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AHMED BABA : la vie et la pensée d'un


philosophe africain du XVIème siècle

41-52 minutes

ahmed baba 1526 -1620

Né le 26 octobre 1556, à Araouane au Mali Ahmad ibn Ahmad


al-Takuri Al-Musafi al Timbukti fut sans conteste l'un des plus
grands penseurs de son époque. Sa vie résume pour elle seule,
tous les aspects positifs et à la fois tragiques qui caractérisent
l'histoire mouvementée du Soudan occidental.

Citation : "O toi qui vas à Gao, fais un détour par Tombouctou.
Murmure mon nom à mes amis, et porte-leur le salut parfumé
de l'exilé, qui soupire après le sol ou résident sa famille, ses
amis, ses voisins. Console là-bas mes proches chéris, de la
mort des Seigneurs qui  ont été ensevelis"  [1].

Le Soudan médiéval sous Ahmed Baba

Avant d'aborder la vie et la pensée de ce grand homme que fut


Ahmed Baba, il faut se replacer dans le contexte de l'époque.
Les trésors historiques et philosophiques du moyen Âge
africain sont de nos jours inconnus voir méconnus. L'Éthiopie,
la Nubie et l'Égypte antique se sont particulièrement illustrées
dans le domaine de la philosophie et des arts, ainsi que le
Soudan occidental et central qui connaît son apogée au
XVIème siècle.

Ahmed Baba n'était pas le signe d'une précocité, mais au


contraire l'aboutissement d'un engagement qui avait
commencé bien longtemps avant son avènement.

Koumbi saleh. Ancienne capitale de l'empire du Wagadou, connu sous


le nom de Ghana par les Arabes. Cette ville en pierre fut fondée au
IVème siècleSous le glorieux empire du Ghana quelques
témoignages nous sont parvenus par le biais d'historiens
arabes. Ainsi El Bekri confirme la présence d'une classe de
lettrées et de savants au sein même de l'appareil d'État
africain. Dans son livre intitulé " Kitab al Masulik mamlik "
(Livres des routes et des royaumes) parut en 1068, il écrit " la
capitale possède des jurisconsultes et des hommes remplis
d'éruditions ". On peut donc penser que cette tradition littéraire
soudanaise est bien plus ancienne que ce qu'on n'a toujours
pensé. Néanmoins, très peu d'écrits ont été retrouvés pour
cette période.

C'est sous l'empire du Mali qui fut le Grand héritier de Ghana


par bien des aspects, que l'on verra s'affirmer une véritable
élite d'intellectuels et de savants. Kanka Moussa, empereur du
Mandé fut de ceux qui incitèrent le plus à la connaissance des
sciences. Son règne des plus remarquables, a permis à une
petite élite de répandre toute une pensée philosophique à
travers toute l'Afrique de l'ouest. En 1325 de retour du
pèlerinage, le Mansa malien rapporta avec lui des ouvrages
achetés au Caire et à la Mecque. De grands savants
l'accompagnaient alors, parmi eux on peut citer la présence
d'Ibrahim es-Sahéli, un Arabe issu d'une famille de Grenade ou
encore el-Mamer, descendant du fondateur de la dynastie des
Almohades. Ces derniers s'étaient fixés à Tombouctou, qui
n'était alors qu'une bourgade. Lorsqu'il meurt en 1337, Kanka
Moussa laisse à sa nation les prémices d'une politique qui
permettra par la suite à la population de profiter des bienfaits
du savoir. Ne restait plus à ses successeurs, que de poursuivre
son oeuvre déjà considérable.

Depuis 1325, Tombouctou avait subi d'importantes


transformations. Les premières écoles y avaient vu le jour,
mais pour s'affirmer comme un véritable centre intellectuel
mondial, la ville devait se doter de l'appareil universitaire qui
devait faire sa renommée. C'est ainsi que vers 1400, fut créé
par une vieille femme, la grande université de Sankoré, qui sera
suivi de deux autres toutes aussi prestigieuses.

Pour mieux comprendre ce phénomène, citons quelques


témoignages (un extrait du site www.AfricaMaat.com - La
littérature africaine d'inspiration musulmane pendant les
XIVème, XVème et XVIème siècle - de Jean Philippe
Omotunde - Publié le 12 novembre 2004).

L'Afrique noire s'est particulièrement illustrée en matière de


littérature, de philosophie, de réflexion sociale, spirituelle, de
culture générale et d'enseignement universitaire avec ou sans
influence étrangère. Ce passage de l'historien Ibrahim Baba
Kaké est l'un des vifs témoignages [2] :

" les universités africaines étaient au Moyen Age des foyers


d'une intense activité culturelle. Les villes comme Oualata,
Djenné et surtout Tombouctou, avaient déjà leurs universités. L
'université d'el Azhar au Caire, l'université Karaouine à Fès avec
l'université de Tombouctou, formèrent le triangle culturel de
l'Afrique (...) Les ouvrages des écrivains et savants africains
avaient été accueillis avec faveur dans tout le monde arabe.

Ces faits sont peu connus et pourtant, dès 1856, Cherbonneau


les confirmait dans son Essai sur la littérature arabe au Soudan
:

" On remarque, (...) que l'enseignement donné à la jeunesse de


ces contrées avait atteint le même niveau que celui des
universités de Cordoue, de Tlemcen ou du Caire" (...) Il se
formait dans ces universités africaines de véritables lignées de
lettrés dont Ahmed Baba était le modèle le plus représentatif. Ce
savant dont la renommée déborda largement les limites de la
Nigritie, avait saisi toute la subtilité de la pensée arabe de son
temps (...) On lui attribue un nombre considérable d'ouvrages
traitant du droit musulman, de la grammaire, de l'ethnologie, de
la logique, etc. (...) Il y a une dizaine d'années, Mohammed
Ibrahim al Kettani a commencé l'inventaire des manuscrits de
l'Occident africain dans les bibliothèques du Maroc, sa
moisson s'est révélée très fructueuse[3], poursuit Ibrahim B.
Kaké.

