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Dans cet article, le jihâd de 'Uthmân dan Fodio sera considéré sous les aspects suivants : d'une
part il s'agira d'analyser les fondements de son pouvoir, son temps de prêcheur itinérant,
l'intensification du conflit avec le pouvoir haoussa, ainsi que son argumentation pour légitimer le
jihâd. D'autre part, nous mentionnerons brièvement les idées qui ont influencé le shaykh peul et
le rôle de son frère 'Abdullahi, qui sera considéré comme l'idéologue radical à ses côtés.
L'argument général de la contribution sera que, même si le conflit armé a été en quelque sorte
déclenché par hasard, le jihâd étaitnéanmoins inévitable de par la conception soutenue par le
shaykh peul.
In this contribution, the jihâd by'Uthmân dan Fodio will be considered according to the following
aspects : on the one hand will be analised the foundations of his power, his time of itinerant
preacher, as well as the accentuation of the conflict with the Hausa kings, and his argument to
legitimize the Jihâd. On the other hand will be mentioned the concepts which influenced the
shaykh and the role of his brother 'Abdullahi, the chief ideologue on his side. However, the major
argument is that even iftheJihâd started by some kind of accident, it was nevertheless inevitable
because of the concepts of the shaykh.
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26/07/2021 'Uthmân dan Fodio et la question du pouvoir en pays haoussa
Texte intégral
1 C'est avec l'arrivée de marchands et de ulémas Wangarawa, à partir du milieu du
XIVe siècle, que l'islam connut son développement dans les pays haoussas. Auparavant,
il y avait eu quelques rares visites de musulmans, peut-être même par la route du
commerce de l'Est (venant d'Egypte et passant par Kanem-Bornou, route sûrement
close au IXe siècle), mais cela n'eut pas de conséquences réelles. Autour de 1450,
suivront entre autres des clans peuls musulmans du pays haoussa, dont le clan des
Toronkawa puis, quelques siècles plus tard, de 'Uthmân dan Fodio (1754-1817), de son
frère 'Abdullâhi (1766-1828) et de son second fils Muhammad Bello (1781-1837).
2 À partir de la migration des Wangarawa, puis de celle des Peuls musulmans, en
relation avec le développement des routes du commerce à travers le Sahara, reliant le
pays haoussa à l'Egypte par l'Afrique du Nord (la Cyrénaique), il y eut une
intensification continuelle de l'islam. Dans la seconde moitié du XVe siècle, les rois
Muhammad Korau de Katsina, Muhammad Rabbo de Zazzau (Zaria) et Muhammad
Rumfa de Kano s'étaient convertis à l'Islam. Ainsi, Muhammad Rumfa de Kano (1463-
1499) avait non seulement proclamé l'islam religion officielle, mais il avait reçu, vers la
fin de son règne, le savant maghrébin al-Maghîlî à sa cour. Ce dernier avait déjà été
l'invité de Muhammad Askiya de Songhay et avait rédigé les fameuses sept réponses
aux sept questions de son hôte (Cuoq, 1975 : 398-432). L'État de Gobir, qui devait
dominer la région au cours du XVIIIe siècle, connaîtra l'influence de l'islam entre la fin
du XVe et le milieu du XVIe siècle.
3 Ainsi l'importance grandissante du pays haoussa dans le Soudan est liée à l'islam, qui
favorisa le commerce de longue distance avec les grands centres Katsina et Kano et les
grandes migrations. Ces mêmes facteurs contribuèrent en outre dans les siècles
suivants à des changements politiques, sociaux et culturels. D'une part, les ulémas
acquirent de plus en plus d'importance au XVIe siècle, devenant conseillers auprès des
cours (sarauta) et éduquant la population dans la religion, le comportement
musulman, l'écriture et la lecture arabe. On assista à l'émergence de nouveaux métiers
et le grand négoce comme le petit commerce, tous deux aux mains des haoussa, se
développa. Citons encore l'introduction d'impôts et de mesures législatives basées sur la
charia et la Sunna du Prophète.
