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de la Méditerranée
Sainte-Marie Alain. La province d'Alger vers 1870 : l'établissement du douar- commune et la fixation de la nature de la
propriété en territoire militaire dans le cadre du Sénatus Consulte du 22 Avril 1863. In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, n°9, 1971. pp. 37-61;
doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1971.1100
https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1971_num_9_1_1100
1. Leur liste figure dans -.Êstoublon etlefebure. Code de l'Algérie annoté (1830-1895)
aux pages 280 et 281.
2. La confédération des Béni Slimane Djebaflia et l'association Béni Iddou Ouled Selama
n'ont été comptées que pour deux tribus.
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propriété foncière. Les archives des bureaux arabes, dont les officiers
animent sous -commissions et commissions3, ont été largement utilisées et les
renseignements qu'elles fournissent permettent d'esquisser un état
économique et social de la tribu, vers 1870.
On a souvent écrit que le Senatus Consulte avait disloqué la tribu. Ce
jugement est exact si l'on s'en tient au fait qu'il chercha à effacer la notion
même de tribu et que là où il fut appliqué, le nom parfois, l'étendue assez
souvent, l'organisation enfin de la tribu furent modifiés. Mais il est
excessif dans la mesure où il attribue au Senatus Consulte l'entière responsabilité
de la déségrégation, car avant l'application du Senatus Consulte l'intégrité de
la tribu avait subi des atteintes d'ampleur diverse.
En 1830 l'élément directeur de l'organisation de la population algérienne
est plus souvent la confédération que la tribu. Les affrontements internes
qui ont suivi l'effondrement de la domination turque, la lutte contre les
armées françaises et surtout les mesures administratives postérieures à leur
soumission ont fait voler en éclats les grandes confédérations : Béni Slimane ,
Béni Djaad, Braz, Béni Zoug Zoug, Béni Hidja, Béni Madouan, Bla'éls, Khachna,
Issers, Flissa, Ksenna etc. .. Elles furent divisées en ca'idats correspondant
à une ferka (fraction) ou à un groupe de ferka, parfois après être passées
par une ou plusieurs étapes intermédiaires. Les travaux du Senatus Consulte
reprennent la division en caïdats quitte à poursuivre l'oeuvre de dislocation .
La vaste confédération des Béni Slimane déjà divisée en deux groupes, est
totalement morcelée. La partie Nord ou Béni Slimane Djebàîlia doit former
6 douars. Les grandes tribus qui subsistent subissent le même sort. Les
Attafs forment deux caïdats puis 4 douars après l'application du Senatus
Consulte. Mais à l'analyse des chiffres (91 tribus donnent 144 douars constitués
et pour 24 tribus on prévoit 35 douars) les divisions introduites par le
Senatus Consulte apparaissent relativement peu nombreuses. Les caïdats
soumis par décret au Senatus Consulte n'étaient souvent en fait que des
fragments de confédération sans histoire distincte de celle de l'ensemble auquel
ils se rattachaient. Il apparait que l'organisation en confédérations, et leurs
rivalités, est un des aspects importants de l'histoire de l'Algérie
précoloniale.
Au voisinage des centres de colonisation les tribus ont subi d'autres
atteintes : la superficie de leur territoire a été amoindrie, des groupes de
population ont été déplacés, mais la cohésion du groupe reste grande. La
création du douar peut avoir pour but de detribaliser les populations locales
en effaçant jusqu'au nom de la tribu. Or ce nom est souvent rattaché à une
Ces douars n'ont d'autre avenir que d'être rattachés à des centres de
colonisation. Dans l'esprit de beaucoup l'expansion de la colonisation, un
instant entravée, reprendra tôt ou tard.
A partir des statistiques figurant dans les archives ou les décrets de
répartition, on peut dresser les trois diagrammes ci-joints et en tirer les
conclusions suivantes.
a) Le chiffre de 3000 habitants par douar doit être interprété comme
un maximum car la population moyenne des tribus est inférieure à ce chiffre
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par des forêts ; leur attribution au service du Domaine repose sur des
justifications bien différentes.
Les terres de culture couvrent environ 80 000 ha4, en ilôts dispersés,
d'inégale valeur et dont peu semblent aptes à permettre la création d'un
centre de colonisation.
