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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

La province d'Alger vers 1870 : l'établissement du douar- commune


et la fixation de la nature de la propriété en territoire militaire dans le
cadre du Sénatus Consulte du 22 Avril 1863
Alain Sainte-Marie

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Sainte-Marie Alain. La province d'Alger vers 1870 : l'établissement du douar- commune et la fixation de la nature de la
propriété en territoire militaire dans le cadre du Sénatus Consulte du 22 Avril 1863. In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, n°9, 1971. pp. 37-61;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1971.1100

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1971_num_9_1_1100

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LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 :
L'ÉTABLISSEMENT DU DOUAR-COMMUNE

ET LA FIXATION DE LA NATURE DE LA PROPRIÉTÉ


EN TERRITOIRE MILITAIRE DANS LE CADRE

DU SENATUS-CONSULTE DU 22 AVRIL 1863

Le Senatus Consulte du 22 avril 1863 a été appliqué jusqu'au 19


décembre 1870. A cette date, pour la seule province d'Alger, 96 décrets avaient
été promulgués1. 91 tribus situées en territoire militaire avaient été
transformées en douars constitués, 5 situées en territoire civil continuaient à être
rattachées à des centres de colonisation. Lorsque la dépêche du
Gouvernement de la République parvient à Alger elle interrompt, à des stades divers
d'avancement, les travaux entrepris dans au moins 25 autres tribus2. La carte
n° 1 permet de les situer et de vérifier que les priorités définies le 25 avril
1865 par une circulaire du Gouverneur Général ont été respectées : tribus
devant être traversées par la voie ferrée Alger - Oran en cours
d'achèvement, tribus voisines des centres de population européenne. De proche en
proche les régions montagneuses et boisées du Tell étaient atteintes. En
décembre 1870 seules les hautes plaines sauf en bordure de l'Atlas tellien, la
grande Kabylie sauf la dépression Isser-Sébaou, une partie du Dahra, la
région sud-est de la province d'Alger sauf autour d'Aumale, n'avaient pas encore
été touchées par le Senatus Consulte.
Le Senatus Consulte du 22 avril avait trois buts principaux :
- Diviser la tribu en douars,
- Répartir les terres selon la nature de la propriété,
- Constituer la propriété individuelle là où elle n'existait pas. Sauf
exception cette opération n'a pas été réalisée.
L'application du Senatus Consulte entraine la délimitation et le bornage
des tribus mais en l'absence d'un levé régulier les surfaces étaient estimées
à partir d'un croquis visuel en appui sur une triangulation graphique, d'où des
chiffres variables et approximatifs. Les Commissions procèdent aussi à des
recherches sur l'histoire et les ressources de chaque tribu dans le but de
constituer des douars cohérents, de retrouver les origines et la nature de la

1. Leur liste figure dans -.Êstoublon etlefebure. Code de l'Algérie annoté (1830-1895)
aux pages 280 et 281.
2. La confédération des Béni Slimane Djebaflia et l'association Béni Iddou Ouled Selama
n'ont été comptées que pour deux tribus.
38 A DE SAINTE MARIE

propriété foncière. Les archives des bureaux arabes, dont les officiers
animent sous -commissions et commissions3, ont été largement utilisées et les
renseignements qu'elles fournissent permettent d'esquisser un état
économique et social de la tribu, vers 1870.
On a souvent écrit que le Senatus Consulte avait disloqué la tribu. Ce
jugement est exact si l'on s'en tient au fait qu'il chercha à effacer la notion
même de tribu et que là où il fut appliqué, le nom parfois, l'étendue assez
souvent, l'organisation enfin de la tribu furent modifiés. Mais il est
excessif dans la mesure où il attribue au Senatus Consulte l'entière responsabilité
de la déségrégation, car avant l'application du Senatus Consulte l'intégrité de
la tribu avait subi des atteintes d'ampleur diverse.
En 1830 l'élément directeur de l'organisation de la population algérienne
est plus souvent la confédération que la tribu. Les affrontements internes
qui ont suivi l'effondrement de la domination turque, la lutte contre les
armées françaises et surtout les mesures administratives postérieures à leur
soumission ont fait voler en éclats les grandes confédérations : Béni Slimane ,
Béni Djaad, Braz, Béni Zoug Zoug, Béni Hidja, Béni Madouan, Bla'éls, Khachna,
Issers, Flissa, Ksenna etc. .. Elles furent divisées en ca'idats correspondant
à une ferka (fraction) ou à un groupe de ferka, parfois après être passées
par une ou plusieurs étapes intermédiaires. Les travaux du Senatus Consulte
reprennent la division en caïdats quitte à poursuivre l'oeuvre de dislocation .
La vaste confédération des Béni Slimane déjà divisée en deux groupes, est
totalement morcelée. La partie Nord ou Béni Slimane Djebàîlia doit former
6 douars. Les grandes tribus qui subsistent subissent le même sort. Les
Attafs forment deux caïdats puis 4 douars après l'application du Senatus
Consulte. Mais à l'analyse des chiffres (91 tribus donnent 144 douars constitués
et pour 24 tribus on prévoit 35 douars) les divisions introduites par le
Senatus Consulte apparaissent relativement peu nombreuses. Les caïdats
soumis par décret au Senatus Consulte n'étaient souvent en fait que des
fragments de confédération sans histoire distincte de celle de l'ensemble auquel
ils se rattachaient. Il apparait que l'organisation en confédérations, et leurs
rivalités, est un des aspects importants de l'histoire de l'Algérie
précoloniale.
Au voisinage des centres de colonisation les tribus ont subi d'autres
atteintes : la superficie de leur territoire a été amoindrie, des groupes de
population ont été déplacés, mais la cohésion du groupe reste grande. La
création du douar peut avoir pour but de detribaliser les populations locales
en effaçant jusqu'au nom de la tribu. Or ce nom est souvent rattaché à une

3. Les textes officiels, la procédure suivie et les problèmes de l'application pratique


se trouvent dans :
- Le Bulletin Officiel du Gouvernement Général de l'Algérie : années 1863 à 1870,
- Bstoublon et Lefebure, ouvrage cité,
- Larcher (S), et Rectenwald (G.), Traité élémentaire de lêiislatton al(érlenn& tome
HI, 1923.
- Perrioud ( J.R.), Commentaire par ordre alphabétique du Senatus Consulte du 22 avril
1863 et des lois, décrets et instructions etc., sur la constitution de la propriété en
Aliérie, Alger 1867.
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 39

origine légendaire, c'est presque toujours celui d'un saint personnage,


ancêtre plus ou moins mythique du groupe; il est aussi rattaché à des
souvenirs même s'il ne s'agit que d'une rivalité séculaire avec le groupe voisin.
Sur ce problème comme sur beaucoup d'autres l'unanimité ne règne ni au
sein des commissions chargées du travail sur le terrain, ni au sein du
Conseil Consultatif du Gouvernement Général qui en examine les travaux de
manière à les coordonner et à les uniformiser. La lettre et l'esprit du Senatus
Consulte permettent des divergences d'interprétation entre les tenants de la
colonisation et les indigénophiles. Si certains veulent effacer un passé d'où
pourraient res surgir des sentiments nationalistes et "ne rappeler aux habitants
aucun souvenir militaire ou religieux dont on pourrait tirer parti dans un but
de révolte" (Animal), d'autres cherchent à conserver une certaine cohésion
aux membres du groupe tribal et I. Urbain, rapporteur au Conseil du
Gouvernement, propose de conserver son nom à la tribu des Hannacha, ce qui
correspond "au vif désir de toute communauté d'individus de ne pas laisser
s'éteindre un nom générique qui résume l'histoire de ses ancêtres et qui
constitue pour elle un véritable patrimoine".
Le douar créé par le Senatus consulte est conçu comme le point de
départ d'une future commune. Partout, pour défendre et gérer les intérêts
du groupe, des djemaa sont nommées par l'administration. Les commissions
s'efforcent de lui donner les bases (surface, population, ressources)
suffisantes pour qu'il ait une véritable activité communale. En l'absence de
statistiques complètes et précises, d'une connaissance approfondie du terrain,
les responsables, en premier lieu le Gouverneur Général et les Généraux
commandants de province, se sont gardés de fixer des normes trop précises.
Un maximum de 3 000 habitants semble être la seule indication précise.
Aucun minimum n' apparaît nettement. Partant du principe que le cadre tribal ,
tel qu'il est fixé par le décret de soumission au Senatus consulte, ne peut
être que divisé ou maintenu, le Conseil du Gouvernement renvoie à une date
ultérieure tout projet de fusion proposé par les commissions et accepte donc
la formation de douars squelettiques comme ceux, limitrophes, de Guellaïe
et Ferouka.

