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Journal des africanistes

Amadou Hampâté Bâ et la récolte des traditions orales


Hélène Heckmann

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Heckmann Hélène. Amadou Hampâté Bâ et la récolte des traditions orales. In: Journal des africanistes, 1993, tome 63,
fascicule 2. pp. 53-56;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1993.2385

https://www.persee.fr/doc/jafr_0399-0346_1993_num_63_2_2385

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Notes et documents

Amadou Hampâté Bâ
et la récolte des traditions orales

Lors de l'hommage rendu à Amadou Hampâté Bâ par la Société des


africanistes au musée de l'Homme en décembre 1991, j'avais présenté très brièvement
les différentes étapes de sa récolte des traditions orales ainsi qu'une description
sommaire de son fonds d'archives. Le temps ayant passé, il m'est aujourd'hui donné
l'occasion d'apporter à ce bref exposé les actualisations nécessaires et de le
compléter sur certains points.
Le récit de sa récolte des traditions orales m'a été dicté par Amadou Hampâté
Bâ lui-même en mai 1985 afin d'être remis aux participants du colloque organisé
par l'Apela (Association pour l'étude des littératures africaines) sur le thème « Islam
et littératures africaines » en octobre 1985 4 II y déclare d'emblée qu'en fait il n'a
jamais cessé, depuis sa petite enfance, de recueillir les traditions orales, « ayant
eu la chance de naître et de vivre dans un milieu qui était une sorte de grande école
permanente pour tout ce qui touchait à l'histoire et aux traditions africaines ».
Toutefois, ajoutait-il, « je n'ai commencé à prendre systématiquement des notes par
écrit qu'à partir de 1921, lorsque j'ai effectué mon long voyage pour rejoindre ma
première affectation administrative à Ouagadougou, en Haute- Volta » (actuel
Burkina Faso).
Il divise l'histoire de cette récolte, qui s'est étendue sur la plus grande partie
de sa vie, en trois grandes périodes :
De sa petite enfance à 1921, il se contente d'enregistrer et de graver dans sa
mémoire les récits et les contes qui résonnent chaque soir dans la cour familiale :
récits historiques concernant l'empire peul du Macina (surtout transmis par sa
branche paternelle), vie d'El Hadj Omar, de ses fils et de son neveu le roi Tidjani Tall
(transmis plus particulièrement par sa branche maternelle) ; mais aussi grands
contes initiatiques peuls (Kaïdara, L'Éclat de la Grande Étoile, Njeddo Dewal mère
de la calamité, Petit Bodiel), qu'il recueille dès cette époque de la bouche des grands

1. Cf. les Actes de ce colloque, publiés aux éditions Silex, revue Nouvelles du Sud, numéro spécial
de juin 1987, « Islam et littératures africaines ».

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« maîtres de la parole » qui fréquentent la maison familiale — contes, dit-il, dont


