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• 35 fiches pour réviser tout le cours de Droit des contrats spéciaux : 2e édition
les définitions à connaître, les erreurs à éviter, les points essentiels à retenir
• des exercices corrigés pour vérifier ses connaissances
• des repères bibliographiques pour aller plus loin
• 1 index

2e éd.
le sommaire
1. Premiers aperçus de la matière 20. La formation du contrat de bail
2. Qualification des contrats spéciaux 21. Les obligations du bailleur
22. Les obligations du preneur
Première partie 23. Circulation et extinction du bail

Droit des contrats spéciaux


Les contrats portant sur les choses 24. Le prêt à usage
3. Présentation du contrat de vente 25. Le prêt de consommation

Droit des contrats


4. Identification du contrat de vente 26. Identification et formation du dépôt
5. Qualification du contrat de vente de droit commun
6. La capacité et le consentement 27. Les effets et l’extinction du dépôt
dans la vente de droit commun

spéciaux
7. Information et réflexion 28. Les dépôts spéciaux
8. Les avant-contrats
9. La chose vendue Seconde partie
10. Le prix de vente Les contrats portant sur les services
11. Le transfert de propriété 29. La qualification et la forme du mandat
et des risques 30. Les effets du mandat
12. L’obligation de délivrance 31. L’extinction du mandat
13. La garantie d’éviction 32. Identification et formation du contrat
14. La garantie des vices cachés d’entreprise
15. La garantie de conformité 33. Les obligations de l’entrepreneur
16. Les obligations de l’acheteur 34. Les obligations du maître de l’ouvrage
17. L’échange et l’extinction du contrat d’entreprise
18. Présentation et qualification 35. Le contrat d’entreprise de construction
du contrat de bail
19. L’articulation du droit commun du bail
et des statuts spéciaux

Johann Le Bourg
l’auteur le public
Johann Le Bourg est maître de conférences à • Licence 3 Droit
l’Université de Savoie Mont Blanc. • Master 1 Droit

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fiches de
Droits
des contrats
spéciaux

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fiches de
Droit
des contrats
spéciaux
2e édition Johann Le Bourg
Maître de conférences
Université de Savoie Mont Blanc

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ISBN 9782340-053199
©Ellipses Édition Marketing S.A., 2019
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Table des matières

Fiche 1 Premiers aperçus de la matière........................................................5


Fiche 2 Qualification des contrats spéciaux................................................ 12

Première partie
Les contrats portant sur les choses
Fiche 3 Présentation du contrat de vente................................................... 21
Fiche 4 Identification du contrat de vente.................................................. 27
Fiche 5 Qualification du contrat de vente................................................... 33
Fiche 6 La capacité et le consentement dans la vente.................................. 42
Fiche 7 Information et réflexion............................................................... 49
Fiche 8 Les avant-contrats....................................................................... 57
Fiche 9 La chose vendue.......................................................................... 68
Fiche 10 Le prix de vente........................................................................... 74
Fiche 11 Le transfert de propriété et des risques.......................................... 82
Fiche 12 L’obligation de délivrance.............................................................. 92
Fiche 13 La garantie d’éviction................................................................. 102
Fiche 14 La garantie des vices cachés........................................................ 109
Fiche 15 La garantie de conformité........................................................... 123
Fiche 16 Les obligations de l’acheteur....................................................... 129
Fiche 17 L’échange.................................................................................. 135
Fiche 18 Présentation et qualification du contrat de bail............................. 139
Fiche 19 L’articulation du droit commun du bail et des statuts spéciaux......... 146
Fiche 20 La formation du contrat de bail....................................................151
Fiche 21 Les obligations du bailleur...........................................................157
Fiche 22 Les obligations du preneur.......................................................... 166
Fiche 23 Circulation et extinction du bail...................................................173
Fiche 24 Le prêt à usage.......................................................................... 181
Fiche 25 Le prêt de consommation............................................................ 189
Fiche 26 Identification et formation du dépôt de droit commun.................... 199
Fiche 27 Les effets et l’extinction du dépôt de droit commun....................... 206
Fiche 28 Les dépôts spéciaux................................................................... 213

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Seconde partie
Les contrats portant sur les services
Fiche 29 La qualification et la forme du mandat.......................................... 223
Fiche 30 Les effets du mandat.................................................................. 230
Fiche 31 L’extinction du mandat............................................................... 237
Fiche 32 Identification et formation du contrat d’entreprise......................... 242
Fiche 33 Les obligations de l’entrepreneur...................................................249
Fiche 34 Les obligations du maître de l’ouvrage et l’extinction du contrat
d’entreprise............................................................................... 260
Fiche 35 Le contrat d’entreprise de construction......................................... 267

Table des abréviations............................................................................... 273

Index.......................................................................................................275

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Fiche 1
Premiers aperçus de la matière

I. Droit des contrats spéciaux et droit commun du contrat


II. Les sources des contrats spéciaux

Définitions

Contrat nommé. Un contrat nommé est contrat auquel la loi accorde un nom et
un régime juridique.
Contrat innomé. Un contrat innomé est un contrat dont le régime juridique n’est
pas organisé par la loi.
Liberté contractuelle : principe suivant lequel chaque partie est libre de
contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant, le contenu et
la forme du contrat.
Specialia generalibus derogant. Cette maxime est une règle permettant d’affirmer
que lorsqu’une règle générale et une règle spéciale semblent toutes deux appli-
cables, il convient de faire primer la règle spéciale.

Le droit français des contrats s’organise autour de deux types de règles : les règles
générales d’une part (le droit commun du contrat ou théorie générale du contrat)
et les règles spéciales (le droit spécial des contrats ou droit des contrats spéciaux)
d’autre part. Cette dualité de corps de règles n’a cependant pas toujours prévalu et
est le fruit d’une évolution historique.
Le droit romain ne connaissait en effet pas de droit commun des contrats :
il s’agissait d’un droit des contrats nommés formaliste et procédural. Les droits
n’existant alors véritablement qu’autant qu’ils étaient sanctionnés par une action
en justice, un contrat n’avait d’existence juridique qu’à la condition d’appartenir à
une catégorie à laquelle était attachée une action par la loi ou le prêteur. Ce n’est
que plus tard que le droit romain admit que toute convention, dès lors qu’elle avait
été exécutée, pouvait devenir obligatoire.
La consécration du système actuel opposant droit commun et droit spécial du
contrat est le fruit d’une lente évolution marquée par un double changement de
conception. Tout d’abord, l’idée même du droit a changé : le droit ne découle plus
de l’action, mais au contraire, c’est l’action qui découle du droit. Ensuite, l’idée du

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contrat a été modifiée sous l’influence des canonistes : puisque la parole donnée
doit être respectée (sous peine de commettre un péché), le consentement, même
dépourvu de forme, oblige (solus consensus obligat).
Les juristes du droit naturel développent ensuite ce principe et érigent la volonté
en véritable source du droit. Ce triomphe du consensualisme constitue alors la base
de la théorie générale des contrats que consacreront les codificateurs.

Attention

Certains contrats spéciaux ont une telle importance qu’ils constituent désormais
de véritables matières à part entière (contrat de travail, d’assurance, de transport).
Ils ne seront donc pas étudiés dans le cadre de cet ouvrage.

I. Droit des contrats spéciaux et droit commun du contrat

La notion de contrat spécial est, en elle-même, trompeuse. L’on oppose tradi-


tionnellement le terme « spécial » à celui de « général ». Or, affirmer que des
contrats peuvent être spéciaux, signifierait qu’il existerait également des « contrats
généraux ». Ce qui, assurément, n’est pas le cas. C’est donc moins le contrat qui est
spécial, que les règles de droit qui lui sont applicables.
Il existe, par contre, un droit commun du contrat (V. Fiches De droit des contrats),
qui détermine les règles applicables à l’ensemble des contrats. Ainsi, tout contrat
doit-il être conclu sans vice du consentement, par une personne capable et être
doté d’un contenu licite et certain.
Aux côtés de ces règles générales, coexistent des règles spéciales qui ne sont
pas applicables à tous les contrats, mais ponctuellement à tel ou tel contrat : vente,
bail, dépôt, prêt, contrat d’entreprise…
Ces règles spéciales s’ajoutent aux règles du droit commun : ce n’est pas parce
que le Code civil régit précisément tel ou tel contrat que les règles générales ne lui
sont pas applicables.

Illustration

La vente est un contrat spécial. Certaines dispositions spéciales lui sont


applicables. Ainsi, le vendeur doit-il garantir son acheteur contre les vices cachés
et contre l’éviction. Aux côtés de ces règles spéciales, les règles générales (le
droit commun) sont également applicables à la vente. Partant, en cas d’erreur sur
les qualités substantielles du bien vendu, la vente pourra être annulée.

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Parfois, les règles spéciales viennent contredire les règles générales. Dans ce cas,
il convient d’appliquer la maxime specialia generalibus derogant : le spécial déroge
au général. Autrement dit, en présence d’une règle générale dans un sens et d’une

Fiche 1 • Premiers aperçus de la matière


règle spéciale dans l’autre sens, il convient d’appliquer la règle spéciale. Ce principe
est désormais affirmé clairement dans le Code civil, tel que modifié par l’ordonnance
n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime
général et de la preuve des obligations, à l’article 1105 al. 3 qui dispose que « Les
règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ».

Illustration

Exemple de dispositions issues des droits spéciaux dérogeant au droit commun :


En droit commun, la rescision du contrat pour lésion n’est pas retenue. En droit
spécial du contrat de vente immobilière, la rescision pour lésion est autorisée
sous certaines conditions.
En droit commun un contrat à durée déterminée doit être exécuté jusqu’au
terme. En droit spécial du bail à usage d’habitation, le locataire peut résilier le
contrat à tout moment en respectant un délai de préavis.

Attention

Un contrat spécial n’est pas nécessairement un contrat nommé. Un contrat innomé,


auquel il conviendra d’appliquer des règles particulières (s’inspirant notamment
des règles applicables aux contrats proches du contrat en question), peut donc
constituer un contrat spécial.

II. Un droit commun spécial des contrats ?

À la suite des propositions doctrinales de certains auteurs, il est proposé par


le récent Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux (rédigé par l’Asso-
ciation Henri Capitant) d’introduire dans le Code civil un titre IV ter du Livre III
intitulé « Des droits et obligations spéciaux » (les articles 1 à 11 du projet). L’idée
est d’intégrer entre le droit commun des contrats et le droit des contrats spéciaux, un
droit des obligations spéciales. L’objectif poursuivi est double. Tout d’abord, l’intro-
duction de ces dispositions part du principe qu’en raison de la liberté contractuelle
la qualification de certains contrats est parfois impossible (parce que l’opération
créée par les parties ne correspond pas à un modèle proposé par la loi, V. Fiche 2
Qualification des contrats spéciaux) ou malaisée. La présence d’un droit des obli-
gations spéciales permettrait alors, non de qualifier le contrat, mais de connaître à
l’avance le contenu et le régime de certaines des obligations mises à la charge des

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parties au contrat innommé. Ensuite, l’objectif de cette initiative est d’envisager
de façon identique certaines obligations qui sont susceptibles de se retrouver au
sein de la réglementation des différents contrats spéciaux.

Illustration

Quelques articles du Titre IV ter de l’Avant-projet de réforme du droit des


contrats spéciaux :
Article 2 : « Le droit personnel de jouissance confère au créancier le droit d’exiger
de son débiteur certaines utilités d’un bien.
L’octroi d’un droit personnel de jouissance emporte l’obligation de délivrer un
bien au bénéficiaire, suivant la nature du contrat »
Article 5 : « Le débiteur de la délivrance doit mettre le bien et ses accessoires
à disposition du créancier.
L’obligation de délivrance emporte celle de conserver le bien jusqu’à ce qu’il soit
enlevé ou livré.
En cas d’inexécution ou d’exécution imparfaite de l’obligation de délivrance, le
créancier peut émettre des réserves lors de réception ou refuser de réceptionner le
bien, de l’enlever ou d’en prendre livraison, sans préjudice de la mise en œuvre les
mesures prévues à l’article 1217 ».
Article 9 : « L’obligation de restitution emporte celle de conserver et d’entretenir
le bien, suivant la nature du contrat.
S’il n’a pas été dressé un état du bien, le débiteur est présumé avoir reçu le bien
en bon état ».

Attention

À l’heure où ces lignes sont écrites, les dispositions précédentes n’en sont qu’au
stade du projet. Elles ne constituent donc pas (encore ?) le droit positif.

III. Les sources des contrats spéciaux

A. Sources nationales

La principale source du droit spécial des contrats est le Code civil. Plus préci-
sément, le livre III réglemente différents contrats au titre desquels l’on retrouve
la vente, le bail, l’échange, les prêts, le dépôt, le mandat, le contrat d’entreprise…
Toutefois, le Code civil ne renferme pas toutes les règles applicables aux contrats
spéciaux. L’influence des textes hors du Code civil est susceptible de se retrouver
à plusieurs niveaux :

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−− parfois un texte réglemente une facette d’un contrat d’ores et déjà présent
dans le Code civil. Le texte ajoute alors à la réglementation du Code civil.
Ainsi, le Code de commerce, ou le Code de la consommation viennent poser

Fiche 1 • Premiers aperçus de la matière


des règles qu’il conviendra d’appliquer lorsque les conditions seront réunies
(par exemple l’article L. 221-18 C. conso., prévoit que lorsque la vente est
conclue par démarchage à téléphonique ou hors établissement, l’acheteur
peut se rétracter pendant quatorze jours) ;
−− parfois un texte crée un régime spécial pour un contrat pourtant déjà présent
dans le Code civil. C’est notamment le cas du dépôt hospitalier prévu par le Code
de la santé publique alors même que le dépôt est un contrat nommé présent
dans le Code civil. Il en est de même du contrat d’agence de voyage prévu
par le Code du tourisme, qui pourrait être assimilé au contrat d’entreprise ;
−− parfois un texte vient créer un contrat non présent dans le Code civil. Tel
est par exemple le cas du contrat de concession immobilière ou du contrat
de location-accession.
Le droit spécial des contrats puise également sa source dans la jurisprudence.
Les juges doivent en effet interpréter les textes et parfois concilier des dispositions
contradictoires. Ils doivent également combler les éventuelles lacunes et parfois
affiner le régime de certains contrats (la jurisprudence a ainsi pu créer la théorie
du mandat apparent, ou prendre position sur le terme du prêt à usage).
La pratique est enfin une source des contrats spéciaux, notamment parce qu’elle
crée parfois de nouvelles formes contractuelles (contrat de parking, de crédit-bail,
de franchise…) et parce qu’elle constitue la « loi » la plus proche des parties… et
donc la plus spéciale.

B. Sources internationales et européennes

Le droit international, et plus précisément le droit du commerce international,


constitue une véritable source du droit des contrats spéciaux. Ainsi, certaines
conventions internationales peuvent servir de modèles lors des modifications du droit
interne (la conception de conformité de la Convention sur la vente internationale de
marchandises a influencé la directive européenne CE du 25 mai 1999 « sur certains
aspects de la vente et des garanties des biens de consommation »).
La pratique du commerce international exerce également une influence sur les
contrats internes en donnant par exemple naissance à des modèles de contrats
(contrats d’ingénierie ou d’affacturage) ou à des clauses (telle la clause de hardship).
Le droit européen peut également être érigé en source des contrats spéciaux,
son influence étant remarquable à deux niveaux :
−− le droit de l’Union européenne est producteur de normes qui deviennent
applicables en droit interne (par exemple, la garantie de conformité du Code
de la consommation a pour origine une directive européenne) ;

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−− la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales rayonne également sur le droit des contrats spéciaux (c’est
ainsi sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale que les
clauses d’un bail d’habitation empêchant le locataire d’héberger ses proches
ont pu être annulées).
Depuis quelques années, à l’échelle de l’Union européenne, ont été entamées des
démarches pour, à terme, créer un véritable droit européen du contrat, voire des
contrats spéciaux. Pour l’heure seule existe une proposition de règlement relatif au
droit européen de la vente (qui, suite aux différentes critiques adressées au texte
a vu son champ d’application réduit aux seuls contrats électroniques, et ne semble
plus être d’actualité), mais certaines initiatives d’origines doctrinales proposent déjà
des modèles de « Code européen des contrats ». À ce titre, l’on peut citer le Draft
common frame of reference (projet de Cadre commun de référence) proposant outre
un droit commun du contrat, une réglementation des contrats les plus usuels, ou
encore le Code européen des contrats rédigé par l’Académie des privatistes européens,
et dont le Titre premier du livre II est consacré à la vente.

À retenir

−− Le droit romain ne connaissait pas de droit commun des contrats.


−− Un « contrat spécial » est un contrat auquel des règles spéciales sont appliquées.
−− En cas de contradiction entre une règle issue de la théorie générale et une
règle issue du statut spécial, c’est la seconde qui doit être appliquée.
−− Le Code civil n’est pas la seule source des contrats spéciaux.
−− Pour chaque contrat spécial, il convient de vérifier si un texte concurrent
(spécial !) n’est pas applicable.

Pour en savoir plus


−− Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, Association Henri Capitant,
2017 (une version électronique du texte est disponible à l’adresse : http://www.
henricapitant.org.
−− L. Andreu et M. Mignot, (dir.), Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations,
Institut Universitaire Varenne, coll. Colloques et Essais, 2017.
−− A. Bénabent, « Les difficultés de la recodification : les contrats spéciaux », in Le Code
civil 1804-2004, Livre du bicentenaire, Dalloz-Litec, 2004, p. 245 et s.
−− N. Balat, « Réforme du droit des contrats : et les conflits entre droit commun et droit
spécial ? », D. 2015. 699.
−− B. Fauvarque-Cosson, « Droit européen et international des contrats : l’apport des
codifications doctrinales », D. 2007, chron. 96.
−− G. Lardeux, « Le droit des contrats spéciaux hors le Code civil », LPA 14 septembre
2005, n° 183.

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−− L. Cadiet (dir.), Le droit contemporain des contrats – bilan et perspectives, Economica,
1987.
−− D. Mazeaud, « L’imbrication du droit commun et des droits spéciaux », in Forces subversives

Fiche 1 • Premiers aperçus de la matière


et forces créatrices en droit des obligations, dir. G. Pignarre, Dalloz, 2005, p. 73.
−− P. Puig, « Pour un droit commun spécial des contrats spéciaux », in Le monde du droit :
écrits rédigés en l’honneur de Jean Foyer, Economica, 2007, p. 825.
−− Study Group on a European Civil Code, Principles, Definitions and Model Rules of European
Private Law - Draft Common Frame of Reference (DCFR), (une version électronique
gratuite est disponible à l’adresse : http://ec.europa.eu/justice/policies/civil/docs/
dcfr_outline_edition_en.pdf).

POUR S’ENTRAÎNER

Question de cours : L’évolution du droit des contrats spéciaux depuis le


Code civil.

CORRIGÉ
Depuis le Code civil, le droit des contrats spéciaux a subi plusieurs mouvements :
désintérêt d’abord au profit de la théorie générale, regain d’intérêt et phénomène
de surspécialisation des contrats ensuite, retour à la théorie générale enfin.
Au lendemain du Code civil, les contrats spéciaux ne sont considérés que
comme de simples applications du droit commun ; au mieux, en assurent-ils
parfois l’adaptation.
Les bouleversements économiques (essor du capitalisme, révolutions
industrielles…) vont néanmoins modifier cette conception. De nouveaux
besoins apparaissant (développement du contrat d’assurance, importance
sociale du bail dans l’accès au logement…), le législateur va s’emparer de
nouveau des contrats spéciaux. Afin de limiter la marge de manœuvre des
parties (et donc restreindre la liberté contractuelle) sont créés des statuts
spéciaux (voire très spéciaux) dans et hors du Code civil (ainsi, le bail se
divise-t-il en bail de droit commun, bail rural, bail à usage d’habitation, bail
d’immeuble meublé, bail professionnel…).
Depuis le milieu des années 1980, l’on note toutefois un certain retour à la
théorie générale du contrat. Ce phénomène s’explique de différentes façons.
D’un point de vue politique, l’essor du libéralisme se traduit nécessairement
par un recul de l’interventionnisme étatique. D’un point plus juridique, la
volonté d’unification européenne semble conduire nécessairement à un regain
d’intérêt pour la théorie générale (là où il serait le plus simple de trouver des
principes communs entre les différents droits des États).

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Fiche 2
Qualification des contrats spéciaux

I. L’opération de qualification
II. Le résultat de la qualification

Définitions

Qualification. La qualification est l’opération consistant à étudier les éléments


objectifs du contrat afin de lui attribuer un régime juridique.
Classification. La classification est l’opération tendant à organiser de façon
rationnelle différents contrats en leur attribuant des principes communs.
Contrat sui generis. Un contrat sui generis est un contrat auquel aucune quali-
fication juridique n’est adaptée.

L’objet de la classification est de regrouper les contrats spéciaux par « famille »


afin d’en adopter une présentation synthétique.
La classification la plus fréquemment rencontrée (et qui malgré ces lacunes est
celle retenue pour cet ouvrage) est celle opposant les contrats portant sur les choses
et les contrats portant sur les services.
Cette présentation a le mérite de la clarté et de la simplicité, mais achoppe sur
certains points. Elle ne met, en effet, en aucun cas l’accent sur le sort de la chose
(est-elle transférée définitivement, doit-elle être restituée, ouvragée, conservée… ?)
et la notion de service n’est pas des plus explicite juridiquement. En outre, certains
contrats sont autant des contrats portant sur les choses que des contrats de service
(tel est par exemple le cas du dépôt). Partant, pour une partie de la doctrine, une
troisième catégorie de contrats devrait être retenue : celle portant sur les contrats de
conservation. Certains auteurs proposent également d’opposer les contrats translatifs
de propriété (telle la vente) et les contrats non translatifs de propriété (tel le bail). Ici
encore, une telle présentation n’est pas imperméable à toute critique puisque certains
emportent bien un transfert de propriété sans pour autant qu’il soit substantiellement
voulu par les parties (tel est par exemple le cas du prêt de consommation). D’autres
encore proposent de classifier les contrats en fonction de l’obligation essentielle à
laquelle il donne lieu (donner, faire ou ne pas faire, mettre à disposition).

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Quoi qu’il en soit, dès lors que le juriste tente de classifier les contrats (en fonc-
tion d’un critère juridique), il est tenu de procéder à une opération préliminaire : la
qualification. Cette opération va permettre non seulement de rattacher le contrat à

Fiche 2 • Qualification des contrats spéciaux


une catégorie juridique connue, mais également de déterminer son régime juridique.

I. L’opération de qualification

L’une des opérations primordiales du droit des contrats spéciaux est la qualifi-
cation. Cette opération consiste à mettre en lumière les éléments essentiels d’un
contrat afin de pouvoir le rattacher à une catégorie juridique. Une fois le contrat
qualifié, l’on pourra alors lui appliquer le régime juridique adéquat.

Attention

La qualification doit être distinguée de l’interprétation qui correspond à la


recherche de l’intention réelle des parties (il faut reconnaître cependant qu’en
pratique les deux opérations sont parfois confondues). L’interprétation est une
question de fait (d’où en la matière une appréciation souveraine des juges du
fond), la qualification une question de droit (la Cour de cassation peut ainsi
opérer son contrôle sur cette opération).

La qualification du contrat doit se fonder sur une étude objective des éléments
qui le composent et donc plus particulièrement des droits et obligations naissant
de cette convention.
À ce titre, il est important d’être en mesure de distinguer les différents éléments
du contrat. Le jurisconsulte Pothier dans son Traité des obligations (XVIIIe siècle)
propose d’opérer une distinction entre les éléments essentiels, naturels et accidentels
du contrat, la qualification du contrat dépendant alors des éléments essentiels :
Les éléments essentiels sont ceux sans lesquels le contrat ne peut exister.
À défaut de l’un de ces éléments, le contrat est nul ou doit être qualifié autrement.

Illustration

Extrait de R.-J. Pothier, Traité des obligations et de la prestation des fautes, n° 6 :


« Les choses qui sont de l’essence du contrat sont celles sans lesquelles ce
contrat ne peut subsister. Faute de l’une de ces choses, ou il n’y a point du tout de
contrat, ou c’est une autre espèce de contrat. […]. Par exemple, étant de l’essence
du contrat de vente qu’il y ait un prix […] que l’acheteur paie […] au vendeur ; s’il
est porté par un traité que j’ai fait avec vous que je vous vendais mon cheval pour
un certain livre que vous vous obligiez de me donner pour le prix dudit cheval, ce
traité ne renfermera pas un contrat de vente, ne pouvant pas y avoir un contrat de

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vente sans un prix, qui consiste en une somme d’argent : mais le traité n’est pas
pour cela nul ; il contient une autre espèce de contrat, savoir un contrat d’échange ».

Les éléments naturels des contrats sont ceux qui sans être déterminants pour la
qualification (à défaut de leur présence, la qualification du contrat est maintenue),
mais qui sont sous-entendus. Autrement dit, si les parties ne les écartent pas (elles
peuvent donc les écarter sans que la qualification du contrat soit menacée), ces
éléments naturels s’imposeront à elles.

Illustration

Extrait de R.-J. Pothier, Traité des obligations et de la prestation des fautes, n° 7 :


« Les choses qui sont seulement de la nature du contrat, sont celles qui, sans être
de l’essence du contrat, font partie du contrat, quoique les parties contractantes ne
s’en soient point expliquées, étant de la nature du contrat que ces choses y soient
renfermées et sous-entendues. […]. Elles diffèrent des choses qui sont de l’essence du
contrat, en ce que le contrat peut subsister sans elles, et qu’elles peuvent être exclues
du contrat par la convention des parties ; et elles diffèrent des choses accidentelles au
contrat, en ce qu’elles font partie du contrat, sans avoir été expressément convenues ».
L’exemple pris ensuite par l’éminent jurisconsulte est celui de la garantie dans la vente.
Celle-ci s’impose en effet aux parties, si elles n’en disent rien dans leur contrat, mais
elles peuvent également l’écarter sans que le contrat ne soit disqualifié. »

Enfin, les derniers éléments contenus dans un contrat sont les éléments acciden-
tels. Ce sont ceux que les parties, sans y être tenues, ont volontairement ajoutés
à leur contrat.

Illustration

Extrait de R.-J. Pothier, Traité des obligations et de la prestation des fautes, n° 8 :


« Les choses qui sont accidentelles au contrat, sont celles qui, n’étant pas de la
nature du contrat, n’y sont renfermées que par quelque clause particulière ajoutée
au contrat. Par exemple, le terme accordé par le contrat pour le paiement de la
chose ou la somme due ; la faculté qui y est accordée de payer cette somme en
plusieurs parties, celle de payer quelque autre chose à la place […] parce qu’elles
ne sont renfermées dans le contrat qu’autant qu’elles sont stipulées par quelque
clause ajoutée au contrat ».

Attention

Il ne faut pas oublier que le juge n’est pas tenu par la qualification que les parties
ont pu donner au contrat. Si le contrat est mal qualifié, le juge devra requalifier
(art. 12 CPC).

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II. Le résultat de la qualification

L’opération de qualification peut s’avérer parfaitement fructueuse et aboutir à

Fiche 2 • Qualification des contrats spéciaux


une qualification unitaire. Si celle-ci n’est pas possible, le juge peut retenir une
qualification distributive. En cas d’échec de la qualification, le contrat doit alors
être considéré comme étant sui generis.

A. La qualification exclusive

L’opération de qualification peut tout d’abord aboutir à une qualification exclu-


sive (ou unitaire). Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle, en identifiant les éléments
principaux du contrat (les éléments essentiels) et les éléments accessoires (natu-
rels et accidentels), le juge peut déterminer la nature du contrat. La qualification
unitaire permet donc de rattacher l’opération juridique des parties à une catégorie
juridique donnée.
Si le cheminement (l’analyse des éléments du contrat) est parfois simple (une
convention par laquelle une partie transfère la propriété d’un bien et s’engage à le
délivrer à une autre partie qui s’engage à en payer le prix est une vente), il peut
parfois s’avérer complexe, notamment lorsqu’il est difficile d’identifier une presta-
tion principale.

Illustration

Le cas du contrat de déménagement.


Le contrat de déménagement emporte deux obligations essentielles. L’une
consiste dans la manutention (encartonner les biens, charger le véhicule), l’autre
consiste dans le transport des biens. Pour certains, tentant de déterminer laquelle
de ces prestations est principale, il conviendrait ici de découvrir l’importance
économique de chacune des prestations (si le transport est économiquement la
prestation la plus importante, le contrat de déménagement est un contrat de
transport – si la manutention est la prestation économiquement la plus impor-
tante, le contrat est un contrat d’entreprise). Une telle démarche est semble-t-il
erronée, car elle méconnaît le fait que les deux prestations sont essentielles.
Aussi la Cour de cassation préfère-t-elle envisager le contrat de déménagement
comme une prestation de service global et affirme que « le contrat de déména-
gement est un contrat d’entreprise qui se différencie du contrat de transport en
ce que son objet n’est pas limité au déplacement de la marchandise » (Cass. com.
20 janvier 1998, Bull. civ. IV, n° 26, n° 95-22190). Le législateur a cependant
choisi une autre façon de régler la question. Sans s’intéresser directement à la
qualification du contrat de déménagement il a rendu applicables à ce contrat les
dispositions applicables au contrat de transport, dès lors que l’opération inclut
une prestation de transport (art. L 133-9 C. com. issu de la loi n° 2009-1503 du
8 décembre 2009).

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B. La qualification distributive

Lorsqu’une qualification unique n’est pas appropriée, le juge, qui doit malgré tout
qualifier le contrat, peut se replier vers une qualification distributive (ou mixte).
Dans cette hypothèse, puisqu’il n’est pas possible d’affirmer que l’opération juri-
dique des parties correspond trait pour trait à telle ou telle catégorie de contrat,
le juge peut décider de soumettre chaque aspect de cette opération à un régime
juridique particulier.
Souvent le « dépeçage » du contrat s’effectue selon un critère temporel.

Illustration

Le contrat de vente d’immeuble à construire est régi par les dispositions


applicables au contrat d’entreprise jusqu’au transfert de propriété. Puis, une fois
le transfert réalisé, par les dispositions relatives au contrat de vente.

C. Les contrats sui generis

À titre exceptionnel, il arrive que la qualification soit un échec : en raison de la


complexité ou de l’originalité de l’opération voulue par les parties, il est impossible
de faire rentrer le contrat dans l’un des moules constitués par les contrats nommés et
il n’est guère possible de lui appliquer les statuts des contrats spéciaux. Le contrat
est alors dit sui generis.

Illustration

La multipropriété, visée par l’article L. 224-69 C. conso. consiste à accorder


un droit jouissance (et non un droit de propriété) à temps partagé (pendant une
période de l’année) à des vacanciers.
Le contrat préliminaire de réservation par lequel un vendeur s’engage à réserver
à l’acheteur éventuel un immeuble ou une partie d’un immeuble en contrepartie
du versement d’un dépôt de garantie est un contrat sui generis qui ne peut être
assimilé à une promesse unilatérale de vente (Cass. Civ. 3e, 27 octobre 1975,
n° 74-11080).

L’objectif des parties qui créent un contrat sui generis est d’écarter l’application
du régime légal spécial d’un contrat particulier.
Comment, dès lors, appliquer un régime juridique à ces contrats ?
En premier lieu, il ne faut pas oublier que le droit commun du contrat a voca-
tion à s’appliquer à toute convention… y compris donc les contrats sui generis. En
second lieu, le juge peut recourir à un raisonnement par analogie avec une situation
juridique connue.

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Pour en savoir plus
−− M.-E. Ancel, La prestation caractéristique du contrat, préf. L. Aynès, Economica, 2001.
−− P.- Y. Gautier, « “Boire, manger, stocker” : la place des contrats innommés dans l’ordre

Fiche 2 • Qualification des contrats spéciaux


juridique », in Études en l’honneur de Jérôme Huet, p. 181, LGDJ, 2017.
−− J.-F. Overstake, Essai de classification des contrats spéciaux, préf. J. Brethe de la
Gressaye, LGDJ, 1969.
−− M. Painchaux, « La qualification sui generis : l’inqualifiable peut-il devenir catégorie »,
RRJ 2004, n° 3, p. 1.
−− M. Planiol, « Classification synthétique des contrats », Rev. crit. leg. jur., 1904, p. 470.

POUR S’ENTRAÎNER

I. QCM
1. Sachant que le prêt à usage est un contrat essentiellement gratuit,
si Primus « prête » à Secundus et que Secundus en retour paie une
somme d’argent à Primus :
a : le contrat est nul ; b : le contrat peut être requalifié.
2. Un contrat sui generis est toujours un contrat innomé :
a : vrai ; b : faux.
3. Une clause par laquelle les parties retardent le transfert de propriété
au paiement du prix dans une vente (le transfert de propriété étant
un élément essentiel de ce contrat se produisant en principe dès
l’échange des consentements) est :
a : un élément essentiel ; b : un élément naturel ; c : un élément accidentel.
4. Un contrat sui generis ne peut être annulé pour défaut de contenu
licite et certain.
a : vrai ; b : faux.
5. Les parties ont conclu un contrat intitulé « contrat de vente ». Le
juge constate qu’aucun transfert de propriété n’est prévu et que
l’« acheteur » doit restituer la chose au bout d’un certain temps.
a : le juge doit requalifier le contrat ; b : le juge peut requalifier le contrat ;
c : le contrat est nul.

II. Cas pratique


En mars 2013, Jean-Michel a conclu une convention un peu particulière avec
son ancienne voisine, Yvette. Cette dernière lui a en effet cédé la nue-propriété
d’un immeuble d’une valeur estimée à 150 000 euros alors que Jean-Michel
s’engageait, à titre de contrepartie, à réaliser l’ensemble des travaux et

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réparations nécessaires présents ou à venir. N’ayant aucun paiement d’argent
à réaliser au moment de la conclusion, Jean-Michel avait flairé la bonne
affaire. Tout le problème est qu’en 2014 Yvette a agi en rescision pour lésion
(à ce moment-là l’ensemble des réparations réalisées aux frais de Jean-Michel
s’élevait à peine à 5 000 euros) et a obtenu gain de cause tant en première
instance qu’en appel il y a quelques jours. Jean-Michel et son avocat vous
demandent donc s’il vous paraît judicieux de former un pourvoi en cassation
et le cas échéant si vous avez une solution permettant à Jean-Michel de ne
pas voir le contrat remis en cause (bien entendu, ils ne vous demandent pas
de vous prononcer sur le point de savoir s’il y a bien lésion des sept douzièmes
ou sur le montant de la valeur de rachat).

CORRIGÉS
I. QCM
1 : b. le contrat peut être requalifié (en contrat de bail).
2 : b. faux. Le contrat de multipropriété est un contrat nommé puisqu’il est régi
par le Code de la consommation (la réponse à cette question fait cependant
l’objet de débats en doctrine !).
3 : c. un élément accidentel. Il s’agit en effet d’une clause, dérogeant aux
dispositions du Code civil, que les parties peuvent, si elles le souhaitent,
insérer dans leur contrat.
4 : b. faux. Il peut être annulé pour défaut de contenu licite et certain puisque
le droit commun des contrats demeure applicable à ces conventions.
5 : a. le juge doit requalifier le contrat en vertu de l’article 12 du Code de
procédure civile (ici l’opération semble pouvoir être qualifiée de bail).

II. Cas pratique


La qualification est une question de droit sur laquelle la Cour de cassation
est susceptible d’exercer son contrôle. La rescision pour lésion est admise en
matière de vente immobilière, pour en retenir le principe le contrat en cause
doit donc être qualifié de vente. Cette qualification peut ici être discutée. Un
contrat n’est qualifié de vente qu’à la condition qu’il comporte un transfert de
propriété et le paiement d’un prix en argent. Or en l’espèce Jean-Michel n’a
pas versé de prix en argent. La contrepartie du transfert de la nue-propriété
résidait dans la réalisation de travaux présents ou à venir. Un tel contrat ne
pouvait être qualifié de vente. Dès lors que cette qualification ne devait pas
être retenue, les juges ne pouvaient appliquer le régime de la rescision pour
lésion. Le pourvoi en cassation semble donc judicieux.

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Première partie
Les contrats portant
sur les choses

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Fiche 3
Présentation du contrat de vente

I. Rappel historique
II. Sources du contrat de vente

Définitions

Vente. Selon l’article 1582 du Code civil, « la vente est une convention par laquelle
l’un s’oblige à livrer une chose et l’autre à la payer ». La vente est définie comme
le contrat emportant le transfert de propriété d’un bien du vendeur à l’acheteur,
moyennant le paiement d’un prix par ce dernier.

Le Doyen Carbonnier, dans son ouvrage intitulé « Flexible droit » résumait à


merveille l’essence de ce contrat en affirmant qu’il permet « d’atteindre l’essentiel
d’un comportement plusieurs fois millénaire de l’humanité, donner de l’argent et
acquérir une chose, recevoir de l’argent et abdiquer une chose ». Considérée comme
le plus usuel des contrats, la vente s’est vu réserver un traitement privilégié par le
Code civil qui lui consacre plus d’une centaine d’articles (Art. 1582 à 1701), fruits
d’une longue évolution (I). Si la lettre du Code n’a subi que peu de modifications
depuis 1804, la vente s’est aujourd’hui diversifiée – notamment en raison de la
multiplication des sources affectant le droit applicable à ce contrat (II) – sans
toutefois que sa substance n’en soit profondément bouleversée.

I. Rappel historique

Historiquement l’ancêtre de la vente semble se situer dans le troc, ou de façon


plus juridique, dans le contrat d’échange (lui-même issu du don). C’est avec le
développement de la monnaie que l’échange a cédé le pas face à la vente. En droit
romain le contrat d’« achat vente » (emptio venditio) est considéré comme un contrat
consensuel nommé que la seule déclaration des parties rend obligatoire (car elle
donnait naissance à des actions en justice). L’on doit toutefois noter une différence
par rapport au droit actuel. En droit romain, si l’échange des consentements permet
de créer le contrat et donc de créer des obligations, il ne permet pas de réaliser

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le transfert de propriété. Celui-ci ne résulte que de la réalisation de formalités
postérieures (le plus souvent la tradition réelle ou remise de la chose). Ce système
distinguant entre l’effet obligatoire du contrat (la création d’obligations) et son effet
réel (le transfert de propriété) a été remplacé peu à peu par un transfert de propriété
solo consensu, c’est-à-dire par le seul effet de l’échange des consentements. En droit
romain, la vente correspondait en réalité à l’adjonction de deux pactes (l’achat et la
vente) sans véritablement que les obligations générées par ces pactes ne puissent
être considérées comme interdépendantes. Il ne s’agissait donc pas véritablement
d’un contrat synallagmatique.

Illustration

Institutes de l’Empereur Justinien, Livre III, Titre XXIII :


« Emptio et venditio contrahitur simul atque de pretio convenerit, quamvis
nondum pretium numeratum sit, ac ne arrha quidem data fuerit » : « La vente est
contractée aussitôt qu’on est d’accord sur le prix et cela quoique la numération
du prix ne soit pas encore faite et qu’il n’ait pas même été donné d’arrhes ».

L’évolution se poursuivit dans l’Ancien droit qui reprit en partie les dispositions
du droit romain en les teintant des principes du droit canon. C’est à cette époque
qu’apparut factuellement le transfert de propriété solo consensu et que le contrat
put être pleinement considéré comme étant synallagmatique (avec les conséquences
qui en résultent tels l’exception d’inexécution ou le jeu de la condition résolutoire).
Le Code civil constitue l’héritage de cette évolution. Néanmoins l’adoption du
Code ne marque pas l’arrêt de la transformation du contrat de vente. Les dispo-
sitions des articles 1582 et suivants n’ont que peu changé, mais la pratique et la
jurisprudence ont complété le droit applicable. De nombreuses clauses peuvent
désormais modifier les effets du contrat, en reportant le transfert de propriété ou
en réduisant les garanties dues par le vendeur. Les juges ont également œuvré en
transformant notamment le mécanisme de la rescision pour lésion ou en renforçant
les obligations du vendeur professionnel.

II. Sources du contrat de vente

Les sources d’un contrat sont constituées par l’ensemble des règles applicable
à la convention en question. En ce qui concerne la vente, celles-ci peuvent être
d’origine nationale (A) ou internationale (B).

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A. Sources internes

L’essentiel des dispositions applicables au contrat de vente se situe dans le Code

Fiche 3 • Présentation du contrat de vente


civil. Toutefois, les principales transformations de ce contrat depuis l’adoption du
Code ont eu lieu hors du Code. Prenant en compte le développement de la société
de consommation, le législateur a quelque peu modifié le régime de la vente afin,
notamment d’accroître la protection de l’acquéreur lorsqu’il contracte avec un
professionnel. L’objectif poursuivi est non seulement de protéger le consommateur
contre son vendeur, mais également contre le produit qu’il acquiert. De la même
façon, des dispositions spécifiques ont été adoptées afin de tenir compte de la
particularité de certaines choses vendues. Ainsi, la vente de fonds de commerce ou
la vente d’immeuble à construire font-elles l’objet de réglementations particulières.
En fin de compte, si l’on devait dresser un panorama des dispositions applicables
à la vente, il conviendrait de distinguer en droit interne, la vente de meubles de la
vente immobilière, la vente au comptant de la vente à crédit (à laquelle il convient
d’appliquer les dispositions relatives au crédit à la consommation ou au crédit
immobilier des articles L 311-1 et s. et L 312-1 et s. du Code de la consommation)
et les ventes entre professionnels des ventes aux consommateurs (c’est, notamment
dans le cadre de ces dernières que trouvera à s’appliquer la législation réglementant
les clauses abusives).
Cet éclatement du droit de la vente est parfois dénoncé, néanmoins, les dispo-
sitions spéciales ponctuellement applicables à tel ou tel contrat n’affectent pas
durablement la nature même de la vente, seul le régime applicable à certains points
particuliers se trouve parfois modifié.

B. Sources communautaires

La multiplication des dispositions applicables au contrat de vente n’est pas le seul


fait du législateur national, les sources de contrat s’internationalisent. Au niveau
communautaire tout d’abord, de nombreuses directives modifient çà et là la matière
(on peut citer à titre d’exemple la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité
du fait des produits défectueux codifiée aux articles 1386-1 et suivants du Code
civil, ou encore la directive du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des
garanties de bien de consommation). L’approche sectorielle inhérente aux directives
(méthode consistant à n’apporter de modifications qu’à telle ou telle facette d’un
contrat, par exemple la garantie, et non à procéder à une modification d’ensemble
de celui-ci) est souvent critiquée en ce qu’elle serait moins source d’ordre que de
désordre.
Toutefois, les instances communautaires ont marqué un tournant avec une propo-
sition de règlement du 11 octobre 2011 relatif à l’établissement d’un droit commun
européen de la vente. L’objectif était alors d’intégrer un nouveau droit de la vente
en droit interne, suffisamment complet pour être appliqué de façon autonome et

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qui concurrencerait directement le droit actuellement en vigueur. Ce droit commun
européen de la vente avait alors vocation à s’appliquer aux contrats transfrontières
sur une base volontaire, par convention expresse des parties. Les raisons de l’inter-
vention du droit communautaire invoquées par la Commission semblent avant tout
d’ordre économique. Les différences entre les droits applicables entre les différents
États de l’Union freineraient les échanges commerciaux transfrontières, ce qui nuirait
au dynamisme du marché intérieur. Cela s’expliquerait par le fait que l’ignorance du
droit étranger par un opérateur économique augmenterait ce que l’on appelle les coûts
de transaction (c’est-à-dire les frais liés à la conclusion des contrats, notamment
l’obtention de conseils juridiques). Enfin, ces différences juridiques empêcheraient
les consommateurs de pouvoir profiter de produits offerts par des professionnels ne
se situant pas dans le même État.
Toutefois, l’Union semble avoir revu ses ambitions à la baisse. Le Parlement et
le Conseil ont adopté dans un deuxième temps, le 9 décembre 2015 une proposition
de directive limitant le texte initial aux seuls de contrats de vente en ligne ou à
distance et en réduisant son contenu aux seules exigences de conformité (ainsi
qu’aux remèdes en cas de défaut de conformité, à l’exclusion des dispositions sur
la formation du contrat ou des autres obligations des parties). Dans un troisième
et dernier temps, la proposition de directive a été une nouvelle fois modifiée, le
31 octobre 2017 pour être de nouveau élargie à tous les « contrats de vente de
biens » entre les professionnels et les consommateurs. Cette dernière version du
texte aurait notamment pour objectif d’abroger et de remplacer les actuelles dispo-
sitions du Code de la consommation relatives à la garantie de conformité issues de
la directive 1999/44/CE (V. fiche n° 15).

Attention

Il ne s’agit pour l’heure que d’une proposition de directive. N’ayant pas été
adoptée elle n’a pas encore à être transposée.

C. Sources internationales

Au niveau international ensuite la vente est envisagée de deux façons. Une


première Convention internationale, conclue à La Haye le 15 juin 1955, ratifiée par
huit États, dont la France, pose les règles de confits applicables aux ventes à carac-
tère international d’objets mobiliers corporels. Ce texte ne dit rien sur les droits
et obligations des parties, mais permet de déterminer la loi nationale applicable à
une telle vente.

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Illustration

Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à


caractère international d’objets mobiliers corporels, article 3 alinéas 2 et 3 :

Fiche 3 • Présentation du contrat de vente


« À défaut de loi déclarée applicable par les parties, dans les conditions prévues
à l’article précédent, la vente est régie par la loi interne du pays où le vendeur a
sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande. Si la commande est
reçue par un établissement du vendeur, la vente est régie par la loi interne du pays
où est situé cet établissement.
Toutefois, la vente est régie par la loi interne du pays où l’acheteur a sa résidence
habituelle, ou dans lequel il possède l’établissement qui a passé la commande, si
c’est dans ce pays que la commande a été reçue, soit par le vendeur, soit par son
représentant, agent ou commis-voyageur ».

Une autre démarche a consisté à créer un véritable droit matériel de la vente


internationale. La CNUDCI (Commission des nations unies pour le droit du commerce
international) a adopté le 11 avril 1980 la Convention de Vienne sur la vente inter-
nationale de marchandises (CVIM). Ce texte, adopté par près quatre-vingt-dix États
(il est entré en vigueur en France le 1er janvier 1988), constitue le droit matériel
applicable dans deux hypothèses : lorsque le vendeur et l’acheteur n’ont pas écarté
ses dispositions et qu’ils sont établis dans des États ayant ratifié la Convention, et
lorsque les règles du droit international privé désignent comme étant applicable
la loi d’un État l’ayant ratifié. Le contenu de ce texte est particulièrement dense
puisqu’il envisage notamment la formation, le contenu et les remèdes à l’inexécution
du contrat. Cependant, il ne dit rien du transfert de propriété de la chose vendue,
question sur laquelle le compromis entre les États était impossible.

Attention

En droit international, il ne faut pas confondre les règles de conflit, qui conduisent
à la détermination d’un droit national applicable au contrat en cause et les règles
de droit matériel qui régissent directement le contrat dont il est question.

À retenir

−− L’essentiel des dispositions applicable dans le contrat de vente se situe dans


le Code civil, mais de nombreux autres textes lui sont également applicables.

Pour en savoir plus


−− J. Carbonnier, « Sociologie de la vente », in Flexible droit : pour une sociologie du droit
sans rigueur, LGDJ, 7e éd., 1992, p. 279.

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−− V. Heuzé, Traité des contrats, (dir. J. Ghestin), La vente internationale de marchandises,
LGDJ, 2000.
−− M. De Juglart, « La vente, un contrat en voie d’extinction », in Mélanges J. Derruppé,
Litec, 1991, p. 63.
−− M. Mauss, Essai sur le don, Quadrige, PUF, réed., 2007.
−− M. Mignot, « Le droit de la vente après l’ordonnance n° 2016-131 », in Les contrats
spéciaux et la réforme du droit des obligations, dir. L. Andreu et M. Mignot­, Varenne­,
2017, p. 9.
−− G. Pignarre, « La proposition de règlement européen pour la vente : un modèle de jus
commune postmoderne ? », RDC 2014/3 p. 559.

POUR S’ENTRAÎNER

Question de cours
Les sources du droit de la vente sont-elles uniquement nationales ?

CORRIGÉ
Les sources du droit de la vente sont pour l’essentiel d’origines nationales
(qu’il s’agisse de dispositions du Code civil, du Code de la consommation
ou du Code de commerce), mais l’on ne peut que constater qu’elles ne le
sont pas exclusivement. Le droit du commerce international propose, en
effet, par le biais de la Convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises de régir les ventes conclues entre des parties ressortissantes
d’États différents. Ce texte a alors vocation, dès lors que son application
n’est pas exclue par les parties, à se substituer aux dispositions issues des
droits nationaux de la vente (et donc notamment aux dispositions du Code
civil). En outre, le droit communautaire s’immisce également dans le droit de
la vente en régissant certains pans de ce contrat par le biais de directives
(touchant par exemple l’obligation de garantie du vendeur). La propension du
droit d’origine communautaire à s’intéresser au contrat de vente est d’ailleurs
croissante. La proposition d’établir un droit commun européen de la vente
en est le parfait exemple.

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Fiche 4
Identification du contrat de vente

I. Un contrat consensuel
II. Un contrat synallagmatique
III. Un contrat à titre onéreux
IV. Un contrat commutatif
V. Un contrat translatif de propriété

Définitions

Contrat synallagmatique. « Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants


s’obligent réciproquement les uns envers les autres » (art. 1106 C. civ.). Chacune
d’elles est ainsi créancière et débitrice.
Contrat à titre onéreux. « Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des
parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure » (art.
1107 C. civ.).
Contrat commutatif. « Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties
s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de
celui qu’elle reçoit » (art. 1108 al. 1er C. civ.).
Contrat aléatoire. Un contrat est aléatoire « lorsque les parties acceptent de faire
dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront,
d’un événement incertain » (art. 1108 al. 2 C. civ.). Chaque contractant court alors
un risque de perte et tente de réaliser un gain.

Attention

Le caractère synallagmatique d’un contrat ne se confond pas avec son caractère


onéreux. En effet, un contrat unilatéral peut être conclu à titre onéreux (c’est par
exemple le cas du prêt à intérêt lorsqu’il n’est pas consenti par un professionnel
du crédit, qui n’oblige que l’emprunteur, mais qui permet au prêteur d’en retirer
un avantage).

La vente est considérée comme un contrat consensuel (I), synallagmatique (II),


onéreux (III), commutatif (IV) et translatif de propriété (V).

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I. Un contrat consensuel

La vente est, en principe, consensuelle. Cela signifie qu’elle se forme par le seul
échange des consentements. Pour être valable aucune forme n’est exigée (ainsi, la
rédaction d’un écrit, ou la réalisation d’une formalité comme la remise de la chose,
ne sont pas des conditions de formation de ce contrat). C’est ce qu’exprime l’article
1583, qui dispose qu’« Elle est parfaite entre les parties […] dès qu’on est convenu
de la chose et du prix […] ».

Illustration

Cass. civ. 1re, 1er juin 1999, pourvoi n° 97-14165.


Une société vendait des photographies aériennes de maisons payables à la
livraison. Le tribunal d’instance avait alors considéré que le contrat n’était formé
qu’à la réception des photographies. La Cour de cassation casse la décision, en
se fondant sur l’article 1583 du Code civil et rappelle que la vente est conclue
dès l’accord sur la chose et le prix.

Par exception, le législateur impose parfois de dresser un écrit et de faire figurer


certaines mentions dans le contrat.
C’est tout d’abord le cas en matière de vente immobilière. Ce contrat est en
principe consensuel, néanmoins, son efficacité est soumise à l’égard des tiers (c’est
ce que l’on appelle l’opposabilité) à l’accomplissement des formalités de la publicité
foncière. Or, seuls les actes authentiques (par exemple les actes notariés) ont accès
à la publicité foncière. L’inopposabilité aux tiers du contrat de vente immobilière
non publié explique le recours systématique au notaire en la matière. La situation
est différente dans le cadre de vente d’immeuble à construire. Dans ce cas, le contrat
n’est plus consensuel, mais devient solennel. Le recours à un acte authentique et plus
particulièrement un acte notarié est alors une condition de formation du contrat.

Attention

Un contrat de vente immobilière (hors vente d’immeuble à construire) non consenti


par acte authentique et donc non publié serait valable entre les parties, mais ne
pourrait être opposé aux tiers.

En outre, certaines ventes mobilières font, en raison de la particularité de la


chose vendue, l’objet d’entorses au principe du consensualisme. C’est notamment
le cas de la vente de fonds de commerce. Selon les articles L 141-1 et suivants du
Code de commerce, l’acte de cession doit comporter un certain nombre de mentions
obligatoires et être publié afin de lui garantir une date certaine. Un acte authentique
n’est toutefois pas exigé. L’inexactitude d’une des mentions permet à l’acheteur

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d’exercer une action en garantie et l’omission d’une mention est pour sa part sanc-
tionnée par la nullité relative. Une autre illustration des exceptions au principe du
consensualisme se trouve dans la réglementation issue du Code de la consommation

Fiche 4 • Identification du contrat de vente


en matière de vente hors établissement.

Illustration

Il résulte de la combinaison des articles L. 221-9 et L. 242- 1 C. conso que le


contrat de vente entre un vendeur professionnel et un acheteur consommateur
est un contrat solennel.
Art. L. 221-9 al. 1er C. conso : « Le professionnel fournit au consommateur
un exemplaire daté du contrat conclu hors établissement, sur papier signé par les
parties ou, avec l’accord du consommateur, sur un autre support durable, confirmant
l’engagement exprès des parties ».
Art. L. 242-1 C. Conso : « Les dispositions de l’article L. 221-9 sont prévues à
peine de nullité du contrat conclu hors établissement ».

II. Un contrat synallagmatique

La vente fait naître à la charge des parties des obligations réciproques. Le vendeur
doit transférer la propriété (si l’on considère qu’il peut s’agir d’une obligation) et
délivrer la chose. L’acheteur, pour sa part, doit payer le prix. Ces obligations se
servent mutuellement de cause, disait-on avant l’ordonnance de réforme du droit
des obligations du 10 février 2016 qui a supprimé cette notion. Ce caractère synal-
lagmatique est la raison pour laquelle l’on peut appliquer des mécanismes du droit
commun des contrats, telles la résolution pour inexécution, l’exception d’inexécution
et la théorie des risques.
Si le contrat est constaté par écrit dans un acte sous seing privé, il convient
d’appliquer l’article 1375 prévoyant qu’un tel acte contenant un contrat synallag-
matique « ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties
ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre
à un tiers l’unique exemplaire dressé ».

Attention

Il ne faut pas confondre le formalisme ad validitatem (exigé à titre de validité du


contrat, il s’agit alors d’une condition de formation) et le formalisme ad proba-
tionem (la formalité n’est alors exigée qu’à titre de preuve du contrat).

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III. Un contrat à titre onéreux

Dans la vente, le vendeur et l’acheteur ne fournissent leurs prestations qu’en


raison de la prestation attendue de l’autre. Ainsi, le vendeur ne transmet la propriété
et la chose vendue qu’en raison du prix qu’il compte recevoir.
On déduit du caractère onéreux qu’il n’y a aucune intention libérale dans ce contrat.
Parfois une vente peut dissimuler une libéralité. C’est notamment le cas lorsque
le « vendeur », animé par une intention libérale, cède le bien à l’« acheteur » pour
un prix très nettement inférieur à sa véritable valeur, voire sans prix (dans cette
hypothèse le contrat a la forme d’une vente, mais est sur le fond une libéralité).
Dans ce cas, pour que le contrat reste valable, il doit respecter les conditions de
fond de la donation. L’on doit notamment pouvoir caractériser l’intention libérale
(« l’animus donandi »), à défaut, le contrat pourrait être annulé pour défaut de cause.
En outre, en matière immobilière, si le prix est inférieur de plus des sept douzièmes à
la valeur de l’immeuble, la caractérisation d’une intention libérale rendra impossible
l’application de la rescision pour lésion. Cela s’explique simplement : la rescision
pour lésion n’est prévue que pour la vente immobilière, or si l’on caractérise une
intention libérale, le contrat en cause n’est plus une vente et ne peut dès lors se
voir appliquer cette sanction spéciale.

Illustration

Cass. civ. 1re, 6 janvier 1969, Bull. civ. I, n° 8 :


Une personne vend à une autre (son neveu) un garage pour 60 000 anciens francs
(environ 90 euros). Le vendeur assigne ensuite l’acheteur en nullité de la vente
pour vileté du prix. La preuve de l’intention libérale est cependant rapportée. La
Cour d’appel a pu déduire « sans dénaturer l’acte incriminé, que celui-ci constituait
une donation indirecte, la modicité du prix trouvant sa cause dans l’intention libérale
elle-même ». La vente n’est alors pas annulée, mais requalifiée.

IV. Un contrat commutatif

Dans la vente, le prix est considéré comme l’équivalent en argent du transfert


de propriété du bien vendu. En principe, le prix et la chose vendue sont déterminés
lors de la conclusion du contrat qui est dans ce cas commutatif.
Deux exceptions à la commutativité de la vente peuvent être notées, le contrat
devenant alors aléatoire. C’est, tout d’abord, le cas de la vente de choses futures,
puisqu’on ne sait pas à l’avance si elles existeront ou non (l’exemple classique de
la vente de choses futures est la vente d’une récolte sur pied). C’est, ensuite, le

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cas lorsque le prix de la vente consiste dans le paiement d’une rente viagère. Son
montant total dépend alors de la durée de vie du crédirentier (le vendeur).
Quand la vente est aléatoire, elle ne peut, en principe, être attaquée pour cause

Fiche 4 • Identification du contrat de vente


de lésion.