Surface Population Ressources (cent, addit. )


Guellai'e 3 751 ha 764 195 F/or
Ferouka 2 222 ha 798 260

Ces douars n'ont d'autre avenir que d'être rattachés à des centres de
colonisation. Dans l'esprit de beaucoup l'expansion de la colonisation, un
instant entravée, reprendra tôt ou tard.
A partir des statistiques figurant dans les archives ou les décrets de
répartition, on peut dresser les trois diagrammes ci-joints et en tirer les
conclusions suivantes.
a) Le chiffre de 3000 habitants par douar doit être interprété comme
un maximum car la population moyenne des tribus est inférieure à ce chiffre
40 A DE SAINTE MARIE

(2 800 habitants), et il est en fait rarement dépassé. L'échantillonnage entre


293 habitants (Ouled Hamza) et 6 003 (Medinet Medjadja) est assez complet .
Plus de la moitié des douars ont cependant une population comprise entre 800
et 2 000 habitants.
b) La dimension du douar dépend de sa population et de ses
ressources. Les plus vastes sont aussi les moins densément peuplés, les extrêmes
se situant donc en Kabylie (849 ha) et à la limite des hautes plaines (46 722 ha).
La plupart des douars ont entre 2 000 et 18 000 ha et un cinquième entre 4
et 6 000 ha.
c) Les ressources des douars, limitées ici aux seuls centimes
additionnels, sont bien médiocres ; plus de 80 % d'entre eux ont un revenu annuel,
inférieur à 2 000 F/or. Il faut cependant tenir compte des effets de la crise
- la normale est en moyenne supérieure d'un tiers ou de la moitié aux
chiffres des années 1867-69. La crise a eu aussi des effets démographiques en-
trainant une chute de population de 5 à 25 % selon les régions. Ces
diagrammes n'ont donc qu'une valeur relative notamment pour les douars prévus où
le Senatus Consulte est appliqué durant la période 1868-70 et qui sont dans
l'ensemble plus vastes, moins peuplés et plus pauvres que des douars
constitués. Compte tenu de ces réserves, le douar type se situe aux alentours
de 5 000 ha, 1400 habitants et 1200 F/or de revenus en centimes additionnels .
Tous les douars ont pour ressource essentielle les centimes
additionnels aux impôts (achour, zekkat, lezma) qui représentent 18 % du principal.
Certains y ajoutent l'affermage d'un marché qui peut atteindre 5000 F
(Rebaîa). Pour compléter les ressources du douar ou de ses habitants les
commissions isolent des parcelles dont l'usage reste commun ou dont les
revenus sont attribués au douar et qui forment les terrains communaux. Ces
biens communaux ne prennent une véritable importance que dans les régions
boisées ou comportant de vastes parcours. Ces derniers sont automatiquement
classés parmi les biens communaux mais le classement en groupes
homogènes conduit souvent à négliger les parcelles enclavées dans les melk.
Certains membres des djemaa ont favorisé le classement dans les melk de terres
de parcours, comptant sur leur influence pour s'en attribuer ultérieurement
la majeure partie. Quoiqu'il en soit les parcours représentent près des 2/3
des biens communaux (64 %), cette proportion étant cependant gonflée par
l'immense parcours du douar Boughzoul (21800 ha).
Les bois et forêts forment environ 33 % des bois communaux. Ils ont
été laissés à la commune à la suite d'une transaction intervenue entre la
djemaa et le service du Domaine. La part attribuée au douar représente
généralement moins du quart de la surface boisée se trouvant sur son territoire
et encore ne s'agit-il que de bois de médiocre intérêt et dont l'utilisation est
sévèrement réglementée à la suite de leur soumission au régime forestier.
La djemaa est aussi gestionnaire de biens d'intérêt collectif mais qui
ne fournissent pas un revenu appréciable :
Nombre de douars
30 _ / /
40
/ /
//
10 .
7
V
10 20
Diagramme n° 1 — Le douar Boughzoul (46 722 ha) ne figure
Nombre de douars
30 -
20 .
z
10 _
20 40
Diagramme n° 2
\-
-F
p

BENI Moussa : Tribu soumise au S.C. (décret publié)


HARCHAOUA : (décret non publié)
Territoire rattaché ou un centre de colonisation
route impériale
voie ferrée
Nombre de douars
30 -
20 .
10
20 40
Diagramme n° 3
44 A DE SAINTE MARIE

- Les cimetières souvent établis, à l'origine, en terrain melk ; la


commission provoque alors un désistement des propriétaires en faveur de la dje-
maa. Lors des opérations chez les Hassen ben Ali leur classement domanial
a été refusé car "il ferait intervenir le nom de l'Etat dans des affaires
délicates et sans aucun profit pour la chose publique".
- Les terrains où sont établis les groupes d'habitations, les lieux de
réunion de la djemaa, les mosquées, le marché, les silos collectifs. . .
- Quelques donations pieuses de faible superficie classées parmi les
communaux en raison de l'affectation de leurs revenus à l'entretien de la
mosquée ou à l'assistance publique, tel ce jardin des Béni Djerdin dont les
fruits sont partagés chaque année entre les plus nécessiteux de la tribu.
- Les mechmels de Kabylie, terrains de parcours qui seraient des
propriétés indivises à l'échelle d'une branche familiale (Karoubcl), d'un hameau
ou d'un groupe de hameaux mais jamais à celle de la tribu. Par
simplification et extension le Senatus -Consulte les range parmi les communaux du douar.
L'ensemble des communaux forme moins de 6 % de la surface totale
des douars constitués ou envisagés par le Senatus -Consulte et le diagramme
4 montre que leur étendue est très inégale d'un douar à l'autre. En fait quatre
douars sur cinq en sont pratiquement dépourvus et les seuls notables se
situent dans les régions forestières ou à la limite des hautes plaines. Ils
n'apportent de toute manière qu'un faible complément de ressources au douar
car ils sont de "médiocre valeur", ou "impropres à toute culture" ou "en
mauvais état" ; les habitants, surtout les plus pauvres, y trouvent encore la
possibilité d'y "conduire la vache ou la chèvre qui nourrit souvent la famille" .
Ils ne représentent que la part la moins intéressante des terres utilisées
traditionnellement en commun par les habitants de la tribu. L'attribution de
la majeure partie de la forêt au domaine, le classement rigide des terrains
de parcours ont diminué les ressources de la communauté : la suppression
de l'utilisation de la forêt constitue le plus grand bouleversement apporté aux
habitudes et aux ressources des populations du Tell algérien.
La constitution des communaux n'est que l'un des aspects de la
délimitation des groupes, selon la nature de la propriété, effectuée par les
commissions qui, après examen des revendications, contre -revendications et
oppositions, dressent des états et des plans.
Il s'agit essentiellement, pour elles, de délimiter les groupes
communaux et domaniaux, de distinguer la propriété privée divise ou indivise (melk)
de la possession collective (arch).