Le Domaine s'est proclamé l'héritier du Beylik turc pour ses fermes ,
les habous publics parvenus à dévolution, les azel, les terres des tribus
maghzen. Pour ces deux dernières catégories il est disposé à consentir des
transactions, éventuellement à abandonner une partie de ses prétentions. Le
texte même du Senatus Consulte lui impose de renoncer aux terres arch et
met donc fin à toute espèce de cantonnement sur ces terres. Mais cet
héritage est mal connu. La plupart des archives ont été perdues à la chute des
turcs et les tribus voisines se sont précipitées sur les domaines du Beylik
qu'elles n'avaient souvent quittés que contraintes et forcées. Dès avant 1863
le Domaine en avait entrepris l'inventaire, les inscrivant sur ses sommiers
de consistance et considérant les occupants comme des locataires soumis à
redevance.
Cet héritage représente la moitié des terres de culture attribuées au
Domaine. Il comprend des fermes "de la couronne" constituées peut-être par
des souverains antérieurs à la domination turque, agrandies par des achats
successifs et situées dans la vallée du Chélif pour les plus importantes (Ain
el Démet Amoura dans la région de Djendel etc.). Elles étaient cultivées
à l'aide de toulza (corvées) imposées aux tribus voisines et gérées par un
oukil. Cet héritage est surtout formé de terres confisquées par les turcs à
la suite d'expéditions punitives (Ouled Kosseir, ouled Selama), pour faire
cesser de sanglantes contestations entre tribus (Bled M'Silem chez les Zena-
khra) - ou simplement pour y installer une smala, une garnison (Bordj oum
Naïl), une remonte de chevaux (Bled Tchentcheria chez les Attafs et Béni
Boukni). Dans les régions qu'il contrôlait, Abd el Kader s'était déjà
considéré comme l'héritier du Beylik et à ce titre il récupéra, après enquête
menée par Ben Allai assisté d'un medjelès, la terre de Taza (Souhaïa) pour y
installer une place forte : tout naturellement, en 1865, le Domaine en prit à
son tour possession. Dans sa recherche de l'héritage du Beylik il bénéficie
de dénonciations (rancune d'un ancien Zemoul échappé au massacre de la
smala du Bled Tchentcheria) ou de rixes entre prétendants à la propriété
(terre de l'Oued Djemaa chez les Béni Ahmed).
Le Domaine s'efforce avant et pendant l'application du Senatus Consulte
d'élargir cet héritage en appliquant certains des procédés qui avaient permis
aux turcs de le constituer. Les enquêteurs doivent rechercher les biens
tombés en déshérence, les habous publics parvenus à dévolution et surtout, en
ces temps troublés, les terres contestées entre fractions ou tribus, dites
sur le terrain a fait constater que chaque parcelle réclamée n'est que la suite
de propriétés possédées sans conteste par chaque réclamant, touchant à un
massif boisé" (Ahl el Ouel). Pourtant il arrive que, devant un titre
particulièrement "authentique" et détaillé, devant une nature incertaine du sol
(broussailles plutôt que forêt), un problème social particulier9, certaines parcelles
boisées soient classées parmi les melk.
Ce classement est relativement rare car Domaine et Service Forestier ,
au nom de l'intérêt de l'Etat, de la conservation des sols et des eaux, donc
du potentiel agricole de l'Algérie, s'unissent pour réclamer avec vigueur le
classement domanial des forêts. Contre les revendications individuelles
s'élèvent aussi les Djemaa arguant de l'utilisation collective de la forêt sans que
jamais personne n'ait eu plus que des droits d'usage privilégiés sur la partie
attenante à ses terres cultivées. La Djemaa est en effet partie prenante car
les commissions s'efforcent, pour doter le nouveau douar de ressources
suffisantes, de provoquer le classement d'une partie de la forêt dans les biens
communaux. La Djemaa, chapitrée par la commission, cherche à obtenir le
désistement en sa faveur des contrerevendicants et fait ensuite opposition aux
prétentions du Domaine pour la sauvegarde des droits d'usage traditionnels
de la tribu. Alors intervient une transaction entre le Domaine et la Djemaa ,
et un quart en moyenne des parties boisées est classé bien communal, encore
ne s'agit-il le plus souvent que de massifs dégradés. Cette transaction ne
peut intervenir lorsque le massif a déjà été inscrit sur les sommiers de
consistance du Domaine.
Qu'elles soient domaniales ou communales les forêts sont soumises au
régime forestier et affranchies de la majeure partie des droits d'usage
qu'exerçaient les habitants du douar, de la tribu, voire des tribus voisines .
Le droit de glandée est généralement maintenu, les autres supprimés à de
rares exceptions près. Ils ne sont provisoirement maintenus que si les
particuliers ou la Djemaa, refusant toute transaction, ont poursuivi leur action
en justice. La réglementation générale des forêts n'intervient qu'en 1874 .
