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M odèles de religiosité dans l’Ouest saharien (17 e - 19 e siècle)

Faqîh, Sûfî et Shaykh

Rahal Boubrik

Rahal Boubrik, spécialiste d'histoire sociale et religieuse de l'Ouest saharien (Mauritanie et


Sahara Occidental). Docteur en histoire, chercheur associé à l'Institut d'Histoire Comparée
des Civilisations (Aix-en-Provence).

1
Le Faqîh

L’histoire de l’islamisation de la population du pays bidân, est longue et progressive ; elle


2
commence avec les missionnaires Ibadites (ibâdiyyîn), se poursuit par les Almoravides et
s’accomplit par les tribus arabes. Le processus de (ré) islamisation des tribus sahariennes
est marqué par des étapes successives.
3
L’islam, dans cette zone du monde islamique, est un islam Malikite fidèle à l’orthodoxie
4
sunnite - au moins depuis le mouvement des Almoravides. Le Muwatta’ de Mâlik, le
Mukhtsar5 de Khalîl, la Mudawwana6 de Sahnûn, la Risâla de Ibn Zayd7 et d’autres
classiques de la tradition sunnite restent les corpus de référence qui font autorité dans le
milieu lettré bidân. Le faqîh bidân était un “consommateur” des textes arabo-islamiques
élaborés à l’extérieur du pays. Les sources des bibliothèques étaient des livres importés
principalement du Maghreb et de l’Orient. Toutefois, les lettrés bidân ont enrichi ces textes
classiques par leur propre travail intellectuel de l’exégèse (shurûh, sing., sharh), et des
commentaires (hawâshî, sing., hâshiyya), pour les rendre accessibles à un large public.
Cette opération ne se limite pas à une simple explication, mais est généralement une
relecture accompagnée d’une interprétation de ces textes. Les shurûh de quelques lettrés
sont devenus des corpus en eux-mêmes, enseignés dans les grandes universités
maghrébines. Ce fut le cas de al-Futûh al-qawmiyya de ‘Abd Allâh And ‘Abd Allâh b. Ahmad
Al-Walâtî (m. 1037-38H/1628-29) qui figurait dans le programme de la prestigieuse

1
Faqîh : jurisconsulte
2
Branche de mouvement Kharijite.
3
La doctrine malikite (al-madhhab al-mâlikî) est fondée par Mâlik b. Anas (m. 796). Cette
école juridique fait partie des quatre doctrines qui règnent dans le monde musulman à côté
du hanfisme, shafi‘isime et hanbalisme.
4
L’oeuvre principale de Mâlik b. Anas ; le livre donne un tableau de la Loi et du droit, du rite
et de la pratique de la religion. Encyclopédie de l’Islam, t. VI, p. 248.
5
Ouvrage de Khalîl b. Mâlik, faqîh malikite d’Egypte mort au Caire en 1374. Le Mukhtasar
traite de rituel, du statut personnel et de questions diverses. Voir Encyclopédie de l’Islam, t.
IV, p. 996.
6
La Mudawwana est écrite par Abû Sa‘îd Abd as-Salâm, connu sous le nom de Sahnûn, un
faqîh de Kairaoun (Tunisie) qui a vécu entre 777 et 855. Il a joué un rôle important dans
l’introduction du Mâlikisme en Occident musulman. La Mudawwana fut écrite par Sahnûn à
son retour de l’Orient. Voir Encyclopédie de l’Islam, t. VIII, p. 872-873.
7
Vécu entre 922-961, chef de l’école Mâlikite de Kairouan.

1
université d’al-Qarawiyyîn de Fès (ABI ‘ÀBD ALLÂH AT-TÂLIB MUHAMMAD W. ABÎ BAKR
8
AS-SADÎQ 1981: 11) . Les shurûh étaient souvent aussi un sujet de convergence et de
débat théologique entre les fuqahâ’. Al-Hassan b. Arbîdî (m. 1122/1710) et le Sharîf al-Hâjj
Hamâ Allâh (m. 1169/1755), Shaykh Muhand Bâba ad-Daymânî (m. 1860) et le qâdî Sabîr
al-Arawânî, sont les personnages religieux du pays bidân qui, comme d’autres, ont critiqué
quelques aspects des shurûh du Mukhtasar écrits par leurs collègues maghrébins ou
orientaux (AL-MUKHTÂR W. HÂMIDÛN 1990: 12-13). Même si la production intellectuelle
des lettrés bidân s’inscrit dans une tradition orthodoxe conservatrice, il existait des
intellectuels qui ont entamé un travail de rénovation en critiquant parfois ouvertement leurs
propres milieux lettrés. Lamjaydrî (m. 1788) était l’un de ces fuqahâ’ qui a critiqué
violemment les doctrines traditionnelles et prôné un retour au Coran et à la Sunna comme
unique source de réflexion.
L’initiative de Lamjaydrî n’est pas passée inaperçue et il devint la cible de critiques violentes
de la part des autres fuqahâ’, notamment de son ancien maître al-Mukhtâr w. Bûna aj-
Jakanî (m. 1805) et de Abd Allâh w. al-Fâdil (m. 1794). Tous les deux ont consacré divers
écrits à réfuter les idées de Lamjaydrî (OULD ABDALLAH 1992-1993: 143 et f.) ; de plus,
Muhammad ‘Abd Allâh w. al-Bukhârî (m. 1315/1897) inscrit la confrontation entre Lamjaydrî
et ces fuqahâ’ dans le cadre de l’opposition entre les partisans de ‘ilm az-zâhir (science
exotérique) et ‘ilm al-bâtin (science ésotérique), ou encore entre fuqahâ’ et sûfî ; nous
développerons ce sujet ultérieurement.
Le deuxième personnage qui a entamé une oeuvre de novation, plus réfléchie et plus
conciliante avec le milieu traditionnel, est Muhammad al-Mâmî (m. 1865). Alors que la vie
intellectuelle est dominée par le conformisme et l’imitation (taqlîd)à tel point qu’un grand
9
savant comme an-Nâbigha al-Ghallâwî (m. 1829) interdit tout recours à l’ijtihâd (AN-
NAHWI 1988: 197), Muhammad al-Mâmî va procéder à un travail novateur (tajdîd) en
faisant référence à un hadîth du Prophète : « Dieu envoie au début de chaque siècle un
rénovateur (mujaddid) ». Il emploie dans sa démarche la méthode du takhîrîjj (ijtihâd
relative) et du tarjîh (préférence), deux principes de la science de l’ijtihâd. En même temps, il
critique les partisans d’une conformité totale avec les textes (Coran et hadîth) et qualifie leur
obstination d’erreur (zalâl) (MUHAMMAD AL-MÂMÎ 1995: 39). Muhammad Al-Mâmî a plaidé
pour le droit à l’ijtihâd et l’adaptation de la législation islamique au contexte historique et
social : « Si un qâdî arrive dans un pays, il ne faut pas qu’il donne des fatwâ avant de
connaître les coutumes des habitants de ce pays » (ibid.: 11.). Le souci majeur de
Muhammad al-Mâmî est la recherche de lois qui conviennent à la nature, aux habitudes, aux
nécessités et aux conditions de vie bédouines. Kitâb al-bâdiyya "le livre du désert" illustre
l’esprit même de la pensée de Muhammad al-Mâmî dans ce domaine, puisqu’il tente de
répondre aux questions importantes liées à la société bédouine bidân. Ce livre « constitue
probablement la tentative de synthèse la plus originale en matière de fiqh qui a été
entreprise par un juriste maure » ( OULD CHEIKH 1985: 804).

Centres urbains

Nous remarquons donc que la vie religieuse n’était ni statique ni homogène ; il y avait une
dynamique interne malgré la tendance conservatrice qui dominait en général l’activité
intellectuelle du pays. Nous centrerons maintenant notre étude sur le milieu lettré dans la
partie orientale du pays : le Hawd. Parmi les cinq grandes écoles urbaines recensées par al-
Mukhtâr w. Hâmidûn dans le pays bidân (AL-MUKHTÂR W. HÂMIDÛN 1990: 198 f.), deux
se trouvent dans la partie orientale, à Walâta et à Tîshît. Par ailleurs, de nombreuses

8
dorénavant Fath ash-Shakûr.
9
L’ijtihâd est un effort intellectuel pour répondre aux questions dont le Coran ou la Sunna ne
traitent pas.