Il écrit à ce sujet :

" Il existe dans les bibliothèques du Maroc, une quantité


d'ouvrages dus à la plume d'une quinzaine d'auteurs d'Afrique
occidentale. Le total général de ces livres se situe autour de
trois cents, près d'une centaine sont dus au seul Ahmed Baba"
. On peut donc affirmer que pendant les XIVème, XVème et
XVIème siècles, la philosophie et les sciences s’épanouissaient
au même degrés sur presque tout les points du continent
africain". Fin de l'extrait.

L'Afrique occidentale avait atteint un niveau culturel et


scientifique de tout premier plan à l'époque médiévale. En
quelques siècles, une florissante école du savoir s'y était
constitué.

Pour une population de 100 000 habitants, Tombouctou


pouvait s'enorgueillir d'en avoir le quart se constituant pour lui
seul, d'étudiants. Soient 25 000 personnes, au sein des trois
grandes universités, des 190 écoles et des 80 bibliothèques
privées que comptait la ville. Selon les sources, les livres
étaient le bien le plus précieux à Tombouctou. Très recherchés
sur les marchés, ils ont permis à un savant, tel l'érudit qu'était
Ahmed Baba de se constituer une bibliothèque riche de 1600
volumes et selon ses propres dires, elle était bien loin d'être la
plus fournie du pays.

Plus à l'est, au sein du royaume du  kanem-Bornou et chez les


cités-états Haoussas, la même effervescence culturelle
permettait au Soudan tout entier, de se sentir fier d'appartenir
un monde qui se disait tout simplement cultivé.

L'Arabe était de très loin, la langue du savant de l'époque. Elle


symbolisait la culture, le savoir et le goût des bonnes choses
qui composaient l'existence. Des textes en hébreu étaient
aussi rédigés. Ismael Diadé Haidara, descendant de la famille
Kati dispose d'un nombre considérable de manuscrits.
Héritage inestimable laissé par ses ancêtres, ils regorgent
d'informations historiques comme, les naissances et les décès
dans la famille impériale, la météo, des ébauches de lettres
impériales, herbes médicinales, les divers registres, le sel et l'or
en bourse [4]. Mais les langues africaines avaient aussi leur
part. On retrouve donc une multitude de textes. D'une diversité
étonnante, ils témoignent par bien des aspects de la
particularité de chaque copiste, tamashek, haoussa, peul,
songhai, dioula, soninkés, wolof, Kanouri, ou encore juif et
arabe [5].

Ismael Diadé Haidara avec les manuscrits de famille collectée

Chaque maître donnait ses propres cours, sous forme de


conférences. Il existait donc, toute une corporation de scribes
maîtrisant la calligraphie tâchant de retranscrire le plus
fidèlement possible les manuscrits. Ainsi l'écorce des arbres,
les omoplates de chameaux, la peau de mouton, ou le papier
en provenance d'Orient et d'Italie, servaient à populariser la
science et la pensée. En outre tout un savoir didactique
consignant pêle mêle la course des planètes, les tonalités des
cordes d'un instrument de musique, les cours des tissus et la
noix de kola, a été conservé dans les moindres recoins des
manuscrits (...), traités de bonne gouvernance, textes sur les
méfaits du tabac, précis de pharmacopée... Des ouvrages de
droit, de théologie, de grammaire et de mathématiques sont
commentés par des savants de Cordoue, de Bagdad ou de
Djenné. Des actes juridiques portent sur la vie des Juifs et des
renégats chrétiens à Tombouctou, témoignent de l'intensité
commerciale de l'époque. La vente et l'affranchissement des
esclaves, les cours du sel, des épices, de l'or et des plumes
sont l'objet de parchemins adossés à des correspondances de
souverains des deux rives du Sahara, illustrés d'enluminures en
or (texte issu en partie du Monde Diplomatique, sept 2004).

Cet environnement des plus favorables pour l'étude, était idéal


pour permettre à quiconque de parfaire ces connaissances.
Ahmed Baba disposait donc de tous les ingrédients,
permettant de devenir un grand penseur.
La vie et la pensée d'Ahmed Baba

1 ses premières années

C'est à Araouane que le jeune Ahmed passe une partie de son


enfance. Déjà, il montrait beaucoup d'intérêt à tout ce qui
touchait aux sciences, à la philosophie et à la littérature. Pour
parfaire ses connaissances, il se rendit à Tombouctou avec
son père le juriste Alhadji Ahmadou. Ce dernier très cultivé,
était déjà connu pour son savoir.

Arrivé à Tombouctou, Ahmed Baba suit le cursus habituel en


termes de scolarité. Sous la direction du grand professeur
Mohammed Baghayogo, il se montra très vite doué pour
l'apprentissage des sciences. Il étudia la philosophie, la
logique, l'exégèse, le droit, la grammaire, la théologie, la
rhétorique, l'histoire, la littérature, etc. Ce n'est qu'au bout d'une
trentaine d'années seulement qu'il finit ses études, après une
formation longue, mais des plus nécessaires [6].

Devenu lui-même professeur, il enseignait sa propre


philosophie, devenant par la même occasion l'un des plus
grands théologiens soudanais. Il laissa un très grand nombre
de disciples, qui même longtemps après sa mort répandront sa
doctrine.

Parallèlement à son rôle pédagogique, le grand savant se


devait d'assumer la fonction de cadi, c'est-à-dire de juge
musulman. Personnage des plus intègres, il aurait rédigé pas
moins d'une centaine d'ouvrages selon certains dont 56 sont
connus à ce jour. À travers ces volumes, Ahmed Baba décrit sa
doctrine religieuse, sa philosophie, sa poésie et même une part
de ses sentiments personnels.

2 sa philosophie

De nos jours, la pensée de Baba relève toujours d'une grande


importance pour bien des Soudanais. Néanmoins, il faut
rappeler qu'il reste avant tout un théologien musulman et
qu'une bonne partie de sa réflexion s'inscrit dans les dogmes
et la morale islamique. Pourtant, sa philosophie témoigne
aussi de son esprit profondément africain. Il revendiquait ses
origines et se sentait fier d'être soudanais.

