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Q U E S A I S - J E ?

Le droit musulman
FRÉDÉRIC-JÉRÔME PANSIER
Docteur d'État en droit
Docteur ès Lettres

KARIM GUELLATY
DESS de Droit
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ISBN 2 13 050576 7

Dépôt légal — 1 édition : 2000, février


© Presses Universitaires de France, 2000
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
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PRÉFACE

Le titre du présent ouvrage - Le droit musulman -


ne doit pas faire oublier que les communautés profes-
sant la foi islamique comptent plusieurs centaines de
millions d'adeptes - qu'elles occupent de vastes terri-
toires répartis sur quatre continents - que les situa-
tions politiques, économiques et sociales de ces collec-
tivités sont loin d'être uniformes - et qu'elles se
situent à l'intérieur d'un nombre important d'États
- républiques, émirats, monarchies...
Pour l'essentiel, notre ambition est seulement d'ex-
poser les caractères généraux du droit musulman,
d'en énoncer les principes fondamentaux, d'en relater
l'évolution, d'examiner succinctement les fondements
théoriques, en bref de donner à nos lecteurs une
image fidèle des systèmes juridiques régissant les
croyants, sans entrer dans les détails des régimes
locaux ou des situations particulières, ce qui d'ailleurs
serait une mission difficilement réalisable, sinon
impossible.
En nous plaçant sur un terrain objectif et en
excluant tout élément passionnel, notre dessein sera
d'expliquer, de fournir des éléments de compréhen-
sion et de comparaison, d'informer et même de vulga-
riser, de relater les discussions et raisonnements des
docteurs de la loi, de décrire l'environnement et le
milieu musulman.
Notre souhait principal est d'exprimer, et de faire
partager à nos lecteurs, la vraie et sincère sympathie
que nous éprouvons pour le monde musulman, boule-
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versé par la présence de courants de pensée contradic-


toires et déstabilisé par de cruelles vicissitudes, qui,
espérons-le, ne tarderont pas à prendre fin.
En dernier lieu, le but de cet ouvrage est de faire
découvrir le droit musulman à ceux qui le connais-
saient peu ou à travers les médias, lesquels n'en véhi-
culent qu'une image imparfaite et déformée.
Enfin, en espérant que ceux qui prônent la tolé-
rance l'appliquent eux-mêmes.
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INTRODUCTION

I. — Le milieu géographique et humain


au temps de Mohamed
Le mot Islam, que l'on rattache au mot arabe
Salam, Salama, signifiant « la paix, le repos », est
considéré comme impliquant la soumission à Dieu, et
le respect des « cinq piliers de l'Islam », soit :
1 / la foi en un Dieu unique, dont Mohamed (Maho-
met) est le Prophète, son envoyé sur Terre ( « Je
crois qu'il n'y a de Dieu qu'Allah, et je crois que
Mohamed est le messager de Dieu » ) ;
2 / la prière canonique, qui doit être faite cinq fois
par jour, à des heures déterminées indiquées par
l'appel du muezzin du haut du minaret, en obser-
vant le rituel canonique : ablutions préalables,
prosternations, attitudes, silence, méditations ;
3 / le jeûne, qui doit être observé du lever au coucher
du soleil, pendant les vingt-huit à trente jours du
mois de Ramadan, et qui comporte l'interdiction
de boire, de manger, de fumer, d'avoir des rela-
tions sexuelles, etc. ;
4 / l'aumône, le pardon qui se transforme parfois en
dîme légale ;
5 / une fois au moins dans sa vie, le croyant doit
effectuer un pèlerinage à La Mecque (Mekke), à
Médine.
Le terme Islam est utilisé pour désigner l'ensemble
des adeptes de la religion musulmane qui se considè-
rent comme étant des frères, et qui sont répartis dans
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les diverses parties du monde : il existe une commu-