4 Vers la fin du XVIe siècle, l'islam est bien implanté dans les villes grâce aux ulémas et
aux marchands, mais il ne l'est que superficiellement dans les campagnes peuplées de
paysans libres, d'esclaves et de nomades peuls, éleveurs de bétail. Toujours est-il qu'il
s'agit d'un islam mixte, c'est-à-dire que des conceptions et des institutions de l'islam qui
ont été introduites furent partiellement reformulées – le roi lui-même (sarki) est
considéré comme musulman -, pour coexister avec des conceptions locales non-
musulmanes. Si le pays haoussa a connu une grande prospérité tout au long du XVIe
siècle, il fut en revanche ravagé au cours du XVIIe siècle suite aux famines et aux
épidémies (Palmer, 1908 : 82), et à cause des nombreuses guerres entre Katsina et
Kano ; cette période marque aussi un certain déclin dans l'intérêt porté à l'islam ; ce
n'est qu'au XVIIIe qu'il retrouva de l'importance.
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décisive, son oncle 'Uthmân Bin-dûri et le shaykh Jibrîl b. 'Umâr. Il restera pendant
deux ans avec le premier qui lui apprendra ce qui est juste, comment ordonner le bien
et interdire le mal. Il accompagnera le second pendant un an, ira à Agadez avec lui,
mais ne pourra pas l'accompagner en pèlerinage, car son père le lui interdit et le
rappella en pays haoussa en 1773. Ajoutons que 'Abdullâhi s'était rendu avec lui auprès
du shaykh Jibrîl et que, lors du passage à Agadez, ils prirent contact avec les Touaregs
Ines-lemen, qui étaient eux-mêmes favorables à l'idée de réformes. Aussi 'Uthmân dan
Fodio était shaykh de la Qâdirîyya, bien qu'il ait été introduit dans trois autres
confréries (turuq) par Jibrîl, la Qâdirîyya, la Khalwatîyya et la Shâdhilîyya.
11 'Uthmân dan Fodio commença à prêcher l'islam en 1774 au Zamfara, à Gobir, à
Katsina et à Kebbi, souvent accompagné par son frère Abdullâhi. Il interrompra
d'ailleurs cette activité pour rendre visite au shaykh Jibrîl avec son frère qui était rentré
du pèlerinage cette même année. Dans son Infaku'lMaisuri, son fils Muhammad Bello
énonce minutieusement les sujets ainsi que le déroulement de ses sermons (Arnett,
1922 : 24-43). Le premier et le second traitaient de l'obéissance parfaite à la charia ainsi
qu'à la Sunna du Prophète. En troisième lieu, il avertit le peuple contre le doute
« comme celui des étudiants » (Arnett, 1922 : 24). Par cette formule il attaquait les
ulémas et leurs étudiants qui professaient une version imparfaite sinon fausse de la
croyance, des coutumes et des pratiques ; ceux qui prétendaient pouvoir dévoiler le
futur. Pour lui, ces derniers ne connaissaient pas la vérité et ne faisaient que mener le
peuple à l'erreur. Le quatrième sujet était la prévention du mal et des mauvaises
habitudes. Dans le dernier, il enseignait les règles de la charia.
12 Pendant vingt-neuf ans il fut prêcheur itinérant, ayant souvent Abdullâhi à ses côtés.
Il prononçait ses sermons-en langue haoussa ou peule (Shehu Umar Abdullahi, 1984 :
29) afin que son message soit entendu. Et, particularité à noter, non seulement il
accepta les femmes parmi son auditoire, mais en outre il développa leur éducation et
dénonça ceux, a fortiori s'ils étaient musulmans, qui les abandonnaient à leur
ignorance (Hiskett, 1963 : 86-7). Pendant cette période de prêche itinérant, 'Uthmân
dan Fodio évita tout contact avec les dominants, les membres de la sarauta. Il
s'adressait clairement aux populations des États mentionnés auparavant, ses discours
ayant un ton conciliant, en particulier à leur égard. Il évitait aussi toute attaque trop
apparente contre ceux qui détenaient le pouvoir. Ses sermons prônaient l'obéissance
aux règles de l'islam. Dans son enseignement, il combattait les ulémas et leurs
étudiants.