Attention

Le contrat de vente avec constitution de rente viagère voit s’appliquer non


seulement les articles 1582 et suivants, mais également les articles 1968 et
suivants du Code civil.

V. Un contrat translatif de propriété

La vente a pour objet le transfert du droit de propriété. Il s’agit donc d’un


contrat translatif de propriété. Suivant l’article 1583 du Code civil, le transfert de
propriété s’opère dès l’échange des consentements (on dit qu’il opère solo consensu).
Le caractère translatif ne disparaît pas lorsque le transfert du droit de propriété
n’est que retardé, par exemple au moment où sera payé le prix (c’est l’hypothèse
de la stipulation par les parties d’une clause de réserve de propriété, par laquelle
le vendeur demeure propriétaire de la chose, malgré la délivrance du bien, jusqu’au
complet paiement du prix par l’acheteur).

Attention

Bien que l’article 1583 envisage la « chose », la vente opère en réalité transfert
du droit réel portant sur la chose. Elle peut donc porter aussi bien sur la propriété
que sur l’usufruit ou la nue-propriété, voire un éventuel droit de superficie.

Le transfert de propriété implique, selon l’article 1196 alinéa 3 du Code civil, que
les risques de la chose passent à l’acheteur dès ce transfert. Autrement dit, dès la
conclusion du contrat, la propriété et les risques sont transmis à l’acheteur. Partant,
si la chose vendue est détruite ou détériorée après la conclusion du contrat et même
si elle n’a pas encore été remise à l’acheteur, c’est ce dernier qui en supportera les
conséquences.

À retenir

−− La vente est un contrat consensuel, synallagmatique, onéreux, commutatif et


translatif. Ces caractères connaissent parfois des exceptions qui, cependant,
n’empêchent pas le contrat d’être qualifié de vente.

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Pour en savoir plus
−− V. Forray, Le consensualisme dans la théorie générale du contrat, avant-propos C. Atias,
préf. G. Pignarre, LGDJ, 2007.
−− A. Sériaux, « La notion de contrat synallagmatique », in Études offertes à Jacques
Ghestin : Le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 777.

POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Benjamin a vendu son appartement à Ariane par un contrat conclu le
2 janvier 2018. Néanmoins, ignorant les règles applicables en la matière,
les parties n’ont jamais consulté de notaire et la vente n’a pas été publiée.
Le 5 janvier Benjamin, sentant la bonne affaire a également vendu le bien
à Christophe, qui ignorait tout de la précédente vente. Juriste chevronné,
ce dernier a insisté pour que la vente soit réalisée par acte authentique,
ce qui fut fait. Le notaire a ensuite fait procéder à la publication de la
vente au fichier immobilier. Le jour de l’entrée dans les lieux, Christophe
est particulièrement surpris d’y trouver Ariane qui estime être la légitime
propriétaire de l’appartement. Qu’en pensez-vous (il n’est pas demandé
d’envisager les éventuels recours contre le vendeur) ?

CORRIGÉ
La vente de l’immeuble entre Benjamin et Ariane est valable (elle n’est donc
pas nulle), puisqu’elle est un contrat consensuel. Néanmoins, n’ayant pas
été publié, le contrat n’est pas opposable aux tiers. Ariane ne peut donc se
prétendre propriétaire à l’égard de Christophe dont le titre a, pour sa part
été publié et qui dispose donc d’un droit opposable.
La solution aurait pu être différente si les deux ventes avaient été publiées.
En ce cas, l’on aurait appliqué l’article 1198 al. 2 C. Civ. qui dispose que
« lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble
tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre
d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré,
même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi ».

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Fiche 5
Qualification du contrat de vente

I. Vente et donation
II. Vente et échange
III. Vente et apport en société
IV. Vente et dation en paiement
V. Vente et bail
VI. Vente et prêts
VII. Vente et contrat d’entreprise
VIII. Vente et mandat

Bien que dans le langage courant de nombreuses opérations soient assimilées à


la vente (l’on parle par exemple de vente de billets de train, de places de cinéma,
ou encore d’assurance), il faut garder à l’esprit que l’essentiel dans la vente est que
ce contrat organise le transfert de propriété d’un bien (ce qui par exemple n’apparaît
pas dans la « vente » de place de théâtre), et le paiement corrélatif d’un prix au
vendeur. De ces caractères, l’on déduit sa qualification. La vente se distingue ainsi
d’un certain nombre d’autres contrats desquels elle pourrait être pourtant rapprochée.

I. Vente et donation

La vente et la donation se ressemblent, car elles opèrent toutes deux un transfert


de propriété. La différence entre ces contrats tient toutefois au fait que la vente
est dépourvue d’intention libérale ; le transfert de propriété n’est consenti qu’en
raison de la perception par le vendeur du prix.

Attention

Une « vente » réalisée moyennant un prix extrêmement modique peut être requa-
lifiée en donation à la condition de démontrer une intention libérale de celui
ayant transféré la propriété.

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II. Vente et échange

Si historiquement l’échange (qui est selon l’article 1702 du Code civil, « le contrat
par lequel les parties se donnent respectivement une chose pour l’autre ») a précédé
et a donné naissance à la vente, ces deux contrats doivent être distingués. Dans
l’échange, en effet, il n’y a pas de prix et un transfert de propriété réciproque s’opère.
Plus précisément, l’échange, les choses échangées par les parties se tiennent lieu
réciproquement de prix. Les choses échangées n’ayant pas toujours la même valeur,
une soulte (une somme d’argent) peut être versée pour compenser la différence.

Attention

La présence d’une soulte peut emporter la qualification du contrat en vente si


elle constitue l’objet principal du contrat, notamment lorsque son montant est
supérieur à la valeur de la chose échangée.

Illustration

Cass. civ. 3e, 26 juin 1973, pourvoi n° 72-12489 :


« […] il n’y a pas contrat d’échange lorsque l’importance de la soulte permet de
la considérer comme l’objet principal de l’obligation de l’une des parties ».

III. Vente et apport en société

L’apport en nature en société permet à une personne de transférer la propriété


d’un bien à une société en contrepartie du transfert à l’apporteur de droits sociaux.
La contrepartie perçue par l’apporteur n’est donc pas juridiquement un prix, l’apport
en nature en société ne saurait donc être analysé comme une vente.

IV. Vente et dation en paiement

La dation en paiement est un acte par lequel un créancier accepte en paiement


une chose autre que celle qui constituait l’objet de la dette (par exemple, un débi-
teur peut, si son créancier l’accepte, lui remettre une chose en lieu et place du prix
en argent qui était initialement convenu). Elle consiste en un paiement (ce qui
la distingue donc intrinsèquement de la vente) puisqu’elle éteint une obligation
préexistante. La dation en paiement ressemble parfois à une vente lorsque le débiteur
transfère la propriété d’un bien au créancier, la ressemblance est d’ailleurs telle que
le régime juridique de la dation est en grande partie emprunté à celui de la vente.

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L’assimilation n’est toutefois pas totale, en cas de mise en procédure collective
du solvens (le débiteur), une dation en paiement peut être annulée si elle a été
réalisée pendant la période suspecte (période comprise entre la date de cessation

Fiche 5 • Qualification du contrat de vente


des paiements et le jugement d’ouverture de la procédure), car le Code de commerce
la considère comme un paiement anormal.

V. Vente et bail

La vente doit être distinguée du bail, car elle emporte un transfert définitif de la
propriété à l’acheteur. Le bail, pour sa part, n’emporte l’acquisition pour le locataire
que d’un droit personnel et temporaire de jouissance sur la chose louée. Ce contrat
n’accorde donc au preneur que le droit d’exiger du bailleur qu’il lui procure la jouissance
paisible de la chose pendant la durée du contrat, moyennant le paiement d’un loyer.
La distinction entre ces contrats est toutefois moins nette dans certains cas,
notamment la vente de fruits et la concession de carrière.
La vente de fruits (ou vente d’herbe) est le contrat par lequel le propriétaire
d’un fonds frugifère cède les fruits à un tiers. L’exemple classique est l’hypothèse
dans laquelle le propriétaire d’un fonds rural « vend les herbes » de ce terrain à un
tiers qui les fera brouter par ses animaux.
Afin de déterminer s’il s’agit d’un bail ou d’une vente de fruits, il convient
d’appliquer l’article L 411-1 al. 2 du Code rural qui présume que doit être qualifiée de
bail rural « toute cession exclusive des fruits de l’exploitation lorsqu’il appartient
à l’acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir ». Dès lors, si le propriétaire
se réserve le droit de continuer l’exploitation du fonds, l’on ne peut plus parler de
« cession exclusive » et la qualification de bail est écartée.
La concession de carrière est le droit d’exploiter une carrière moyennant le
paiement d’une redevance. L’exploitation d’une carrière consiste en la perception
par le concessionnaire des produits de celle-ci. La jurisprudence considère que ce
contrat n’est pas un bail et doit donc être considéré entre les parties comme une
vente de meubles par anticipation.

Illustration

Cass. civ. 3e, 30 mai 1969, Bull. civ. III, n° 437 :


Une convention prévoyait l’extraction de sable et de pierres en surface et en
profondeur d’un terrain. Le contrat était qualifié de bail par les parties, mais la
Cour de cassation affirme que :
« […] malgré la généralité (de l’article 1713 du Code civil) il est des biens qui
sont insusceptibles de faire l’objet d’un contrat de louage, notamment lorsqu’il est
impossible de jouir de la chose sans en consommer la substance ».

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« […] le contrat litigieux […] constituait une vente de matériaux à extraire,
envisagés dans leur état futur de meubles, comme meubles par anticipation, et ce
moyennant une redevance calculée d’après la quantité de produits extraits ».

Attention

Il faut bien distinguer les fruits (les revenus périodiques que peut procurer un
bien, sans que ledit bien ne se trouve altéré ni diminué significativement dans
sa substance) et les produits (qui consistent dans ce qui est retiré du capital
à intervalles irréguliers, et moyennant une altération de la valeur du bien : par
exemple des minerais extraits d’une carrière, les arbres abattus).

VI. Vente et prêts

Ici encore, la distinction tient en partie au caractère translatif de propriété de


la vente. En effet, dans les contrats de prêt l’emprunteur est tenu d’une obligation
de restitution. Toutefois, dans le prêt de consommation (qui porte sur des choses
fongibles et consomptibles) un transfert de propriété s’opère. Il y a bien alors une
obligation de restitution, mais celle-ci s’opère par équivalent.
Dans certains cas, la différence entre la vente et les prêts n’est pas nette. Ainsi,
dans les ventes avec consigne (par exemple la vente de bouteille de gaz), on peut
se demander si l’emballage consigné, qui doit donc être restitué, est vendu ou
prêté. Tout dépend alors de l’interprétation du contrat. Souvent, le contrat prévoit
un prêt à usage dont l’exécution est garantie par une clause pénale (en pratique,
il s’agit d’un dépôt de garantie, c’est-à-dire une somme d’argent remise au prêteur
qui sera rendue à l’emprunteur à l’issue du contrat). Dans ce cas, la propriété du
bien consigné n’est pas transférée. Parfois, le contrat peut également prévoir une
vente du bien consigné avec promesse de rachat. Dans cette hypothèse, l’acheteur
devient propriétaire du bien.
En résumé, si l’acheteur utilise le bien consigné gratuitement les tribunaux
décident qu’il s’agit d’un prêt à usage ; si, au contraire, l’utilisation se fait à titre
onéreux, l’opération est qualifiée de vente avec promesse de rachat.

VII. Vente et contrat d’entreprise

Le contrat d’entreprise (ou contrat de louage d’ouvrage) est défini comme celui
par lequel une personne s’engage à exécuter une prestation de façon indépendante
et moyennant rémunération. À la lecture de cette seule définition, la différence
entre ce contrat et la vente paraît nette : vendre et exécuter un travail sont deux

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choses différentes. Toutefois dans certains cas, la frontière est particulièrement
ténue, notamment lorsque le contrat d’entreprise emporte le transfert de propriété
de la chose sur laquelle l’entrepreneur a exécuté sa prestation.

Fiche 5 • Qualification du contrat de vente


L’opération de qualification est ici primordiale. En effet, le régime juridique de
ces contrats est différent. Pour s’en tenir à l’essentiel, il faut retenir que les règles
de la détermination du prix, du moment du transfert de propriété et de la garantie
des vices cachés diffèrent dans la vente et l’entreprise.
Plusieurs situations doivent alors être distinguées.
Si l’entrepreneur ne fournit que son travail, la qualification est simple : le
travail de l’entrepreneur est le seul objet du contrat, aucun transfert de propriété
n’intervient, le contrat doit alors être qualifié de contrat d’entreprise.
Cela ressort de l’article 1711 du Code civil qui qualifie de contrat d’entreprise « Les
devis, marché ou prix fait, pour l’entreprise d’un ouvrage moyennant un prix déterminé,
sont aussi un louage, lorsque la matière est fournie par celui pour qui l’ouvrage se fait ».
Si l’entrepreneur fournit son travail et la matière, l’entrepreneur fournit une
prestation, mais également la matière nécessaire à la réalisation de cette prestation.
Il en transférera donc la propriété à son cocontractant. L’évolution jurisprudentielle
de la qualification de cette opération doit être retracée.
Tout d’abord, la Cour de cassation a considéré que ce contrat doit être qualifié
de vente si la part des matériaux fournis par l’entrepreneur est supérieure en valeur
à celle du travail. Il s’agissait donc ici d’une application particulière de la théorie
suivant laquelle l’accessoire suit le principal.

Illustration

Cass. civ. 1re, 27 avril 1976, pourvoi n° 74-14436 :


Dans cet arrêt le contrat qui devait être qualifié portait sur la confection d’un
ensemble décoratif de rideaux dont le tissu était fourni par l’entrepreneur qui
devait alors les couper les confectionner selon des mesures précises. La Cour de
cassation affirme alors que :
« Le contrat par lequel une personne s’engage à exécuter un ouvrage en four-
nissant à la fois son travail et la matière contre un prix très supérieur à celui des
fournitures constitue […] un contrat d’entreprise et non une vente »,
et que :
« […] la Cour d’appel a décidé à bon droit que le contrat par lequel une personne
fournit à la fois son travail et des objets mobiliers doit être analysé juridiquement
comme une vente dès lors que le travail en constitue l’accessoire […] ».

Bien que le critère de la valeur de la prestation et des choses ne soit pas complè-
tement abandonné, la jurisprudence retient aujourd’hui un critère différent tiré du
caractère spécifique ou non de la prestation fournie. Si le contrat porte sur des
choses dont les caractéristiques sont déterminées à l’avance par l’entrepreneur, le

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contrat doit être qualifié de vente. Si au contraire, il s’agit d’un travail spécifique
pour les besoins particuliers du client, et donc que le produit cédé est individualisé,
façonné en vertu d’indications particulières (ce qui empêcherait la substitution au
produit commandé d’un produit équivalent) le contrat doit alors être qualifié de
contrat d’entreprise. Cela revient donc à distinguer la fabrication en série, de la
fabrication répondant à des besoins spécifiques. Les tribunaux se montrent particu-
lièrement exigeants lorsqu’il s’agit de démontrer que le produit cédé correspondait
à un travail spécifique.

Illustration

Cass. com., 4 juillet 1989, pourvoi n° 88-14371 :


« […] les contrats successivement conclus portaient non sur des choses dont les
caractéristiques étaient déterminées d’avance par le fabricant, mais sur un travail
spécifique pour les besoins particuliers exprimés par (le client), la Cour d’appel a pu en
déduire qu’ils étaient constitutifs non pas de ventes, mais de contrats d’entreprise ».

Parfois, afin de tenir compte de la volonté des parties et de la complexité des


obligations mises à la charge des parties, les tribunaux appliquent une qualification
distributive ou mixte. Cela signifie que la fourniture de la matière relèvera de la
vente, alors que la prestation de travail sera qualifiée de contrat d’entreprise.

Illustration

Cass. com. 6 janvier 1982, pourvoi n° 80-14174.


« […] le contrat d’impression sur étoffe qui nécessite à la fois des fournitures
et des manipulations a un caractère mixte et participe au contrat d’entreprise et
au contrat de vente […] ».

Attention

Les critères jurisprudentiels ont été nuancés par le législateur en ce qui concerne
la vente d’immeuble à construire. Les lois des 3 janvier et 7 juillet 1967 ont créé,
pour ce type d’opération, un nouveau contrat spécial, dont le régime juridique
est une combinaison du régime de la vente et du régime du contrat d’entreprise.

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VIII. Vente et mandat

Le mandat est un contrat par lequel une personne donne à une autre le pouvoir

Fiche 5 • Qualification du contrat de vente


de faire des actes juridiques en son nom et pour son compte. À première vue, tout
semble opposer la vente et le mandat. Le premier est un contrat translatif, le second
un mécanisme de représentation. Cependant, il arrive que ces deux opérations se
brouillent et qu’il devienne difficile de distinguer s’il s’agit de l’un ou de l’autre de
ces contrats.
L’exemple classique est celui du dépôt-vente, contrat fréquemment rencontré
en matière de distribution de presse. L’opération consiste en ce qu’un distributeur
reçoive d’un fournisseur des biens qu’il est chargé de vendre et dont il pourra restituer
les invendus. La qualification de cette opération dépend de la volonté des parties.
Plusieurs cas de figure peuvent alors se retrouver.
Il peut tout d’abord s’agir d’un dépôt auquel on adjoint un mandat de vendre
(l’opération est alors qualifiée de « dépôt-mandat »), dans l’hypothèse où le distri-
buteur doit restituer les invendus. Dans ce cas, le distributeur réalise la vente des
biens au nom et pour le compte du fournisseur.
Il peut ensuite s’agir de deux ventes successives. Le fournisseur vend les biens au
distributeur qui les revend lui-même au consommateur. Souvent, la première vente
contient alors une clause permettant au distributeur de restituer les invendus. Le
contrat peut alors avoir été conclu sous condition résolutoire (la vente des invendus
étant résolue, le distributeur est alors propriétaire des biens jusqu’à la restitution)
ou sous condition suspensive (la condition en question est alors la revente du bien).

À retenir

−− La vente a pour objet de transférer la propriété d’un bien moyennant le


paiement d’un prix.
−− Elle ne doit être distinguée des contrats n’emportant que la seule mise à
disposition temporaire du bien et des contrats, des contrats à titre gratuit
ou ne comportant pas de prix et des contrats de représentation.

Pour en savoir plus


−− F. Labarthe, « Les conflits de qualification. Éléments de réflexion à partir de la distinction
entre le contrat d’entreprise et d’autres contrats », in Mélanges Bernard Bouloc, Les
droits et le droit, Dalloz, 2007, p. 539.
−− R. Savatier, « La vente de services », D. 1971, chron. 223.
−− P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, préf. B. Teyssié, éd. Panthéon Assas, 2002.

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POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Moyennant le paiement d’un prix, A. demande à B. de réaliser un
costume sur mesure avec des tissus que fournira B. Cette opération
doit être qualifiée :
a : de vente ; b : de contrat d’entreprise ; c : de contrat mixte
2. Moyennant le paiement d’un prix, A. « vend » à B. du matériel
informatique et accompagne cette cession d’une formation afin de lui
apprendre à se servir des différends logiciels. Cette opération doit
être qualifiée :
a : de vente ; b : de contrat d’entreprise ; c : de contrat mixte
3. A. conclut un contrat avec B. par lequel il permet à ce dernier, contre
le paiement d’un prix, de faire paître son bétail sur son fonds. A. se
réserve toutefois la possibilité d’exploiter le fonds. Cette opération
doit être qualifiée :
a : de bail ; b : de vente ; c : de prêt
4. La société A. conclut un contrat avec la société B. portant sur la cession
de fioul. Ce contrat comprend une clause par laquelle la société A.
met, en outre, gratuitement à la disposition de la société B. une cuve
qui devra être restituée lorsque l’utilisation du fioul sera terminée.
Cette mise à disposition est garantie par un chèque d’un montant de
2000 euros qui n’a pas été encaissé et qui doit être également restitué.
Cette opération doit être qualifiée :
a : de vente de fioul et de prêt à usage de la cuve ; b : de vente de fioul
assortie d’une promesse de rachat de la cuve ; c : de vente de fioul assortie
d’un bail de la cuve
5. A. devait la somme de 10 000 euros à B. Ne pouvant payer, il propose
de lui transférer la propriété de sa voiture en échange de sa libération,
ce que B. accepte. Cette opération doit être qualifiée :
a : de vente ; b : d’échange ; c : de dation en paiement

CORRIGÉ
1) – b) C’est un contrat d’entreprise. Le contrat emporte bien le transfert de
la propriété du costume réalisé, mais il s’agit d’un travail spécifique répondant
précisément au besoin du client.
2) – c) C’est un contrat mixte. L’on pourrait appliquer ici le critère de l’accessoire
et déterminer si telle ou telle prestation est principale. Toutefois rien ne

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s’oppose ici à ce que la cession du matériel soit qualifiée de vente et que la
prestation de service (la formation) soit qualifiée de contrat d’entreprise.
3) – b) C’est une vente, et plus précisément une vente d’herbe. La qualification

Fiche 5 • Qualification du contrat de vente


de prêt est exclue puisqu’en faisant paître ses bêtes sur le champ, B. devient
propriétaire des herbes. Celle de bail (rural) l’est également, car l’exploitation
n’est pas exclusive. A. s’est, en effet, réservé, la possibilité d’exploiter le fonds.
4) – a) C’est une vente de fioul assortie d’un prêt à usage de la cuve. Ici les
fonds remis relativement à l’exploitation de la cuve ne constituent pas le prix
de la jouissance (cela exclut la qualification de bail) et aucun transfert de
propriété n’a été prévu (la jouissance est limitée dans le temps par l’obligation
de restitution (ce qui exclut la qualification de vente avec promesse de rachat).
5) – c) C’est une dation en paiement. La remise et le transfert de propriété
ne sont intervenus qu’afin de réaliser le paiement d’une dette préexistante.

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Fiche 6
La capacité et le consentement
dans la vente

I. Capacité
II. Le consentement encadré
III. L’expérimentation

Définitions

Droit de préemption : un droit de préemption est le droit reconnu par la loi à


une personne de se voir proposer le bien dont la cession est projetée par priorité
à tout autre acquéreur potentiel.
Agréage : l’agréage est une modalité du consentement de l’acheteur, celui-ci
a ainsi la faculté d’accepter (agréer) ou de refuser le bien qui lui est proposé
suivant son appréciation.

L’article 1594 du Code civil dispose que « tous ceux auxquels la loi ne l’interdit
pas peuvent acheter ou vendre ». Cette disposition résonne comme un écho à la
formule de l’article 1102 affirmant la liberté contractuelle. Le principe est donc
clair, une vente peut être conclue avec le contractant de son choix et suivant les
conditions librement convenues. Tout le monde peut donc être vendeur ou acheteur.
Toutefois, pour pouvoir vendre ou acheter, encore faut-il être juridiquement
capable de le faire (I). Si les questions de capacité ne dérogent pas, dans l’ensemble
au droit commun, l’on peut constater que de nombreuses entorses à la liberté du
consentement peuvent être découvertes au gré d’aménagements légaux ou conven-
tionnels (II). En outre, il arrive que la loi permette au consentement de revêtir une
certaine qualité, celui-ci devant alors être particulièrement réfléchi (III).

Attention

La vente étant un contrat, les exigences du droit commun de l’article 1128 du


Code civil s’imposent. Pour que le contrat soit valablement formé, l’on doit donc
retrouver le consentement des parties, leur capacité à contracter et un contenu
licite et certain.

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I. Capacité

La capacité de vendre est régie par les dispositions du droit commun. Ainsi, les

Fiche 6 • La capacité et le consentement dans la vente


mineurs non émancipés et les majeurs sous curatelle ou tutelle ne disposant de la
capacité de disposer ne peuvent valablement conclure une vente s’ils agissent seuls.
Une exception est toutefois posée qui concerne les actes de la vie courante portant
sur des biens de faible valeur.

Illustration

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a abrogé l’article 1595 du Code civil


qui interdisait les ventes entre époux. Il s’agissait donc d’une double incapacité
de vendre et d’acheter dont l’objectif était d’éviter les donations dissimulées
entre époux échappant alors à la règle (également supprimée depuis une loi du
26 mai 2004) de la libre révocabilité des donations.

Attention

La loi prévoit parfois des incapacités spéciales de jouissance (plus précisément


des incapacités d’achat). Par exemple, les articles L 116-4 du Code de l’action
sociale et des familles et L 3211-5-1 du Code de la santé publique interdisent,
sauf autorisation judiciaire, aux professionnels des établissements hébergeant
des personnes âgées ou dispensant des soins psychiatriques, d’acquérir les biens
des personnes y étant admises.

II. Le consentement encadré

Certains textes imposent parfois à une personne de vendre tel ou tel bien lui
appartenant. À titre d’exemple on peut citer l’article 11 de la loi du 1er juillet 1901
qui impose aux associations de vendre les immeubles qui ne sont pas nécessaires à
leur exploitation. De même en cas de redressement judiciaire d’une entreprise, le
juge peut ordonner la vente judiciaire de certains biens afin de permettre l’apurement
du passif. Toutefois ici, ce sont surtout les hypothèses du refus de vendre et des
droits de préemption qui attirent l’attention.

A. Refus de vendre

La liberté contractuelle et le principe de l’article 545 du Code civil suivant lequel


« nul ne peut être contraint de céder sa propriété » semblent exclure les hypothèses
dans lesquelles un vendeur se trouverait dans l’obligation de vendre un bien. Pourtant,
des dispositions relatives à la protection des consommateurs ou à la liberté de la

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concurrence tempèrent cette règle. Il convient toutefois de distinguer en fonction
du cadre dans lequel le refus de vente est susceptible d’intervenir.
Si le refus de vente s’adresse à un consommateur. L’article L 121-11 du Code de
la consommation, suivant lequel « Il est interdit de refuser à un consommateur la
vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime », s’applique
alors. Contrevenir à cette interdiction constitue pour le vendeur une infraction
pénale. Le motif légitime que peut invoquer le professionnel n’est pas défini par le
Code, mais peut être lié, notamment, à une interdiction légale (telle l’interdiction
de vendre du tabac à un mineur) ou à une impossibilité objective de réaliser la
vente (par exemple le fait que le bien que l’acheteur souhaite acquérir ne soit plus
en stock). Par contre, les convenances ou convictions personnelles du vendeur ne
sauraient caractériser un tel motif légitime.

Illustration

Cass. crim. 21 octobre 1998, pourvoi n° 97-80981.


« […] le refus de délivrer des médicaments contraceptifs ne procède nullement
d’une impossibilité matérielle de satisfaire la demande en raison d’une indisponibilité
des produits en stock, mais est opposé au nom de convictions personnelles qui ne
peuvent constituer, pour les pharmaciens auxquels est réservée la vente des médica-
ments, un motif légitime au sens de l’article L. 122-1 (du Code de la consommation) ».

Si le refus intervient dans le cadre d’une vente entre professionnels, celui-ci n’est
plus sanctionné en tant que tel. Depuis une ordonnance du 1er décembre 1986, un
tel refus ne constitue plus une infraction pénale (le texte maintenait la possibilité
d’engager automatiquement la responsabilité civile du vendeur, mais cette dispo-
sition a été supprimée par une loi du 1er juillet 1996). Le client pourrait toutefois
démontrer l’existence d’un abus de droit de la part du vendeur.

Attention

L’expropriation pour cause d’utilité publique est bien une hypothèse de cession
forcée de la propriété, mais elle ne constitue pas une vente : ce n’est pas un contrat.

B. Les droits de préemption

Il s’agit de droits permettant à leur titulaire de se substituer à l’acheteur choisi


par le vendeur qui s’exercent avant la conclusion définitive de la vente. Le proprié-
taire, projetant de vendre son bien, doit alors notifier le projet au titulaire du droit
de préemption et ce n’est que si ce dernier n’entend pas conclure le contrat, que le
vendeur pourra choisir l’acheteur.

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Que le titulaire soit une personne morale de droit public ou une personne privée,
les droits de préemption ont toujours pour objet une finalité sociale : la préservation
d’un intérêt supérieur.

Fiche 6 • La capacité et le consentement dans la vente


Illustration

Quelques exemples de droits de préemption :


Art. L 143-1 C. rural : « Il est institué au profit des sociétés d’aménagement
foncier et d’établissement rural (SAFER) un droit de préemption en cas d’aliénation
à titre onéreux de biens immobiliers à utilisation agricole et de biens mobiliers qui
leur sont attachés ou de terrains à vocation agricole »
Art. L 123-1 C. du patrimoine : « L’État peut exercer, sur toute vente publique
d’œuvres d’art ou sur toute vente de gré à gré d’œuvres d’art […], un droit de
préemption par l’effet duquel il se trouve subrogé à l’adjudicataire ou à l’acheteur »
Art. 15-2 de la loi du 6 juillet 1989 (en matière de bail à usage d’habitation) :
« Lorsqu’il est fondé sur la décision de vendre le logement, le congé doit, à peine de
nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente projetée. Le congé vaut offre
de vente au profit du locataire : l’offre est valable pendant les deux premiers mois
du délai de préavis ».

Le non-respect d’un droit de préemption peut être sanctionné par la nullité de


la vente, voire par la substitution du titulaire à l’acquéreur.

III. L’expérimentation

Parfois la conclusion ou la perfection de la vente est subordonnée à un consen-


tement particulier de l’acheteur. Si le contrat ou l’usage le prévoit, celui-ci peut, en
effet, se voir reconnaître la possibilité d’essayer (A) ou de déguster (B) la marchandise
dont la vente est projetée.

A. Les ventes à l’essai

Le contrat ou les usages prévoient parfois la possibilité pour l’acheteur d’essayer


la chose pendant un temps afin d’en apprécier les qualités ou de savoir si elle corres-
pond à ses besoins. Selon l’article 1588 du Code civil, il s’agit d’une vente sous
condition suspensive, le transfert de propriété du bien étant subordonné au caractère
satisfactoire de l’essai. Dès lors, si l’essai est satisfaisant, la condition se réalise, la
vente devient parfaite. Si, au contraire, l’essai n’est pas satisfaisant, la condition
défaille, et le contrat est alors caduc. Avant l’ordonnance de réforme du droit des
contrats du 10 février 2016, on considérait que lorsque l’essai était satisfaisant,
le transfert de propriété était réputé s’être réalisé au jour de la vente en raison de

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l’effet rétroactif de l’accomplissement de la condition. Désormais l’article 1304-6 C.
civ. dispose qu’en cas d’accomplissement de la condition l’obligation devient pure
et simple. Partant, sauf stipulations contraires des parties, le transfert de propriété
ne rétroagit plus au jour de la conclusion du contrat.
Traditionnellement, la vente à l’essai visait les ventes d’animaux ou de vête-
ments, mais elle peut également concerner du matériel industriel ou tout type de
marchandises.
L’essai constitue une obligation pour l’acheteur qui doit, pour rendre la décision,
se fonder sur des éléments objectifs comme l’inadaptation du bien essayé à l’usage
recherché ou ses performances insuffisantes. L’expérimentation n’est donc pas laissée
à la totale discrétion de l’acheteur, elle pourra par exemple être objectivement
vérifiée par un tiers voire par un juge.

Illustration

Cass. civ. 1re, 13 octobre 1998, pourvoi n° 96-19611 :


Une personne achète une jument à l’essai et verse, le jour de la vente une
partie du prix. Le vendeur s’engage à reprendre l’animal et à restituer les fonds
versés, dans un certain délai, s’il ne fait pas l’affaire. L’acheteur laisse passer le
délai. La Cour de cassation affirme alors que : « la vente conclue sous la condition
suspensive d’un essai satisfaisant devient parfaite si, à l’expiration du délai d’essai,
l’acheteur n’a pas manifesté sa volonté de ne pas conserver le bien ».

Attention

La vente à l’essai de l’article 1588 ne doit pas être confondue avec d’autres types
de ventes permettant une faculté d’expérimentation du bien. Ainsi, elle doit être
distinguée de la vente précédée d’un essai commercial (par exemple l’essai très
court d’une voiture avant de l’acheter), car dans cette hypothèse, la vente n’est
pas encore formée.

B. Les ventes à la dégustation

L’article 1587 du Code civil dispose qu’« À l’égard du vin, de l’huile, et des autres
choses que l’on est dans l’usage de goûter avant d’en faire l’achat, il n’y a point de
vente tant que l’acheteur ne les a pas goûtées et agréées ». Dans ces hypothèses,
la vente n’est alors formée qu’après la dégustation et l’agréage donné par l’acheteur.
La formation de la vente est alors laissée à la discrétion de l’acheteur. Elle dépend
donc d’un élément purement subjectif : son goût personnel.
La possibilité d’agréer le bien vendu doit être expressément stipulée par les
parties, à défaut, la vente obéit au régime de l’article 1583 du Code civil.

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Avant l’agréage, la vente n’est pas formée, le contrat s’analyse alors en une
promesse unilatérale de vente, laissant à l’acquéreur potentiel une option.

Fiche 6 • La capacité et le consentement dans la vente


Attention

L’agréage ne doit pas être confondu avec l’agréation qui correspond à l’accep-
tation de la délivrance des marchandises et qui consiste en un contrôle de la
conformité de celles-ci.

À retenir

−− Pour pouvoir vendre, il faut avoir la capacité de disposer.


−− Le refus de vente adressé par un professionnel à un consommateur constitue
une infraction pénale.
−− Un droit de préemption impose au vendeur de proposer le bien à un contractant
désigné par la loi en priorité à tout autre acquéreur potentiel.
−− La vente à l’essai est formée, mais son exécution est subordonnée à la réali-
sation de la condition suspensive que l’essai soit satisfaisant.
−− La vente à la dégustation ne se forme qu’après l’agréage de l’acheteur.

Pour en savoir plus


−− J.-M. Bahans, « Objectivisme et subjectivisme dans le contrat de vente du vin », in
Mélanges en l’honneur du professeur J. Hauser, LexisNexis-Dalloz, 2012, p. 723.
−− O. Barret, « Variations autour du refus de contracter », in Propos sur les obligations et
quelques autres thèmes fondamentaux du droit, Mélanges offerts à J.-L. Aubert, Dalloz,
2005, p. 3.
−− R. Demogue, « Des contrats provisoires », in Études de droit civil à la mémoire de Henri
Capitant, LGDJ, 1938, p. 159.
−− L. Lorvellec, L’essai dans les contrats, thèse, Rennes, 1972.
−− C. Saint-Alary-Houin, « Le droit de préemption », préf. P. Raynaud, LGDJ, 1979

POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Callixte souhaite se séparer de son ancienne voiture afin de pouvoir en
acquérir une nouvelle. Il publie donc une annonce dans la presse. Robert
est intéressé par l’achat, mais avant de prendre sa décision, demande à
pouvoir essayer le véhicule. Callixte n’y voit pas d’opposition et propose
à son acheteur potentiel de faire un petit tour (le premier prenant bien

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entendu place sur le siège passager). Durant l’essai, Robert perd le contrôle
de la voiture et l’empale sur un arbre. Callixte vous demande donc s’il
devait encore être considéré comme le propriétaire de la voiture.

CORRIGÉ
En l’espèce, il ne peut s’agir d’une vente à l’essai puisque Robert n’a pas encore
donné son consentement. Il ne s’agit que d’un essai purement commercial.
La vente n’est donc pas formée, Callixte est resté propriétaire du véhicule.
Dans cette hypothèse, la Cour de cassation (Cass. civ. 2e, 19 mai 1969, Bull.
civ. II, n° 161) considère même que le vendeur qui supervisait l’essai avait
conservé sur la voiture les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction. Il
est donc non seulement propriétaire, mais également gardien de la chose,
et c’est lui qui doit être considéré comme étant le responsable de l’accident.

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Fiche 7
Information et réflexion

I. Les obligations d’information


II. La réflexion de l’acheteur

Définitions

Délai de réflexion. Le délai de réflexion est une période précédant la conclusion


définitive du contrat permettant à l’acheteur de déterminer s’il doit conclure ou
non le contrat projeté.
Délai de rétractation. Le délai de rétractation est une période suivant la
conclusion du contrat permettant à l’acheteur de revenir sur son engagement.

Afin de protéger les volontés, et sans avoir recours à la théorie des vices du
consentement, le législateur a mis en place un système permettant d’assurer à
l’acheteur un consentement le plus éclairé possible. Ainsi, le vendeur doit une infor-
mation loyale et sincère (I) et l’acheteur bénéficie parfois de délais de réflexion ou
de rétractation (II).

I. Les obligations d’information

L’alinéa premier de l’article 1602 du Code civil dispose que « Le vendeur est tenu
d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige ». En 1804, ce texte n’était pas considéré
comme ayant une grande valeur opératoire, il ne s’agissait que d’une règle de bon
sens, applicable à toute convention. Néanmoins, la jurisprudence a déduit de cette
disposition l’existence à la charge du vendeur d’une véritable obligation d’information
précontractuelle se prolongeant pendant l’exécution du contrat.
Le vendeur doit donc communiquer les informations dont il dispose sur la chose
vendue et que l’acheteur ignore.
L’obligation d’information est toutefois différente selon les qualités du vendeur
et de l’acheteur et selon la nature de la chose vendue.
Afin de présenter schématiquement les obligations d’information dues par le
vendeur, il peut être proposé de distinguer l’obligation précontractuelle (A) de

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l’obligation contractuelle (B) et du devoir de conseil (C). En pratique, il est toutefois
très difficile de déterminer en fonction de quelle obligation l’information est due.

A. L’obligation précontractuelle

L’obligation précontractuelle d’information se retrouve, de façon ponctuelle,


dans certains textes du Code de la consommation relatifs notamment aux caracté-
ristiques du bien vendu, à son prix, ou encore aux modalités de livraison. Elle a pour
objet de permettre à l’acheteur de prendre une décision en pleine connaissance de
cause. Cette obligation n’a cependant pas pour objet de rendre le vendeur profes-
sionnel débiteur d’une obligation de conseil. Elle ne lui impose que de transmettre
au consommateur des indications purement objectives sur le contenu du contrat. Le
débiteur de l’information n’a donc pas à prendre en compte les besoins ou la situation
du créancier et n’a pas non plus à l’informer des risques ou désavantages du contrat.

Illustration

Exemples de textes du Code de la consommation.


L. 111-1 C. conso : « Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat
de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au
consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes :
1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support
de communication utilisé et du bien ou service concerné ;
2° Le prix du bien ou du service, en application des articles L. 112-1 à L. 112-4 ;
3° En l’absence d’exécution immédiate du contrat, la date ou le délai auquel le
professionnel s’engage à livrer le bien ou à exécuter le service ;
4° Les informations relatives à son identité, à ses coordonnées postales, télé-
phoniques et électroniques et à ses activités, pour autant qu’elles ne ressortent pas
du contexte ;
5° S’il y a lieu, les informations relatives aux garanties légales, aux fonctionnalités
du contenu numérique et, le cas échéant, à son interopérabilité, à l’existence et aux
modalités de mise en œuvre des garanties et aux autres conditions contractuelles ;
6° La possibilité de recourir à un médiateur de la consommation dans les condi-
tions prévues au titre Ier du livre VI. […] ».
L. 112-1 C. conso : « Tout vendeur de produit ou tout prestataire de services
informe le consommateur, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par
tout autre procédé approprié, sur les prix et les conditions particulières de la vente
et de l’exécution des services […] ».

En outre, certaines ventes sont soumises à des obligations d’information précon-


tractuelles spéciales. C’est notamment le cas des ventes par démarchage (L. 221-5 C.
conso), des ventes à crédit (L. 312-17 C. conso) ou des ventes immobilières qui imposent
au vendeur de faire figurer dans le contrat de nombreuses mentions informatives.

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La jurisprudence a toutefois étendu le champ d’application de l’obligation précon-
tractuelle d’information en lui octroyant une portée générale et en l’appliquant de
façon particulièrement sévère aux professionnels. Puis le législateur, à l’occasion

Fiche 7 • Information et réflexion


de l’ordonnance de réforme du droit des contrats du 10 février 2016 a consacré un
texte général imposant à toute partie à la une négociation précontractuelle une
obligation d’information, dès lors que l’information en question a un lien direct et
nécessaire avec le contenu du contrat.
Le principe est donc que le vendeur doit éclairer l’acheteur sur les risques et
avantages du contrat, mais il n’a pas à lui rappeler les faits qui sont à la connais-
sance de tous.

Illustration

Art. 1112-1 C. civ. :


« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante
pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette
dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur
de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et
nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que
l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir
d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux
articles 1130 et suivants. »

Cette obligation d’information n’est soumise à aucun formalisme spécifique. Elle


peut donc s’exécuter par tous moyens.
En cas de non-respect de l’obligation d’information précontractuelle, le vendeur
engage sa responsabilité délictuelle (puisque le contrat n’est pas encore formé).

Attention

L’inexécution de l’obligation d’information peut emporter un véritable vice du


consentement chez l’acheteur (c’est ce qui est directement prévu par le dernier
alinéa de l’article 1112-1 C. civ.). Dans ce cas, l’acheteur peut également agir en
nullité de la vente.

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B. L’obligation contractuelle

L’obligation contractuelle d’information prolonge l’obligation précontractuelle


et a pour objet de transmettre les informations relatives à l’objet vendu. La Cour de
cassation analyse cette obligation comme une obligation de résultat.

Illustration

Cass. civ. 1re 25 février 1997, Bull. civ. I, n° 75, pourvoi n° 94-19685 :
« […] celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation parti-
culière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ».

L’information doit porter sur différents aspects du bien vendu, tels les risques
encourus, les éventuelles contre-indications, ou ses limites. À ce titre, le vendeur
doit au moins fournir à l’acquéreur une notice explicative.
L’intensité de cette obligation varie selon la qualité des parties. Un acheteur
profane mérite, en effet, une protection plus étendue qu’un acheteur professionnel
et averti connaissant les conditions ou précautions d’emploi.
Aussi, pour que le vendeur puisse transmettre à l’acheteur les informations
nécessaires, ce dernier doit-il également informer le premier de l’utilisation qu’il
entend faire du bien et des qualités attendues de celui-ci. Par exemple, l’acheteur
doit expliquer au vendeur les qualités ou performances qu’il attend de la chose.
À défaut d’une telle réciprocité de l’information, le vendeur pourrait être, au moins
en partie, déchargé de sa responsabilité.
Le vendeur non professionnel n’est pas dispensé d’obligation d’information. L’on
attend de lui moins que d’un vendeur professionnel, mais il est au moins tenu de
transmettre honnêtement les informations qu’il détient relativement à la chose vendue.

Attention

Dire que l’acheteur doit informer le vendeur de ses besoins, ne signifie pas qu’il
doit également lui transmettre des informations qu’il détiendrait sur la chose
et notamment sa valeur.

C. L’obligation de conseil

L’obligation de conseil va plus loin que l’obligation d’information, l’objectif n’est


plus de permettre à l’acheteur de prendre une décision, mais plutôt d’influencer la
décision dans un sens ou dans un autre. Il s’agit donc, pour le vendeur, de conseiller
l’acheteur quant à l’opportunité de l’acquisition.
Pour que le vendeur soit considéré comme débiteur d’une obligation de conseil,
il faut nécessairement des degrés de compétence différents entre les parties au

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contrat. L’obligation de conseil ne pèse donc que sur le vendeur professionnel traitant
avec soit un profane, soit un professionnel moins spécialiste que lui.

Fiche 7 • Information et réflexion


Illustration

Cass. Civ. 1re, 3 décembre 2014, n° 13-27202.


Un vétérinaire et son épouse acquièrent une voiture neuve auprès d’un conces-
sionnaire. En raison de la profession du mari, le véhicule parcourt 203 000 km
en environ deux ans et demi, puis la boîte de vitesses se détériore. Un rapport
d’expertise démontre qu’elle était devenue inutilisable en raison d’un encrasse-
ment de l’huile ayant eu pour effet d’user les éléments de cette pièce mécanique
et de générer des particules métalliques qui s’étaient mélangées à l’huile. Il est
également relevé qu’un entretien tous les 75 000 km aurait évité une telle panne.
Or le livret d’entretien du véhicule ne mentionnait pas la nécessité de procéder
à la vidange de la boîte de vitesses. Les acheteurs assignent alors le vendeur
en paiement de dommages et intérêts en raison de l’inexécution du devoir de
conseil. La Cour de cassation leur donne alors gain de cause en affirmant que
« l’obligation de conseil imposait au vendeur de s’informer des besoins de l’acheteur
afin d’être en mesure de lui fournir tous les renseignements indispensables à l’utili-
sation prévue du véhicule vendu ».

Attention

Parfois la protection assurée par le droit commun des contrats, en l’occurrence


l’obligation de conseil, est bien plus efficace que celle prévue par le droit spécial
du Code de la consommation.

II. La réflexion de l’acheteur

Permettre à l’acheteur d’avoir un consentement éclairé et réfléchi peut prendre


deux formes. Le consentement définitif à la vente peut être reporté dans le temps
(A), peut, alors même qu’il a été donné, être susceptible d’une rétractation (B).

A. Les délais de réflexion

Si l’acheteur finance son acquisition à l’aide d’un prêt conclu avec un établis-
sement de crédit, la loi impose un délai de réflexion pendant lequel le prêteur est
tenu de maintenir son offre.
Par exemple, lorsqu’un prêt conditionne la conclusion d’une vente immobilière
doit ainsi être maintenue pendant trente jours par l’établissement de crédit et ne
peut être acceptée que dix jours après sa réception.

53

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Illustration

Art. L. 313-34 C. conso :


« L’envoi de l’offre oblige le prêteur à maintenir les conditions qu’elle indique
pendant une durée minimale de trente jours à compter de sa réception par l’emprunteur.
L’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur et des cautions, personnes
physiques, déclarées. L’emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l’offre que
dix jours après qu’ils l’ont reçue […] ».

Un mécanisme similaire se retrouve dans la loi SRU du 13 décembre 2000.


Lorsqu’un particulier achète un immeuble à usage d’habitation, que l’acte est dressé
en la forme authentique, et qu’il n’a pas été précédé d’une promesse, la signature
de l’acte est impossible avant un délai de réflexion de sept jours à compter de la
remise du projet d’acte.

Illustration

Art. L271-1 al. 5 CCH :


« Lorsque le contrat constatant ou réalisant la convention est dressé en la
forme authentique et n’est pas précédé d’un contrat préliminaire ou d’une promesse
synallagmatique ou unilatérale, l’acquéreur non professionnel dispose d’un délai de
réflexion de dix jours à compter de la notification ou de la remise du projet d’acte […].
En aucun cas l’acte authentique ne peut être signé pendant ce délai de dix jours ».

Si le contrat est précédé d’une promesse, le même délai s’impose avant son
acceptation définitive (art. L271-1 al. 4).

B. Les droits de rétractation et droits de repentir

Le consentement du consommateur à la vente est fréquemment protégé par des


droits de rétractation. Dans ce cas, le contrat est valablement conclu, mais l’acheteur,
pendant un certain délai, peut revenir sur son engagement.
Les textes organisant les droits de rétractation sont nombreux et visent notam-
ment les ventes consécutives à un démarchage à domicile ou par téléphone, les
ventes à distance, ou encore la vente à crédit d’un bien mobilier.

Illustration

Art. L. 221-18 C. conso (contrats conclus à distance et hors établissement) :


« Le consommateur dispose d’un délai de quatorze jours pour exercer son droit de
rétractation d’un contrat conclu à distance, à la suite d’un démarchage téléphonique
ou hors établissement, sans avoir à motiver sa décision ni à supporter d’autres coûts
que ceux prévus aux articles L. 221-23 à L. 221-25 ».

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De même, dans une vente immobilière, tout acquéreur non professionnel, quelle
que soit la qualité du vendeur (professionnel ou non) bénéficie également d’un droit
de rétractation dans les sept jours à compter du lendemain de la présentation de la

Fiche 7 • Information et réflexion


lettre lui notifiant l’acte (ou à compter du lendemain de la remise de l’acte si celui-ci
est remis par directement à l’acheteur par un mandataire).
La rétractation, qui s’opère par lettre recommandée avec avis de réception, est
définitive (l’acheteur ne peut donc se rétracter de sa rétractation).

Illustration

Art. L. 271-1 CCH al. 1er :


« Pour tout acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble
à usage d’habitation, la souscription de parts donnant vocation à l’attribution
en jouissance ou en propriété d’immeubles d’habitation ou la vente d’immeubles
à construire ou de location-accession à la propriété immobilière, l’acquéreur non
professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain
de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte ».

Attention

Il ne faut pas confondre les droits de rétractation du droit de la consommation


et la vente avec faculté de rachat (ou vente à réméré). Cette dernière est une
vente dans laquelle le vendeur se réserve la possibilité de racheter le bien vendu
en restituant notamment le prix de vente (art. 1659 et s.).

À retenir

−− Il existe de nombreuses obligations d’information destinées à assurer la


qualité du consentement.
−− L’intensité de l’obligation d’information peut varier selon la nature de la vente
et la qualité des parties.
−− Avant la conclusion du contrat, certaines dispositions imposent à l’acheteur de
respecter un délai de réflexion pendant lequel l’acceptation n’est pas possible.
−− Après la conclusion du contrat, d’autres dispositions spéciales prévoient une
faculté de rétractation pour l’acheteur qui peut alors se délier de la vente.

Pour en savoir plus


−− M. Fabre-Magnan, De l’obligation d’information dans les contrats – Essai d’une théorie,
préface J. Ghestin, LGDJ, 1992.
−− P. Jourdain, « Le devoir de se renseigner », D. 1983, chron. 139.

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−− Ph. Brun, « Le droit de revenir sur son engagement », Dr. et pat. mai 1998, 78.
−− L. Bernardeau, « Le droit de rétractation du consommateur, un pas de plus vers une
doctrine d’ensemble », JCP G 2000, I, 218.
−− Ph. Pelletier, « Délai de réflexion et délai de rétractation : la nouvelle protection de
l’acquéreur immobilier », Defrénois 2001, 205.

POUR S’ENTRAÎNER

Question de cours
L’acheteur a-t-il encore l’obligation de se renseigner ?

CORRIGÉ
Emptor debet esse curiosus : l’acheteur doit être curieux (adage issu du droit
romain : Dig. 15.3.3.9). Avant le développement exponentiel des différentes
obligations d’information à la charge du vendeur, l’on estimait que l’acheteur
devait avant tout se renseigner sur la chose qu’il entendait acquérir. Aujourd’hui
la logique s’est en partie inversée. C’est avant tout au vendeur de présenter
les informations nécessaires à son cocontractant. Désormais, la plupart des
obligations d’informer ne tiennent plus compte de la diligence de l’acheteur,
sauf dans l’hypothèse où le vendeur est lui-même confronté à un acheteur
professionnel. La limite de l’étendue de l’obligation d’information se trouve
en effet dans les connaissances que peut avoir l’acheteur. En outre, il ne faut
pas oublier que la transmission par le vendeur d’une information de qualité,
passe souvent par le fait que l’acheteur lui fasse également part de ses besoins
précis (notamment lorsque la vente porte sur du matériel complexe ou qu’il
entend en faire une utilisation très particulière).

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Fiche 8
Les avant-contrats

I. La promesse unilatérale
II. La promesse synallagmatique
III. Le pacte de préférence

Définitions

Promesse unilatérale de vente. La promesse unilatérale de vente est une


convention par laquelle l’une des parties (le promettant) promet de conclure la
vente, au profit de l’autre partie (le bénéficiaire) qui bénéficie alors d’un délai
pour lever l’option et former définitivement le contrat.
Promesse synallagmatique de vente. La promesse synallagmatique de vente
est la convention par laquelle une partie s’engage à vendre et l’autre à acheter
un bien pour un prix déterminé.
Pacte de préférence. Le pacte de préférence est une convention par laquelle une
personne s’engage à proposer en priorité à une autre, la conclusion d’un contrat
de vente, dans l’hypothèse où elle entendrait vendre.

L’échange des consentements n’est pas nécessairement instantané. Les parties


au futur contrat de vente peuvent ainsi aménager contractuellement la période
précédant la conclusion définitive du contrat. Plusieurs techniques sont alors à leur
disposition. Pour s’en tenir à l’essentiel, l’on peut recenser les promesses unilatérales
(I) ou synallagmatiques (II) et le pacte de préférence (III). Les hypothèses dans
lesquelles seront conclus ces différents avant-contrats varient. Lorsqu’une promesse
(unilatérale ou synallagmatique) est conclue, les parties ont trouvé un accord sur
les éléments essentiels du contrat (la chose vendue et son prix), mais il manque un
élément permettant la perfection de la vente : obtention d’un permis de construire,
classement de la parcelle vendue en zone constructible, obtention d’un financement
par l’acheteur… Au contraire, lorsqu’un pacte de préférence est conclu, il n’est pas
encore question d’accord des parties sur les éléments essentiels du contrat, le
processus de formation du contrat n’est pas encore arrivé à ce stade de maturité.
Cet avant-contrat n’a pour objet que d’accorder une priorité au bénéficiaire dans
l’hypothèse où le « promettant » souhaiterait vendre.

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I. La promesse unilatérale

Dans la promesse unilatérale, le consentement du promettant (le futur vendeur)


est en principe irrévocablement donné, la conclusion du contrat ne dépend alors
plus que du bénéficiaire de la promesse : s’il lève l’option le contrat sera conclu, s’il
décide de ne pas lever l’option, ce ne sera pas le cas (la promesse est alors caduque).
Plus rare est la promesse unilatérale d’achat. Dans ce cas, c’est l’acheteur qui
donne son consentement définitif à la vente et le vendeur dispose d’une option lui
permettant de vendre ou non.

Attention

La promesse unilatérale doit bien être distinguée de la simple offre, qui pour
sa part ne suppose par l’accord de son destinataire : l’offre n’est donc pas une
convention.

A. Formation

La promesse unilatérale est un contrat consensuel, qui peut être soit unilatéral
(dans ce cas seul le promettant s’engage à maintenir son offre de vente), soit
synallagmatique.
Pour être valable, la promesse unilatérale doit contenir les éléments essentiels
du contrat projeté. L’objet et le prix doivent donc y être déterminés. La capacité et
le pouvoir du promettant s’apprécient également au moment de la promesse (puisque
le consentement à la vente du promettant est d’ores et déjà donné).
La promesse peut fixer un délai d’option, mais cela n’est pas une condition de
validité. Si un délai est déterminé, le bénéficiaire ne pourra opter après ce délai. Si
aucun délai n’est fixé, le bénéficiaire perdra son droit d’option à l’issue d’un délai
raisonnable.
Parfois, les parties stipulent dans la promesse le versement par l’acheteur d’une
indemnité d’immobilisation. Le bénéficiaire paie alors une somme d’argent au
promettant qui correspond au prix de l’immobilisation du bien dont la vente est
projetée. Si le bénéficiaire lève l’option, dans ce cas l’indemnité d’immobilisation
s’impute sur le prix de vente. S’il ne lève pas l’option, il perd ces fonds et le promet-
tant peut les conserver.
Si, toutefois, le montant de l’indemnité d’immobilisation est tel qu’en réalité
l’existence de l’option (c’est-à-dire la liberté d’acheter ou non du bénéficiaire) devient
illusoire, la promesse sera requalifiée en promesse synallagmatique de vente.

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Attention

La stipulation d’une indemnité d’immobilisation n’entraîne pas de facto la requa-


lification de la promesse en promesse synallagmatique. Il s’agit alors d’un contrat

Fiche 8 • Les avant-contrats


synallagmatique de promesse unilatérale.

Lorsque la promesse porte sur un immeuble ou un fonds de commerce, l’article


1589-2 du Code civil impose que celle-ci soit passée en la forme authentique ou, si
elle est passée par acte sous signature privée qu’elle soit enregistrée dans les dix
jours de sa conclusion, à peine de nullité absolue. L’objectif de ce texte est de lutter
contre la dissimulation d’une partie du prix de vente à l’administration fiscale. Dans
ce cas, la promesse devient un acte solennel.

B. Effets

Avant la levée d’option (et donc avant la conclusion définitive de la vente), le


bénéficiaire n’est pas encore un acheteur. Il n’est donc pas encore propriétaire des
biens dont la vente est projetée. Il n’est donc titulaire que d’un droit personnel (le
droit d’option) et non d’un droit réel. Le promettant, pour sa part, doit maintenir
sa promesse : il ne peut donc, en principe, vendre le bien à un tiers.
Dans sa version d’origine, le Code civil ne contenait guère de disposition sur la
promesse unilatérale. Aussi, son régime (pour l’essentiel la question de l’efficacité
de la rétractation du promettant) a-t-il été conçu par la jurisprudence dans un sens
aujourd’hui contredit par les textes issus de l’ordonnance de réforme du droit des
contrats du 10 février 2016.
Avant l’ordonnance de réforme du droit des contrats, la Cour de cassation consi-
dérait la rétractation du promettant, précédant la levée d’option par le bénéficiaire,
comme efficace. Partant dès lors que le promettant revenait sur sa promesse avant
la levée d’option, la conclusion du contrat ne pouvait être ordonnée en justice. Le
bénéficiaire ne pouvait donc forcer la réalisation de la vente et devait se contenter
de dommages et intérêts.
À l’origine, la Cour de cassation considérait que le promettant se rétractant
inexécutait l’obligation de faire (maintenir sa promesse) mise à sa charge par l’avant-
contrat. En vertu néanmoins de l’ancien article 1142 du Code civil, il ne pouvait être
condamné qu’à des dommages et intérêts.

Illustration

Cass. civ. 3e, 15 décembre 1993, Bull. civ. III, n° 174, pourvoi n° 91-10199 :
« […] tant que les bénéficiaires n’avaient pas déclaré acquérir, l’obligation de
la promettante ne constituait qu’une obligation de faire et […] la levée d’option,
postérieure à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés
réciproques de vendre et d’acquérir ».

