grand conquérant Sonni Ali, qui devait s'emparer
de tous ces territoires. Quand commencèrent les grandes invasions, les
Sorko se retirèrent dans leurs îles défendues de rapides où ils surent
conserver leur indépendance3. (
Agent héréditaire direct du culte des Taurou et en particulier du génie
de l'eau Harakoy Dikko et du génie du tonnerre Dongo, le. Sorko, pêcheur
sacerdotal, côtoie'à chaque instant le sacré.
Le Sorko qui fabrique ses lignes, qui ferre son harpon, qui mouille
une nasse, qui part à la pêche ou à la chasse au crocodile doit demander
à Harakoy, le génie de l'eau, l'autorisation de faire ces actes. Ce. n'est
pas grâce à son adresse au lancement du zogu, du harpon, que le Sorko
devra une bonne chasse, c'est parce que Harakoy satisfaite lui fera ce

1. Où ils peuvent, il est vrai, séjourner deux jours sans sortir.


2. Récit de Souley, chef des Do <le Àyorou.
3. Voir Delafosse ;^« Haut .Sénégal Niger ». Urvoy «Le moyen Niger » Es- S'adi
« Tarrikk es Soudan ». Smi Mohamed Kati « Tarrikh el Fettach ».
32 г SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES - • .
cadeau. C'est dire que le rite se mêle intimement à la technique de la
pêche.
Mais le Sorko n'est pas seulement un isa sorko, un pêcheur du fleuve.
Par tradition, il doit être aussi un dôgo sorko, un Sorko de Dongo, le.
génie du- tonnerre. Chaque fois qu'une tornade se déchaîne le Sorko revêt
son « boubou » noir et sort dans la tempête, agitant sous la pluie sa
hache, à clochette de fer, récitant le te&tede Dongo. Et lorsqu'à lieu une
cérémonie c'est lui qui est le ganu key amiru, le chef de danse, le premier
.prêtre. S'il n'est pas présent, ni Dongo, ni aucun Taurou ne descendra
sur son bari.
V

Société des Africanistes, t. XV. Planche II.

i. La vieille %ima devant des accessoires du culte des génies. - 2. Femme ^ima possédée par un génie.
3 . Le chef Sorko Issa devant le vase faranmaka hampi.
Société des Africanistes, t. XV. Planche III.

r\

niaberi
i. Le Taurou
fulla ; leDongo.
Sorko -Doumba
2. Harakoy
et sa Dikko,
femme.le génie de l'eau. - 5. Le violoniste Godié, coiffé du

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