Ahmed Baba se démarquait beaucoup de ses contemporains


par sa réflexion avant-gardiste. Il était considéré comme le
Mujjadid, soit le rénovateur de la religion du siècle. Selon
Nsame Mbongo, étant le porteur d'une pensée nouvelle, il
refusait en tant que philosophe, la spéculation gratuite et la
contemplation passive des idées [7].

À travers une multitude de thèses parfois des plus originales,


le malien défendait ses idées politiques, philosophiques et
religieuses. Son livre intitulé " Jalb al-nima ma wadaf al-niqma
bi-mujanabat al wulat al-zalama " (Porte-bonheur et contre
malheur : éviter les autorités injustes) démontre sa capacité à
s'écarter des éléments nuisibles à l'intégrité. Ces prises de
position vis-à-vis du pouvoir et les doutes qu'il maintienne sur
lui-même, montrent à quel point il pousse très loin la
réflexion. Écrit en 1588, cet ouvrage traite des relations entre
savants et politiques. Pour autant, il ne cache pas les raisons
personnelles qui l'amènent à le rédiger. " C'est pour m'alerter
moi-même et mettre en garde mes compatriotes et mes pairs
contre la fréquentation des gouvernants oppresseurs, que j'ai
composé ce volume "  écrit-il [8].

Conscient que l'homme est un être faible, combien même ce


dernier serait des plus cultivés, Ahmed Baba fustige bien des
intellectuels pour leurs manques de droiture. Il remet en
question l'attitude de certains savants, qui se laissant
corrompre par le pouvoir, perdent toute capacité critique sur ce
même gouvernant.

Cette étude ne remet pas forcément en question le pouvoir, le


considérant comme un instrument de déstabilisation moral.
Bien au contraire, pour Ahmed Baba le pouvoir est nuisible que
s'il est corrupteur, abusif ou arbitraire. Une bonne gouvernance,
alliée à une attitude saine de la part des élites savantes ne
peuvent selon lui qu'éviter bien des comportements déviants.

L'attitude du savant vis-à-vis du politique, doit donc se


déterminer par rapport à des critères moraux et non matériaux.
Si le pouvoir est juste, le savant peut s'allier à lui en professant
ces conseils. Par contre, s'il est manipulateur et corrupteur, le
théologien se doit de garder ses distances.

Pour démontrer à quel point l'intention revêt plus d'importance


que l'action, le philosophe décrit en 1592 le concept de la "
niyya " , dans son ouvrage intitulé " Ghayat al-amal fi fadl al-
niyya ala l-amal " (la supériorité de l'intention sur l'action).

Selon lui :

" La niyya est l'énoncé prononcé de façon audible ou


mentalement par celui qui veut accomplir un acte. Elle a sa place
dans le coeur, l'organe central de l'intelligence et de l'action "  [9].

Pour Nsame Mbongo, le coeur étant l'organe le plus noble du


corps humain et l'intention étant élaboré par cet organe, elle
porte en elle la noblesse de celui-ci et est par conséquent
supérieure à l'action, qui est le fait des " membres extérieurs "
de l'organisme, organes moins nobles.

Cet argument se consolide par la considération selon laquelle


l'intention appartient au domaine du commandement alors que
l'acte relève du domaine de l'exécution. Il est donc inférieur en
dignité à la volonté intentionnelle, qui ordonne et à laquelle, il
obéit. Ceci n'est qu'un exemple parmi d'autres du travail de
raisonnement auquel se livre BABA dans toutes ses
recherches.

Toujours selon Nsame Mbongo, Ahmed BABA est un


philosophe en plein sens du terme dans la mesure où il
réfléchit sur des questions générales fondamentales. Par
exemple, le rapport entre l'intention et l'acte, entre le savoir et
le pouvoir ou entre le pouvoir et la science. Qui plus est, il
aborde ces questions en débattant avec des philosophes et
des savants de renom, à l'instar de Al-Ghazali ou Ibn Kaldoun,
ou se situant par rapport à tel ou tel courant philosophique ou
théologique [10].

Manuscrit ancien Pour finir, prenons ce passage qui démontre à


quel point le penseur africain est animé par l'esprit
communautaire.

Il rappelle ainsi en 1603, dans le volume qu'il nomme " Tunfat


al-fudala bi-bad fada'il al Ulama' " (Dons précieux élargissant la
vertu des savants) :

" ceux qui possèdent la science ou le savoir et n'agissent pas


selon leur enseignement ne sont qu'à moitié obéissants, tandis
que ceux qui la ou le possèdent et agissent en conséquence ont
un double mérite (...). Nous penchons pour l'idée de la
prééminence des savants, comme le prouvent de nombreux
hadiths et athars ainsi que de nombreuses traditions remontant
aux " anciens vertueux". Mais les savants dont il s'agit ici sont
ceux qui font preuve de piété et de dévotion et se conforment à
l'enseignement du Coran et de la Sunna, et non ceux qui
cherchent à tirer de leur science des intérêts immédiats ou une
gloire personnelle "  [11].

Cette citation ne laisse aucun doute sur l'esprit de


communauté qui anime la pensée du théologien.
L'individualisme par le biais de l'égoïsme, ne doit pas prendre le
pas sur la collectivité. Il oppose aussi la croyance aveugle à la
croyance réfléchie, tout en prenant parti pour cette dernière. En
s'appuyant sur la juridiction musulmane, Baba rapporte les
citations de quelques docteurs en religion.

Parmi quelques-unes de celles-ci, on peut lire [12] :

- " cherchez la science en Chine s'il le faut " ;

- " Les savants sont les héritiers des prophètes " ;

- " L'encre des savants vaut mieux que le sang des martyrs " .
(voir zouber p.164)

En conclusion sur la philosophie savante d'Ahmed Baba. Il faut


reconnaitre que sa pensée s'appuie en grande partie sur le
droit canonique musulman, ce qui n'a rien d'étonnant pour un
juriste religieux. Il faut néanmoins souligner que son
raisonnement reste profondément africain, que ce soit pour
remettre en question les relations entre savants et
gouvernants, expliquer la prédominance de l'intention sur
l'action et surtout pour affirmer sa préférence de la
communauté sur l'individu. Tant de domaines de réflexions
dans lesquelles s'exprime largement la pensée philosophique
noire africaine.