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Cette solution était particulièrement critiquée notamment en raison de la
référence à l’ancien article 1142 qui ne visait pourtant, selon une interprétation
jurisprudentielle constante, que les obligations de faire à caractère personnel. La
Cour de cassation avait alors supprimé la référence à l’obligation de faire, mais avait
maintenu sa position.

Illustration

Cass. civ. 3e, 11 mai 2011, Bull. civ. III, n° 77, pourvoi n° 10-12875 :
« […] la levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement
à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques
de vendre et d’acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée ».

La promesse unilatérale se trouvait donc en grande partie privée d’efficacité. La


solution pour les parties résidait cependant dans la stipulation d’une clause dans
la promesse prévoyant l’inefficacité de la rétractation de la part du promettant.

Attention

Une rétractation du promettant postérieure à levée d’option était nécessairement


inefficace puisque le contrat était alors formé.

Dans l’ordonnance de réforme du droit des contrats, le législateur a entendu


remettre en cause la solution jurisprudentielle. L’article 1124 al. 2 du Code civil
dispose désormais que « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au
bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ». Partant, le
bénéficiaire de la promesse peut désormais obtenir l’exécution forcée en nature de la
promesse dès lors qu’il lève l’option dans les temps, malgré la rétractation de la part
du promettant (concrètement, il n’a pas à se contenter de dommages et intérêts).
Le troisième alinéa de l’article 1124 du Code civil prévoit également que « Le
contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connais-
sait l’existence est nul ». Cela signifie que dans l’hypothèse où le promettant s’est
rétracté afin de vendre à un tiers au courant de l’existence de la promesse, le béné-
ficiaire pourra obtenir la nullité du contrat passé en violation de ses droits et donc
l’exécution forcée de la promesse.

Attention

C’est au bénéficiaire de la promesse de rapporter la preuve de la mauvaise foi


du tiers (donc de rapporter la preuve de la connaissance du tiers au moment de
la conclusion du contrat de l’existence de la promesse). En outre, contrairement
à ce que laisse entendre le texte, le contrat passé en violation des droits du

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bénéficiaire n’est pas nul de plein droit (la nullité est judiciaire, art. 1178 C.
civ.), il n’est qu’annulable.

Fiche 8 • Les avant-contrats


Lu a contrario l’article 1124 al. 3, prévoit donc que le tiers de bonne foi (qui
ignorait l’existence de la promesse) ne sera pas menacé par le bénéficiaire et ne
verra pas son contrat annulé. Dans cette hypothèse le bénéficiaire de la promesse
obtiendra des dommages et intérêts.

II. La promesse synallagmatique

Contrairement à la promesse unilatérale, la promesse synallagmatique (parfois


appelée compromis de vente) contient le consentement réciproque des parties à l’acte
définitif. La proximité de cet avant-contrat avec le contrat définitif est telle que le
Code lui nie parfois son autonomie en affirmant à l’article 1589 que « La promesse
de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties, sur la
chose et sur le prix ».
Cela se comprend. La vente étant un contrat consensuel, l’accord sur la chose
et le prix (les éléments essentiels) forme ce contrat. Les autres éléments (comme
l’obtention d’une autorisation administrative ou d’un prêt permettant de financer
l’acquisition par exemple) sont considérés comme étant accessoires et n’empêchent
pas la formation. La vente est conclue définitivement, mais ses effets (délivrance
du bien, transfert de propriété, paiement du prix) sont repoussés. La vente est alors
conclue, mais assortie d’une ou plusieurs conditions (par exemple l’obtention d’un
prêt) et/ou d’un terme (par exemple, en matière immobilière, la réitération de la
promesse devant notaire).

Illustration

La condition d’obtention d’un prêt en cas d’acquisition immobilière par un


particulier de l’article L. 313-41 C. conso. :
« Lorsque (la promesse synallagmatique ou la promesse unilatérale de vente
immobilière) indique que le prix est payé, directement ou indirectement, même
partiellement, à l’aide d’un ou plusieurs prêts […], cet acte est conclu sous la condi-
tion suspensive de l’obtention du ou des prêts qui en assument le financement. La
durée de validité de cette condition suspensive ne peut être inférieure à un mois à
compter de la date de la signature de l’acte ou, s’il s’agit d’un acte sous seing privé
soumis à peine de nullité à la formalité de l’enregistrement, à compter de la date
de l’enregistrement.
Lorsque la condition suspensive prévue au premier alinéa n’est pas réalisée,
toute somme versée d’avance par l’acquéreur à l’autre partie ou pour le compte de
cette dernière est immédiatement et intégralement remboursable sans retenue ni
indemnité à quelque titre que ce soit ».

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Parfois pourtant, la promesse synallagmatique de vente ne vaut pas vente, elle
est donc bien un accord autonome du contrat définitif. Pour cela, les parties doivent
expressément subordonner la conclusion du contrat définitif à la réalisation d’un
événement ou à la réalisation d’une formalité supplémentaire. Les parties érigent
alors en condition de formation du contrat un élément qui n’a, en principe, pas cette
nature (essentiellement la rédaction du contrat par acte authentique en matière
immobilière). Cette intention de ne pas conclure une vente définitive au moment
de la promesse doit apparaître clairement dans l’acte.

Illustration

Cass. Civ. 3e, 14 janvier 1987, n° 85-16 306 :


Une promesse est conclue et contient une clause prévoyant que l’acte « ne
prendrait son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire ». La Cour
de cassation refuse d’y voir une promesse ne valant pas vente : « Mais attendu
qu’après avoir énoncé justement que la vente est parfaite entre les parties dès qu’on
est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments
accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins
que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de
ces modalités, l’arrêt retient souverainement que les parties à l’acte du 13 novembre
1978 s’étaient, dès cette date, entendues sur la chose et sur le prix et que si elles
ont prévu l’entérinement de l’acte par un notaire, il ne résulte ni des dispositions de
cet acte ni des circonstances de la cause qu’elles aient voulu faire de cette modalité
accessoire un élément constitutif de leur consentement ; que par ces seuls motifs,
l’arrêt est légalement justifié ».

Une telle promesse peut alors prendre deux formes. Si l’événement dont dépend la
formation du contrat est une obligation, il s’agit alors d’un véritable avant-contrat
synallagmatique. Si, au contraire, l’événement en question n’est pas un engagement
ferme, dans ce cas, il n’y a pas véritablement de contrat, il ne s’agit que d’un projet,
dépourvu de force obligatoire.

Attention

La promesse synallagmatique de vente n’est pas subordonnée à la formalité de


l’enregistrement de l’article 1589-2 qui est réservé aux seules promesses unilatérales.

Quant à l’exécution de la promesse synallagmatique, il faut distinguer selon qu’elle


présente une certaine autonomie ou non vis-à-vis du contrat de vente.
Si la promesse n’est pas autonome (donc que la vente définitive est formée), la
promesse de vente vaut vente et l’exécution forcée en nature peut être prononcée.

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Par exemple, si une partie refuse de signer l’acte authentique chez le notaire, un
jugement valant acte est possible et tient lieu d’acte notarié.
Si la promesse synallagmatique est autonome, l’exécution forcée en nature

Fiche 8 • Les avant-contrats


n’est pas possible. S’il ne s’agissait que d’un projet, la promesse est caduque. Si, au
contraire, elle contenait une véritable obligation, il y a dans ce cas inexécution qui
pourra être sanctionnée. Néanmoins seule l’allocation de dommages et intérêts
est envisageable.

Illustration

Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, art. 15 :


« La promesse synallagmatique de vente vaut vente lorsque les parties sont
convenues du bien et du prix. La promesse synallagmatique de vente ne vaut pas
vente lorsque les parties, quoique convenues du bien et du prix, subordonnent
sa formation à un accord sur un autre élément ou à un accord passé dans une
certaine forme.
Le contrat conclu en violation d’une promesse synallagmatique de vente
valant vente avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul.
L’inexécution d’une promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente
ne donne lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts ».

III. Le pacte de préférence

Dans le pacte de préférence, l’accord définitif du débiteur n’est pas donné. Celui-ci
ne s’engage qu’à proposer la conclusion du contrat en priorité au bénéficiaire dans
l’hypothèse où il entendrait vendre. Pendant la durée du pacte, le débiteur s’engage
donc à ne pas vendre le bien en question à un tiers. Le pacte de préférence est,
depuis l’ordonnance de réforme du droit des contrats du 10 février 2016, défini à
l’article 1123 du Code civil qui dispose que : « le pacte de préférence est le contrat
par lequel une partie s’engage à proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter
avec lui pour le cas où elle déciderait de contracter ». Puisque le pacte ne contient
pas d’offre de contrat, il n’a pas à déterminer le prix de la vente éventuelle.

Illustration

Cass. civ. 1re, 6 juin 2001, Bull. civ. I, n° 166, pourvoi n° 98-20673
« […] il n’est pas dans la nature du pacte de préférence de prédéterminer le
prix du contrat envisagé et qui ne sera conclu, ultérieurement, que s’il advient que
le promettant en décide ainsi ».

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Le pacte peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. S’il est
à durée indéterminée, le débiteur pourrait alors être tenu indéfiniment. Dans ce cas,
la prescription ne court pas contre le bénéficiaire. On applique en effet l’article 2234
du Code civil (« La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans
l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention
ou de la force majeure ») : tant que le débiteur n’a pas proposé le contrat au béné-
ficiaire, ce dernier ne peut accepter, la prescription ne court donc pas contre lui.

Attention

Le pacte de préférence n’oblige en aucun cas le débiteur de la préférence à


soumettre une offre au bénéficiaire. Ce n’est que si le premier souhaite vendre
qu’il est tenu d’accorder la priorité au second.

Si le bénéficiaire refuse de conclure le contrat après que le débiteur de la préfé-


rence le lui a proposé, ce dernier retrouve sa liberté de vendre à des tiers. Il ne peut
toutefois le faire qu’aux mêmes conditions que celles présentées au bénéficiaire du
pacte.
En cas d’inexécution du pacte, c’est-à-dire si le débiteur de la préférence vend
le bien à un tiers sans avoir proposé auparavant la conclusion du contrat au béné-
ficiaire, deux situations doivent être distinguées.
Si le tiers acquéreur ignorait l’existence du pacte, la vente est valable. Le pacte
de préférence est en effet inopposable à ce tiers en raison de l’effet relatif des
contrats. Le bénéficiaire ne pourra pas acquérir le bien, néanmoins, il pourra engager
la responsabilité contractuelle du débiteur de la préférence.

Illustration

Cass. civ. 3e, 24 mars 1999, Bull. civ. III, n° 80, pourvoi n° 96-16040.
« […] le pacte de préférence constitue une créance de nature personnelle ; […]
la cour d’appel, ayant retenu que le pacte de préférence avait été institué par (le
débiteur de la préférence) au profit (de la bénéficiaire), cette dernière ne disposait
d’aucun droit à l’encontre (du tiers acquéreur) pour l’inexécution de ce pacte auquel
il n’était pas partie ».

Si le tiers acquéreur avait connaissance de l’existence du pacte et de l’intention


du bénéficiaire de s’en prévaloir la jurisprudence et désormais le Code civil autorisent
ce dernier à demander la nullité du contrat passé en violation de ses droits et /ou
d’obtenir la substitution du bénéficiaire dans les droits du tiers acquéreur.

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Illustrations

Cass. Ch. mixte, 26 mai 2006, Bull. mixt. n° 4, pourvoi n° 03-19376 :


« […] si le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation

Fiche 8 • Les avant-contrats


du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa subs-
titution à l’acquéreur, c’est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu’il
a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire
de s’en prévaloir ».
Art. 1123 al. 2 C. civ. : « Lorsqu’un contrat est conclu avec un tiers en violation
d’un pacte de préférence, le bénéficiaire peut obtenir la réparation du préjudice
subi. Lorsque le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire
de s’en prévaloir, ce dernier peut également agir en nullité ou demander au juge de
le substituer au tiers dans le contrat conclu ».

Attention

Une nuance existe entre la solution de la Chambre mixte du 26 mai 2006 et celle
retenue par le législateur à l’article 1123 al. 2. La conjonction de coordination
« et » (obtenir l’annulation et la substitution) a été remplacée par la conjonction
de coordination « ou ». Ce changement devrait notamment permettre au béné-
ficiaire d’obtenir l’annulation sans demander à être substitué afin de se ménager
la préférence pour plus tard.

Pour pouvoir obtenir la nullité et la substitution, le bénéficiaire du pacte doit


donc rapporter une double preuve : celle de la connaissance par le tiers acquéreur
de l’existence du pacte, et celle de la connaissance de sa volonté de s’en prévaloir.
Autrement dit, les juges sanctionnent ici la fraude aux droits du bénéficiaire. Cette
double preuve est particulièrement difficile à rapporter. L’ordonnance de réforme du
droit des contrats facilite néanmoins les choses pour le bénéficiaire en lui permettant
d’exercer une action interrogatoire.

Illustration

L’action interrogatoire de l’article 1123 al. 3 et 4 :


« Le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il
fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend
s’en prévaloir. L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire
du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou
la nullité du contrat ».

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À retenir

−− La promesse unilatérale de vente contient le consentement définitif du vendeur.


−− Depuis l’ordonnance de réforme du droit des contrats, la rétractation du
promettant dans le délai de l’option n’empêche pas l’exécution forcée, à moins
que le bien ait été vendu à un tiers acquéreur de bonne foi.
−− La promesse synallagmatique de vente constitue un véritable avant-contrat
dans l’hypothèse où les parties ont érigé un élément autre que la chose et
le prix au rang d’élément essentiel du contrat.
−− Le pacte de préférence ne contient que l’obligation pour le débiteur de proposer
la vente en priorité au bénéficiaire.
−− En cas d’inexécution du pacte de préférence, le bénéficiaire ne peut obtenir la
substitution dans les droits du tiers acquéreur que s’il démontre la connaissance
du pacte par ce dernier, et la connaissance de sa volonté de s’en prévaloir.

Pour en savoir plus


−− F. Collart-Dutilleul, Les contrats préparatoires à la vente d’immeuble, Sirey, 1988.
−− F. Chénedé et O. Herrnber, « Les avant-contrats », JCP N. 28 avril 2017, 1164,
−− L. Boyer, « Les promesses synallagmatiques de vente – Contribution à la théorie des
avant-contrats », RTD civ. 1949, p. 1.
−− D. Mainguy, « L’efficacité de la rétractation des promesses de contracter », RTD civ.
2004, p. 1.
−− D. Mazeaud, « Mystères et paradoxes de la période précontractuelle », in Études offertes
à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 637.
−− M. Mekki, « Réforme des contrats et des obligations : la promesse unilatérale de
contrat », JCP N. 7 octobre 2017, 1071.
−− P. Voirin, « Le pacte de préférence », JCP G, 1954, I. 1192.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Un avant-contrat intitulé « compromis de vente » est conclu et
contient la clause suivante : « la vente ne sera parfaite qu’à la suite
de la réitération des présentes par acte authentique ». Il s’agit :
a : d’une promesse synallagmatique valant vente ; b : d’une promesse
synallagmatique ne valant pas vente ; c : d’une promesse unilatérale
2. À l’occasion de ce même avant-contrat, le vendeur décide de ne pas
se présenter devant le notaire à la date fixée :
a : la promesse est caduque ; b : l’acheteur ne peut obtenir que des dommages
et intérêts ; c : l’acheteur peut obtenir l’exécution forcée en nature.

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3. Le bénéficiaire d’un pacte de préférence apprend que le bien visé
par l’avant-contrat a été vendu à un tiers, mais il n’a aucun moyen de
prouver que ce tiers avait eu connaissance de l’existence du pacte :

Fiche 8 • Les avant-contrats


a : il ne peut rien faire ; b : il peut obtenir des dommages et intérêts ; c :
il peut obtenir la substitution dans les droits de l’acquéreur.
4. Une promesse synallagmatique de vente a été passée par les parties
sous seing privé dans les locaux de l’agent immobilier chargé par le
vendeur d’organiser la vente :
a : la promesse est nulle ; b : la promesse est valable

CORRIGÉ
1 : a. Une promesse synallagmatique valant vente. La qualification de
promesse unilatérale peut être exclue, car il n’est pas question ici de prévoir
un droit d’option pour l’une des parties. Celle de promesse synallagmatique
ne valant pas vente ne peut pas non plus être retenue, car la volonté des
parties d’essentialiser un élément supplémentaire de formation n’apparaît
pas clairement. Les parties ont simplement repoussé les effets du contrat à
la réitération par acte authentique.
2 : c. L’acheteur peut obtenir l’exécution forcée en nature. Puisque le contrat
est définitivement conclu au moment de la promesse, le vendeur qui ne se
présenterait pas devant le notaire inexécuterait une obligation. Il n’est donc
pas question de considérer le contrat comme caduc ni de limiter la sanction
de cette inexécution à la seule allocation de dommages et intérêts.
3 : b. Il peut obtenir des dommages et intérêts. Puisque la connaissance
de l’existence du pacte et de la volonté du bénéficiaire de s’en prévaloir ne
saurait être présumée, c’est au bénéficiaire de rapporter la preuve de cette
fraude. S’il ne le peut, il a la possibilité, comme le prévoit l’article 1123 du
Code civil, d’engager la responsabilité contractuelle du « promettant » afin
d’obtenir « la réparation du préjudice subi ». Puisqu’il y a eu méconnaissance
du pacte par son débiteur (donc inexécution d’une obligation), il n’est pas
question que le bénéficiaire ne puisse rien faire.
4 : b. La promesse est valable. La vente étant un contrat consensuel, le seul
accord sur la chose et le prix suffit à former le contrat. Le fait de passer
devant le notaire n’est donc pas (sauf stipulation contraire des parties dans
la promesse) une condition de validité de la vente, cela n’aura pour effet
que de permettre la publication du contrat et donc de rendre le droit de
l’acquéreur opposable aux tiers.

67

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Fiche 9
La chose vendue

I. Une chose aliénable


II. Une chose déterminable

Définitions

Clause d’inaliénabilité. La clause d’inaliénabilité est une clause par laquelle


l’auteur d’une aliénation interdit à l’acquéreur de disposer du bien et empêche
toute saisie sur celui-ci.
Choses de genre. Les choses de genre ou choses fongibles sont celles qui ne
sont déterminées que par leur nombre, leur poids ou leur mesure et qui peuvent
être employées indifféremment les unes pour les autres dans un paiement (des
billets de banque, tant de quintaux de blé de telle qualité). Elles se définissent
par l’espèce à laquelle elles appartiennent.

L’article 1583 fait de la chose vendue l’un des éléments essentiels (avec le prix)
du contrat de vente. Or, pour pouvoir faire l’objet d’une vente, la chose vendue doit
présenter deux qualités : elle doit être aliénable (I) et déterminable (II).

I. Une chose aliénable

A. L’aliénabilité de la chose vendue

Tous les biens compris dans le commerce juridique peuvent faire l’objet d’une
vente. C’est ce qu’affirme l’article 1598 du Code civil qui dispose que « Tout ce qui
est dans le commerce juridique peut être vendu lorsque les lois particulières n’en
ont pas prohibé l’aliénation ». Un contrat portant sur une chose illicite est nul.
Le principe est donc l’aliénabilité, l’inaliénabilité constitue l’exception. En principe,
seule la loi peut rendre une chose inaliénable. La loi répute ainsi certaines choses
inaliénables en raison de leur dangerosité ou de leur illicéité (drogues, animaux
atteints de maladies contagieuses, marchandises contrefaites).

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De même, une vente ne saurait porter sur des éléments ou produits du corps humain.
En effet, l’article 16-5 du Code civil frappe de nullité les conventions ayant pour objet
d’accorder une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits.

Fiche 9 • La chose vendue


Attention

Dire que les éléments ou produits du corps humain ne peuvent pas faire l’objet
de vente ne signifie pas qu’ils ne peuvent faire l’objet de convention : ils peuvent
faire l’objet de contrats conclus à titre gratuit et ne sont donc pas techniquement
hors du commerce juridique.

La vente peut également porter sur des biens corporels ou incorporels. Ainsi,
une créance, un droit d’usufruit, un fonds de commerce, ou un droit d’auteur peuvent
faire l’objet d’un tel contrat. Toutefois, la terminologie change quelque peu : l’on
parle en effet plus aisément de cession lorsque ces biens font l’objet d’une vente.
Parfois, des textes particuliers viennent régir ces opérations. C’est notamment le
cas de la cession de créance (visée aux articles 1321 et suivants du Code civil), de
la cession de créances professionnelles (régies par les articles L313-23 et suivants
du Code monétaire et financier) ou de la cession de fonds de commerce (à laquelle
il faut appliquer les articles L141-1 et suivants du Code de commerce).
Si pendant longtemps la clientèle civile (par exemple la clientèle d’un avocat
ou d’un médecin) ne pouvait être l’objet d’une cession, la jurisprudence admet
aujourd’hui un tel contrat, à la condition que la liberté de choix du client soit
préservée. Le fonds libéral fait donc désormais partie des choses dans le commerce
juridique susceptibles d’aliénation.

Illustration

Cass. civ. 1re, 7 novembre 2000, Bull. civ. I, n° 283, pourvoi n° 98-17731 :
« […] si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou
de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à
la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ».

Par exception l’inaliénabilité d’un bien peut être d’origine conventionnelle.


Une clause d’inaliénabilité frappe alors le bien et en empêche la vente. Pour être
valable une telle clause doit être justifiée par un intérêt légitime et sérieux et être
limitée dans le temps.

B. La propriété du vendeur

La vente peut porter sur une chose future. La vente de chose future est caractérisée
lorsque la chose qui fait l’objet du contrat n’existe pas encore. L’inexistence actuelle

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de la chose peut être due au fait le vendeur n’en est pas encore le propriétaire, ou par
ce qu’elle n’est pas encore fabriquée. Toutefois dans le futur, cette chose existera.
L’on peut citer à titre d’exemple les ventes de récoltes sur pied, les ventes de
choses à fabriquer ou les ventes d’immeubles à construire.
La qualification du contrat est cependant susceptible de varier en fonction de
l’intensité de la probabilité de l’existence future de la chose. Si son existence dans
le futur est certaine, le contrat demeure commutatif. Dans ce cas, la vente est
parfaite, sous la réserve d’un terme suspensif qui retarde ses effets. Si, au contraire,
son existence n’est qu’éventuelle (comme c’est par exemple le cas de la vente de
récoltes sur pied), le contrat devient aléatoire.
L’article 1599 frappe de nullité la vente de la chose d’autrui. Au demeurant le
principe est simple : la vente emportant le transfert de la propriété, le vendeur doit
être propriétaire de la chose vendue. Cette interdiction est la conséquence de l’adage
suivant lequel nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en a lui-même (« Nemo
plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet »). Pour que la nullité puisse
être prononcée, deux conditions doivent être réunies.
Tout d’abord, la nullité est encourue si le vendeur n’est pas propriétaire de
la chose vendue. Cela peut notamment poser problème en cas de vente d’un bien
indivis. Il faut alors distinguer entre la vente du bien en lui-même (qui doit être
autorisée par tous les indivisaires sous peine d’inopposabilité) et la vente de part
indivise (dont le sort dépendra de l’issue du partage). De même, la vente par un
propriétaire apparent n’est pas susceptible d’annulation… du moins, si l’acheteur est
de bonne foi (il ne savait pas que le vendeur n’était pas propriétaire) que si l’erreur
est commune (tout le monde pensait le vendeur propriétaire).
Ensuite, le contrat doit emporter un transfert immédiat de la propriété.
Cela signifie que la nullité ne sera pas prononcée si le vendeur n’est pas encore
propriétaire de la chose, mais qu’il va le devenir. Dans ce cas, la vente est certes
annulable, mais peut être confirmée par l’acquisition ultérieure de la chose par le
vendeur. C’est ainsi qu’un vendeur ayant lui-même acquis le bien sous réserve de
propriété (il n’est donc pas encore propriétaire) peut vendre ce bien. La technique
de la vente conditionnelle (sous condition suspensive de l’acquisition par le vendeur,
cette condition ne devant pas être potestative) ou de la vente assortie d’un terme
suspensif (qui accorde donc un délai au vendeur pour devenir propriétaire) permet
donc de vendre la chose d’autrui sans risquer l’annulation.

Attention

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux envisage de changer


la conception de la vente de la chose d’autrui en créant une obligation pour le
vendeur d’acquérir la chose à l’article 19 :

70

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« La vente du bien d’autrui oblige le vendeur à l’acquérir avant le moment convenu
pour le transfert de propriété. En cas d’inexécution de cette obligation, la vente est
résolue de plein droit ».

Fiche 9 • La chose vendue


Suivant l’article 1599 du Code civil, la sanction de la vente de la chose d’autrui
est la nullité. Mais cette nullité n’est que relative. Dès lors, le propriétaire de la
chose ne peut agir en nullité puisqu’il est tiers au contrat, il ne peut donc qu’agir
en revendication contre l’acheteur (qui est possesseur de la chose). Seul l’acheteur
peut donc demander la nullité de la vente.

Illustration

Cass. civ. 3e, 8 décembre 1999, Bull. civ. III, n° 241, pourvoi n° 98-12922 :
Dans cet arrêt la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait
annulé la vente de la chose d’autrui à la demande du vendeur en affirmant que :
« […] en prononçant ainsi la nullité de la vente […] à la demande (du vendeur)
alors que seul l’acheteur […] avait qualité pour invoquer cette nullité, la cour d’appel
a violé (l’article 1599 du Code civil) ».

Attention

Suite à une vente de la chose d’autrui, lorsque le propriétaire agit en revendica-


tion contre le possesseur, ce dernier peut utilement invoquer la règle de l’article
2276 du Code civil qui dispose qu’« en fait de meubles, la possession vaut titre ».

II. Une chose déterminable

Selon l’article 1163 du Code civil, « L’obligation a pour objet une prestation présente
ou future. Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable ». L’exigence de
déterminabilité de la chose impose donc de distinguer entre les ventes portant sur
des corps certains ou sur des choses de genre.
Lorsque la chose vendue est un corps certain, sa seule description ou localisation
suffit à considérer qu’elle est déterminée.
Lorsque la chose vendue est une chose de genre, elle doit être au moins déter-
minée dans son espèce (du blé, un livre…), mais la quantité peut être simplement
déterminable au jour de la formation du contrat. La détermination de la chose
n’interviendra plus tard alors lorsqu’elle sera individualisée.
Dans la vente en bloc (telle, par exemple, la vente de stock), visée à l’article 1586,
la détermination de l’ensemble vendu est réalisée par l’indication de l’endroit où il
se trouve ou par l’établissement d’une liste des éléments compris dans cet ensemble.

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Dans la vente au poids, au compte ou à la mesure, visée à l’article 1585, l’indi-
vidualisation de la chose se réalise lorsqu’elle est pesée, comptée ou mesurée.

Attention

Lorsque la chose vendue est une chose de genre, la détermination ne porte pas
sur ses qualités. Autrement dit, bien que les qualités ne soient pas envisagées
par les parties, le contrat n’est pas susceptible d’annulation.

À retenir

−− Que la vente porte sur un bien corporel ou incorporel, celui-ci doit être dans
le commerce juridique.
−− La vente de chose future est possible, mais peut modifier la qualification du
contrat : celui-ci peut alors être commutatif ou aléatoire.
−− La vente de la chose d’autrui est nulle, de nullité relative, dès lors que le
vendeur n’était pas propriétaire de la chose et que le contrat prévoit un
transfert de propriété immédiat.
−− La chose vendue doit être déterminée ou déterminable.

Pour en savoir plus


−− G. Loiseau, « Typologie des choses hors commerce », RTD civ. 2000, p. 47.
−− J. Guiho, « Les actes de disposition sur la chose d’autrui », RTD civ. 1954, p. 1.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. La vente de la chose d’autrui n’est jamais valable.
a : vrai ; b : faux
2. Dans la vente de la chose d’autrui, le véritable propriétaire peut
obtenir la nullité.
a : vrai ; b : faux
3. La vente d’une chose dont le vendeur n’est pas encore propriétaire est
toujours nulle.
a : vrai ; b : faux

72

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4. La quantité de la chose n’a pas à être déterminée.
a : vrai ; b : faux
5. La vente d’un organe humain est illicite.

Fiche 9 • La chose vendue


a : vrai ; b : faux

CORRIGÉ
1 : b. : faux. La vente de la chose d’autrui est parfois valable. C’est notamment
le cas lorsque le propriétaire a donné un mandat de vendre au vendeur, ou
lorsque le vendeur a lui-même acquis le bien sous clause de réserve de propriété.
2 : b. : faux. La nullité de la vente de la chose d’autrui n’est que relative. Seules
les parties au contrat peuvent obtenir la nullité. Dès lors, le propriétaire
véritable n’étant qu’un tiers à ce contrat, il ne peut agir en nullité.
3 : b. faux. Différentes techniques permettent de vendre un bien dont on
n’est pas encore propriétaire. C’est notamment le cas de la vente d’un bien
acquis sous clause de réserve de propriété, de vente réalisée sous condition
suspensive que le vendeur devienne propriétaire, ou encore de la vente de
chose future.
4 : a. vrai. Seule l’espèce de la chose doit être déterminée. La quantité, pour
sa part, peut n’être que déterminable.
5 : a. : vrai. Un organe étant un produit du corps humain, une telle vente
serait nulle en application de l’article 16-5 du Code civil.

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Fiche 10
Le prix de vente

I. La détermination du prix
II. La réalité et le sérieux du prix
III. La justesse du prix

Définitions

Prix. Le prix est la contrepartie du transfert de propriété de la chose vendue.


Contrat-cadre. « Le contrat-cadre est un accord par lequel les parties conviennent
des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures. Des contrats
d’application en précisent les modalités d’exécution » (art. 1111 C. civ.).
Lésion. La lésion désigne le préjudice né du déséquilibre entre la valeur des
prestations que reçoit l’une des parties et la valeur de celles qu’elle doit fournir
à l’autre partie.

Le prix est, avec la chose, l’un des éléments essentiels du contrat de vente. C’est
la contrepartie financière, donc exprimée en argent, qui constitue l’objet de l’obli-
gation pécuniaire de l’acheteur. À défaut de prix, le contrat pourrait être annulé,
ou requalifié. Aussi, pour que la vente soit valablement formée, le prix doit-il être
déterminé ou déterminable (I), réel et sérieux (II) et enfin, juste (III).

I. La détermination du prix

Suivant les articles 1591 et 1592 du Code civil, le prix doit être déterminé ou
déterminable. Comme pour la chose, les parties doivent donc être d’accord sur le
prix. Un désaccord sur son montant paralyserait la formation de la vente. Dès lors,
si la vente ne comprend pas de prix déterminé ou déterminable, elle serait menacée
d’annulation.
Le prix doit, en principe, être déterminé par les parties. C’est ce qui résulte de
l’article 1591 qui dispose que « le prix de vente doit être déterminé et désigné par
les parties ». Il peut donc être le fruit de la négociation des contractants.

74

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Attention

Le prix est parfois déterminé unilatéralement par l’une des parties (souvent le
vendeur). L’accord de l’autre partie forme alors la vente et, bien que l’une d’elles

Fiche 10 • Le prix de vente


ait imposé le montant à l’autre, le prix est alors conventionnellement fixé.

Le prix peut également n’être que déterminable lors de la conclusion du contrat.


Il est, en effet, fréquent qu’au moment de la conclusion du contrat le prix ne puisse
être déterminé (par exemple parce que la quantité vendue n’est pas encore connue
ou parce qu’il est amené à évoluer en fonction de l’évolution des coûts). Les parties
doivent alors préciser dans le contrat les différents éléments qui permettront sa
fixation ultérieure, indépendamment de tout arbitraire de l’une d’elles.

Illustration

Quelques exemples de techniques permettant la fixation ultérieure du prix :


−− La « clause de prix à dire de tiers » permet de laisser à un tiers (indépendant
des parties et agissant à titre de mandataire) le soin de déterminer le prix.
−− La « clause d’indexation » ou « clause d’échelle mobile » permet de
faire varier le prix en fonction d’un indice de référence. L’indexation est
réglementée, le recours à certains indices jugés trop généraux (comme
le montant du SMIC) est interdit. L’indice choisi doit présenter un lien
direct avec l’activité d’une des parties.
−− La « clause de redevance » ou « clause de prix proportionnel » permet de
déterminer le prix par référence au chiffre d’affaires réalisé par l’acheteur
grâce à l’exploitation de la chose vendue.
−− La « clause de prix de marché » permet de déterminer le prix en fonction
du cours du marché. Pour être valable le marché visé doit exister, être
sérieux, précis et objectif (la seule référence faite au « prix national »
ou à la « tendance du marché » ne serait donc pas suffisamment précise).

Attention

La « clause de prix catalogue » permet au vendeur d’imposer un prix à l’acheteur


par référence aux prix pratiqués lors la livraison ; elle autorise le vendeur à
fixer unilatéralement le prix de vente. Dès lors, et bien que cela soit discuté en
doctrine, elle paraît contraire à l’exigence de l’article 1591 et doit être considérée
comme nulle.

En matière de détermination du prix, il convient de prendre garde à ne pas


confondre le contrat de vente lui-même et un éventuel contrat-cadre.
Les contrats-cadre sont issus de la pratique et se retrouvent notamment dans
les contrats de distribution comme les contrats de franchise, concession ou de

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distribution exclusive. Ils ont pour objet de poser les jalons des futures relations
contractuelles des parties qui interviendront au gré des contrats d’application et
permettent donc d’organiser les contrats ultérieurs.
Sous réserve des dispositions du droit de la concurrence, leur contenu est déter-
miné par les parties.

Illustration

Un contrat-cadre peut, par exemple avoir pour objet d’obliger l’une des parties
à se fournir uniquement chez l’autre partie pendant toute la durée de la relation
contractuelle. Les contrats d’application (les ventes successives) ne pourront donc
être passés qu’avec ce cocontractant. Est donc organisée conventionnellement
une obligation pour l’une des parties de conclure les contrats futurs avec l’autre.

Attention

La conclusion des contrats d’application ne fait pas disparaître le contrat-cadre.


Il n’a pour objet de devenir le contrat définitif, mais ne fait qu’en faciliter la
conclusion.

Le contrat-cadre n’est donc pas la vente, il n’est, en quelque sorte, qu’un contrat
préparatoire (la vente n’est alors qu’un contrat d’application). Partant, après une
longue évolution, la jurisprudence, et depuis l’ordonnance de réforme du droit des
contrats du 10 février 2016, l’article 1164, affirment qu’un tel contrat-cadre n’est pas
soumis à l’exigence de détermination du prix fixée à l’article 1591. L’indétermination
du prix dans un contrat-cadre n’est donc pas une cause de nullité de cette conven-
tion. La jurisprudence et l’article 1164 al. 2 ménagent toutefois une hypothèse :
celle dans laquelle le fournisseur commettrait un abus dans la fixation ultérieure du
prix. Dans ce cas, la sanction ne serait pas la nullité, mais la résiliation du contrat
ou l’indemnisation du contractant subissant le prix abusif. La sanction ne touche
donc pas la formation du contrat, mais son exécution : en fixant un prix abusif, le
fournisseur commet donc une inexécution.

Illustrations

Cass. A. P. 1er décembre 1995, pourvoi n° 91-15578 :


« […] lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indé-
termination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf
dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du
prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation »

76

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Art. 1164 C. civ. : « Dans les contrats-cadre, il peut être convenu que le prix sera
fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant
en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être

Fiche 10 • Le prix de vente


saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant
la résolution du contrat ».

Attention

On peut noter une différence entre la formulation des arrêts d’Assemblée plénière
de 1995 et celle de l’article 1164 al. 1er du Code civil. La jurisprudence prévoyait
que le prix pouvait être indéterminé, alors que le nouveau texte dispose qu’il
peut être convenu que le prix soit déterminé unilatéralement… ce qui n’est pas
la même chose !

Attention

Il ne faut pas confondre la possibilité de fixer unilatéralement le prix dans un


contrat-cadre, qui est autorisée sous réserve de l’abus du fournisseur, et la clause
de prix catalogue, qui pour sa part doit être annulée.

II. La réalité et le sérieux du prix

Pour que la vente soit valablement formée, le prix doit être réel et sérieux. Cela
se comprend aisément : si le prix ne revêtait pas de telles qualités, l’on pourrait
considérer que l’obligation du vendeur serait dépourvue de cause. La vente serait
alors susceptible d’être annulée.

A. Le prix réel

Lorsque le prix n’est pas réel, il est fictif (ou simulé) : c’est le prix dont les parties
sont convenues qu’il ne serait jamais payé. Plus précisément, les parties concluent
un contrat en stipulant un prix, mais au moyen d’une contre-lettre, le vendeur en
dispense l’acheteur.
Une telle convention n’est pas nécessairement annulée, elle peut, en effet, être
requalifiée en donation déguisée, à la condition toutefois de démontrer l’intention
libérale du donateur. La nullité ne doit être prononcée que lorsque le déguisement
contrevient à l’une des conditions de fond de la donation.
Le prix peut également être dissimulé : la contre-lettre prévoit alors un prix
supérieur à celui initialement stipulé dans le contrat. Ici encore, la simulation
n’emporte pas de plein droit la nullité de l’acte.

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Toutefois, l’article 1202 du Code civil annule les contre-lettres majorant secrè-
tement le prix en matière de vente d’immeubles, d’offices ministériels ou de fonds
de commerce. L’objectif d’une telle disposition est très nettement de lutter contre
la fraude fiscale.

Attention

Lorsque le prix est dissimulé par le biais d’une contre-lettre en matière immobilière,
seule la contre-lettre est annulée. Le contrat de vente (l’acte ostensible) n’est
pas touché par la nullité. Le vendeur ne pourra donc obtenir que le paiement du
prix initialement convenu.

B. Le prix sérieux

Affirmer que le prix doit être sérieux, signifie qu’il ne doit pas être dérisoire ou
vil. On considère qu’un prix est dérisoire lorsqu’il n’existe pas ou lorsqu’il est ridi-
culement bas eu égard à la valeur de la chose. Dans ce cas, le montant du prix est
si faible qu’il équivaut à une véritable absence de prix. La vente est alors annulable,
la nullité n’étant ici que relative.
L’utilité du recours au caractère sérieux du prix apparaît pour l’essentiel lorsque
la vente n’est pas rescindable pour cause de lésion (notamment les ventes aléatoires
ou les ventes mobilières). Toutes les ventes consenties pour un prix faible ne sont
néanmoins pas annulables. Le prix peut être faible sans pour autant remettre en cause
la validité de la vente : un prix symbolique n’est donc pas nécessairement dérisoire.

Illustration

Dans plusieurs cas, une vente à un euro peut être valable :


−− Elle peut constituer une donation déguisée (il faut pour cela démontrer
l’intention libérale).
−− Elle peut être valable si au moment de la vente, la chose vendue n’avait
guère de valeur (ainsi d’une entreprise en difficulté peut être cédée à un
repreneur qui peut s’engager à prendre à sa charge les dettes de l’entreprise).
−− Elle peut être valable si le prix d’un euro n’est pas la seule contrepartie.
La contrepartie complémentaire doit toutefois être elle-même réelle et
sérieuse.

III. La justesse du prix

Affirmer que le prix doit être juste signifie qu’il doit être le plus proche possible
de la valeur de la chose vendue. Néanmoins, la liberté contractuelle permet en

78

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principe aux parties de déterminer le prix qu’elles considèrent comme étant juste.
Ce serait toucher à la sécurité des conventions que de permettre à une partie de
remettre en cause un contrat dont elle estimerait, a posteriori, que le prix n’est

Fiche 10 • Le prix de vente


pas satisfaisant. De tels principes peuvent néanmoins être remis en cause lorsque
le déséquilibre entre la valeur de la chose et son prix est tel qu’il constitue un vice
objectif dans la formation du contrat. Ce vice est appelé lésion.
La sanction de la lésion est particulière. Il n’est pas question ici d’annuler le
contrat. Seul son équilibre étant touché, la loi permet une action en réduction du
prix et en dommages et intérêts.
La lésion n’est cependant susceptible de remettre en cause le contrat que dans
des cas bien déterminés : la rescision pour lésion n’est en effet admise qu’en matière
immobilière et de façon très restrictive en matière mobilière.

A. La lésion dans la vente immobilière

Selon l’article 1674 du Code civil, « Si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes
dans le prix d’un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente […] ».
Aussi, la vente immobilière est-elle le seul contrat susceptible de fonder l’application
de l’article en question. Partant, une donation déguisée, un échange, un crédit-bail
immobilier ou une vente mobilière, ne sauraient ouvrir le bénéfice de la rescision pour
lésion. Attention toutefois, toutes les ventes immobilières ne sont pas susceptibles
d’être rescindées : les ventes aléatoires (par exemple les ventes dont le prix prend la
forme d’une rente viagère) ne sont pas concernées. On enseigne en effet que l’aléa
chasse la lésion. Il en est de même pour les ventes faites par autorité de justice.

Attention

La loi réserve au seul vendeur le droit de demander la rescision de la vente


immobilière.

L’action en rescision pour lésion, qui est enfermée dans un court délai de deux ans
à compter du jour de la vente, n’est donc admise que lorsque cette lésion est énorme :
lorsqu’elle est supérieure aux 7/12e de la valeur de l’immeuble. Le déséquilibre doit
s’apprécier au moment de la formation du contrat. Si la vente a été précédée d’une
promesse unilatérale, conformément à l’article 1675, c’est au moment de la levée
d’option qu’il est apprécié.

Attention

Si la vente immobilière est conditionnelle, la lésion s’apprécie bien au jour de la


conclusion du contrat. Toutefois, le délai de prescription de l’action ne commence
à courir qu’au jour de la réalisation de la condition.

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Si le vendeur parvient à démontrer l’existence de la lésion, l’article 1681 ouvre
une option à l’acquéreur. Celui-ci peut alors « rendre la chose en retirant le prix qu’il
en a payé, ou garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous réduction
du dixième du prix total ».
Si l’acquéreur décide de restituer l’immeuble, la vente est alors rescindée pour
cause de lésion. La rescision s’apparente alors à une annulation et emporte la
disparition rétroactive du contrat ; l’immeuble et le prix doivent donc être restitués.
Si l’acquéreur décide de conserver l’immeuble, il doit payer « le supplément
du juste prix sous la déduction du dixième du prix total » (article 1681 C. civ.) et
« l’intérêt du supplément du jour de la demande en rescision » (article 1682 C civ.).
Le supplément du juste prix est égal à la différence entre le prix stipulé au contrat
et le prix réel, déduction faite du dixième du prix total (ce qui constitue une faveur
pour l’acheteur qui conserve, malgré l’augmentation du prix, un avantage).

B. La lésion dans la vente mobilière

La lésion en matière mobilière n’est admise que de façon particulièrement restric-


tive. Elle n’est, en effet, susceptible d’être invoquée que dans deux cas.
Tout d’abord dans le cadre du contrat de cession de droits d’auteur (art. L131-5
CPI), lorsque l’auteur subit un préjudice de plus des sept douzièmes. L’action permet
alors de réviser le prix du contrat.
Ensuite, en matière agricole, dans le cadre de l’achat des engrais, des semences
et plants destinés à l’agriculture, ou des substances destinées à l’alimentation des
animaux de la ferme, lorsque l’acheteur subit une lésion de plus du quart (disposi-
tion issue d’une loi du 8 juillet 1907). Ce dernier peut alors intenter une action en
réduction, voire obtenir des dommages et intérêts.

À retenir

−− Le prix doit être déterminé ou déterminable, à défaut, le contrat de vente


est annulable faute de contenu certain.
−− Un contrat-cadre ne déterminant pas le prix des contrats d’application n’est
pas susceptible d’annulation.
−− Le prix doit être réel, il ne doit donc pas être fictif ou simulé.
−− Le prix doit être sérieux, mais toute vente dont le prix ne serait que symbo-
lique n’est pas nécessairement menacée d’annulation.
−− Seule la lésion de plus des sept douzièmes en matière immobilière ouvre la
possibilité a vendeur d’une remise en cause du contrat.

Pour en savoir plus


−− J.-M. Bermond de Vaulx, « La détermination du prix dans la vente », JCP G. 1973, I. 2567.

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−− N. Molfessis, « Les exigences relatives au prix en droit des contrats », LPA, 5 mai
2000, p. 41.
−− C. Freyria, « Le prix de vente symbolique », D. 1997, chron. 51.

Fiche 10 • Le prix de vente


−− B. Garrigues, « La contre-prestation du franc symbolique », RTD civ. 1991, p. 459.
−− H. Méau-Lautour, « Aléa, lésion et vileté du prix », JCP N. 1990, I. 301.
−− S. Pimont, « À quel moment apprécier la lésion des sept douzièmes dans une vente
sous condition suspensive ? », RDC 2011, p. 885.

POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Une promesse unilatérale de vente est conclue pour un immeuble situé
sur un terrain non constructible pour la somme de 900 000 euros. Le
bénéficiaire de la promesse s’était vu octroyer un délai de 6 mois pour
opter. 4 mois plus tard, le bénéficiaire lève l’option, alors que le terrain
vient de passer constructible. Sa valeur réelle est aujourd’hui estimée à
2 400 000 euros. La vente est toutefois conclue pour la somme initialement
convenue. Le vendeur vient vous consulter et vous demande s’il peut
obtenir un supplément du prix, l’acheteur, quant à lui, vous indique
que, quoi qu’il en soit, il ne renoncera pas à la vente (il ne vous est pas
demandé de calculer les éventuels intérêts qui pourraient être appliqués
au supplément de prix).

CORRIGÉ
Tout d’abord, pour apprécier s’il y a lésion ou non, il convient de se référer à
la valeur du bien au jour de la conclusion du contrat. C’est donc à la valeur
du terrain au jour de la levée d’option (2 400 000 euros) qu’il faut avoir égard.
Il faut ensuite calculer si le déséquilibre est tel que la lésion des 7/12 est
qualifiée.
Les 7/12 de 2 400 000 sont constitués par (2 400 000/12) x 7 = 1 400 000.
L’immeuble ayant été vendu 900 000 il y a bien lésion de plus des 7/12.
La valeur de rachat doit alors être calculée.
Il faut déterminer le supplément de prix :
2 400 000 (le prix réel) – 900 000 (le prix payé) = 1 500 000
Puis déduire de ce supplément le dixième du prix réel :
1 500 000 – (2 400 000/10) = 1 260 000.
Puisque l’acheteur n’entend pas restituer le bien (par là, il exerce son option),
il devra payer au vendeur la somme supplémentaire de 1 260 000 euros (au
total, l’immeuble aura coûté 900 000 + 1 260 000 = 2 160 000 euros à l’acheteur).

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Fiche 11
Le transfert de propriété
et des risques

I. Le transfert de propriété
II. Le transfert des risques

Définitions

Clause de réserve de propriété. Régie par les articles 2367 et suivants du Code
civil, la clause de réserve de propriété peut se définir comme une clause par laquelle
le vendeur conserve la propriété d’un bien jusqu’à complet paiement du prix.
Opposabilité. L’opposabilité est le rayonnement d’un acte ou d’un droit à l’égard
des tiers, qui n’y ont donc pas été parties.
Risques de la chose. Lorsque les risques portent sur la disparition ou l’altération
de la chose, ils sont définis comme tous les accidents fortuits, qui atteignent
intrinsèquement la chose dans son existence matérielle, et par suite desquels
elle s’est détériorée ou a péri.

Opération purement intellectuelle, réalisée en un trait de temps, le transfert de


propriété s’effectue, en droit positif, dès l’accord sur la chose et le prix. Pour autant
l’évolution pour parvenir à un tel degré d’abstraction fut longue. En effet, en droit
romain, pour être réalisé, le transfert de propriété supposait l’accomplissement d’une
formalité particulière : la tradition réelle ou remise de la chose, la mancipatio (sorte
de comédie judiciaire effectuée en présence de témoins) ou l’in jure cessio (proche
de la mancipatio mais réalisée en présence d’un magistrat). L’idée suivant laquelle le
transfert du droit de propriété puisse s’opérer de façon dématérialisée, est semble-
t-il, l’œuvre des juristes jusnaturalistes et de la pratique des notaires dans l’Ancien
droit ayant entendu rendre la transmission des biens plus souple (notamment par la
stipulation dans les actes de vente de clauses dites de « dessaisine-saisine »). L’œuvre
des codificateurs en la matière, ayant promulgué le principe du transfert de propriété
solo consensu, n’apparaît donc pas comme une rupture, mais bien comme le fruit d’une
longue évolution (I). Le corolaire du transfert de propriété est le transfert des risques
de la chose. La règle classique de l’imputation des risques veut que le débiteur de
l’obligation supporte le cas fortuit, res perit debitori. Il est toutefois fait exception à

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cette règle en matière de vente, si la chose est perdue ou détériorée après le contrat,
c’est sur le propriétaire que la charge du risque est imputée, res perit domino (II).

Fiche 11 • Le transfert de propriété et des risques


I. Le transfert de propriété

Le principe posé par le Code civil aux articles 1196 et 1583 est que la propriété
est transférée à l’acheteur dès la conclusion du contrat (A). Ce régime n’étant que
supplétif de volonté, il peut faire l’objet d’aménagements conventionnels par les
parties (B). Toutefois, si le transfert est parfait entre les parties par le seul accord
sur la chose et le prix, il ne faut pas oublier qu’il n’est, en vertu de la règle de l’effet
relatif des contrats, pas opposable en lui-même aux tiers (C).

A. Le régime légal du transfert de propriété

Le principe posé par l’article 1583 du Code civil est que la propriété est transférée
à l’acheteur dès l’accord sur la chose et le prix : c’est le mécanisme du transfert de
propriété solo consensu (par le seul effet des consentements). Ce principe signifie
que la propriété peut être transférée à l’acheteur alors même que le vendeur ne lui a
pas encore matériellement transmis la chose et qu’il n’a pas encore payé le prix. Dès
l’échange des consentements, le transfert de propriété est automatique et immédiat.
Suivant la présentation retenue par le Code civil en 1804, le transfert de propriété
devait être considéré comme une obligation : celle de donner (dare). Toutefois, une
telle analyse pouvait être remise en cause, le transfert devant plutôt être considéré
comme un effet légal du contrat. En effet, l’exécution de cette obligation était
purement théorique : techniquement, l’accord des parties opérant le transfert, celles-
ci n’avaient donc rien à faire pour le réaliser. En outre, l’automaticité du transfert
s’accordait mal avec le concept d’obligation. Il est difficile de considérer que le
vendeur s’obligeait à transférer la propriété alors même que le transfert se réalisait
indépendamment de tout acte de volonté de sa part. S’opérant automatiquement
et immédiatement, le transfert n’était donc pas susceptible d’inexécution, l’analyse
en termes d’obligation de donner n’apparaissait donc pas efficiente. Ces critiques
ont été entendues par le législateur à l’occasion de l’ordonnance de réforme du
droit des contrats du 10 février 2016. Le nouvel article 1196 introduisant une sous-
section au contenu explicite – l’effet translatif – dispose désormais que : « Dans les
contrats ayant pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit,
le transfert s’opère lors de la conclusion du contrat ».

Attention

Affirmer que le transfert de propriété n’est pas une obligation, mais un effet légal
du contrat ne signifie pas que le vendeur n’est tenu d’aucune obligation. S’il n’est

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pas débiteur d’une obligation de donner, il bien débiteur d’une obligation relative
au transfert de la chose (et non du droit sur la chose) : l’obligation de délivrance.

Dès l’accord sur la chose et le prix, le vendeur n’est plus propriétaire de la chose
(il n’en est plus que détenteur précaire) et le bien sort donc de son patrimoine.
Corrélativement, la propriété passe à l’acheteur et intègre son patrimoine ; le bien
peut alors être saisi par les créanciers de ce dernier.
Le principe du transfert solo consensu ne vaut toutefois que pour les corps
certains. Lorsque la vente porte sur une chose de genre, ou une chose future, le
transfert peut être reporté.
Si la vente a pour objet une chose de genre (c’est-à-dire une chose interchan-
geable au sein d’une catégorie), le transfert instantané n’est pas possible. Ces choses
sont en quelque sorte des abstractions et l’absence d’individualisation paralyse le
transfert de la propriété du vendeur à l’acheteur.
L’individualisation permet à la chose vendue de devenir un corps certain. Elle a donc
pour objet d’isoler la chose vendue et de donner au droit de propriété une assiette.
Elle peut se réaliser par différentes techniques et notamment par le comptage, le
mesurage ou le pesage de la chose (art. 1585 C. civ.). À défaut de la réalisation d’un
de ces procédés, l’individualisation est réalisée au plus tard lors de la délivrance.

Illustration

Si la vente porte sur une tonne de blé située dans un silo en comprenant cinq
tonnes, au moment de l’accord sur la chose et le prix, il est impossible de savoir
précisément quels grains reviennent à l’acheteur. Ce n’est qu’au moment où ils
seront extraits du silo (individualisés) que le transfert de propriété se produira.

Si la vente a pour objet une chose future le transfert de propriété ne peut pas
non plus se réaliser solo consensu puisque, par définition la chose (objet du contrat)
n’existe pas encore. Le transfert est donc reporté au moment où la chose sera achevée
si la chose future est un corps certain, ou au moment de son individualisation si la
chose en question est une chose de genre.

B. Les aménagements conventionnels du transfert de propriété

La règle du transfert de propriété solo consensu posé par le Code civil n’est que
supplétive de volonté. Partant, il n’a vocation à s’appliquer que si les parties n’en
sont pas convenues autrement. Acheteur et vendeur ont donc la liberté de reporter
ou d’avancer le transfert de propriété. Les contractants peuvent ainsi subordonner
la réalisation du transfert à une condition suspensive ou à un terme suspensif. Il
est donc possible de reporter le transfert à l’obtention d’un prêt, à la remise de la
chose, ou à la signature du contrat par acte authentique.

84

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Lorsque la vente est en libre-service (comme c’est par exemple le cas dans les
supermarchés), l’application de l’article 1583 devrait entraîner le transfert de propriété
dès que l’acheteur se saisit de la marchandise. En la prélevant du rayonnage, celui-ci

Fiche 11 • Le transfert de propriété et des risques


manifeste en effet son accord sur la chose et sur le prix. Toutefois, afin de permettre
la qualification de vol si le client ne paie pas la chose (le vol étant la soustraction
frauduleuse de la chose d’autrui, si le client était devenu propriétaire de la chose
après s’en être saisi, il n’aurait pas soustrait la chose du vendeur) et de mettre le
risque de détérioration à la charge du vendeur, la Cour de cassation considère que
dans de telles ventes une condition suspensive est sous-entendue. Le transfert de
propriété est alors reporté au moment du paiement du prix (le passage en caisse).
De même, les parties peuvent stipuler dans leur contrat une clause de réserve de
propriété. S’il n’est pas payé, le vendeur pourra revendiquer la chose en qualité de
propriétaire, ce qui lui permettra notamment d’éviter le concours avec les créanciers
de l’acheteur. Ainsi, cette clause fait échec au principe posé par l’article 1583 du
Code civil. Cette clause nécessite un écrit, au plus tard au moment de la livraison
de la chose. En revanche, elle n’a pas besoin d’être publiée pour être efficace.
Lorsqu’elle est stipulée, le réservataire peut revendiquer la chose qui se trouve
entre les mains du débiteur si ce dernier ne paie pas. Néanmoins, si la chose ne se
retrouve pas en nature au moment de l’action en revendication, le créancier perd
sa sûreté.
Il est toutefois permis au créancier de se payer sur l’indemnité d’assurance si le
bien a été détruit, de se payer sur des biens fongibles de même espèce et de même
qualité que le sien si celui-ci était un bien fongible, ou de récupérer son bien lorsque
cette récupération peut s’effectuer sans dommage pour les biens dans lesquels il
aurait été incorporé.
Les parties peuvent également précariser le transfert de propriété en stipulant
une faculté de rachat (la vente avec faculté de rachat était auparavant appelée
vente à réméré). Il s’agit d’une stipulation par laquelle le vendeur se réserve le droit
de reprendre le bien vendu moyennant la restitution du prix, mais aussi les frais
et coûts de la vente, ainsi que les réparations nécessaires et celles qui ont apporté
de la plus-value au bien. La faculté de rachat doit selon l’article 1660 du Code civil
être stipulée pour un pour un terme n’excédant pas cinq ans.

Illustration

Un exemple d’utilité de la faculté de rachat.


La vente avec faculté de rachat peut servir de garantie à un « prêteur – ache-
teur » : les fonds sont alors versés au « vendeur – emprunteur » sous la forme d’un
prix de vente, qu’il n’est pas tenu de restituer (le rachat n’est qu’une faculté, pas
une obligation). L’avantage de l’opération est de constituer une garantie efficace
pour le fournisseur de fonds (la propriété), qui ne risque alors pas d’être primé
par des créanciers hypothécaires.

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Attention

Pour être valable, la stipulation d’une vente avec faculté de rachat ne doit pas
être suspecte de dissimuler un pacte commissoire interdit.

Enfin, lorsque le bien est acheté par plusieurs personnes, celles-ci peuvent décider
de stipuler dans l’acte de vente une clause de tontine ou clause d’accroissement,
chacune d’elles acquérant sous condition suspensive de sa survie et sous condition
résolutoire de sa survie. Le dernier survivant des acquéreurs est alors rétroactivement
considéré comme ayant été le seul et unique propriétaire du bien acquis.

Attention

La stipulation d’une clause d’accroissement reposant sur le mécanisme de la


rétroactivité, cet effet particulier doit désormais être stipulé puisque l’effet
rétroactif de la réalisation de la condition suspensive a été supprimé par l’ordon-
nance de réforme du droit des contrats du 10 février 2016 (art. 1304-6 C. civ.).