nauté islamique à caractère supranational.
Une appellation nouvelle est née, celle d'islamiste,
revendiquée par les zélateurs de l'Islam, les croyants
intransigeants, ou même les combattants de la
guerre sainte : ainsi dénomme-t-on la rébellion, en
Algérie, comme étant les « groupes islamistes ar-
més ». Cette terminologie nouvelle a l'inconvénient
de faire perdre de vue l'universalité de l'Islam, en
distinguant les musulmans « normaux » des terroris-
tes et des « intégristes ».
L'Islam a vu le jour en Arabie ; le Prophète était
un Arabe, ainsi que ses premiers disciples. Le Coran
et la liturgie sont en langue arabe ; tout musulman,
dans quelque partie du monde qu'il se trouve, dit ses
prières en langue arabe. Bien que la nation arabe soit
maintenant minoritaire dans la communauté isla-
mique mondiale, dont elle ne représenterait qu'envi-
ron un sixième, elle n'en joue pas moins un rôle
essentiel, sur le plan de l'Histoire et celui de la foi, et
le grand nombre de croyants qui se rend en pèleri-
nage à La Mecque est à cet égard significatif.
C'est pourquoi une bonne connaissance de l'Islam
débute nécessairement par une connaissance de
l'Arabie.

1. L'Arabie à l'époque de Mohamed. — La pénin-


sule d'Arabie (Jazirat al Arab), géographiquement,
était, et demeure encore, à l'écart des grandes voies
de communication. Vaste plateau granitique aride et
en partie désertique (Nefoud), bordé de montagnes et
de côtes inhospitalières qui en rendent l'accès difficile,
la rudesse de son climat et la pauvreté de ses ressour-
ces (jadis connues au titre des parfums et des gom-
mes) font que l'Arabie ne fut pas l'objet de grandes
convoitises. Sa population, à l'époque de Mohamed,
était composée de tribus inorganisées, menant à
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l'écart de la civilisation une vie rude et difficile, très


souvent à l'état nomade, ayant pour tout moyen de
subsistance les troupeaux de moutons et de cha-
meaux, à la recherche de pâturage. La religion y était
réduite à sa plus simple expression. Toutes les condi-
tions pour l'émergence d'une nouvelle foi étaient
donc réunies.
En même temps, la situation géographique de
l'Arabie était très favorable à la rapide diffusion de
nouvelles idées. Vers l'ouest, en traversant le delta du
Nil, on atteignait facilement, et sans obstacle majeur,
le Maghreb. Vers l'est, en chevauchant les steppes
syriennes, il était facile de parvenir jusqu'aux vallées
du Tigre et de l'Euphrate et à la Perse. Les marins
arabes, en longeant les rivages de l'océan Indien, par
un cabotage exempt de grands dangers, se rendaient
souvent en Afrique, jusqu'à Zanzibar, et aux Co-
mores, ou en Inde, aux îles du Sud-Est, en Malaisie,
à Sumatra, ou à Java. En remontant vers le nord en
Méditerranée, on arrivait en Asie Mineure, en Grèce,
dans les Balkans, en Sicile.

2. La situation du Moyen-Orient. — En outre, le


Moyen-Orient était un grand centre de commerce
international ; depuis de nombreuses années, « fonc-
tionnaient » des villes-étapes sur les « routes de la
soie » aboutissant en Chine, et celles des « épices »
menant en Indonésie, dans lesquelles s'arrêtaient les
caravanes, telles que Petra, Damas, Baalbeck, Pal-
myre, Borsa et bien d'autres.
Quant à la situation politique, elle s'avérait relati-
vement calme. La chute de l'Empire romain et de
celui d'Alexandre le Grand avait mis en place des sys-
tèmes politiques - Empire byzantin, dynasties des
successeurs d'Alexandre, potentats locaux -, dont la
puissance demeurait limitée. La paix retrouvée avait
ramené une indiscutable quiétude et l'apaisement des
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esprits. La fragmentation des nations ou États rendait


ceux-ci moins redoutables. Cependant, dans la plu-
part des cas, ces peuples n'avaient pas adopté le Dieu
unique prôné par Mohamed, qui était une nouveauté.
Il s'agissait de tribus plus ou moins organisées, diri-
gées (en général) par des chefs (cheikh) ; ceux-ci
n'avaient la plupart du temps que peu d'autorité ; elle
était subordonnée à l'existence d'un consensus entre
les membres de la tribu. Le plus important de ces
petits États, proches de l'Arabie, était celui des Naba-
teens, dont subsiste la célèbre capitale, Petra, centre
d'entrepôts et lieu de passage quasi obligatoire pour
les caravanes des déserts syrien et égyptien.