2
mahdra et écoles bédouines commencent à affleurer depuis que ces villes ont perdu leur
rôle dans le commerce transsaharien. L’école de Walâta a été fondée par Yahya al-Kâmil,
l’ancêtre des Lamhâjîb, cette même tribu qui monopolisait les fonctions religieuses
importantes dans la ville. Walâta était un grand centre intellectuel dans la région et
également un carrefour culturel entre Tombouctou, Twât et le reste du pays, notamment
Shangîtî et Tîshît.
Les échanges intellectuels mutuels entre Tombouctou et Walâta étaient courants. Le cas de
la famille des Aqît illustre l’interaction culturelle dans cet espace bidân et soudanais. Dans
cette famille, figurent les personnages religieux les plus réputés dans la région. C’est en son
sein que fut recruté le qâdî de Tombouctou, poste important dans la vie politique de la ville
comme le note al-Fattâsh : « Tombouctou, en ce temps-là, [entre le 15ème et le 16ème
siècle] n’avait pas d’autre magistrat que le magistrat chargé de rendre la justice ; elle n’avait
pas de chef, ou plutôt c’était le câdi qui était le chef de la ville et qui seul possédait le droit
10
de grâce et de châtiment » (KATI 1964: 314 franç.) .
Les échanges culturels entre les deux centres s’opèrent à travers des voyages de lettrés de
Walâta à Tombouctou et vice-versa. Dans la ville de Tombouctou s’est constituée une
communauté des gens de Walâta et de Tîshît, probablement dans le cadre de l’organisation
du commerce transsaharien au sein duquel il existait une élite savante ayant réussi à
acquérir une notoriété à Tombouctou. As-Sa‘dî cite plusieurs lettrés originaires de Walâta
qui ont occupé des fonctions religieuses décisives dans la ville, depuis l’empire du Mali : «
Le jurisconsulte El-Hâdj, grand-père du Qâdî Abderrahman-ben Abou-Baker-El-Hâdj-Il, fut
investi des fonctions de qâdî de Tombouctou dans les dernières années de la dynastie des
gens de Melli. Le premier il ordonna de lire la moitié d’un hizb du Coran comme
enseignement. Cette lecture avait lieu dans la mosquée de Sankoré après la prière de l’asr
et après la prière du soir » (SAADI ABDERRAHMAN BEN ABDALLAH BEN IMRANE BEN
11
AMIR 1981: 45 franç.) . As-Sa‘di mentionne également la mort à Tombouctou de ‘Ali b. Abî
Bakr b. Sihâb al-Walâtî en 1605, qualifié ainsi par l’auteur : « Le vertueux, le saint, le dévot,
l’éminent, l’auteur de miracle, le jurisconsulte (...) né et élevé à Tombouctou » (Târîkh as-
Sûdân: 330 franç.). Cette communauté, intégrée dans la ville, avait gardé des liens
permanents avec son pays d’origine. D’ailleurs, les gens de Walâta sont désignés par
l’expression “Arabe de Oulata” (Târîkh as-Sûdân: 330 franç.). C’est dans les moments de
crise politique que ces liens se manifestent, comme ce fût le cas lors des deux événements
dramatiques de la ville : celui du siège de Sonni Ali au 15ème siècle et celui de la conquête
marocaine au 16ème siècle. Quand Sonni Ali entra dans la ville en 1468 : « les habitants de
Tombouctou s’enfuyaient, ceux originaires de Birou retournant à Birou, d’autres se rendant
au Foutouti et à Tichit, chacun cherchant un refuge dans son pays d’origine » (al-Fattâsh: 94
franç.). C’est dans les mêmes circonstances que de nombreux lettrés originaires de
Tombouctou ont fui la ville vers d’autres régions et en particulier vers Biro (Walâta) (Târîkh
as-Sûdân: 106 franç.). Le grand faqîh ‘Umar b. Muhammad Aqît quitta Tombouctou à cette
époque pour Walâta avec trois de ses enfants : Ahmad, Abd Allâh et Mahmûd (al-Fattâsh:
177 franç.). Mahmûd retourna ensuite à Tombouctou en 885H/1480, tandis que ‘Umar et
ses deux autres fils ont fini leur vie à Walâta. Mahmûd a probablement suivi sa formation à
Walâta puisqu’il était le moins âgé de ses frères. Il est né selon Ahmad Bâba at-Tanbaktî en
868H/1463, et dès son retour à Tombouctou, il se consacra à l’enseignement, avant de
devenir en 904H/1498 le grand qâdî de la ville (AHMAD BÂBÂ AT-TANBAKTÎ 1989: 607).
Le deuxième fils de ‘Umar, ‘Abd Allâh, s’est installé avant sa mort à Tâzzakhat, une ville qui
restait un lieu saint de pèlerinage pour les gens de Walâta. Malgré sa destruction par les
Awlâd Yûnis, les gens de Walâta ont continué « à visiter les tombeaux des Saints du village

10
dorénavant al-Fattâsh.
11
dorénavant Târîkh as-Sûdân.

3
[tâzzakhat] dont celui du savant et du walî ‘Abd Allâh b. ‘Umar b. Muhammad Aqît at-
Tanbaktî » (SÂLIH W. ABD AL-WAHHÂB: 13).
Par ailleurs, l’avènement de Sonni ‘Ali obligea la famille religieuse de Sîdî Yahya at-Tâdlî à
abandonner Tombouctou. Les quatre fils de Shams ad-Dîn b. Sîdî Yahya at-Tâdlî ont quitté
la ville « avec soixante savants parmi les savants de Tombouctou vers Walâta » (
12
MUHAMMAD AL-AMÎN W. ISHÂQ: 1) . Les fils de Shams ad-Dîn vont plut tard quitter
Walâta pour fonder la ville de Na‘ma ; ils seront les ascendants de plusieurs fractions
tribales shurfa des bidân, connues sous le nom de Glâgma. Des figures savantes de cette
famille sont citées dans Fath ash-Shakûr, telles celles de Sîdî b. Ahmad Hayba al-Qalgamî
(m.1180H/1766-67) et d’Ahmad b. Ahmad b. Hayba al-Qalgamî (m.1211-12H/1797-98).
L’occupation de Tombouctou par les Sa‘diens a provoqué également un grand mouvement
d’émigration au sein de l’élite intellectuelle de la ville à cause de l’humiliation et des
menaces que leur ont fait subir les Pacha. Nous pensons aux assassinats de grandes
figures religieuses de la ville comme celle du faqîh Muhammad al-Amîn b. al-Qâdî
Muhammad b. Muhmûd b. ‘Umar b. Muhammad Aqît. Le Pacha a déporté un peu plus de
soixante-dix membres de la famille d’ Aqît à Marrakech ; à l’exception d’Ahmad Bâbâ at-
Tanbaktî, aucun de ses membres ne retourna à Tombouctou (al-Fattâsh: 307 franç.). La
ville, après cette conquête, est devenue selon l’expression de l’auteur d’ al-Fattâsh, un «
Corps sans âme » (al-Fattâsh: 175 arabe).
Hormis Tombouctou, un autre centre sédentaire situé dans cette zone sahélo-saharienne a
connu une vie culturelle très active, il s’agit d’Arawân. Cette ville, considérée comme la
capitale de l’Azawâd, est située entre Tombouctou et Walâta, vers le Nord. Elle était
peuplée principalement de tribus d’origine Sanhâja et de la tribu Ma‘qil des Brâbîsh. Fath
ash-Shakûr cite plusieurs lettrés originaires de cette localité ; ainsi, il mentionne les grandes
« maisons scientifiques » de la ville comme celle de Sîdî al-Wâfî b. at-Tâlabna b.
Muhammad b. Sîdî Ahmad b. Adda al-Ghallâwî al-Arawânî, et son fils Tâlabna b. al-Qâdî
Sîdî al-Wâfî (m. 1180H/1766-67). Ces deux personnages originaires de la tribu des Laghlâl,
ont occupé la fonction de qâdî dans la ville d’Arawân (Fath ash-Shakûr: 102 et 216). D’après
les données rapportées par Fath ash-Shakûr, la ville était un carrefour de lettrés dans cette
zone saharienne. L’enseignement y était diversifié et riche. Enfin, les relations
économiques, culturelles et sociales entre Arawân et les centres urbains du pays bidân
étaient intenses.
Les centres urbains de l’Est du pays bidân ont constitué un carrefour culturel de médiation
entre le pays bidân et le Soudan. Walâta est l’un de ces centres à travers le pays, convoités
par les illustres savants comme par les chercheurs de savoir. Dans cette ville, le classement
des écoles obéit plus au critère de l’appartenance tribale qu’à celui du doctrinal. Ainsi al-
Mukhtâr w. Hâmidûn divise les écoles de la ville en école de Lamhâjîb, de Bârtil, de Iydilba
et de Laghlâl (AL-MUKHTÂR W. HÂMIDÛN 1990: 387). Ces écoles étaient très liées
puisque les membres des Laghlâl ou de Bârtil prenaient la ’ijâza (licence) des Lamhâjîb et
inversement. Les cours étaient donnés souvent dans des lieux privés. La maison du maître
se transformait en mahdra. La mosquée est l’un des lieux publics où s’organisaient aussi
cours et débats théologiques. L’imâm et le qâdî de la ville, aux fonctions hautement
13 14
symboliques, étaient élus par consensus (ijmâ‘) des Ahl al-hal wa al-‘aqd . Mais, bien
souvent, ces fonctions étaient réservées à quelques familles comme celles des Lamhâjîb en
ce qui concerne la ville de Walâta, ce qui relativise le concept de ’ijmâ‘. La fonction
appartenait à l’origine à la famille appelée imâmat - ce groupe a tiré son nom de cette

12
dorénavant Târîkh L-Glâgma.
13
Consensus des autorités religieuses sur une question juridique, sociale, politique, etc.
14
Littéralement « ceux qui ont qualité de délier et de lier », les représentants de la
communauté, qui, au nom de cette dernière, nomment et déposent. Voir Encyclopédie de
l’islam, t. I, p. 272.