C. L’opposabilité du transfert de propriété

Pour que le transfert de propriété soit efficace, celui-ci doit être opposable
aux tiers.
Lorsque le bien vendu est un immeuble, l’opposabilité est assurée par l’application
des règles de la publicité foncière. Entre les parties, la vente transfère le droit de
propriété, mais à l’égard des tiers, l’acheteur ne peut se prétendre propriétaire qu’à
compter du jour où l’acte de vente est publié à la conservation des hypothèques. Dès
lors, si un bien est vendu deux fois par le même vendeur, le premier des acheteurs
qui aura publié l’acte de vente sera considéré, à l’égard des tiers comme le véritable
propriétaire.
Cette règle est toutefois tempérée par l’article 1998 al. 2 du Code civil par référence
à la bonne ou à la mauvaise foi de celui qui publie en premier. Si le second acquéreur
publie en premier, alors même qu’il connaissait l’existence de la précédente vente,
il ne pourra se prévaloir du bénéfice des règles de la publicité foncière.

Illustrations

Art. 30 du Décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière :


« Les actes […] soumis à publicité […] sont, s’ils n’ont pas été publiés, inop-
posables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis, du même auteur, des
droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de
publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou des hypothèques. Ils sont
également inopposables, s’ils ont été publiés, lorsque les actes, décisions, privilèges
ou hypothèques, invoqués par ces tiers, ont été antérieurement publiés ».

86

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Art. 1196 al. 2 C. civ. : « Lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant
sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le
premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier

Fiche 11 • Le transfert de propriété et des risques


immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de
bonne foi ».

Lorsque le bien vendu est un meuble corporel, la publicité foncière n’a pas
vocation à s’appliquer. La publicité est alors assurée par la possession. Il convient
alors d’appliquer l’article 1198 al. 1er du Code civil, qui prévoit que lorsqu’un bien a
été vendu deux fois par le même vendeur, il convient de préférer celui qui est entré
en possession (et non celui qui a conclu le contrat en premier), à la condition qu’il
soit de bonne foi (qu’il ait donc ignoré qu’il acquérait a non domino : le vendeur ayant
déjà vendu le bien, il n’en était plus le propriétaire). Il s’agit ici d’une application
de la règle de l’alinéa premier de l’article 2276 du Code civil, qui dispose qu’« en fait
de meubles, la possession vaut titre ».

Illustrations

Si X vend un bien meuble corporel à Y, puis à Z et que Z se voit remettre le


bien, c’est ce dernier qui sera considéré comme étant propriétaire… du moins
s’il ignorait que X avait d’ores et déjà vendu le bien à Y.
Art. 1198 al. 1er C. civ. : « Lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble
corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce
meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il
soit de bonne foi ».

Attention

Dire qu’un second acquéreur dans le temps sera préféré à un premier acquéreur, car
il publié son titre ou pris en possession en premier, ne signifie pas que l’acquéreur
lésé ne disposera d’aucun recours contre le vendeur. Il pourra notamment agir
sur le fondement de la garantie d’éviction.

Lorsque le bien vendu est un meuble incorporel, les règles d’opposabilité varient.
Les cessions de droits de propriété intellectuelle (marques, brevets…) doivent être
publiées sur un registre tenu par l’Institut National de la Propriété Industrielle
(INPI). Les cessions de parts sociales sont, enfin, considérées comme opposables
lorsqu’elles ont été notifiées à la société et publiées au Registre du Commerce et
des Sociétés (RCS).

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II. Le transfert des risques

Application de l’adage « à l’impossible nul n’est tenu », la théorie des risques


dans le contrat naît de l’impossibilité pour une partie d’exécuter son obligation.

A. Principe et exceptions

La question du transfert des risques a pour objet de déterminer qui du vendeur


ou de l’acheteur supporte la charge de la perte ou de la détérioration de la chose
par cas fortuit ou événement de force majeure après la conclusion du contrat.

Attention

Les règles du transfert des risques ne s’appliquent pas lorsque la perte ou la


détérioration de la chose vendue est due à la faute (par exemple une négligence
dans la conservation) du vendeur.

La réponse de principe, applicable à défaut de clause contraire stipulée par les


parties, est apportée par l’article 1196 al. 3 du Code civil : « le transfert de propriété
emporte transferts des risques de la chose ». Le propriétaire de la chose (l’acheteur
lorsque le transfert s’est réalisé solo consensu) assume la charge des risques. L’idée
est traduite par l’adage res perit domino.
Puisque par principe le transfert de propriété s’opère solo consensu, l’on doit
déduire de la règle res perit domino que dès la conclusion du contrat l’acheteur,
devenu propriétaire, est également chargé des risques de la chose. Il supporte
donc la perte de la chose, alors même que celle-ci ne lui aurait pas encore été remise
et qu’il n’en aurait pas encore payé le prix.
Dès lors, si la chose, encore dans les mains du vendeur, est détruite par le cas
fortuit ou par un événement de force majeure, l’acheteur devra malgré tout en payer
le prix, bien que le vendeur soit déchargé de son obligation de délivrance.
Si le contrat de vente est conclu à distance et implique un transport de la chose,
la solution est identique, l’acheteur assume la charge des risques. L’article L. 132-7
du Code de commerce dispose en effet que « la marchandise sortie du magasin du
vendeur ou de l’expéditeur voyage, s’il n’y a convention contraire, aux risques et
périls de celui à qui elle appartient, sauf son recours contre le commissionnaire et
le voiturier chargés du transport ».
Si l’effet translatif n’a pas joué, par exemple parce que la vente a été conclue
sous réserve de propriété, que le bien n’a pas encore été individualisé, ou que la
vente est conclue sous condition suspensive (avant la réalisation de la condition),
l’acheteur n’étant pas encore propriétaire, il n’est pas non plus chargé des risques
de la chose. C’est alors le vendeur qui les assume.

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Illustration

Dans une vente conclue sous réserve de propriété, bien que l’acheteur soit
entré en possession de la chose, il n’en n’est pas encore propriétaire. Si la chose

Fiche 11 • Le transfert de propriété et des risques


périt par cas fortuit, c’est le vendeur qui a la charge des risques (sauf clause
contraire dans le contrat). Dans ce cas, l’acheteur sera dispensé de l’exécution
de son obligation de payer.

Par exception, le transfert de propriété et des risques sont parfois dissociés.


L’application de la règle res perit domino laisse alors la place à la règle du droit
commun : res perit debitori (la chose est aux risques du débiteur… de l’obligation
de délivrance).
Ainsi, si la vente est conclue sous condition suspensive, l’article 1304-6 al. 2
du Code civil fait peser les risques de la chose pendente conditione sur le vendeur.
De même, l’article 1196 alinéa 3 du Code civil prévoit que le débiteur de l’obli-
gation de délivrer, qui aurait été mis en demeure d’exécuter son obligation voit les
risques retransférés à sa charge. Partant, si l’acheteur met le vendeur en demeure de
délivrer, le vendeur est alors en faute, et se trouve de nouveau chargé des risques.
En cas de perte de la chose, c’est donc lui qui en assumera la charge, à moins qu’il
ne démontre que la chose aurait également péri chez l’acheteur si elle lui avait été
livrée (art. 1351-1 C. Civ.).
Enfin, dans la vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement (VEFA), l’acheteur
devient propriétaire des ouvrages à venir au fur et à mesure de leur construction.
Toutefois, l’article 1601-3 du Code civil prévoit que le transfert des risques ne s’opère
sur le bien acquis que lors de la livraison de l’immeuble construit. Dès lors, jusqu’à
ce jour (ou jusqu’au jour où l’acheteur est en demeure de prendre livraison) c’est sur
le vendeur que pèsent les risques de la chose.

B. Aménagements conventionnels

Le régime légal du transfert des risques n’étant que supplétif de volonté, les
parties peuvent y déroger. Il est ainsi fréquent que les ventes conclues sous clause
de réserve de propriété comportent également une clause liant le transfert des
risques à la remise de la chose. Dans ce cas, l’acheteur, qui est entré en possession
de la chose sans en être encore propriétaire, est alors chargé des risques.
Il est de même en matière de vente internationale de marchandises. La
Convention de Vienne (CVIM), qui ne prend pas parti sur le moment du transfert de
propriété, prévoit un système particulier de transfert des risques.
Le principe, fixé à l’article 66 est que « la perte ou la détérioration des marchan-
dises survenue après le transfert des risques à l’acheteur ne libère pas celui-ci de
son obligation de payer le prix, à moins que ces événements ne soient dus à un fait
du vendeur ».

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Ensuite, le moment du transfert des risques dépend des circonstances. Si la
marchandise ne fait pas l’objet d’un contrat de transport, les risques sont transférés
lors du retirement de la marchandise par l’acheteur (art. 68). Si la marchandise doit
être transportée, le transfert est réalisé lors de la remise de la chose au premier
transporteur (art. 66). Enfin, lorsque la vente est conclue en cours de transport, les
risques passent à l’acquéreur dès la conclusion du contrat (art. 67).
L’ensemble de ces dispositions peut néanmoins faire l’objet de modification par
les parties.

À retenir

−− Dans la vente, lorsque le bien vendu est un corps certain, le transfert de


propriété s’opère dès l’accord sur la chose et le prix (solo consensu).
−− Si la vente est une chose de genre, le transfert de propriété se réalise suite
à l’individualisation.
−− Les dispositions sur le transfert de propriété n’étant pas d’ordre public, elles
peuvent l’objet de modifications par les parties.
−− L’opposabilité aux tiers d’une vente immobilière est subordonnée à la publi-
cation de l’acte de vente.
−− L’opposabilité aux tiers d’une vente mobilière de bien corporel est subordonnée
à la mise en possession de l’acheteur.
−− La charge des risques suit la propriété (res perit domino), mais cette disposition
peut faire l’objet de modifications conventionnelles.
−− Le vendeur est chargé des risques si la vente est réalisée sous condition
suspensive, si le vendeur est en demeure de délivrer, ou s’il s’agit d’une vente
d’immeuble en l’état futur d’achèvement.

Pour en savoir plus


−− R. Bonhomme, « La dissociation des risques et de la propriété », in Études de droit de
la consommation, Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 70.
−− J.-P. Chazal et S. Vicente, « Le transfert de propriété par l’effet des obligations dans
le Code civil », RTD civ. 2000, p. 477.
−− M. Fabre-Magnan, « Le mythe de l’obligation de donner », RTD civ. 1996, p. 85.
−− F. Goré, « Le transfert de propriété dans les ventes de choses de genre », D. 1954,
chron. 175.
−− Ch. Mouly, « Analyse économique du droit régissant le transfert de propriété », CDE
1995, suppl. n° 5, p. 6.
−− A. Sériaux, « Res perit domino », in Études sur le droit de la concurrence et quelques
thèmes fondamentaux, Mélanges en l’honneur d’Yves Serra, Dalloz, 2006, p. 390.

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POUR S’ENTRAÎNER

QCM

Fiche 11 • Le transfert de propriété et des risques


1. Le transfert de propriété s’opère par la remise de la chose du vendeur
à l’acheteur.
a : vrai ; b : faux.
2. Dans une vente en libre-service, le fait pour l’acheteur de prendre la
marchandise sur les rayons emporte le transfert de propriété.
a : vrai ; b : faux.
3. Le transfert de la propriété immobilière ne s’opère qu’après la signature
de l’acte authentique.
a : vrai ; b : faux
4. L’application de la théorie du transfert des risques peut conduire
l’acheteur à payer, mais à ne jamais entrer en possession de la chose
si elle est détruite par cas fortuit.
a : vrai ; b : faux
5. Les risques peuvent être transférés à l’acheteur puis être retransférés
au vendeur.
a : vrai ; b : faux

CORRIGÉ
1 : b. faux. Le transfert de propriété se réalise dès l’accord sur la chose et le
prix. L’acheteur devient donc propriétaire alors même qu’il n’est pas entré en
possession de la chose.
2 : b. faux. Dans la vente en libre-service, la jurisprudence considère que le
transfert ne s’opère qu’au moment du paiement.
3 : b. faux. La vente immobilière est un contrat consensuel, le transfert de
propriété inter partes intervient donc dès l’accord sur la chose et le prix.
Toutefois, l’opposabilité du transfert est subordonnée à la publication de
l’acte à la conservation des hypothèques. Or, seuls les actes authentiques
peuvent y être publiés.
4 : a. vrai. Si la vente opère un transfert de propriété solo consensu et que la
chose périt par cas fortuit avant la délivrance, c’est bien l’acheteur qui est
chargé des risques. Dès lors, le vendeur pourra le contraindre à payer le prix.
5 : a. vrai. La vente opérant un transfert de propriété solo consensu emporte
également transfert des risques pour l’acheteur. Toutefois, si le vendeur
ne délivre pas le bien et que l’acheteur le met en demeure d’exécuter son
obligation, les risques sont alors retransférés au premier.

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Fiche 12
L’obligation de délivrance

I. L’acte de délivrance
II. La conformité de la délivrance
III. Sanctions de la délivrance

Définitions

Délivrance. La délivrance est la mise à disposition du bien vendu par le vendeur


à l’acheteur. Elle constitue l’obligation essentielle du vendeur.
Portabilité. La portabilité est le caractère d’une créance que le débiteur doit
exécuter au domicile créancier, ou dans le lieu fixé par le contrat.
Quérabilité. La quérabilité est le caractère d’une créance dont le créancier doit
réclamer l’exécution au domicile du débiteur.

La délivrance de la chose est l’obligation essentielle du vendeur. Elle permet de


mettre en adéquation les faits (la situation de la chose qui doit passer du vendeur
à l’acheteur) avec le droit (le transfert de propriété). La définition de la délivrance
retenue par le Code civil à l’article 1604 est directement de la doctrine de Domat
qui, dans les Loix civiles, affirmait que « la délivrance ou tradition est le transport
de la chose en la puissance ou possession de l’acheteur ». Pour autant, cette défini-
tion reflète mal la réalité de la délivrance. La puissance (le droit) est d’ores et déjà
transférée à l’acheteur par le contrat, et la possession ne saurait en elle-même faire
l’objet d’un transfert puisque le vendeur, ayant transféré la propriété est désormais
dépourvu d’animus domini. En réalité, la délivrance s’analyse avant tout comme un
abandon de la chose par le vendeur : une mise à disposition (I). La seconde critique
qui peut être formulée à l’égard de l’article 1604 tient au fait que la définition
posée ne tient pas compte du second aspect de la délivrance, plus intellectuel : la
conformité de celle-ci (II).

92

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I. L’acte de délivrance

Fiche 12 • L’obligation de délivrance


A. Objet de la délivrance

D’un point de vue matériel, la définition de la délivrance posée par l’article 1604
(« le transport de la chose vendue en puissance et possession de l’acheteur ») n’est
pas satisfaisante. Une telle définition amène, en effet, à considérer que délivrance
et remise de la chose sont synonymes ; or, tel n’est pas le cas. Le vendeur n’a pas
à remettre la chose, mais doit la mettre à la disposition de l’acheteur. Il doit
donc permettre à l’acheteur de la retirer ou de l’enlever. La délivrance consiste
donc essentiellement pour le vendeur à cesser d’exercer son emprise sur la chose et
permettre à l’acheteur de venir la saisir.
Dès lors, la délivrance ne doit pas être confondue avec la livraison, qui consiste
pour sa part en la remise directe du bien à l’acheteur ou au transporteur, ni avec le
transfert de propriété qui est une opération intellectuelle portant sur la transmission
du droit (la propriété) et non la chose.

Illustrations

S. Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, 1732, T. I, liv. IV, Chap. IX, §VIII :
« La délivrance même n’est pas, à parler exactement, le dernier acte de propriété ;
mais un simple défaillement et un abandonnement corporel de la chose aliénée ».
Art. 5 al. 1er de l’Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux :
« Le débiteur de la délivrance doit mettre le bien et ses accessoires à disposition
du créancier ».

La délivrance s’opère par la mise à disposition de la chose à l’acheteur. Néanmoins,


la forme de cette mise à disposition est susceptible de varier selon la nature de la
chose vendue (art. 1605 à 1607 C. civ.) :
−− lorsque le bien vendu est un meuble corporel, la délivrance peut s’opérer par
la remise de la chose de la main à la main, par la mise à disposition du bien
à un mandataire (par exemple le transporteur), ou par une remise symbolique
(par exemple la remise des clefs du local dans lequel se trouvent les biens
vendus) ;
−− lorsque le bien vendu est incorporel, la délivrance s’opère par la remise des
titres ou par l’usage du bien question qu’en fait l’acheteur. Si le titre est
dématérialisé, la délivrance pourra s’opérer par virement de compte à compte ;
−− lorsque le bien vendu est un immeuble, la délivrance se réalise en principe
par la remise des clefs et des titres de propriété.

93

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Attention

Affirmer que mettre à disposition ce n’est pas remettre la chose, n’empêche pas
que la mise à disposition puisse se réaliser par la remise. La remise n’est qu’un
type de mise à disposition (qui peut donc être réalisée d’autres façons).

La délivrance porte donc sur la chose elle-même, mais également sur ses acces-
soires. Cela ressort de l’article 1615 du Code civil qui dispose que « l’obligation de
délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage
perpétuel ». Les accessoires en question peuvent être de différentes natures :
−− il peut s’agir d’accessoires matériels, tels les fruits produits par la chose depuis
le transfert de propriété ou les biens nécessaires à l’utilisation de la chose
vendue (cordon d’alimentation, codes d’activation, emballages, immeubles
par destination si la vente est immobilière, documents administratifs telle
la carte grise d’un véhicule) ;
−− il peut également s’agir d’accessoires d’ordre juridique. Doivent ainsi être
transmis avec la chose les droits réels qui lui sont attachés (servitude atta-
chée au fond vendu), les contrats accessoires à la chose (ainsi du contrat de
bail relatif à l’immeuble vendu) et les actions en justice ;
−− il peut enfin s’agir d’accessoires intellectuels. Des renseignements et infor-
mations doivent être transmis avec la chose en complément de ceux qui ont
pu être fournis avant le contrat.
Enfin, la chose doit être délivrée dans l’état dans lequel elle se trouve au moment
de la vente (art. 1614 C. civ.). Cela signifie que lorsque la vente porte sur un bien
d’ores et déjà usé lors de la conclusion du contrat (hypothèse de la vente de bien
d’occasion), le vendeur n’a pas à la remettre en état pour la délivrer. De plus, si la
délivrance ne s’opère pas au jour de la conclusion de la vente, le vendeur supporte
une obligation de conservation du bien (art. 1196 C. civ.).

B. Modalités de la délivrance

Selon l’article 1609 du Code civil, « La délivrance doit se faire au lieu où était, au
temps de la vente, la chose qui en a fait l’objet, s’il n’en a été autrement convenu ».
La chose étant quérable et non portable, le lieu de la délivrance se situe au domicile
du vendeur. Cela se comprend : le vendeur n’a pas à remettre la chose, mais doit
simplement la mettre à disposition de l’acheteur. Le premier n’a pas à la porter chez
le second. Dès lors, sauf stipulation contraire des parties, c’est à l’acheteur d’aller
la chercher (la quérir) chez le vendeur.
La délivrance doit s’effectuer au temps convenu par les parties. À défaut de
stipulation contractuelle contraire, elle doit être réalisée au moment de la forma-
tion du contrat.

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L’article 1612 règle l’hypothèse d’un conflit entre l’acheteur et le vendeur sur
le point de savoir qui doit exécuter son obligation en premier. Affirmant que « le
vendeur n’est pas tenu de délivrer la chose, si l’acheteur n’en paye pas le prix et que

Fiche 12 • L’obligation de délivrance


le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le payement », cet article permet au
premier d’invoquer l’exception d’inexécution contre le second.
Concrètement, si le paiement du prix doit être réalisé comptant, l’acheteur doit
payer d’abord et le vendeur délivrer la chose ensuite.

II. La conformité de la délivrance

La chose délivrée doit être la chose vendue. Le défaut d’adéquation entre ces
choses constitue une hypothèse de non-conformité de la délivrance puisque le vendeur
doit délivrer une chose conforme en tout point aux stipulations contractuelles.
La conformité s’entend donc de la délivrance d’une chose identique à la chose
vendue. Si le vendeur devait délivrer tel corps certain, mais en délivre un autre, la
délivrance n’est pas conforme. L’identité doit s’apprécier objectivement (c’est-à-dire
en fonction du type, de la marque ou des caractéristiques techniques du bien vendu),
mais également subjectivement (c’est-à-dire en contemplation des stipulations
contractuelles particulières des parties).

Illustration

Si l’acheteur a acheté une voiture de couleur grise, mais se fait délivrer une
voiture de couleur noire, la délivrance n’est pas conforme.

La conformité s’entend tout d’abord d’un point de vue quantitatif. Selon l’article
1616 du Code civil, le vendeur est en effet « tenu de délivrer la contenance telle qu’elle
est portée au contrat […] ».
La différence de quantité peut être découverte dans une vente mobilière, notam-
ment dans les ventes au poids et à la mesure, mais également dans les ventes immo-
bilières en cas de différence entre la superficie stipulée au contrat et la superficie
réelle du bien délivré.
Dans les ventes immobilières, le régime mis en place par les articles 1617 et
suivants impose d’opérer une distinction.
−− si la vente a été conclue pour un prix global, l’article 1619 prévoit que la
différence de superficie ne peut être réparée que dans l’hypothèse où la
différence entre la mesure réelle et la mesure indiquée au contrat est d’un
vingtième en plus ou en moins. S’il s’agit d’un vingtième en plus, le vendeur
aura droit à une augmentation du prix ou à la résolution du contrat. S’il s’agit
d’un vingtième en moins, l’acquéreur aura droit à une diminution du prix ;

95

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−− si la vente a été conclue pour un prix calculé en fonction de la mesure
(x euros au mètre carré), l’article 1617 impose que toute différence doive être
réparée. Si la superficie est inférieure à celle stipulée, l’acquéreur a droit à
une diminution du prix ou à un supplément de surface. Si la superficie est
supérieure à celle stipulée, il faut distinguer. Si la différence est inférieure
à un vingtième, l’acheteur doit payer le supplément du prix. Si la différence
est égale ou supérieure à un vingtième, l’acheteur doit payer le supplément
ou se désister du contrat ;
−− si la vente porte sur un lot de copropriété, la mention de la superficie de
la partie privative est obligatoire à peine de nullité. Si la surface réelle est
supérieure à la surface stipulée, aucun supplément n’est dû. Si la surface réelle
est inférieure à la surface stipulée, l’acheteur peut demander une diminution
du prix, dès lors que la différence est supérieure à un vingtième.
La conformité s’entend également d’un point de vue qualitatif. Ici encore, la
qualité s’apprécie par comparaison avec les stipulations contractuelles : la chose
doit être conforme aux caractéristiques prévues par le contrat. En l’absence de
précisions dans le contrat, la qualité doit être appréciée par rapport à un standard,
la marchandise doit être loyale et marchande.

Illustration

Cass. civ. 1re, 16 juin 1993, pourvoi n° 91-18924 :


Dans cette affaire, la Cour de cassation retient l’absence de conformité dans
le cadre d’une vente de véhicule d’occasion en raison d’une différence entre le
kilométrage total figurant au compteur et le kilométrage réellement parcouru.

Un temps, le concept de conformité de la délivrance fut quelque peu dévoyé


par la jurisprudence. Sous l’influence d’une partie de la doctrine, la conformité
fut entendue dans certains arrêts de la première Chambre civile et de la Chambre
commerciale de la Cour de cassation, non comme la conformité matérielle telle
que conçue dans le Code civil, mais comme une conformité fonctionnelle. Dans
cette conception, le défaut de conformité pouvait s’apprécier non plus uniquement
comme une absence de conformité au contrat, mais, plus largement par référence
aux conséquences du défaut sur l’usage de la chose. Si la confusion opérée avec la
garantie des vices cachés était alors patente, l’objectif principal de cette solution
était néanmoins de permettre à l’acheteur déçu de ne pas voir son action contre
le vendeur enfermée dans le bref délai de l’article 1648 du Code civil (relatif à la
garantie des vices cachés) et de pouvoir agir dans les délais de droit commun.

96

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Illustration

Cass. civ. 1re, 20 mars 1989, pourvoi n° 87-18517 :


« […] l’obligation de délivrance ne consiste pas seulement à livrer ce qui a été

Fiche 12 • L’obligation de délivrance


convenu, mais à mettre à la disposition de l’acquéreur une chose qui corresponde
en tout point au but par lui recherché ».

La divergence de jurisprudence est aujourd’hui terminée. La première Chambre


civile et la Chambre commerciale se sont, en effet, désormais rangées derrière la
position que soutenait jusqu’alors la troisième Chambre civile, opérant une distinc-
tion stricte entre garantie et délivrance conforme.

Illustration

Cass. civ. 1re, 8 décembre 1993, pourvoi n° 91-19627.


« […] le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale
constitue le vice prévu par les articles 1641 et suivants du Code civil ».

Il faut bien distinguer délivrance conforme et garantie des vices cachés. S’il
y a une différence entre la chose délivrée et la chose vendue, la conformité est en
jeu. Si, au contraire, il y a une différence entre l’usage attendu et l’usage réel, il
convient de se référer aux règles de la garantie des vices cachés. La frontière entre
les deux remèdes est parfois ténue.

Illustration

Cass. Civ. 3e, 28 janvier 2015, pourvois n° 13-19945 et 13-27050 :


Des époux acquièrent une maison, mais alertés par de mauvaises odeurs se
rendent compte que l’évacuation des eaux usées n’est pas raccordée au réseau
public d’assainissement comme le stipulait l’acte de vente, mais qu’elles se jetaient
dans une fosse septique. Ils agissent donc contre les vendeurs. Ces derniers
estimaient que la non-conformité aux stipulations contractuelles (le fait que,
contrairement à ce que prévoyait le contrat, l’évacuation n’était pas raccordée au
réseau public), rendait la chose impropre à son usage et devait donc être qualifiée
de vice caché. La Cour de cassation ne suit pas cette argumentation et affirme :
« qu’ayant relevé que l’immeuble avait été vendu comme étant raccordé au réseau
public d’assainissement et constaté que le raccordement n’était pas conforme aux
stipulations contractuelles, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une
recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a exactement déduit que
les vendeurs avaient manqué à leur obligation de délivrance ».

97

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Attention

Il ne faut pas non plus confondre la délivrance conforme et la garantie de


conformité intégrée dans le Code de la consommation depuis la transposition
de la directive du 25 mai 1999. Dans l’hypothèse d’une vente conclue entre un
professionnel et un consommateur, ce corpus de règles pourra être appliqué (bien
qu’il n’exclue pas l’application du droit commun de la délivrance conforme ou de
la garantie des vices cachés).

III. Sanctions de la délivrance

Si le vendeur ne délivre pas, délivre en retard, ou que la délivrance n’est pas


conforme, il commet un manquement à son obligation. Les articles 1610 et suivants
du Code civil prévoient alors un large éventail de sanctions.
Tout d’abord, l’acheteur peut obtenir l’exécution forcée de l’obligation. La déli-
vrance peut ainsi être ordonnée par un juge sous astreinte. Si l’exécution de cette
obligation en nature n’est plus possible, ce remède est exclu et l’acheteur pourra
obtenir des dommages et intérêts,
Ensuite, l’acheteur peut demander la résolution du contrat. En application de
1224 du Code civil, la résolution résulte soit d’une clause résolutoire (une stipula-
tion du contrat prévoyant les causes et les modalités de la résolution), soit en cas
d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou
d’une décision de justice. Lorsqu’elle n’est pas fondée sur l’application d’une clause
résolutoire, la résolution, alors subordonnée à un critère de gravité de l’inexécution,
peut donc être unilatérale (sans recours au juge, dans notre cas, elle résultera d’une
déclaration de l’acheteur au vendeur) ou judiciaire.
Si le critère de gravité n’est pas rempli (notamment dans l’hypothèse d’un simple
retard dans la délivrance et que les marchandises ne sont pas périssables), la réso-
lution est exclue (mais des dommages et intérêts pourraient venir compenser le
préjudice subi par l’acheteur).

Attention

En cas de résolution unilatérale, le juge peut être saisi a posteriori (donc après
la résolution) pour déterminer si le critère de gravité était rempli.

Par ailleurs, l’acheteur peut, depuis l’ordonnance de réforme du droit des contrats
du 10 février 2016, en cas d’inexécution imparfaite de la délivrance (imaginons
une délivrance incomplète ou tardive) solliciter une réduction proportionnelle à
l’inexécution du prix de vente (art. 1223 C. civ.).

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En matière commerciale enfin, le juge est doté d’un pouvoir de réfaction du
contrat, lorsque l’inexécution reprochée au vendeur n’est pas suffisamment grave
pour fonder la résolution. Le juge peut ainsi ordonner une réduction du prix de vente.

Fiche 12 • L’obligation de délivrance


Attention

Si la délivrance est impossible en raison d’une perte de la chose par cas fortuit,
il convient d’appliquer la théorie des risques.

Les parties peuvent aménager la responsabilité due par le vendeur en cas de


manquement à son obligation de délivrance.
Les clauses élusives de responsabilité seraient toutefois réputées non écrites
puisqu’elles porteraient atteinte à l’essence du contrat (art. 1170 C. civ.).
Les clauses limitatives de responsabilité sont envisageables entre particuliers
ou entre professionnels, mais sont exclues dans les rapports entre professionnels
et consommateurs (R. 132-1 C. conso).

À retenir

−− La délivrance est la mise de la disposition de la chose vendue à l’acheteur.


−− La délivrance porte sur la chose elle-même, mais également sur ses accessoires.
−− La délivrance doit être conforme aux spécifications du contrat, tant quanti-
tativement que qualitativement.

Pour en savoir plus


−− M. Alter, L’obligation de délivrance dans la vente de meubles corporels, LGDJ, Bibliothèque
de droit privé, 1972.
−− C. Atias, « L’obligation de délivrance conforme », D. 1991, chron. 1.
−− A. Bénabent, « Conformité et vices cachés dans la vente : l’éclaircie », D. 1994, chron.
115.
−− A. Ghozi, « La conformité », in Faut-il recodifier le droit de la consommation, D. Fenouillet
et F. Labarthe, Economica, 2002, p. 111.
−− G. Pignarre, « À la redécouverte de l’obligation de praestare », RTD civ. 2001, p. 41.
−− G. Pignarre, « La délivrance, fait générateur de l’obligation de retirement de l’acheteur »,
D. 2002, p. 997.

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POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. La délivrance se réalise toujours par la remise de la chose.
a : vrai ; b : faux.
2. La délivrance est :
a : quérable et non portable ; b : portable et non quérable.
3. Le défaut de délivrance peut entraîner la nullité du contrat :
a : vrai ; b : faux.
4. La conformité de la délivrance a pour objet de permettre à l’acheteur :
a : d’avoir un bien en adéquation avec les stipulations contractuelles ; b :
d’avoir un bien dont l’usage est en adéquation avec ses attentes.
5. Un vendeur qui refuserait de délivrer le bien pourrait invoquer l’article
1142 du Code civil (relatif à l’inexécution des obligations de faire
pour ne pas être condamné à l’exécution forcée en nature :
a : vrai ; b : faux.
6. Une personne acquiert un terrain industriel afin de le réhabiliter et
d’y construire des maisons. Le contrat de vente prévoit que le terrain
a été dépollué. Il s’avère qu’en réalité le terrain est pollué aux métaux
lourds, ce qui lui interdit de réaliser les constructions prévues. Il doit :
a : agir sur le fondement de la garantie des vices cachés, car l’usage du
terrain est rendu impossible par la pollution ; b : agir sur le fondement de
la délivrance conforme, car le contrat n’a pas été respecté.

CORRIGÉ
1 : b. faux. La remise de la chose est un moyen d’exécuter la délivrance, mais
toute délivrance ne se réalise pas par la remise. La mise à disposition du bien
c’est-à-dire la cessation de l’emprise du vendeur sur la chose est suffisante.
2 : a. quérable et non portable. C’est à l’acheteur de venir prendre possession
du bien, le vendeur n’a pas à le lui porter.
3 : b ; faux. Le défaut de délivrance est une inexécution. Or, l’inexécution
n’entraîne jamais la nullité, qui, pour sa part, sanctionne un vice dans la
formation du contrat.
4 : a. d’avoir un bien en adéquation avec les stipulations contractuelles. La
référence à l’usage attendu de la chose par l’acheteur est un problème relevant
de la garantie des vices cachés.
5 : b. faux. L’article 1142 du Code civil, suivant lequel les obligations de faire
se résolvent en dommages et intérêts en cas d’inexécution n’a vocation à

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régir que les obligations de faire à caractère personnel, ce qui n’est pas le
cas de l’obligation de délivrance. La délivrance est donc bien susceptible
d’exécution forcée en nature.

Fiche 12 • L’obligation de délivrance


6 : b. agir sur le fondement de la délivrance conforme, car le contrat n’a
pas été respecté. En effet, si l’usage du terrain est compromis (l’acheteur
ne pourra pas construire les maisons), cet usage est compromis en raison
d’un non-respect de ce qui était prévu au contrat. C’est donc le régime de la
délivrance conforme qui trouve à s’appliquer.

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Fiche 13
La garantie d’éviction

I. La garantie d’éviction du fait personnel


II. La garantie d’éviction du fait des tiers.

Définitions.

Garantie d’éviction. La garantie d’éviction a pour objet de protéger l’acheteur


contre les troubles apportés à sa possession paisible du bien acquis.
Trouble de droit. Le trouble est de droit lorsque son auteur fonde sa prétention
sur l’exercice d’un droit.
Trouble de fait. Le trouble est de fait lorsque son auteur ne fonde pas sa préten-
tion sur un droit.
Éviction totale. L’éviction est totale, lorsqu’à la suite du trouble, l’acheteur se
trouve complètement privé de l’usage de la chose.
Éviction partielle. L’éviction est partielle lorsque l’acheteur ne perd qu’une partie
des utilités de la chose vendue ou qu’une partie de ses prérogatives.

La garantie d’éviction, régie par les articles 1626 et suivants du Code civil, est
la suite logique de la délivrance qui a pour objet de permettre l’entrée en posses-
sion de l’acheteur. Cette garantie assure ainsi la pérennité de la délivrance, en
octroyant à l’acheteur la possession paisible du bien. L’objectif est donc de garantir
l’acheteur contre les prétentions du vendeur lui-même (I), mais également contre
les prétentions des tiers (II).

I. La garantie d’éviction du fait personnel

La garantie du fait personnel est la consécration de l’adage suivant lequel « qui


doit garantie ne peut évincer ». Le vendeur ne saurait donc accomplir d’actes de
nature à remettre en cause, à troubler, la possession acquise par l’acquéreur.
Cette garantie du fait personnel due par le vendeur est relativement large
puisqu’il doit non seulement garantie pour des troubles de droit, mais également
des troubles de fait.

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Tout d’abord, affirmer que le vendeur doit garantir les troubles de droit signifie
qu’il ne peut créer ou invoquer un droit (réel ou personnel) sur le bien vendu. Plus
précisément, le trouble de droit se produit lorsque le vendeur élève une prétention

Fiche 13 • La garantie d’éviction


juridique inconciliable avec le droit de l’acquéreur et entend faire valoir ce droit
par une action en justice.
Le vendeur ne peut donc contrarier la possession de l’acheteur en invoquant
une quelconque prérogative sur la chose. Il ne peut pas non plus accomplir d’actes
juridiques qui priveraient l’acheteur de tout ou partie des avantages que peut lui
procurer la chose reçue.

Illustration

Quelques exemples de troubles de droit :


Le vendeur ne peut revendre le bien à un tiers, se prétendre propriétaire du
bien (notamment en invoquant le bénéfice d’une prescription acquisitive). Il ne
peut pas non plus se prétendre titulaire d’un bail ou d’un usufruit sur le bien
vendu si le contrat ne le prévoyait pas.

Ensuite, le vendeur doit également garantir tout trouble de fait. Le trouble de fait
suppose que le vendeur trouble la possession de l’acheteur par un acte matériel, sans
caractère juridique. Il s’agit donc d’une atteinte à la jouissance paisible de l’acheteur.
Souvent, c’est en matière de concurrence que le trouble de fait se produit : un vendeur
cède un fonds de commerce, puis tente de détourner la clientèle du cessionnaire.

Illustrations

Cass. com. 14 avril 1992, Bull. civ. IV, n° 160, pourvoi n° 89-21182 :
« […] le vendeur d’un fonds de commerce a l’obligation de s’abstenir de tout
acte de nature à détourner la clientèle du fonds cédé […] » ;

Attention

L’article 34 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux retient une


définition moins large que le droit positif de l’éviction. Il propose de considérer
que « l’éviction résulte de la révélation, après la vente, d’une charge ou servitude
non apparente qui n’avait pas été déclarée lors de la vente, opposable à l’acheteur,
et que ce dernier pouvait légitimement ignorer ». Partant, les troubles de fait
seraient exclus de la garantie d’éviction et devraient donc relever du domaine
de la responsabilité.

103

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La garantie d’éviction a pour caractéristique d’être d’ordre public. Dès lors, une
clause qui aurait pour objet d’exclure la garantie d’éviction serait inefficace. Elle se
transmet également aux héritiers du vendeur qui seront donc tenus au même titre que
leur auteur (bien entendu les héritiers de l’acheteur pourraient également l’invoquer).
Elle est enfin imprescriptible, ce qui signifie que le vendeur et ses héritiers
n’en sont jamais libérés, même passé le délai butoir de vingt ans (art. 2332 C. civ).

Attention

Affirmer que la garantie est d’ordre public ne signifie pas qu’aucune stipulation
à son égard n’est admise. Les parties peuvent en effet étendre la garantie.

Les effets de la garantie diffèrent selon que le trouble est de droit ou de fait :
−− si le trouble est de fait, c’est à l’acheteur d’agir en justice et d’assigner le
vendeur ou ses héritiers. Le vendeur, au titre de la garantie, doit alors y
mettre fin. Pour cela, il doit remettre la chose en l’état et éventuellement
réparer le préjudice subi par l’acheteur ;
−− si le trouble est de droit, l’acheteur peut opposer l’exception de garantie. Il
fait ainsi échec à l’action intentée contre lui.

II. La garantie d’éviction du fait des tiers

Le vendeur doit également garantir l’acheteur de troubles émanant des tiers.


Toutefois, la garantie d’éviction du fait des tiers a un domaine plus limité que celle
du fait personnel. En effet, le vendeur ne doit garantie qu’en ce qui concerne les
troubles de droit. L’idée principale ici est qu’il existe un risque que le vendeur n’ait
pas été titulaire du droit transmis à l’acheteur. Des tiers pourraient donc intenter
une action contre l’acheteur afin de se voir reconnaître ce droit. Le vendeur doit
donc dans cette hypothèse défendre l’acheteur contre les prétentions juridiques
invoquées par les tiers qui porteraient atteinte au droit de ce dernier.
La garantie est due que l’éviction soit totale ou partielle :
−− l’éviction est totale lorsqu’un tiers exerce une action en revendication contre
l’acheteur en s’en prétendant propriétaire. Dans ce cas, la vente a en réalité
porté sur la chose d’autrui (l’acheteur pourrait alors demander la nullité de la
vente fondée sur l’article 1599 du Code civil, mais le mécanisme de la garantie
du fait des tiers peut paraître plus avantageux pour lui, puisqu’il pourra se voir
allouer des dommages et intérêts en plus de la restitution du prix de vente) ;
−− l’éviction est partielle lorsqu’un tiers se prétend titulaire de droits sur une
partie de la chose ou de toute charge (il peut s’agir d’un droit réel – usufruit,
hypothèque – ou d’un droit personnel tel un bail) ou servitude diminuant les

104

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utilités de celle-ci. Pour que la garantie puisse être invoquée, la charge ou
la servitude ne doit pas avoir été révélée à l’acheteur par le vendeur et ne
doit pas être apparente (peu importe toutefois que le vendeur ait lui-même

Fiche 13 • La garantie d’éviction


ignoré l’existence de la charge ou de la servitude).
La garantie d’éviction du fait des tiers ne peut néanmoins être invoquée que si le
trouble est antérieur à la vente, ou du moins s’il trouve sa source antérieurement
à la vente (ce serait notamment le cas d’un droit consenti sur la chose à un tiers
par le vendeur, avant la conclusion de la vente).
En outre, l’acheteur, pour pouvoir invoquer la garantie, ne devait pas connaître
le droit du tiers, puisque la charge ou la servitude serait alors apparente (ainsi des
servitudes révélées par la seule situation des lieux, telle, par exemple, la servitude
de passage en cas d’enclave). Il ne devait pas non plus connaître l’existence du risque
d’éviction lors de la conclusion du contrat, il aurait alors acquis « à ses risques et
périls ». Dans cette hypothèse, la vente deviendrait aléatoire et exclurait la garantie.
L’acheteur bénéficie cependant d’une présomption d’ignorance qui ne cède que
lorsque le droit du tiers était particulièrement apparent.
Contrairement à la garantie du fait personnel, la garantie du fait des tiers n’est
pas d’ordre public, les parties peuvent donc convenir de l’écarter.
La garantie du fait des tiers peut être mise en œuvre par l’acheteur à titre inci-
dent ou à titre principal :
−− lorsque le tiers agit contre l’acheteur en justice, ce dernier peut appeler le
vendeur en garantie qui doit alors le défendre. La garantie est alors mise en
œuvre de façon incidente. L’on parle alors de garantie incidente ;
−− la garantie peut également être mise en œuvre à titre principal. La garantie
principale est exercée lorsque, après avoir perdu le procès l’opposant au
tiers, l’acheteur agit ensuite contre le vendeur pour obtenir la réparation du
préjudice qu’il a subi.
Les effets de la garantie varient selon que l’éviction est totale ou partielle :
−− si l’éviction est totale, la vente est anéantie et le vendeur doit alors restituer
le prix de vente. L’article 1630 prévoit qu’il peut également être tenu de verser
différentes sommes à l’acheteur, correspondant :
• aux fruits de la chose si l’acheteur doit les rendre au propriétaire qui l’évince
(ainsi le vendeur devrait restituer à l’acheteur le montant de l’indemnité
d’occupation que ce dernier a pu être obligé de verser au tiers) ;
• aux frais de toute nature occasionnés par la vente et l’action en garantie ;
• aux dommages et intérêts afin de réparer le préjudice subi par l’acheteur
(il peut ainsi s’agir de compenser les dépenses effectuées sur la chose
pendant la période de jouissance) ;
−− si l’éviction est partielle, l’acheteur peut demander la résolution de la vente
si la partie dont il a été évincé est telle que s’il avait connu le risque d’évic-

105

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tion il n’aurait pas acheté. S’il entend, au contraire, conserver la chose, il
peut obtenir une indemnité correspondant à la valeur de la partie dont il a
été évincé.
L’article 37 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux propose de
simplifier les choses. La résolution de la vente serait de plein droit en cas d’éviction
totale, mais serait subordonnée à la preuve que l’acheteur n’aurait pas acheté dans
ces conditions en cas d’éviction partielle (l’acheteur pourrait également en cas
d’éviction partielle invoquer les autres remèdes de l’article 1217 C. civ., y compris
donc solliciter une réduction du prix).

Illustration

Cass. Civ. 3e, 6 juin 2012, n° 11-14032 :


Une SCI acquiert un immeuble bâti au sein d’un lotissement. Une partie de
l’immeuble en question est un garage transformé par le vendeur (avant la vente)
en studio. Or le permis de construire n’autorisait pas une telle transformation.
Le contrat de vente ne prévoyait aucune clause limitant la garantie d’éviction
et le risque d’éviction en question n’y était pas non plus déclaré. Le cahier des
charges annexé à la vente précisait cependant qu’il était interdit d’exécuter
aucun travail sur les bâtiments qui en modifierait l’aspect ou la fonction tels
qu’autorisés par le permis de construire. Le voisin assigne l’acheteur en rétablis-
sement du studio en son état initial (concrètement, il souhaite que le studio soit
retransformé en garage). La SCI assigne alors le vendeur en garantie d’éviction et
en indemnisation de la moins-value de son immeuble, mais est déboutée de ses
demandes par la Cour d’appel. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa
de l’article 1626 du Code civil en affirmant « qu’en statuant ainsi, sans constater
que le risque encouru était déclaré dans l’acte de vente et que la SCI avait renoncé
à toute garantie, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Il
s’agit bien ici d’un trouble de droit du fait d’un tiers puisque le voisin (le tiers)
alléguait un droit (le respect du permis de construire) et dont l’origine trouvait
sa source dans un fait antérieur à la vente.

Attention

Lorsque l’éviction est partielle et que l’acheteur ne peut prétendre qu’à une
indemnité, celle-ci ne correspond pas à une fraction proportionnelle du prix
de vente, mais, selon l’article 1637, à la valeur de la partie dont il a été évincé
appréciée à l’époque de l’éviction.

106

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À retenir

−− Le vendeur doit garantie du fait personnel, que ceux-ci soient de fait ou de


droit.

Fiche 13 • La garantie d’éviction


−− Le vendeur doit garantie du fait des tiers, mais uniquement des troubles de
droit.
−− La garantie d’éviction se traduit soit par le fait que le vendeur doit défendre
l’acheteur lors du procès, soit par le fait qu’il doit l’indemniser si l’éviction a lieu.

Pour en savoir plus


−− Dossier spécial de la RDC 2016/3 p. 527 et s. « La garantie d’éviction : utilité et
originalité ».
−− C. Hochart, La garantie d’éviction dans la vente, préface J. Ghestin, LGDJ, 1993.
−− B. Gross, La notion d’obligation de garantie dans le droit des contrats, préf. D. Talon,
LGDJ, 1964.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Le trouble de droit s’entend nécessairement de la présence d’un droit
réel invoqué par le vendeur ou un tiers.
a : vrai ; b : faux.
2. Le trouble de fait n’est garanti qu’en vertu de la garantie du fait
personnel.
a : vrai ; b : faux.
3. Dans la garantie du fait des tiers, l’acheteur ne peut invoquer cette
garantie qu’après le recours du tiers contre lui.
a : vrai ; b : faux.
4. Le vendeur peut devoir garantie, au titre de la garantie du fait des
tiers, si le trouble n’existait pas au moment de la vente.
a : vrai ; b : faux.
5. Les parties, quelles qu’elles soient, peuvent toujours exclure la garantie
du fait des tiers.
a : vrai ; b : faux.

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CORRIGÉ
1 : b. faux. Le trouble de droit peut s’entendre de la revendication par le vendeur
ou un tiers d’un droit réel, mais il peut également s’agir d’un droit personnel.
2 : a. vrai. La garantie du trouble de fait n’est à la charge du vendeur que
dans la garantie du fait personnel. Le trouble de fait n’est donc pas garanti
dans la garantie du fait des tiers.
3 : b. faux. L’acheteur peut invoquer la garantie du fait des tiers de deux
façons. Soit de façon incidente, c’est-à-dire pendant l’instance, il contraint
alors le vendeur à assurer sa défense ; soit à titre principal dans le cadre d’un
recours contre le vendeur, c’est-à-dire après que le tiers a fait reconnaître le
droit auquel il prétend en justice.
4 : a. vrai. Le trouble peut naître après la vente, mais être garanti dès lors
que sa source est antérieure à la vente.
5 : b. faux. En principe la garantie du fait des tiers n’est pas d’ordre public, les
parties peuvent donc l’écarter dans le contrat. Toutefois dans un rapport entre
professionnel et non professionnel, une telle clause serait alors considérée
comme étant abusive (art. R. 132-1 C. conso) et réputée non écrite.

108

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Fiche 14
La garantie des vices cachés

I. Champ d’application de la garantie des vices cachés


II. Le vice
III. Le régime de l’action
IV. Les effets de l’action
V. Les aménagements conventionnels

Définitions

Vice de la chose. Un vice est un défaut affectant la chose objet du contrat.


Action rédhibitoire. L’action rédhibitoire est l’action permettant d’obtenir la
résolution du contrat en raison d’un vice caché.
Action estimatoire. L’action estimatoire est l’action permettant d’obtenir une
réduction du prix de vente correspondant à la perte de valeur de la chose, en
raison d’un vice caché.

La garantie des vices cachés, autrement appelée garantie édilicienne – en réfé-


rence à ses origines dans l’Édit des Édiles Curules qui imposait au vendeur d’esclaves
et d’animaux de garantir ses éventuelles fraudes – a pour objet de faire peser sur
le vendeur le risque de vice affectant la chose sur le vendeur. Plus précisément, la
garantie des vices cachés se présente comme un mécanisme d’allocation des risques
de la chose : dès lors qu’un vice affectant la chose la rend impropre à son usage, c’est
au vendeur de souffrir cette perte d’usage ou la diminution des utilités de la chose.
Depuis 1804, l’article 1641 du Code civil dispose que « le vendeur de la garantie
en raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage
auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait
pas acquise ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connus ». L’idée est
donc d’octroyer à l’acheteur une certaine protection contre les défauts cachés de la
chose et qui en empêchent l’usage à tel point que si l’acheteur les avait connus, il ne
l’aurait pas achetée. La garantie des vices cachés a ainsi pour objectif de permettre
à l’acheteur de remettre en cause la vente et/ou d’obtenir une indemnité afin de
compenser le préjudice subi du fait de la perte d’utilité de la chose vendue ou de
permettre à l’acheteur de bénéficier d’une diminution du prix de vente.

109

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I. Champ d’application de la garantie des vices cachés

Si la garantie des vices cachés s’applique à la vente, elle ne s’applique pas à


toutes les ventes. La garantie des vices cachés est en effet exclue dans deux types
de vente : les ventes faites par autorité de justice (art. 1649 C. civ.) et les ventes
aléatoires (lorsque l’acheteur acquiert la chose en l’état ou à ses risques et périls).
De même, certains types de vente sont soumis à des dispositions spéciales
organisant un régime particulier de garantie se substituant au droit commun des
articles 1641 et suivants. Ainsi, les ventes d’immeubles à construire sont régies
par les dispositions des articles 1642-1 et 1646-1 du Code civil. Il en est de même
des ventes d’animaux auxquelles il convient d’appliquer les articles L 213-1 et
suivants du Code rural.
La garantie des vices cachés n’a vocation à s’appliquer que lorsque le bien
vendu subit un dommage. Lorsqu’au contraire, le bien vendu cause un dommage aux
personnes ou aux biens, la garantie des vices cachés est hors de cause. Il convient
alors d’appliquer les règles de l’obligation contractuelle de sécurité, dont l’objet
est de contraindre le vendeur à livrer des produits exempts de tout vice ou de tout
défaut de fabrication de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens.
L’on peut également noter l’existence en droit de la consommation d’une obligation
légale de sécurité. En effet, selon l’article L. 221-1 du Code de la consommation,
« les produits et les services doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou
dans d’autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter
la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte
à la santé des personnes ». Cette disposition est complétée depuis 2004 par une
obligation de suivi imposant au producteur de se tenir informé des risques que peut
présenter le bien mis en circulation afin d’adopter les mesures nécessaires si celui-ci
se révèle dangereux.
Enfin, depuis la loi 19 mai 1998, transposant la directive du 25 juillet 1985, a été
inséré en droit français une véritable obligation de sécurité fondée sur la responsabi-
lité du fait des produits défectueux, codifiée aux articles 1245 et suivants du Code
civil (V. Fiches de droit de la responsabilité civile extracontractuelle, n° 25 et 26).

II. Le vice

Afin que puisse être mise en œuvre efficacement la garantie des vices cachés,
la chose vendue doit bien entendu être atteinte d’un vice. Cependant, tout vice ne
permet pas le déclenchement de la garantie, s’il doit exister, il doit, en outre, être
inhérent à la chose (A), caché (B) et antérieur à la vente (C).

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A. Un vice inhérent à la chose

Le vice est un défaut affectant la chose (un défaut de fabrication ou de

Fiche 14 • La garantie des vices cachés


conception, une anomalie… par exemple). Pour déclencher la garantie, ce vice doit
être inhérent à la chose. Autrement dit, le seul fait que la chose ne satisfasse pas
pleinement l’acheteur ne suffit pas à invoquer utilement la garantie ; l’absence de
satisfaction doit venir du défaut de la chose.

Illustration

Cass. civ. 1re, 15 juillet 1999, pourvoi n° 97-17313 :


Des graines de betteraves sont vendues et plantées par l’acheteur. Une fois
poussées, les betteraves se révèlent impropres à la consommation. L’acheteur
assigne donc le vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés. La
qualification de vice est refusée par la Cour de cassation qui affirme que « la cour
d’appel, ayant relevé que les graines de même provenance avaient eu des résultats
complètement différents dans le Maine-et-Loire et sur les parcelles litigieuses, ce
qui tendait à confirmer l’influence des facteurs climatiques régionaux retenus par
l’expert sans que la mauvaise qualité des graines elles-mêmes puisse être retenue,
a souverainement déduit de ces constatations l’absence de vice caché ».

De la même façon si le défaut est causé par une mauvaise utilisation de la chose
par l’acheteur, il ne permettra pas à l’acheteur d’intenter une action sur le fondement
de la garantie des vices cachés.

Illustration

Cass. civ. 1re 8 avril 1986, pourvoi n° 84-11443 :


« le vice caché, étant nécessairement inhérent à la chose elle-même, ne peut
résulter de l’association de deux médicaments ».

De manière générale, pour que la garantie puisse être mise en œuvre, le vice doit
rendre la chose impropre à son usage ou diminuer l’usage de la chose. On enseigne
dès lors que peut recevoir la qualification de vice, le défaut qui compromet l’usage
de la chose.

Attention

La Cour de cassation considère qu’un défaut d’ordre esthétique ne compromettant


pas l’usage de la chose, ne relève pas de la garantie des vices cachés, mais de la
délivrance conforme (Cass. Civ. 3e, 30 juin 2016, n° 15-12447).

111

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L’usage de la chose peut s’entendre de différentes façons : s’agit-il d’un usage
particulier, spécialement retenu par l’acheteur ou de l’usage que tout un chacun
aurait fait de la chose ?
La formule de l’article 1641 n’est guère éclairante, qui dispose qu’il s’agit de
« l’usage auquel on destine la chose ».
En principe, il s’agit donc de l’usage normal de la chose, celui pour lequel la
chose a été conçue (par exemple, une voiture est conçue pour rouler, une clef USB,
pour stocker des données).
Cependant, si l’acheteur entend faire de la chose un usage particulier, inhabituel
et que cet usage entre dans le champ du contrat (c’est-à-dire si le vendeur connais-
sait la destination particulière à laquelle l’acheteur entendait réserver la chose), le
vendeur pourra également devoir garantie de cet usage. Dans ce cas, l’on dépasse
en réalité le seul champ d’application de la garantie des vices cachés, l’hypothèse
relève plutôt de la délivrance conforme.

Illustration

Cass. Civ. 1re 17 juin 1997, n° 95-13389 :


Un artisan taxi acquiert un véhicule spécialement aménagé pour le trans-
port des personnes handicapées. Après avoir constaté que les aménagements
en question entraînaient « une surcharge très nette sur l’essieu arrière […] et un
délestage du train avant, d’où une mauvaise tenue de route (et une) usure anormale
des pneus avant et des freins arrière », il demande la résolution du contrat sur
le fondement de l’inexécution de l’obligation de délivrance conforme. Se posait
la question de savoir si les défauts découverts à l’occasion de cette utilisation
conventionnellement prévue par les parties relevaient de la garantie des vices
cachés ou de la délivrance conforme. La Cour de cassation affirme alors que « la
cour d’appel, ayant relevé que, selon les constatations de l’expert, le véhicule, dans
son ensemble, était inadapté, de par sa conception, à supporter l’aménagement
exécuté en vue d’une utilisation conventionnellement prévue par les parties, a, par
ce seul motif, légalement justifié sa décision » en se fondant sur l’inexécution de
l’obligation de délivrance.

La gravité du vice est néanmoins susceptible de degrés :


−− si le défaut est tel que la chose ne peut pas/plus être utilisée, le vice est
alors rédhibitoire et la vente pourra être résolue (par exemple, un ordinateur
qui ne fonctionne pas, une voiture qui ne peut rouler…)
−− si le défaut ne rend pas inutilisable, mais en diminue l’utilité de façon
importante, la vente pourra être maintenue, mais le prix pourra être diminué.

112

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Attention

Il ne faut pas confondre le vice inhérent à la chose et l’usure normale de celle-ci :


l’usure du bien, connue de l’acheteur, ne constitue pas un défaut, dès lors qu’elle

Fiche 14 • La garantie des vices cachés


est normale. À l’opposé une usure excessive, non connue de l’acheteur, pourrait
permettre de retenir la qualification de vice.

B. Un vice caché

Pour entraîner l’application de la garantie, le vice doit, suivant l’article 1641 du


Code civil être caché. Il doit également, selon l’article 1642 (« le vendeur n’est pas
tenu des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même »), être
inconnu de l’acheteur.
Dès lors, si le vice était apparent, ou connu de l’acheteur, le vendeur ne sera
pas tenu à garantie.
Pour permettre de mettre en œuvre la garantie, le vice doit tout d’abord être
inconnu de l’acheteur. Ainsi, si le vice, ou la possibilité de son apparition, a été
révélé à l’acheteur lors de la conclusion du contrat, celui-ci n’est pas garanti. En
effet, en informant l’acheteur de l’existence du vice, le vendeur le rend ostensible,
l’acheteur étant au courant, il ne peut s’en prévaloir. La preuve de la transmission
de l’information est toutefois à la charge du vendeur.
Parfois l’information n’est pas délivrée expressément, mais doit être déduite
des circonstances de la vente (notamment un prix extrêmement modique pour un
bien d’occasion).