II. — La vie de Mohamed

1. Biographie de Mohamed. — La vie du Prophète


ne repose sur aucun document à caractère historique
et n'est fondée que sur la tradition (Sîra), dont
l'exactitude n'est pas certaine.
Mohamed, orphelin à l'âge de 6 ans, aurait été
élevé d'abord par son grand-père, Ahmed Ben Motta-
lib, puis par son oncle, Abou Talib, avec son cousin
Ali. Dépourvu de fortune, il fut ensuite engagé par
une riche veuve, Khadija, qui exploitait un négoce de
marchand caravanier. Mohamed l'épousa et jouit dès
lors d'une certaine aisance. Tant qu'elle vécut, il n'eut
qu'elle comme épouse, mais, après sa disparition, il
eut jusqu'à neuf femmes.
Un jour où il se trouvait seul, l'ange Gabriel appa-
rut à Mohamed et lui dit : « Récite » (Iqrâ). Moha-
med sut alors que Dieu lui ferait des révélations qu'il
se devait de réciter et de transmettre aux autres hom-
mes. Cette vérité révélée par Dieu constitue le Coran
(Qoran, « révélations »). La conséquence en sera l'im-
muabilité du Coran qui découle du fait que l'homme
n'a pas le pouvoir de modifier la Parole de Dieu.
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Les révélations dictées par Dieu se reproduisirent à


diverses reprises et ont été par la suite rédigées par les
disciples du Prophète sous la forme de versets (sou-
rates). Mohamed, soutenu par sa femme, essaya de
transmettre les messages de Dieu aux habitants de la
Mecque. Ses premiers disciples, selon la tradition, ont
été un ami intime, Abou Bakr, Omar, son cousin Ali,
et son fils adoptif Zaid. Il rencontra quelques succès
auprès des petites gens.
Mohamed, dans ses prédications, se déclarant
l'ange de Dieu et annonçant le Jugement dernier,
demandait d'abandonner les autres divinités et de se
soumettre aux commandements d'Allah, Dieu unique,
qui récompense les bons et punit les méchants. Au
jour de sa mort terrestre, l'homme devient inconscient
jusqu'au Jugement dernier pour lequel il est alors
ressuscité.
Les sermons de Mohamed furent peu appréciés par
la population de la Mecque ; il menaçait les incré-
dules contre lesquels il lançait des anathèmes. Il fut
obligé de quitter La Mecque pour la ville de Yathrib,
avec laquelle il conclut le pacte d'Al Aqaba au terme
duquel ses habitants renonçaient à l'idolâtrie et s'en-
gageaient à lui obéir.
Le départ de La Mecque pour Médine ( « Nul n'est
prophète en son pays » ) qui éloigne Mohamed de sa
ville natale pour une très longue durée, va initier une
période de lutte entre les deux villes, qui, par ailleurs,
en tant que centres commerciaux situés dans la même
région, se trouvaient en concurrence et fréquentées
par les caravaniers.

2. L'hégire (12 rabï 1 - 24 septembre 622). —


L'hégire (expatriation), qui marque le début de l'ère
musulmane, consiste dans le départ pour Al Yathrib,
désormais dénommée Médine (Madinat an Nabi
– ville du Prophète), de Mohamed et de ses partisans
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de La Mecque (les Ançar). Il constitue, avec les gens