4
fonction -. Ensuite, elle passa dans la famille d’Ahmad al-Wâli qui était à la fois imâm, qâdî
et chef temporel de la ville. Depuis le XIème siècle de l’hégire/ XVIIème, c’est la famille de
al-Imâm A‘mar qui monopolise ces rôles (AT-TÂIB BABAKAR B. AHMAD AL-MUSTAFA AL-
15
MAHJÛBÎ: 302) .
L’un des lettrés des Lamhâjîb qui appartenait à la fraction des imâmat, a cherché à justifier
ce monopole en remontant à l’époque du Prophète : « la tradition à Walâta concernant
16
l’imâmat est conforme à la loi islamique (shar‘), elle est éternelle et permanente chez les
Lamhâjîb tant qu’ils maintiennent la religion, comme l’a fait le Prophète à propos des clés de
Ka‘ba, qui sont entre les mains de Banî ‘Abd ad-Dâr éternellement [...]. Le pouvoir politique
(’imâra) appartient aux Quraysh [tribu du Prophète] tant que durera leur application de la
religion » (Manh: 301). Manifestement, le monopole par les Lamhâjîb de la fonction de
l’imâmat de la grande mosquée de Walâta était contesté. Ceci explique que d’autres tribus
ont fondé leur propre mosquée ; le même auteur mentionne à deux reprises l’existence
d’une autre mosquée appartenant à la tribu des Iydilba (Manh: 226 et 259) dont une partie
quittera Walâta au début du XIXème siècle pour s’installer à Na‘ma. Cette contestation se
traduit aussi par la position de l’illustre faqîh Muhammad Yahya al-Walâtî (1843-1912) de la
tribu des ‘Awlâd Dâwud qui prononça une fatwâ contre la prière du vendredi dans la
mosquée de Walâta. Il a en personne boycotté la prière dans cette mosquée, sous prétexte
que l’imâmat était monopolisé par Lamhâjîb et, selon lui, le fait que cette fonction soit
devenue héréditaire n’est pas conforme à la loi religieuse (OULD SA‘AD 1991-92: 89). C’est
probablement pour cette raison qu’ at-Tâlib Babakar b. Ahmad al-Mustafâ des Lamhâjîb,
l’auteur de Manh, s’est placé en défenseur de sa tribu quand il répliqua : « l’imâmat des
gens de Walâta est conforme à la loi, il n’est pas héréditaire, il ne peut demeurer que chez
les gens qui le méritent au nom de la loi divine » (Manh: 302).
Le monopole des charges religieuses, notamment l’imâmat de la mosquée, par une ou
quelques familles, était répandu également au Soudan comme le montre Elias N. Saad dans
son étude sur le milieu intellectuel de Tombouctou (SAAD 1983: 115.). Le phénomène de
l’héritage des charges religieuses officielles n’est pas propre à cette région puisque, déjà au
15ème siècle, l’auteur d’al-Mi‘yâr, al-Wansharîsî (m. 1508) protestait devant la multiplication
des maisons de science dynastique au Maghreb, et qualifie l’hérédité dans ce domaine de
bid‘a (AL-WANSHARÎSÎ t. II: 504. Voir aussi TOUATI 1993: 6).
Le deuxième centre important est celui de Tîshît. L’école de cette ville est apparemment
plus ancienne que celle de Walâta. Elle a été fondée par le Sharîf ‘Abd al-Mûman en
536H/1141. La ville était une oasis et un centre commercial qui reliait Tombouctou et Walâta
avec le nord du pays. Ses habitants d’origine étaient formés principalement des shurfa et
17
des Mâsna (AHMAD AL-AMÎN ASH-SHANQÎTÎ 1989: 459) . Le fondateur, ‘Abd al-Mûman,
était l’un des disciples du célèbre faqîh marocain al-Qâdî ‘Ayâd as-Sabtî (m. 1149). Il arriva
dans la région avec son compagnon al-Hâjj ‘Uthmân qui fonda par la suite l’école de Wâdân
dominée par les descendants Idawalhâj, dont le départ de Tîshît vers Wâdân sera dû au
conflit avec les Mâsna (SIDI BABA W. SHAYKH SIDIYYA 1992: 171). L’école de Tîshît était
formée de lignages savants comme la famille de Sharîf Sîdî Muhammad b. Fâdil (m. 1747),
d’ Ahl Nbûja, d’ Ahl Hamâhu Allâh et d’al-Hanshî dont l’ancêtre fut l’introducteur du
Mukhtasar de Khalîl. Divers sont les lignages appartenant aux groupes tribaux : les Ahl ‘Abd
al-Mûman, les Laghlâl, les Idawa‘lî, sans compter d’autres lettrés de la tribu des Mâsna et
des Tulba de Tîshît.
En plus de ces deux centres urbains, il nous faut mentionner Na‘ma qui a connu le
développement d’une activité culturelle à partir du début du 19ème siècle, avec l’immigration

15
dorénavant Manh
16
Conduite de la prière, fonction qui peut se combiner avec d’autre titres du chef d’une
communauté ou d’un groupe.
17
dorénavant al-Wasît.

5
d’un nombre important de lettrés de Walâta. Cette ville est connue pour son grand faqîh al-
Gasrî b. Muhammad b. al-Mukhtâr b. al-Gasrî (m. 1820) de la tribu des Iydilba, originaire de
Walâta ; ce faqîh est connu dans le pays bidân pour ses nawâzil (sing., nâzila) rassemblées
18
dans un corpus volumineux.
Outre ces centres urbains représentant les noyaux de l’activité culturelle et religieuse, la
bâdiyya (espace exclusivement nomade) a connu elle aussi des écoles ambulantes. Les
tribus, notamment zwâya nomades, ne sont pas restées en marge de la vie culturelle. De
multiples mahdra ont dépassé par leur réputation le cadre de leur propre tribu, grâce au
prestige de leurs maîtres auprès desquels on vient chercher la ’ijâza (licence, certificat)
dans un domaine de savoir spécialisé. Dans une société où la majorité de la population est
nomade, ces mahdra ont été le vecteur d’une tradition savante au coeur même des
campements nomades.
Ces écoles rurales se sont multipliées à partir du 18ème et du 19ème siècle. Plusieurs
arguments sont avancés pour expliquer la recomposition du champ de l’activité culturelle de
la ville en faveur de la bâdiyya. Dadoud w. Abdallâh estime que ce changement est dû à
l’éclatement du commerce transsaharien en faveur du commerce atlantique. La diminution
des activités commerciales dans les centres urbains aurait obligé les fuqahâ’ à émigrer vers
les espaces ruraux en proposant leurs services aux nomades (OULD ABDALLAH 1992-
1993: 83). Cependant, malgré l’importance de cette interprétation, nous pensons qu’elle
n’est pas suffisante, car aucune donnée ne nous démontre que la bâdiyya ne connaissait
pas une activité culturelle avant le 17ème siècle. De surcroît, le lien systématique entre
activité culturelle et activité économique est arbitraire ; certes les centres commerciaux du
pays ont commencé à perdre leur rôle économique mais il n’existait pas encore d’exode
massif vers la bâdiyya. Par ailleurs, les régions ayant bénéficié du développement du
commerce atlantique sont uniquement le Trârza et le Brâkna.
Les écoles de la bâdiyya du Hawd, malgré leur rôle, n’ont pas réussi à supplanter les
centres urbains, qui sont restés les lieux de production culturelle par excellence.
Le corps intellectuel du Hawd était principalement composé de lettrés issus des tribus
zwâya. Il s’est développé dans les centres urbains : Tâzzakhat, Tîshît, Walâta et Na‘ma. Le
faqîh n’était pas uniquement un personnage religieux qui se consacrait à la production
intellectuelle, il était également engagé dans la vie tribale. Il enseignait dans la mahdra,
conduisait la prière, jugeait les conflits, produisait des fatâwî, incitait les siens à suivre la
bonne voie. Il était également un personnage marqué par son appartenance tribale et
statutaire puisqu’il défendait les siens idéologiquement devant leur adversaire.