LA RECHERCHE DES BIENS DOMANIAUX ET LE PROBLEME DES FORETS

Quand on examine la composition des biens classés domaniaux lors des


opérations du Senatus Consulte dans la province d'Alger on s'aperçoit que
le tiers est représenté par des terres de culture et les deux autres tiers
Nombre de communaux
laux
(en %)
50 -
Sur
40 .
30 _
53%
20 _
10 _
7,5%
o& 10 % 8% 7 % 1
1 4-%
200 400 600 800 1
Diagramme n° 4 — 10 communaux (6,5 %) ont plus de 2 800 ha. Seul le d
46 A DE SAINTE MARIE

par des forêts ; leur attribution au service du Domaine repose sur des
justifications bien différentes.
Les terres de culture couvrent environ 80 000 ha4, en ilôts dispersés,
d'inégale valeur et dont peu semblent aptes à permettre la création d'un
centre de colonisation.
Le Domaine s'est proclamé l'héritier du Beylik turc pour ses fermes ,
les habous publics parvenus à dévolution, les azel, les terres des tribus
maghzen. Pour ces deux dernières catégories il est disposé à consentir des
transactions, éventuellement à abandonner une partie de ses prétentions. Le
texte même du Senatus Consulte lui impose de renoncer aux terres arch et
met donc fin à toute espèce de cantonnement sur ces terres. Mais cet
héritage est mal connu. La plupart des archives ont été perdues à la chute des
turcs et les tribus voisines se sont précipitées sur les domaines du Beylik
qu'elles n'avaient souvent quittés que contraintes et forcées. Dès avant 1863
le Domaine en avait entrepris l'inventaire, les inscrivant sur ses sommiers
de consistance et considérant les occupants comme des locataires soumis à
redevance.
Cet héritage représente la moitié des terres de culture attribuées au
Domaine. Il comprend des fermes "de la couronne" constituées peut-être par
des souverains antérieurs à la domination turque, agrandies par des achats
successifs et situées dans la vallée du Chélif pour les plus importantes (Ain
el Démet Amoura dans la région de Djendel etc.). Elles étaient cultivées
à l'aide de toulza (corvées) imposées aux tribus voisines et gérées par un
oukil. Cet héritage est surtout formé de terres confisquées par les turcs à
la suite d'expéditions punitives (Ouled Kosseir, ouled Selama), pour faire
cesser de sanglantes contestations entre tribus (Bled M'Silem chez les Zena-
khra) - ou simplement pour y installer une smala, une garnison (Bordj oum
Naïl), une remonte de chevaux (Bled Tchentcheria chez les Attafs et Béni
Boukni). Dans les régions qu'il contrôlait, Abd el Kader s'était déjà
considéré comme l'héritier du Beylik et à ce titre il récupéra, après enquête
menée par Ben Allai assisté d'un medjelès, la terre de Taza (Souhaïa) pour y
installer une place forte : tout naturellement, en 1865, le Domaine en prit à
son tour possession. Dans sa recherche de l'héritage du Beylik il bénéficie
de dénonciations (rancune d'un ancien Zemoul échappé au massacre de la
smala du Bled Tchentcheria) ou de rixes entre prétendants à la propriété
(terre de l'Oued Djemaa chez les Béni Ahmed).
Le Domaine s'efforce avant et pendant l'application du Senatus Consulte
d'élargir cet héritage en appliquant certains des procédés qui avaient permis
aux turcs de le constituer. Les enquêteurs doivent rechercher les biens
tombés en déshérence, les habous publics parvenus à dévolution et surtout, en
ces temps troublés, les terres contestées entre fractions ou tribus, dites

4. Il est possible en reprenant les décrets ou les projets de décret de répartition de


donner des étendues à l'hectare près mais étant donné l'existence de biens domaniaux contestés
et surtout l'incertitude sur les mesures il est préférable de se contenter d'un ordre de
grandeur à 1000 ha près.
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 47

biens vacants et sans maître ou bled el baroud. Les deux premières


catégories fournissent moins de 5 % des terres de culture domaniales et leur
recherche s'est avérée pénible et décevante : les archives turques font
défaut, de nombreuses usurpations ont eu lieu et les solidarités jouent pour ne
point les révéler, et surtout le Senatus Consulte ne rentrant pas dans le
détail du groupe melk ce n'est que par accident que les commissions rencontrent
des biens en déshérence ou des habous parvenus à dévolution. Les biens en
déshérence ne fournissent que quelques parcelles indivises. Les commissions
s'efforcent de les regrouper par échange en lots homogènes ou l'Etat vend
ses droits de copropriété. Les habous publics parvenus à dévolution (villes
de la Mecque et Médine, Zaouïa, mosquée) sont difficiles à recenser. A la
fois par intérêt personnel et par défense des principes religieux les
intéressés les dissimulent, les usufruitiers s'en déclarent propriétaires de même
que ceux qui les avaient loués moyennant une rente perpétuelle (vente à l'ana) .
Ce sont les dotations de zaouïa que le Domaine semble récupérer le plus
facilement, tels ces 400 ha de la Zaouïa de Sidi M'hamed Essadi el M'rachki
(Béni Slyem) aux limites cependant incertaines car, mentionne le rapport de
la commission, les tolba de la zaouïa ont vendu certains lots "au mépris des
règles coraniques et de toute bonne foi".
La notion de bien vacant et sans maître est bien vague ; le Domaine ,
malgré l'opposition résolue des occupants, s'y accroche car elle lui permet
de récupérer des terres étendues : 17 091 ha chez les Ouled Ayed, 6 100 sur
le bled Derrag (futur centre de Letoumeux), généralement d'un seul tenant
où il serait possible d'installer des centres de colonisation. 30 % des terres
de culture du Domaine rentreraient dans cette catégorie. Si ce classement
est définitif, pour précipité et mal fondé qu'il fût, pour les terres dont le
Domaine a pris possession antérieurement à 1863 (art. 1, § 2 du Senatus
Consulte), il est généralement contesté pour les autres par les intéressés et
il arrive que les tribunaux donnent raison aux contre -revendicants 5.
Le Domaine a interprété dans un sens restrictif l'article 1 du Senatus
Consulte et refuse de renoncer aux droits qu'il pense détenir sur les terres
occupées par les tribus maghzen ou sur les azel loués depuis des temps
lointains à des fractions ou à des tribus. Là encore ses espérances sont
déçues. Les Turcs n'avaient installé que quelques tribus à titre maghzen sur
des territoires qu'ils détenaient, ailleurs ils avaient simplement proposé à