Ancienne université de Sankoré - Tombouctou

Vue intérieure de Sankoré

Graphique reproduisant l'ancien aspect de l'université Sankoré -


Aujourd'hui une mosquée

L'exil

L'Année 1591 restera pour bien des Africains, celle de la


destruction de l'une des plus brillantes civilisations noires.
Pour Ahmed Baba et ses compatriotes, c'est le début d'une
décadence. Mais avant, une longue mais utile explication
historique.

1 les causes historiques et politiques

L'empire du songhai est fondé en 1464, par le célèbre


conquérant africain Sonni Ali (Sauveur Ali). Ce dernier soumet
tour à tour bien des royaumes africains, tout en écrasant les
différentes tribus Arabes et Berbères de la région par son seul
génie militaire. Partant de la ville de Gao, il fédère les clans
Songhais et Soninkés et se lance à la conquête du Soudan
Occidental tout entier. Après 28 ans de règne (dont 26 à faire la
guerre), il peut s'enorgueillir d'avoir créé du plus vaste Empire
africain de l'histoire. Mais son époque touche à sa fin et de
retour de sa 32e expédition victorieuse en novembre 1492, le
souverain songhai meurt noyé en tentant de franchir un torrent
sur le fleuve Niger [13].

Portrait imaginaire de Sonni le Grand

À la mort du Chî Ali, le pouvoir revint à son fils Sonni Baro.


Cependant, le règne de ce dernier fut assez bref. Il fut très vite
renversé par Mohammed Silla, un vieux Général de l'armée. Le
nouveau souverain prend immédiatement le contrepied de la
politique de Sonni Ali. Connu pour ces pratiques traditionnelles
africaines, le clan des Chî s'était attiré le mépris des
théologiens musulmans. De plus, Sonni le Grand était réputé
pour sa cruauté. La prise de pouvoir de Mohammed Silla, fut
donc accueilli avec soulagement par bon nombre de savants.

Portrait imaginaire de Mohammed Silla - Fondateur de la dynastie des


Askia, l'une des plus puissantes familles royales africaines de
l'histoireLa dynastie des Askia s'était donc installée aux
commandes du pays. Le mot Askia tirait son origine des filles
de Sonni Ali qui s'étaient écriées "Askia" après l'évincement de
Sonni Baro, soit en français " il ne le sera pas "! Prenant ces
propos avec ironie, le nouveau maître du Songhai réclama avec
insistance de ne se faire appeler que par le titre d'Askia [14].

Comme dit plus haut, la littérature africaine atteint un niveau


des plus admirables au XVIème siècle. L'Askia Mohammed qui
règne de 1493 à 1529, est l'un des plus grands défenseurs du
savoir. Certains de ses successeurs n'auront pas cette
tolérance, tandis que d'autres se montreront bien plus
protecteurs.

La prise de pouvoir des Askia sur les Chî, eu bien des aspects
positifs. Mais la politique initiée par Mohammed Silla, sera par
la suite lourde en conséquence. Au Soudan, la succession
s'effectuait par voie paternelle ou matrilinéaire depuis toujours.
Les familles royales s'arrangeaient pour que la transition se
fasse sans effusion de sang. Cette politique a permis à bien
des royaumes africains de prospérer sans trop subir de conflits
de successions. Or c'est bien l'un des points qui caractérise le
plus, l'empire du songhai. Sous la dynastie des Askia, nombre
de rois ont été renversés. Les auteurs étaient souvent des
proches cousins et parfois même des frères du souverain
déchu.

Le premier à en subir les frais, sera l'Askia Mohammed lui-


même. Le 15 août 1529, son propre fils Monzo Moussa
n'hésite pas et l'assigner à résidence, se proclamant Askia par
la même occasion. Le nouveau souverain en profite aussi pour
mettre à mort une bonne partie de sa famille, afin de s'assurer
un pouvoir absolu. Il ne régnera néanmoins que quelques
années avant d'être tué, le 12 avril 1531 [15].

Son successeur, l'Askia Mohammed Bounkan ne réussit pas


plus à se maintenir au pouvoir. Il est déposé le 12 avril 1537,
après la révolte d'Ismael, l'un des fils de l'Askia Mohammed. Ce
même fils s'était indigné, de la condition dans laquelle son père
vivait. Si Monzo Moussa se comporta d'une manière
lamentable, son successeur ne fut pas plus respectable. Lors
de sa montée sur le trône, Mohammed Bounkan qui n'était
qu'un neveu de l'Askia Mohammed, traita ce dernier de façon
misérable. Ayant pris sa place au Palais-royal, il le fit loger
dans une simple cabane en guise de demeure. Lorsque le
prince Ismael découvrit cette réalité, il se résolut à faire tomber
Mohammed Bounkan. Askia Ismael monta alors sur le trône,
délivrant son paternel d'une condition des plus méprisantes.
Mais l'Askia Mohammed ne devait pas tarder à mourir, il
s'éteint le 2 mars 1538 [16]. Presque aveugle à la fin de sa vie,
son règne fut néanmoins l'un des plus glorieux de l'histoire du
songhai.

Chevalier soudanais - la chevalerie a joué un rôle important au moyen


Âge africainAprès cette période de troubles, l'époque sera celle
des monarques charismatiques et autoritaires. Askia Ishaq
(1539 à 1549) ou son frère l'Askia Daoud (1549 à1582) sont de
ces rois, parmi les plus illustres. Le premier se distingue par
ses exploits militaires et le second pour son amour de la
culture. Si l'empire du songhai fut secoué par bien des luttes de
successions, il ne faut pas résumer son histoire à ce seul
aspect. En réalité, les points positifs ont été bien plus présents.
Sous le règne de l'Askia Mohammed, lorsque celui-ci était
encore en pleine possession de ces moyens, le songhai était
en pleine puissance. Ce souverain qui avait poussé ces
conquêtes jusqu'à Agadez à l'est et soumit aux tributs les États
Haoussas, disposait du soutien de l'intelligentsia soudanaise.
La richesse du songhai était telle, que lors de son pèlerinage
en 1497, l'Askia Mohammed se rendit à la Mecque avec plus de
300 000 pièces d'or [17].