Du Tasawwuf aux Turuq

La tradition mystique était largement diffusée et accueillie au sein du milieu savant bidân.
19 20 21 22
Les livres des grands sûfî comme al-Ghazâlî , as-Suhrawardî , Zarrûq , Ibn ‘Atâ Allâh ,
23
Ibn ‘Arabî , étaient introduits au pays avec d’autres classiques de fiqh, de grammaire et

18
AL-GASRÎ, Nawâzil al-Gasrî, ms., IMRS, n° 3340, Nouakchott.
19
Abû Muhammad al-Ghazâlî (450-505/1058-1111) né et mort en Perse à Tus, sûfî et
juriste.
20
Shihâb ad-Dîn Yahya as-Suhrawardî (549-587/1154-1191), né en Perse et a vécu à Alep.
Fondateur de l’école philosophique de l’Ishrâq (illuminationniste).
21
Ahmad Zarrûq m. 899/1493-4, un illustre faqîh et sûfî shâdhilite de Fès.
22
Ibn ‘Attâ’ Allâh Ahmad Ibn Muhammad, (m. 709/1309), enseigna à al-Azhar en Egypte ;
sûfî Shâdhilî, il a écrit un célèbre recueil mystique Kitâb al-hikam.
23
Abû Bakr Muhammad Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî, (560-638/1165-1240), grande figure du
mysticisme né à Murcie, en Espagne. L’un de ces ouvrages les plus répandus est al-Futuhât
al-makiyya (les illuminations de la Mecque).

6
d’autres disciplines. Les Hukum d’Ibn ‘Atâ’ Allâh avaient été versifiés à plusieurs reprises,
dans la mesure où ils étaient un sujet fréquent des shurûh pour les lettrés bidân (AL-
MUKHTÂR W. HÂMIDÛN 1990: 33 f.). Le tasawwuf n’était pas considéré comme une
science rivale de la sunna puisque le faqîh bidân intégrait la pensée mystique dans sa
conception théologique. Mais il était, par ailleurs, réticent face à toute tentative poussant le
sentiment sûfî vers des pratiques mystiques extatiques et surtout politiques visant à engager
des membres de la communauté dans une aventure politique à l’instar des mystiques
marocains. C’est pourquoi au XVIIème siècle les fuqahâ’ dénoncent le mouvement politique
de Nâsir ad-Dîn d’inspiration mystique. At-Tâlib Muhammad b. Al-Mukhtâr b. La‘mash
(1625-1696), le mufti et le jurisconsulte de Shangîtî, a fourni des fatâwî qui dénoncent
l’action de Nâsir ad-Dîn. Il a également affronté l’Imâm al-Majdhûb, personnage mystique
24
qui a vécu à Atâr (Adrâr) à la même époque que Nâsir ad-Dîn (17ème siècle). Dans le
pays (avant le XIXème siècle) comme dans le reste du Maghreb, le mysticisme combine la
tradition la plus savante et le soufisme, synthèse qui traduit l’originalité de la région (
BERQUE 1958: 126.).
Le soufisme « orthodoxe » a commencé à s’inscrire petit à petit dans un cadre plus ou
moins confrérique, tout en conservant un certain élitisme. La Shâdhiliyya fait son entrée
dans le pays à travers les disciples de Muhammad b. an-Nâsir ad-Dar‘î (1603-1674),
25
fondateur de la zâwiyya de Tamgrût aux confins du sud du Maroc. Les premiers lettrés
bidân qui ont été en contact avec la Shâdhiliyya-Nâsiriyya, appartiennent à l’Est du pays
comme c’est le cas de : Sîdî Muhammad b. Sîdî ‘Uthmân b. Sîdî ‘Umar al-Mahjûbî al-Walâtî,
mort à Târûdânat (Taroudant, au Sud de Maroc) en 1132H/1719, ainsi que de Sîdî ‘Abd
Allâh b. Abî Bakr at-Tanwâjiwî mort en1145H/1733, et aussi de ‘Umar al-Khattât, connu
sous le nom d’ Atfâgha (1618-1696). Tous les trois sont originaires du Hawd et ont entrepris
26
des voyages vers le Sud du Maroc pré-saharien pour acquérir le wird shâdhilî de Ahmad
al-Habîb as-Sijilmâssî, disciple de Sîdî ’Ahmad ‘Abd al-Qâdir, qui lui-même l’avait acquis
directement de Muhammad b. an-Nâsir. Un autre faqîh, at-Tâlib Sîdî Ahmad at-Twâtî, avait,
quant à lui prit le wird an-Nâsirî de Sîdî Ahmad b. ‘Abd al-Qâdir sans passer par Sîdî
‘Ahmad al-Habîb as-Sijilmâssî. At-Tâlib Sîdî Ahmad at-Twâtî est originaire, d’après son
nom, du Twât (Algérie), il était installé à cette époque à Tîshît où il mourra en 1138H/1720 ;
selon Fath ash-Shakûr, il récitait : « d’une façon permanente les ’awrâd ; son wird était la
récitation 70'000 fois de : « il n’y a de divinité que Dieu et Muhammad est son envoyé », il
sortait en khalwa (retraite spirituelle) de l’aube jusqu’à ce qu’il finisse le wird (...) sa
bibliothèque est remplie de livres de tasawwuf. Il a pris la tarîqa Nâsiriyya et Ghâziyya et le
wird de son shaykh Ahmad b. Abd al-Qâdir » (Fath ash-Shakûr: 42 f.). De nombreux lettrés
ont pris le wird de la Nâsiriyya à travers at-Twâtî qui se trouvait à Tîshît. Parmi eux, on peut
citer : Muhammad b. at-Tâlib b. ‘Umar al-Bartulî et at-Tâlib Lahbîb, qui a transmis le wird à
at-Tâlib Ahmad b. ‘Uthmân (m.1194/1780), maître mystique de l’auteur de Fath ash-Shakûr
(al-Fattâsh: 59).
Il existe une deuxième chaîne de transmission de la Shâdhiliyya dans le Hawd qui se
rattache à Muhammad b. an-Nâsir sans pour autant passer par les personnages cités ci-
dessus. Cette voie d’introduction de la Shâdhiliyya est postérieure à la première. Son
principal représentant est Mûlây Zaydân b. Sîdî Muhammad b. Mûlây Ahmad, mort en
1202H/1787. Mûlây Zaydân est, selon Fath ash-Shakûr, celui : « qui a introduit le wird de

24
A propos d'al-Imâm al-Majdhûb voir OULD CHEIKH et SISON 1987: 48-80.
25
En ce qui concerne cette zâwiyya, voir HAMMOUDI 1980: 615-639.
26
Une série de formules coraniques récités chacune individuellement, en général une
centaine de fois ou plus, constituant un exercice religieux quotidien de concentration , matin
et soir. Le style et la formulation des awrâd (sig. wird) varient selon les turuq mais elle
comprennent une demande de pardon (istighfâr), une prière sur le Prophète et la shahâda.
GLASSE 1989: 411.