5. Terre d'El Mokhtir (Rebata).


L'Etat a pris possession en 1850 de 1190 ha à la suite d'un jugement du Medjelès de
Médéa le déclarant bien vacant. Pour la majorité de la commission ce jugement est un acte
de complaisance en faveur de l'autorité militaire qui recherchait des terrains disponibles pour
la colonisation.
Deux familles sont en compétition avec l'Etat, les Ouled Salah qui sont les actuels
locataires de la terre, les Ouled Sidi M'hamed qui s'en prétendent propriétaires en vertu d'un acte
de constitution de habous de 1700 et d'un jugement du Medjelès de Médéa de 1790. Pour la
commission ces titres sont faux et seuls les locataires ont des droits. Le projet de décret en
fait un bien domanial contesté. Or le tribunal de Blida par un jugement du 27-6-71 reconnaît
la valeur des titres produits, annule le jugement du Medjelès de 1850 et attribue la terre aux
Ouled Sidi M'hamed. Ce jugement est confirmé par la Cour d'Appel d'Alger (26-6-72) et par
la Cour de Cassation (13-7-73).
48 A DE SAINTE MARIE

certaines tribus un service militaire en échange d'une exemption d'impôts


et d'autres privilèges. Dans ce dernier cas le Domaine ne peut prétendre à
aucun droit particulier. En outre, contrairement au Constantinois, les azel
sont rares. Les commissions appliquent aux terres attribuées à des maghzen
par les turcs, aux azel, à certains bien vacants ou d'origine douteuse, le
même traitement : maintien des anciens occupants (ceux qui ont sur place
la tombe de leur ancêtres) sur une portion du territoire estimée en fonction
de leurs besoins, élimination de ceux qui s'y sont installés indûment, et
récupération des terres disponibles , sous la forme d'un lot homogène, par le
Domaine. C'est donc une sorte de cantonnement. La part attribuée à l'Etat
sert de compensation pour les déracinés à la suite de la création d'un centre
de colonisation (BledMamora près d'Aumale), de dotation pour un centre de
colonisation créé ou à créer (Bouira, basse vallée du Sebaou, Dra el Mizan ,
BenHaroun), de concession pour un exploitant européen (azel d'Ain Gueblia
chez les Béni Fathem). Chez les Taourga la population est si dense qu'il faut
attribuer tout le territoire aux anciens occupants. Dans tous les cas ce
partage entraine de tels bouleversements que la part laissée aux particuliers est
classée parmi les collectifs de culture. La constitution de la propriété
individuelle est effectuée avant 1870 chez les Ouled Bellil, sur Vazel d'Ain
Gueblia et le bled Mamora ; ailleurs elle est laissée en suspens par la
brutale interruption des travaux du Senatus Consulte.
Les terres cultivables du Domaine comprennent aussi, dans une faible
proportion (4 %) des terres séquestrées sur des lieutenants d'Abd el Kader ,
notamment 2 480 ha sur la famille d'El Berkani dans la tribu des Béni Menas-
ser de Cherchell, sur les exilés volontaires vers le Maroc ou la Syrie, sur
certains insurgés de 1864 tel A'issa ben Abdelkader (Rebaia) condamné à mort
par contumace par le tribunal militaire de Blida en 1866. Enfin le Domaine
possède mines et carrières mais la prospection est à peine commencée et la
plupart des concessions déjà attribuées, comme les mines de cuivre situées
chez les Béni Haoua, sont abandonnées à l'époque du Senatus Consulte.
L'acquisation essentielle et durable du Domaine, les 2/3 de la
superficie des biens domaniaux, sont les forêts.
L'état des forêts au moment du Senatus Consulte peut être suggéré
par une carte reprenant les taux de boisement tels qu'on peut les supposer
à partir des archives du Senatus Consulte. En 1863 une grande partie de
l'Algérie tellienne était défrichée, voire dénudée. Les peuplements continus
ne couvraient de vastes étendues que dans les monts de Blida, les monts de
Miliana, le Titteri, l'Ouarsenis ; encore les forêts méridionales étaient -elles
bien souvent clairsemées.
Les tribus limitrophes ou enclavées dans les forêts y trouvaient une de
leurs bases économiques par l'exercice de droits d'usage qui nbvaient d'autres
limites que les besoins de chacun : parcours pour le bétail, charbon de bois ,
bois de chauffage, de construction, d'oeuvre pour la fabrication d'instruments
aratoires ou domestiques, diss pour la couverture des gourbis, tanin, gou-
1A PROVINCE D'ALGER VERS 1870 49

dron, glands doux en temps de disette etc. . .6 La forêt contribuait ainsi à la


survie du groupe. Commissions et rapporteurs portent des jugements très
contrastés sur l'exercice des droits d'usage. En majorité on souligne
l'imprévoyance des utilisateurs et leurs déprédations, d'autres comme Urbain
constatent le respect de la nature et la valeur de l'autodiscipline.
Les débuts de la colonisation ont eu une influence négative sur les
espaces boisés et les droits de leurs utilisateurs. Lors des combats des
incendies ont eu lieu ; avec les premiers refoulements (création de centres de
colonisation, cantonnement) des défrichements les ont mordues. Par la loi du
16 juin 1851 l'état s'en est déclaré propriétaire, sauf aux possesseurs de faire
la preuve de leurs droits et des mesures de soumission au régime forestier
sont intervenues depuis 1855 restreignant considérablement les droits d'usage
sur les massifs ainsi rattachés au Domaine. Le Senatus Consulte reprend
explicitement le § 4 de l'art. 4 de la loi de 18517 et systématise le
rattachement des forêts au Domaine. Hasard ? Réaction de défense ? Prolongement
des troubles de l'année 1864 ? 163 000 ha de forêts flambent dans toute
l'Algérie en 1865. Ce chiffre ne sera dépassé qu'en 18818. L'algérois a été
relativement épargné et les dossiers ne signalent que quelques incendies dans
l'Atlas blidéen, le Zaccar et surtout dans la vaste forêt qui s'étend sur les
Righa, Ouled Anteur et Ouled He liai. Ils incriminent aussi les défrichements
abusifs, la fabrication de charbon de bois et surtout la dent des chèvres.
La plupart des représentants de l'autorité française n'envisagent pas
d'autre propriété de la forêt que domaniale ; bien vacant, droit de propriété
éminente du Beylik, absence d'appropriation et d'utilisation privée, ni
transactions, ni constitution de habous sont leurs principaux arguments. Le
Domaine revendique donc en bloc tous les espaces boisés. Pendant les travaux
du Senatus Consulte des contre- revendications privées ont lieu et elles
s'appuient sur des titres. Théoriquement les commissions ont analysé le contenu
de ces titres, cherché à les appliquer sur le terrain et le chef du service
du Domaine a été souvent appelé à se prononcer sur leur valeur. De cette
étude résulte :
- Que certains titres ne concernent que des parcelles cultivées
limitrophes ou enclavées dans les forêts,
- Que beaucoup mentionnent des dépendances boisées de parcelles
cultivées, ce qui est bien incertain ;
d'où les conclusions du service forestier : "les titres ne signifient
généralement rien d'autre que des droits d'usage sur un massif boisé situé en
bordure d'une terre cultivée de même nom qu'elle" (Béni Menad), ou 'l'étude