13 Ainsi se dégage un premier élément de compréhension de 'Uthmân dan Fodio dans
sa relation au pouvoir. Comme l'islam était connu depuis plus de trois siècles en pays
haoussa, il ne s'agit pas d'un enseignement introduisant les bases de l'islam mais plutôt
le situant par rapport aux réalités sociales dans plusieurs domaines. Son déni de l'islam
dans les campagnes doit être vu comme stigmatisation de cet islam impur qui s'y
pratiquait. Face aux ulémas, 'Uthmân dan Fodio se présente comme celui qui connaît la
vérité de l'islam et qui s'occupe des besoins et des difficultés des populations. Pour lui,
l'islam est antinomique avec l'exploitation des pauvres. Puisque l'islam qu'il professe
n'est pas celui des gens au pouvoir, puisqu'il ne coopère en aucun cas avec eux, il
présente un islam qui n'a rien à voir avec celui, corrompu, de la domination. Il professe
l'islam qu'on lui a enseigné, universaliste, en relation avec La Mecque et Médine. À ce
stade, il n'a pas à se confronter aux dominants : sa non-coopération suffit à le situer du
côté des dominés.
14 Si pendant longtemps cette image est restée implicite, nourrie seulement par les
activités et sermons d"Uthmân dan Fodio, les festivités des lîd al-adhâ, les prières de
1788/9, devaient donner un nouvel essor. Le sarkin Gobir Bawa dan Gwarzo rassembla
tous les ulémas de sa principauté à la cour, y compris le shaykh peul qui se trouvait
alors au Zamfara. Alors que le prince offrait d'importants cadeaux à tous, 'Uthmân dan
Fodio refusa ceux qui lui étaient destinés mais demanda au sarkin de décréter cinq
mesures :
1. lui permettre de prêcher, dans son pays, pour que les gens retournent vers
Allâh ;
2. n'empêcher personne de suivre cet appel ;
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« He proclaimed three things : First, that he would not permit any man to preach
to the people except Shehu alone. Second, that he would not permit any man to be
a Mohamedan except he who had inherited it from his father, and he who had not
inherited Mohamedanism must return to what he had inherited from his father
and grandfather. Thirdly, that no man henceforward must be seen wearing a
turban and no woman veil her body. » (Arnett, 1922 : 48)
19 En fait, le conflit semble inévitable. Si une position éminente est concédée à 'Uthmân
dan Fodio, au point qu'il semble être un personnage intouchable, Nafata essaie tout de
même de la neutraliser. Le droit suprême de prêcher l'islam est contrebalancé par
l'interdiction faite à toute personne de suivre l'appel du shaykh. A quoi bon enseigner la
religion musulmane, si la population n'a pas le droit d'agir en conformité avec elle ?
L'affront du roi de Gobir prend plus d'ampleur encore lorsqu'il commande à toute
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accepter les deux éventualités : être considéré ou non comme Mahdi. Il rejeta, après la
victoire finale, la conception de la fin du monde, refusa toute identification avec celui-ci
et se définit par contre comme son mujaddid(El-Masri et al., 1966 : 1-36).
25 Après sa victoire et la constitution du califat de Sokoto, 'Uthmân dan Fodio laissa
l'administrateur des affaires journalières à Muhammad Bello et à Abdullâhi, tandis qu'il
se situait à un niveau supérieur. Il prit le titre de calife, s'occu-pant des questions du
bon gouvernement et de la bonne conduite musulmane. Peu avant sa mort en 1817, il
divisa l'Empire, proclamant Muhammad Bello comme son successeur pour le califat de
Sokoto et donnant à Abdullâhi la régence sur l'émirat de Gwandou.
« I sent a messenger to carry the news to Shehu but he found the Jinns had
preceded him and had given Shehu news of all we had done... Some people relate
that the Jinns went to Shehu with the news of the battle before human messengers
arrived. Others say that God revealed this matter to Shehu. » (Arnett, 1922 : 95)
35 Finalement, il s'agit aussi de considérer le rôle de son frère 'Abdullâhi, ancien élève
de 'Uthmân dan Fodio. En effet, ce dernier semble n'avoir été important qu'en matière
de stratégies militaires et de commandement. Souvent, le shaykh peul lui faisait rédiger
des réponses aux ulémas qui les attaquaient, par exemple celles concernant l'éducation
des femmes (Shehu Umar Abdullâhi, 1984 : 9). Et Abdullâhi semble beaucoup plus
intransigeant que 'Uthmân dan Fodio. En fait, désillusionné et déçu pat le mouvement,
'Abdullâhi abandonna les combats la quatrième année et se rendit à Kano. À la
demande de la population, il y rédigea un livre sur le gouvernement constitutionnel. En
cela, il suivit al-Mag-hîlî qui en avait écrit un lors de son passage à la fin du XVe siècle.
Il ne rejoignit les rangs de l'armée que peu de temps avant la bataille finale d'Alkalawa.