9. Les Béni Salah refoulés au-dessus de Blida à la suite de la perte de leurs terrains
de labour de la Mitidja, conservent la plus grande partie de leurs forêts. Encore fallut -il
l'arbitrage de Gouverneur Général pour imposer cette solution au Domaine.
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 51
10. Rapport fait au nom de la commission du Sénat par M. de Casabianca (8 avril 1863) .
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11. Art. 82 : "titres remontant, avec date certaine, à une époque antérieure au 5
juillet 1830 et constatant le droit de propriété, la situation, la contenance et les limites de
l'immeuble".
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15. Tel ce ca'id des Ouled Ahmed ben Saad qui aliène en 1854, 30 ha de terres
collectives, pour payer les frais de son voyage à La Mecque.
16. Le cas des Ouled Mareuf est symbolique du caractère fictif et dangereux de la
notion de terre arch :
- La partie tellienne (Monts du Titteri) de la Tribu est classée dans les melk, la partie
steppique est divisée en collectifs de culture et collectifs de parcours.
- La commission constate que dans la partie effectivement cultivée les parcelles sont
parfaitement délimitées et que la 3ème partie du Senatus Consulte, ne sera qu'une simple
consolidation de l'actuelle possession.
- Lorsque les travaux sont repris en 1887, la commission déclare : "la possession d'un
territoire collectif implique un droit supérieur de l'Etat. . . "
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 57
Malgré toutes ses imperfections, malgré toutes les réserves que l'on
peut formuler, notamment sur la constitution des biens domaniaux, ce
travail a été effectué avec beaucoup de sérieux, de conscience, voire "d'indi-
génophilie", par les officiers des bureaux arabes. Dans beaucoup de régions
d'Algérie, en l'absence d'autres moyens d'information ou de preuve, c'est
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encore aux croquis, aux procès -verbaux de bornage établis lors des
opérations du Senatus Consulte, que l'on a recours pour préciser la nature de la
propriété sur telle ou telle parcelle de terre.
REPARTITION EN GROUPES
Ensemble.
Surface totale 1 725 152
Melk 1 282 384 (74,4 %)
Collectif de culture 55720 (3,2 %)
Communaux 97458 (5,6 %)
Domaine de l'Etat 251 633 (14,6 %)
Domaine public 37 957 (2,2 %)
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
SENATUS-CONSULTE
22 avril 1863,
Art. 1
Les tribus de l'Algérie sont déclarées propriétaires des territoires dont
elles ont la jouissance permanente et traditionnelle, à quelque titre que ce
soit. Tous actes, partages ou distractions de territoires, intervenus entre
l'Etat et les indigènes, relativement à la propriété du sol, sont et demeurent
confirmés.
Art. 2
II sera procédé administrativement et dans le plus bref délai :
1/ A la délimitation des territoires des tribus ;
2/ A leur répartition entre les différents douars de chaque tribu du
Tell et des autres pays de culture, avec réserve des terres qui devront
conserver le caractère de biens communaux ;
3/ A l'établissement de la propriété individuelle entre les membres de
ces douars, partout où cette mesure sera reconnue possible et opportune.
- Des décrets impériaux fixeront l'ordre et les délais dans lesquels
cette propriété individuelle devra être constituée dans chaque douar.
Art. 3
Un règlement d'administration publique déterminera :
1/ Les formes de la délimitation des territoires des tribus ;
2/ Les formes et les conditions de leur répartition entre les douars
et de l'aliénation des biens appartenant aux douars ;
3/ Les formes et les conditions sous lesquelles la propriété individuelle
sera établie et le mode de délivrance des titres.
Art. 4
Les rentes, redevances et prestations dues à l'Etat par les détenteurs
des territoires des tribus continueront à être perçues comme par le passé ,
jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné par des décrets impériaux rendus
en la forme des règlements d'administration publique.
Art. 5
Sont réservés les droits de l'Etat à la propriété des biens du beylik
et ceux des propriétaires des biens melk. Sont également réservés le do-
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 61
maine public tel qu'il est défini par l'article de la loi du 16 juin 1851, sur
la constitution de la propriété en Algérie, ainsi que le domaine de l'Etat,
conformément à l'article 4, § 4 de la même loi.
Art. 6
Le second et le troisième paragraphe de l'article 14 de la loi du 16 juin
1851, sur la constitution de la propriété en Algérie, sont abrogés ; néanmoins,
la propriété individuelle qui sera établie au profit des membres des douars
ne pourra être aliénée que du jour où elle aura été régulièrement constituée
par la délivrance des titres.
Art, 7
II n'est pas dérogé aux autres dispositions de la loi du 16 juin 1851 ,
notamment à celles qui concernent l'expropriation pour cause d'utilité
publique et le séquestre.