7
‘Abd al-Mâlik chez nous [les gens de Walâta] et chez les gens de notre pays (...) Il a visité le
pays de Takrûr quatre fois (..) il était dans notre Ksar [Walâta], nous cherchions sa
bénédiction à chaque moment » (al-Fattâsh: 100 f.). L’auteur lui-même avait accueilli Mûlây
Zaydân, pendant l’une de ses visites dans cette ville. Nous ne savons pas de quelle région
est venu ce personnage, toutefois son nom (mûlây) nous indique qu’il descend d’une lignée
de shurfa. Il est mort à « Iywâlan à la mosquée d’Ibn ‘Abd al-Karîm, située à la distance de
quatre étapes par rapport au Twât » (al-Fattâsh: 59). Cette deuxième donnée nous indique
qu’il est mort sur la route du Twât probablement pendant un de ses voyages habituels. Les
rares indications dont nous disposons sur ce personnage nous conduisent à supposer que
Mûlây Zaydân est un des shurfa de la région du Twât qui avait des échanges commerciaux,
intellectuels et sociaux anciens avec la ville de Walâta. Par ailleurs, une grande partie des
shurfa de Walâta sont venus du Twât. Ces shurfa ont certainement gardé des relations avec
leurs cousins du Twât. Rappelons que l’un des Shâdhilî résidant à Tîshît mentionné
auparavant est originaire du Twât.
Mûlây Zaydân introduisit dans la ville de Walâta le wird de Mûlây ‘Abd al-Mâlik (m. 1207H/
1792-93). Ce dernier est décrit par al-Bartallî comme le saint des saints et le shaykh des
shaykhs (shaykh al-ashyâkh), : « Son père Shaykh Mûlây ‘Abd Allâh ar-Ragânî lui a
transmis les ’awrâd (sing., wird) et la tarîqa, il a reçu lui-même la tarîqa de Shaykh Sîdî
Muhammad b. ‘Abd ar-Rahmân b. Abî Rayân de Shaykh Sîdî Mubârak al-‘Anbarî de Shaykh
Sîdî Muhammad b. an-Nâsir » (al-Fattâsh: 205). Mûlây ‘Abd al-Mâlik n’avait manifestement
jamais visité la région, il habitait une zâwiyya dans laquelle il accueillait ses adeptes et
recevait les dons (al-Fattâsh: 203). Il est difficile de localiser le lieu d’installation de ce saint,
mais nous pensons qu’il était lui aussi du Twât puisque l’auteur du Fath as-Shakûr nous
rapporte que ‘Abd al-Mâlik a reçu au Twât des shurfa ayant sollicité son intervention pour
arbitrer un conflit entre eux (al-Fattâsh: 204). Al-Mukhtâr w. Hâmidûn estime que le père de
Mûlây ‘Abd al-Mâlik est un Walâtî.
La Shâdhiliyya était diffusée dans le pays par le biais du milieu lettré et des shurfa. Les
premiers ont inscrit leur adhésion à la voie dans une perspective savante. En effet, pour les
fuqahâ mysticisants, le wird shâdhilî était une expérience mystique individuelle. Pour cette
raison, la Shâdhiliyya était connue au pays comme “la tarîqa des savants” (tarîqatu al-
‘ulamâ’). La transmission du wird shâdhilî s’effectue dans un cercle très restreint puisque ce
wird est réservé à une élite versée dans la connaissance théologique. Cette particularité de
la shâdhiliyya s’inscrit dans la longue tradition du courant sûfî. Ibn Abbâd ar-Rundî (14ème
siècle) et Ahmad Zarrûq, les deux figures du shâdhilisme au Maroc, ont incarné cet élitisme
non seulement aux yeux du peuple ‘ignorant’ (al-‘âmmat) et des mystiques populaires mais
aussi des “prétendus fuqahâ” (KABLY 1986: 316). Cependant, malgré leur rigorisme
mystique, ces ‘ulamâ’ shâdhilî vont préparer le terrain pour le développement des confréries
au Maroc : « En ce qui concerne les confréries, le point de départ doit être, une fois encore,
le groupe dominant des ‘ulamâ’ et en particulier la figure essentielle de Ahmad Zarrûq »
(GARCIA-ARENAL1990a: 1031).
Au pays bidân, la spécificité élitiste de la Shâdhiliyya va se transformer progressivement
avec l’arrivée d’une nouvelle catégorie d’émissaires shâdhilî dans le pays, notamment au
Hawd, qui développèrent des caractères de sainteté plus ou moins confrériques. Nous
avons vu que Mûlây Abd al-Mâlik était un homme de sainteté qui a fondé une zâwiyya dans
laquelle il recevait des adeptes et des chercheurs de la baraka. Cette nouvelle forme de
mysticisme populaire pour la Shâdhiliya était répandue au Maghreb notamment dans la
zâwiyya mère an-Nâsiriyya de Tamgrût. L’introduction du wird shâdhilî de ‘Abd al-Mâlik w.
‘Abd Allâh ar-Ragân dans le Hawd n’a pas créé immédiatement ce mysticisme populaire.
Néanmoins, il a préparé le champs religieux et social de propagation générale, au XIXème
siècle, du soufisme confrérique d’autres ordres mystiques, notamment la Qâdiriyya et la
Tijâniyya. Paradoxalement, la Shâdhiliyya, qui était considérée comme une tarîqa de
savants, deviendra plus tard, en particulier au Hawd, une tarîqa des plus engagées dans

8
des pratiques extatiques avec Muhammad Lagdhaf ad-Dâwdî. Ainsi deviendra-t-elle la cible
de critiques et ses membres seront excommuniés par les fuqahâ’ de la région. Muhammad
27
Yahya al-Walâtî (m. 1912) rédigea un texte Nasîhatu awlâd az-zawâya wa-at-tulba pour
réfuter les pratiques et les idées d’un shaykh de la Ghudhfiyya au Hawd.

Figures confrériques

La tradition saharienne et les écrits ont toujours attribué à Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî la
fondation de la Qâdiriyya saharienne. Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî est né en 1126 H/1722-23
dans l’Azawâd, dans la branche orientale de la confédération des Kunta Awlâd al-Wâfî. Les
Kunta sont une grande confédération tribale implantée dans plusieurs régions du pays bidân
et principalement au Tagânat, au Hawd et dans l’Azawâd. En remontant la généalogie d’ al-
Mukhtâr al-Kuntî, nous apprenons qu’il est issu d’une famille très marquée par la sainteté
(as-salâh) puisque son ancêtre Sîdî ‘Ali, est arrivé au Sahara du Twât et a eu un fils Sîdî
Muhammad al-Kuntî - l’ancêtre éponyme de la tribu des Kunta - de la fille de Muhammad
‘Alam Ibn Kunt, chef de la tribu berbère dominante à l’époque les Bdawkal. Sîdî Muhammad
al-Kuntî partira au Maroc chez Abû al-‘Abbâs as-Sabtî pour revenir doté d’une solide
formation et d’un statut de qutb (pôle de l’islam) (ar-Risâlat al-Ghallâwiyya: 42). Sîdî Ahmad
Al-Bakkây, fils de Muhammad al-Kuntî, sera le véritable fondateur de la tribu, il est celui qui
a « planté (mughris) l’arbre des Kunta » (ibid.: 43). Il laissa trois fils qui deviendront par la
suite les fondateurs des trois grandes branches de la tribu des Kunta : Sîdî Muhammad al-
Kuntî as-Saghîr, Abû Bakr et Sîdî ‘Umar Shaykh (ibid.: 43). Sîdî Ahmad al-Bakkây quitta le
nord du Sahara pour s’installer à Walâta. Selon les Kunta, il était le saint protecteur de la
ville et il a éloigné les risques d’attaques des lions qui, avant son arrivée, semaient la terreur
dans la ville. Ses miracles, liés à sa maîtrise des animaux sauvages ont amené les gens de
Walâta à solliciter sa baraka. Même après sa mort, ses Karâmât (prodiges) n’ont pas cessé
d’agir sur la vie des gens de la ville (ibid.: 45). Sîdî ‘Umar Shaykh fils de Sîdî Ahmad al-
Bakkây, est connu pour avoir été le compagnon du célèbre ‘Abd al-Karîm al-Mâghilî lors de
son pèlerinage et de sa rencontre avec ‘Abd ar-Rahmân as-Suyûtî (m. 1505) en Egypte,
28
autre grande figure historique de la vie religieuse musulmane .
Cet aperçu sur l’origine de Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî, montre qu’il est le descendant d’une
lignée qui a su développer des qualités de sainteté à travers les générations. En ce qui
concerne la formation intellectuelle de Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî, elle s’accomplit dans
l’Azawâd, région que, selon son fils, il n’aurait jamais quittée. La première étape de son
voyage à la recherche du savoir l’a conduit aux campements de la tribu as-Suqîyyîn ou Kel
as-Sûk. Cette tribu touareg est réputée pour sa foi religieuse et son rôle dans la propagation
de l’enseignement islamique et de l’arabisation de la population dans cette région ( NORRIS
1986: 248). Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî séjourna pour une courte durée dans la tribu des Kel
as-Sûk, puis se dirigea vers Tombouctou et ses premiers voyages s’achevèrent par la
rencontre de son maître en science ésotérique et exotérique : Sîdî ‘Alî b. an-Najîb (m.
1170H/1756-57). La transmission du wird de la Qâdiriyya à Sîdî al-Mukhtâr al-Kûntî est faite
par l’intermédiaire de ce dernier maître qui lui-même l’a pris de Sîdî al-Amîn ar-Raggâd et
ainsi de suite jusqu’à Sîdî ‘Umar Shaykh, fils de al-Bakkây qui lui, a pris le wird qâdirî de
‘Abd al-Karîm al-Mâghilî - selon la prétention de la tradition familiale - . La transmission du
wird est demeurée interne à la tribu des Kunta jusqu’à l’arrière-grand-père de al-Mukhtâr al-
Kuntî. D’après cette chaîne de transmission, nous constatons donc que le wird Qâdiriyya est

27
Ce même lettré avait émis des fatâwâ contre les pratiques mystiques extatiques pendant
son séjour au Maroc, certaines de ces fatâwâ sont publiées dans sa Rilhla..
28
J. Hunwick remet en cause la véracité de la rencontre entre ‘Umar Shaykh et les deux
hommes : al-Mâghilî et as-Suyûtî ; selon lui, cette rencontre était chronologiquement
impossible. Voir HUNWICK 1985, pp. 43-45.