6. L'importance de la forêt a été soulignée par M. Nouschi : Notes sur la vie


traditionnelle des populations forestières algériennes". Annales de Géographie - 1959 - p. 525-535.
7. "Le domaine de l'Etat se compose des bols et forêts sous la réserve des droits de
propriété et d'usage régulièrement acquis avant la promulgation de la présente loi. Des
règlements d'administration publique détermineront le mode d'exercice des droits d'usage".
8. Marc - Les forêts de l'Algérie - Alger 1916.
50 A DE SAINTE MARIE

sur le terrain a fait constater que chaque parcelle réclamée n'est que la suite
de propriétés possédées sans conteste par chaque réclamant, touchant à un
massif boisé" (Ahl el Ouel). Pourtant il arrive que, devant un titre
particulièrement "authentique" et détaillé, devant une nature incertaine du sol
(broussailles plutôt que forêt), un problème social particulier9, certaines parcelles
boisées soient classées parmi les melk.
Ce classement est relativement rare car Domaine et Service Forestier ,
au nom de l'intérêt de l'Etat, de la conservation des sols et des eaux, donc
du potentiel agricole de l'Algérie, s'unissent pour réclamer avec vigueur le
classement domanial des forêts. Contre les revendications individuelles
s'élèvent aussi les Djemaa arguant de l'utilisation collective de la forêt sans que
jamais personne n'ait eu plus que des droits d'usage privilégiés sur la partie
attenante à ses terres cultivées. La Djemaa est en effet partie prenante car
les commissions s'efforcent, pour doter le nouveau douar de ressources
suffisantes, de provoquer le classement d'une partie de la forêt dans les biens
communaux. La Djemaa, chapitrée par la commission, cherche à obtenir le
désistement en sa faveur des contrerevendicants et fait ensuite opposition aux
prétentions du Domaine pour la sauvegarde des droits d'usage traditionnels
de la tribu. Alors intervient une transaction entre le Domaine et la Djemaa ,
et un quart en moyenne des parties boisées est classé bien communal, encore
ne s'agit-il le plus souvent que de massifs dégradés. Cette transaction ne
peut intervenir lorsque le massif a déjà été inscrit sur les sommiers de
consistance du Domaine.
Qu'elles soient domaniales ou communales les forêts sont soumises au
régime forestier et affranchies de la majeure partie des droits d'usage
qu'exerçaient les habitants du douar, de la tribu, voire des tribus voisines .
Le droit de glandée est généralement maintenu, les autres supprimés à de
rares exceptions près. Ils ne sont provisoirement maintenus que si les
particuliers ou la Djemaa, refusant toute transaction, ont poursuivi leur action
en justice. La réglementation générale des forêts n'intervient qu'en 1874 .

Pour les 117 tribus étudiées, la part du Domaine s'élève à 251633 ha


soit près de 15 % de la surface totale : 1/3 en terres de culture, 2/3 en
forêts. Au moment où les opérations du Senatus Consulte sont suspendues
une part des terres de culture a déjà été utilisée pour des compensations ,
des transactions, et d'autres sont prévues. Les riches terres de la vallée du
Chélif, 6000 Ha, ont déjà été aliénées au profit de la Société Algérienne.
Certains jugements de tribunaux sont défavorables au Domaine -(terres d'Aïn
el Mokhtir, bled Djemaa...) et les centres de colonisation prévus
absorberont une grande partie du reliquat.
Les forêts représentent donc l'essentiel des acquisitions du Domaine
dans le cadre du Senatus Consulte. La loi de 1851 les lui attribuait en
principe, les opérations du Senatus Consulte ont permis de compléter la prise

9. Les Béni Salah refoulés au-dessus de Blida à la suite de la perte de leurs terrains
de labour de la Mitidja, conservent la plus grande partie de leurs forêts. Encore fallut -il
l'arbitrage de Gouverneur Général pour imposer cette solution au Domaine.
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 51

de possession, de préciser les limites. Mais les ressources des populations


du Tell, notamment leur capacité d'élevage, sont notablement diminuées. Et
une fois la crise passée, la population augmentant, le cheptel se reconstituant,
les effets de cette perte seront de plus en plus durement ressentis, d'où la
longue bataille du garde forestier et du paysan éleveur, compliquée par le
maintien d'enclaves cultivées dans les forêts. Si le Domaine se montre si
âpre, notamment dans les transactions, les commissions hésitantes (les unes
demandent une répression sévère des délits forestiers, les autres proposent
de laisser les massifs sous la sauvegarde des douars), le Conseil du
Gouvernement si peu favorable aux particuliers et aux Djemaa, c'est que les
intérêts de la colonisation sont en jeu : conservation des sols, de l'équilibre
climatique, bien sur, mais aussi concession des massifs les plus intéressants .
Peu de chênes liège mais de grandes étendues de résineux dont l'exploitation
est à peine commencée par manque de main d'oeuvre (Ouled Anteur) ou de
moyens de communication (Béni bou Khannous).
Au total la colonisation privée bénéficie peu des terres récupérées ou
accaparées par le Domaine dans le cadre du Senatus Consulte. Plus que sur
les 900 000 ha promis imprudemment par le comte de Casabianca10, elle peut
compter sur le développement des transactions en terre melk et sur la
constitution de la propriété individuelle en terre arch.

LES TERRES MELK

Elles représentent 74V4 % de la superficie totale des tribus soumises


au Senatus Consulte de 1863. Les 3/4 de la superficie du Tell sont donc
détenus à titre privé et leurs propriétaires "peuvent légalement les vendre ,
les donner ou transmettre par héritage". Un des principaux résultats du
Senatus Consulte a été de faire apparaître, en dehors de la Kaby lie, beaucoup
plus de terres melk qu'on ne l'attendait. Dans tout le Tell, jusqu'à la limite
nord des Hautes Plaines, c'est la forme de l'appropriation du sol cultivable .
La carte n° 2 permet de préciser dans le détail la répartition du melk. Sa
proportion descend au dessous de la moyenne dans quelques cas :
- Cantons forestiers classés en grande partie domaniaux ou communaux :
massif du Zaccar, Monts du Titteri, de Blida, Djebel Dirah, certaines parties
de l'Ouarsenis,
- Régions steppiques à la limite nord des Hautes Plaines où les terres
de parcours ont été classées parmi les communaux et les terres de culture
dans les collectifs de culture,
- Régions où étaient installées des tribus maghzen et dont le Senatus
Consulte répartit les terres en domaniales et en collectives de culture : vallée
du Sebaou, de Visser, plaine des Aribs.
Leur origine est presque toujours incertaine et se perd dans une
occupation immémoriale. En général les légendes qui entourent la formation

10. Rapport fait au nom de la commission du Sénat par M. de Casabianca (8 avril 1863) .
52 A DE SAINTE MARIE

de la tribu veulent que le fondateur soit en même temps le conquérant ou


l'acheteur du sol. A une époque plus récente certaines tribus ont élargi
leur territoire par des achats au Beit el Mal (Hassen ben Ali). De toute
façon, dans cette société musulmane, la vivification est la condition sine
qua non de la propriété et la notoriété suffit à justifier que l'actuel
occupant est bien le propriétaire. Dans cette société cloisonnée en tribus, elles
mêmes divisées en groupes de gourbis ou en cercles de tentes, la nécessité
de l'écrit ne s'est faite que rarement et tardivement sentir. Pourtant des
titres existent, en plus grand nombre que les commissions ne s'y attendaient
et certains remontent au 16ème siècle. Ils sont produits lorsqu'il y a
contestation entre particuliers d'une part, Domaine ou Djemaa d'autre part. Ils
figurent aux procès verbaux des commissions, traduits, parfois commentés.
Dans les régions de domination turque ils ont été dressés devant témoins
par des cadis. Ailleurs par des tolba quelconques (une zaoula active stimule
le rôle de l'écrit) plus ou moins lettrés qui se contentent de transcrire les
déclarations des intéressés. En toute bonne foi il est donc vain de vouloir
leur appliquer les règles draconiennes prévues par l'ordonnance de 1844 tl.
Beaucoup enfin sont postérieurs à 1830. Pour la majeure partie des
commissions ces titres apparaissent, sauf exception, authentiques et valables,
ce qui suppose :
- Que l'on admette qu'un acte dressé par un taleb est aussi authentique
que celui revêtu du cachet d'un cadi sachant que beaucoup d'habitants du Tell
ignorent jusqu'à l'existence d'un lointain cadi,
- Que l'on ne demande pas de trop grandes précisions sur les limites
vaguement indiquées par quelques repères, ni bien sûr, sur les contenances
toujours absentes. Il suffit qu'on puisse, avec l'aide de témoins, l'appliquer
sur le terrain.
Ces deux principes sont combattus par le service du Domaine qui ne
fait pourtant prévaloir totalement son point de vue que lorsque il s'agit de
forêts.
Ces actes constatent les principales mutations de la propriété et
éventuellement les litiges auxquelles elles ont donné lieu. Ces mutations
s'effectuent dans la quasi totalité du territoire militaire de la province d'Alger
selon le rite malékite du droit musulman. La transmission de la propriété pose
le double problème de la participation des femmes à l'héritage et du
partage des successions. Pour le premier la réponse est simple : même hors
des régions régies par des coutumes berbères les femmes sont souvent exclues
de l'héritage par une indemnisation en argent, bétail ou par une constitution
de habous. L'indivision est un phénomène fréquent mais ni aussi généralisé ,
ni aussi durable que l'on se plaisait parfois à le souligner. Les régions
d'indivision sont celles où la mise en valeur porte sur de grands espaces :
Mitidja et ses marges, vallée du Chélif, bassin de Médéa, plaine des A ribs.

