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org/cjb/827
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p. 341-353
Résumé
Texte intégral
1 Depuis quelques années, j’étudie les usages politiques des
identités collectives et plus particulièrement l’élaboration
de l’identité nationale marocaine, sur le plan politique et
culturel. Parallèlement à cette étude, je me suis intéressé
aux approches anthropologiques qui ont contribué à la
conception d’une identité culturelle marocaine. Au début
du siècle passé, la catégorie « culture marocaine » n’allait
pas de soi. Son existence même était liée aux cadres
théoriques des auteurs qui l’avaient élaborée. Chercher un
contenu universel à des faits culturels locaux ou assigner
des limites tribales, linguistiques (berbérophones ou
arabophones), religieuses (civilisation musulmane),
politiques (culture nationale) etc., dépend des différentes
manières d’approcher la culture. Partant de cette idée, je
propose de commenter quelques approches
« occidentales » de la « culture marocaine ».
Culture universelle
2 Doutté commence ainsi son livre sur la magie et la religion
: « C’est une chose malaisée à définir que ce que nous
appelons une « civilisation » : obligés de préciser l’objet de
notre étude, nous dirons, sans nous dissimuler que cette
définition est toute extérieure et approximative, qu’une
civilisation est l’ensemble des techniques, des institutions
et des croyances communes à un groupe d’hommes
du nôtre ».
16 Sans le démontrer, le fond berbère est présenté comme le
fond commun à toutes les populations marocaines, qu’elles
parlent ou non le berbère. « Si les Marocains ne
constituent pas un peuple au point de vue politique,
linguistique, ethnique ou social, ils ont cependant une
mentalité commune dans ses grands traits, une mentalité
berbère, et ce sont ces traits, ces cinq ou six grands
instincts qu’on retrouve dans les forêts et dans les palais
qu’il s’agit de dégager. »
17 La mentalité des Marocains est réduite à quelques traits
psychologiques tels que l’impulsivité, la vanité, le désir de
paraître, l’amour propre exagéré et la sensualité. Les
Marocains sont extrêmes en tout, ils sont impulsifs, ils
exagèrent toujours. « Ce trait explique ces contrastes de
générosité et d’avarice, de courage et de panique, d’ardeur
et de lassitude. » Ces propositions sont fondées sur un
choix éclectique d’exemples illustratifs et non sur des
descriptions. « A la moindre nouvelle alarmante, vraie ou
fausse, on voit les cours du marché s’élever ou s’effondrer
sans raison ; les boutiques se ferment, on liquide à vil prix ;
on refuse le papier monnaie et on achète des quantités :
c’est trop souvent la panique ou l’emballement. » « Des
élèves arrivent à l’école ; ils veulent tout savoir, tout
apprendre ; les programmes pour eux ne sont pas trop
chargés, les journées sont trop courtes et les vacances trop
longues ; ce beau feu dure un mois ou deux, puis l’élève
disparaît. »
18 Le Marocain est un épicurien : « Le Marocain, qu’il soit de
la montagne ou de la plaine, paysan ou citadin, recherche
les jouissances matérielles et la volonté de toute force. » Il
est susceptible, il est cupide, vaniteux, il est matérialiste
mais très religieux. Ce qui différencie la mentalité
marocaine de celle française, « c’est surtout une question
d’équilibre et de régularité : chez nous, les instincts, les
mêmes instincts que ceux des Marocains, agissent
simultanément et tentent une harmonie sous l’égide de la
raison ; chez l’indigène, les instincts s’emparent tour à tour
Bribes culturelles
32 A partir des années 70, l’anthropologie interprétative est
devenue la cible des critiques de jeunes anthropologues
américains. Ces critiques partent des réflexions sur la
nature de la rencontre ethnographique, ses implications
scientifiques, éthiques et politiques. On peut réunir ces
critiques autour de l’autorité de l’observateur et de
l’auteur. Crapanzano critique ce qu’il appelle la neutralité
et l’invisibilité de l’auteur. Il s’appuie sur une étude de
Geertz relative au combat de coqs. Il remarque que Geertz
emploie le « je » au début du texte, juste pour montrer
qu’il était bien là-bas, qu’il était bien avec les habitants de
Bali, qu’il est tellement avec eux qu’il a également pris la
Notes
1. Paru dans Le Maroc à la veille du troisième millénaire, M. Berriane
et A. Kagermeier (éd.), Publications de la Faculté des lettres et des
sciences humaines de Rabat, série Colloques et séminaires n° 93, 2001,
p. 49-155.
2. Franz Boas est l’un des premiers anthropologues à critiquer les
présupposés évolutionnistes selon lesquels l’histoire de la vie culturelle
de l’humanité suit des lois définies et applicables à toutes les cultures.
En 1896, il propose déjà une « étude détaillée des coutumes dans leur
relation avec la culture totale de la tribu qui les pratique ». Avec Boas,
ce n’est plus la culture humaine qui est étudiée en tant que telle, mais
des cultures distinctes correspondant à des communautés
déterminées. (Franz Boas [1896] : « The Limitation of the Comparative
Method of Anthropology », in Race, Language and Culture, Chicago
1982, p. 270-280.) Il faut noter qu’aucune mention n’est faite par
Brunot et Hardy à Boas et à son école.
3. Cependant, Hardy affirme que le Maroc n’est pas une nation et que
l’idée de patrie est inconnue des Marocains (Hardy, 1926, p. 17, 28,
29). Brunot affirme que le Maroc a tout pour constituer une nation,
mais l’esprit particulariste des Marocains détruit tout (Brunot, 1923,
p. 35-59). Dans ce cas, une mentalité rapidement bricolée devient un
facteur explicatif d’un phénomène aussi complexe que l’existence d’une
nation.
4. D’autres traits sont considérés : l’activité de l’esprit des Marocains
est concentrée dans la mémoire. Il cite l’exemple des savants qui
répètent plusieurs détails sans organisation et sans interprétation, les
historiens qui citent les dates sans en voir le mouvement. Il y a aussi
les traits liés à la vie affective : le Marocain n’est ni gai, ni triste, ni bon
ni mauvais, il est serein (Hardy, 1926, p. 30-41).
5. L’excès (associé à une culture dionysiaque) et la modération
(associée à une culture apollinienne) sont deux principes que Ruth
Benedict a dégagés de l’analyse des cultures indiennes qu’elle a
étudiées. L’interprétation de ces cultures est fondée sur une
description systématique culturelle (mariage, divorce, rituels,
cosmologie, danse, division du travail) appropriée aux études qui
visent la recherche de configurations ou de formes (Ruth Benedict,
1950).
L'esprit du terrain