Illustration

Cass. civ. 3e, 26 février 2003, pourvoi n° 01-12750 :


« Mais attendu qu’ayant relevé que (les acheteurs) ne contestaient pas que l’agent
immobilier leur avait signalé l’existence d’une infestation de capricornes dans la
charpente et leur avait conseillé de prendre l’avis d’un spécialiste, que si la présence
de termites n’avait pas été mentionnée ni par la venderesse ni par l’agent immobilier,
il appartenait aux acquéreurs de faire preuve d’une prudence élémentaire et de suivre
le conseil de (l’agent immobilier) qui préconisait l’appel à un professionnel puisqu’ils
étaient informés de la présence de capricornes qui sont également des insectes xylo-
phages et que l’aide d’un tiers compétent aurait permis de connaître avant la vente
la nature et l’ampleur de l’infestation, tant de capricornes que de termites, la cour
d’appel, sans dénaturation des conclusions d’appel des acquéreurs, a pu déduire de
ces seules constatations que la présence non révélée de termites ne constituait pas
un vice caché justifiant l’allocation de dommages-intérêts ».

113

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Ensuite, le vendeur n’est pas tenu des vices apparents. L’acheteur doit, en effet,
les découvrir lors de la mise à disposition de la chose. S’il accepte la délivrance, il
accepte également la chose apparemment viciée.
Tout le problème réside dans le point de savoir si le vice est apparent ou s’il est,
au contraire, caché, quand il n’apparaît pas à première vue. Autrement dit, il faut
se demander si le vice était ou non décelable. Ce caractère est alors apprécié en
fonction des qualités de l’acheteur, plus précisément, il convient de se demander si
l’acheteur est professionnel ou non professionnel.
−− si l’acheteur n’est pas un professionnel, il n’a à réaliser que des vérifications
élémentaires (déballage, mise en marche…). Autrement dit, l’acheteur profane
n’a pas à démonter le bien vendu ni à le faire examiner par un expert. Seul le
vice aisément décelable sera exclu de la qualification de vice caché et sera
donc purgé par la réception.

Illustration

Cass. A.P. 27 octobre 2006, pourvoi n° 05-18977 :


« Attendu que pour rejeter la demande des acquéreurs, l’arrêt retient que, si les
dégradations de la charpente et des tuiles ne pouvaient être constatées qu’à condition
de pénétrer dans les combles et de monter sur la toiture et que l’accès aux combles,
s’il était peut-être difficile, n’était pas impossible, il ne s’en déduisait pas que ces
désordres constituaient des vices cachés pour les acquéreurs ;
Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un vice dont l’acquéreur
avait pu se convaincre lui-même, la cour d’appel a violé les (articles 1641 et 1642) ».

−− si l’acheteur est un professionnel et qu’il acquiert un bien dans le domaine


de sa compétence technique, la jurisprudence fait peser sur lui une présomp-
tion simple de connaissance du vice, qui peut être renversée s’il rapporte la
preuve du caractère indécelable du vice.

C. Un vice caché antérieur à la vente

Seul le vice qui existait avant la conclusion de la vente (ou avant le transfert
de propriété si celui-ci a été retardé) est susceptible de fonder la garantie des vices
cachés. Cela se comprend, la garantie est un mécanisme d’allocation des risques, or,
après la vente en application de l’adage res perit domino, c’est l’acheteur, devenu
propriétaire qui en est chargé. La situation est donc différente si le vice existait
avant la vente.
Le vice peut n’être qu’en germe avant la vente, mais ne se révéler qu’après (ainsi
un défaut de fabrication peut ne produire ses conséquences, ou n’apparaître aux
yeux des acheteurs que plusieurs mois après la livraison du bien).

114

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La preuve de l’antériorité du vice est cependant à la charge de l’acheteur.
Les juges se contentent toutefois de simples indices (le fait notamment que le
défaut soit apparu peu après la vente, ou l’absence d’autre cause pour expliquer

Fiche 14 • La garantie des vices cachés


le dommage).

Illustration

Cass. Civ. 3e, 13 novembre 2014, n° 13-24027 :


Des époux acquièrent un terrain en février 2006 pour y établir une construction.
Une partie du terrain était alors constructible, le reste de la parcelle ne l’était pas
en ce qu’elle se trouvait en zone inondable. En avril 2006 le plan de prévention
des risques naturels classe l’ensemble du terrain en zone inondable. Les acheteurs
agissent alors (notamment) en garantie des vices cachés contre le vendeur. La
Cour de cassation les déboute en affirmant que : « qu’ayant constaté qu’au jour de
la vente, le terrain était partiellement constructible et que la totalité de la parcelle
n’avait été classée en zone inconstructible inondable que par arrêté préfectoral du
20 avril 2006, la cour d’appel a pu en déduire que les acquéreurs ne rapportaient
pas la preuve qui leur incombe d’un vice d’inconstructibilité antérieur à la vente ».

III. Le régime de l’action

Le délai de l’action n’était à l’origine pas fixé de manière stricte. L’ancienne


rédaction de l’article 1648 prévoyait, en effet, que l’action devait être intentée dans
un « bref délai ». Désormais, depuis une ordonnance du 17 février 2005 (prise afin de
transposer une directive européenne du 25 mai 1999), le bref délai a été remplacé
par un délai de « deux ans à compter de la découverte du vice ». La découverte
du vice est, souvent, appréciée par référence à la remise d’un rapport d’expertise
attestant de l’existence du vice. Le délai de deux ans ne commence pas à courir à
compter de la vente, mais bien à compter de la découverte du vice ! Cela ne signifie
cependant pas que la garantie pourrait être invoquée de façon perpétuelle. Lui est
alors applicable le délai butoir de 20 ans à compter de la conclusion du contrat (art.
2332 C. civ.). En outre, si la vente unit deux commerçants ou un commerçant et un
non-commerçant, le délai butoir pour agir est de 5 ans à compter de la conclusion
du contrat (L. 110-4 C. com.). L’acheteur pouvant démontrer l’existence d’un vice
caché doit donc agir dans les 2 ans de la découverte du vice dans un délai butoir
de 20 ou de 5 ans suivant la conclusion du contrat.

115

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Attention

L’avant-projet de réforme du droit des contrats entend modifier radicalement les


choses dans un sens particulièrement défavorable à l’acheteur. Son article 33
prévoit en effet que : « la garantie des vices cachés prend fin deux ans ou cinq ans
après que le bien a été réceptionné par l’acheteur, selon que le vendeur ignorait
ou connaissait le vice. Il incombe à l’acheteur d’en dénoncer au vendeur l’existence
dans un délai raisonnable ».

La question qui peut se poser est de savoir si l’acheteur peut agir contre le
vendeur sur un autre fondement que la garantie des vices cachés.
Ainsi, l’acheteur bénéficie d’une option entre plusieurs actions : s’il n’entend pas
agir sur le fondement de la garantie des vices cachés et que les conditions sont
réunies, il peut choisir d’actionner le vendeur sur le fondement de la responsabilité
du fait des produits défectueux. S’il est consommateur et que le bien vendu est
un meuble corporel, il peut également agir en vertu de la garantie de conformité.
À l’opposé, il ne peut agir sur le fondement un défaut de délivrance conforme,
ni sur celui de l’erreur.

Illustration

Cass. civ. 1re, 14 mai 1996, pourvoi n° 94-13921 :


« […] la garantie des vices cachés constituant l’unique fondement possible
de l’action exercée, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si (l’acheteur) pouvait
prétendre à des dommages-intérêts sur celui de l’erreur ».

Néanmoins, la jurisprudence estime que l’action pour dol ou plutôt pour réticence
dolosive demeure ouverte à l’acheteur.

Illustration

Cass. civ. 1re, 6 novembre 2002, pourvoi n° 00-10-192 :


« […] l’action en garantie des vices cachés n’est pas exclusive de l’action en
nullité pour dol ».

Attention

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux prévoit en son article 31


que « L’existence d’un vice caché exclut toute action en nullité fondée sur un vice
du consentement », ce qui ne permettrait plus d’agir sur le fondement du dol ou
de la réticence dolosive.

116

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IV. Les effets de l’action

Fiche 14 • La garantie des vices cachés


A. Le recours de l’acheteur contre le vendeur

Selon l’article 1644 du Code civil « l’acheteur a le choix de rendre la chose et


de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie
du prix ». Il se voit donc reconnaître le choix entre une action rédhibitoire et une
action estimatoire.
L’action rédhibitoire est souvent présentée comme une forme de l’action en
résolution judiciaire de la vente. Elle emporte donc l’anéantissement rétroactif de
la vente. L’acheteur restitue alors le bien vendu et le vendeur restitue le prix perçu.
L’action estimatoire permet à l’acheteur de conserver la chose (le contrat n’est
donc pas anéanti), mais d’obtenir une diminution du prix de vente.
L’option entre ces deux actions est en principe libre pour l’acheteur. Toutefois,
lorsque le bien ne peut être restitué, seule la voie de l’action estimatoire lui est
ouverte.
Parfois, les juges condamnent le vendeur à remettre la chose en état, ou du
moins à prendre en charge les frais liés à la réparation. Le remplacement de la chose
par le vendeur ne peut toutefois être imposé ni au vendeur ni à l’acheteur. Le juge
ne peut, en effet, condamner le vendeur à remplacer le bien et corrélativement, si
le vendeur propose le remplacement à l’acheteur, ce dernier ne peut être contraint
de l’accepter.
L’acheteur peut en outre obtenir des dommages et intérêts lorsque le vendeur
a commis une faute. L’article 1645 affirme à ce titre que « si le vendeur connaissait
les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu’il en a reçu, de tous
les dommages et intérêts envers l’acheteur ».
Le vendeur qui connaissait l’existence du vice et qui ne l’a pas révélé à l’acheteur
commet une faute, susceptible d’entraîner l’allocation de dommages et intérêts à
son cocontractant.
En principe, c’est à l’acheteur de démontrer la faute (donc la connaissance du
vice) du vendeur, la bonne foi étant présumée. Toutefois, lorsque le vendeur est un
professionnel et que l’acheteur n’est pas un professionnel de la même spécialité, la
jurisprudence présume, de façon irréfragable, la connaissance du vice par le premier.
Le vendeur professionnel est donc présumé irréfragablement avoir connu le vice.

Attention

La mauvaise foi du vendeur professionnel est présumée même lorsqu’il contracte


avec un autre professionnel dès lors que ce dernier n’est pas de la même spécialité.

117

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L’action tendant à la réparation de la faute du vendeur (même lorsque cette faute
est présumée) est indépendante des actions estimatoire et rédhibitoire. Autrement
dit, l’acheteur peut se contenter d’agir sur ce fondement.

Illustration

Cass. civ. 1re, 26 septembre 2012, pourvoi n° 11-22399 :


« […] l’action en réparation du préjudice éventuellement subi du fait d’un vice
caché n’est pas subordonnée à l’exercice d’une action rédhibitoire ou estimatoire et,
par suite, peut être engagée de manière autonome ».

B. Le recours du sous-acquéreur

Souvent, le vendeur de la chose n’est pas lui-même le fabricant. Dès lors, après
avoir été poursuivi sur le fondement des vices cachés par l’acheteur, il exercera une
action récursoire contre son propre vendeur (le vendeur du vendeur), qui lui-même
agira contre son vendeur, et ainsi de suite jusqu’au fabricant de la chose. De même,
le vendeur peut, lorsqu’il est actionné, appeler son propre vendeur en garantie. Un
tel système peut toutefois présenter certains inconvénients, le risque qu’un vendeur
intermédiaire soit insolvable est en effet grand. La chaîne des actions récursoires
pourrait alors être bloquée.
Aussi, la jurisprudence permet à l’acquéreur d’exercer une action directe contre
n’importe lequel des vendeurs de la chaîne de contrats, y compris, donc, contre
le fabricant. Le mécanisme de l’action directe est également admis pour d’autres
actions, notamment la délivrance conforme ou la garantie d’éviction et pour des
chaînes composées d’autres contrats dès lors que cette chaîne est acquisitive de
propriété (l’action directe n’est donc pas admise dans l’hypothèse d’une vente suivie
d’un contrat d’entreprise qui n’emporterait pas acquisition de la propriété du bien
au maître de l’ouvrage).

Illustration

Cass. civ. 1re, 27 janvier 1993, pourvoi n° 91-11302 :


« […] l’action rédhibitoire exercée par l’acquéreur est celle de son auteur, c’est-
à-dire celle du vendeur intermédiaire contre le vendeur originaire ».

V. Les aménagements conventionnels

Le vendeur peut étendre la garantie des vices cachés au profit de l’acheteur. Il


peut par exemple s’engager à garantir des défauts qui ne sauraient être en principe

118

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être qualifiés de vices cachés (par exemple un défaut minime ou apparent), prévoir
la faculté de remplacement de la chose ou s’engager à prendre en charge tout type
de défaut pendant une certaine période.

Fiche 14 • La garantie des vices cachés


Attention

La conclusion d’une garantie contractuelle des vices cachés n’exclut pas pour
l’acheteur la possibilité d’agir sur le fondement de la garantie légale. La première
ne se substitue donc pas à la seconde, mais s’y ajoute.

Les articles 1641 et suivants du Code civil étant supplétifs de volonté, le vendeur
peut également, selon les circonstances, stipuler une limitation de garantie (prévoir
que seuls certains défauts feront l’objet de la garantie) ou exclure tout simplement
toute garantie.
Lorsque le vendeur n’est pas un professionnel, de telles clauses sont valables,
mais seraient privées d’effet en cas de mauvaise foi. C’est le principe qui s’évince
de l’article 1643 du Code civil.

Illustration

Cass. Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-18087 :


Une SCI achète à un garagiste le local dans lequel ce dernier exerçait son
activité. Il était précisé dans l’acte que l’acheteur entendait affecter le bien à
l’habitation. Une expertise révèle néanmoins la présence dans le sous-sol de cuves
polluantes et la nécessité d’une opération de dépollution du site, ce conduit
l’acquéreur à assigner le vendeur (ainsi que le notaire et l’agent immobilier) en
garantie des vices cachés. Le vendeur se retranchait derrière une clause élusive
de garantie. La Cour de cassation affirme alors « qu’ayant retenu à bon droit
qu’en sa qualité de dernier exploitant du garage précédemment exploité par son
père, M. X… ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux et que l’existence des
cuves enterrées qui se sont avérées fuyardes n’avait été révélée à l’acquéreur que
postérieurement à la vente, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée
du rapport d’expertise, en a exactement déduit que le vendeur ne pouvait pas se
prévaloir de la clause de non-garantie des vices cachés ».

Il peut en outre être relevé que le vendeur profane est parfois traité comme un
professionnel quand il a des compétences particulières relativement au bien vendu,
ou qu’il a participé à sa construction.

119

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Illustration

Cass. Civ. 3e, 10 juillet 2013, n° 12-17149 :


Le vendeur d’une maison y avait, avant la vente, conçu et installé une
cheminée qui ne respectait ni les règles de sécurité ni les règles de l’art. À la
suite de la vente, un incendie se déclare et ravage une partie de l’immeuble. Les
acquéreurs assignent le vendeur en garantie des vices cachés en raison des vices
de construction affectant la cheminée. Le vendeur n’étant pas professionnel
invoque la clause élusive de garantie, mais la Cour de cassation considère
qu’ayant lui-même conçu et installé l’objet affecté du vice, il devait être traité
comme un professionnel.

Lorsqu’au contraire le vendeur est un professionnel, donc un contractant présumé


connaître l’existence du vice (donc de mauvaise foi) la situation est différente. Il
convient alors de distinguer selon la qualité de l’acheteur :
−− si l’acheteur n’est pas un professionnel (ou qu’il est consommateur) il convient
d’appliquer l’article R. 212-1 du Code de la consommation qui répute abusive
« la clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou de réduire le droit
à réparation du non professionnel ou du consommateur en cas de manquement
par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations » ;
−− si l’acheteur est un professionnel, il faut encore distinguer. Si l’acheteur est
un professionnel de la même spécialité que le vendeur, les clauses limitatives
de garantie sont valables. Si l’acheteur est un professionnel d’une spécialité
différente, la présomption de mauvaise foi joue à plein, et la clause ne sera
pas valable.

Attention

La distinction opérée en jurisprudence entre l’acheteur professionnel de la même


spécialité que le vendeur et celui d’une spécialité différente est remise en cause
par l’article 30 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux. Il y
est en effet précisé que « le vendeur professionnel ne peut s’exonérer la garantie,
sauf à l’égard d’un acheteur professionnel », sans distinguer en fonction de la
spécialité de ce dernier.

Il peut en outre être noté que le vendeur professionnel ne pourrait, par le biais
d’une clause limitative ou élusive de responsabilité, s’exonérer des conséquences
pécuniaires de sa faute (la faute étant ici tirée de la connaissance présumée du
vice). Il ne peut donc exclure par une clause l’application de l’article 1645 du
Code civil.

120

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Illustration

Cass. civ. 3e, 19 mars 2013, pourvoi n° 11-26566 :


« […] dès lors que l’arrêt d’appel constate que le vendeur et l’acheteur n’étaient

Fiche 14 • La garantie des vices cachés


pas des professionnels de même spécialité, et que ce dernier ne disposait pas des
compétences techniques nécessaires pour déceler les vices affectant la chose vendue,
elle a pu déduire de ces seuls motifs que le vendeur ne pouvait opposer à l’acheteur
la clause limitative de responsabilité ».

À retenir

−− Pour que la garantie s’applique, le vice doit être caché, inhérent à la chose
et antérieur à la vente.
−− L’action en garantie des vices cachés doit être intentée dans un délai de deux
ans à compter de la découverte du vice.
−− La garantie des vices cachés donne lieu à une action estimatoire ou rédhibi-
toire et/ou à une action en dommages et intérêts.
−− Le vendeur professionnel, lorsqu’il ne contracte pas avec un professionnel de
la même spécialité est irréfragablement présumé connaître l’existence du vice.
−− La garantie ne peut faire l’objet de clause limitative que lorsque le vendeur
est non professionnel ou lorsqu’il est un professionnel contractant avec un
professionnel de même spécialité.

Pour en savoir plus


−− P. Coeffard, Garantie des vices cachés et responsabilité contractuelle de droit commun,
préf. Ph. Rémy, LGDJ, collection de la faculté de droit et de sciences sociales de
Poitiers, 2005.
−− P. Ancel, « La garantie conventionnelle des vices cachés dans les conditions générales
de vente en matière mobilière », RTD com. 1979, p. 203.
−− A. Bénabent, « Conformité et vices cachés dans la vente : l’éclaircie », D. 1994, chron.
p. 115.
−− C. Quézel-Ambrunaz, « Les trois actions consécutives à un vice caché », RDC 2012,
n° 4, p. 1248.

POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Paul a acheté un bateau d’occasion auprès de Jacques, vendeur de navires
d’occasions, pour un prix très important. Les parties étaient toutefois
convenues que la vente ne serait définitive qu’après une expertise réalisée

121

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par un professionnel. L’expertise avait alors démontré certaines avaries
dans l’un des moteurs du navire. La réparation de celles-ci fut alors prise
en charge par le vendeur et suite à un essai de quelques minutes, la vente
fut conclue. Après quelques jours de navigation, Paul se rend compte que
l’autre moteur du bateau ne démarre qu’une fois sur deux. Il demande
alors le remboursement du prix de vente à Jacques qui lui oppose le fait
qu’un essai du bateau accompagné d’un expert lui aurait permis de se
rendre compte du problème. Quid juris ?

CORRIGÉ
Les premières questions qu’il faut se poser ici consistent à se demander si le
vice en question était apparent, connu de l’acheteur et s’il était antérieur à la
vente. Le vice apparent est celui que l’acheteur lorsqu’il n’est pas professionnel
(ce qui est le cas en l’espèce) peut déceler après un examen élémentaire. Paul
a ici essayé le bateau (qui a manifestement démarré), mais on ne pouvait ni
lui reprocher de n’avoir pas démonté le moteur, ni de ne pas avoir convié un
expert lors de l’essai. Le vice n’était pas donc décelable. Il n’était pas non
plus connu de l’acheteur (le premier dysfonctionnement n’affectant pas le
moteur aujourd’hui défaillant). Enfin, le fait que le problème ait été remarqué
quelques jours après la vente constitue un indice suffisant pour réputer le
vice antérieur à la vente. Le vice était donc bien caché.
Il faut ensuite se demander de quels recours dispose Paul. L’acheteur pourra ici
agir sur le fondement d’une action estimatoire (pour obtenir une réduction du
prix de vente) ou sur celui de l’action rédhibitoire s’il entend résoudre la vente.
En outre, il pourra demander des dommages et intérêts à Jacques sans avoir
à rapporter la preuve de la connaissance par ce dernier du vice. Le vendeur
étant un professionnel, il est, en effet, présumé irréfragablement connaître
l’existence du vice.

122

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Fiche 15
La garantie de conformité

I. Le champ d’application
II. La notion de conformité
III. Les effets de la garantie

Définitions

Garantie de conformité. La garantie de conformité est un remède octroyé au


consommateur traitant avec un vendeur professionnel s’ajoutant aux différentes
actions traditionnellement reconnues à l’acheteur.

L’un des objectifs poursuivis par la directive du Parlement européen et du Conseil


de l’Union européenne du 25 mai 1999 « sur certains aspects de la vente et de la
garantie des biens de consommation » était de permettre à l’acheteur consommateur
européen traitant avec un vendeur professionnel de bénéficier d’une protection
juridique efficace. Le débat sur la transposition de cette directive en droit français
fut vif. Le législateur devait, au préalable trancher une question : fallait-il modifier
dans son ensemble le régime des garanties offertes à l’acheteur tant en droit civil
qu’en droit de la consommation (et donc fondre dans un seul remède la délivrance
conforme et la garantie des vices cachés), ou au contraire, se contenter d’une trans-
position laissant subsister le régime ancien ? Au final, la directive fut transposée
par l’ordonnance du 17 février 2005 qui créa une nouvelle garantie (l’ensemble du
dispositif présent depuis 1804 ne fut donc pas bouleversé) dite « de conformité du
bien au contrat » insérée dans le Code de la consommation aux articles L. 217-4 à
L. 217-14. Désormais le consommateur déçu peut, à sa discrétion et dès lors que les
conditions d’application sont réunies, agir contre le vendeur, soit sur le fondement
de l’inexécution du contrat (par exemple la délivrance conforme), soit sur celui de
la garantie des vices cachés, soit, enfin, sur celui de la garantie de conformité.

123

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I. Le champ d’application de la garantie de conformité

Les articles L. 217-1 à L. 217-3 du Code de la consommation déterminent un


champ d’application strict à la garantie de conformité.
Elle vise, tout d’abord, les biens mobiliers corporels neufs et d’occasion (elle
ne s’applique donc pas aux immeubles et aux biens incorporels) et les contrats de
fourniture de biens meubles à fabriquer ou à produire. Sont ainsi concernés aussi
bien les contrats de vente que certains contrats d’entreprise portant sur la fabrica-
tion ou la production de biens meubles. Elle a également vocation à s’appliquer au
gaz et à l’eau lorsqu’ils sont conditionnés dans un volume déterminé ou en quantité
déterminée (tel l’exemple d’une bouteille de gaz). Sont expressément exclus de la
garantie de conformité l’électricité, les biens vendus aux enchères publiques ou par
autorité de justice.
Ensuite, le Code de la consommation restreint le domaine d’application personnel
de la garantie. Ne sont, en effet, concernés que les contrats passés entre un vendeur
agissant dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale et l’acheteur
agissant en qualité de consommateur.

Attention

La garantie de conformité ne s’applique pas aux contrats passés entre profes-


sionnels ou entre profanes.

Enfin, la garantie est applicable pour les ventes conclues après l’entrée en vigueur
de l’ordonnance, c’est-à-dire à compter du 19 février 2005.

II. La notion de conformité

La notion de conformité au sens de l’ordonnance de 2005 est relativement large


et semble recouvrir des réalités qui, en droit commun, relèvent de la délivrance et
de la garantie des vices cachés.
Plus précisément, suivant l’article L 217-4, « le vendeur livre un bien conforme au
contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance. Il répond
également des défauts de conformité résultant de l’emballage, des instructions de
montage ou de l’installation lorsque celle-ci a été mise à sa charge par le contrat ou a
été réalisée sous sa responsabilité ».
La notion de conformité est ensuite définie à l’article suivant et s’apprécie selon
la destination du bien prévue par le contrat :
−− à défaut de stipulation particulière sur la destination, le bien est conforme
s’il est propre à l’usage habituellement attendu d’un tel bien. Il doit alors

124

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correspondre à la description donnée par le vendeur et posséder les qualités que
ce dernier a présentées à l’acheteur sous forme d’échantillon ou de modèle ou
présenter les qualités qu’un acheteur peut attendre eu égard aux déclarations

Fiche 15 • La garantie de conformité


publiques (du vendeur, du fabricant ou du producteur) relatives à ce bien ;
−− si les parties sont convenues d’un usage particulier, le bien est considéré
comme étant conforme s’il est propre à tout usage spécial recherché par
l’acheteur entré dans le champ du contrat.
À l’image du régime de la garantie des vices cachés, l’acheteur ne saurait contester
la conformité en invoquant un défaut connu de lui (art. L. 217-8).

Attention

L’ordonnance ne traitant pas des questions de retard dans la délivrance, de la


différence de quantité, ni même de l’absence totale de délivrance, il convient pour
régler ces problèmes de se référer au droit commun des articles 1604 et suivants.

Enfin, pour permettre de déclencher la garantie de conformité le défaut doit être


antérieur à la délivrance. L’article L. 217-7 pose cependant une présomption d’anté-
riorité du défaut dès lors que celui-ci est révélé dans le délai de 24 mois suivants
la délivrance du bien lorsque le bien est neuf, ou dans le délai de 6 mois lorsque le
bien vendu est d’occasion. Il ne s’agit que d’une présomption simple qui peut être
renversée par le vendeur notamment en démontrant que la présomption n’est pas
compatible avec la nature du bien ou le défaut de conformité invoqué.

Attention

Il ne faut pas confondre le défaut antérieur à la délivrance et le défaut antérieur


au transfert de risques comme dans la garantie des vices cachés.

III. Les effets de la garantie

L’ordonnance offre à l’acheteur le choix entre cinq remèdes hiérarchiquement


organisés (L. 217-9 et L. 217-10). Il peut d’ailleurs être noté que, conformément à
l’article L. 217-11, l’application des remèdes ne peut donner lieu à aucun frais pour
le consommateur.
Dans un premier temps, l’acheteur peut choisir entre la réparation du bien ou son
remplacement. Toutefois, lorsque le choix de l’acheteur est susceptible d’entraîner un
coût manifestement disproportionné pour le vendeur, ce dernier peut ne pas procéder
selon le désir de son cocontractant. Ainsi, si la réparation d’un bien de faible valeur
s’avérait particulièrement coûteuse, le vendeur pourrait imposer le remplacement.

125

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De la même façon, le remplacement d’un bien relativement cher pourrait être exclu
par le vendeur si sa réparation peut être réalisée à moindres frais.

Illustration

Une exception à la possibilité pour le vendeur d’imposer le remplacement du


bien : Cass. Civ. 1re, 9 décembre 2015, n° 14-25910 :
En mars 2012, un chiot de race bichon frisé est vendu par une éleveuse
professionnelle à une acheteuse. L’animal se révèle être atteint d’une cataracte
héréditaire entraînant des troubles de la vision. La propriétaire du chien intente
une action sur le fondement de la garantie de conformité contre le vendeur en
demandant notamment la « réparation » du bien (en l’espèce la prise en charge
des frais médicaux). Invoquant le coût disproportionné des frais en question, le
vendeur propose le remplacement de l’animal sur le fondement de l’article L. 217-9
(à l’époque l’article L 211-9). La Cour de cassation limite alors la portée de cette
faculté du vendeur en affirmant que « le chien en cause était un être vivant, unique
et irremplaçable, et un animal de compagnie destiné à recevoir l’affection de son
maître, sans aucune vocation économique, le tribunal, qui a ainsi fait ressortir
l’attachement (de la propriétaire) pour son chien, en a exactement déduit que son
remplacement était impossible ».

Dans l’hypothèse où le remplacement ou la réparation s’avèrent impossibles (le


remplacement peut notamment être impossible si le bien vendu n’était plus commer-
cialisé au jour de la demande), il peut soit résoudre le contrat (c’est-à-dire rendre le
bien et se faire restituer le prix, cette faculté n’est toutefois pas reconnue lorsque
le défaut est mineur), soit se faire rendre une partie du prix.
Le Code de la consommation prévoit la même solution dans l’hypothèse où le
remplacement ou la réparation du bien n’ont pas été réalisés dans le délai d’un mois,
ou si ces solutions ne peuvent être réalisés sans inconvénient majeur pour l’acheteur
compte tenu de la nature et de l’usage du bien recherchés.
Ces différentes demandes peuvent bien entendu être accompagnées d’une demande
en dommages et intérêts.
Enfin, l’article L. 217-12 prévoit que l’action en garantie de conformité se prescrit
par deux ans à compter de la délivrance du bien.

À retenir

−− La garantie de conformité est un remède octroyé au consommateur traitant


avec un vendeur professionnel.
−− La conformité s’apprécie en fonction de l’usage du bien prévu au contrat.
−− À défaut de stipulations particulières sur l’usage, le bien est conforme s’il
est propre à l’usage habituellement attendu d’un tel bien.

126

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−− Le défaut doit être antérieur à la délivrance, mais l’antériorité est présumée
si le défaut apparaît dans les 24 mois de la délivrance si le bien vendu est
neuf ou 6 mois si le bien est vendu d’occasion.

Fiche 15 • La garantie de conformité


−− Si le bien n’est pas conforme, l’acheteur peut demander le remplacement ou
la réparation du bien.
−− Si le remplacement ou la réparation ne sont pas possibles ou tardifs, il peut
demander la résolution du contrat ou la réduction du prix.

Pour en savoir plus


−− P. Ancel, « Aperçus de droit comparé sur la transposition de la directive sur la garantie
dans la vente de biens de consommation », RDC 2005, p. 81.
−− P.-Y. Gautier, « Retour aux sources : Le droit spécial de la garantie de conformité
emprunté aux édiles curules », RDC 2005, p. 925.
−− L. Gaudin, « Regards dubitatifs sur l’effectivité des remèdes offerts au consommateur
en cas de défaut de conformité de la chose vendue », D. 2008, chron. p. 631.
−− S. Pimont, « La garantie de conformité. Variations françaises autour de la préservation
des particularités nationales et de l’intégration communautaire », RTD com. 2006, p. 261.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. La garantie de conformité remplace, dans les ventes faites aux
consommateurs, la garantie des vices cachés et la délivrance conforme.
a : vrai ; b : faux.
2. Dans la garantie de conformité, l’acheteur peut toujours demander la
résolution du contrat
a : vrai ; b : faux.
3. Si l’acheteur entendait faire une utilisation inhabituelle du bien, qu’il
n’en a pas informé le vendeur, et que le bien ne répond pas à cet usage,
il peut demander l’application d’un des remèdes.
a : vrai ; b : faux.
4. En cas de retard dans la livraison, l’acheteur doit invoquer :
a : la garantie de conformité ; b : l’inexécution de l’obligation de délivrance ;
c : la garantie des vices cachés.
5. Si le défaut intervient dans les 24 mois de la délivrance, l’acheteur
n’a pas à prouver qu’il lui était antérieur.
a : vrai ; b : faux.

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CORRIGÉ
1 : b. faux. La garantie de conformité laisse intactes les actions traditionnelles.
L’acheteur a donc le choix d’invoquer le fondement qu’il souhaite.
2 : b. faux. La résolution ne peut être demandée que si le remplacement ou la
réparation sont impossibles, ou qu’ils ont été tardifs (plus d’un mois depuis
la demande) ou qu’ils ne peuvent être réalisés sans inconvénient majeur pour
l’acheteur compte tenu de la nature et de l’usage du bien recherchés.
3 : b. faux. Pour fonder l’existence du défaut, l’utilisation spéciale du bien
doit avoir été portée à la connaissance du vendeur et avoir été acceptée par
ce dernier. Elle doit donc être entrée dans le champ du contrat.
4 : b. l’inexécution de l’obligation de délivrance. Le retard ne constitue en
aucun cas un vice de la chose, et n’est pas visé par l’ordonnance. L’acheteur
doit donc se fonder sur l’inexécution de la délivrance. De la même façon, si
un consommateur a commandé 10 assiettes, mais n’en reçoit que 5, il doit
se baser sur les dispositions du Code civil et non sur celles du Code de la
consommation.
5 : a. vrai. Si le défaut est constaté dans les 24 mois de la délivrance,
l’acheteur bénéficie d’une présomption simple (qui peut donc être renversée
par le vendeur) d’antériorité.

128

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Fiche 16
Les obligations de l’acheteur

I. L’obligation de retirement
II. L’obligation de payer le prix

Définitions.

Retirement. Le retirement est l’action par laquelle l’acheteur prend physiquement


livraison du bien qui lui a été délivré.
Acompte. Un acompte est un paiement partiel et anticipé du prix de vente.
Arrhes. Les arrhes constituent une somme d’argent versée par l’acheteur permet-
tant au vendeur et à l’acheteur de se rétracter du contrat (l’acheteur en perdant
la somme versée, le vendeur en en restituant le double). Si le contrat est conclu
définitivement, les arrhes s’imputent sur le prix de vente.
Quittance. Une quittance est un écrit émanant d’un créancier qui déclare avoir
reçu de son débiteur le paiement de tout ou partie de la dette.

Les obligations de l’acheteur se trouvent aux articles 1650 à 1657 du Code civil
et constituent en quelque sorte la contrepartie des obligations du vendeur. Ainsi,
l’acheteur doit-il non seulement retirer la chose (I), c’est-à-dire, s’en saisir maté-
riellement et payer le prix (II).

I. L’obligation de retirement

Le retirement est le corollaire de la délivrance. Puisque cette dernière ne correspond


pas à une remise matérielle de la chose, mais uniquement à la mise à disposition de
la chose, c’est à l’acheteur de venir en prendre possession.
La prise de possession de la chose ne se traduit pas exactement de la même façon
selon que la chose vendue est mobilière ou immobilière. En matière immobilière, la
prise de livraison ne pose guère de problème puisque la délivrance se réalise par la
remise des clefs, donc de façon symbolique. C’est donc essentiellement en matière
mobilière que cette obligation, alors dénommée « obligation de retirement », se
complexifie quelque peu.

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En principe, l’obligation de retirement doit être réalisée au lieu de la délivrance (ce
qui est logique puisque la chose est quérable et non portable) et au moment de celle-ci.
Le retirement marque l’acceptation de la chose par l’acheteur. Dès lors si le
bien délivré lui apparaît non conforme au contrat, il peut refuser de procéder au
retirement ou émettre des réserves sur la conformité ou les défauts remarqués. De
même, si le bien est entaché d’un vice apparent, c’est à ce moment que l’acheteur
doit le signaler, à défaut il ne pourrait plus s’en plaindre.

Attention

Le retirement se distingue également de l’agréage qui est l’accord qu’il appar-


tient à l’acquéreur de donner ou de refuser après avoir examiné la marchandise
notamment dans le cadre de la vente au goûter.

Le retirement n’est pas une simple faculté à la discrétion de l’acheteur, c’est une
véritable obligation. Dès lors son inexécution est susceptible de sanctions.
−− le vendeur peut obtenir l’exécution forcée du retirement. Cela consiste en la
condamnation de l’acheteur à venir retirer la chose sous astreinte ;
−− le vendeur peut également, en matière mobilière uniquement, résoudre de
plein droit et sans sommation de la vente (art. 1657 C. civ.) si l’acheteur
ne retire pas la chose délivrée dans le délai imparti par le contrat. Cette
solution est dérogatoire au droit commun de l’article 1224 C. civ. (qui prévoit
que la résolution peut être unilatérale, mais s’opère alors par notification
du créancier au débiteur) et s’explique par le risque dépérissement rapide
de certains biens et la nécessité de permettre au vendeur de les revendre
rapidement à un tiers si l’acheteur ne vient pas s’en saisir. La résolution est
alors automatique, le vendeur n’a pas à mettre l’acheteur en demeure de venir
retirer, ni à intenter une action en justice.

Attention

Le vendeur ne peut invoquer la résolution de plein droit qu’à la condition que le


défaut de retirement ne soit pas lié à l’inexécution de l’une de ses obligations.
Ainsi, le défaut de retirement fondé sur la découverte de vices apparents ne
permet pas l’application de l’article 1657.

II. L’obligation de payer le prix

L’acheteur doit payer le prix convenu au contrat. Cette obligation est essentielle (en
ce sens que faute de stipulation d’un prix le contrat ne pourrait être qualifié de vente).

130

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A. L’objet du paiement

Le prix que doit payer l’acheteur est celui fixé par le contrat. Si le prix, lors de

Fiche 16 • Les obligations de l’acheteur


la conclusion du contrat, n’était pas déterminé, mais seulement déterminable, son
évaluation définitive doit alors être réalisée en fonction des modalités fixées : clause
de référence à un cours, clause d’indexation…
Dans trois hypothèses, l’acheteur devra payer plus que ce qui était initialement
convenu. Selon l’article 1652, le prix peut en effet être augmenté d’intérêts lorsque :
−− les parties l’ont convenu
−− la chose vendue et livrée a produit des fruits ou d’autres revenus entre la
livraison et le paiement du capital
−− l’acheteur était en retard de paiement et a été sommé de payer

Illustration

Cass. com. 5 décembre 2000, pourvoi n° 98-12913 :


Des parts sociales sont vendues, mais le prix n’est payé que 29 ans après la
conclusion du contrat. La Cour de cassation condamne donc l’acheteur à payer
les intérêts sur cette période en affirmant qu’« après avoir exactement rappelé
qu’en vertu de l’article 1652 du Code civil “l’acheteur doit l’intérêt du prix de la vente
jusqu’au paiement du capital… si la chose vendue et livrée produit des fruits ou
autres revenus”, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que, les parts sociales
étant par nature productrices de revenus, ce dont il résultait que les dividendes
participent de la nature des fruits, M. Y… devait les intérêts du prix de vente à
compter du jour de celle-ci ».

Selon l’article 1593, l’acheteur doit également payer les accessoires du prix et
notamment les frais de la vente (honoraires du notaire, charges fiscales relatives
au transfert de propriété…). Cette disposition n’est toutefois pas d’ordre public, les
parties peuvent donc s’entendre pour modifier la répartition des frais accessoires.

B. Les modalités du paiement

L’article 1650 dispose que le paiement doit avoir lieu « au jour et au lieu réglés par
la vente ». Les parties peuvent donc librement déterminer ces modalités de paiement.
À défaut de stipulation des parties, l’article 1651 précise que l’acheteur doit payer
au lieu et au moment de la délivrance : le paiement donc en principe être effectué
comptant. Le prix est alors exigible à la délivrance.
Une difficulté peut, toutefois, naître en combinant cet article à l’article 1612 qui
dispose que « le vendeur n’est pas tenu de délivrer la chose si l’acheteur n’en paie
pas le prix ». En effet, le vendeur pourrait refuser de délivrer tant que l’acheteur ne
paie pas et corrélativement l’acheteur pourrait refuser de payer tant que le vendeur

131

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ne délivre pas ! La jurisprudence est donc venue régler cette ambiguïté et considère
que la délivrance doit intervenir en premier.

Illustration

Cass. civ. 1re, 19 novembre 1996, Bull. civ. I, n° 411, pourvoi n° 94-18502 :
« […] sauf convention particulière, l’obligation, pour l’acheteur, de payer le prix de
vente résulte de l’exécution complète, par le vendeur, de son obligation de délivrance ».

Les parties peuvent également convenir que le paiement sera, en totalité ou


en partie, anticipé (interviendra avant la délivrance, par exemple au moment de la
conclusion du contrat) ou différé (interviendra après la délivrance).
Lorsque l’acheteur doit verser une somme avant la délivrance se pose la ques-
tion de savoir si cette somme constitue un acompte ou des arrhes. Cette question
sera, en principe, résolue par l’interprétation de la volonté des parties. Lorsque la
vente unit un vendeur professionnel et un consommateur, cette somme est réputée
constituer des arrhes.
Le moment du paiement a une incidence sur son lieu. Si le paiement s’effectue
comptant, il doit s’effectuer au lieu de la délivrance, la dette de prix est alors
portable. Si, à l’inverse, le paiement est différé, la dette devient quérable : sauf
convention contraire, elle se paie donc au domicile de l’acheteur.

C. La preuve du paiement

La façon d’administrer la preuve du paiement varie selon que la vente porte sur
un bien mobilier ou immobilier.
−− en matière de vente de meuble au comptant, puisqu’il n’est pas d’usage
d’exiger une quittance du vendeur, la jurisprudence estime en principe
que la remise du bien vaut présomption de paiement. Il ne s’agit toutefois
que d’une présomption simple, dont la force probante n’est que celle d’une
présomption de l’homme ;
−− en matière immobilière, l’acte notarié vise généralement le paiement. Toutefois,
la force probante attachée à cet acte varie. Si le paiement a été fait « en
la vue du notaire », la force probante est celle d’un acte authentique. Si au
contraire, il a été réalisé « hors la vue du notaire », le paiement donne lieu
à une quittance, susceptible de souffrir la preuve contraire.

D. Les sanctions de l’absence de paiement

Si l’acheteur ne paie pas, le vendeur bénéficie d’un certain nombre de remèdes.


Tout d’abord, il peut intenter les actions du droit commun en demandant la
résolution du contrat ou l’exécution forcée de l’obligation.

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Il peut également mettre en œuvre différentes techniques notamment issues du
droit des sûretés. Ainsi, lorsque la vente est au comptant et s’il n’a pas encore délivré
le bien, il peut exercer son droit de rétention sur celui-ci (ou sur les accessoires du

Fiche 16 • Les obligations de l’acheteur


bien vendu, tels des documents administratifs pour un véhicule), c’est-à-dire refuser
d’exécuter son obligation de délivrance (art. 1612).
Ensuite, il peut, dans certaines circonstances, exercer une action en revendica-
tion spéciale (il ne s’agit en réalité pas d’une véritable action en revendication : le
vendeur n’est plus propriétaire de la chose, il ne saurait donc revendiquer un droit
dont il n’est plus titulaire) tendant à empêcher l’acheteur de revendre le bien à un
tiers (art. 2332-4). Les conditions permettant d’exercer cette action sont drastiques :
−− la vente doit être mobilière et payable au comptant ;
−− l’acheteur ne doit pas encore avoir transmis la chose à un tiers et ne doit pas
faire l’objet d’une procédure collective ;
−− la chose ne doit pas avoir été transformée ;
−− l’action doit être exercée dans les huit jours de la livraison.
Enfin, le vendeur de meuble ou d’immeuble bénéficie d’un privilège spécial
(mécanisme proche d’une hypothèque légale) qui lui permet, en cas de non-paie-
ment, de saisir la chose vendue, de la faire vendre et de se payer sur le prix de la
vente par préférence aux autres créanciers (art. 2332 4° et 2374 1° C. civ.). Pour
être efficace, le privilège immobilier (donc lorsque la vente porte sur un immeuble)
doit toutefois être publié à la Conservation des hypothèques.

À retenir

−− L’obligation de retirement consiste pour l’acheteur à se saisir physiquement


de la chose vendue.
−− En matière mobilière, l’inexécution de l’obligation de retirement permet au
vendeur de prononcer la résolution de plein droit et automatique de la vente.
−− Le prix de la vente doit en principe être payé comptant, mais les parties peuvent
convenir qu’il sera payé en tout ou partie de façon anticipée ou différée.

Pour en savoir plus


−− H. Boucart, L’agréation de la livraison dans la vente. Essai de théorie générale, préf.
Ph. rémy, LGDJ, Collection de la Faculté de droit et des sciences sociales, 2005.
−− C. Giverdon, « Obligations fondamentales de l’acheteur », in La vente commerciale de
marchandises. Études de droit commercial, dir. de J. Hamel, Paris, Dalloz, 1951, p. 241.
−− G. Pignarre, « La délivrance, fait générateur de l’obligation de retirement de l’acheteur »,
D. 2002, p. 997.

133

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POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Le vendeur peut obtenir la résolution de plein droit du droit si l’acheteur
refuse de retirer, car il constate un vice apparent de la chose.
a : vrai ; b : faux.
2. La résolution de plein droit signifie que le vendeur n’a pas à intenter
d’action en justice pour voir le contrat résolu.
a : vrai ; b : faux.
3. Par principe, dans une vente immobilière, le vendeur supporte les
frais de notaire.
a : vrai ; b : faux.
4. Un acompte permet à chacune des parties de revenir sur son engagement.
a : vrai ; b : faux.
5. L’acte authentique de vente immobilière ne constitue pas toujours
une preuve irréfutable de paiement.
a : vrai ; b : faux.

CORRIGÉ
1. faux. L’article 1657 ne saurait être appliqué que si le vendeur a lui-même
exécuté convenablement ses obligations. Si la chose est viciée, il ne bénéficie
donc pas de la possibilité d’invoquer la résolution de plein droit.
2. vrai. La résolution de plein droit liée à l’inexécution du retirement par
l’acheteur est automatique. Le vendeur n’a donc pas à agir en justice pour
la faire constater.
3. faux. Selon l’article 1653, c’est à l’acheteur de supporter les frais accessoires
à la vente. Toutefois, ce texte n’est que supplétif de volonté, les parties
peuvent donc aménager conventionnellement la répartition de ces frais.
4. faux. L’acompte est une partie du prix dont le versement est anticipé par
rapport à la délivrance. Le contrat est néanmoins définitivement formé. Les
arrhes, au contraire, permettent à chacune des parties de revenir sur leur
engagement.
5. vrai. Lorsque le paiement a été réalisé hors la vue du notaire (et non en
sa présence) il ne donne lieu qu’à une quittance et la preuve contraire peut
être rapportée.

134

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Fiche 17
L’échange

I. Qualification
II. Régime juridique

Définitions

Échange. L’échange est défini comme « le contrat par lequel les parties se donnent
respectivement une chose pour une autre » (art. 1702 C. civ.). Les parties au
contrat d’échange sont appelées copermutants, coéchangistes ou échangistes.
Soulte. Dans un échange, la soulte est le versement d’une somme d’argent (ou
la réalisation d’une prestation à nature) destinée à compenser la différence de
valeur entre les choses échangées.

Le Code civil ne consacre que six articles à l’échange, ce faible intérêt des
codificateurs à l’égard de ce contrat traduit en réalité une désaffection générale de
la pratique. En effet, si l’échange semble avoir historiquement précédé la vente,
ce contrat ne se voit aujourd’hui reconnaître qu’un rôle secondaire, notamment en
raison de sa forme parfois jugée archaïque. Pour autant, une partie de la doctrine
relève un véritable renouveau de l’échange, en droit interne, mais également en droit
international. En droit interne, c’est notamment le cas en droit bancaire en raison
de la pratique des « swaps », technique particulière d’échange de monnaies scriptu-
rales. En droit international, l’échange prend la forme des opérations de « switch »,
opérations permettant de surmonter les doutes liés à la fluctuation des changes.

I. Qualification

D’une certaine façon, l’échange ressemble à la vente puisqu’il emporte également


le transfert de propriété d’un bien. Toutefois, dans l’échange, la contrepartie n’est
pas pécuniaire puisqu’elle est constituée par un autre transfert de propriété.

135

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Attention

Contrairement à la vente, l’échange n’est pas nécessairement bilatéral, et peut


donc parfaitement être multilatéral. Il n’est pas rare en effet de voir des échanges
triangulaires dans lesquelles une première partie transmet un bien à une deuxième
qui transmet elle-même un bien à une troisième, cette dernière transmettant
alors un bien à la première.

La qualification d’une opération en contrat d’échange suppose réunis deux


critères : des transferts de propriété réciproques et l’absence de prix.
En principe, les transferts de propriété réciproques portent sur la pleine propriété
des biens transmis. Toutefois, il est également admis que l’échange ne puisse porter
que sur des démembrements de propriété (l’échange réalisé par un usufruitier, suppose
néanmoins, à peine de nullité, l’accord du nu-propriétaire), ou sur des droits indivis.
L’échange peut également porter sur des biens corporels ou incorporels.

Attention

L’article 9 de la loi du 6 juillet 1989 sur les baux à usages d’habitation permet aux
locataires de locaux d’habitation d’échanger leurs logements (cela est également
permis entre preneurs de biens agricoles). Dans ces cas toutefois, la qualification
d’échange est discutable puisque c’est un ensemble de droits et d’obligations qui
fait l’objet du transfert. Il s’agit plutôt d’une cession de contrat.

En l’absence de transferts de propriété réciproques, la qualification d’échange


serait exclue. Un « échange » de services ne saurait donc juridiquement être qualifié
d’échange !
À la différence du contrat de vente, l’échange ne comporte pas de prix, seules
deux choses peuvent être échangées.

Attention

Affirmer que l’échange ne comporte pas de prix ne signifie pas qu’il ne saurait
jamais porter sur de l’argent. Plus précisément, un échange de monnaie est bien
un échange. Ainsi, lorsque deux personnes s’échangent un billet de banque contre
des pièces de monnaie, l’opération est bien qualifiée d’échange.

Il est fréquent cependant que les choses échangées soient d’inégales valeurs,
afin de compenser cette différence de valeur les parties peuvent stipuler que l’une
d’elles versera à l’autre une soulte, c’est-à-dire une somme d’argent compensant la
différence de valeur entre la chose qu’un échangiste transmet et celle qu’il reçoit
(la soulte peut, parfois, consister non dans le versement d’une somme d’argent, mais
dans la réalisation d’une prestation).

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Le versement d’une soulte peut, exceptionnellement, emporter la requalification
du contrat d’échange en contrat de vente, lorsque le montant de cette soulte est
bien supérieur à la valeur de la chose échangée. Les juges devront alors se prononcer

Fiche 17 • L’échange
sur la qualification et interpréter la volonté des parties. Il est alors classiquement
admis que le contrat demeure un échange tant que la soulte n’apparaît pas, en fait,
comme le principal objet du contrat.

II. Régime juridique

Dans une très large mesure, l’échange est soumis au régime de la vente.
Ainsi, selon l’article 1703, l’échange est un contrat consensuel, le seul échange
des consentements (l’accord sur les choses à échanger et éventuellement sur la
présence d’une soulte) forme donc le contrat, et comme dans la vente, le trans-
fert de propriété s’opère solo consensu. De la même façon, selon les articles 1704
et 1705, les coéchangistes bénéficient d’une garantie contre l’éviction analogue
à celle présente dans la vente.
La communauté de régime juridique entre l’échange et la vente est d’ailleurs
particulièrement marquée par la formule de l’article 1707 qui dispose que « Toutes les
autres règles prescrites pour le contrat de vente s’appliquent d’ailleurs à l’échange ».

Illustration

Cass. civ. 3e, 23 mai 2002, Bull. civ. III, n° 106, pourvoi n° 00-17604. Dans cet
arrêt, la Cour de cassation applique le régime de la nullité de la vente de la chose
d’autrui à un échange consenti par un usufruitier sans l’accord du nu-propriétaire :
« […] l’échange d’un bien par l’usufruitier sans l’accord du nu-propriétaire est
entaché d’une nullité relative dont seul le coéchangiste peut se prévaloir et qu’en
engageant leur action aux fins de voir déclarer parfait l’échange […], les […] nus-
propriétaires, avaient ratifié cet acte et par voie de conséquence, couvert la nullité
dont il était affecté avant que celle-ci n’eût été invoquée ».

Sur certains points néanmoins le régime de l’échange diffère de celui de la vente.


Ainsi, selon l’article 1706 du Code civil, la rescision pour lésion ne s’applique pas
en la matière. De même, la jurisprudence exclut généralement le jeu des droits de
préemption (car le préempteur ne pourrait offrir le bien promis en échange). Enfin,
en cas d’application de la garantie des vices cachés, faute de prix, l’action estima-
toire ne saurait être intentée.

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Attention

Certains droits de préemption (notamment le droit de préemption urbain) doivent


être purgés même si l’aliénation s’opère par un contrat d’échange.

À retenir

−− L’échange emporte un double transfert de propriété, mais ne comprend pas


de prix en argent.
−− Pour compenser la différence de valeur entre les biens échangés, les parties
peuvent convenir que celle qui reçoit la chose ayant la plus grande valeur
versera une soulte.
−− La majorité des règles relatives à la vente s’appliquent à l’échange.

Pour en savoir plus


−− Q. Guiguet-Schiélé, « Repenser l’échange », RTD civ. 2013, p. 539.
−− B. Sousi-Roubi, « Le contrat d’échange », RTD civ. 1978, p. 257.
−− A. Van Eeckhout, « Vers un renouveau du troc dans la vie des affaires ? », RDC 2006, p. 917.

POUR S’ENTRAÎNER

Question de cours
La requalification du contrat d’échange en contrat de vente.

CORRIGÉ
Pour que la qualification d’échange soit retenue, aucun prix ne doit avoir été
stipulé. Néanmoins, lorsque la valeur des choses échangées est, aux yeux des
coéchangistes inégale, les parties peuvent s’entendre sur le fait que celle qui
recevra la chose ayant la valeur la plus importante devra verser une soulte.
Or, la stipulation d’une soulte peut, dans certaines hypothèses, perturber la
qualification initialement retenue du contrat. En effet, si la soulte est d’un
montant tel qu’elle devient la principale prestation à laquelle est tenu le
copermutant, le contrat risque d’être requalifié en vente : l’objet principal de
l’obligation de ce dernier n’est alors plus le transfert de propriété d’un bien,
mais plutôt le paiement d’une certaine somme d’argent. Afin de procéder à
la requalification, les juges doivent cependant avoir égard à l’intention des
parties. Pour certains auteurs d’ailleurs, seul mériterait la requalification en
contrat de vente, l’échange qui masquerait en réalité une intention frauduleuse
constituée par la volonté de se soustraire au régime de la vente (notamment
l’application des droits de préemption).

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Fiche 18
Présentation et qualification
du contrat de bail

I. L’octroi d’un droit personnel de jouissance sur une chose


II. La durée du contrat de bail
III. Le prix du contrat de bail

Définitions

Bail. Le bail ou louage de chose est défini à l’article 1709 du Code civil comme
le « contrat par lequel l’une des parties (le bailleur) s’oblige à faire jouir l’autre (le
preneur) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que
celle-ci s’oblige de lui payer »

Conformément à la définition posée par l’article 1709, l’objet du bail consiste pour
le bailleur à mettre un bien – meuble ou immeuble – à la disposition d’un preneur
pendant un certain temps et moyennant le versement d’un loyer. Il s’agit donc d’un
contrat permettant au preneur de retirer pendant un temps les utilités d’une chose
dont il n’est pas propriétaire : il opère donc une dissociation entre la propriété de
la chose louée, et la jouissance de celle-ci. Il s’agit donc d’un contrat consensuel,
synallagmatique (en principe bilatéral), commutatif, à titre onéreux et à exécution
successive. Il présente, en outre, trois éléments essentiels à sa qualification : l’octroi
d’un droit personnel de jouissance sur la chose au preneur (I), pendant un certain
temps (II) et moyennant le paiement d’un loyer (III).

I. L’octroi d’un droit personnel de jouissance sur une chose

Le bail emporte la création pour le preneur d’un droit personnel de jouissance


sur la chose. Il n’est donc pas translatif de propriété. Plus précisément, le preneur n’a
pas de droit réel sur la chose ; l’essentiel tourne autour d’une obligation imposée au
bailleur de mettre à disposition le bien loué, afin que le preneur puisse, de manière
exclusive, s’en servir et en percevoir les fruits.

139

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Le fait que le bail consiste en l’octroi d’un droit personnel de jouissance au
preneur est au cœur de la distinction du bail et des autres contrats.

A. Bail et vente

Le bail doit, tout d’abord être distingué de la vente. La vente opère un transfert de
propriété du bien faisant l’objet du contrat, alors que le bail, pour sa part, n’octroie
que la jouissance du bien (temporaire de surcroît) au preneur.

Illustration

Cass. req. 6 mars 1861, GAJC, n° 269 :


« […] le contrat de louage qui n’opère aucun démembrement de la propriété qui
reste entière entre les mains du bailleur, ne confère au preneur sur l’immeuble loué
qu’un droit purement mobilier et personnel […] ».

Le preneur n’étant que titulaire d’un droit personnel de jouissance ne saurait,


contrairement à l’acheteur (devenu propriétaire de la chose) altérer la substance du
bien loué, qu’il doit, d’ailleurs, restituer au terme du contrat. En outre, si le preneur a
droit aux fruits de la chose, il ne peut percevoir les produits qui altèrent la substance
de la chose (un contrat qui organiserait l’appréhension des produits par le « preneur »,
ne pourrait recevoir la qualification de bail, il s’agirait plutôt d’une vente).
Parfois un contrat peut mêler bail et vente. La jouissance de la chose n’est alors
pas la fin poursuivie par les parties, mais uniquement un moyen de parvenir à un
transfert de la propriété. C’est notamment le cas de la location-vente qui est un
moyen de financement permettant l’acquisition d’un bien au terme d’une période de
location assortie d’une promesse unilatérale de vente à terme. L’on peut également
citer le mécanisme du crédit-bail par lequel un établissement financier achète un
bien à un vendeur, le loue à son client qui peut l’acquérir après un certain temps
moyennant le paiement d’un prix résiduel.

B. Bail et usufruit

Ces opérations se ressemblent, mais la différence tient dans le fait que l’usufruit
est un démembrement de la propriété qui accorde un droit réel à l’usufruitier. Ce
dernier ne peut alors rien exiger du nu-propriétaire, contrairement au preneur, qui
exerce son droit de jouissance contre le bailleur.