9
introduit dans le pays avant Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî ; Sîdî ‘Umar Shaykh est mort environ en
960H/1553, d’ailleurs Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî ne prétend pas avoir introduit le wird, mais se
décrit comme un rénovateur (mujaddid) qui souhaite faire renaître la Qâdiriyya ; il est celui
qui a « ravivé les traces de la tarîqa après sa disparition et réanimé les vérités usées après
29
une longue mort » (SHAYKH SÎDÎ MUHAMMAD W. AL-MUKHTÂR AL-KUNTÎ: 5) .
Toutefois, la propagation de la Qâdiriyya, et en général le système confrérique avant Sîdî al-
Mûkhtâr al-Kuntî, demeure incertaine. En effet, ‘Umar Shaykh n’a pas organisé autour de lui
un groupe structuré de disciples dans la région saharienne, il a passé ses derniers jours en
retraite avant d’être assassiné dans les montagnes du Sous au Sud du Maroc (at-Tarâ’if:
80). A l’époque, la tribu des Kunta n’incarne plus le rôle strictement religieux développé
auparavant dans ces zones sahariennes. Dès le XVIème siècle, les Kunta se sont engagés
dans des conflits sociaux armés comme le décrit un manuscrit de 1551 traduit par A.G.P.
Martin. L’auteur, originaire du Twât, met l’accent sur le caractère guerrier des Kunta : «
Cette fois, les Kounta étaient venus [dans la région du Twât] en gens de guerre et non
comme des Merabtines [hommes de religion] ; ils commandaient à une troupe de 1'000
hommes recrutés chez les Arabes du Désert ; c’est ainsi que le Timmi fut contraint à verser
la somme en question [100 metkals] » (MARTIN 1923: 34). Ce témoignage nous démontre
qu’à l’époque les Kunta s’imposaient militairement dans ces zones sahariennes et étaient
plus soucieux de la conquête de nouveaux territoires pour asseoir leur suprématie tribale
que de la propagation de la Qâdiriyya. Ce n’est qu’au XVIIIème siècle que Sîdî al-Mukhtâr
al-Kuntî redonnera à la tribu sa dimension religieuse, en profitant à la fois de sa suprématie
militaire et de son implantation dans l’espace nomade, dans le but de propager ses idées
confrériques. Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî était le véritable re-fondateur et le propagateur de la
Qâdiriyya dans la région saharienne en s’appuyant sur l’influence de sa tribu et sur le
réseau de ses disciples, dans un contexte de crise politique, sociale, et religieuse
particulièrement propice. La Qâdiriyya connaîtra plus tard des ramifications.
Le deuxième grand courant confrérique dans le pays bidân est représenté par la Tijâniyya.
L’introducteur de cette tarîqa est Muhammad al-Hâfiz (m.1832) de la tribu des Idawa‘lî du
Trârza. Il est né au milieu du XVIIIème siècle. Sa grand-mère fut son première maître,
puisqu’elle lui enseigna Hikam de Ibn ‘Atâ’ Allâh, le Mukhtasar de Khalîl, l’ Alfiyya de Ibn Abî
Mâlik et la Risâlat de ‘Ibn Zayd al-Qayrawânî. Par la suite, il partit pour compléter sa
formation auprès des deux grands lettrés de son époque : Hurma w. ‘Abd al-Jalîl (1737-
1828) et ‘Abd Allâh w. al-Hâjj Ibrâhîm (1739-1818). En ce qui concerne son initiation à la
Tijâniyya, les données sont confuses. La version répandue fait commencer à la Mecque
l’itinéraire mystique de Muhammad al-Hâfiz : « Alors qu’il se recueillait autour de la Kaaba, il
entendit un homme louer le savoir et la sainteté de Cheikh Tijânî. Dès lors, ce nom resta
dans son esprit. Après avoir terminé ses obligations religieuses, il entreprit des recherches
en vue de regrouper des renseignements sur l’homme qui portait ce nom qu’il ne pouvait
plus oublier, et qu’il prononcera désormais au moins cinq fois par jour après ses prières »
(TRAORE1983: 39). Au cours de sa rencontre avec le khalîfa et le confident de Shaykh
Ahmad Tijânî qui est ‘Alî Harâzim, celui-ci lui communiqua l’adresse de la zâwiyya Tijâniyya
au Maroc et permit plus tard à Muhammad al-Hâfiz, de retrouver Shaykh at-Tijânî à Fès.
Cette version de la rencontre entre Muhammad al-Hâfiz et Ahmâd at-Tijânî est souvent
reprise par les auteurs. Un manuscrit hagiographique sur Muhammad al-Hâfiz, écrit par son
disciple et son successeur, nous rapporte une version moins connue. Selon Sîdî
Muhammad b. Sîdna surnommé Baddî, Muhammad al-Hâfiz a quitté son maître Abd Allâh
w. al-Hâjj Ibrâhîm au Tagânat, pour accomplir le pèlerinage : « En passant par Tâfilâlat, il
était très soucieux de trouver un shaykh spirituel (shaykh at-tarbiyya), il attendit jusqu’au soir
du vendredi et il visita le tombeau de Sîdî al-Habîb (...) il pria Dieu pour le guider vers un
shaykh. En arrivant à Fès, la ville était divisée entre ceux qui reconnaissaient le shaykh [at-

29
dorénavant at-Tarâ'if.

10
Tijânî] et les autres. Grâce à Dieu, il rencontra des fidèles du shaykh qui le guidèrent
jusqu’au shaykh [Shaykh Ahmad at-Tîjânî] » (SÎDÎH MUHAMMAD B. SÎDNA surnommé
BADDÎ 1995: 48). Par ailleurs, Muhammad al-Hâfiz a rencontré Sîdî Harâzim à Fès,
contrairement à la première version qui situe cette rencontre à la Mecque. Muhammad al-
Hâfiz a assisté à la dictée par Shaykh Ahmad at-Tijânî de son livre Jawâhir al-ma‘ânî à Sîdî
Harâzim (ibid.: 61). Observons que Muhammad al-Hâfiz a visité le tombeau de Sîdî al-Habîb
dans le Tâfilâlt. Ce même personnage fut visité par les trois premiers lettrés shâdhilî
originaires du Hawd auxquels il a transmis le wird shâdilî-nâsirî.
Avant son retour dans son pays natal, Muhammad al-Hâfiz fut désigné par le grand shaykh
Tijânî comme khalîfa (représentant), ayant le droit de transmettre le wird tijânî. Il a
commencé sa propagande confrérique au sein de sa propre tribu Idawa‘lî qui était largement
implantée dans le pays et reconnue pour sa religiosité. En fait, les Idawa‘lî sont les
fondateurs d’une des plus anciennes villes du pays bidân, Shangîtî. Leurs cousins de
Tagânat ont fondé Tijagja, et leurs lettrés avaient une renommée qui dépassait largement le
pays. Cette tribu était implantée en Adrâr, Tagânat et Trârza. Ses membres avaient une
réputation de grands commerçants dans toute l’Afrique Occidentale. Tous ces facteurs vont
assurer une meilleure diffusion de la Tijâniya dans le pays, à tel point que l’histoire de la
tribu se confond avec celle de la Tijâniyya, comme l’énonce l’expression : « Un Idawa‘lî ne
peut être que tijânî ».
A l’opposé de la Qâdiriyya et de la Tijâniyya, la Shâdhiliyya n’a pas connu un grand succès
dans le pays. Il existe une autre voie connue sous le nom de la Ghudfiyya, du nom de son
fondateur Muhammad Laghdaf. Cette voie se situe entre la Qâdiriyya et la Shâdhiliyya et
ses adeptes vénèrent les saints des deux confréries. La Ghudfiyya est l’une des confréries
les plus structurées. Par ailleurs, à côté de ces deux grandes turuq traditionnelles, il existe
de petites turuq qui n’ont pas connu une grande longévité et dont l’influence est restée très
limitée. C’est le cas de la Saddiqiyya et de la Khudriyya. As-Saddiqiyya n’a pas pu résister
aux attaques et à la condamnation par le milieu savant du Trârza de la fin de XIXème siècle.