de Médine (Mohadjroun), une communauté plurielle,
l'Omna, régie par un principe de droit public, à savoir
que le pouvoir du chef de l'Omna n'est légitime que
tant qu'il possède le consensus de ses membres.
Mohamed s'intéresse d'abord aux juifs de Médine,
qui, à l'instar des autres juifs du Moyen-Orient,
étaient monothéistes comme lui, et pense ainsi pou-
voir les rallier à sa foi. Il n'en reçut que mépris et
dérision, et en profita pour les expulser. Il renonça, à
cette occasion, à rattacher la nouvelle croyance à la
religion juive, mais il remonta à Abraham, en
excluant Moïse, et en considérant qu'Abraham n'était
pas juif, puisque, de son vivant, la loi mosaïque
n'existait pas encore.
La communauté constituée autour de Mohamed, à
Médine, en faisait une concurrente de La Mecque,
puisqu'il s'agissait de deux villes voisines dont l'acti-
vité principale était le commerce caravanier. Il semble
que, peu de temps après l'hégire, en 623, les gens de
Médine pillèrent une caravane allant de Syrie à La
Mecque. La Mecque envoya vers Médine une troupe
qui fut battue à Badr et laissa 49 morts sur le terrain :
le peuple proclama qu'Allah s'était prononcé en
faveur de Mohamed. Toutefois, l'année suivante, lors
d'une bataille qui se déroulait au mont Obed, Moha-
med fut blessé ; son oncle Hatina périt lors du com-
bat ; mais les partisans du Prophète purent se replier
à Médine. En 627, les guerriers de La Mecque vinrent
mettre le siège devant Médine que Mohamed avait
entourée d'une fosse. Découragés par la longue durée
des opérations, les assiégeants se retirèrent.
Mohamed profita de ces hostilités pour faire partir
de la région les tribus arabes qui n'avaient pas pris
son parti. En 627, les Banou-Kraica s'étaient montrés
déloyaux : les hommes furent tués, les femmes et les
enfants étant vendus comme esclaves.
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3. Le retour à La Mecque (Mekke). — Ayant ren-


forcé sa puissance et son autorité, et ayant rallié à sa
croyance des tribus bédouines et des chefs locaux,
Mohamed marche en janvier 630 vers La Mecque, où
il entra sans combattre. D'ailleurs, dès 628, sa femme
Khadija étant décédée, il avait épousé la fille d'un
notable de La Mecque.
Mohamed ne devait vivre que peu de temps après
sa prise de pouvoir ; retourné à Médine, il fut pris
d'une forte fièvre et mourut le 13 rabï 10 (4 juin 632).
L'Islam orthodoxe lui a reconnu la qualité d'ins-
trument de Dieu pour les révélations des paroles
d'Allah qui sont le fondement de l'Islam, mais n'en a
pas fait un « saint » au sens chrétien du terme ; il ne
lui attribua pas le pouvoir de réaliser des miracles.

4. L'après-Mohamed : le califat. — Le chef d'une


petite province, l'émir, est inférieur dans la hiérarchie
au Khalife (d'où notre terme calife), qui, lui, est le
lieutenant du Prophète (celui-ci est et restera unique
et n'a donc pas de successeur), et il est censé diriger
l'Islam. Ali, cousin de Mohamed, dont il avait épousé
sa fille Fatima, fut dépossédé du califat et assassiné
en 661 ; ses partisans, qui le considérèrent comme un
martyr, formèrent la secte des chiites, qui s'oppo-
sèrent à ceux qui avaient soutenu ses adversaires, les
sunnites (qui existent encore de nos jours et demeu-
rent des ennemis). Les califes principaux donnèrent
naissance à quatre dynasties :
1 / un autre gendre du Prophète, Othman, succéda à
son cousin Mo'Awiya, gouverneur de Syrie, fon-
dateur de la dynastie ommayade, laquelle dura jus-
qu'à la fin du X siècle ;
2 / la dynastie abbasside, installée à Bagdad, en Irak,
disparut lors de l'arrivée d'un nouveau peuple, les
Turcs seldjoukides, au milieu du XI siècle ;
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tion judiciaire égyptienne qui sera désormais calquée