36 Assurément, 'Abdullâhi était l'idéologue radical aux côtés du shaykh peul.
L'éducation continuelle était pour lui le grand pilier contre toute malfaisance,
complaisance, contre tout détournement de la vie juste. Pour lui, tout musulman devait
contribuer avec toutes ses capacités au bien-être de la société, son éducation
personnelle et celle de ses proches étant l'autre devoir suprême. Surtout, après
l'instauration du gouvernement islamique, Abdullâhi voulait interdire toute coutume
non musulmane et condamnait la pratique des nouveaux dignitaires musulmans de
s'abandonner au luxe. Comme 'Uthmân dan Fodio semblait avoir été moins exigeant et
plus pragmatique après la victoire finale, le désaccord entre les deux frères s'accentua
après 1810 (Shehu Umar Abdullâhi, 1984 : 11-12 ; 63-84). Conscient que la constitution
du califat de Sokoto n'impliquait pas véritablement la communauté des musulmans,
'Uthmân dan Fodio opta pour la clémence et le pragmatisme dans le gouvernement
contre le radicalisme de 'Abdullâhi. La désignation de Muhammad Bello comme
successeur au Califat n'en fut que la conséquence logique.
37 'Uthmân dan Fodio était un savant musulman idéaliste. Convaincu par
l'enseignement qu'il avait reçu que le pays haoussa était « Territoire d'Impiété » Dâr al-
kufr, toute sa vie fut caractérisée par l'effort de diffuser un islam pur, univer-saliste.
Cette conception était largement marquée par deux facteurs essentiels : par sa
frustration de ne connaître l'institution du pèlerinage que de manière livresque, et par
ses rencontres avec le shaykh Jibrîl, ainsi que par les aspects de la Qâdirîyya
mentionnés précédemment (Hiskett, 1984 : 170).
38 Deux motifs sont à la base de ses actes. Face aux populations haoussas, 'Uth-mân dan
Fodio se concentre sur l'éducation, accentuant la clémence jusqu'à l'armement de sa
jamâ'a, y joignant le pragmatisme dans le recrutement de son armée, et surtout après la
constitution du califat de Sokoto. Radicalisme qui s'articule d'autre part dès le début à
ses sermons contre les ulémas et leurs élèves qui détournent le peuple de la bonne voie,
qui soutiennent un islam mixte, et qui coopèrent avec les gouvernements dynastiques.
Plus tard, lorsque sa jamâ'a se sera agrandie, il l'étendra contre les dominants qui ne
faisaient qu'instrumentaliser l'Islam selon le principe de la contrapuntal paramountcy
pour leur propre légitimation. C'est dans ce contexte qu'il revient sur al-Maghîlî et qu'il
reprend l'idée de révolte du shaykh Jibrîl. En ce qui concerne le concept du mahdi et de
l'approche de la fin du monde, il est activé avec la confrontation armée, après la victoire
du jihâd, il s'en distanciera et accentuera celui du mujaddid.
39 Finalement, nous mentionnerons brièvement les importantes répercussions que le
succès du jihâd en pays haoussa eut en Afrique de l'Ouest au Sud du Sahara : entre 1810
et 1818 (la date n'est pas certaine), Ahmadu Lobbo, qui avait reçu le drapeau du shaykh
peul, mena un jihâd avec succès au Masina. Entre 1850/1 et 1860, al-Hajj 'Umar, après
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avoir entrepris le pèlerinage et avoir été en 1830 à Sokoto auprès de Muhammad Bello,
réussit à constituer l'Empire Ségou-Tou-couleur, bien qu'il ne pût jamais établir un
gouvernement civil et que l'Empire ait été désintégré après sa mort. Mais, dans sa
ferveur contre toute coutume non musulmane, al-Hajj 'Umâr ne recula même pas
devant un jihâd contre Ahmadu Lobbo auquel il reprochait de tolérer l'islam mixte sur
son territoire.
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Référence électronique
Thomas Fillitz, « 'Uthmân dan Fodio et la question du pouvoir en pays haoussa », Revue des
mondes musulmans et de la Méditerranée [En ligne], 91-94 | juillet 2000, mis en ligne le 12 mai
2009, consulté le 25 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/remmm/256 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/remmm.256
Auteur
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26/07/2021 'Uthmân dan Fodio et la question du pouvoir en pays haoussa
Thomas Fillitz
Institut für Ethnologie Kultur-und Sozialanthropologie, Vienne
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