Le peuple qui était tout entier appelé à porter les armes sous
Sonni Ali, fut renvoyé aux champs par l'Askia Mohammed. Ce
dernier, préférant s'appuyer sur une armée de métier. La
chevalerie composait le gros des troupes, suivie des
fantassins. Cette politique sera poursuivie par ses
successeurs, dont l'Askia Ishaq. Ce roi des plus remarquables,
fut néanmoins très autoritaire. Il fit exécuter un grand nombre
de gouverneurs, pour stabiliser son pouvoir. Cependant, son
règne ne se résume pas à des exécutions politiques. En 1544,
le Sultan du Maroc Mauley Ahmed le Grand entre en conflit
avec lui. Les raisons du déclenchement des hostilités sont les
mines de sel, situées au nord de l'empire à Teghazza. Le chef
Marocain demandant à l'Askia Ishaq de les lui livrer. La réaction
de ce dernier ne se fit pas attendre et c'est par ces mots que
Mauley Ahmed reçut sa réponse :

" Le Ahmed qui a écouté (ces conseils) ne saurait être


l'empereur actuel du Maroc et quant à l'Ishaq qui l'écoutera ce
n'est pas moi ; cet Ishaq-là est encore à naître. " [18]

Puis le roi du songhai ordonne à 2000 cavaliers de franchir la


frontière, avec pour mission de saccager toute l'extrémité de la
région du Dra'a en se rapprochant le plus possible de la ville de
Marrakech. Ainsi, le marché des Beni-Asbih (ou Beni-Asih) fut
complètement pillé de ses richesses. Askia Ishaq voulait par
cette action, démontrer la puissance de son armée [19]. En
mars 1546, il soumet de façon définitive le royaume du Mali,
occupant sa capitale. Cette armée fut conduite par son propre
frère Daoud, qui était alors l'un de ses principaux généraux.
Jamais un Askia, n'a été aussi puissant qu'Ishaq Ali, qui fait
restaurer bons nombres de forteresses à travers tout l'empire.
Mais il ne règnera que neuf ans et six mois, emporté par une
maladie. Il avait pris soin avant de mourir, de faire conduire son
fils accompagné de quarante cavaliers les plus braves auprès
du seigneur de Kâgho. Cette décision n'avait pour seul but de le
protéger, de la lutte de succession qui pouvait s'annoncer ;
témoin terrifiant, mais réel du mauvais côté de l'histoire du
songhai.

Cependant, suite à sa mort en 1549, c'est son frère Daoud qui


monte sur le trône. Son règne, sera l'un des plus longs et des
plus remarquables de l'histoire du songhai. L'une de ses
premières mesures est de réhabiliter les savants, qui furent
plutôt maltraités par son prédécesseur. C'est sous la
gouvernance de Daoud, que le savant Ahmed Baba arrive au
monde et passe toutes ses années d'études. À cette période, le
Soudan est en plein bouillonnement intellectuel. L'Askia Daoud
lui-même, fut de ceux qui s'intéressaient de près à la culture.
Disposant de sa propre bibliothèque, il fut considéré en son
temps comme étant l'un des plus cultivés. Amoureux des
plantes, il disposait aussi d'une ferme privée qui lui permettait
de sélectionner de nouvelles variétés. Ainsi nous savons qu'il
existait de véritables fermes d'états, où les paysans recevaient
des graines de premier choix. Le pays tout entier connaissait
alors une période de paix et de prospérité.

Forteresse de Sikasso au Mali - ce type de citadelle était très présente


au Soudan médiéval

Empire du songhai à son Apogée Mais l'époque de gloire et de


puissance, devait laisser sa place à une nouvelle période de
décadence, cette fois-ci fatale pour l'empire. À la mort de
Daoud en 1582, ses successeurs se déchirent et provoqueront
ainsi l'intervention des Marocains. Ces derniers, humiliés en
1544 par le souverain du songhai, l'Askia Ishaq, étaient
fortement montés en puissance. Le principal artisan de ce
changement, fut l'un des plus grands sultans de l'histoire du
pays, le saadien Ahmed al-Mansur (1578-1603). De son côté le
songhai s'appuie toujours sur des moyens anciens et
dépassés, de plus les luttes dynastiques, affaiblissent
fortement la capacité du royaume à se défendre. Le dernier
des prétendants à s'être emparé du trône, fut le malheureux
Askia Ishaq II. Pour parvenir au pouvoir, il a fait torturer,
emprisonner et tuer, un bon nombre de personnes. Parmi les
victimes, se trouvaient plusieurs de ses frères. Il n'y eut dans le
pays du Bara aucune ville qui échappa à la colère de l'askia, à
l'exception d'Anganda ... (selon le Tarickh el-Fettach - châp
XIV, p 258).

Devant une telle attitude des Soudanais, c'est donc tout


naturellement que le sultan marocain prépare son expédition. Il
a reçu une quantité d'informations sur l'état des forces du
songhai et sur le moral de la population. En 1590, après avoir
consulté son conseil, Ahmed al Mansur organise une armée de
10 000 hommes, comprenant 2500 mercenaires étrangers et
6000 auxiliaires. Les Marocains eux, ne sont que 1500. Grâce
aux fusils et aux canons, ils pensent pouvoir remporter la
victoire. Ces armes, étaient alors inconnues au Soudan.

Ahmed al-Mansur - XVIIème siècleDe son côté, le roi du songhai,


consulte aussi son conseil. En son sein, se trouvent des érudits
dont Ahmed Baba, et ces derniers donnent leurs avis sur la
méthode à employer. Mais sous l'influence des chefs de
l'armée, tous sont rejetés. Cependant, Ahmed Baba démontre à
quel point son amour pour le Soudan le pousse à être patriote.