sur le régime des tribunaux mixtes avec, de ce fait,
l'application des codes y afférents.
Cette « francisation » des normes juridiques doit
être toutefois relativisée par la présence des précepts
de la Charia. Ainsi, nous l'avons spécifié, tout ce qui
concerne le statut personnel ne sera pas réuni et res-
tera sous l'emprise du droit musulman. Par ailleurs, le
Code civil de 1883 respecte les principes de l'Islam,
spécifiquement en consacrant le droit de préemption
musulman dans les modes d'acquisition de la pro-
priété ou en tenant compte des biens de mainmorte.
Enfin, l'Islam reste très fortement imprégné dans les
coutumes locales qui sont, bien souvent, appliquées et
respectées bien plus rigoureusement que le droit civil
national.
La situation est la même que pour l'Empire otto-
man dans le sens où, malgré l'introduction de normes
« laïques », la population continue à appliquer les
principes islamiques, par le biais du respect des cou-
tumes et traditions, rarement violées.
Le Code civil appliqué aujourd'hui en Égypte est le
fruit de cet héritage « juridico-historique » mêlé d'une
volonté d'y adjoindre des prescriptions reflétant l'évo-
lution sociale, l'ensemble dans le respect de l'Islam.
C'est ainsi que l'article 1 du Code civil pose
comme fondement aux sources formelles du droit la
Charia : « A défaut d'une disposition législative appli-
cable, le juge statuera d'après la coutume et, à son
défaut, d'après les principes du droit musulman. A
défaut de ces principes, le juge aura recours au droit
naturel et aux règles de l'équité. »
L'instauration de ce nouveau code est sans doute le
résultat du traité de Montreux de 1937 abolissant les
capitulations. Les tribunaux mixtes seront maintenus
jusqu'en 1949, mais il faudra trouver, lors de leurs
suppressions, de nouveaux textes de lois.
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Du reste, dans cette codification aussi, le statut per-


sonnel est écarté, il reste soumis aux lois de la Charia.
La référence de ce Code à la Charia le fera jouir d'un
immense prestige qui lui permettra d'être transposé en
Syrie (en remplacement du Medjellé), en Irak
(en 1951 mais avec une référence encore plus forte à la
Charia), au Koweit pour toute sa partie générale des
obligations, dans les émirats, le Yémen, la Libye (no-
tons pour ce dernier pays que la commission chargée
d'élaborer le code était composée de juristes égyptiens),
le Soudan (avec son abandon en 1973) et la Somalie.
De ces trois exemples de codifications au Proche-
Orient, des caractéristiques spécifiques apparaissent
qui peuvent apporter un éclairage intéressant sur
cette difficulté de codifier inhérente à l'Islam.
Le Code turc, totalement novateur et quasi
dépourvu de référence à l'Islam, ne sera repris dans
aucun pays du Proche-Orient. En revanche, le Med-
jellé ottoman, bien qu'il concerne, au moins partielle-
ment, le même territoire que la Turquie, servira de
base fondamentale aux différentes entreprises de codi-
fication de la région. Or ce code reprend de nombreu-
ses prescriptions musulmanes et respecte la plupart des
principes islamiques. De même, le Code égyptien sera
largement apprécié par sa référence, certes moins
omniprésente que dans le Medjellé, à la Charia.
Ces faits historiques, dont nous avons tenté de
retracer l'évolution intellectuelle avec la plus grande
objectivité, nous prouvent, s'il était nécessaire, qu'il
est totalement impossible d'apporter à un pays, avec
ses propres croyances, ses rites particuliers et ses rai-
sonnements spécifiques, des solutions toutes faites
calquées sur des pays aux particularités différentes.
L'identité culturelle impose donc, et a imposé, afin
d'assurer une stabilité nécessaire à tout système juri-
dique, un équilibre entre les spécificités régionales et
les systèmes inspirés d'autres nations.
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A une époque où nos « intellectuels de salon » ne


cessent de vouloir transposer un système qui leur
semble idéal parce qu'issu de leur culture, à des pays
foncièrement différents par leurs traditions, ces
mêmes personnes devraient s'inspirer des expériences
de l'Histoire, plutôt que de prôner, sous couvert
d'une idéologie mondialiste bienfaitrice, le schèma
d'une colonisation indirecte.