C. Bail et dépôt

Le bail doit aussi être distingué du dépôt. À première vue, la frontière entre ces
contrats est claire. Le bail permet de jouir de la chose, alors que le dépôt porte sur la

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conservation de la chose par le dépositaire : l’obligation de garde, caractéristique du
contrat de dépôt, n’est pas de l’essence du contrat de bail. Dans certaines situations
pourtant, ces contrats se rapprochent :

Fiche 18 • Présentation et qualification du contrat de bail


−− le contrat de stationnement, permettant à une personne de jouir d’un
emplacement de stationnement pour son véhicule, est en principe qualifié de
bail… à moins que l’exploitant du parking ne soit chargé d’assurer la garde
du véhicule (auquel cas le contrat sera qualifié de dépôt) ;
−− le contrat de coffre-fort, par lequel une banque met un coffre-fort à la dispo-
sition de son client pour que celui-ci y entrepose des biens, est aujourd’hui
qualifié de contrat innomé. Si la jurisprudence ne peut retenir en la matière
les règles du dépôt, car le banquier ignore le contenu du coffre, elle ne peut
pas non plus analyser l’opération en bail, car le client n’a pas la libre jouis-
sance du coffre auquel il ne peut accéder librement.

Illustration

Cass. com., 11 octobre 2005, pourvoi n° 03-10975 :


« […] l’article 1722 du Code civil n’est pas applicable au contrat par lequel la
banque loue à un client un compartiment ou un coffre dont elle assume la surveillance
et auquel le client ne peut accéder qu’avec le concours du banquier ».

D. Bail et contrat d’entreprise

Si, suivant les termes du Code civil, le contrat d’entreprise est également un
louage (de services), la différence est en principe nette entre ces contrats : le
contrat d’entreprise oblige un entrepreneur à réaliser une prestation pour le maître
d’ouvrage, alors que le bail oblige le bailleur à procurer la jouissance paisible d’un
bien au preneur. Toutefois, il est des hypothèses dans lesquelles la frontière se
brouille, essentiellement lorsque le contrat mêle fourniture de services et mise à
disposition d’un bien.
• Parfois c’est la règle de l’accessoire qui permettra de déterminer si le
contrat est un bail ou un louage d’ouvrage. Par exemple la « location d’une
place de théâtre » est en réalité un contrat d’entreprise, puisque si la
prestation comprend bien la mise à disposition d’un siège, elle n’est que
le moyen de réaliser la prestation principale constituée par la fourniture
d’un service culturel.
• Parfois, la jurisprudence fait appel au critère de l’indépendance, ou
de la maîtrise sur la chose mise à disposition. Il convient alors de se
référer à l’indépendance du créancier dans la jouissance de la chose mise
à disposition. Si cette jouissance se réalise en toute indépendance, le
contrat peut être qualifié de bail.

141

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Illustration

Cass. civ. 1re, 27 mars 1985, pourvoi n° 83-16468 :


« […] à la différence du loueur de chevaux proprement dit, dont la clientèle
se compose “de véritables cavaliers, aptes à se tenir sur leur monture en la faisant
galoper ou trotter dans les directions choisies par eux” et qui acceptent dès lors
de courir des risques en se livrant sciemment à la pratique d’un sport dangereux,
l’entrepreneur de promenades équestres s’adresse « à de simples touristes, ignorant
tout de l’équitation, pour leur procurer le divertissement d’un transport à dos de
cheval selon un itinéraire déterminé ».

Parfois le contrat ne peut être qualifié de bail ou d’entreprise de façon tranchée.


Ainsi, il est difficile de trancher pour l’une de ces qualifications en matière de contrat
d’hôtellerie. Pour certains, l’essentiel de la prestation de l’hôtelier est la mise à
disposition de la chambre et le contrat doit être qualifié de bail. Pour d’autres au
contraire, les obligations mises à la charge de l’hôtelier sont diverses (le service
global d’hôtellerie) sans qu’il soit possible d’établir une hiérarchie entre elles. Le
contrat devrait alors être qualifié de contrat d’entreprise. Il en est de même pour
les contrats de para-hôtellerie (contrats essentiellement utilisés en matière de
tourisme permettant au vacancier de jouir d’un logement meublé et d’autres pres-
tations) ou des contrats de séjour (qui permettent à des personnes âgées d’être
hébergées, soignées et de bénéficier de prestations sociales) que la jurisprudence
refuse de qualifier de contrat de bail.

Illustration

Cass. civ. 3e, 1er juillet 1998, pourvoi n° 97-17515 :


« […] le contrat de séjour par lequel une maison de retraite s’oblige à héberger
une personne âgée et à fournir des prestations hôtelières, sociales et médicales
(n’est) pas soumis aux règles du Code civil relatives au louage de choses […] ».

II. La durée du contrat de bail

L’article 1709 prévoit que le bailleur doit procurer la jouissance au preneur « pendant
un certain temps ». Il en ressort que le bail est un contrat à exécution successive
conclu pour une durée limitée (les engagements perpétuels étant prohibés). Cette
durée peut toutefois indistinctement être à durée déterminée ou indéterminée.
Cette exigence de durée du contrat permet au preneur de jouir d’une certaine
sécurité liée à la stabilité du contrat : le bail ne peut être révoqué ad nutum par
le bailleur. Le preneur sait donc qu’il ne peut être contraint de restituer la chose
pendant une certaine durée.

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L’absence de précarité du bail permet de le distinguer de la convention d’occu-
pation précaire qui est un contrat innomé par lequel les parties, afin de déroger
au droit du bail, n’accordent au preneur qu’une jouissance précaire, moyennant une

Fiche 18 • Présentation et qualification du contrat de bail


redevance modique. D’apparence proche du contrat de bail, la convention d’occupa-
tion précaire s’en distingue en ce qu’aucune durée de jouissance n’est garantie au
preneur. Le contrat peut donc être remis en cause à tout instant par le propriétaire.
Afin d’éviter la fraude des parties (consistant notamment à se soustraire à un
statut impérativement applicable à un bail spécial) le juge doit vérifier que la précarité
est justifiée par des éléments objectifs et légitimes, c’est-à-dire, des circonstances
particulières indépendantes de la seule volonté des parties, qui excluent la conclu-
sion d’un bail ordinaire. Souvent, ces éléments objectifs peuvent être découverts
lorsque le contrat est conclu dans l’attente d’une démolition du bien, du règlement
d’une succession, ou encore de la perspective d’une expropriation.

III. Le prix du contrat de bail

Le bail est un contrat conclu à titre onéreux et suppose le paiement par le preneur
d’un prix appelé « loyer ».
L’exigence d’un prix permet de distinguer le bail du prêt à usage, qui confère
également la jouissance temporaire d’un bien (bien que les prérogatives de l’emprun-
teur soient moins étendues que celles du locataire). Dès lors un « bail gratuit »,
pourrait être requalifié en prêt à usage.

Illustration

Cass. Civ. 3e, 9 avril 2013, n° 12-15478.


Une SCI met à la disposition d’un couple un appartement en contrepartie de
la prise en charge par les occupants de travaux de rénovation. Deux ans plus tard,
le propriétaire notifie à ces derniers sa volonté de mettre un terme au contrat et
donc de récupérer le bien. Les époux s’opposant à cette demande, ils sont assignés
par la SCI qui invoque la qualification de prêt à usage pour le contrat litigieux.
La Cour de cassation écarte cette argumentation et qualifie le contrat de bail
en estimant qu’il existait bien un loyer, qui n’a pas à être nécessairement payé
en argent, mais peut l’être en nature. En l’espèce la prise en charge des travaux
(dont le montant doit être suffisamment important) équivalait donc à un loyer,
ce qui excluait la qualification de prêt à usage.

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À retenir

−− Le bail consiste dans la mise à disposition temporaire et à titre onéreux d’un


bien meuble ou immeuble par un bailleur à un preneur.
−− Le bail ne rend pas le preneur titulaire d’un droit réel sur la chose, il n’a qu’un
droit personnel exercé contre le bailleur.
−− Pour être qualifié de bail, le contrat doit prévoir une contrepartie à la jouis-
sance de l’occupant : le loyer.

Pour en savoir plus


−− F. Auque, « Quelques remarques sur la location dans l’avant-projet de réforme du droit
des contrats spéciaux », D. 2018, p. 423.
−− J. Cayron, La location de bien meuble, préface Ph. Delebecque, PUAM 1999.
−− N. Decoopman, « La notion de mise à disposition », RTD civ. 1980, p. 300.
−− J. Derrupé, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits
réels et des droits de créance, Dalloz, 1951.
−− C. Roy-Loustaunau, « Une construction prétorienne originale : la convention d’occupation
précaire », RTD com. 1987, p. 333.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Un contrat de location de voiture avec chauffeur doit être qualifié :
a : de bail ; b : de contrat d’entreprise.
2. Un contrat comportant la mise à disposition payante d’un téléphone
et la fourniture de la ligne doit être qualifié :
a : de bail – b : de contrat d’entreprise.
3. Une convention d’occupation précaire ne dure jamais longtemps.
a : vrai ; b : faux.
4. Un bail conclu à titre gratuit serait nécessairement nul.
a : vrai ; b : faux.
5. Dans le contrat de bail, le preneur a :
a : un droit réel exercé sur la chose louée ; b : un droit réel exercé contre
le bailleur ; c : un droit personnel exercé sur la chose louée ; d : un droit
personnel exercé contre le bailleur.

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CORRIGÉ
1 : a. de bail. On applique ici le critère de l’accessoire. Le principal tient dans
la mise à disposition de la voiture au preneur. La fourniture d’un chauffeur

Fiche 18 • Présentation et qualification du contrat de bail


n’est que l’accessoire de cette prestation.
2 : b. de contrat d’entreprise. En application du critère de l’accessoire, l’on
peut se rendre compte que la mise à disposition du téléphone n’est qu’un
moyen de réaliser la prestation principale consistant dans la fourniture de
la ligne téléphonique.
3 : b. faux. La convention d’occupation précaire peut durer de nombreuses
années tant qu’elle n’est pas remise en cause par le propriétaire. Ce qui compte
dans la qualification du contrat n’est pas sa durée, mais la faculté réservée
au pouvoir la remettre en cause à tout instant.
4 : b. faux. Un contrat de bail ne peut bien entendu être conclu à titre gratuit :
l’existence d’un loyer est de l’essence de la qualification de contrat. Toutefois,
la convention pourrait être requalifiée en contrat de prêt à usage.
5 : d. un droit personnel exercé contre le bailleur. Un droit réel s’exerce
nécessairement sur une chose (et non contre une personne) et un droit
personnel s’exerce nécessairement contre une personne (et non contre ou sur
une chose). Les réponses b) et c) n’ont donc pas de sens. Ensuite, le preneur
n’est titulaire que d’un droit personnel. Il s’agit d’un droit de jouissance exercé
contre le bailleur, qui correspond au fait qu’il peut exiger du bailleur qu’il le
fasse jouir paisiblement du bien loué.

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Fiche 19
L’articulation du droit commun
du bail et des statuts spéciaux

I. La place du droit commun


II. La place des statuts spéciaux

Définitions

Statut spécial. Un statut spécial est un corps de règles ayant vocation à régir un
contrat en particulier. Ce statut peut déroger au droit commun ou le compléter.
Si un contrat réuni les conditions d’application du statut spécial, celui-ci doit
être appliqué en lieu et place du droit commun, en application de l’adage specialia
generalibus derogant.

Le Code civil consacre au bail plus de soixante articles (1713 à 1778) qui demeurent
pratiquement inchangés depuis 1804. Cette stabilité n’est toutefois qu’apparente. Les
articles 1713 et suivants n’ont en effet vocation à s’appliquer qu’à défaut de texte
concurrent. Or, en la matière, les statuts spéciaux ont proliféré (essentiellement
depuis 1945) et ont créé autant de baux spéciaux aux régimes impératifs. Le droit
du bail dans le Code civil est divisé en trois catégories : le droit commun du bail (art.
1714 à 1751), le bail à loyer (art. 1752 à 1762) et le bail à ferme (art. 1763 à 1778).
Cette classification est aujourd’hui en grande partie dépassée tant les dispositions
du Code civil sont concurrencées par des textes spéciaux hors du Code, créant des
statuts généralement protecteurs du preneur.

I. La place du droit commun

Schématiquement, l’on peut dire que le droit commun du bail s’applique lorsqu’aucun
texte spécial n’a vocation à s’appliquer. De même, ces dispositions communes aux
différents baux peuvent être appliquées ponctuellement, alors même qu’un texte
spécial crée un statut spécifique à tel ou tel bail, en cas de carence de ce texte sur
un point particulier. Le droit commun du bail a donc vocation à s’appliquer à un
certain nombre de contrats tant en matière mobilière qu’immobilière.

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En principe les baux mobiliers sont régis par le droit commun. Il faut toutefois
noter que le bail de fonds de commerce (art. L. 114-1 et s. du Code de commerce) et
les contrats octroyant un droit de jouissance temporaire sur un droit de propriété

Fiche 19 • L’articulation du droit commun du bail et des statuts spéciaux


intellectuelle (par exemple le contrat de licence de brevet, art. L. 613-8 et s. du
Code de la propriété intellectuelle) font l’objet de réglementations spéciales.
En ce qui concerne les baux immobiliers, le droit commun s’applique notamment
dans certains cas :
−− pour le bail de local à usage professionnel (tel par exemple le bail du local
dans lequel un avocat exerce son activité ; sont exclus de cette qualification
les baux destinés aux activités rurales, artisanales ou commerciales). Les baux
professionnels connaissent néanmoins un embryon de régime (art. 57A de
la loi du 23 décembre 1986), qui impose que le contrat soit conclu par écrit
pour une durée minimale de six ans reconductible tacitement ;
−− pour la location saisonnière ;
−− pour la location de résidence secondaire. L’article 2 de la loi du 6 juillet
1989 définit la résidence principale « comme le logement occupé au moins
huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de
force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à
charge » ;
−− pour la location en meublé. Ce type de location se voit toutefois également
appliquer le titre Ier bis de la loi du 6 juillet 1989 ;
−− pour les locations immobilières consenties à des personnes morales.
Il peut être noté que les articles 6 et 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 qui imposent
au bailleur de mettre à disposition un logement décent, s’appliquent également à la
location saisonnière, la location de résidence secondaire et à la location en meublé.

II. La place des statuts spéciaux

Les statuts spéciaux sont nombreux, ils ne seront ici qu’évoqués.


En premier lieu, les baux d’habitation ont fait l’objet de plusieurs lois.
• La loi du 1er septembre 1948 dont l’objectif était de plafonner les loyers et
de permettre au preneur de se maintenir dans les lieux sans limitation de
durée (il ne bénéficiait cependant plus de la qualité de locataire) à l’issue
du bail. Cette loi s’applique encore aujourd’hui aux locaux d’habitation ou à
usage professionnel construits avant 1948 et situés dans les grandes villes.
• La loi du 22 juin 1982, dont la particularité fut d’affirmer un « droit à
l’habitat » et de renforcer les droits du preneur (durée minimale du bail,
droit au renouvellement…). Cette loi fut abrogée par la loi du 23 décembre
1986 d’inspiration plus libérale.

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• La loi du 6 juillet 1989, toujours en vigueur, qui crée un « droit fondamental
au logement » (qualifié par le Conseil constitutionnel d’objectif à valeur
constitutionnelle) et qui constitue le droit commun du bail à usage
d’habitation. Elle s’applique donc aux locaux à usage d’habitation principale
ou à usage mixte (professionnel et d’habitation).
En deuxième lieu, le statut des baux commerciaux a été créé par un décret
du 30 septembre 1953, aujourd’hui codifié aux articles L. 145-1 et s. du Code de
commerce. Ces dispositions s’appliquent aux « aux baux d’immeubles ou de locaux
dans lesquels un fonds de commerce est exploité, que ce fonds appartienne soit à un
commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce, soit à un chef
d’entreprise immatriculé au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de
commerce » (art. L. 145-1 C. com.).

Attention

Il ne faut pas confondre le bail commercial et le bail de fonds de commerce.


Dans le premier, le preneur est propriétaire du fonds de commerce qu’il exploite.
Dans le second, c’est justement ce bien meuble incorporel qui fait l’objet du bail.

En troisième lieu, certains baux ruraux, sont également soumis à des statuts
spéciaux. Ainsi, du bail à ferme, régi par les articles L. 411-1 et suivants du Code rural
et de la pêche maritime, qui se définit comme la mise à disposition d’un immeuble
rural à un fermier qui en assure l’exploitation agricole à son profit moyennant le
paiement d’une contrepartie. C’est également le cas du métayage (art. L. 417-1 et s.
C. rur.) qui est le contrat « par lequel un bien rural est donné à bail à un preneur qui
s’engage à le cultiver sous la condition d’en partager les produits avec le bailleur ».
Lorsque le bail conclu par les parties ne réunit pas les conditions d’application des
textes spéciaux, le droit commun s’applique alors. Toutefois, elles peuvent décider
de soumettre conventionnellement leur contrat à un statut spécial (notamment
le statut du bail commercial ou le statut du bail d’habitation).

À retenir

−− Le droit commun du bail ne s’applique qu’à défaut de l’application d’un statut


spécial.
−− Si le texte spécial est muet sur un point, le droit commun a vocation à
s’appliquer de façon résiduelle.
−− Les principaux baux régis par des statuts spéciaux sont le bail d’habitation,
le bail commercial et les baux ruraux.

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Pour aller plus loin
−− A. Bénabent et Cl. Lucas de Leyssac, « La nature juridique des locations saisonnières »,
D. 1977, chron. p. 241.

Fiche 19 • L’articulation du droit commun du bail et des statuts spéciaux


−− J.-B. Seube, « L’electio juris en droit interne ou la soumission volontaire des parties
à un droit protecteur », in Liber amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz, 2004, p. 1009.
−− G. Lardeux, « Propositions pour une modernisation du régime juridique des baux
commerciaux et professionnels », RDC, 2004, p. 978.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Les parties à un bail d’habitation peuvent exclure l’application de la
loi du 6 juillet 1989 pour appliquer le droit commun du bail.
a : vrai ; b : faux
2. Le bail commercial est un bail qui porte :
a : sur un local ; b : sur un fonds de commerce
3. Le bail professionnel ne bénéficie pas d’un statut protecteur spécial.
a : vrai ; b : faux.
4. Lorsqu’un statut spécial est applicable à un contrat de bail, le droit
commun ne s’applique en aucun cas.
a : vrai ; b : faux.
5. Quel bail permet au preneur, après le terme du contrat, de demeurer
dans le local et l’occuper sans limitation de durée ?
a : le bail commercial ; b : le bail d’habitation ; c : le bail de la loi de 1948.

CORRIGÉ
1 : b. faux. L’application des statuts spéciaux est impérative, les parties ne
peuvent donc en exclure conventionnellement l’application.
2 : a. sur un local. Le bail commercial porte sur un immeuble. Le bail de fonds
de commerce est pour sa part régit par des dispositions particulières, aux
articles art. L. 114-1 et s. du Code de commerce.
3 : a. vrai. Le bail professionnel ne fait pas encore l’objet d’un statut spécial.
Seul un article (l’article 57A ajouté à la loi du 23 décembre 1986 par la loi du
6 juillet 1989) lui est destiné et entend assurer une certaine stabilité au preneur.
4 : b. faux. Le droit commun a toujours vocation à s’appliquer au moins de
façon résiduelle, c’est-à-dire lorsque le texte spécial ne régit pas un point
particulier visé par le droit commun.

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5 : c. le bail de la loi du 1er septembre 1948. Au terme du contrat, le preneur
bénéficie d’un titre légal d’occupation du logement, lui permettant de se
maintenir dans les lieux sans limitation de durée.

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Fiche 20
La formation du contrat de bail

I. Les conditions de formation tenant aux parties


II. Forme et preuve du bail
III. Le contenu du bail

Définition

Contrat à exécution successive. Un contrat est à exécution successive lorsque


l’exécution des obligations s’échelonne dans le temps.
Loyer. Le loyer est le prix du bail, qui correspond, en principe, au versement
périodique d’une somme d’argent par le preneur au bailleur.

I. Les conditions de formation tenant aux parties

Doivent ici être envisagées des questions relatives à la capacité, au pouvoir et


à l’existence de droits chez le bailleur et le preneur.

A. Quant au bailleur

Envisagé du côté du bailleur, le bail est, en principe, un acte d’administration.


La capacité d’administrer est alors requise. Cependant, lorsque le bail est conclu pour
une durée particulièrement longue, soit en raison du terme stipulé dans le contrat,
soit si un statut spécial accorde un droit au renouvellement au preneur (bail à ferme,
bail commercial), le bail devient un acte de disposition.
Tant que le bailleur dispose de toutes les prérogatives sur la chose, la conclu-
sion d’un contrat de bail ne pose pas de problème. Toutefois, la situation peut être
bouleversée lorsqu’il ne bénéficie pas de toutes les utilités de la chose ou de tous
les pouvoirs sur celle-ci :
−− lorsque le bailleur n’est pas propriétaire, mais usufruitier, au terme de l’usu-
fruit, le bail ne sera opposable au nu-propriétaire (redevenu plein propriétaire)
que pour une durée maximale de neuf ans. En outre, lorsque le bail conclu
octroie au preneur un droit au renouvellement, il doit être conclu avec l’accord
du nu-propriétaire, à peine de nullité (art. 595 C. civ.) ;

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−− lorsque le bailleur est indivisaire, il doit respecter les règles relatives à
l’indivision. Il convient donc d’appliquer l’article 815-3 C. civ. : « Le ou les
indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette
majorité : […] 4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant
sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal ». Les
autres indivisaires doivent toutefois être informés de la conclusion du bail,
à défaut, il leur serait inopposable ;
−− lorsque le bailleur est marié, et que le bien loué fait partie de la communauté,
chaque époux peut consentir un bail seul tant que celui-ci n’excède pas 9
ans, à peine de réduction. Si le contrat est un bail rural ou commercial, il
faut l’accord des deux époux.
Si le bailleur n’a aucun droit sur la chose, se pose la question du bail de la chose
d’autrui. Deux hypothèses doivent être distinguées :
−− en principe, un tel bail ne peut pas être remis en cause, car il ne transfère
pas de droits réels sur la chose. Entre les parties, le bail est alors valable.
Le locataire pourra néanmoins engager la responsabilité du bailleur s’il se
trouve troublé dans sa jouissance par le véritable propriétaire. En effet, le
bail est alors inopposable au véritable propriétaire, à moins que la théorie
de l’apparence puisse s’appliquer (dès lors que le preneur est de bonne foi) ;
−− si le titre qui fondait le droit du bailleur (par exemple son droit de propriété)
est anéanti rétroactivement ou non (exercice d’une faculté de réméré, annu-
lation, résolution…), le bail peut se maintenir, car la jurisprudence estime
que les actes d’administration ne sont pas touchés par l’anéantissement.

Illustration

Après avoir acheté un bien, l’acquéreur le loue. Postérieurement, la vente est


rétroactivement anéantie. Dans ce cas, les conséquences de l’annulation sont
limitées quant aux droits du preneur : le bail sera alors maintenu.

B. Quant au preneur

Du côté du preneur, le bail est également un acte d’administration, il doit donc


avoir la capacité nécessaire à la conclusion de tels actes.
Lorsque le preneur est marié, se pose le problème de la cotitularité du bail,
et plus particulièrement du bail d’habitation. Il faut ici appliquer l’article 1751 du
Code civil qui affirme que l’époux marié est cotitulaire du bail conclu par l’autre
époux, bien qu’il n’ait pas été partie à la conclusion du contrat. Chacun des époux
sera donc considéré comme étant locataire (dès lors par exemple, le bailleur, ayant
été mise au courant du mariage de son locataire et qui souhaiterait mettre un terme
au contrat devrait délivrer un congé à chacun des époux, à défaut, ce congé serait
inopposable à l’époux non destinataire).

152

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Illustration

Art. 1751 C. civ. « Le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou


commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur

Fiche 20 • La formation du contrat de bail


régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été
conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité,
dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir
à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité.
En cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en
considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de
la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des
droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.
En cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil
de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survi-
vant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce
expressément.».

II. Forme et preuve du bail

Le bail de droit commun est un contrat consensuel qui se forme par le seul échange
des consentements des parties. Aucune condition de forme n’est donc requise. Certains
baux spéciaux tels le bail rural ou le bail à usage d’habitation doivent cependant
être passés par écrit (art. L411-4 C. rural ; art. 3 de la loi du 6 juillet 1989).
Comme la vente, le bail peut faire l’objet d’une promesse unilatérale ou synal-
lagmatique.
Des difficultés peuvent toutefois naître quant à la preuve du bail, celles-ci
peuvent concerner la preuve de l’existence du bail ou de son contenu.
Concernant l’existence du bail, aucun problème ne se pose si le contrat a été
passé par écrit. Si, au contraire, il s’agit d’un bail oral, il faut distinguer :
−− si le bail n’a reçu aucune exécution, quel que soit le montant du bail (inférieur
ou supérieur à 1 500 €), l’on déroge à l’article 1359 : la preuve testimoniale
est donc écartée par l’article 1715. Seuls sont admissibles comme mode de
preuve l’aveu et le serment ;

Attention

L’avant-projet de réforme ne reprend pas cette disposition spéciale de l’article


1715. La preuve du bail devra donc s’opérer selon le droit commun bien qu’il n’ait
reçu aucun commencement d’exécution.

153

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−− si le bail a reçu un commencement d’exécution, la preuve du contrat peut alors
être rapportée par témoins ou par présomptions (il faudra toutefois avant
tout prouver, par tous moyens, l’existence du commencement d’exécution).
Concernant la preuve du contenu du bail, celle-ci doit être rapportée confor-
mément au droit commun de la preuve des articles 1359 et suivants du Code civil.
Cependant, lorsqu’il faut rapporter la preuve du montant du loyer, seuls sont admis
les quittances, le serment du bailleur ou l’estimation réalisée par un expert (art.
1716 C. civ.). La preuve de la durée du bail, pour sa part, ne peut être rapportée
que par écrit. À défaut, le contrat sera considéré comme ayant été conclu pour une
durée indéterminée.

Attention

Il ne faut pas confondre l’écrit en tant que preuve et l’écrit en tant que condition
de formation du contrat.

III. Le contenu du bail

A. La chose louée

Le bail peut porter, suivant l’article 1713, « sur toutes sortes de biens meubles
ou immeubles ». L’on doit toutefois ici ajouter que, bien entendu, seules les choses
dans le commerce peuvent faire l’objet d’un tel contrat.
La chose doit être déterminée dans le contrat (la détermination de l’objet ne
peut donc être laissée à la seule discrétion du bailleur) et exister. Le bail d’une
chose future est toutefois envisageable et rien ne s’oppose à sa conclusion : un tel
contrat prendrait alors effet au jour où la jouissance de la chose deviendra possible.
Une attention particulière doit être apportée à la destination du bien loué.
En effet, le bail ne permet au preneur de jouir de la chose que dans la mesure de
l’usage prévu au contrat. Les parties peuvent donc restreindre la jouissance de la
chose à tel ou tel usage.

Illustration

Les clauses d’habitation bourgeoise.


Ces clauses sont parfois stipulées dans les baux à usage d’habitation et
empêchent le preneur d’exercer une activité professionnelle dans les lieux loués.

154

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B. La durée du bail

Le bail est un contrat à exécution successive, la durée en est un élément essentiel.

Fiche 20 • La formation du contrat de bail


Il peut alors être conclu à durée déterminée (il prend alors fin à l’arrivée du terme)
ou à durée indéterminée, lorsqu’aucun terme n’a été prévu (chaque partie pourra
alors y mettre fin à tout moment en respectant un délai de préavis).

Attention

Le contrat de bail ne peut être perpétuel. Ainsi, un bail à durée déterminée,


qui permettrait au preneur de le renouveler seul (privant ainsi le bailleur de sa
faculté de résiliation) serait nul.

C. Le prix du bail

Le prix du bail est le loyer. Lorsque le bail est de droit commun, les parties
sont libres d’en fixer le montant (dans les statuts spéciaux, le montant du loyer est
souvent encadré notamment suite à un renouvellement). Au jour de la conclusion
du contrat, son montant doit être déterminé ou au moins déterminable.

À retenir

−− Le bail est du côté du bailleur comme du côté du preneur un acte d’admi-


nistration.
−− Si la durée du bail est longue, il peut devenir, du côté du bailleur, un acte
de disposition.
−− Le bail est un contrat consensuel, il peut dont être conclu par écrit ou par oral.
−− Le bail peut être à durée déterminée ou indéterminée.
−− Le bail étant un contrat à titre onéreux, il doit comprendre un loyer.

Pour en savoir plus


−− J. Azéma, La durée des contrats successifs, LGDJ, 1969.
−− M. Dagot, « La clause d’habitation bourgeoise (étude de jurisprudence) », JCP G 1967,
I, 2108.
−− R. Verdot, La notion d’acte d’administration en droit privé français, LGDJ, 1963.

155

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POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Un bail conclu pour la vie entière du locataire est un bail perpétuel.
a : vrai ; b : faux.
2. Un bail conclu sans écrit est nul.
a : vrai ; b : faux.
3. La preuve de la durée du bail peut être rapportée :
a : par écrit ; b : par tous moyens ; c : par expertise ; d : par le serment du
bailleur.
4. Le bail conclu par un usufruitier peut être annulé :
a : si le bail excède neuf ans ; b : lorsqu’il comprend un droit au renouvellement
pour le preneur ; c : lorsqu’il comprend un droit au renouvellement pour le
preneur et que le nu-propriétaire n’a pas donné son accord.
5. Lorsque le bien mis à bail est indivis, un indivisaire peut, agissant
seul, délivrer au locataire un commandement de quitter les lieux :
a : vrai ; b : faux

CORRIGÉ
1 : b. faux. Le bail conclu pour la vie entière est considéré comme un bail
conclu pour une durée déterminée (V. par exemple, Cass. civ. 3e, 18 janvier
1995, pourvoi no 92-17702).
2 : b. faux. Le bail (de droit commun) est consensuel, il peut donc être conclu
par oral.
3 : a. par écrit. L’écrit est le seul moyen de preuve admissible pour la preuve
de la durée du bail. À défaut d’écrit, le bail sera considéré comme étant à
durée indéterminée.
4 : c. lorsqu’il comprend un droit au renouvellement pour le preneur et que
le nu-propriétaire n’a pas donné son accord.
5 : a. vrai. La délivrance d’un commandement de quitter les lieux, qui intervient
après la résiliation ou le terme du bail, est un acte conservatoire, en ce
qu’elle constitue une mesure nécessaire à la conservation du bien indivis. Or
de tels actes ne nécessitent pas le consentement de tous les indivisaires ni
la majorité des 2/3 de l’article 815-3 C. civ.

156

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Fiche 21
Les obligations du bailleur

I. La délivrance de la chose louée


II. L’entretien de la chose louée
III. La sécurité et les garanties

Définition

Jouissance. La jouissance est le droit accordé à une personne d’user et de retirer


les fruits d’une chose.

Les obligations du bailleur sont détaillées dans le Code civil aux articles 1719 et
suivants, parfois complétés par les dispositions issues des statuts spéciaux. L’objet du
bail est la mise à disposition du bien au preneur. Toutefois, cette mise à disposition
ne saurait se limiter au seul fait de conférer une emprise sur la chose au preneur.
Bien au contraire, l’idée générale est d’accorder une jouissance d’une certaine qualité.
L’on enseigne classiquement que l’ensemble des obligations du bailleur se résume
dans l’idée qu’il doit conférer la jouissance paisible de la chose louée au locataire.
Par ailleurs, il est important de rappeler que le bail n’oblige en aucun cas le bailleur
à transférer un quelconque droit réel au locataire. Le fait de procurer la jouissance
paisible au locataire se résume donc à un rapport d’obligations entre les parties.

I. La délivrance de la chose louée

Le bailleur doit tout d’abord délivrer la chose, il s’agit d’une obligation essen-
tielle. Il doit donc mettre la chose à la disposition du preneur afin que ce dernier
puisse en devenir détenteur (remise de la chose elle-même, remise des clefs). Comme
l’obligation de délivrance dans le cadre d’un contrat de vente (V. fiche n° 12), celle
issue du bail doit être conforme à sa destination, et permettre au preneur d’user
de la chose comme le contrat le prévoit.
Par rapport à l’obligation de délivrance du vendeur, celle du bailleur présente
deux spécificités :

157

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−− si le bien loué constitue l’habitation principale du preneur, il doit s’agir d’un
« logement décent » (art. 1719 1°). La décence du logement est définie par un
décret du 30 janvier 2002, qui fixe notamment comme critère l’alimentation
du logement en eau courante, le respect de certaines normes de sécurité, une
superficie minimum (9 m2)… Cette exigence est d’ordre public, le bailleur ne
peut donc s’en exonérer par une clause du contrat ;

Illustration

Cass. Civ. 3e, 4 juin 2014, pourvoi n° 13-17289 :


Un bail est conclu et contient une clause prévoyant une réduction des loyers
en contrepartie de l’absence de chauffage du logement. Malgré cette stipulation
le bailleur est condamné à procéder à l’installation d’un système de chauffage par
la Cour de cassation qui affirme que « attendu, d’une part, qu’ayant exactement
retenu que la seule alimentation en électricité ne pouvait être considérée comme un
équipement ou une installation permettant un chauffage normal du logement, la cour
d’appel, qui a constaté que les lieux étaient dépourvus d’appareil de chauffage, en a
déduit, à bon droit, que la bailleresse avait manqué à son obligation de délivrer un
logement décent. Attendu, d’autre part, que l’obligation pour le bailleur de délivrer
un logement décent étant d’ordre public, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de
prendre en compte les stipulations du bail prévoyant la livraison d’un logement sans
appareil de chauffage en contrepartie d’un loyer réduit, a condamné à bon droit la
bailleresse à mettre en place une installation de chauffage ».

−− le bailleur doit également délivrer la chose « en bon état de réparation de


toutes espèces » (art. 1720). Cette obligation est large puisqu’elle vise toutes
les réparations, y compris donc les réparations locatives qui seront ensuite
mises à la charge du preneur (V. fiche suivante). Cette obligation n’étant
pas d’ordre public, les parties peuvent convenir d’en décharger le bailleur et
de les faire supporter par le preneur. La jurisprudence interprète toutefois
strictement ces clauses, qui ne doivent pas aboutir à décharger le preneur
de la totalité de son obligation de délivrance.

Illustration

Cass. civ. 3e, 9 juillet 2008, pourvoi n° 07-14631 :


« si le bailleur peut mettre à la charge du preneur, par une clause expresse du
bail, l’obligation de prendre en charge les travaux rendus nécessaires par la vétusté,
il ne peut, en raison de l’obligation de délivrance à laquelle il est tenu, s’exonérer
de l’obligation de procéder aux travaux rendus nécessaires par les vices affectant
la structure de l’immeuble ; qu’ayant retenu que les clauses du contrat de bail ne
dégageaient pas le propriétaire de son obligation de participer aux réparations

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rendues nécessaires en raison de la vétusté de l’immeuble et qu’il restait tenu des
vices structurels de l’immeuble, la cour d’appel […] en a exactement déduit que ces
travaux étaient à la charge du bailleur ».

Fiche 21 • Les obligations du bailleur


II. L’entretien de la chose louée

A. La notion d’obligation d’entretien

L’obligation d’entretien est le prolongement de la délivrance. Elle est prévue par


les articles 1719 2° (« entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel
elle a été louée ») et 1720 al. 2 (« Il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les
réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives »).
Le bailleur doit donc préserver la chose de son usure ou de la vétusté. Il doit donc
réaliser toutes les grosses réparations (tels les travaux de ravalement, la réparation
des murs ou toitures, le remplacement d’une chaudière). Une limite est cependant
apportée à cette obligation. Selon l’article 1722, le bailleur n’a pas à réaliser les
grosses réparations dues au cas fortuit et qui auraient entraîné une perte totale ou
partielle de la chose. La destruction de la chose en tout ou partie, entraîne alors
soit la résiliation du bail, soit, si le preneur le demande, une réduction du prix.
Cette obligation est interprétée de façon large par la jurisprudence.

Illustration

Cass. civ. 3e, 31 octobre 2006, pourvoi n° 05-18377 :


Dans cette affaire, les locataires d’un centre commercial laissé à l’abandon
agissent contre le bailleur sur le fondement de son obligation d’entretien. La
Cour d’appel avait débouté les demandeurs en considérant qu’aucune obligation
d’« assurer au locataire un environnement commercial favorable » ne pesait sur le
bailleur. La Cour de cassation censure cette décision en affirmant que le défaut
d’entretien avait pour effet de « de priver les preneurs des avantages qu’ils tenaient
du bail ».

L’obligation d’entretien n’est, en principe, pas d’ordre public (attention toutefois,


elle peut le devenir lorsqu’un statut spécial est applicable, notamment lorsqu’il s’agit
d’un bail à usage d’habitation). Les grosses réparations peuvent donc être transférées
au preneur. La jurisprudence se montre cependant particulièrement stricte dans
l’interprétation de telles clauses.

159

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Illustration

Cass. civ. 3e, 6 mars 2013, pourvoi n° 11-27331 :


Un bail comprenait une clause mettant à la charge du locataire les grosses
réparations prévues à l’article 606 du Code civil (en matière d’usufruit). À ce
titre, le bailleur demande au preneur le paiement de sommes correspondant à des
travaux de ravalement, à la réparation de la toiture et au remplacement d’une
chaudière. La Cour d’appel fait droit à sa demande, mais se voit censurée par la
Cour de cassation lui reprochant de ne pas avoir constaté « que des stipulations
expresses du contrat de bail commercial mettaient à la charge de la locataire les
travaux de ravalement, de toiture et de chauffage collectif ».

Néanmoins, le bailleur n’a pas à assurer toutes les réparations. L’article 1720
prévoit, en effet, que les réparations locatives ne sont pas à sa charge.

Attention

Si les réparations locatives ne sont pas à la charge du bailleur durant l’exécution


du contrat, il ne faut pas oublier qu’au titre de son obligation de délivrance, il
peut être contraint de les réaliser lors de l’entrée dans les lieux.

B. La sanction de l’inexécution de l’obligation d’entretien

En cas d’inexécution de l’obligation d’entretien, le preneur dispose des remèdes


que lui octroie le droit commun du contrat : résiliation, exécution forcée, dommages
et intérêts. Depuis l’ordonnance de réforme du droit des contrats, le preneur peut
également, dans un délai et à un coût raisonnables faire exécuter lui-même la répa-
ration aux frais du bailleur après l’avoir mis en demeure (art. 1222 C. civ.) L’exécution
en nature (c’est-à-dire le fait de contraindre le bailleur à réaliser les réparations à
sa charge) est privilégiée. D’ailleurs, si le bailleur offre d’exécuter son obligation
en nature, le preneur ne peut le lui refuser (celui-ci préférant une indemnisation
en argent).

Illustration

Cass. civ. 3e, 27 mars 2013, pourvoi n° 12-13734 :


« […] le preneur à bail de locaux à usage d’habitation, qui recherche la respon-
sabilité du bailleur pour défaut d’exécution de son obligation d’entretien, ne pouvant
refuser l’offre de ce dernier d’exécuter son obligation en nature, la cour d’appel, qui
a constaté que (le bailleur) offrait de réaliser les travaux, a pu en déduire, sans
modifier l’objet du litige, que le locataire ne pouvait demander une réparation en
équivalent ».

160

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Tant que l’absence de réparation par le bailleur ne rend pas la chose totalement
inutilisable, le preneur ne peut invoquer l’exception d’inexécution. Il ne peut donc
suspendre le paiement du loyer.

Fiche 21 • Les obligations du bailleur


III. La sécurité et les garanties

Comme dans la vente, le bail met à la charge du bailleur une obligation de sécu-
rité, la garantie des vices cachés et la garantie d’éviction.

A. L’obligation de sécurité

Sur le modèle de la vente, la jurisprudence a développé une obligation de


sécurité à la charge du bailleur. Il doit ainsi s’assurer d’avoir pris toutes les précau-
tions et d’avoir délivré toutes les informations au preneur lui permettant de jouir
paisiblement de la chose (il ne s’agit toutefois que d’une obligation de moyens). En
outre, en application de l’article 1387-7 du Code civil, le loueur de biens meubles
professionnels est tenu d’une obligation de sécurité du fait des produits défectueux.

Illustration

Cass. civ. 3e, 28 février 1990, Bull. civ. III, n° 63, pourvoi n° 88-14028 :
« […] la cour d’appel, qui a relevé que la société propriétaire ne s’était pas
assurée que toutes les précautions relatives à la sécurité des locataires avaient été
prises en raison de l’échafaudage qui constituait pour les voleurs un mode d’accès
facile protégé par des bâches, qu’elle n’avait donné aucune information aux habi-
tants de l’immeuble ni aucun conseil de prudence et de vigilance et qu’elle aurait
dû organiser un gardiennage spécial au moins de nuit, compte tenu de la période de
l’été où les appartements sont vides de toute occupation, a pu décider que la société
propriétaire avait manqué à son obligation d’assurer à la locataire une jouissance
paisible des lieux loués ».

B. La garantie des vices cachés

La garantie des vices cachés est prévue à l’article 1721 qui dispose qu’« il est dû
garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent
l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. S’il résulte de ces
vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l’indemniser ».
L’on retrouve ici les mêmes conditions que pour la vente : le vice doit empêcher
l’usage de la chose, être caché et ignoré du locataire lors de la conclusion du contrat.
La principale différence avec le régime de la garantie dans la vente tient au fait que
le bail est un contrat à exécution successive : le vice n’a donc pas à être antérieur

161

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à la conclusion du contrat. Autrement dit, un vice apparu en cours d’exécution
permettrait donc de déclencher la garantie.
Quant aux conséquences de la garantie des vices cachés, il n’est pas tenu compte
de la bonne ou de la mauvaise foi du bailleur. Le locataire pourra alors obtenir des
dommages et intérêts, une diminution du loyer et/ou la résiliation du contrat. Le
bailleur, pour sa part, n’est susceptible de s’exonérer de sa garantie qu’en démon-
trant la force majeure.
La garantie des vices cachés n’étant pas d’ordre public (sauf en matière de bail
à usage d’habitation), une clause limitative de garantie serait donc parfaitement
valable.

C. La garantie d’éviction

La garantie d’éviction se déduit non seulement de la formulation de l’article


1719 3° qui rappelle que « le bailleur doit faire jouir paisiblement le preneur de la
chose pendant la durée du bail », mais également des articles 1723 à 1727. Plusieurs
situations doivent être distinguées :
−− le bailleur doit garantie de son fait personnel. Il ne doit donc pas troubler
la jouissance paisible du locataire. À ce titre, il ne saurait modifier la desti-
nation (matérielle ou juridique) de la chose louée (art. 1723). Cette garantie
permet également d’assurer au locataire un certain respect de sa vie privée
et familiale. Ainsi, une clause du contrat interdisant au preneur d’héberger
ses proches ne peut être considérée comme valable ;
−− le bailleur doit garantir les troubles de droit émanant des tiers (les troubles
liés à une prétention juridique d’un tiers sur le bien loué). La garantie peut
alors mener soit à la résiliation du bail (éviction totale) soit à une diminution
du loyer ;
−− le bailleur n’a pas à garantir les troubles de fait émanant des tiers. C’est
alors au preneur d’assurer seul la défense de sa jouissance.

Illustration

Cass. 3e civ., 8 octobre 2015, pourvoi n° 14-20345.


Le preneur à bail d’un local professionnel subit des désordres dans l’immeuble
loué du fait de travaux de rénovation réalisés dans un immeuble mitoyen. Il assigne
alors le bailleur en exécution des travaux de remise en état et en dommages
et intérêts pour trouble de jouissance. La Cour d’appel rejette ses demandes en
retenant que la réparation du trouble de voisinage est fondée sur l’article 1382
(devenu l’article 1240) du Code civil et que ce trouble ayant été causé par un
tiers, il ne pouvait entraîner la condamnation du bailleur, ce dernier n’ayant pas
à garantir les troubles de fait émanant des tiers. L’arrêt est cassé par la Cour de
cassation. En effet, si la garantie d’éviction ne pouvait s’appliquer en l’espèce,

162

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le bailleur n’était pas dispensé « de son obligation de faire, pendant la durée du
bail, les réparations nécessaires autres que locatives ».

Fiche 21 • Les obligations du bailleur


−− le bailleur doit cependant garantir le fait de certaines personnes, liées avec
lui par un contrat (l’on pense par exemple au colocataire ou à la concierge).
La jurisprudence considère en effet que ces personnes ne peuvent être consi-
dérées comme de véritables tiers.

Illustration

Cass. Civ. 3e, 8 mars 2018, pourvoi n° 17-12536.


Une personne, locataire d’un appartement mis à bail par un office public
d’habitat, assigne son bailleur afin de le voir condamner à remédier à différents
troubles anormaux de voisinage (nuisances sonores nocturnes et violences)
causés par un autre locataire au sein du même immeuble. La Cour d’appel refuse
de prononcer la condamnation du bailleur au motif qu’il a adressé trois lettres
recommandées aux auteurs des troubles leur enjoignant de cesser les compor-
tements en question. La Cour de cassation casse l’arrêt en affirmant que « le
bailleur est responsable envers le preneur des troubles de jouissance causés par les
autres locataires ou occupants de l’immeuble et n’est exonéré de cette responsabilité
qu’en cas de force majeure ». En l’espèce, il pouvait donc être reproché au bailleur
de ne pas avoir engagé de procédure judiciaire de résiliation du bail à l’encontre
des fauteurs de trouble.

À retenir

−− L’ensemble des obligations du bailleur (délivrance, entretien, sécurité, garantie)


constitue l’obligation générale de faire jouir paisiblement le preneur.
−− La délivrance doit se faire en bon état de réparation et le bailleur doit délivrer
un logement décent au preneur.
−− L’obligation d’entretien vise à assurer « le clos et le couvert ».
−− Le bailleur doit garantie de son fait personnel, des troubles de droit émanant
des tiers, mais pas des troubles de fait émanant des véritables tiers.

Pour en savoir plus


−− J. Cayron, La location de biens meubles, préface Ph. Delebecque, PUAM, 1999.
−− F. Cohet-Cordey, « L’obligation de délivrance du bailleur dans les contrats de location
d’un bien immeuble », AJDI 2008, p. 1014.
−− J. Derruppé, La nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits
réels et des droits de créance, Toulouse, Dalloz, 1951.
−− J.-P. Le Gall, L’obligation de garantie dans le louage de chose, LGDJ, 1962.

163

9782340-030138_001_288.indd 163 22/02/2019 10:46


−− J. Monéger, « À propos de l’obligation de délivrer un logement décent », D. 2005, p. 305.
−− G. Pignarre, « À la redécouverte de l’obligation de praestare », RTD civ. 2001, p. 41.
−− J.-B. Seube, « Revirement sur l’étendue des obligations du bailleur dans un centre
commercial ? », RDC 2007, p. 385.

POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Pauvre Jacqueline ! Depuis qu’elle loue son studio elle va de désillusion
en désillusion. Une fissure dans la toiture cause des infiltrations d’eau
sur tout le plafond de son salon, celui-ci commence d’ailleurs à moisir.
Le chauffe-eau électrique ne fonctionne plus et cela fait maintenant
quinze jours qu’elle prend des douches glacées. Enfin, la porte d’entrée
donnant dans le hall de l’immeuble ne fermant pas, les intrusions sont
nombreuses la nuit dans l’immeuble. Les intrus faisant beaucoup de bruit,
Jacqueline ne ferme plus l’œil ! Le bailleur ne veut rien savoir, il lui a
d’ailleurs rappelé qu’une clause du bail à usage d’habitation le dispense
de tout entretien du studio. Jacqueline vous demande donc si elle peut
arrêter de payer les loyers afin de contraindre son cocontractant à mettre
un terme à son calvaire.

CORRIGÉ
Tout d’abord il faut s’interroger sur le point de savoir si la locataire peut
suspendre le paiement des loyers, autrement dit, invoquer l’exception
d’inexécution. En l’espèce, si les troubles apportés à la jouissance paisible
sont manifestes, le studio n’est pas totalement inutilisable. L’exceptio non
adimpleti contractus ne peut donc être invoquée.
Ensuite, il convient de se demander si d’autres remèdes existent.
Dans un premier temps, l’on doit remarquer que la clause invoquée par le
bailleur n’est pas valable. En effet, dans un bail à usage d’habitation, le
bailleur ne peut s’exonérer de son obligation d’entretien (art. 6 c. de la loi
du 6 juillet 1989).
Dans un deuxième temps, l’on peut constater que la réparation de la fissure
dans la toiture relève bien des grosses réparations (le clos et le couvert). Le
bailleur pourra alors être contraint, par une action en justice, à réparer cette
fissure et à pallier les conséquences qui en sont découlées (le remplacement
du plafond par exemple).
Concernant le chauffe-eau, la question se pose de savoir si son remplacement
relève d’une grosse réparation ou d’une réparation locative. La jurisprudence
considère en principe qu’une telle réparation relève de la préservation de

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l’usage de la chose louée. Si le chauffe-eau ne fonctionne pas la jouissance
paisible du studio est nécessairement troublée (V. par ex., Cass. civ. 3e,
29 avril 2009, pourvoi n° 08-12261). Dès lors, c’est bien au bailleur de réaliser

Fiche 21 • Les obligations du bailleur


une telle réparation.
Concernant enfin le trouble lié au bruit occasionné par les intrus, il convient
d’appliquer ici l’article 1725 C. civ. Le trouble provient de véritables tiers
(en ce sens qu’ils n’ont aucun lien avec le bailleur), or « le bailleur n’est pas
tenu de garantir le preneur des troubles que des tiers apportent par voie de fait
à sa jouissance ».
En conclusion, Ariane pourra intenter une action contre son bailleur pour
obtenir la réparation de la toiture et le remplacement du chauffe-eau sur
le fondement de son obligation d’entretien. Par contre, si elle entend faire
cesser le trouble lié aux intrus, elle devra agir seule, son bailleur ne pouvant
garantir le fait des tiers.

165

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Fiche 22
Les obligations du preneur

I. Le paiement du loyer
II. L’usage de la chose
III. La conservation et la restitution

Définition

Privilège mobilier. Un privilège mobilier est une sûreté réelle (en ce qu’elle accorde
un droit de préférence sur des biens) d’origine légale. En cas de non-paiement de
sa dette par le débiteur, le créancier privilégié peut saisir les biens compris dans
l’assiette de son privilège sans avoir à subir le concours des autres créanciers.

Les obligations du preneur sont prévues aux articles 1728 à 1735 puis aux
articles 1752 à 1755. Naturellement, le contrat étant un contrat onéreux, le locataire
doit tout d’abord payer le loyer. Puisque le bail est nécessairement limité dans le
temps, le preneur doit en outre conserver et restituer la chose. Enfin, est mise à sa
charge une obligation d’user du bien loué en bon père de famille et en respectant
la destination de la chose.

I. Le paiement du loyer

Le paiement que doit effectuer le preneur comprend plusieurs facettes. Il doit ainsi
non seulement payer le loyer convenu, mais également différentes charges (telles
dans le cadre d’un bail à usage d’habitation, les charges relatives à la copropriété
et la taxe d’enlèvement des ordures ménagères). Il peut également, spécialement
en matière de bail immobilier, être tenu de fournir au bailleur un dépôt de garantie
(qui ne peut être supérieur à un mois de loyer).

Attention

La pratique parle parfois de « chèque de caution » pour désigner le dépôt de


garantie. Cette terminologie n’est pas juridique. Une caution est une sûreté

166

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personnelle par laquelle une personne (la caution) s’engage à payer la dette d’un
tiers (le débiteur) si celui-ci ne le fait pas. L’expression « chèque de caution »
n’a donc pas de sens.

Fiche 22 • Les obligations du preneur


Le montant et les modalités du loyer sont fixés par les parties. Elles peuvent
ainsi convenir que le loyer sera payable à échéances régulières (par exemple tous
les mois), au terme du contrat, par anticipation…
En cas de non-paiement du loyer par le locataire, ce dernier court le risque d’une
résolution du contrat à ses torts et s’expose également au paiement de dommages
et intérêts.
Le bailleur bénéficie également d’un privilège mobilier portant sur l’ensemble
des biens meubles garnissant le local loué (art. 2332-1 C. civ.).
Le bail portant sur le logement des époux, même lorsqu’il a été conclu par
un époux agissant seul, les rend débiteurs solidaires du paiement des loyers. Le
bailleur peut donc demander le paiement intégral du loyer à n’importe lequel des
époux cotitulaires du bail (en application de l’article 220 C. civ.). Cette solidarité
prend fin en cas de divorce lors de la retranscription du jugement en marge de l’acte
de mariage et que le bail est attribué à un seul des époux.

Illustration

Cass. 3e, 22 octobre 2015, n° 14-23726 :


Cet arrêt porte sur le sort d’une clause de solidarité insérée dans un contrat
de bail passé par des époux à la suite de leur divorce et de l’attribution à l’un
des ex-époux du contrat. Précisément, la question se posait de savoir si le bail-
leur pouvait, en invoquant la clause de solidarité, demander à l’ex-époux, qui
n’habitait plus le logement, le paiement de loyers impayés par l’ex-épouse après
la retranscription du jugement de divorce. La réponse de la Cour de cassation
est négative. Dès lors que la solidarité légale a pris fin, le paiement des loyers
ne peut plus être demandé à l’époux ne résidant plus dans le logement, malgré la
présence dans le bail d’une clause de solidarité. Le divorce met donc fin à la coti-
tularité et à la solidarité légales, mais également à la solidarité conventionnelle.

Attention

En dehors de l’hypothèse des époux mariés, le congé délivré par un locataire


cotitulaire du bail ne met pas fin à son engagement solidaire (en présence d’une
clause de solidarité entre les locataires) avant le terme du bail.

167

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II. L’usage de la chose

Suivant l’article 1728 1°, le preneur doit non seulement user de la chose raison-
nablement, mais également respecter la destination prévue.

A. L’usage raisonnable de la chose

L’obligation d’user de la chose raisonnablement, qui implique un comportement


paisible du locataire, se définit essentiellement de façon négative par le fait que le
preneur ne doit pas commettre d’abus de jouissance (tapage nocturne, compor-
tement violent, transformation du bien loué en lieu de débauche…).

Illustration

TI Antony, 20 décembre 2012, n° 11-12.000490, Dalloz actualité, 3 avril 2013 :


Dans cette affaire, il a été considéré qu’un locataire qui avait recours à un
branchement électrique irrégulier (qui préexistait à la prise des lieux) manquait
à son obligation de jouir de la chose en bon père de famille. Le bail a alors pu
être résilié.

Les abus de jouissance peuvent aussi bien être le fait du locataire lui-même
que des personnes vivant avec lui. Cela se comprend quand on sait que le bailleur,
puisqu’il est propriétaire de la chose, peut voir sa responsabilité engagée par les
voisins, sur le fondement des inconvénients anormaux du voisinage, alors même que
les troubles seraient le fait du locataire.

Attention

Le locataire n’a pas à répondre des comportements préjudiciables causés par ses
visiteurs ou ses clients ou patients.

B. Le respect de la destination de la chose

La destination de la chose peut être déterminée par le contrat, elle est alors
expresse, ou résulter des circonstances, elle est alors tacite. Le respect de la desti-
nation signifie que, sans l’accord du bailleur, le locataire ne saurait user de la chose
autrement que suivant l’usage prévu. Le changement de destination unilatéralement
décidé par le preneur peut être sanctionné par la résiliation judiciaire du contrat
(mais également par les différents remèdes offerts par le droit commun : exécution
forcée, responsabilité contractuelle…).
Par exemple, si le bien est loué en tant que local à usage d’habitation, le preneur
ne peut y développer une activité commerciale sans l’accord bailleur. De la même

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façon, le contrat de location d’un véhicule de tourisme peut interdire au preneur de
participer à des courses automobiles à bord du bien loué.
La question peut devenir délicate lorsque le contrat comporte une clause

Fiche 22 • Les obligations du preneur


d’habitation bourgeoise. Selon la jurisprudence, une telle clause n’interdit pas
radicalement toute activité professionnelle dans le bien loué. Tout dépendra de la
formulation de la clause :
−− la clause peut ne pas empêcher l’exercice de toute activité professionnelle.
Sera alors interdit l’exercice d’une activité commerciale ou artisanale, mais
pas nécessairement celui d’une activité libérale ;
−− la clause peut également être totalement exclusive de toute habitation
autre que bourgeoise. Dans ce cas, toute activité professionnelle, y compris
libérale, y sera proscrite.
Le locataire doit également respecter la substance de la chose louée. Il ne doit
donc pas la dégrader, la modifier (même s’il s’agit d’une amélioration) sans l’accord du
bailleur. Par exemple, le locataire ne saurait abattre un mur, ou percer une fenêtre
dans le local loué. Le cas échéant, le locataire s’exposerait à devoir remettre le bien
en l’état voire à la résiliation du contrat.

III. La conservation et la restitution

Le locataire n’est qu’un détenteur précaire de la chose louée, il est donc de


l’essence du bail qu’il doive la restituer à son terme. Il doit cependant, selon l’article
1730 C. civ., restituer la chose « telle qu’il l’a reçue ». La restitution est donc précédée
d’une obligation de conservation.
Pour déterminer l’état de la chose au moment de la conclusion du contrat, peut
être dressé un état des lieux (obligatoire lorsqu’il s’agit d’un bail à usage d’habita-
tion). À défaut d’état des lieux, le preneur est présumé avoir reçu la chose en bon
état (art. 1731), la preuve contraire peut néanmoins être rapportée par tous moyens.
Pour restituer en bon état, le locataire doit donc entretenir et réparer le bien
d’une part, et supporter les pertes et dégradations d’autre part.