il ne « recevra les explications ésotériques que beaucoup plus tard »...2.
Л partir de la fin 1921. A l'occasion de son long voyage d'un mois vers la
Haute- Volta, il commence à noter systématiquement par écrit dans son journal (en
français, peul ou bambara) tous les renseignements recueillis en cours de route.
Il ne cessera plus jamais de le faire. Durant son séjour de onze années en Haute-
Volta, il poursuit sa récolte auprès des différentes ethnies locales. C'est lors de ce
séjour (en 1927) qu'il rencontre pour la deuxième fois « Wangrin » et qu'il reçoit
de lui le récit de sa vie aventureuse3.
Л son retour au Mali en 1933, il effectue d'abord un séjour de près d'un an
à Bandiagara auprès de son maître spirituel Tierno Bokar. Celui-ci lui enseigne les
aspects les plus profonds de la spiritualité islamique et de l'enseignement ésotéri-
que de la confrérie Tidjaniya, enseignement qu'Amadou Hampâté Bâ note en grande
partie par écrit4.
Affecté à la mairie de Bamako comme Premier secrétaire, il poursuit, dans les
limites de son temps disponible, son enquête auprès des milieux bambaras de la
région. C'est à cette époque, précise-t-il dans la suite inédite de ses Mémoires- :, qu'il
reçoit de très précieuses données sur l'initiation et la cosmogonie bambara grâce
à El Hadj Blé, un ancien grand maître du Komo converti à l'islam, et à Lâtif, un
ancien compagnon du grand initié bambara Danťo Siné rencontré dans son enfance.
Л partir de 1942. Sujet à des tracasseries policières et administratives en
raison de son appartenance au hamallisme, une branche de la Tidjaniya peu prisée
des autorités coloniales, il est affecté à Г If an de Dakar sous les ordres de celui
qui deviendra l'ami de toute une vie : le professeur Théodore Monod. A partir
de cette époque, dit-il, « je pus enfin me consacrer exclusivement à la recherche
systématique, puisque c'était l'objet même de mon travail, mais avec une
méthodologie plus élaborée » (notamment en effectuant des enquêtes sur un thème donné)
« et en bénéficiant de la richesse du fonds de documentation de l'Ifan, où toutes
les archives de l'AOF étaient entreposées ». Affecté à la section « Ethnologie »,
il fait des enquêtes sur le terrain et accomplit des tournées dans tous les pays de.
Г ex-Afrique occidentale française ainsi qu'au Nigeria et au Ghana.
Au cours d'une tournée dans le Ferlo sénégalais (à N'dilla, cercle de Linguère),
il rencontre Ardo Dembo, l'un des derniers grands maîtres d'initiation peule (sila-
tigi), dépositaire des secrets pastoraux. Dans ses Mémoires, Amadou Hampâté Bâ
raconte : « Quand il sut que j'étais peul, et descendant du Silatigui Pâté Poullo
compagnon d'El Hadj Omar, il s'ouvrit à moi. Il me proposa spontanément de
m'initier aux traditions secrètes de mes ancêtres. J'y avais droit, on me le devait
sans protocole. Ardo Dembo s'offrit de me réciter et de m'expliquer deux légendes
de base : Koumen et Tyanaba. J'en transcrivis en français les versions peules. »
C'est ainsi qu'Amadou Hampâté Bâ recueillit Koumen, dont il publiera la
traduction française avec Germaine Dieterlen en 1961.

2. Les ouvrages Petit Bodiel, Njeddo Dewal, Kaidara (version prose) et La Poignée de poussière, ainsi
que Jésus vu par un musulman, seront réédités fin 1993 par les Nouvelles éditions ivoiriennes
(Abidjan) au sein d'une « collection Amadou Hampâté Bâ » qui sera distribuée en Afrique et en France.
3. Cf. L'Étrange destin de Wangrin, 10-18, Presses de la Cité, Paris, 1973. (La fille et les petits-enfants
de « Wangrin », informés de certaines thèses faisant de ce récit soit une invention, soit une
autobiographie d'A.H.Bâ lui-même, m'ont personnellement autorisée à divulguer le vrai nom de leur parent : Samba
Traoré, dit « Samaké Niembélé », dit « Wangrin », etc. Cf. mon interview dans la revue Sépia, numéro
spécial A.H.Bâ, juin 91).
4. Cf. Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, éditions du Seuil, « Point-Sagesse »,
19 8 0.
5. A paraître chez Actes-Sud fin 1994.
NOTES ET DOCUMENTS

Pendant toute cette période, il poursuit sa collecte de renseignements sur


l'empire peul du Macina et l'empire toucouleur d'El Hadj Omar, enquête d'au moins
quinze années qu'il mènera à son terme entre 1952 et 1954, lors de son affectation
à l'Ifan de Diafarabé, alors dirigé par Jacques Daget. Ce dernier, passionné par
son enquête, participera à son travail et cosignera avec lui L'Empire peul du Macina,
premier ouvrage historique entièrement réalisé d'après la tradition orale6.

Fonds d'archives Amadou Hampâté Bâ

L'ensemble de ces archives manuscrites, fruit de la recherche personnelle


d'Amadou Hampâté Bâ, représente sa collecte des traditions orales de la savane
subsaharienne pendant près de cinquante années dans les domaines les plus divers
des connaissances africaines de l'époque. En voici un aperçu sommaire :

• Histoire. Suite de L 'Empire peul du Macina, vie d'El Hadj Omar, de ses
fils et de son neveu le roi Tidjani Tall, royaume bambara de Ségou, Soundiata
et la chefferie mandingue, Samory, plus dossiers sur l'origine mythique et
l'histoire des principales cités du Mali et de certaines ethnies.

• Traditions africaines (selon diverses ethnies de la savane, les dossiers sur les
Peuls étant classés à part en raison de leur importance). Religions traditionnelles,
initiations, rites, coutumes, sociologie, symbolisme des métiers d'artisans
traditionnels, art, musique, etc., plus quelques grands textes d'ensemble (conférences ou
articles sur ces sujets).