2. Les codifications du Maghreb. — Il n'est certes


pas possible d'examiner, dans le cadre de cet ouvrage,
les processus de codification du droit musulman dans
les États ayant accédé à l'indépendance, après avoir
été soumis, pendant des durées variables selon les cas,
à la colonisation étrangère, ou à un régime de protec-
torat. Nous pensons cependant, et malgré ces consta-
tations, devoir mentionner l'Afrique du Nord, si
proche de nous.
Nous ne parlerons pas de l'Algérie, qui jus-
qu'en 1962 faisait partie intégrante de la France.
Considérée comme colonie de peuplement, elle comp-
tait alors deux statuts distincts, l'un régi par le droit
civil français de droit commun, l'autre réservé aux
« Français musulmans », inspiré au moins partielle-
ment de la Charia ; il existait également quelques par-
ticularités coutumières en Kabylie et au Mzab. Les
événements aussi bien anciens que récents (guerre
d'Algérie, accords d'Évian, exode des « pieds-noirs »,
naissance d'un particularisme berbère, apparition des
intégristes et de la rébellion armée) nous invitent à ne
pas traiter un sujet dont nous ne connaissons pas suf-
fisamment tous les éléments de fait et de droit. Par
ailleurs une telle étude, à cause des éléments énoncés
ci-dessus, et de la complexité qui en découle, pourrait
faire l'objet d'un ouvrage à part entière.
La situation de la Tunisie - qui a mis en vigueur
une codification du statut personnel (Madjallat), avec,
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nous l'avons déjà mentionné (voir 1., « Les codifica-


tions du Proche-Orient »), tout ce que cela comporte
comme raisonnement et démarche avant-gardiste - est
différente du fait qu'elle a constitué avant le Protecto-
rat français une sorte de vice-royauté quasi autonome
de l'Empire ottoman, dirigée par le Bey de Tunis. Pour
des raisons géographiques et historiques, il y existait
une classe moyenne qui, sans être « occidentalisée »,
admettait une relative adaptation du statut personnel
musulman au monde moderne, et ne prônait pas avec
rigueur l'intangibilité de la Charia.
Nous étudierons plus spécialement la codification
au Maroc, dont le caractère spécifique nous donnera
l'occasion de situer le problème sur un plan général.

A) La situation de l'Empire chérifien lors de son


accession à l'Indépendance. — Rappelons que l'indé-
pendance du Maroc n'a pas été acquise sans luttes et
soubresauts (destitution du sultan Mohamed V, mise
en place d'un autre souverain, puis rappel et retour sur
le trône de ce sultan, événements politiques qui ont
marqué de manière incontestable le départ de l'admi-
nistration française). Il a d'abord fallu réunifier politi-
quement l'Empire chérifien, qui avait été arbitraire-
ment divisé par les puissances étrangères en différentes
zones : celle à caractère international de Tanger, une
autre dévolue à l'Espagne (Riff, partie de la zone nord,
Sidi Ifmi, Rio de Oro), qui détenait des places de
pleine souveraineté (Presidios de Cevta et de Mellila),
le restant dépendant des protectorats de la France.
Les statuts personnels de la population étaient
d'une grande disparité. Les arabophones musulmans
des villes et des plaines littorales se trouvaient assujet-
tis au rite malikite, les populations berbères des
régions montagneuses, bien qu'étant des adeptes de
l'Islam, suivaient certaines coutumes, appliquées par
leurs propres juridictions instituées par un « dahir
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berbère ». Il faudra donc, pour réaliser l'unité, anéan-


tir ou tout au moins fortement atténuer un particula-
risme qui mettait en échec la notion de communauté
islamique.
On trouvait également de très anciennes commu-
nautés juives, augmentées du contingent des israélites
qui avaient quitté l'Espagne lorsque les musulmans en
avaient été chassés (les Andalous). Traditionnelle-
ment, cette minorité était admise à pratiquer l'hébreu,
langue usitée tant pour le culte que devant les tribu-
naux rabbiniques ; les israélites possédaient et étaient
assujettis à un statut personnel propre (loi mosaïque,
coutume des Andalous). Enfin, les étrangers non
musulmans bénéficiaient de leur statut national d'ori-
gine, et ce en vertu de l'ancien système des capitula-
tions, établissant des tribunaux consulaires afin de
donner des garanties suffisantes aux commerçants
étrangers. Il est vrai que la mise en place, par le Pro-
tectorat, de tribunaux français, avait (en grande
partie) transformé cet état de choses, les non-
Marocains relevant des juridictions françaises.