La bâdiyya : fief des confréries

Nous constatons que le mouvement mystique, dans son expression confrérique, a trouvé
son point de départ initial dans les villes (Walâta et Tîshît) mais sa propagation et son
ampleur ne se sont focalisées qu’à partir de la bâdiyya. Les fondateurs des confréries sont
issus principalement d’un milieu tribal entièrement nomade. Quelques-uns ont tenté de
construire des centres urbains, mais ce phénomène n’est apparu qu’ultérieurement et
constitue le résultat de plusieurs années d’action sur le terrain. Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî,
Muhammad al-Hâfiz, Muhammad Fâdil, Sidiyya al-Kabîr et Muhammad Laghdaf, ont agi
dans un espace nomade puisque leurs entreprises religieuses ont fleuri dans la bâdiyya et
que leurs tribus ont constitué pour eux le premier cadre d’action, avant que leur clientèle ne
s’élargisse à d’autres tribus avoisinantes.
A. Dadoud a souligné qu’à partir du 18ème siècle, un changement s’est produit dans la vie
intellectuelle du pays ; les campagnes ont commencé à développer une activité culturelle
importante, elles ont même réussi à attirer de nombreux lettrés de certains centres urbains.
Ce facteur ne paraît pas suffisant pour expliquer la montée de l’islam confrérique dans la
bâdiyya, puisque l’auteur ne nous donne pas d’indication sur le modèle de religiosité qui
s’est développé dans ces zones nomades à cette période. En ce qui nous concerne, nous
pensons, comme E. Gellner l’a remarqué pour la campagne marocaine, que les tribus
nomades ont opté pour un certain modèle de religiosité et pour des agents religieux qui
conviennent aux conditions culturelles, sociales et religieuses locales : « la signification des
lignages tribaux sacrés est de satisfaire au besoin d’incarnation du Verbe dans un milieu qui
- privé de la littérature des villes - ne peut employer les ulama. Les lignages d’hommes
saints sont donc une alternative aux ulama, alternative qui, en même temps, dans

11
l’économie spirituelle plus large de l’Islam, est parasitaire. Ils fournissent une alternative et,
de fait, ils servent et représentent des valeurs autres que celles des ulama. La société
tribale a ses valeurs et ses attitudes, que les saints de la tribu servent et symbolisent »
(GELLNER 1970: 701). Les centres urbains tels Walâta et Tîshît ont connu l’émergence du
soufisme, toutefois les lettrés de ces deux localités sont restés très soucieux de ne pas
s’engager plus loin dans la mystique confrérique. Dans le pays bidân, les villes étaient
depuis longtemps dominées par une élite savante conformiste. Lorsque nous recensons les
corpus des fatâwî ( sing., fatwâ) les plus connus dans le pays, nous remarquons qu’ils sont
produits par des lettrés d’origine citadine : Muhammad al-Mukhtâr w. La‘mash (Shangîtî m.
1695), ‘Abd Allâh w. al-Hâjj Ibrâhîm (Tijagja m. 1818), al-Gasrî (Walâta et Na‘ma m. 1820),
Muhammad Yahya al-Walâtî (Walâta m. 1912). Les fatâwî et nawâzil sont un moyen de
conserver un droit de regard sur la communauté pour qu’elle demeure fidèle aux principes
de la religion tels qu’ils sont prescrits par l’orthodoxie. Ces fatâwî reflètent également le
souci du faqîh de maintenir une culture religieuse figée. C’est essentiellement dans ces
centres urbains que cette catégorie de religieux a prospéré en raison d’un milieu propice
(rente de commerce, centre d’attraction pour l’activité intellectuelle, ...). Cet état de fait a
laissé en marge une large partie de la population qui vit éloignée de ces centres et qui ne
s’identifie pas entièrement à ce modèle rigide de religiosité. M. Arkoun a également établi
une distinction, voire une opposition, entre un savoir scolastique se référant à la Raison
orthodoxe et un autre modèle de savoir-faire empirique. Selon lui, le premier, qui se réfère à
une Raison islamique et qui correspond souvent à un état politique, économique et social
des sociétés musulmanes, ne peut réussir à conserver sa mainmise sur le champ religieux,
notamment dans les espaces qui échappent généralement au contrôle symbolique des
fuqahâ’ : « Tandis que des fuqahâ’ conformistes reproduisent un enseignement d’école
(madhhab) dans des métropoles déchues ou en régression, des clercs de formation encore
plus rudimentaire vont diffuser un islam simple, perméable aux croyances et aux valeurs
symboliques locales, dans des campagnes et des montagnes isolées. Ces clercs appelés
marabouts ou saints ou chefs de confréries, s’intègrent eux-mêmes dans les structures
sociales et les savoir-faire empiriques propres aux groupes d’accueil » (ARKOUN 1984: 27).
C’est cette dimension fonctionnelle des hommes de religion confrériques qui a favorisé leur
succès parmi des bédouins qui cherchaient un islam moins rigide et plus proche de leur
pratique spirituelle.
La dichotomie ville/bâdiyya peut paraître inopérante dans un espace bédouin comme celui
que nous étudions, cependant cette dualité subsiste entre les habitants des ksûr (Walâta,
Tîshît, Na‘ma, ...) et la bâdiyya. En retraçant l’histoire de la formation des foyers intellectuels
de la région, nous constatons que ces centres culturels et religieux se sont principalement
développés dans ces ksûr. Certes, la séparation entre les espaces sédentaire et nomade
est moins visible qu’ailleurs, mais leur différence est sensible notamment concernant les
modalités de religiosité.
Il faut souligner que les mashâyîkh (sing., shaykh) confrériques au pays bidân, en
l’occurrence les mashâyîkh-fondateurs, n’étaient pas de simples hommes de religion
possédant une formation religieuse rudimentaire, mais également des fuqahâ’ très versés
dans la science exotérique comme c’est le cas de Sîdî al-Mukhtâr al-Kuntî et de Sidiyya al-
Kabîr. Mais, dans leur action religieuse, ils ont agi comme des hommes de confrérie et non
comme des fuqahâ’. Nous pouvons même dire que leur savoir exotérique n’était employé
que face à leur adversaire fuqahâ’, pour se défendre contre des attaques le plus souvent
basées sur des questions théologiques.
Pour conclure notre analyse, nous traiterons d’un facteur important, puisque partagé par
tous les acteurs de l’islam sûfî et confrérique dans les premiers temps : le fait que tous ces
agents religieux soient passés par le sud marocain. Ainsi, ‘Umar Shaykh, le premier
détenteur du wird qâdirî selon la tradition des Kunta, fut assassiné par des pillards berbères
sur « le sommet d’une montagne du Sûs » (at-Tarâ’if: 80). Son tombeau est devenu plus

12
tard un sanctuaire pour les habitants de cette région et il est même considéré, d’après at-
Tarâ’if, parmi les plus vénérés des saints du Sûs (sulahâ’ Sûs) (ibid. 80.). Sa mort est
survenue vers 960H/1552-53.
En outre, la quasi majorité des premiers shâdhilî du pays ont entamé des voyages au sud
du Maroc, notamment à la zâwiyya de Tamgrût d’an-Nâsirî. Muhammad al-Hâfiz al-‘Alawî,
avant de rencontrer Sîd Ahmad at-Tîjânî, est passé par le Tâfilâlat, et c’est dans cette région
qu’il reçut le conseil de se rendre à Fès. L’un des anciens livres sur le soufisme au Maroc
est consacré à cette région du Sud. Son auteur, Abû Ya‘qûb Yûsuf Ibn Yahya, at-Tâdlî (m.
1229-1230), dresse la biographie hagiographique de nombreux saints et mystiques ayant
vécu aux XIème, XIIème et XIIIème siècles. Il intitula son livre at-Tâshâwwuf ilâ rijâli at-
Tâsawwuf (AT-TÂDLÎ 1958). Al-Mukhtâr as-Sûsî, dans son travail encyclopédique sur le Sûs
(AS- SÛSÎ 1960), retrace l’histoire religieuse, culturelle et politique de cette région en
mettant l’accent sur son rôle important dans l’histoire régionale. En effet, l’une des figures
marquantes de la région puisqu’il est l’initiateur de la propagation de l’islam confrérique, est
Abû ‘Abd Allâh Muhammad Ibn Sulaymân al-Jazûlî (m. 870/1465). Appartenant à la tribu
berbère des Jazzûla, ce personnage a été le fondateur au Maroc de la première tarîqa qui
se référait à la Shâdhiliyya. Ce n’est qu’à partir de ce moment que le soufisme a pris une
dimension confrérique. La quasi totalité des confréries au Maroc se rattachent à cette figure
mystico-religieuse. Selon Mumti‘ al-asmâ‘ d’al-Mahdî b. Ahmad b. ‘Alî b. Abî al-Mahâsin : «
Al-Djazoûlî forma des chaikhs illustres. Il fut dans le Maghrib le restaurateur de la tarîqa,
dont il ne restait plus de traces et dont les lumières étaient éteintes. Il eut, dit-on, douze mille
six cent soixante-cinq disciples : tous retirèrent de sa compagnie les plus précieux
avantages, chacun dans la mesure de son talent et suivant qu’ils approchèrent le chaikh de
plus près. Ces disciples, en se dispersant de tous les côtés de la terre, répandirent partout
les doctrines du Maître ; ils formèrent à leur tour des disciples et ainsi se propagèrent au loin
et la renommée et la Tarîqa d’Al-Djazoûlî » (IBN ‘ASKAR 1913: 278). Plus tard, diverses
confréries et zâwiyya virent le jour au Sud du Maroc. Leur influence a toujours dépassé le
cadre local. Geertz, qui qualifie cette époque de propagation du sentiment mystique de
“crise maraboutique”, l’interprète comme une conséquence de l’échec des mouvements des
réformateurs visionnaires de retour de l’Orient (leaders des mouvements almoravides
(11ème) et almohades (12ème)). C’est l’effondrement de l’ordre politique entrepris par ces
deux mouvements qui a provoqué « la plus grave dislocation spirituelle que le pays ait
jamais éprouvée » (GEERTZ 1992: 23).
J. Berque, quant à lui, voit dans la naissance de ce mouvement religieux confrérique à partir
du Sud du Maroc une réplique symbolique des Berbères à la conquête des tribus Ma‘qil. Ce
qui ressort de la confrontation entre les deux groupes sociaux est que l’incarnation de l’islam
par des groupes berbères a développé une identité « maraboutique », par contraste avec le
caractère guerrier et violent des tribus bédouines. L’ampleur de ce mouvement religieux
dépassera les frontières du Sud du Maroc. Depuis lors, la région fut considérée comme une
source de sainteté. J. Berque se situe au sud, vers la Sâgiya al-Hamrâ’ (nord du pays bidân)
pour illustrer sa thèse : « Selon les pieuses étiologies qui aujourd’hui encore attribuent la
plupart de ces aventures à des gens venus de la fabuleuse Saguiet al-Hamra, le
mouvement s’est propagé depuis le Sahara atlantique en direction de l’est. Autant dire qu’il
répliquait géographiquement celui des Banî Hilâl, en même temps qu’il le relayait
chronologiquement. Les Arabes bédouins, apparus en Ifriqîya vers le milieu du XIe siècle,
étaient parvenus dans la dernière moitié du XIIe au rivage de l’Océan. Or c’est de cette
époque que l’on peut dater le départ d’une nouvelle propagation, qui vise, elle, l’Orient :
retour aux sources, ou réorganisation sémantique du Maghreb ? L’un et l’autre sans doute.»
(BERQUE 1978: 54) Au-delà de cette interprétation qui demeure discutable sur certains
points, notamment celui de l’opposition entre : Berbère = sédentaire = marabout/Arabe =
bédouin = guerriers, la Sâgiya al-Hamrâ’ deviendra ce noyau de sainteté dans la région.
Ceci créera par la suite dans tout le Maghreb le mythe de la Sâgiya al-Hamrâ’, terre des