A. L’entretien et les réparations

Le preneur est tenu de réaliser, pendant l’exécution du bail, les réparations


locatives (prévues par l’article 1754 C. civ. par un décret du 26 août 1987). Il s’agit
des petites réparations rendues indispensables par l’usage quotidien de la chose
(remplacer le joint d’un robinet, changer les ampoules, remplacer un rideau de douche
usagé…). Lorsque ces réparations sont dues en raison de la vétusté ou de la force
majeure, le locataire n’y est toutefois pas tenu.

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En principe, le bailleur ne peut exiger du locataire qu’il exécute les réparations
qu’au terme du bail. En revanche, si l’absence de réparation compromet la solidité
de l’immeuble, le bailleur peut exiger du preneur qu’il les réalise avant le terme du
contrat.
Si le locataire ne procède pas à ces réparations, le bailleur est en droit d’obtenir
une indemnisation ou la remise en état du bien.
En cas de défaut d’entretien de la chose (hypothèse du locataire laissant le bien
loué à l’abandon), le bailleur peut demander la résiliation judiciaire du contrat.
Les améliorations qu’aurait pu apporter le locataire à la chose louée ne donnent
en principe lieu à aucune indemnité. Quelques exceptions peuvent cependant être
relevées :
−− s’il s’agit de construction, l’accession permet au bailleur d’en devenir propriétaire
(mais à la fin du bail seulement). L’article 555 C. civ. relatif à la construction
sur le terrain d’autrui a alors vocation à s’appliquer ;
−− le preneur dans un bail rural a droit à une indemnité pour les améliorations
apportées au bien loué ;
−− le preneur dans un bail à usage d’habitation peut également être indemnisé
si les travaux effectués relèvent de la loi du 12 juillet 1967.

B. Les pertes et les dégradations

L’article 1732 prévoit un régime particulier de responsabilité du locataire en


affirmant « qu’il répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouis-
sance à moins qu’il prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».
Les pertes et dégradations ayant eu lieu sans la faute du locataire sont celles
tirées de l’usure normale de la chose ou issues de la force majeure.
Le preneur répond donc de sa faute, mais également, selon l’article 1735 C. civ.,
de celle du fait « des personnes de sa maison » (membre de sa famille, personnes
hébergées, personnel de maison, entrepreneur intervenant dans le local loué…) et
des « sous-locataires ».

Attention

Si le preneur est contractuellement responsable du fait « des personnes de maison »,


il ne l’est pas du fait de celles qui ne résident pas dans le local loué ou qui n’y
seraient pas intervenues à titre professionnel à sa demande. Ainsi, il ne saurait être
considéré comme responsable de la faute d’un invité, d’un client ou d’un patient.

En cas d’incendie, un régime particulier de responsabilité est également prévu


par les articles 1733 et 1734. La démonstration de l’absence de faute du preneur ne
suffit pas à l’exonérer des pertes et dégradations dues à un tel évènement.

170

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Pour s’exonérer, il doit nécessairement démontrer que l’incendie est dû à la force
majeure, à un vice de construction ou qu’il a été communiqué par une maison voisine.
Toutefois, si le bailleur occupe également l’immeuble loué, il ne bénéficie des

Fiche 22 • Les obligations du preneur


articles 1733 et 1734 que s’il parvient à démontrer que l’incendie n’a pas commencé
dans la partie qu’il occupait.

Illustration

Cass. Civ. 3e., 28 janvier 2016, n° 14-28812.


Le bailleur d’un immeuble ravagé par un incendie pour une raison inconnue
agit contre son locataire (et l’assureur de ce dernier) sur le fondement de l’article
1733 C. civ. afin d’être remboursé des frais de relogement qu’il avait dû régler
à l’égard de certains de ses locataires et envers les occupants d’un immeuble
voisin également touché par l’incendie. La Cour de cassation estime alors « que le
dommage constitué par les frais de relogement des locataires de l’immeuble voisin,
dont (l’auteur du pourvoi) n’était pas le bailleur, concernait des tiers au contrat de
location pour lesquels les dispositions de l’article 1733 du Code civil présumant le
locataire responsable n’étaient pas applicables, la cour d’appel, qui a estimé souve-
rainement que (le bailleur auteur du pourvoi) ne démontrait pas, conformément à
l’article 1384, alinéa 2, du Code civil, l’existence d’une faute imputable (au locataire)
en a exactement déduit, sans violer le principe de réparation intégrale du préjudice
dès lors que le bailleur sollicitait l’indemnisation du préjudice subi par un tiers, que
(sa) demande […] devait être rejetée ».

À retenir

−− L’obligation principale du locataire est le paiement du loyer.


−− Le preneur doit jouir du bien en bon père de famille et respecter la destina-
tion de la chose.
−− Le preneur est tenu des réparations locatives et doit entretenir le bien.
−− Le preneur doit restituer le bien dans l’état dans lequel il l’a reçu et est
responsable des pertes et dégradations occasionnées par sa faute, celles des
gens de sa maison ou des sous-locataires.

Pour en savoir plus


−− F. Archer, « La responsabilité civile du propriétaire bailleur pour le trouble de voisinage
causé par son locataire », Defrénois 2001. 607
−− A. Danon, « L’action en résiliation du bail pour trouble de jouissance », Loyers et
copropriété 2016, étude 9.
−− A. Djigo, « La responsabilité du preneur du fait des gens de sa maison », Loyers et
copropriété 2000, p. 4.
−− Ph. de Belot, « Les réparations locatives », RDI, 1990, 163.

171

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POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Le docteur Michey, médecin généraliste, loue un appartement qu’il a
transformé en cabinet médical. Les voisins sont cependant excédés par
le fait que nombreux sont ses patients qui laissent dans l’escalier des
seringues et des sachets de drogue vides. Ayant été prévenu par le syndic
de l’immeuble, son bailleur entend donc résilier le bail. Ce dernier vous
informe également que l’appartement avait été loué en tant que local à
usage d’habitation (il comprenait une clause ainsi rédigée : « le locataire
s’interdit toute occupation autre que bourgeoise dans le local loué ») et
qu’il n’a jamais donné son accord pour que son locataire puisse y exercer
la médecine. Qu’en pensez-vous ?

CORRIGÉ
Deux questions se posent. Celle de savoir si le bailleur peut reprocher au
preneur le fait que ses patients dégradent l’immeuble et celle de savoir si le
locataire pouvait exercer une activité libérale dans l’appartement.
En ce qui concerne la première question, l’on sait que le preneur doit jouir en
bon père de famille du bien loué. Il doit donc éviter tout abus de jouissance.
Il répond également des agissements des personnes vivant avec lui. Toutefois,
il n’est pas responsable des agissements des personnes qui n’ont pas cette
qualité. Ainsi, les troubles créés par ses patients ne peuvent-ils lui être
reprochés (V. par ex. Cass. civ. 3e, 19 novembre 2008, Bull. civ. III, n° 174,
pourvoi n° 07-15508).
En ce qui concerne ensuite l’exercice de son activité libérale, il convient
d’analyser la clause d’habitation bourgeoise. Or, celle-ci est formulée de
façon exclusive, puisqu’elle interdit tout autre usage que celui d’habitation.
En exerçant son activité professionnelle sans l’accord du bailleur et en
contravention avec la clause du contrat, le locataire a modifié unilatéralement
la destination des lieux. Sur ce fondement, le bailleur pourra donc demander
la résiliation judiciaire du contrat de bail.

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Fiche 23
Circulation et extinction du bail

I. Circulation du bail.
II. Extinction du bail.

Définition

Date certaine. La date certaine d’un contrat résulte de son enregistrement, de


sa mention dans un acte authentique ou du décès d’une des parties. Lorsqu’elle
est certaine, la date ne peut être contestée par les tiers.

I. Circulation du bail

L’on appelle circulation du bail le fait que ce contrat est susceptible de voir ses
parties changer pendant son exécution, par le fait d’une cession, d’une transmission,
ou par la conclusion d’un contrat de sous-location.

A. Changement de bailleur

Le changement de bailleur pendant l’exécution du contrat peut intervenir pour


plusieurs raisons.
Le bailleur peut tout d’abord décider de vendre la chose louée. Selon l’article
1743, le bail est alors automatiquement transmis au nouveau propriétaire qui devient
alors le nouveau bailleur, du moins lorsque le bail a date certaine (art. 1377 C. civ.)
ou a été dressé par acte authentique.

Attention

En dehors de certains statuts spéciaux comme celui du bail à usage d’habitation


ou du bail rural, la transmission du bail de plein droit en cas d’aliénation de
la chose louée par le bailleur n’est pas d’ordre public. Aussi est-il possible de
prévoir par une clause du contrat que le bail prendra fin en cas de changement
de propriétaire. Le locataire aura alors droit à une indemnité.

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Puisque cette cession du bail n’a pas d’effet rétroactif, c’est le bailleur initial
qui est tenu de la restitution du dépôt de garantie versé par le preneur (à l’excep-
tion notable du cas du bail à usage d’habitation, pour lequel l’alinéa 8 de l’article
22 de la loi du 6 juillet 1989 impose la restitution au nouveau bailleur), de même
les arriérés de loyers doivent être payés à l’ancien bailleur (dès lors qu’ils visent
des loyers antérieurs à la cession, sauf bien entendu conclusion d’une cession de
créance entre l’ancien et le nouveau bailleur).
Si le bail n’a ni date certaine ni la forme authentique, la jurisprudence décide
que le bail est opposable à l’acheteur dès lors qu’il en a eu connaissance. Dans cette
hypothèse, si le preneur ne peut rapporter la preuve de la connaissance du bail par
l’acheteur, il pourrait être contraint de quitter les lieux.
Le bail peut ensuite être transmis de plein droit aux héritiers du bailleur en
cas de décès. Le décès du bailleur ne met donc pas fin au contrat, car il n’est pas
conclu intuitu personae.
Lorsque le paiement des loyers était garanti par un contrat de cautionnement,
celui-ci est également transmis avec le bail. Le nouveau bailleur dispose donc de la
même garantie que son auteur.

Illustration

Cass. A.P. 6 décembre 2004, pourvoi n° 03-10 713.


« […] en cas de vente de l’immeuble donné à bail, le cautionnement garantissant
le paiement des loyers est, sauf stipulation contraire, transmis de plein droit au
nouveau propriétaire en tant qu’accessoire de la créance de loyers cédée à l’acquéreur
par l’effet combiné de l’article 1743 et des articles 1692, 2013 et 2015 du Code civil ».

B. Changement de preneur

Le changement de preneur peut également intervenir pour différentes raisons.


Tout d’abord, le décès du preneur entraîne la transmission du bail à ses héritiers.
Les statuts spéciaux aménagent parfois la transmission. Ainsi, le décès du preneur
dans un bail à usage d’habitation peut emporter le transfert du contrat à certains
proches du défunt et notamment son partenaire dans le cadre d’un PACS.
Le bail peut également faire l’objet d’une cession à moins qu’une clause stipule
le contraire ou qu’un statut spécial écarte cette possibilité (comme c’est le cas de
la loi du 6 juillet 1989). Le locataire initial se voit alors remplacé par un nouveau
locataire. L’ensemble des droits et obligations du preneur est alors transmis au
nouveau locataire. Ce dernier prend donc la place du cédant pour l’avenir (en principe,
le nouveau preneur ne supporte donc pas les impayés du cédant). Cette opération
est qualifiée de cession de contrat et se voit donc appliquer les articles 1216 et
suivants du Code civil.

174

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Enfin, le bail peut faire l’objet d’une sous-location. Cette technique juridique
adjoint au bail initial un nouveau bail conclu par le locataire qui a alors, dans le
rapport avec le sous-locataire, la qualité de bailleur. Les effets de la sous-location

Fiche 23 • Circulation et extinction du bail


divergent selon le rapport concerné :
−− dans les rapports bailleur initial – preneur initial, la situation ne change
pas. Le preneur initial est toujours débiteur des loyers, et répond des dégra-
dations et pertes dues au fait du sous-locataire ;
−− dans les rapports bailleur initial – sous locataire, en l’absence de contrat
unissant ces parties n’ont en principe pas d’action contractuelle l’une contre
l’autre. Seules d’éventuelles actions délictuelles leur sont ouvertes, à la
condition toutefois de prouver l’existence d’une faute. Toutefois, l’article
1753 accorde au bailleur initial une action directe contre le sous-locataire
en paiement des loyers.
Dans les statuts spéciaux, la sous-location est en principe interdite, sauf stipu-
lation contractuelle contraire ou accord du bailleur. Cette règle pourrait être élargie
aux baux de droit commun par l’article 60 de l’avant-projet de réforme du droit des
contrats spéciaux qui interdirait par principe la sous-location sans l’accord du bailleur.

Attention

La cession de bail et la sous-location ne doivent pas être confondues. Dans la


cession, le locataire initial n’est plus le contractant du bailleur. Dans la sous-
location, le premier contrat de bail est maintenu.

II. L’extinction du bail

A. Les causes d’extinction

Le bail peut s’éteindre pour plusieurs raisons, certaines sont naturelles, d’autres
accidentelles.
Au titre des causes naturelles d’extinction du bail, doit être citée l’arrivée
du terme dans un bail à durée déterminée. Le bail prend alors fin sans qu’il soit
nécessaire de donner congé.
Si les parties ne souhaitent pas mettre un terme à la mise à disposition, trois
techniques permettent de la prolonger :
−− la prorogation permet aux parties de reporter le terme initialement prévu.
Le même contrat se poursuit alors, mais son extinction est reportée dans
le temps ;

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−− la reconduction entraîne la conclusion d’un nouveau bail à l’expiration du
contrat initial. La reconduction peut être expresse ou tacite. La manifesta-
tion tacite de la volonté de reconduire le bail doit être certaine : le bailleur
doit avoir laissé volontairement la jouissance de la chose au preneur après le
terme (pour s’opposer à la tacite reconduction, le bailleur doit exprimer sa
volonté de se voir restituer le bien, par exemple en délivrant un congé). En
cas de tacite reconduction, un nouveau bail est conclu, mais celui-ci est à
durée indéterminée (sauf clause contraire ou disposition contraire d’un statut
spécial, comme c’est le cas pour le bail à usage d’habitation) ;
−− le renouvellement, est proche de la reconduction à la nuance près qu’il est
nécessairement exprès et que les conditions (terme, contenu) peuvent différer
du contrat initial.
En principe, un bail à durée déterminée ne peut être résilié avant l’arrivée du
terme par la volonté unilatérale du preneur ou du bailleur. Seule la volonté des deux
parties a ce pouvoir. Par contre, le locataire dans un bail à usage d’habitation peut
résilier seul le contrat à tout moment, moyennant le respect d’un délai de préavis.
Quand le bail est à durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin par
une résiliation unilatérale qui prend alors le nom de congé. Celui-ci doit toutefois
respecter un délai de préavis.
Il existe ensuite différentes causes accidentelles d’extinction du bail.
En cas de perte de la chose louée, le bail disparaît (art. 1741 C. civ.).
L’article 1722 relatif à la perte de la chose par cas fortuit prévoit la résiliation
de plein droit du bail en cas de perte totale de la chose (cet effet prévu pour la
perte totale par cas fortuit dans le Code a été étendu par la jurisprudence à toutes
les causes de perte de la chose). Il est important de relever à cet égard que doit être
assimilée à une perte totale de la chose l’impossibilité absolue et définitive d’en user
conformément à sa destination (tel serait par exemple le cas dans l’hypothèse où le
bâtiment principal loué aurait été détruit par un incendie, mais que subsisterait des
locaux secondaires) ou la nécessité d’effectuer des travaux dont le coût excéderait
la valeur vénale du bien.
En cas de perte partielle par cas fortuit, le locataire a une option : il peut
demander une réduction du loyer ou la résiliation du contrat.

Attention

Si la perte partielle de la chose est causée par le cas fortuit, le locataire ne peut
pas contraindre le bailleur à procéder aux réparations. Par contre, si la perte
partielle est causée par le défaut d’entretien du bailleur, le locataire pourra le
contraindre à réaliser les réparations.

176

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Illustration

Cass. Civ. 3e, 8 mars 2018, n° 17-11439.


Un incendie survient dans un local à usage commercial de boulangerie faisant

Fiche 23 • Circulation et extinction du bail


l’objet d’un contrat de location. Le bailleur notifie au locataire la résiliation de
plein droit du bail pour perte de la chose louée, puis l’assigne en constatation
de la résiliation. La société locataire demande pour sa part la condamnation du
bailleur à remettre le local en état. La Cour d’appel retenant l’absence de perte
totale du bien condamne le bailleur à la remise en état en vertu de son obligation
de délivrance. Saisie sur le pourvoi du bailleur la Cour de cassation casse l’arrêt
en relevant que le bien étant devenu impropre à l’exploitation prévue au bail, le
contrat avait été résilié de plein droit, peu important le fait que la valeur des
travaux n’excède pas la valeur vénale du bien.

Le bail peut aussi être résilié en cas d’inexécution de leurs obligations par les
parties.
La résiliation en droit français est, depuis l’ordonnance de réforme du droit des
contrats, judiciaire ou unilatérale (art. 1224 C. civ.) : l’inexécution doit alors être
suffisamment grave et persister au jour du jugement.
Les parties peuvent écarter l’appréciation de la gravité de l’inexécution et
insérer une clause résolutoire dans le contrat. La mise en œuvre de la clause est
toutefois encadrée puisqu’elle doit notamment laisser au débiteur un temps suffisant
pour régulariser la situation. Avant de pouvoir invoquer le bénéfice de la clause, il
convient donc de mettre en demeure le débiteur. En outre la clause doit être mise
en œuvre de bonne foi.

Illustration

Cass. civ. 3e, 28 octobre 2009, inédit, pourvoi n° 08-16758.


Dans cet arrêt, après un défaut de paiement des locataires, le bailleur reprend
possession du local loué en changeant les serrures. La Cour d’appel considère
que la résiliation est imputable au preneur en raison de l’impayé. Censure de la
Cour de cassation qui estime que le bailleur a résilié unilatéralement le bail en
reprenant possession du local.

B. Les effets de l’extinction

L’extinction du bail entraîne la restitution du bien loué dans l’état dans lequel
il a été délivré au preneur (V. fiche précédente). La restitution peut d’ailleurs être
prononcée sous astreinte.
En matière immobilière, si le preneur ne restitue pas, donc demeure dans les lieux
sans droit ni titre, le bailleur peut agir en expulsion du locataire (dans un bail à usage
d’habitation, l’expulsion ne peut toutefois être prononcée entre le 1er novembre et
le 15 mars, à moins que le relogement des locataires ne soit assuré).

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L’occupant s’étant maintenu dans les lieux est alors redevable d’une indemnité
d’occupation au profit du bailleur.

Attention

L’indemnité d’occupation due par le preneur qui se maintient indûment dans les
lieux loués a une nature quasi délictuelle et non contractuelle puisque le contrat a
pris fin. Une clause de solidarité entre copreneurs limitée aux obligations contrac-
tuelles (rendant débiteurs solidaires les preneurs pour le paiement des loyers, des
charges ou réparations locatives) ne s’étend donc pas à l’indemnité d’occupation.

À retenir

−− Le bail est transmis au nouveau propriétaire en cas de vente ou de décès du


bailleur.
−− En cas de décès du preneur, le bail est transmis à ses héritiers.
−− Le preneur peut céder son bail ou sous-louer le bien loué.
−− Le bail à durée déterminée prend fin au terme du contrat, mais peut être
renouvelé, prorogé ou reconduit.
−− Le bail prend fin en cas de perte de la chose louée ou d’inexécution des
obligations par les parties.

Pour en savoir plus


−− D. Denis, « La cession de bail immobilier », D. 1976, chron. p. 269.
−− C. Fenardon, « Les conséquences de la vente du logement loué sur la durée du bail »,
JCP N. 2008, 1155.
−− C. Grimaldi, « L’effet du congé donné par tous à tous les colocataires : état des lieux
critique de la jurisprudence », RDC 2010, p. 917.
−− J. Néret, Le sous-contrat, LGDJ, 1979.
−− V. Pezzella, L’occupation immobilière. Étude de droit privé, thèse, Lyon 3, 2012.

POUR S’ENTRAÎNER

I. Question de cours
L’anéantissement du bail pour défaut d’exécution des obligations peut-il
être rétroactif ?

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CORRIGÉ
On enseigne parfois que l’extinction du bail, en tant que contrat à exécution

Fiche 23 • Circulation et extinction du bail


successive, pour défaut d’exécution des obligations, ne peut produire d’effets
rétroactifs. Il ne s’agirait donc que d’une résiliation qui ne produirait d’effets
que pour l’avenir. Pour autant, dans certains cas, cet anéantissement peut
produire un effet rétroactif. En effet, un arrêt rendu le 30 avril 2003 par
la troisième chambre civile de la Cour de cassation a pu affirmer que « la
résiliation (n’opère) pas pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté ».
Cette solution trouve, depuis la réforme du droit des contrats, écho dans
l’article 1229 al. 2 C. civ. qui dispose que « Lorsque les prestations échangées
ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat,
il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation
n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de
résiliation ». Partant, si le bail n’a jamais reçu d’exécution ou si après avoir été
correctement exécuté, une inexécution intervient (le bail a été exécuté, mais
ne l’est plus), la résolution du contrat pourra remettre en cause cette période.
Dans ce cas, le bailleur sera tenu de restituer les loyers perçus pendant la
période où le contrat n’a pas été correctement exécuté, et le preneur pourra
être tenu au paiement d’une indemnité d’occupation.

II. Cas pratique


Une SCI louait un appartement à usage d’habitation à un couple non
marié Luc et Ludivine. Les concubins ne s’entendant plus, ils ont pris la
décision de résilier le contrat et de donner congé au bailleur. Néanmoins,
à la suite de la résiliation, effective au 1er mars 2018, si Ludivine a
bien quitté les lieux, Luc, pour sa part s’est maintenu dans le logement
sans payer de loyer. La SCI entend agir en expulsion de ce dernier, mais
souhaite également que les loyers courants de la période du 1er mars
au 30 septembre (date à laquelle la SCI vous consulte) lui soient payés.
Or, sachant que Luc est totalement désargenté, elle entend faire jouer
une clause du contrat de bail stipulant que « les colocataires resteront
solidairement et indivisiblement tenus pour toutes les obligations nées du
présent bail » et demander le paiement de ces sommes à Ludivine. Qu’en
pensez-vous ?

CORRIGÉ
En l’espèce, le bail a été résilié (le maintien dans les lieux de Luc n’est donc
pas la conséquence d’un renouvellement, d’une prorogation ou d’une tacite
reconduction). Le paiement que demande la SCI n’est donc pas celui de loyers,
mais d’une indemnité d’occupation. Cette indemnité est due en raison de la
faute (non-contractuelle) de l’ancien preneur qui reste dans les lieux sans

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droit. Le paiement de cette indemnité d’occupation (qui n’est pas d’origine
contractuelle) ne saurait être, sauf clause contraire, demandé à l’ancien
preneur non fautif. Or la clause du bail ne vise que les obligations nées du
bail, seul Luc en est donc le débiteur.

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Fiche 24
Le prêt à usage

I. La nature du prêt à usage.


II. Les effets du prêt à usage.

Définitions

Contrat réel. Un contrat réel est un contrat qui se forme par la remise de la chose.
Le seul échange des consentements ne suffit donc pas à former un tel contrat.
Choses consomptibles. Les choses consomptibles sont celles qui se consomment
par le premier usage telles les denrées alimentaires ou la monnaie que l’on utilise
en la dépensant.

Le prêt à usage ou commodat (le terme de commodat a été supprimé par la loi
de simplification du droit du 12 mai 2009) est un contrat par lequel une partie,
l’emprunteur, reçoit un bien de l’autre partie, le prêteur, pour s‘en servir, à charge
de le restituer en nature. Il est régi par les articles 1875 à 1891 du Code civil.
Initialement conçu comme un contrat de bienfaisance conclu entre amis, le prêt à
usage voit aujourd’hui son domaine d’application quelque peu bouleversé. Il est, en
effet, devenu un contrat ayant parfois pour vocation de s’insérer dans les relations
d’affaires ou commerciales. Ses applications sont donc diverses : qu’un étudiant en
droit prête son Code civil à l’un de ses camarades, qu’une grande surface prête à ses
clients des chariots afin d’y entreposer leurs achats, ou qu’une compagnie pétrolière
prête à son cocontractant les cuves destinées à stocker du carburant, l’essence du
contrat est toutefois inchangée.

I. La nature du prêt à usage

A. Identification du prêt à usage

Le prêt à usage présente plusieurs caractéristiques permettant de le distinguer


d’autres contrats.

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Il porte sur une chose non consomptible, que celle-ci soit corporelle (une
automobile, un téléphone, un livre…) ou incorporelle (un brevet, une enseigne…),
mobilière ou immobilière. Si la chose prêtée est consomptible, le contrat est alors
qualifié de prêt de consommation.

Attention

Une chose consomptible peut faire l’objet d’un prêt à usage lorsque l’usage prévu
par le contrat n’est pas la consommation de la chose (par exemple le prêt de
pièces de monnaie en vue d’être exposées).

L’emprunteur se voit remettre la chose pour qu’il s’en serve pendant un certain
temps. Plusieurs conséquences découlent de cette affirmation.
Tout d’abord, le prêt usage est conclu dans l’intérêt de l’emprunteur, ce qui permet
de distinguer ce contrat du dépôt (contrat conclu dans l’intérêt du remettant : le
déposant) dans lequel celui qui reçoit la chose doit en assurer la garde. Ensuite, l’usage
prévu est temporaire (le contrat peut être à durée déterminée ou indéterminée). Au
terme du contrat, l’emprunteur doit donc restituer le bien, le prêt à usage n’étant
pas translatif de propriété.
Le prêt à usage est un contrat essentiellement gratuit. Sa nature gratuite
permet notamment de distinguer d’un contrat de bail. La stipulation d’un prix (un
loyer par exemple), d’une contrepartie à l’usage de la chose, entraîne en principe
la requalification du contrat.
La gratuité n’exclut toutefois pas que le prêt puisse être intéressé. Cela signifie
que le prêteur peut retirer un avantage du contrat (ainsi, lorsqu’un supermarché
prête des chariots à ses clients, il n’est pas totalement désintéressé). Rechercher
la gratuité du prêt à usage, revient donc à analyser l’absence de contrepartie. Le
prêt à usage peut donc conserver sa nature gratuite sans pour autant être animé
par un esprit de bienfaisance.

Illustration

Cass. civ. 3e, 14 janvier 2004, pourvoi n° 02-12663 :


Un contrat appelé prêt à usage par les parties est conclu en matière agricole.
Le contrat prévoyait que l’emprunteur devait payer différentes charges afférentes
à l’exploitation du bien et notamment la taxe foncière. La Cour de cassation
requalifie le contrat en bail rural, en raison de la contrepartie que devait verser
l’emprunteur, le prêt n’étant pas véritablement gratuit.

182

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B. Formation et preuve du prêt à usage

Le prêt à usage est un contrat réel, pour être valablement formé, les parties

Fiche 24 • Le prêt à usage


doivent non seulement échanger leur consentement, mais en outre, le prêteur doit
remettre la chose (procéder à ce que l’on appelle la tradition réelle) à l’emprunteur.
Avant cette remise, le prêt n’est pas conclu (au mieux l’accord des volontés forme
une promesse de prêt, insusceptible d’exécution forcée en nature).

Attention

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux revient sur le caractère


réel du prêt à usage en affirmant à l’article 101 que « Le prêt à usage est un
contrat consensuel. Il est valablement formé dès que les parties sont convenues
du bien ». L’objectif de cette qualification est de permettre de donner toute sa
force à la « promesse » de prêt à usage qui pourrait dès lors devenir susceptible
d’exécution forcée.

C’est à celui qui invoque le prêt à usage d’en rapporter la preuve (en pratique, il
s’agit souvent du prêteur qui entend se faire restituer la chose). Il convient alors de
rapporter non seulement la preuve de la remise (par tous moyens), mais également
la preuve du titre. Le droit commun de la preuve (un écrit est nécessaire au-delà
de 1 500 €) et ses exceptions (notamment l’impossibilité morale de préconstituer
un écrit) s’appliquent alors.
Enfin, le commodat est, pour le prêteur et l’emprunteur, un simple d’acte d’admi-
nistration.

II. Les effets du prêt à usage

Puisque le prêt à usage est un contrat réel, la remise de la chose à l’emprunteur


n’est pas une obligation, mais une condition de formation du contrat. Dès lors,
on considère que le prêt à usage est un contrat unilatéral : aucune obligation ne
pèse en principe sur le prêteur, seul l’emprunteur est alors débiteur d’obligations.
Toutefois, ce contrat devient parfois synallagmatique imparfait.

A. La situation de l’emprunteur

L’emprunteur jouit d’un droit personnel d’usage de la chose (il n’a donc pas de
droit réel). L’usage peut être limité (art. 1880 C. civ.) par la nature de la chose (ne
pas utiliser un véhicule de tourisme pour une compétition automobile) et par la
convention qui peut prohiber tel ou tel usage particulier.

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Si l’emprunteur ne respecte pas cette double limite, il engage sa responsabilité
contractuelle et est alors tenu des risques de perte fortuite de la chose.
L’usage de la chose doit être personnel (ce qui exclut par principe l’hypothèse
d’un sous-prêt), car le prêt à usage est en principe conclu intuitu personae. Cette
question est cependant débattue notamment en raison du fait que le prêt est transmis
aux héritiers en cas de décès du prêteur ou de l’emprunteur (art. 1879 C. civ.).
L’article 1886 C. civ. laisse à la charge de l’emprunteur les dépenses liées à
l’usage de la chose (dépense de carburant pour le prêt d’une voiture, dépense de
nourriture pour le prêt d’un animal…).
Par le prêt à usage, l’emprunteur se rend débiteur de deux obligations principales.
Tout d’abord, il est tenu « de veiller en bon père de famille, à la garde et à la
conservation de la chose prêtée » (art. 1880 C. civ.). Cette obligation de garde et
de conservation se traduit, en cas de perte ou de dégradation de la chose pendant
le prêt, par un renversement de la charge de la preuve : la jurisprudence fait peser
sur l’emprunteur une présomption de faute.
Pour s’exonérer, l’emprunteur doit rapporter la preuve de son absence de faute
ou de la force majeure : concrètement il devra donc prouver qu’il a bien conservé la
chose prêtée. Il pourrait également démontrer que la perte est due à l’usage normal
de la chose. Si la cause de la perte est inconnue, l’emprunteur en est responsable.
Son obligation serait donc de moyens renforcée ou de résultat atténuée.

Illustration

Cass. civ. 1re 6 février 1996, Bull. civ. I, n° 68, pourvoi n° 94-13388 :
« […] en cas de perte d’une chose ayant fait l’objet d’un prêt à usage ou
commodat, l’emprunteur peut s’exonérer en rapportant la preuve de l’absence de
faute de sa part ou d’un cas fortuit ».

En vertu de l’adage res perit domino (V. fiche n° 11) le prêteur supporte le risque
de perte ou de détérioration de la chose par cas fortuit. Le Code prévoit cependant
trois exceptions :
−− si la chose a été employée pour un autre usage ou pour un temps plus long
qu’elle ne le devait (art. 1881 C. civ.) ;
−− si l’emprunteur a préféré sauver ses propres biens et non le bien prêté (art.
1882 C. civ.) ;
−− si la chose a fait l’objet d’une estimation lors du prêt (art. 1883 C. civ.).
Ensuite, puisque la mise à disposition de la chose n’est que temporaire, l’emprunteur
est tenu d’une obligation de restitution, c’est l’obligation essentielle du contrat.
La restitution doit être réalisée en nature : l’emprunteur doit restituer la chose
même qui lui a été prêtée ainsi que ses accessoires (mais il peut en conserver les
fruits).

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Le principal problème lié à la restitution est de déterminer le moment où la
chose doit être restituée. Ici encore faut-il distinguer :
−− si un terme a été convenu dans le contrat : le prêt est à durée déterminée

Fiche 24 • Le prêt à usage


et l’emprunteur doit restituer à ce moment. Le prêteur n’a pas à mettre son
cocontractant en demeure. Si chez le prêteur naît un « besoin pressant et
imprévu de sa chose » (art. 1889 C. civ.) il peut demander au juge d’obliger
l’emprunteur à la lui rendre ;
−− si la chose a été prêtée pour un usage déterminé et ponctuel (par exemple
le prêt d’un Code civil pour le temps d’une période d’examen), la durée est
déterminable et l’emprunteur ne doit restituer la chose qu’après que la chose
a servi à l’usage convenu ;
−− si aucun terme n’a été convenu et qu’aucun terme naturel ne peut être fixé, le
contrat est à durée indéterminée, le prêteur peut y mettre fin à tout moment
en respectant un délai de préavis.

Illustration

Cass. civ. 3e, 19 janvier 2005, Bull. civ. III, n° 12, pourvoi n° 03-16623 :
« […] l’obligation pour le preneur de rendre la chose prêtée après s’en être servi
est de l’essence du commodat ; […] lorsqu’aucun terme n’a été convenu pour le prêt
d’une chose d’un usage permanent, sans qu’aucun terme naturel soit prévisible, le
prêteur est en droit d’y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis
raisonnable ».

B. La situation du prêteur

Le prêteur doit laisser l’usage de la chose à l’emprunteur pendant le prêt. Il s’agit


essentiellement d’une abstention de la part du prêteur qui ne doit pas troubler
l’usage conféré à son cocontractant.

Attention

Le prêteur n’est pas tenu, contrairement au bailleur, d’une obligation d’entretien


de la chose. Il n’a donc pas à entretenir la chose en état de servir à l’usage pour
lequel elle a été remise (V. CA Reims, 9 décembre 2002, JCP 2003, IV, 2501).

En outre, le prêteur est tenu des dépenses liées à la conservation de la chose


(art. 1890 C. civ.). Plus précisément, l’on vise ici les dépenses extraordinaires et
nécessaires faites par l’emprunteur pour la conservation de la chose pendant le
prêt qui se sont avérées tellement urgentes qu’il n’a pu en avertir le prêteur (par
exemple, les frais de vétérinaire exposés par l’emprunteur afin de soigner l’animal
prêté). Ce dernier est alors tenu de les rembourser à l’emprunteur.

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Dans une telle hypothèse le prêt à usage perd en quelque sorte sa qualification
de contrat unilatéral, il devient alors synallagmatique imparfait.

Attention

Pour obtenir le paiement des sommes dues au titre des dépenses extraordinaires
et nécessaires de conservation, l’emprunteur ne dispose d’aucun droit de réten-
tion sur la chose.

Illustration

Cass. Civ. 1re 13 juillet 2016, n° 15-10474.


Un emprunteur occupe un immeuble au titre d’un prêt à usage pendant 10 ans
et procède à un grand nombre de réparations et d’améliorations afin de pouvoir
user du bien et ayant augmenté de façon significative la valeur de l’immeuble. À
l’issue du contrat, l’emprunteur demande la répétition des sommes exposées au
prêteur. La Cour d’appel, considérant que l’absence de répétition ferait disparaître
la gratuité du prêt ordonne la restitution des sommes. La Cour de cassation, au
visa des articles 1886 et 1890 du Code civil casse l’arrêt en affirmant « qu’en vertu
du second de ces textes, seules peuvent être répétées les dépenses extraordinaires,
nécessaires et tellement urgentes que l’emprunteur n’a pu en prévenir le prêteur ;
que, selon le premier, toutes autres dépenses que ferait l’emprunteur, y compris pour
user de la chose, ne sont pas soumises à répétition ».

Enfin, le prêteur est tenu d’une garantie des vices cachés atténuée, puisqu’il
est tenu de réparer les dommages causés par les vices non apparents, mais connus
de lui de la chose prêtée (art. 1891). La jurisprudence se montre cependant moins
indulgente avec le prêteur lorsque le prêt est intéressé ou s’insère dans une relation
d’affaires.

À retenir

−− Le prêt à usage est un contrat réel, essentiellement gratuit, conclu dans


l’intérêt de l’emprunteur.
−− L’emprunteur a un droit personnel d’usage sur la chose prêtée limité par le
contrat ou par la nature de la chose.
−− L’emprunteur a deux obligations principales : une obligation de garde et de
conservation de la chose et une obligation de restitution.
−− Les dépenses extraordinaires, nécessaires et urgentes que l’emprunteur a
exposées doivent lui être remboursées.

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Pour en savoir plus
−− C. Benos, « L’altruisme dans le contrat de prêt à usage », D. 2013, p. 2358.
−− Ph. Bihr, « Le temps de la restitution dans le prêt à usage », in Propos sur les obligations

Fiche 24 • Le prêt à usage


et autres thèmes fondamentaux du droit, Mélanges offerts à J.-L. Aubert, Dalloz, 2005,
p. 33.
−− R. Fabre, « Le prêt à usage en matière commercial », RTD civ. 1977, p. 193.
−− D. Guével, « La gratuité intéressée : oxymore d’avenir ? », in Mélanges Goubeaux G.,
LGDJ - Lextenso, 2009, p. 229.
−− M.-N. Jobard-Bachelier, « Existe-t-il encore des contrats réels en droit français », RTD
civ. 1985, p. 1.
−− C. Mauro, « Permanence et évolution du commodat », Defrénois 2000, art. 37226.
−− B. Ménard, « Le régime du prêt à usage : quand la Cour de cassation refuse d’opérer une
lecture renouvelée des articles 1886 et 1890 du Code civil », RLDC, mars 2017, n° 146.
−− M.-L. Morançais-Demeester, « La responsabilité des personnes obligées à restitution »,
RTD civ. 1993, p. 757.
−− A.-C. Réglier, « L’obligation de restitution dans le contrat de prêt à usage à durée
indéterminée », Dr et patr., octobre 2009, p. 50.
−− J.-F. Sagaut, « Le commodat, un prêt bien accommodant », RDC 2006, p. 929.
−− J.-B. Seube, « Le prêt à usage à titre onéreux est un bail », RDC 2004, n° 3, p. 708.

POUR S’ENTRAÎNER

I. Question de cours
Le terme du prêt à usage à durée indéterminée.

CORRIGÉ
Le prêt à usage peut ne pas stipuler de terme précis ni comprendre de terme
naturel. Il peut donc être conclu pour une durée indéterminée l’usage n’a pas
en lui-même (naturellement) vocation à cesser (tel est par exemple le cas du
prêt d’un immeuble destiné à l’habitation de l’emprunteur). Toutefois se pose
alors la question de savoir à quel moment l’emprunteur doit restituer la chose
prêtée. Cette question délicate a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle
quelque peu particulière. En principe, le droit commun des contrats à durée
indéterminée devrait s’appliquer, permettant à chaque partie d’y mettre un
terme à tout moment, moyennant le respect d’un délai de préavis. Cependant,
dans un arrêt rendu le 19 novembre 1996 (n° 94-20446), la première chambre
civile a pu affirmer que « le prêteur à usage ne peut retirer la chose prêtée
qu’après que le besoin de l’emprunteur a cessé ». Particulièrement protectrice
des intérêts de l’emprunteur (notamment lorsque le bien prêté lui sert de
logement), une telle solution heurtait manifestement les droits du prêteur (en

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principe, le besoin de se loger peut durer toute la vie de l’emprunteur). Aussi,
la Cour de cassation est-elle revenue sur cette position le 12 novembre 1998
(n° 96-19549) en décidant que dans un tel prêt, c’est au juge qu’il revient d’en
fixer le terme raisonnable. Cette décision pouvait paraître plus respectueuse
des intérêts des parties, mais méconnaissait néanmoins l’essence même du
commodat qui est en principe un service gratuit du prêteur. Partant, la Cour
de cassation est aujourd’hui revenue à l’application du droit commun des
contrats à durée indéterminée depuis un arrêt rendu le 3 février 2004 et
affirme désormais que « l’obligation pour le preneur de rendre la chose prêtée
après s’en être servi est de l’essence du commodat ; que lorsqu’aucun terme n’a
été convenu pour le prêt d’une chose d’un usage permanent, sans qu’aucun terme
naturel soit prévisible, le prêteur est en droit d’y mettre fin à tout moment, en
respectant un délai de préavis raisonnable ».

II. Cas pratique


Maxime Lelong ayant pris une année sabbatique de janvier à décembre 2017,
a décidé de prêter son appartement à l’un de ses amis Xavier Lacharge.
Courant 2018, après avoir récupéré son appartement, Maxime a reçu la
facture portant sur différentes charges du syndic de copropriété sur
laquelle figure notamment les frais liés à l’enlèvement des ordures et à
l’entretien de l’ascenseur. Maxime a demandé le règlement de ces charges
à Xavier qui refuse de les assumer. Qu’en pensez-vous ?

CORRIGÉ
Le prêt à usage est par essence gratuit (art. 1876 C. civ.), cette caractéristique
permettant de le distinguer du bail. Pour autant cette gratuité n’est pas
exclusive du paiement par l’emprunteur de certaines sommes, notamment
si celles-ci correspondent à des charges qui incombent à l’occupant privatif
d’un immeuble (taxe d’habitation, charges locatives…). L’emprunteur peut
donc avoir à assumer des dépenses de fonctionnement liées à l’usage du
bien, comme celles dont le paiement est demandé par Maxime (en ce sens,
V. Cass. Civ. 1re, 17 janvier 2018, n° 16-15233), tant qu’elles n’équivalent pas
au paiement d’un loyer.

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Fiche 25
Le prêt de consommation

I. La nature du prêt de consommation.


II. La formation du prêt de consommation.
III. Les effets du prêt de consommation.

Définitions

Chose fongible. Les choses fongibles sont celles qui ne sont déterminées qu’en
quantité et qualité. On les oppose aux corps certains.
Chose consomptible. Une chose consomptible est une chose qui se consomme par
le premier usage, que l’on ne peut utiliser qu’en la consommant ou en la détruisant.

Le prêt de consommation, également appelé « simple prêt » ou mutuum, est défini


par l’article 1892 du Code civil comme le « contrat par lequel l’une des parties livre à
l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge pour
cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ».

I. La nature du prêt de consommation

Le prêt de consommation est un contrat unilatéral, à titre gratuit ou onéreux,


portant sur une chose fongible et consomptible (A) et emportant mécaniquement le
transfert de propriété des choses prêtées (B). L’archétype du prêt de consommation
est le prêt d’argent. Néanmoins, la particularité de cette opération a conduit les
codificateurs à régir ce contrat par le biais de dispositions spécifiques relatives aux
prêts à intérêts (les articles 1905 à 1914 du Code civil).

A. Distinctions

Tel que défini par l’article 1892 du Code civil, le prêt de consommation est celui
qui porte sur une chose consomptible et fongible. Si la chose prêtée n’a pas ce
caractère, le contrat doit alors être qualifié de prêt à usage. En effet, dans cette
hypothèse, l’emprunteur ne devrait pas restituer une chose « de même espèce et

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qualité », mais bien la chose elle-même. Dès lors, le mutuum n’a pas véritablement
pour objet l’usage de la chose, il porte plutôt sur sa consommation. La conséquence
principale à tirer de cet élément est que la restitution ne s’opérera pas en nature,
mais par équivalent. Un tel contrat ne saurait donc porter sur un immeuble ou sur
un corps certain mobilier.

Attention

Le prêt de consommation porte en principe sur une chose consomptible et fongible,


mais, par exception, il peut également porter sur une chose non consomptible
dès lors que l’emprunteur est autorisé à l’utiliser et à la consommer. C’est notam-
ment le cas du prêt de titres de sociétés consenti par une entreprise à certains
intermédiaires financiers (art. L 211-22 CMF).

À l’inverse du prêt à usage, si le prêt de consommation peut être conclu à titre


gratuit, la gratuité ne participe pas de l’essence de ce contrat. Le mutuum peut
donc être consenti soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. Ce caractère se déduit
de l’article 1905 du Code civil (« il est permis de stipuler des intérêts pour simple prêt,
soit d’argent, soit de denrées, ou autres choses mobilières »). Lorsqu’il est conclu à
titre onéreux, ce contrat le rapproche alors du contrat de bail, qui permet au loca-
taire de jouir de la chose moyennant un loyer. Toutefois, une distinction s’opère
au regard de la nature de la chose prêtée : le prêt de consommation ne peut être
conclu que sur une chose consomptible et fongible, alors que le contrat de location
ne porte que sur des corps certains. En outre, il est, à la différence du contrat de
bail, translatif de propriété.
Comme l’échange, le prêt de consommation opère un transfert de la propriété
de la chose. La différence entre ces deux contrats tient toutefois au fait que dans
le prêt de consommation la restitution porte sur une chose identique, alors que
dans l’échange les choses échangées doivent être différentes.
Le prêt de consommation et le dépôt irrégulier sont, enfin, proches puisque,
contrairement au dépôt classique, le dépôt irrégulier permet au dépositaire d’utiliser
la chose et d’en restituer une semblable. La différence porte sur l’intérêt accordé par
le contrat à l’une ou l’autre des parties. Alors que le dépôt irrégulier est conclu dans
l’intérêt du déposant, le prêt de consommation l’est dans l’intérêt de l’emprunteur.
De nombreuses différences quant aux régimes de ces contrats découlent de cette
distinction.

B. Nature translative de propriété

Dans sa première partie, l’article 1893 dispose que « par l’effet de ce prêt, l’emprun-
teur devient le propriétaire de la chose prêtée ». Puisque le prêt de consommation
permet non seulement d’user de la chose, mais également de la consommer, ce contrat

190

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est considéré comme emportant un transfert de propriété de la chose prêtée. Cela
se comprend aisément. Le mutuum porte sur une chose consomptible, dont l’utili-
sation n’est concevable qu’en la consommant, en l’aliénant (la consommation peut

Fiche 25 • Le prêt de consommation


être matérielle, c’est le cas d’un prêt portant sur du bois destiné à l’édification d’un
immeuble, ou civile, c’est le cas de l’argent). L’usus emporte donc mécaniquement
l’acquisition de l’abusus. Par exemple, lorsque le prêt de consommation porte sur de
l’argent, l’emprunteur ne saurait utiliser cet argent qu’en le dépensant.
Un second transfert de propriété s’opère lors de la restitution. Lorsque le terme
du contrat est intervenu, l’emprunteur, en exécutant son obligation de restitution,
transfère également la propriété du bien restitué au prêteur.
Il peut à cet égard être noté que l’avant-projet de réforme du droit des contrats
spéciaux prévoit de renommer le prêt de consommation en « prêt translatif ».

Illustration

Art. 114 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux :


« Le contrat de prêt translatif est celui par lequel le prêteur transfère, à titre
gratuit ou onéreux, à l’emprunteur, la propriété de choses de genre, à charge pour
ce dernier d’en restituer des choses de même quantité et qualité ».

Le transfert de propriété, dans le prêt de consommation, produit un certain


nombre de conséquences. Ainsi, une fois le prêt conclu, les créanciers du prêteur ne
peuvent plus saisir le bien (ces créanciers pourraient néanmoins saisir la créance de
restitution, qui pour sa part, figure toujours dans le patrimoine du prêteur). De la
même façon, en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’emprun-
teur, le prêteur ne peut revendiquer la chose prêtée. Il doit alors être traité comme
un simple créancier chirographaire.
Une autre conséquence de cet effet translatif concerne la charge des risques
de la chose, visée par la seconde partie de l’article 1893 (« et c’est pour lui qu’elle
périt, de quelque manière que cette perte arrive »). L’on sait que selon l’adage res
perit domino, la chose est aux risques du propriétaire. Partant, la propriété de la
chose prêtée ayant été transférée à l’emprunteur, c’est ce dernier qui doit supporter
la perte et le cas fortuit. Ainsi, en cas de destruction de la chose prêtée par cas
fortuit durant l’exécution du contrat, l’emprunteur devra, malgré tout, restituer.

II. La formation du prêt de consommation

Puisque le prêt de consommation emporte le transfert de propriété de la chose


prêtée et de la chose restituée, les parties doivent avoir la capacité de disposer
(chaque transfert ayant une contrepartie, la capacité de disposer à titre gratuit
n’est toutefois pas requise).

191

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A. La forme du prêt de consommation

Par principe, le prêt de consommation est un contrat réel. Cela signifie que la
remise de la chose prêtée à l’emprunteur est une condition de formation du contrat.
Avant la remise de la chose, le contrat n’est pas formé. Dès lors, le seul échange
des consentements ne constitue qu’une promesse de prêt de consommation, qui,
pour sa part, est un contrat consensuel. Néanmoins, la promesse n’est pas le contrat
définitif. Partant, sa violation ne permet pas à l’emprunteur d’obtenir l’exécution
forcée en nature, le bénéficiaire de la promesse ne pourra se voir allouer que des
dommages et intérêts.

Illustration

Cass. civ. 1re, 20 juillet 1981, pourvoi n° 80-12529


« … attendu que la Cour d’appel a […] énoncé à bon droit qu’un prêt de consom-
mation, contrat réel, ne se réalise que par la remise de la chose prêtée à l’emprunteur
lui-même ou à un tiers qui la reçoit et la détient pour le compte de l’emprunteur… »
« … c’est également à bon droit que la Cour d’appel a considéré qu’à défaut
de réalisation du contrat de prêt, [les promettants] ne pouvaient être tenus qu’à
des dommages-intérêts en raison de leur manquement fautif à leur engagement de
prêter les fonds ».

Une évolution quant à la qualification du prêt de consommation portant sur de


l’argent doit toutefois être retracée. Dans un premier temps, la jurisprudence a pu
affirmer que les prêts immobiliers régis par le Code de la consommation ne pouvaient
plus être qualifiés de contrats réels.

Illustration

Cass. civ. 1re, 27 mai 1998, pourvoi n° 96-17312


« […] attendu, […] que les prêts régis par les articles L. 312-7 et suivants du
Code de la consommation n’ont pas la nature de contrat réel ».

Par la suite, la Cour de cassation a étendu cette solution en affirmant qu’il en


était de même pour le prêt consenti par un professionnel du crédit.

Illustration

Cass. civ. 1re, 28 mars 2000, pourvoi n° 97-21422 :


« […] attendu que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un
contrat réel […] ».

192

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Le champ d’application de ces revirements de jurisprudence ne doit pas être
entendu trop largement. En effet, les Hauts magistrats ont eu à plusieurs reprises
l’occasion de cantonner la modification de qualification aux seuls contrats consentis

Fiche 25 • Le prêt de consommation


par des professionnels du crédit. Aussi, les prêts de consommation consentis par
des profanes demeurent-ils des contrats réels pour lesquels la remise de la chose
est toujours l’élément principal du processus de formation.

Illustration

Cass. civ. 1re, 7 mars 2006, pourvoi n° 02-20 374 :


« […] attendu que le prêt qui n’est pas consenti par un établissement de crédit
est un contrat réel qui suppose la remise d’une chose […] ».

Attention

Dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, l’article 115 qualifie
systématiquement le « prêt translatif » de contrat consensuel. Le prêt consenti
par un non-professionnel ne se verrait donc plus accorder la qualification de
contrat réel.

B. La preuve du prêt de consommation

Il convient ici d’appliquer le droit commun de la preuve. Dès lors, si le montant


du prêt est supérieur à 1 500 euros, il devra être établi par écrit. Puisque le prêt de
consommation est un contrat unilatéral, il obéit aux règles de preuve de l’article 1376
du Code civil. Ainsi, l’acte qui établit le prêt doit comporter la mention manuscrite
en chiffres et en lettres de la somme ou de la quantité que l’emprunteur s’engage
à restituer. Attention toutefois, si le prêteur, entendant se faire restituer la chose
remise, doit prouver l’existence du contrat, il ne pourra se contenter de rapporter
la seule preuve de la remise. Cela s’explique par le fait que la remise peut intervenir
à plusieurs titres qui n’emportent pas forcément une obligation de restitution (tel
serait par exemple le cas d’un don manuel ou d’une dation en paiement).

Illustration

Cass. civ. 1re, 4 décembre 1984, pourvoi n° 83-14360 :


« […] la preuve de la remise de fonds à une personne ne suffit pas à justifier
l’obligation pour celle-ci de restituer la somme qu’elle a reçue […] ».

Un tel schéma peut néanmoins être bouleversé en présence d’une reconnaissance


de dette. Sous l’empire de l’ancien article 1132 du Code civil, la présomption d’exis-

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tence et de licéité de la cause mettait la preuve de l’absence de remise de la chose
à la charge de celui qui l’invoquait. La reconnaissance de dette permettait donc de
faire présumer la remise des fonds. Si la cause et les dispositions de l’article 1132
n’ont pas été reprises par l’ordonnance de réforme du droit des contrats, la solution
devrait rester inchangée. Ainsi, dans le cadre d’un contrat de prêt consenti par un
non-professionnel du crédit — qui à ce titre demeure un contrat réel — c’est à
l’emprunteur de prouver que la somme ne lui a pas été remise s’il entend échapper
à une condamnation en restitution.

Illustration

Cass. civ. 1re, 14 janvier 2010, pourvoi n° 08-18581 :


« […] la convention n’est pas moins valable quoique la cause n’en soit pas
exprimée, de sorte qu’il incombait à M. A… et M. Daniel X…, qui avaient signé les
reconnaissances de dettes litigieuses et prétendaient, pour contester l’existence de
la cause de celles-ci, que les sommes qu’elles mentionnaient ne leur avaient pas été
remises, d’apporter la preuve de leurs allégations […] ».

Cette solution ne vaut néanmoins qu’autant que le prêt est qualifié de contrat
réel. S’il s’agit d’un prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit, la logique
change. La Cour de cassation affirme en effet que c’est alors au prêteur de prouver
la remise des fonds, s’il entend que l’emprunteur les lui restitue.

Illustration

Cass. civ. 1re, 14 janvier 2010, pourvoi n° 08-13160 :


« […] attendu que si le prêt consenti par un professionnel du crédit est un
contrat consensuel, il appartient au prêteur qui sollicite l’exécution de l’obligation
de restitution de l’emprunteur d’apporter la preuve de l’exécution préalable de son
obligation de remise des fonds […] ».

En conclusion, si le prêt de consommation est un contrat réel, c’est à l’emprunteur


de prouver que les fonds ne lui ont pas été remis. À l’inverse, s’il est consensuel,
c’est au prêteur de rapporter la preuve que la remise a bien eu lieu.

III. Les effets du prêt de consommation

Le prêt de consommation étant un contrat unilatéral, l’essentiel des obligations


est à la charge de l’emprunteur. Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’une obligation
pèse sur le prêteur.

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A. Les obligations de l’emprunteur

Suivant l’article 1902, « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même

Fiche 25 • Le prêt de consommation


quantité et qualité, et au terme convenu ». L’emprunteur étant devenu propriétaire de
la chose prêtée, il ne doit opérer la restitution que par équivalent. Ce n’est donc
pas la chose prêtée elle-même, mais une chose identique à celle-ci qui doit être
restituée. En outre, l’article 1897 ajoute que « si ce sont des lingots ou des denrées qui
ont été prêtés, quelle que soit l’augmentation ou la diminution de leur prix, le débiteur
doit toujours rendre la même quantité et qualité, et ne doit rendre que cela ». L’on
déduit de cette disposition que l’emprunteur ne doit pas tenir compte de l’évolution
de la valeur des choses entre la conclusion du contrat et la restitution.
La restitution doit avoir lieu au terme fixé par le contrat (Art. 1902). Autrement dit,
le prêteur ne peut demander à l’emprunteur de restituer avant ce terme (Art. 1899).
Si le contrat ne fixe pas de terme, il est alors conclu pour une durée indéterminée.
La restitution, et donc la rupture du contrat, peut intervenir à tout moment. Le juge
peut toutefois, selon l’article 1900, accorder un délai à l’emprunteur en tenant compte
des circonstances. De la même façon, si une clause de retour à meilleure fortune a
été stipulée dans le contrat (c’est-à-dire, que les parties ont prévu que l’emprunteur
ne remboursera que lorsqu’il le pourra ou qu’il en aura les moyens), c’est au juge,
saisi d’une demande en remboursement de fixer le terme du paiement (Art. 1901).
Bien entendu, si le contrat est conclu à titre onéreux, l’emprunteur doit non
seulement exécuter son obligation de restitution, mais également payer le prix
suivant les échéances convenues. Ce prix prend le plus souvent la forme d’un intérêt,
mais il peut également s’agir d’une rémunération en nature.

B. Les obligations du prêteur

Contrairement au prêt à usage, le prêteur n’est pas tenu de rembourser les


dépenses liées à la conservation de la chose prêtée, même si celles-ci sont extraor-
dinaires, nécessaires et urgentes et qu’elles ont été supportées par l’emprunteur.
Cela s’explique aisément. Le prêt de consommation opérant transfert de propriété de
la chose prêtée, le prêteur n’a plus à assumer les dépenses relatives à cette chose.
Cependant, le prêteur est tenu de la garantie des vices cachés. L’article 1898
renvoie pour cela aux dispositions de l’article 1891 relatives au prêt à usage. Partant,
le prêteur doit garantie si le vice était caché et s’il n’en a pas informé l’emprunteur
alors même qu’il en avait connaissance.

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À retenir

−− Le prêt de consommation porte sur des choses fongibles et consomptibles.


−− Le prêt de consommation est en principe un contrat réel, mais s’il s’agit d’un
prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit, il devient un contrat
consensuel.
−− L’emprunteur ne restitue pas la chose qui a été prêtée, mais son équivalent.

Pour en savoir plus


−− F. Chénedé, « La cause de l’obligation dans le contrat de prêt réel et dans le contrat
de prêt consensuel », D. 2008, p. 2555.
−− F. Grua, « Le prêt d’argent consensuel », D. 2003. Chron. 1492
−− M. Latina, « L’instant du transfert de propriété dans le prêt d’argent consensuel » AJ
contrat 2017, p.209.
−− P. Puig, « Prêt d’argent : les contrats réels existent encore », RDC, 2006, n° 3, p. 778.
−− A. Sériaux, « Le prêt sans la cause : un prêt sans cause ? », in Le droit spécial des
contrats à l’épreuve du nouveau droit commun, PUF, 2017.