• Les Peuls. Histoire ancienne : mythes d'origine, migrations, arbres


généalogiques, tribus et clans peuls...
— Religion traditionnelle : cosmogonie, symbolisme, initiation, rites, mythes de
Koumen et de Tyanaba, calendrier magico-religieux, systèmes divinatoires...
— Sociologie : structures sociales, relations parentales...
— Animaux : bovins, ovins et caprins, symbolisme des robes des bovins et des
marques traditionnelles des bœufs, renseignements sur les transhumances...
— Littérature orale : œuvre poétique (souvent avec traduction) des principaux
maîtres du « grand parler peul » ; collection de chants anciens de bergers ou poésie
populaire...

• Littérature orale générale. Contes, légendes, fabliaux ou récits de la savane


(19 d'entre eux figurent dans le recueil « La Poignée de poussière », réédition en
cours) ; épopées ; textes des ouvrages déjà publiés...

• Religion. Vaste ensemble de dossiers sur l'islam : grands principes,


interprétations ésotériques, science des lettres et des nombres ; histoire et doctrine de la
confrérie Tidjani, documents sur le chérif Hamallah (anecdotes inédites) ; totalité
de l'enseignement théologique oral traditionnel de l'école du Djelgodji (Burkina),
dit « Kabbé », transcrit dans l'alphabet peul en caractères arabes mis au point par
Amadou Hampâté Bâ (non traduit). Textes sur l'ésotérisme en général et le
dialogue islamo-chrétien...

(S. Publié en 1955 au\ Editions Mouton sous l'égide de l'Ifan. Sur les conditions de cette récolte, cf.
l'article d'A.H. Bâ « La Tradition vivante », in Histoire générale tle l'Atrufue, éd. intéerale Jeune Atri-
que/L'nesco, tome I, page 224.
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• Collection de toutes ses conférences, articles et interviews ; cassettes audio


et vidéo. Plus production poétique personnelle d'Amadou Hampâté Bâ (des
milliers de vers en caractères latins ou « adjami », dont seuls les 500 premiers ont
été traduits par lui).

Une grande partie de ces archives a été recensée en 1969 par M. Alfa Ibrahim
Sow. Le résultat de son travail, publié en 1970 à la librairie Klincksieck (Inventaire
du fonds Amadou Hampâté Bâ) a eu l'immense mérite d'attirer pour la première
fois l'attention sur l'importance et la variété de ce fonds exceptionnel.
Le classement final, portant sur la totalité des documents, a été opéré par mes
soins sous la direction d'Amadou Hampâté Bâ lui-même à partir de 19827. Deux
sections entières : « L'Histoire » et « Les Peuls », représentant environ la moitié
de l'ensemble, sont déjà répertoriées, photocopiées et microfichées — microfichage
financé par le ministère français de la Coopération à la suite, entre autres, de l'action
enthousiaste de M. François Vuarchex, vieil ami d'Amadou Hampâté Bâ et de
l'Afrique, hélas récemment disparu.
Depuis, les travaux liés à la préparation de diverses publications ainsi que mes
activités au sein du Cercle Amadou Hampâté Bâ m'ont empêchée de terminer ce
travail. Je compte le poursuivre dès la parution du second tome des Mémoires,
espérée en septembre prochain. Une fois l'archivage terminé, des jeux complets de
microfiches seront déposés dans les principales bibliothèques de France et
d'Afrique pour être mis, comme le souhaitait Amadou Hampâté Bâ, à la disposition des
chercheurs — exception faite de certains éléments à publier sous son nom. (En
attendant, les chercheurs qui souhaiteraient consulter à mon domicile certains documents
peuvent m'écrire à l'adresse suivante : H. Heckmann, 10-12, Villa Thoréton, 75015
Paris.)
Pour terminer, je laisserai la parole à Amadou Hampâté Bâ, qui a défini lui-
même le sens de son travail dans une interview au journal Le Soleil à Dakar, en
août/septembre 1981 :
Ce n'est pas pour « conserver des idées dans une bibliothèque » que j'écris, mais
au contraire pour assurer la plus large diffusion possible de nos valeurs
traditionnel es, afin que chacun puisse s'y référer, méditer et, peut-être, ajouter et créer. En me
livrant à ce travail de récolte et de fixation par récriture, mon but a été également
de servir d'exemple, afin que d'autres continuent dans la même voie. Je ne fais que
jouer le rôle du devancier, dont le symbolisme se retrouve dans les danses sacrées :
le vieux se met en avant, il danse, et tout le monde le suit au rythme de son pas.

Hélène Heckmann

7. Sans l'aide d'aucun « bibliothécaire engagé par l'administration », comme il a été écrit ailleurs...

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