B) La codification. — Elle a été entreprise et


réclamée sous le signe de l'urgence ; le peuple maro-
cain était impatient de voir le droit personnel musul-
man rétabli dans toute la nation, y compris les
régions berbères. Elle a été l'œuvre de dahirs successi-
vement promulgués par le souverain (6 livres) entre le
22 novembre 1957 et le 3 avril 1958, mais il ne lui a
pas été donné un effet rétroactif.
La base essentielle de la codification avait été
définie par le roi Mohamed V dans un discours
adressé lors de son installation à la commission
chargée de rédiger le Code du statut personnel. Il y
déclarait notamment que les richesses de la littérature
juridique arabe dispensaient le Maroc d'avoir recours
au droit des autres nations et qu'il fallait débarrasser
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le droit musulman des interprétations, argumenta-


tions et coutumes qui en altéraient la pureté et qu'à
tort certains considéraient comme intégrés dans la
Charia. Il fallait donc rétablir la prééminence de la
culture musulmane (théologique, juridique et philoso-
phique) sur les innovations d'inspiration étrangère et
non sur le fait du prince. C'est en quelque sorte un
retour aux sources.
Déjà, avaient été intégrés dans la justice marocaine
les juges religieux (cadis) jusque-là pourtant tenus à
l'écart. Finalement les membres de la commission
étaient pour la plupart issus des facultés de théologie
et de droit coranique, comme la Karouyne de Fès,
mais aussi du Moyen-Orient (le Caire, Damas, Bey-
routh) ; ils étaient donc tout disposés à suivre les ins-
tructions religieuses. En application des principes
essentiels de la Charia et du rite malikite, la codifica-
tion ne pouvait toucher à ce qui était la Parole de
Dieu, ni mettre en cause les principes du Coran et de
la Charia ; l'intangibilité et l'immuabilité du droit
musulman étaient donc maintenus.
D'ailleurs, le Code, dénommé Moudawana, autre-
ment dit, en français, « recueil », ne constitue pas une
véritable œuvre de législation, mais une compilation
énumérant le droit antérieur, en l'épurant de ce qui
est contraire au Fqih. Les dahirs de promulgation
abrogent, à dater de la mise en vigueur de la Mouda-
wana, toutes les dispositions qui lui sont contraires ;
ils prévoient, par ailleurs, pour ce qui n'est pas prévu
par le Code, « de se reporter à l'opinion prédomi-
nante la plus connue dans le rite malikite, ou à la
jurisprudence qui y a cours » (i.e. les recueils des
arrêts rendus par les cadis).
Le Code personnel constitue donc un retour au rite
malikite pur, avec, cependant, il faut le reconnaître,
quelques correctifs indispensables, qui sont les
bienvenus (restriction au droit de contrainte matrimo-
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niale - ou encore organisation d'une institution


d'héritiers permettant désormais la représentation de
l'héritier décédé), y compris la suppression de la
théorie de l'enfant conçu, mais « endormi » dans le
ventre de sa mère, couvrant les infidélités évidentes de
celle-ci, en prolongeant la durée légale de la grossesse.

C) Le problème des nationalités et des non-


musulmans. — Ce problème est généré par le carac-
tère confessionnel du droit musulman. Le Code
marocain de la nationalité du 6 septembre 1958
exemptait, directement ou indirectement, du statut
personnel musulman, d'une part les Marocains de
confession juive, bénéficiaires de très anciennes cou-
tumes, et d'autre part les résidents qui n'ont pas la
nationalité marocaine et peuvent se prévaloir de leur
statut personnel d'origine.
Dans la plupart des pays musulmans, comme au
Maroc, une tendance de plus en plus forte se fait
jour, pour réclamer que la Moudawana constitue le
droit commun applicable à tous les nationaux, qu'ils
adhèrent ou non à la religion musulmane, et quelle
que soit leur confession... Il est en effet difficile
d'admettre que le statut personnel dépende d'un élé-
ment subjectif - appartenance ou non à la foi musul-
mane. Cette solution extrême peut être modulée, en
utilisant la notion d'ordre public marocain musul-
man, laquelle permettrait de soumettre d'office et de
plein droit toute personne marocaine non musulmane
à des règles nettement déterminées, dont l'application
serait déclarée d'ordre public, et ce au nom de la foi
islamique. Après tout, le roi n'est-il pas le comman-
deur des croyants et de tous les croyants ? Et n'a-t-il
pas pour mission de maintenir la primauté de la foi
islamique ? Ces deux obligations croisées justifieraient
donc que la Moudawana s'applique à toute la popu-
lation résidant sur le territoire national.
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BIBLIOGRAPHIE

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