13
saints : « de fait, il n’est que de parcourir le Maroc ou l’Algérie et d’interroger les indigènes
sur les saints dont les tombeaux apparaissent un peu partout, pour retrouver fréquemment
le souvenir de cette origine saharienne des marabouts » (de LA CHAPELLE 1930: 47).
Jocelyne Dakhlia a recueilli dans le Jérid (Tunisie), des traditions qui font remonter l’origine
de la majorité des saints personnages de cette région à la Sagiyya al-Hamrâ’ : « les
traditions locales instaurent la Saguia al-Hamra comme le lieu d’une véritable refondation de
l’Islam » (DAKHLIA 1990: 183).
La thèse de J. Berque sur l’émergence du soufisme, comme expression d’une riposte à
l’anarchie provoquée par les tribus arabes, est similaire à celle présentée par Ibn Khaldûn il
y a cinq siècles : « De temps en temps paraissait un homme qui entreprit de soutenir la
sunna et de mettre fin aux actes répréhensibles. En s’occupant de cette tâche, il gagnait de
nombreux partisans, dont le principal était de veiller à la sûreté des voyageurs ; car les
Arabes nomades, voulant pourvoir à leur propre subsistance de la manière qui leur était la
plus naturelle, [...], commettaient de grands excès. Ces réformateurs faisaient tout pour
mettre un terme à ces désordres, et tâchaient surtout de pourvoir à la sûreté des voyageurs
» (IBN KHALDOUN 1934: 204).
Ces thèses nous amènent à poser le problème du mouvement de Nâsir ad-Dîn (17ème
siècle) en pays bidân. Ne s’inscrit-il pas dans la perspective décrite par J. Berque et par Ibn
Khaldûn ? En effet le mouvement de Nâsir ad-Dîn coïncide avec ce courant de soufisme et
de mahdisme qui a régné au Maghreb ; il est d’ailleurs le prolongement saharien de ce
phénomène social et religieux. Nâsir ad-Dîn peut être considéré comme l’incarnation du
mahdî maghrébin dans son mysticisme militant, dans une période de transition politique et
sociale. Selon Garcia-Arenal : « Si le personnage du mahdî est endémique dans l’histoire de
Maghreb, il est particulièrement productif pendant des périodes de poussée sûfie,
notamment le 13ème et les 15-17ème siècles, ce dernier connu comme un siècle de “ crise
maraboutique ” où le sûfisme militant extrême coïncide avec la prolifération de zâwiya. Ces
siècles sont aussi tous les deux, des périodes de transition où se produit une profonde
désorientation et des troubles sociaux » (GARCIA-ARENAL1990b: 252).
Le mouvement mystico-politique de Nâsir ad-Dîn s’insère dans un contexte général à tout le
Maghreb, mais sans pour autant qu’il soit l’expression d’une confrontation principalement
30
ethnique (Berbère/Arabe) . Notons que J. Berque, qui avance cette opposition pour
expliquer la montée du soufisme, mentionne néanmoins que le terme “Arabe” employé dans
les écrits de cette époque traduit un genre de vie plutôt qu’une origine (BERQUE op. cit.:
63). Cette remarque vient infirmer l’hypothèse du dualisme ethnique. Le contenu du concept
d’ “arabe” n’est pas propre au Maghreb, puisqu’en Orient, il a pris également une dimension
plus large dans un processus de formation d’une identité culturelle principalement fondé sur
l’islam : « Le concept “arabe” élargit graduellement son contenu, jusqu’à inclure les hommes
de naissance non arabe » (GRUNEBAUM 1973: 21).

Conclusion

L’islamisation du pays est entamée avec le mouvement des Almoravides qui a instauré un
islam sunnite malikite. Cette islamisation s’est articulée, par la suite, autour des villes
commerciales et d’un milieu lettré hautement instruit. Les échanges commerciaux et les
crises politiques ont contribué à la mobilité des savants et des idées entres les centres
urbains. Le corps des savants était composé, dans sa grande majorité, par des lettrés issus
de milieu zwâya.

30
Ce mouvement est présenté par la majorité des auteurs coloniaux comme un conflit
ethnique entre Berbères (Sanhâja) et envahisseurs arabes (Ma‘qil). Cette thèse reflète bien
plus la vision idéologique réductrice des administrateurs coloniaux que la réalité historique
et sociale de l’époque.

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Les idées soufies étaient intégrées dans la formation et la réflexion religieuse des lettrés
bidân, mais cette présence de la pensée soufie était orientée vers une mystique modérée.
Le milieu lettré était méfiant des aspects extatiques du tasawwuf. La combinaison entre la
tradition savante et le mysticisme était la règle dominante. Cependant la propagation de
l’islam confrérique n’a commencé réellement qu’avec l’introduction de la Qâdiriyya et de la
Tijâniyya. Par ailleurs, les villes ont constitué le point de départ d’un islam mystique,
cependant nous constatons que l’islam mystique dans son expression confrérique affichée a
trouvé ses bases dans le milieu nomade (bâdiyya). Les acteurs de l’islam confrérique sont
issus des tribus nomades et ont mené leur action dans des espaces nomades. Les zones
nomades ont adopté un modèle de religiosité confrérique moins rigide pour échapper à un
modèle orthodoxe prôné par les fuqahâ’ des villes.

Résum é
Nous avons à travers cet article illustré les différentes modalités de religiosité dans l'Ouest
saharien sur trois siècles (XVIIème-XIXème). La vie religieuse dans cette région s'est
articulée autour de trois principaux acteurs: le faqîh représentant d'une interprétation
orthodoxe, le sûfi combinant le savoir exotérique et ésotérique et le troisième, qui est le
shaykh homme de religion confrérique. Cette dernière catégorie occupe une place
importante dans notre travail, vu le rôle qu'elle a joué sur le plan social et politique durant
tout le XIXème siècle. Nous avons étudié l'évolution et le champ de réflexion et d'action
sociale et spatiale de chacun de ces hommes de religion.

Abstract
This text evaluates the differing nature of religious life in Western Sahara over the three
centuries between 1600 and 1900. It categorises religious life as revolving around three
principal actors: firstly the faqih, who represented the religious orthodoxy of the period,
secondly the sûfi, who combined exoteric with esoteric knowledge, and thirdly, the shaykh,
the man who led religious brotherhoods. This last category has a central role in religious life
due to the social and political roles they played during the 19th century. The article examines
the social and spatial context of the roles of each of these three religious actors.

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