11. Art. 82 : "titres remontant, avec date certaine, à une époque antérieure au 5
juillet 1830 et constatant le droit de propriété, la situation, la contenance et les limites de
l'immeuble".
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I

II LA REPARTITION DES TERRES MELK


+ de 90% de la surface totale
de 75 i 90
de 50 a 75 %
de 30 i 50
de 10 i 30
- de 10 %
IA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 53

Dans les régions montagneuses, souvent forestières, la propriété est très


morcelée. Dans l'Ouarsenis division et indivision coexistent au sein de la
même tribu car à chaque succession une partie est partagée, le reste laissé
dans l'indivision (Ouled Cheilk).
Dans le cadre de l'indivision on rencontre plusieurs modes de faire-
valoir :
- Mise en culture en commun : les frais de culture et la récolte sont
partagés au prorata des droits de chacun et chacun contribue à l'exploitation
en fournissant grains, animaux de labour ou travail,
- Les cohéritiers se répartissent les lots pour les labours de l'année
et les séparations temporaires sont matérialisées par des tas de pierres ou
de larges sillons.
La durée de l'indivision s'étend sur un nombre variable de générations .
On y met généralement fin lorsque l'enchevêtrement des parts risque
d'atteindre une excessive complexité ou à la suite d'alliances avec des familles
étrangères. Pour beaucoup de commissions l'indivision est inhérente au mode
d'occupation et de transmission du sol dans la partie tellienne de l'Algérie ;
cette collectivité du travail et cette communauté des intérêts agricoles étant ,
pour elles, caractéristiques d'une structure pastorale. Au début des années
soixante l'indivision semble en recul par assouplissement des solidarités
familiales mais aussi à cause de la diminution de la population qui rend plus
facile les partages. Parfois on rencontre la tendance inverse, ainsi les Ouza-
ghra seraient obligés de garder leurs terres indivises par manque de moyens
de labour.
Bien que la pénétration européenne soit encore très faible en territoire
militaire les transactions autrefois assez rares deviennent progressivement
plus nombreuses. Les donations sont exceptionnelles : aux familles marabou-
tiques influentes (qui bénéficient aussi de habous), à des membres de leur
famille par des personnes âgées pour s'assurer un asile. Plus fréquentes
sont les ventes : ventes définitives (Ichtera), ventes a réméré (taenia fas-
séda) ou mise en gage prolongée (rahnia). Nous confondrons ces deux
opérations, théoriquement distinctes sous l'appellation de contrat de rahnia12.
Les paysans algériens répugnaient à la vente définitive de leur terre et
pratiquaient plus volontiers la mise en rahnia qui leur laissait l'espoir de
pouvoir la récupérer et tournait en outre l'interdiction coranique du prêt à
intérêt. Avec la crise cette forme de mise en gage devient plus fréquente .
Dans la région du Titteri les cadis ont enregistré entre 1864 et 1868/9 :

12. Larcher - Rectenwald, Op. cltH pp. 20-21.


"Sous ces deux noms différents l'acte est toujours le même : le débiteur engage
l'immeuble entre les mains du créancier contre le prêt d'une somme d'argent, pour un temps le
plus souvent indéterminé. Le créancier garde l'immeuble, le cultive comme s'il était & lui,
en fait les fruits siens. La tsénia ne constitue une véritable vente à réméré que si la
convention stipule que la propriété est transférée au prêteur... et lui demeurera acquise faute de
remboursement dans un délai fixé. . . L'antichrèse qualifiée rahnta ou tsénia couvre
ordinairement une opération des plus usuraires : la valeur de la terre engagée égale toujours plusieurs
fois le capital prêté".
54 A DE SAINTE MARIE

Ventes définitives Contrats de rahnia


Abid : 7 79
Ouled Deid : 28 107
Béni Hassein : 10 51
Rebàïa : 34 264

Un certain nombre de transactions continue à échapper aux cadis et il


est sur que la proportion des contrats de rahnia est encore plus importante
car ils se prêtent plus facilement aux accords oraux que les ventes
définitives. Pour les autres régions nous n'avons que peu de chiffres mais dans
l'ensemble ils confirment cette tendance :

Béni bou Douan (55/69) : 25 44


Béni Merzoug (56/69) : 223 791 (I)
Ouled Mareuf (66/69) : 8 9
mais Béni bou Khannous : 77 63

Certaines familles, certaines tribus plus prospères réussissent ainsi


à étendre leur emprise sur leur territoire ou sur celui des tribus voisines .
On a quelques indications mais le Senatus Consulte n'entrant pas dans le
détail des groupes melk on ignore généralement qui détient la terre, si la
propriété est clairement établie, ou si, comme chez les Mouza'ia, les
contestations seront nombreuses lorsqu'il faudra passer à la constatation de la
propriété individuelle. On ignore donc aussi l'importance des rahnia.
Toutefois chez les Ouled Mareuf sur 748 parcelles recensées, 211 étaient en
possession de créanciers ou "rahniaires". Cet engagement est le plus
souvent, en fait, définitif car constate le rapport sur cette tribu :
"l'organisation de la société musulmane en Algérie permet difficilement à l'individu
obéré de revenir à une meilleure fortune".
D'autres contrats concernent les terres melk : location, Khamessat,
contrats de complant (mérarsa). Le khamessat paraît assez étendu surtout
au voisinage des villes, la tribu des Sbahia du Chélif est composée
entièrement de Khamès cultivant pour le compte de citadins de Miliana et d'Alger .
Les contrats de complant sont assez nombreux dans la même région et lient
un propriétaire d'un terrain nu et un locataire qui le transformera en jardin
ou en verger moyennant une part de la propriété sur le terrain (généralement
la moitié). Là encore les archives sont décevantes de même que sur les
pratiques communautaires de la mise en valeur du sol : sociétés de labour qui
groupent parents, habitants d'un hameau ou de plusieurs hameaux (Béni Iddou,
Flisset el Bahr), mise en communauté des intérêts agricoles attestée
notamment par l'existence de silos collectifs (Rebala). A la limite nous atteignons
la propriété commune de la terre, la propriété tribale, nous rejoignons alors
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 55

les doctrines qui affirment l'existence d'un communisme agraire, qui


définissent une propriété arch (ou sabega) et l'affirmation du Senatus Consulte
sur l'existence de terres collectives de parcours et de terres collectives de
culture.