" Il est certain, assure Zeys que Ishak-sokya dut interroger


également les oulémas soudaniens sur la valeur juridique des
prétentions du sultan marocain ; ce qui le prouve, c'est l'attitude
patriotique que prit Ahmed BABA à cette occasion. Il était alors
dans toute la force de l'âge - il avait trente-six ans - dans tout
l'éclat de sa renommée ; il exerçait une grande influence sur ces
concitoyens, par la pureté de ses moeurs, par la stricte
orthodoxie de son enseignement. Il n'hésita pas un instant à
déclarer que le Maroc n'avait aucun droit sur le Soudan"  [20].
Les deux armées se rencontrent le 12 mars 1591, près de
Tondibi. Askia Ishaq II, disposant d'une force numériquement
supérieure, était néanmoins handicapé par le manque
d'armements modernes. Il avait pourtant su rassembler l'une
des plus imposantes forces militaires de l'histoire [21], soit 18
000 chevaliers, soutenu par 9700 fantassins [22]. Le combat
s'engage alors, mais les Africains connus pour leur courage
n'ont pas consciences ce jour-là, de la valeur des nouvelles
armes dont dispose l'armée marocaine. Ils sont très vite
découragés par la puissance de feu, artillerie et fusils réunis,
de l'ennemi Maghrébin. La bataille tourne au désastre et
l'armée du songhai en déroute complète, abandonne la ville de
Tombouctou aux envahisseurs. Ces derniers entrent dans la
cité le 30 mai 1591 [23].

l'avancée marocaine en 1591

Or, la ville de Tombouctou est celle, où réside à l'époque le


juriste Ahmed Baba et ce dernier reste très hostile aux
Marocains. Par la suite, actes de brutalité et mépris des
nouveaux maîtres sur la population, accentueront encore plus
son esprit patriotique. Ainsi le 19/29 octobre 1591, toute la
population se révolte contre l'occupant marocain. Le
soulèvement se maintient, jusqu'au 17/27 décembre de la
même année [24]. Pour faire un exemple, le pacha marocain en
place décide de déporter les personnages savants de
Tombouctou. Ahmed Baba étant l'un des instigateurs de la
révolte, sera de ceux qui payeront très chère cette audace.

" Tout porte à croire, rajoute Zeys, que, tant par l'éloquence de sa
parole que par l'autorité morale qui s'attachait à sa personne, il
devint le chef de la résistance opiniâtre que les tholba de
Timboctou firent au vainqueur. Aussi le général d'El Mansour ;
voyant tous les mécontents se grouper autour de cette
adversaire irréconciliable, se décida-t-il (le 27 octobre 1593) à le
faire arrêter ; avec tous les membres de sa famille, et bientôt
après, à l'expédier au Maroc, non sans avoir livré au pillage les
biens et la riche bibliothèque du grand patriote (...)
Obligé d'aller remercier son persécuteur ; il parut devant lui,
accompagné de tous les docteurs de la capitale, qui avaient tenu
à lui faire cortège. Ni la captivité, ni les mauvais traitements
n'avaient réussi à l'abattre, il était demeuré le vaillant champion
de l'indépendance Soudanaise. Comme El-Mansour demeurait
caché derrière un rideau, il l'apostropha avec véhémence, lui
demandant s'il se prenait pour Dieu " qui seul, parle à l'homme à
travers un voile ". Le prince, honteux, se montra à découvert et
Ahmed BABA lui reprocha alors de l'avoir dépouillé de ses livres,
privé de sa liberté, et chargé de chaînes " [25].

2 les conséquences et la question de l'esclavage des noirs

À Marrakech, après leur libération, Ahmed Baba et ces


compatriotes découvrent la réalité du racisme anti nègre. Pour
bien des Maghrébins de l'époque, les noirs ne sont qu'un
peuple destiné à l'esclavage. Cette vision a souvent été
défendue par des théologiens reconnus, tel le savant Ibn
Kaldoun. Ainsi, durant tout le XVIIème/XVIIIème siècles, les
populations africaines du Soudan seront victimes de razzias,
principalement originaires de la région du Touat (voir la carte
du dessus - L'exil - 1. Les causes politiques).

Ahmed Baba qui s'insurge contre ces pratiques, rappelle que la


malédiction de Cham, est issue d'un texte apocryphe, mais
surtout que l'islam place tous les individus au même niveau et
que seul Dieu juge les hommes, quelles que soient leurs
couleurs de peau. Par contre, il n'arrive pas à condamner
totalement l'esclavage, la religion musulmane reconnaissant
cette pratique. Son désir, est de lutter contre tous préjugés
raciaux, qui amènent des musulmans à asservir d'autres
musulmans, pour la seule raison raciale. Pour lui , l'esclavage
peut se pratiquer pour des raisons religieuses et non
ethniques.

En 1615, il rédigera l'ouvrage intitulé " Miraj al-suud ila nayl


hukm miqjlab al sud ou Alkashshf wa-l-bayan li-asnaf majlubi
l-Sudan " (Echelle pour s'élever à la condition juridique des
soudaniens réduits en esclavage). Dans ce livre, le savant
malien critique fortement la mauvaise foi des habitants du
Touat :

" Que doit-on entendre, demandent-ils [les Touatiens] par ces


mots : « les descendants de Ham sont les esclaves de Sem et de
Japhet » ? Si l’on vise leur état d’incrédulité, il n’y a là rien de
spécial à leur qualité des descendants de Ham ; la même raison
vaut pour les enfants de Sem et Japhet, et il doit être permis de
réduire en esclavage tous les incrédules, qu’ils soient noirs, qu’ils
soient blancs.

Légalement parlant, il en est ainsi ; il n’y a aucune différence à


faire entre les races humaines, qu’elles procèdent de Ham ou de
tout autre ... " [26].

Comme dit plus haut, Ahmed Baba, étant juriste musulman et


respectant sa foi religieuse, émet quelques difficultés à
condamner clairement l'esclavage. Il a au moins le mérite de
rester en accord avec sa foi, à la différence des savants arabes
de son temps qui se persuadent que moralement, l'homme noir
est prédestiné à ce triste sort, combien même ils doivent pour
ça cautionner les comportements les plus hypocrites.

Néanmoins, l'auteur se révèle profondément humaniste par


bien des aspects, ainsi écrit-il :

« Dieu ordonne de traiter les esclaves avec humanité, qu’ils


soient noirs ou non ; on doit avoir pitié de leur triste sort, et leur
épargner les mauvais traitements, car le fait seul de devenir la
propriété d’autrui, brise le cœur ; parce que la servitude est
inséparable de l’idée de violence et de domination, surtout
lorsqu’il s’agit d’un esclave emmené loin de son pays. Ne
sommes-nous pas tous les descendants d’Adam ? C’est pour
cela que le Prophète a dit : Dieu le Très Haut t’a rendu
propriétaire de l’esclave ; s’il avait voulu ; il l’aurait rendu maître
de ta personne » [27].

Malgré quelques difficultés à condamner clairement


l'esclavage, le savant noir démontre sa profonde humanité,
comme il l'indique dans ce même ouvrage :

« Ce commerce, affirme-t-il, est une des calamités de notre


époque » [28].

Durant cette période d'exil, Ahmed Baba dû se battre contre


bien des préjugés, mais il a su répondre par bien des réflexions
dignes d'un grand penseur. À force et avec le temps, ses
interlocuteurs marocains lui reconnaîtrons ces grandes
qualités philosophiques. En son temps, peu de savants Arabo-
Berbères pouvaient se placer au même niveau qu'Ahmed Baba.
Sa connaissance des lois de l'Islam, sa méthodologie, son
esprit critique, sa maitrise parfaite de la grammaire, etc.,
séduisaient plus d'un étudiant à l'époque. Le Soudanais finira
même par enseigner, au sein des grandes écoles de
Marrakech, devenant ainsi l'un des théologiens des plus
écoutés au pays.

Cette volonté absolue de ne pas tomber, ni même de s'effacer


face à l'absurdité, finira par payer. De plus en plus de disciples
se joignent à sa doctrine. C'est ainsi que les intellectuels
marocains interviennent auprès du Sultan Abou Faris (fils et
successeur d'Ahmed al-Mansur), pour sa libération. Cette
dernière sera accordée, et le 27 mars 1607, Ahmed Baba est de
retour à Tombouctou. Durant son long périple, il eut la
mésaventure de tomber du dos d'un dromadaire et de se
fracturer une jambe au niveau du fémur. Malgré tout, le savant
africain est de nouveau au pays  de ses ancêtres, cette terre
qu'il a tant aimée et ce peuple qu'il a hardiment défendu lors de
son séjour forcé au Maroc. 

À Tombouctou, le savant continuera à professer sa doctrine,


laissant bien des disciples au Mali. Après une vingtaine
d'années de liberté, le savant noir s'éteint le 22 avril 1627, dans
la cité qui l'avait hissé au plus haut niveau de culture. Sa mort,
signe aussi la fin d'une époque, celle de l'une des plus grandes
réussites intellectuelles de l'histoire universelle.

L'héritage
De nos jours, des historiens africains redécouvrent la pensée
philosophique d'Ahmed Baba. Mais il faut néanmoins constater
qu'il reste peu connu en dehors des frontières du Mali, malgré
un apport  des plus considérables. Pour rendre hommage à l'un
des plus grands penseurs africains de l'histoire, le
gouvernement malien a décidé de donner son nom au Centre
de recherches historiques de Tombouctou inauguré le samedi
24 janvier 2009 par le président Amadou  Toumani TOURE et
son homologue sud-africain Kgalema MONTLANTHE.

Centre Ahmed BabaEn septembre 2004, le Monde Diplomatique


rapportait :" En choisissant le nom d’Ahmed Baba, érudit né en
1556 qui enseigna le droit (fatwa), les autorités saluent un
résistant à l’envahisseur marocain. Elles honorent aussi un
savant qui exerça une considérable influence sur ses
concitoyens et dont l’orthodoxie de ses enseignements continue
de marquer les esprits."  [29]

Koumbi saleh. Ancienne capitale de l'empire du Wagadou, connu sous


le nom de Ghana par les Arabes. Cette ville en pierre fut fondée au
IVème siècle

Intérieur

Intérieur

Le Centre avec vue sur Sankoré

En définitive, Ahmed Baba se révèle d'une grande importance


pour bien des Africains. Bien entendu, il est loin d'être un cas
unique, d'autres méritent également de sortir de l'ombre. Mais
la pensée du philosophe et son histoire très particulière,
l'érigent en véritable modèle pour le Soudan occidental, mais
aussi et surtout pour l'Afrique en général, ainsi que pour les
afro-descendants issus de la diaspora. Ce symbole puissant de
la littérature écrite précoloniale, qui met à mal la fable d'une
Afrique exclusivement orale. Symbolique aussi ce vieux
continent, que l'on disait sans histoire ou pas assez entrée
dans l'histoire. Ahmed Baba détruit tous ces mythes et surtout
bien des préjugés, encore aujourd'hui, des années après sa
mort. Il symbolise également ces Nations perdues, remplacées
par des états fantoches. Ce patriote avant l'heure, appelle de
par sa pensée, bien des Africains à se battre tous les jours
pour que la renaissance africaine ne soit pas une utopie. Il fut
l'un des grands penseurs de son temps, mais Ahmed le noir,
comme l'appelaient les savants Arabes, n'aura accompli
totalement son but, que si ses descendants parviennent à se
sortir de la tête que la pensée africaine n'a pas vue le jour au
XXème siècle et pendant  la colonisation. Cette même pensée
qui n'a pas attendu l'arrivée de l'Islam pour se déclarer et qui a
permis au docte Ahmed de Tombouctou de résonner d'une
base africaine, pour la transposer sur la morale islamique.
Ahmed Baba n'était pas non plus le fruit d'un produit oriental,
mais bien celui d'une culture locale plusieurs fois millénaires,
qui a su prendre les bons côtés de l'Islam afin de  se perpétuer
; tel que Aimé Césaire fit de même pour la langue française.
C'est tout cela Ahmed Baba, un homme d'une intégrité absolue,
un professeur engagé dans la transmission du savoir, mais
surtout et avant tout, un être humain qui a toujours refusé de
se soumettre, même face aux hommes les plus puissants du
monde.