LES TERRES COLLECTIVES DE CULTURE ET LA CONSTITUTION DE LA


PROPRIETE INDIVIDUELLE

La notion même de terre collective de culture introduite par le Senatus


Consulte reflète les théories et croyances sur le mode de propriété en Algérie
qui furent à la base du cantonnement13. Ces théories reposent essentiellement
sur une double affirmation :
- Les tribus n'ont souvent que la simple jouissance des terres qu'elles
occupent, le droit eminent de propriété résultant du droit de conquête (qui
remonterait aux invasions arabes) appartenant à l'Etat : ce sont des terres
de Kharadj. Au cours des travaux du Senatus Consulte dans la province
d'Alger cette notion de Kharadj n'apparaît toutefois pas.
- La tribu, ou tout au moins la fraction ou le douar, vit dans un état
de communisme agraire : pratiques communautaires, ce qui est fréquent,
possession et usage collectifs des forêts, des terrains de parcours mais aussi
des terrains de culture, ces derniers ne pouvant être que difficilement
distingués de melk possédés en large indivision (absence de transaction,
transmission en ligne masculine, retour à la communauté en cas de non culture. . .).
A priori on s'attendait donc à trouver de larges espaces de terres ,
dites arch ou collectives de culture, régies par ce mode de possession. Or
à l'issue des opérations du Senatus Consulte, elles ne représentent que 3,2 %
de la surface totale concernée et encore cette catégorie apparait-elle comme
un fourre-tout, une solution d'attente pour cas embarrassants. A l'analyse
les 8/10 des terres classées dans cette catégorie sont formés par des
portions de territoire laissées aux tribus qui occupaient des terres azel ou "ma-
ghzen". Faisant prévaloir l'article 5 du Senatus Consulte sur l'article I le
Domaine refusa de tenir compte de l'exploitation stable et privative depuis
deux ou trois siècles et des transactions intervenues depuis 1830, chez les Aribs et
Mamora d'Aumale, Abid de Dra el Mizan, Amraoua, Zemoul, Taourga et
Béni Thour des vallées du Sebaou et de lisser . Si l'on déduit aussi les
portions de terres contestées attribuées collectivement à leurs occupants ou à
titre de compensation, il reste moins de 10 000 ha pour les terres arch
proprement dites, toutes situées à la limite des hautes plaines : Zenakhra-
Maoucha, Ouled Ahmed ben Saad, Ouled Driss, Ouled Mareuf.
Dans ces régions, de même que pour les terres dites sahariennes14, la
mise en culture est épisodique,soit qu'il faille laisser la terre se reposer

13. M. Ageron en a fait l'historique dans les "Algériens musulmans et la France", p. 67


à 68.
14. larcher-Recterwald, 0p. ctt.t PP. 26-27.
56 A DE SAINTE MARIE

de nombreuses années après une exploitation continue, soit que la mise en


culture soit conditionnée par la crue d'un oued où l'humidification d'un fond
de cuvette {day a, marder). Les superficies cultivées sont donc variables et
les lots doivent être redistribués tous les deux ou trois ans. Dans ces
conditions nul ne peut prétendre être propriétaire d'une parcelle déterminée, nul
ne peut donc aliéner. Seuls les chefs de tente disposant de moyens de culture
participent à un partage périodique. Ces caractères nous paraissent avoir été
abusivement généralisés par des juristes plus soucieux de la rigueur d'un
classement que de l'appréhension de réalités mouvantes et complexes.
Les commissions ont aussi classé parmi les terres collectives de
culture des. terres vivifiées par un travail en commun, en l'occurrence un
barrage de dérivation. Ces terres situées chez les Ouled Ahmed ben Saad
auraient été, après la construction du barrage, partagées dans l'ordre
suivant : les constructeurs du barrage, les familles les plus riches et les plus
anciennes, les simples particuliers et à la limite les étrangers. Donc
plutôt une sorte de melk collectif avec attribution de lots permanents mais cette
vivification est en fait très précaire, une crue peut survenir, emporter le
barrage, entrainer un enfoncement du talweg qui rend inoppérante toute
dérivation et la terre de labour retourne au parcours collectif.
A notre sens la terre collective de culture ne traduit ni un communisme
agraire ni un droit eminent de l'Etat. Ce n'est même pas une catégorie
stable, car la même terre, à la limite des hautes plaines, est plus souvent
parcours collectif que labour privatif. C'était certainement l'assemblée des
chefs de tente qui décidait à intervalles plus ou moins réguliers de la
portion à mettre en culture, du tirage au sort des lots, de la partie que la
tribu pouvait louer à des étrangers. . . et les accaparements privés (mise en
rahnla, aliénation) nous paraissent à la fois tardifs et limités15, et ils
traduisent la crise de la société rurale confrontée à la guerre et à la
colonisation.
La terre collective de culture, ou l'arch stricto sensu, nous parait
être un mode d'exploitation du sol lié aux conditions climatiques et humaines
d'une région semi -aride16. Le débat sur la nature de leur possession serait
de faible intérêt,
- Si l'Etat n'avait pas fondé sur un prétendu domaine eminent le droit
d'accaparer la portion qu'il jugeait excédentaire par rapport aux besoins des
habitants de la tribu,

15. Tel ce ca'id des Ouled Ahmed ben Saad qui aliène en 1854, 30 ha de terres
collectives, pour payer les frais de son voyage à La Mecque.
16. Le cas des Ouled Mareuf est symbolique du caractère fictif et dangereux de la
notion de terre arch :
- La partie tellienne (Monts du Titteri) de la Tribu est classée dans les melk, la partie
steppique est divisée en collectifs de culture et collectifs de parcours.
- La commission constate que dans la partie effectivement cultivée les parcelles sont
parfaitement délimitées et que la 3ème partie du Senatus Consulte, ne sera qu'une simple
consolidation de l'actuelle possession.
- Lorsque les travaux sont repris en 1887, la commission déclare : "la possession d'un
territoire collectif implique un droit supérieur de l'Etat. . . "
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 57

- Si leur classement rigide dans une catégorie destinée à être


transformée en propriétés individuelles ne rendait pas définitive une simple étape
d'une rotation périodique, limitant ainsi le champ de l'élevage et entraînant
une diminution des ressources.
Le Senatus Consulte avait prévu, sur les terres classées parmi les
collectifs de culture, la constitution de la propriété individuelle. Pour des
raisons à la fois pratiques et sociales (éviter un dessaisissement trop rapide
des possesseurs traditionnels qui pourrait être générateur de troubles) cette
opération n'est qu'exceptionnellement réalisée : liquidation d'une procédure
de cantonnement (Ouled Bellil), azel de quelques centaines d'hectares (Ain
Gueblia), portion de terre maghzen vacante attribuée à titre de compensation
(bled Mamora).
Sur bien des points le Senatus Consulte est dans la ligne des mesures
qui accompagnent depuis 1830 le processus de colonisation : la formation du
douar achève la dislocation de l'organisation traditionnelle, la recherche des
biens domaniaux systématise des mesures prises depuis les premiers jours
de la présence françaises en Algérie. Mais dans son application il peut appa-
raitre plus bienveillant pour les populations concernées que la législation et
les pratiques antérieures. La constitution du douar respecte souvent la
division en ferka, la notion de terre collective de culture reprend la notion
de terre arch, mais sans en tirer la conséquence du cantonnement. . . ; les
mesures les plus négatives comme la perte des droits d'usage sur les forêts
n'ont pas encore fait sentir leurs effets en 1870. Le Senatus Consulte ne peut
donc pas être rendu responsable du caractère calamiteux de la crise des
années 1866-69 et l'état économique et social de la tribu que les enquêtes
font apparaître reflète une organisation traditionnelle dégradée par une période
continue de troubles commencés dès avant la fin de la domination turque .
Par contre, à plus long terme, prolongée par la loi du 26 juillet 1873
et par la reprise des travaux de délimitation et de répartition en 1887, cette
législation transforme profondément la vie intérieure des tribus, modifiant
les rapports des hommes entre eux, des hommes et de la nature et partant
le fragile équilibre des besoins et des ressources : rupture des solidarités
tribales, corps de notables, plus ou moins imposés, de la djemaa, perte de
l'usage de la forêt, gel d'une partie de la propriété dans le cadre des
terrains collectifs de culture, séparation stricte des terres de labour et de
culture, absence de cadastre et de délimitation des parcelles melk qui laisse
en suspens la valeur des titres détenus et ne permet pas de résoudre les
incertitudes et les contestations sur leurs limites et leurs propriétaires. Il est
cependant heureux qu'en cette période de crise économique le Senatus Consulte
n'ait pas davantage facilité les transactions.