Notes et Bibliographie

[1] Cf. Littératures et écritures en langues africaines, par Pius


Ngandu Nkashama, L'harmattan,1992, p 72

[2] Cf. Ibrahima Baba Kaké, Combat pour l'histoire africaine, éd.


Présence Africaine.

[3] Cf. Hesperis, 1967.

[4] Cf. le renouveau de l'identité juive à Tombouctou, par Karen


Prismack.

[5] Cf Monde Diplomatique, sept 2004.

[6] Cf. http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280- UN
GRAND MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE :
AHMED BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[7] Cf. http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280- UN
GRAND MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE :
AHMED BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[8] Cf. Zouber Mahmoud .pp.cit.p. 157, selon NSAME


MBONGO.

[9] traduction Zouber, selon NSAME MBONGO.

[10] Cf. http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280- UN
GRAND MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE :
AHMED BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[11] cité par Zouber, selon NSAME MBONGO.

[12] Cf. http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280, UN
GRAND MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE :
AHMED BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[13] Cf. Tarikh es-Soudan ou Histoire du pays des noirs par


Abderrahman es-Sa`di, châp XII.

[14] Cf. Tarikh es-Soudan ou Histoire du pays des noirs par


Abderrahman es-Sa`di, châp XIII, p 118.

[15] Cf. Tarikh es-Soudan, châp XIV, p 143.

[16] Cf. Tarikh el-Fettach ou Chroniques du Chercheur, 1509,


châp IX.

[17] Cf. Tarikh el-Fettach, châp VI, p 124.

[18] citation d'Abderrahman es Sa`di dans le Tarikh es-Soudan,


châp XVI , p 164.

[19] Cf. Tarikh es-Soudan - châp XVI , p 164-165.

[20] Cf. Zeys E.1900, " Esclavage et guerre sainte : consultation


adressée aux gens du Touat par un érudit nègre, cadi de
Timbouctou au dix-septième siècle " in Bulletin de la Réunion
d'études algériennes, II. pp, 133-134, - selon NSAME MBONGO.

[21] Il faut néanmoins rappeler que le songhai disposait alors


d'une Armée professionnelle, effective depuis le règne de
l'Askia Mohammed. Au cours de son histoire, le Soudan
occidental a disposé de forces biens plus considérables. Selon
El Bekri, l'Empire du Ghana au XIème siècle, disposait de 200
000 guerriers, dont 40 000 archers. Les sources arabes et
portugaises rapportent qu'aux XIVème et XVème siècles,
l'Empire du Mali s'appuyait sur une chevalerie de 10 000
hommes et sur 100 000 fantassins. En 1493, à Anghoke, plus
de 150 000 hommes engagés sur les deux côtés pour l'une des
batailles les plus sanglantes de l'histoire. Elle opposa Sonni
Baro à l'Askia Mohammed. Cependant, le chiffre pour Anghoke
doit être pris avec des pincettes, car je l'ai tiré du site : 

http://www.islandmix.com/backchat/f9/black-history-month-
let-education-begin-118159/index10.html

N'ayant pas retrouvé de sources anciennes, je ne suis pas sûr


de la véracité des chiffres donnés pour cette dernière bataille.

[22] Cf. Tarikh el-Fettach, châp XIV, p 264.

Cependant, le Tarikh es-Soudan annonce le chiffre de 12 500


chevaliers et de 30 000 fantassins, châp XXI, p 219. Ces
différences s'expliquent peut-être ; le roi du songhai s'était
dirigé avant la bataille, vers la ville de Oualata en Mauritanie,
avec toute sa cavalerie, pensant que les Marocains
attaqueraient de ce côté. Mais comprenant son erreur, l'Askia fit
 faire demi-tour, en direction du site de Tondibi. Cette marche
forcée, a forcément dû fatiguer un nombre considérable de
chevaux, les rendant inutilisables pour la bataille à venir. Pour
les fantassins, le chiffre dans le Tarikh es-Soudan est peut-être
exagéré, même si les cavaliers sans chevaux ont sûrement été
forcés de combattre à pied. Il arrivait aussi, qu'un chevalier
descende de sa monture pour se battre à terre. Ce qui peut
expliquer la confusion entre le nombre de cavaliers et de
fantassins au départ. Sans oublier les musiciens qui
encourageaient les soldats avant les combats et qui ont
sûrement étaient pris pour des combattants.

[23] Cf. Tarikh es-Soudan, châp XXI, p 222.

[24] Cf. Tarikh es-Soudan, châp XXII, p 240.

[25] Cf. Zeys E.1900, " Esclavage et guerre sainte : consultation


adressée aux gens de Touat par un érudit nègre, cadi de
Timboctou au dix-septième siècle " in Bulletin de la Réunion
d'études algériennes, II. pp, 133-134, - tiré du
site http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280 - UN
GRAND MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE :
AHMED BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[26] cité par Zeys, p.179 - selon le site


http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280 - UN GRAND
MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE : AHMED
BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[27] Cf. Zeys p.180 - selon le site http://ethiopiques.refer.sn


/spip.php?article1280 - UN GRAND MAÎTRE DE LA
PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE : AHMED BABA DE
TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[28] Cf. http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1280 - UN


GRAND MAÎTRE DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE MEDIEVALE :
AHMED BABA DE TOMBOUCTOU PAR NSAME MBONGO.

[29] Cf. http://www.africamaat.com/Les-manuscrits-de-
Tombouctou - Article extrait du Monde Diplomatique, sept.
2004.

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