Malgré toutes ses imperfections, malgré toutes les réserves que l'on
peut formuler, notamment sur la constitution des biens domaniaux, ce
travail a été effectué avec beaucoup de sérieux, de conscience, voire "d'indi-
génophilie", par les officiers des bureaux arabes. Dans beaucoup de régions
d'Algérie, en l'absence d'autres moyens d'information ou de preuve, c'est
58 A DE SAINTE MARIE

encore aux croquis, aux procès -verbaux de bornage établis lors des
opérations du Senatus Consulte, que l'on a recours pour préciser la nature de la
propriété sur telle ou telle parcelle de terre.

A. SAINTE -MA RIE


E.N.N.E.T.
Alger.

REPARTITION EN GROUPES

96 tribus avec décrets de répartition.


Surface totale 1363450
Melk 1 030 270 (75,7
Collectif de culture 51900 (3,8
Communaux 79 740 (5,9
Domaine de l'Etat ! 170 900 (12,4
Domaine public 30 640 (2,2

21 tribus (y compris la Confédération des Béni Slimane) sans décret de


répartition.
Surface totale 361702
Melk 252144 (69,8 %)
Collectif de culture 3820 (1 %)
Communaux 17 718 (4,9 %)
Domaine de l'Etat 80 733 (22,3%)
Domaine public : 7 317 (2 %)

Ensemble.
Surface totale 1 725 152
Melk 1 282 384 (74,4 %)
Collectif de culture 55720 (3,2 %)
Communaux 97458 (5,6 %)
Domaine de l'Etat 251 633 (14,6 %)
Domaine public 37 957 (2,2 %)

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Ce travail a été effectué à partir des archives du Senatus -Consulte


conservées au service de la Topographie et de l'Organisation Foncière à Alger .
Il repose sur le dépouillement de plus de 120 dossiers de tribus ; chacun
contenant généralement un rapport de la sous -commission, un rapport de la
commission, des rapports annexes, le procès verbal de la réunion du Conseil
du Gouvernement, le rapport à l'Empereur, les décrets ou projets de décret.
Pour les douars constitués ces deux derniers documents figurent au Bulletin
Officiel du Gouvernement Général de l'Algérie.
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 59

Le fond de carte a été établi à partir : de la carte au 1/800 000iM


dressée en 1879 et jointe à l'ouvrage de ACCARDO (P.) : répertoire
alphabétique des tribus et douars de l'Algérie, Alger 1879 ; de la carte au
1/400 000*"e établie par le service de la Topographie et de l'Organisation
Foncière : Situation foncière dans le département d' Al ier au 1er janvier 1952 ;
de documents d'archives et des cartes figurant dans les ouvrages de M. Yacono
cités ci-dessous.

Pour la connaissance de la propriété foncière et de la société rurale


algérienne au 19ème, les ouvrages fondamentaux me paraissent être :
AGERON (C-R), Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), Paris
1968, 2 volumes - 1206 pp.
ISNARD (H), La réor ionisation de la propriété rurale dans la Mltldja...
Ses conséquences sur la vie Indigène, Alger 1950, 124 pp.
NOUSCHI (A), Enquête sur le niveau de vie des populations rurales cons-
tanttnolses de la conquête jusqu'en 1919, Paris 1961, 765 pp.
YACONO (X), Les bureaux arabes et l'évolution des genres de vie
indigènes dans l'Ouest du Tell algérois, Paris 1953, 448 pp.
YACONO (X), La colonisation des plaines du Chéllf, 2 volumes, Alger
1955-6, 444 et 424 pp.
Ces ouvrages ont aussi l'avantage de contenir d'abondantes
bibliographies ; la législation foncière et les théories, souvent divergentes, sur la
nature de la propriété ont fait l'objet d'une abondante littérature
d'inspiration juridique où l'on peut retenir :
BOYER-BANSE (L), La propriété Indigene dans l'arrondissement d'Orléans
ville, 1902, 174 pp.
GODIN (F), Le régime foncier de l'Algérie, in .'L'oeuvre de la France en
Aliérle, Alger 1930, pp. 201-416.
LARCHER et RECTENWALD (G), Traité élémentaire de législation algê-
riertne, t. 3, Paris 1923 (3ème éd.), 652 pp.
MERCIER (E), La propriété foncière chez les musulmans d'Algérie, Paris
1891.
POUYANNE (H), La propriété foncière en Algérie, Alger 1900, 1120 pp.
60 A DE SAINTE MARIE

SENATUS-CONSULTE

Relatif à la constitution de la propriété en Algérie, dans les territoires


occupés par les arabes.

22 avril 1863,
Art. 1
Les tribus de l'Algérie sont déclarées propriétaires des territoires dont
elles ont la jouissance permanente et traditionnelle, à quelque titre que ce
soit. Tous actes, partages ou distractions de territoires, intervenus entre
l'Etat et les indigènes, relativement à la propriété du sol, sont et demeurent
confirmés.

Art. 2
II sera procédé administrativement et dans le plus bref délai :
1/ A la délimitation des territoires des tribus ;
2/ A leur répartition entre les différents douars de chaque tribu du
Tell et des autres pays de culture, avec réserve des terres qui devront
conserver le caractère de biens communaux ;
3/ A l'établissement de la propriété individuelle entre les membres de
ces douars, partout où cette mesure sera reconnue possible et opportune.
- Des décrets impériaux fixeront l'ordre et les délais dans lesquels
cette propriété individuelle devra être constituée dans chaque douar.

Art. 3
Un règlement d'administration publique déterminera :
1/ Les formes de la délimitation des territoires des tribus ;
2/ Les formes et les conditions de leur répartition entre les douars
et de l'aliénation des biens appartenant aux douars ;
3/ Les formes et les conditions sous lesquelles la propriété individuelle
sera établie et le mode de délivrance des titres.

Art. 4
Les rentes, redevances et prestations dues à l'Etat par les détenteurs
des territoires des tribus continueront à être perçues comme par le passé ,
jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné par des décrets impériaux rendus
en la forme des règlements d'administration publique.

Art. 5
Sont réservés les droits de l'Etat à la propriété des biens du beylik
et ceux des propriétaires des biens melk. Sont également réservés le do-
LA PROVINCE D'ALGER VERS 1870 61

maine public tel qu'il est défini par l'article de la loi du 16 juin 1851, sur
la constitution de la propriété en Algérie, ainsi que le domaine de l'Etat,
conformément à l'article 4, § 4 de la même loi.

Art. 6
Le second et le troisième paragraphe de l'article 14 de la loi du 16 juin
1851, sur la constitution de la propriété en Algérie, sont abrogés ; néanmoins,
la propriété individuelle qui sera établie au profit des membres des douars
ne pourra être aliénée que du jour où elle aura été régulièrement constituée
par la délivrance des titres.

Art, 7
II n'est pas dérogé aux autres dispositions de la loi du 16 juin 1851 ,
notamment à celles qui concernent l'expropriation pour cause d'utilité
publique et le séquestre.

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