POUR S’ENTRAÎNER

I. QCM
1. La remise de la chose n’est jamais une obligation à la charge du prêteur.
a. Vrai ; b : Faux.
2. Le prêteur a qui la chose prêtée n’a pas été restituée peut exercer une
action en revendication
a : Vrai ; b : Faux.
3. Dès qu’un prêt porte sur une chose fongible et consomptible, il ne
peut s’agir que d’un prêt de consommation.
a : Vrai ; b : Faux.
4. En matière de preuve, quelle qualification retenue pour le prêt de
consommation est la plus avantageuse pour l’emprunteur ?
a : la qualification en contrat réel ; b. la qualification en contrat consensuel.
5. Après la remise de la chose, celle-ci a été détruite par un incendie,
l’emprunteur doit-il malgré tout exécuter son obligation de restitution ?
a : oui ; b : non.

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CORRIGÉ
1 : Faux. En principe, le prêt de consommation est un contrat réel, la remise

Fiche 25 • Le prêt de consommation


de la chose n’est donc pas une obligation, mais une condition de formation
du contrat. Toutefois, lorsque le prêt est consenti par un professionnel du
crédit, le contrat devient consensuel. L’accord des volontés forme le contrat
et la remise devient une obligation à la charge du prêteur.
2 : Faux. L’action en revendication est l’action permettant de faire établir
le droit de propriété. Le prêteur n’étant plus le propriétaire de la chose ne
bénéficie que d’un droit personnel contre l’emprunteur et ne peut agir qu’en
restitution.
3 : Faux. En principe le prêt portant sur une chose consomptible et fongible
est bien un prêt de consommation. Néanmoins, l’emprunteur peut recevoir
cette chose comme s’il s’agissait d’un corps certain, et être obligé de la
restituer telle quelle. Ce serait par exemple le cas d’un prêt de timbre en vue
d’être exposé.
4 : La qualification de contrat consensuel. Dans ce cas c’est au prêteur de
rapporter la preuve de la remise des fonds. Lorsque le contrat est qualifié
de réel, c’est, au contraire, à l’emprunteur de démontrer l’absence de remise.
5 : Oui. Le prêt de consommation emportant transfert de la propriété, il opère
également le transfert des risques. L’emprunteur est donc tenu du cas fortuit,
il doit donc exécuter normalement son obligation de restitution.

II. Question de cours


Le moment du transfert de propriété dans le prêt consensuel.

CORRIGÉ
La question du moment du transfert de propriété est pour le moins épineuse.
Le nouvel article 1196 al. 1er du Code civil dispose que « Dans les contrats ayant
pour objet l’aliénation de la propriété ou la cession d’un autre droit, le transfert
s’opère lors de la conclusion du contrat », ce qui conduirait à considérer que
le transfert s’opère au moment de la conclusion du contrat. Pour autant, à
proprement parler, le prêt de consommation consensuel n’est pas un contrat
translatif de propriété. Le transfert s’opérant plus de façon accidentelle
qu’en raison de la volonté des parties de le réaliser. Aussi, conviendrait-il
d’appliquer le deuxième alinéa de l’article 1196 qui précise que « Ce transfert
peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet
de la loi ». La nature de chose fongible et consomptible de l’objet du prêt de
consommation dicterait donc de retenir un autre moment pour le transfert
de propriété. En l’occurrence, le transfert ne pourrait donc intervenir qu’au
moment de l’individualisation des biens objet du prêt. La position de la Cour
de cassation n’est pas des plus claire en la matière. Dans un arrêt rendu le

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24 mai 2016 (Cass. Com. 24 mai 2016, n° 15-25921), elle a pu affirmer que « le
transfert de propriété des titres (faisant l’objet du prêt de consommation) […]
n’était qu’un effet de la remise », ce qui semblait se rapprocher de l’idée que le
transfert intervient lorsque les biens ont été individualisés. Toutefois, dans
un avis rendu le 28 novembre 2016, la Cour a pu considérer que l’emprunteur
était propriétaire des fonds dès la conclusion du contrat (le « client étant
devenu, dès la conclusion du contrat de crédit, propriétaire des fonds »).
Cette position peut paraître critiquable, en effet, faute d’individualisation,
le transfert ne peut se réaliser, car l’assiette du droit de propriété à transférer
n’est pas encore identifiée.

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Fiche 26
Identification et formation du dépôt
de droit commun

I. Identification du dépôt
II. Formation du dépôt

Définition

Acte de complaisance. Un acte de complaisance est un acte à titre gratuit qui


ne peut être qualifié de contrat faute pour les parties de s’être entendues sur la
naissance d’éventuelles obligations.

Conçu par les rédacteurs du Code civil comme un contrat d’ami, le dépôt de droit
commun, également appelé « dépôt volontaire » est, suivant l’article 1915 du Code
civil (« le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge
de la garder et de la restituer en nature »), un contrat par lequel une personne, le
dépositaire, reçoit une chose qui lui est confiée par son cocontractant, le déposant,
en vue de la garder et de la restituer lorsque ce dernier la lui réclame. Ce contrat
connaît un régime de droit commun et différents régimes spéciaux.

I. Identification du dépôt

A. Caractères principaux du dépôt

Le contrat de dépôt ne peut porter que sur un bien meuble corporel. Les
immeubles et à plus forte raison les personnes ne peuvent donc faire l’objet d’un
tel contrat. Dès lors, un contrat portant sur la garde d’un immeuble, ne recevra pas
la qualification de dépôt, mais de contrat de gardiennage, assimilable à un contrat
d’entreprise (du moins si ce contrat est conclu à titre onéreux, si ce n’est pas le cas
il s’agira d’un contrat innomé).
Lorsque le dépôt porte sur une chose fongible ou consomptible, il devient un
dépôt spécial et est qualifié de dépôt irrégulier (V. fiche n° 28).

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En principe, le dépôt est un contrat conclu à titre gratuit. Toutefois, la gratuité
n’est pas de l’essence du dépôt. Aussi, un dépôt salarié (conclu à titre onéreux), est
parfaitement valable. Le déposant doit alors verser une certaine somme d’argent au
dépositaire. À ce titre, il est intéressant de noter que lorsque le dépôt est l’accessoire
d’un contrat d’entreprise, il est présumé fait à titre onéreux.
Enfin, puisque le dépositaire doit restituer la chose remise, le dépôt n’est pas
translatif de propriété (sauf dans l’hypothèse du dépôt irrégulier). Le dépositaire
n’est donc qu’un détenteur de la chose remise.

B. La volonté de conclure un dépôt

Il n’est pas toujours facile de découvrir un dépôt. L’article 1921 du Code civil
dispose que « le dépôt se forme par le consentement réciproque de la personne qui
fait le dépôt et de celle qui le reçoit ». Partant, pour qu’un tel contrat soit qualifié,
il convient de s’assurer de la volonté des parties d’assumer les obligations qui en
découlent ; plus particulièrement, c’est parfois la volonté de celui qui reçoit la chose
d’assumer les obligations de garde et de surveillance qui peut poser problème. Toutes
les situations dans lesquelles une personne dépose une chose chez un tiers ne sont
donc pas nécessairement des dépôts.
Le dépôt est un contrat. Aussi, lorsqu’une personne accepte de garder la chose
uniquement à titre de complaisance, la relation ne peut-elle être qualifiée de dépôt.
La frontière n’est pas toujours nette entre la complaisance et le dépôt conclu à titre
amical qui, pour sa part, est un véritable contrat.

Illustration

Cass. com. 25 septembre 1984, pourvoi n° 83-12666 :


Un barman accepte de garder un album de photographies qu’un client lui a
remis, afin qu’un amateur puisse en prendre connaissance, mais l’album disparaît.
La Cour de cassation refuse de voir dans cette situation un contrat (et donc refuse
de qualifier l’existence d’un contrat de dépôt), en estimant que la remise n’était
intervenue qu’à titre de complaisance.

Les juges doivent alors déterminer si les parties ont, ou non, eu la volonté de
conclure un tel contrat.
Ainsi, la Cour de cassation estime que la SNCF ne conclut pas un contrat de dépôt
avec les passagers lorsqu’elle leur impose de déposer leurs bagages sur les étagères
prévues pour les recevoir. De même, il a pu être jugé que le restaurateur, ou le
gérant d’une salle de spectacle, qui permet à ses clients de déposer leur vêtement
sur un portemanteau n’en devient pas le dépositaire s’il a porté à la connaissance
de ses clients sa volonté de ne pas conclure un tel contrat, notamment par le biais
d’un panneau.

200

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Illustration

Cass. civ. 1re, 1er mars 1988, pourvoi n° 86-15563 :


« Mais attendu que la cour d’appel relève que l’établissement ne comportait pas

Fiche 26 • Identification et formation du dépôt de droit commun


de vestiaire contrôlé par un préposé, que Mme X… avait placé son manteau de sa
propre initiative sur le porte-manteau situé à l’entrée de la salle de spectacle et qu’un
panneau avait été placé au-dessus de celui-ci prévenant la clientèle que l’établisse-
ment n’acceptait pas d’être dépositaire des vêtements qui y étaient accrochés ; que,
de ces constatations, elle a pu déduire, non seulement qu’aucun contrat de dépôt ne
s’était formé entre Mme X… et M. Y…, mais aussi que ce dernier n’était pas tenu en
l’espèce d’une obligation de garde et de surveillance des vêtements de sa cliente ».

La situation se complique lorsque le dépôt n’est que l’accessoire d’un contrat


principal. Selon les circonstances, la jurisprudence découvre ou non un dépôt acces-
soire à une prestation principale, souvent un contrat d’entreprise. C’est notamment
le cas lorsqu’un prestataire de services doit, en plus de la prestation principale,
assurer la garde d’un bien de son cocontractant. Ainsi, le garagiste qui doit réparer
le véhicule qui lui a été remis, en est également le dépositaire au titre d’un contrat
de dépôt accessoire au contrat d’entreprise.

Illustration

Cass. civ. 1re, 8 octobre 2009, pourvoi n° 08-20048 :


« […] le contrat de dépôt d’un véhicule auprès d’un garagiste existe, en ce qu’il est
l’accessoire du contrat d’entreprise, indépendamment de tout accord de gardiennage ».

C. Distinction du dépôt et d’autres contrats

Le dépôt se distingue d’autres contrats en ce que la chose doit être remise au


dépositaire afin que celui-ci la conserve et la restitue.
Le dépôt se distingue du prêt à usage, puisqu’en principe le dépositaire ne peut
pas user de la chose déposée. Par ailleurs le prêt à usage est conclu dans l’intérêt
de l’emprunteur (c’est-à-dire celui qui reçoit la chose) alors que le dépôt l’est dans
celui du déposant.
Bien qu’il puisse en être l’accessoire, le dépôt ne doit pas être confondu avec le
contrat d’entreprise. L’objet du dépôt est en effet la garde et la conservation de
la chose remise. Dans le louage d’ouvrage au contraire, est l’obligation porte sur la
réalisation d’une prestation autre.
Le dépôt doit également être différencié des contrats emportant la seule mise à
disposition d’un emplacement, comme c’est le cas dans le contrat de stationnement
(souvent assimilé par la jurisprudence à un contrat de bail) dans lequel la partie qui
met l’emplacement à disposition n’entend pas assurer la garde de la chose.

201

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Illustration

Cass. civ. 1re, 10 mars 1981, pourvoi n° 80-10996 :


« […] le droit de l’usager en contrepartie de sa redevance, se limite à un simple
droit de stationnement […], (qui) rémunérait uniquement le droit pour l’utilisateur
d’occuper privativement et à titre temporaire le domaine public, sans obligations de
gardiennage ni de surveillance à la charge de l’aéroport ».

Dans le même sens, la jurisprudence (Cass. civ. 21 mai 1957, Bull. civ. I, n° 226)
refuse de voir dans le contrat de coffre-fort un contrat de dépôt, arguant du fait
que le banquier, qui met le coffre à disposition du client pour qu’il y entrepose des
biens, ne connaît pas les objets qui sont déposés dans le coffre. L’assimilation avec
le dépôt est pourtant tentante, car pèse sur le banquier une obligation de garde et
de surveillance de résultat.
Enfin, le contrat de dépôt-vente, n’est pas non plus un contrat de dépôt, car celui
qui reçoit les biens ne les reçoit pas afin d’en assumer la garde et la conservation,
mais pour les vendre. Ce contrat est alors assimilable à un mandat ou à une vente
conditionnelle conclue sous la condition suspensive de la vente des biens remis.

II. Formation du dépôt

A. Les conditions de fond

Le dépôt est un acte d’administration. Le déposant doit donc avoir la capacité


d’administrer. L’article 1925 du Code civil prévoit toutefois un régime particulier
dans l’hypothèse où le dépôt est conclu par un incapable. Dans ce cas, le déposi-
taire est bien tenu de ses obligations, mais en sera comptable auprès du déposant
de l’incapable.
L’article 1922 dispose que le dépôt « ne peut régulièrement être fait que par le
propriétaire de la chose déposée ou de son consentement exprès ou tacite ». La
jurisprudence interprète largement cet article et ne retient pas qu’il faut être
propriétaire pour pouvoir conclure valablement un dépôt. Un simple détenteur
précaire pourrait donc remettre le bien détenu en dépôt. À suivre la jurisprudence,
cet article signifie que le dépositaire ne peut demander l’exécution de ses obligations
au propriétaire du bien déposé qu’à la condition que ce dernier soit bien le déposant.

B. Les conditions de forme et de preuve

Le dépôt est un contrat réel qui ne se forme donc que par la remise de la chose.
Avant cette remise, le dépôt n’est pas formé, le seul échange des volontés ne peut
alors former qu’une promesse de dépôt.

202

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Illustration

Art. 1919 C. civ :


« (Le dépôt) n’est parfait que par la remise réelle ou fictive de la chose déposée.

Fiche 26 • Identification et formation du dépôt de droit commun


La remise fictive suffit quand le dépositaire se trouve déjà nanti, à quelque autre
titre, de la chose que l’on consent à lui laisser à titre de dépôt ».

La preuve du dépôt doit être administrée selon le droit commun. Celui qui se
prévaut de l’existence du dépôt ou de telle ou telle obligation doit donc en rapporter
la preuve.
Une règle particulière est édictée en matière de dépôt verbal (qui n’a donc jamais
fait l’objet d’un écrit). L’article 1924 du Code civil prévoit en effet que « lorsque le
dépôt étant au-dessus du chiffre prévu à l’article 1341, n’est point prouvé par écrit, celui
qui est attaqué comme dépositaire en est cru sur sa déclaration, soit pour le fait même
du dépôt, soit pour la chose qui en faisait l’objet, soit pour le fait de sa restitution ».
Dès lors, dans ce cas particulier, la déclaration du dépositaire fait foi par rapport
au déposant (mais n’est pas opposable aux tiers).

Illustration

Cass. Com. 24 janvier 2018, pourvoi n° 16-19866.


Le client d’une banque affirme avoir opéré un dépôt d’espèces à un guichet
automatique. Constatant que son compte n’a pas été crédité, il assigne la banque
en paiement de la somme et de dommages et intérêts. La juridiction de proximité
fait droit à sa demande et la banque forme un pourvoi, rejeté par la Cour de
cassation qui retient qu’« après avoir relevé que la pratique bancaire a développé,
pour le dépôt d’espèces dans une boîte aux lettres ou une machine automatique,
l’usage d’une enveloppe spécifique avec bordereau renseigné par le client et destinée
à recevoir chèques ou espèces, puis relevé que la clause, mentionnée par la banque
sur le bordereau, selon laquelle la remise de fonds par le truchement d’un guichet
automatique ne donne lieu qu’à la délivrance d’un ticket mentionnant pour mémoire
la somme prétendument remise et que le client ne peut prétendre établir la preuve
du montant du dépôt par la simple production dudit ticket, le jugement retient que,
sauf à être abusive, une telle clause ne saurait priver le client de la possibilité de faire
la preuve du dépôt par tout autre moyen ; que c’est dans l’exercice de son pouvoir
souverain d’apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve produits que la
juridiction de proximité a, par une décision motivée, retenu que la lettre du 13 mai
2014, dans laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau
de remise, valait commencement de preuve par écrit et que celui-ci était complété
par des éléments extrinsèques de nature à prouver le dépôt d’espèces litigieux ».

203

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À retenir

−− Le dépôt ne peut porter que sur un bien meuble corporel.


−− Le dépôt est un contrat en principe conclu à titre gratuit, qui peut toutefois
être conclu à titre onéreux.
−− Le dépôt oblige le dépositaire à garder et conserver la chose déposée.
−− Le dépôt peut être l’accessoire d’un autre contrat.
−− Le dépôt se forme par la remise de la chose.

Pour en savoir plus


−− Dossier de l’A. J. Contrat, 2016, n° 12, p. 507 et s. « Le dépôt, un contrat à redécouvrir ».
−− M.-O. Barraud, « Le dépôt », in Les contrats spéciaux et la réforme du droit des obligations,
dir. L. Andreu et M. Mignot, Varenne, 2017, p. 299.
−− P.-Y. Gautier, « Le dépôt : exercices de qualification », RDC 2014/1, p. 149.
−− F. Grua, « Le dépôt de monnaie en banque », D. 1998, Chron. 259.
−− A. Lafforgue, « La sécurité des biens des clients du restaurateur », JCP E. 1993, I, 304.
−− P. Puig, « Preuve du dépôt verbal : qui croire ? », RDC 2005, p. 1120.
−− P. Puig, « Contrat de coffre-fort : l’énigme continue ! », RDC 2006, p. 422.
−− A. Viandier, « La complaisance », JCP 1980, I, 2987, n° 16.

POUR S’ENTRAÎNER : QCM

1. Le client d’un restaurant a déposé son manteau sur le portemanteau


d’un restaurant. Le manteau a été volé :
a : c’est au client de prouver l’existence d’un contrat de dépôt ; b : c’est au
restaurateur de prouver que ce n’est pas un dépôt.
2. La remise de la chose est une obligation à la charge du déposant :
a : vrai ; b : faux.
3. Le dépôt peut porter sur le cadavre d’une personne.
a : vrai ; b : faux.
4. Un garagiste qui répare une voiture est tenu d’une obligation de garde
et conservation au titre d’un dépôt.
a : vrai – b : faux.
5. Le dépôt est toujours présumé fait à titre gratuit.
a : vrai ; b : faux.

204

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CORRIGÉ
1 : a. c’est au client de prouver l’existence du dépôt. Il ne s’agit que d’une

Fiche 26 • Identification et formation du dépôt de droit commun


application du droit commun de la preuve.
2 : b. faux. La remise de la chose est une condition de formation du contrat.
3 : a. vrai. Le cadavre est une chose (particulière certes, mais une chose),
il peut ainsi faire l’objet d’un dépôt. Par exemple, un hôpital peut voir sa
responsabilité de dépositaire engagée si le cadavre d’un patient décédé à
l’hôpital se trouve en état de décomposition au moment de la mise en bière
(V. Cass. civ. 2e, 17 juillet 1991, Bull. civ. II, n° 233, n° 90-14441).
4 : a. vrai. Le contrat de dépôt naît alors à titre accessoire du contrat principal.
5 : b. faux. Le dépôt accessoire d’un contrat d’entreprise est présumé fait à
titre onéreux.

205

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Fiche 27
Les effets et l’extinction du dépôt
de droit commun

I. Les obligations du dépositaire


II. Les obligations du déposant
III. L’extinction du dépôt

Définitions

Contrat synallagmatique imparfait. Les contrats synallagmatiques imparfaits


sont des contrats unilatéraux lors de leur formation qui deviennent, en cours
d’exécution, synallagmatiques, car ils donnent alors naissance à des obligations
réciproques.

Le dépôt étant par nature (et non par essence) un contrat conclu à titre gratuit, seul
le dépositaire est, en principe, tenu d’obligations ; il s’agit donc d’un contrat unilatéral.
Cette qualification est cependant susceptible de varier. Il peut en effet arriver que le
déposant se trouve tenu de certaines obligations (outre l’obligation de payer le prix du
dépôt si celui-ci a été conclu à titre onéreux), le contrat devient alors synallagmatique
imparfait (car les obligations du dépositaire naissent à titre accidentel).

Attention

Le dépôt étant un contrat réel, la remise de la chose par le déposant au dépo-


sitaire n’est pas une obligation, mais une condition de formation du contrat.

I. Les obligations du dépositaire

Les obligations principales naissant du dépôt sont à la charge du dépositaire.


Positivement, celui-ci est tenu d’une obligation de garde et de surveillance et d’une
obligation de restitution. Négativement, il doit s’abstenir d’utiliser la chose et est
tenu d’une obligation de discrétion.

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A. L’obligation de garde et de surveillance

Selon l’article 1927 du Code civil, le dépositaire doit apporter, dans la garde de

Fiche 27 • Les effets et l’extinction du dépôt de droit commun


la chose déposée, « les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui
appartiennent ». L’obligation de garde signifie donc que le dépositaire doit veiller
à la conservation de la chose. Il doit donc l’entretenir (par exemple nourrir les
animaux qui lui ont été confiés), en percevoir les fruits, et la préserver des risques
de perte, de détérioration ou de vol, provenant des tiers ou d’événements naturels.
Conserver la chose n’est cependant pas l’enrichir, de même, le dépositaire n’est pas
tenu d’apporter à la chose des soins exceptionnels.

Attention

Selon la jurisprudence (V. par ex., Civ. 1re, 18 octobre 1954, Bull. civ. I, no 289),
en l’absence de prévisions contractuelles ou d’usages en ce sens, le dépositaire
n’est pas tenu d’assurer la chose gardée.

En cas d’inexécution de l’obligation de garde, le dépositaire engage sa respon-


sabilité contractuelle. Afin de déterminer les conditions dans lesquelles cette
responsabilité peut être engagée, l’on doit déterminer l’intensité de cette obligation.
La jurisprudence fait peser sur le dépositaire une présomption simple de faute.
Aussi, peut-on conclure que pèse sur lui une obligation de moyens renforcée ou
de résultat atténuée. Partant, le dépositaire pourra s’exonérer de trois façons :
−− en rapportant la preuve qu’il a donné à la garde de la chose les mêmes soins
qu’il aurait apportés à la garde des siennes ;
−− en rapportant la preuve que la détérioration est due à la force majeure ;
−− en rapportant la preuve que la détérioration de la chose préexistait à la
conclusion du dépôt.

Illustration

Cass. civ. 1re, 30 mars 2005, pourvoi n° 03-20410 :


« […] il résulte de la combinaison (des articles 1927, 1928 et 1933) que si le
dépositaire n’est tenu que d’une obligation de moyens, il lui appartient, en cas de
détérioration de la chose déposée de prouver qu’il y est étranger, en établissant qu’il
a donné à cette chose les mêmes soins qu’il aurait apportés à la garde des choses
lui appartenant ».

Le comportement du dépositaire est apprécié différemment par les tribunaux


selon les circonstances. Ainsi, lorsque le dépôt est salarié, sa responsabilité est
envisagée plus sévèrement par les tribunaux. Il doit donc, pour être exonéré de sa

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responsabilité, démontrer qu’il a « mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour
éviter le dommage » (Cass. civ. 1re, 5 janvier 1999, pourvoi n° 97-13793).

Attention

Le mécanisme de responsabilité du dépositaire peut être mis à mal par le jeu de


clauses limitatives de responsabilité.

B. L’obligation de restitution

Le dépositaire est également tenu de restituer la chose qui lui a été transmise
au lieu du dépôt ou au lieu convenu.
La première question qui se pose alors est de déterminer à qui doit être faite
la restitution. L’article 1937 du Code civil dispose à cet effet que « le dépositaire ne
doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée ou à celui au nom duquel
le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir ».
Par conséquent, la restitution ne s’opère pas nécessairement entre les mains du
propriétaire de la chose. Le dépositaire ne saurait d’ailleurs exiger du déposant la
preuve de sa qualité de propriétaire (art. 1938 C. civ.).
Si, pendant le dépôt, le dépositaire découvre que la chose déposée a été volée,
il doit alors dénoncer le dépôt au véritable propriétaire et lui demander de réclamer
la chose. Si ce dernier ne réclame pas la chose, le dépositaire peut alors se libérer
dans les mains du déposant (art. 1938 al. 2 C. civ.).
La deuxième question qui se pose est de savoir ce qui doit être restitué.
À l’exception du dépôt irrégulier (qui porte sur des choses fongibles), la restitution
doit s’opérer en nature. Autrement dit, c’est la chose même qui a été déposée qui
doit être restituée : la restitution par équivalent est donc proscrite. Le dépositaire
doit ainsi restituer la chose remise (le principal) et les fruits produits par celle-ci
(l’accessoire).

Attention

La règle de la restitution en nature connaît deux exceptions. La restitution peut


s’opérer par équivalent lorsque l’héritier du dépositaire a vendu de bonne foi le bien
à un tiers ou lorsque la chose a été enlevée au dépositaire dans un cas de force
majeure et qu’une indemnité lui a été versée en contrepartie.

La troisième question qui se pose est de savoir comment la chose doit être
restituée. L’article 1933 du Code civil apporte une réponse claire : la chose ne doit
être restituée « que dans l’état où elle se trouve au moment de la restitution ». Le
texte va plus loin en affirmant que les détériorations qui ne sont pas dues au fait
du dépositaire sont à la charge du déposant.

208

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Attention

Même si la chose est détériorée, le dépositaire exécute son obligation de resti-


tution en la rendant dans l’état dans lequel elle se trouve (sa responsabilité est

Fiche 27 • Les effets et l’extinction du dépôt de droit commun


recherchée sur le fondement de l’inexécution de l’obligation de conservation).

Enfin se pose la question de savoir quand restituer. L’article 1944 fixe le prin-
cipe suivant lequel « le dépôt doit être remis au déposant aussitôt qu’il le réclame ».
Le dépositaire peut donc être contraint de restituer à première demande, à moins
qu’il n’ait un doute sur le titre du déposant.

C. Les obligations négatives

Le dépositaire a l’obligation négative de ne pas user de la chose pendant la durée


du dépôt (sauf permission expresse ou tacite du déposant). Si le dépositaire utilise
la chose sans en avoir reçu l’autorisation, il engage sa responsabilité et peut être
redevable de dommages et intérêts).
Il est également tenu d’une obligation de secret (art. 1931 C. civ.). Cela signifie
notamment que si les choses ont été déposées dans un coffre fermé ou une enve-
loppe cachetée, il n’a pas à tenter d’en découvrir le contenu. Ici encore, en cas de
violation, il serait redevable de dommages et intérêts.

II. Les obligations du déposant

Affirmer que le déposant est tenu d’obligation peut surprendre puisqu’il a été
dit que le contrat est en principe unilatéral et réel. Pourtant, les exceptions sont
nombreuses, le déposant pouvant être tenu de certaines obligations.
Bien entendu, si le dépôt est salarié (et donc synallagmatique) il doit payer le
prix du dépôt (art. 1928 2°).
À titre exceptionnel, le déposant peut également être tenu d’autres obligations
envers le dépositaire (le contrat devient alors synallagmatique imparfait).
Ainsi, le déposant peut être tenu de rembourser au dépositaire les dépenses
exposées pour la conservation de la chose.

Attention

Seules les dépenses nécessaires et utiles doivent être remboursées. Les dépenses
voluptuaires ne donnent droit à aucun remboursement.

Ensuite, le déposant doit indemniser le dépositaire « de toutes les pertes que


le dépôt peut lui avoir occasionnées » (art. 1947 C. civ.).

209

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Si le déposant n’exécute pas ses obligations, l’article 1948 reconnaît au déposi-
taire un droit de rétention. Il peut donc refuser de restituer la chose tant que le
déposant n’offre pas de lui verser les sommes dues.

III. L’extinction du dépôt

Logiquement le dépôt prend fin par la restitution de la chose déposée.


Hors de cette hypothèse, il convient de distinguer :
−− si le dépôt est à durée déterminée, le déposant peut mettre fin à tout
moment au dépôt (si le dépôt était salarié, le dépositaire aura toutefois
droit à la totalité de la rémunération convenue). À l’opposé, le dépositaire
ne peut mettre fin au dépôt quand il le souhaite et doit attendre le terme
du contrat pour restituer ;
−− si le dépôt est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre un
terme à tout moment. Il ne s’agit alors que d’une application du droit commun.

Attention

Si le dépôt est à durée déterminée et qu’à l’échéance le déposant n’a pas récupéré
la chose (hors hypothèse d’inexécution de son obligation de restitution par le
dépositaire), l’on peut considérer que le dépositaire doit toujours restituer, mais
est déchargé de son obligation de conservation.

À retenir

−− Le dépositaire est tenu d’une obligation de garde et de conservation, d’une


obligation de restitution, d’une obligation de secret et d’une obligation de
ne pas user de la chose.
−− Le déposant peut être tenu de payer le prix du dépôt, de rembourser les
dépenses utiles et nécessaires et les pertes qu’aurait pu subir le dépositaire.

Pour en savoir plus


−− I. Avanzini, Les obligations du dépositaire, contribution à l’étude du contrat de dépôt,
Litec, Bibliothèque de droit de l’entreprise, 2006.
−− C. Brunetti-Pons, L’obligation de conservation dans les conventions, préface Ph. Malinvaud,
PUAM, 2003.
−− M.-L. Morançais-Demeester, « La responsabilité des personnes obligées à restitution »,
RTD civ. 1993, p. 757.
−− A. Tunc, Le contrat de garde, Jouve et Cie, 1941.

210

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POUR S’ENTRAÎNER

I. Question de cours : les champs d’application respectifs des obligations

Fiche 27 • Les effets et l’extinction du dépôt de droit commun


de restitution et de conservation.

CORRIGÉ
Il importe de ne pas confondre le champ d’application de l’obligation de
restitution et celui de l’obligation de conservation. Si la chose est perdue
ou détruite, la chose ne peut être restituée. C’est toutefois sur le fondement
de l’inexécution de l’obligation de conservation que la responsabilité du
dépositaire peut être recherchée (si la chose est perdue ou détruite, c’est
bien la preuve que le déposant n’a pas correctement exécuté l’obligation de
conservation). Si la chose est détériorée, le déposant peut la rendre dans cet
état et exécute alors l’obligation de restitution. Ici encore, sa responsabilité
sera engagée sur le fondement de la conservation. Au final, ce n’est donc que
lorsque le dépositaire refuse de restituer que l’inexécution de l’obligation de
restitution peut être invoquée.

II. Cas pratique


Une société a conclu un contrat, intitulé « contrat d’hivernage » portant
sur la mise à disposition à Monsieur Durant d’un terrain grillagé accessible
par une porte fermée grâce à digicode, et surveillé par un système de
vidéosurveillance, afin que ce dernier puisse y entreposer son bateau
lors de la saison allant du mois de novembre 2017 au mois d’avril 2018
(le terrain servait d’ailleurs également à l’entreposage des véhicules
appartenant à la société). Monsieur Durant a d’ailleurs payé, le jour de la
conclusion du contrat, la totalité du prix (2 000 euros). Hélas, au mois de
mars un voleur s’est introduit dans l’enclos après avoir découpé le grillage
et piraté le système de vidéosurveillance, et a dérobé le moteur du bateau
(dont la valeur est estimée à 10 000 euros). Monsieur Durant, souhaite
obtenir, au titre de la réparation de son préjudice, la condamnation de
la SCI au remboursement de la valeur du moteur. Qu’en pensez-vous ?

CORRIGÉ
Il convient tout d’abord de s’interroger sur la qualification du contrat
d’hivernage. Trois qualifications peuvent alors s’appliquer. On peut exclure
d’emblée la qualification de contrat de prêt à usage, car la mise à disposition
du terrain n’est pas réalisée à titre gratuit. On peut ensuite hésiter entre
la qualification de bail ou de dépôt. Pour trancher, il faut rechercher la
commune intention des parties. On peut ici se référer aux mesures qui sont

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prises par le propriétaire du terrain pour éviter le vol : grillage, digicode,
vidéosurveillance. Le bateau ne se trouve donc pas dans un endroit accessible
à tous (contrairement au cas de la location d’un emplacement pour le simple
mouillage du bateau qui serait alors qualifié de bail). Dans l’esprit des parties,
le contrat semble donc devoir être qualifié de dépôt.
Une fois la qualification de dépôt retenue, il faut déterminer quel est le
régime de responsabilité du dépositaire. Selon l’article 1927 du Code civil,
le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, « les mêmes
soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ». L’obligation
de garde signifie donc que le dépositaire doit veiller à la conservation de
la chose. Il doit donc notamment l’entretenir et la préserver des risques
de perte, de détérioration ou de vol, provenant des tiers ou d’événements
naturels. Lorsque le dépôt est, comme en l’espèce, salarié, la responsabilité
du dépositaire est envisagée avec sévérité par la jurisprudence. Pour en être
exonéré, il doit alors démontrer qu’il a mis en œuvre toutes les diligences
nécessaires pour éviter le dommage. La société pourrait également s’appuyer
sur la démonstration de la force majeure (le vol pouvant constituer un tel
événement) pour être déchargée de sa responsabilité.

212

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Fiche 28
Les dépôts spéciaux

I. Le dépôt irrégulier
II. Le dépôt nécessaire
III. Le dépôt hôtelier
IV. Le dépôt hospitalier
V. Le séquestre

Définitions

Responsabilité de plein droit du dépositaire. La responsabilité de plein droit


signifie en matière de dépôt que le dépositaire peut voir sa responsabilité engagée
dès lors que la chose a été détériorée, perdue ou volée, sans qu’il soit nécessaire
de rapporter la preuve d’une faute de sa part.

Si les dispositions étudiées précédemment forment le droit commun du dépôt, il


existe également un droit spécial du dépôt. Plus précisément, pour certains dépôts,
le droit commun ne suffit pas ou n’est pas adapté. Dès lors, l’on peut rencontrer des
dépôts spéciaux, régis pour une part par le droit commun et pour une autre part,
par des dispositions particulières.

I. Le dépôt irrégulier

Lorsque le dépôt porte sur une chose fongible, comme l’argent, il prend alors le
nom de dépôt irrégulier, car le dépositaire n’a pas à restituer la chose même qui a
fait l’objet du contrat. Il pourra donc en restituer l’équivalent. Puisque la chose est
fongible, l’on considère que le dépositaire devient, dans le cas particulier du dépôt
irrégulier, propriétaire de la chose qui lui a été transmise.

213

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Attention

Qualifier un dépôt de « dépôt irrégulier » ne signifie pas que ce contrat est atteint
d’une cause de nullité. Il est parfaitement valable, mais voit son régime quelque
peu modifié par rapport au droit commun.

Puisque le dépositaire devient propriétaire des biens transmis, il ne devra en


restituer que l’équivalent. Il n’est donc pas débiteur de l’obligation de garde et de
conservation et peut même utiliser la chose (la situation est alors extrêmement
proche du prêt de consommation).
On peut noter que l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux
propose d’envisager les choses de façon légèrement différente. Le dépôt irrégulier
n’opérerait plus par principe un transfert de propriété, le déposant étant tenu de
les tenir séparées des siennes, une stipulation contraire serait cependant admise.

Illustration

Art. 129 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux :


« Le dépôt de choses de genre oblige le dépositaire à les tenir séparées des
siennes. Toutefois, il peut en être dispensé, ensuite de quoi le dépositaire acquiert
la propriété des choses par l’effet de la confusion avec les siennes ».

II. Le dépôt nécessaire

Le dépôt nécessaire est selon l’article 1949 du Code civil « celui qui a été forcé
par quelque accident, tel qu’un incendie, une ruine, un pillage, un naufrage ou autre
événement imprévu ».
Le dépôt nécessaire est donc le dépôt forcé par une contrainte imprévue, forçant
une personne à mettre ses biens à l’abri dans les mains d’une autre personne.
La liste des événements visés à l’article 1949 comme étant susceptibles de fonder
un dépôt nécessaire n’est pas limitative. Toutefois, la jurisprudence se montre rela-
tivement stricte dans la qualification d’un tel contrat.

Illustration

Cass. civ. 1re, 8 février 2005, pourvoi n° 01-16492 :


Dans cet arrêt, la cliente d’un salon de coiffure et de manucure avait déposé
ses bijoux sur plateau réservé à cet effet. Ceux-ci avaient disparu pendant le
soin. La Cour d’appel avait alors qualifié la relation de dépôt nécessaire, mais la
Cour de cassation casse cette solution. Cela se comprend bien : la cliente n’a subi
aucune pression et a remis les biens volontairement. Dans cette affaire, c’est

214

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plutôt vers l’obligation accessoire de surveillance dans le contrat d’entreprise
qu’il fallait se tourner.

Fiche 28 • Les dépôts spéciaux


Le régime du dépôt nécessaire est extrêmement proche du dépôt volontaire. L’on
peut cependant noter que l’article 1950 admet que la preuve de ce contrat puisse
être rapportée par témoins même si la valeur des biens déposés dépasse 1 500 €.

III. Le dépôt hôtelier

Le dépôt hôtelier est celui portant sur les vêtements, bagages ou divers biens
du client logeant dans un hôtel ou une auberge. Ce contrat, selon l’article 1952 du
Code civil « doit être regardé comme un dépôt nécessaire » (il ne s’agit toutefois pas
d’un véritable dépôt nécessaire faute de contrainte pour le client).
Le dépôt hôtelier est conçu comme un accessoire du contrat d’hôtellerie. Le
voyageur doit donc impérativement loger dans l’hôtel en question.
Les articles 1953 et 1954 prévoient un régime de responsabilité de plein droit
de l’hôtelier d’ordre public. Ce dernier répond donc des vols et détériorations
causés aux biens du client par ses employés et les étrangers (clients ou non) allants
et venants dans l’hôtel, sans que sa faute n’ait à être démontrée. Seules la force
majeure et la faute du client (par exemple laisser la fenêtre ouverte) permettent de
l’exonérer de sa responsabilité.
L’intensité de la responsabilité de l’hôtelier varie selon les circonstances :
−− lorsque les objets ont été déposés « entre les mains de l’hôtelier » (c’est-à-dire
dans un coffre ou à la réception), sa responsabilité est illimitée (art. 1953
al. 2 C. civ.) ;
−− lorsque les objets ont été introduits dans l’hôtel, mais n’ont pas été confiés
à l’hôtelier, sa responsabilité est limitée à cent fois le prix de la location par
journée, sauf faute de sa part (art. 1953 al. 3). On vise ici les biens laissés
dans la chambre ou les véhicules stationnés sur le parking de l’hôtel ;
−− lorsque des objets ont été laissés dans les véhicules stationnés en un lieu
dont l’hôtelier a la jouissance privative (le parking privé de l’hôtel), la
responsabilité de l’hôtelier est plafonné à cinquante fois le montant de la
location par journée.

Attention

Les biens déposés dans un coffre mis à la disposition du voyageur et fonctionnant


avec un code secret de son choix ne sont pas considérés comme ayant été remis
« entre les mains de l’hôtelier ».

215

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Attention

Les véhicules stationnés sur le parking de l’hôtel et les biens laissés dans ce
véhicule ne sont pas soumis au même régime de responsabilité.

La responsabilité est présumée, toutefois, c’est au client de rapporter la preuve


(par tous moyens) de l’existence du dépôt et de la dégradation ou de la disparition
des biens.

IV. Le dépôt hospitalier

Le régime du dépôt hospitalier est codifié aux articles L 1113-1 à L 1113-10 du


Code de la santé publique (ces dispositions sont d’ordre public).
Le champ d’application du dépôt hospitalier est limité tant au regard des personnes
concernées que des biens susceptibles d’être déposés :
−− les établissements responsables sont les établissements de santé publics
et privés et les établissements sociaux ou médico-sociaux hébergeant des
personnes âgées ou handicapées ;
−− seules les personnes hospitalisées ou hébergées par ces établissements béné-
ficient du régime protecteur (en sont donc exclues les personnes se rendant
dans ces établissements pour des consultations externes) ;
−− seuls les biens meubles dont la nature justifie la détention pendant l’hos-
pitalisation sont visés par le régime, à la condition qu’ils aient fait l’objet
d’un dépôt entre les mains d’un préposé de l’établissement (si le patient est
admis en urgence ou qu’il n’est pas en mesure de manifester sa volonté, cette
dernière condition n’est pas requise).

Attention

Si un dépôt n’a pas été effectué entre les mains d’un préposé, la responsabilité
de l’établissement de santé ne peut être engagée que pour faute.

Comme pour le dépôt hôtelier, une responsabilité de plein droit pèse sur l’éta-
blissement de santé en raison des vols et dégradations des biens déposés. La respon-
sabilité est toutefois limitée ou double du plafond mensuel de la sécurité sociale.
L’établissement de santé pourra s’exonérer de sa responsabilité en démontrant que
la perte résulte d’un vice de la chose ou a été rendue indispensable pour exécuter
l’acte médical.
Les biens abandonnés par le patient à sa sortie ou suite à son décès doivent être
déposés par le personnel entre les mains d’un préposé commis à cet effet ou entre

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celles d’un comptable public. Ils pourront alors être réclamés par le patient ou ses
héritiers dans un délai dépendant de leur nature.

Fiche 28 • Les dépôts spéciaux


V. Le séquestre

Le séquestre est défini par l’article 1956 du Code civil comme « le dépôt fait
par une ou plusieurs personnes d’une chose contentieuse entre les mains d’un tiers
qui s’oblige de la rendre, après la contestation terminée, à la personne qui sera jugée
devoir l’obtenir ».
L’idée générale du séquestre est donc qu’une chose faisant l’objet d’un litige
est remise à tiers en attendant que le litige soit tranché.

Attention

Le terme « séquestre » est utilisé pour désigner le contrat, mais également la


personne qui reçoit la chose (le dépositaire).

Le séquestre peut être conventionnel. Dans ce cas, les parties s’entendent


pour remettre la chose au tiers jusqu’à l’issue du procès. Dans ce cas il y aura deux
déposants (les parties au procès) et un dépositaire (le tiers).
Le séquestre peut également être judiciaire. C’est alors le juge, qui constatant
le désaccord des parties sur le dépôt, qui le prononce.
Le séquestre (la personne chargée de garder le bien) est tenu des mêmes obliga-
tions qu’un dépositaire et doit donc assurer la garde et la conservation de la chose
et l’administration de la façon commandée par sa nature.
Souvent, le contrat de séquestre est conclu à titre onéreux, le dépositaire perçoit
alors une rémunération et a droit au remboursement des frais de conservation. Si le
séquestre est conventionnel, les déposants supportent ensemble cette obligation de
payer le dépositaire. Si le séquestre est judiciaire, c’est la partie qui a sollicité le juge
pour demander la mise sous séquestre du bien qui en est débitrice (la somme pourra
toutefois lui être remboursée en cas de victoire dans le procès au titre des dépens).

À retenir

−− Le dépôt est irrégulier lorsqu’il porte sur chose fongible, le dépositaire devient
alors propriétaire de la chose déposée et doit en restituer l’équivalent.
−− Le dépôt nécessaire est celui dont la conclusion est forcée par une contrainte
imprévue.
−− Dans le dépôt hôtelier, la responsabilité de l’hôtelier peut être engagée de
plein droit, mais l’étendue de cette responsabilité est variable.

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−− Le dépôt hospitalier n’est conclu que lorsque les biens ont été remis entre
les mains d’un préposé de l’établissement santé.
−− Le séquestre, qui porte sur une chose litigieuse, peut être conventionnel ou
judiciaire.

Pour en savoir plus


−− C. Bloud-Rey, « Le recours audacieux à la qualification de dépôt nécessaire : à propos
de la remise de bagues dans un salon de manucure », D. 2002. chron. p. 1301.
−− J. Charriaud, « Le dépôt est-il véritablement un contrat ? Élément de réponse au travers
d’une analyse historico-comparative du dépôt irrégulier », RDC 2017/3, p. 538.
−− A. Engel-Créach, Les contrats judiciairement formés, Economica, 2002.
−− I. Dauriac, « Dépôt nécessaire et obligation de surveillance », RDC 2005, p. 1031.
−− R. Rodière, « La notion de dépôt nécessaire », D. 1951, chron. p. 123.
−− P. Servant, « L’extrême rapidité des revirements de jurisprudence en matière de
responsabilité hôtelière », D. 2001, chron. p. 2914.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Une personne déjeune dans le restaurant d’un hôtel dans lequel elle
le ne loge pas. Pendant le repas, elle se fait dérober sa valise placée
dans le coffre de sa voiture garée sur le parking de l’hôtel. Ce client
peut engager la responsabilité de l’hôtelier sur le fondement du dépôt
hôtelier.
a : vrai ; b : faux.
2. Si le client d’un hôtel se fait voler sa voiture stationnée sur le parking
de l’établissement, la responsabilité de l’hôtelier est :
a : illimitée ; b : limitée à cinquante fois le prix de la chambre par journée ;
c : limitée à cent fois le prix de la chambre par journée
3. Le dépositaire, dans un dépôt irrégulier, n’est pas tenu d’une obligation
de restitution, car il devenu propriétaire de la chose.
a : vrai ; b : faux.
4. Une personne a été hospitalisée en urgence et le chirurgien, pour
pratiquer l’opération a dû déchirer son pantalon. Le patient peut
engager la responsabilité de l’établissement de santé sur le fondement
du dépôt hospitalier.
a : vrai ; b : faux.

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5. Un salarié a laissé ses vêtements de ville dans le vestiaire de
l’établissement dans lequel il travaille afin de pouvoir revêtir sa tenue
de sécurité obligatoire. Ses vêtements de ville ont été dérobés.

Fiche 28 • Les dépôts spéciaux


a : il ne s’agit pas d’un dépôt nécessaire ; b : il s’agit d’un dépôt nécessaire.

CORRIGÉ
1 : b. faux. La jurisprudence estime que pour donner naissance à un dépôt
hôtelier, il faut au préalable qu’un contrat d’hôtellerie ait été conclu. Si le
client ne fait que déjeuner dans l’hôtel, un tel contrat n’existe pas.
2 : c. limitée à cent fois le prix de la chambre par journée, car il s’agit d’un
bien introduit dans l’hôtel.
3 : b. faux. Il est tenu d’une obligation de restitution par équivalent.
4 : b. faux. Il s’agit ici d’une cause d’exonération de responsabilité du
dépositaire : la détérioration du pantalon est justifiée par la nécessité de
pratiquer l’acte médical.
5 : a. il ne s’agit pas d’un dépôt nécessaire. Il n’y a pas de contrainte imprévue
le poussant à tenter de protéger ses biens en les remettant à un tiers (V.
Cass. civ. 24 juillet 1929, DH, 1929, p. 474).

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Seconde partie
Les contrats portant
sur les services

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Fiche 29
La qualification et la forme
du mandat

I. Les éléments essentiels du mandat


II. Les éléments naturels du mandat
III. La formation du mandat

Définition

Représentation. La représentation est un mécanisme permettant qu’une conven-


tion ne créée par d’effet entre les parties en présence lors de la conclusion (le
tiers et le représentant), mais entre le tiers et le représenté.

Le contrat de mandat est un contrat de représentation défini par l’article 1984


C. civ. comme « un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire
quelque chose pour le mandant et en son nom » (pour que la définition soit complète,
l’on devrait ajouter « et pour son compte »). Il permet notamment à une personne de
passer des actes juridiques sans être présente : en étant donc représentée.

Attention

Depuis l’ordonnance de réforme du droit des contrats, les dispositions applicables


au mandat doivent être conciliées avec les dispositions relevant du droit commun
de la représentation figurant désormais aux articles 1153 et suivants du Code civil.

Initialement conçu comme un contrat d’ami, le mandat a aujourd’hui évolué


notamment en raison de sa professionnalisation. S’il y a bien un droit commun du
mandat (constitué par les articles 1984 et suivants du C. civ.), de nombreux mandats
spéciaux se sont développés (l’on pense par exemple au mandat de l’agent de voyage,
de l’agent d’affaires ou encore de l’agent d’assurance). La spécificité des opérations
envisagées conduit cependant à exclure l’étude des mandats spéciaux du champ de
cet ouvrage pour ne se concentrer que sur le droit commun du mandat.

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Il peut également être précisé que l’avant-projet de réforme modifie quelque peu
les choses en termes de terminologie et de qualification. Il propose en effet de définir
le mandat comme le contrat par lequel « le mandat donne pouvoir au mandataire de
conclure des actes juridiques en son nom et pour son compte » (art. 143 al. 1er). Il précise
ensuite quand « lorsque le mandant donne pouvoir au mandataire de conclure un acte
dont le contenu est d’ores et déjà défini » le contrat est alors appelé « procuration »
(art. 143 al. 3). En outre, le mandat serait qualifié de « mandat d’intérêt commun »,
« lorsque la rémunération du mandataire est liée à la création ou développement de
la clientèle du mandant » (art. 143 al. 4). Enfin, devrait être distingué du mandat le
contrat de « prête-nom » défini comme « celui par lequel l’une des parties, dénommée
prête-nom, reçoit le pouvoir d’agir pour le donneur d’ordre, mais sous son propre nom
et sans révéler qu’il agit pour autre » (art. 156).

I. Les éléments essentiels du mandat

Il y a trois éléments essentiels à la qualification du contrat de mandat, permet-


tant de le distinguer d’autres opérations juridiques.

A. Un contrat portant sur l’accomplissement d’actes juridiques

Le mandat est un contrat, il se distingue alors de la gestion d’affaires (qui est


un quasi-contrat). Cette opération repose donc sur un accord de volonté entre le
mandant et le mandataire. L’objet de ce contrat est l’accomplissement d’actes juri-
diques (par exemple la conclusion d’un contrat). Si la prestation principale n’est pas
l’accomplissement d’actes juridiques, mais la réalisation d’actes matériels, le contrat
doit être requalifié en contrat d’entreprise.

Attention

Dire que le mandat ne peut porter à titre principal sur des actes matériels ne
signifie pas que ceux-ci ne peuvent être exigés du mandataire à titre accessoire.
Ils doivent toutefois être réalisés afin d’accomplir des actes juridiques. Par
exemple, un mandataire peut devoir se déplacer ou réaliser certaines démarches
(actes matériels) pour conclure un contrat (acte juridique).

Illustration

Cass. civ. 1re, 9 mars 1970, n° 68-13406.


Dans cet arrêt, la Cour de cassation qualifie de mandat un contrat par lequel
une personne (le mandataire) s’était vu confier deux enfants afin de « les élever

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et les entretenir ». La qualification apportée à cette opération se comprend, car
le mandataire devait passer différents actes juridiques afin de réaliser sa mission.

Fiche 29 • La qualification et la forme du mandat


B. L’accomplissement d’actes juridiques pour le compte d’autrui :
la représentation

Le principal objet du mandat est une obligation de faire consistant pour le


mandataire à passer un acte juridique au nom et pour le compte du mandant.
L’expression « au nom du mandant » signifie que le tiers qui contracte sait que
son cocontractant n’est pas le mandataire, mais bien le mandant.
L’expression « pour le compte du mandant » signifie que les bénéfices et les risques
liés à la conclusion de l’acte juridique sont supportés par le mandant.

Attention

En doctrine, il existe deux conceptions de la représentation. D’un côté, la repré-


sentation dite « parfaite » est celle dans laquelle le représentant agit au nom et
pour le compte du représenté (ce qui correspond à l’hypothèse du mandat). D’un
autre côté, la représentation dite « imparfaite » dans laquelle le représentant
agit pour le compte du représenté, mais en son nom propre (art. 1154 al. 2 C.
civ : « Lorsque le représentant déclare agir pour le compte d’autrui, mais contracte
en son propre nom, il est seul engagé à l’égard du cocontractant »). Cette distinc-
tion conduit certains auteurs à affirmer qu’un mandat sans représentation, ou
du moins avec une représentation imparfaite, est envisageable.

C. L’indépendance du mandataire

Le mandataire doit effectuer sa mission en toute indépendance : sans lien de


subordination vis-à-vis du mandant. Un « mandat » comprenant un lien de subor-
dination entre le mandant et mandataire devrait être disqualifié et requalifié en
contrat de travail.

II. Les éléments naturels du mandat

Le mandat est en principe un contrat conclu à titre gratuit, mais les parties
peuvent convenir d’une rémunération pour le mandataire. Cela ressort de l’article
1986 C. civ. suivant lequel « le mandat est gratuit, s’il n’y a convention contraire ».
Lorsque le mandat est passé avec une personne qui en a fait sa profession, il est
alors présumé être stipulé à titre onéreux : dans cette hypothèse, c’est donc à celui
qui prétend avoir conclu un mandat gratuit de rapporter la preuve de cette gratuité.

225

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Illustration

Cass. civ. 1re, 11 février 1981, pourvoi n° 79-16473 :


« Le mandat est présumé salarié en faveur des personnes qui font profession de
s’occuper des affaires d’autrui ».

Le mandat est également, en principe, un contrat conclu intuitu personae. En


raison de la confiance nécessaire à la conclusion de ce contrat, il paraît logique
que celui-ci soit conclu en contemplation de la personne du mandataire. L’une des
principales conséquences de ce caractère est que le Code autorise la révocation du
mandataire de façon discrétionnaire pour le mandant.
Il ne s’agit cependant pas d’un caractère essentiel, puisque le Code autorise la
substitution de mandataire, sans l’accord du mandant.

III. La formation du mandat

A. Règles de fond

Les règles de capacité s’apprécient de façon particulière dans le mandat.


Le mandant doit non seulement avoir la capacité de conclure le contrat de mandat
(qui est un acte d’administration), mais également avoir la capacité de conclure
l’acte que le mandataire doit passer (dont la nature variera selon les circonstances).
La capacité du mandataire ne s’apprécie qu’à l’aune du contrat de mandat (il n’a
donc pas à avoir la capacité requise pour passer l’acte dont la conclusion est l’objet du
mandat) : cela s’explique par le fait que le mandataire n’est qu’un intermédiaire, il n’est
pas engagé à l’égard du tiers (seul le mandant l’est). L’article 1990 C. civ. prévoit même
que le mandataire puisse être un incapable et notamment un mineur non émancipé.
L’objet du mandat doit être licite. La licéité du mandat s’apprécie donc à l’égard
de l’acte dont la passation est l’objet de la mission du mandataire.

Illustration

Un mandat qui donnerait pour mission au mandataire d’acquérir une chose


hors commerce serait nul. De même, si la représentation est interdite pour l’acte
projeté (par exemple un mariage), le mandat doit également être frappé de nullité.

L’objet du mandat doit également être déterminé ou déterminable. Les articles


1987 à 1989 établissent alors une typologie des mandats en fonction de l’objet. Le
mandat est spécial lorsqu’il ne porte que sur la conclusion d’un ou plusieurs actes
déterminés. Il est général lorsqu’il porte sur « toutes les affaires du mandant »
(art. 1987).

226

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Le mandat peut être exprès ou conçu en des termes généraux. Selon l’article 1988
« le mandat conçu en des termes généraux n’embrasse que les actes d’administra-
tion. S’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété,

Fiche 29 • La qualification et la forme du mandat


le mandat doit être exprès ». Partant, lorsqu’un mandataire dispose d’un mandat
conçu en des termes généraux, il ne peut accomplir que les actes les plus courants,
la conclusion d’un acte de disposition nécessite donc de conclure un autre mandat
visant expressément l’acte en question.

Illustration

Cass. civ. 1re, 6 juillet 2000, pourvoi n° 98-12800 :


Constitue un mandat exprès d’aliéner la procuration précisant « exactement les
pouvoirs du mandataire, et que, outre le mandat général de gérer et administrer tous
ses biens, (le mandant) avait chargé (le mandataire) de vendre expressément tout ou
partie des biens meubles et immeubles lui appartenant en totalité ou en partie, et
de consentir ces ventes aux prix, charges et conditions que le mandataire aviserait ».

Lorsque le mandat est salarié, le prix n’a pas à être déterminé (à l’exception
de certains mandats spéciaux tels le contrat d’agent immobilier). Autrement dit,
l’accord des parties sur le montant de la rémunération du mandataire n’est pas une
condition de validité du mandat. En cas de désaccord des parties sur le montant de
la rémunération, le juge pourra le fixer.

B. Règles de forme

Selon l’article 1985 C. civ., « le mandat peut être donné par acte authentique ou
par acte sous seing privé, même par lettre. Il peut aussi être donné verbalement ». Il
convient donc d’affirmer que le mandat n’est pas soumis à un quelconque formalisme
ad validitatem : il est donc consensuel.
Le mandat peut même être tacite et ne résulter que de son exécution par le
mandataire ou de l’absence d’opposition du mandant à l’exécution de sa mission
par le mandataire.

Attention

Lorsque l’acte dont la conclusion forme l’objet de la mission du mandataire doit


respecter une forme ad validitatem ou ad probationem, le mandat doit respecter
cette forme (par exemple le mandat portant sur la conclusion d’une hypothèque
doit être passé en la forme authentique) : c’est la règle du parallélisme des formes.

Entre les parties, la preuve du mandat et de son contenu obéit aux règles du
droit commun (y compris les exceptions telle l’impossibilité morale de se procurer

227

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un écrit). Lorsque le mandat doit être prouvé par écrit, si le tiers contractant doit
en prouver l’existence, il devra, comme les parties, fournir cette preuve écrite.

À retenir

−− Le mandat est contrat dont l’objet est la passation d’actes juridiques par le
mandant au nom et pour le compte du mandataire.
−− Le mandataire doit agir en toute indépendance.
−− Le mandat peut être général ou spécial et exprès ou conçu en des termes
généraux.

Pour en savoir plus


−− N. Dissaux, « Mandat et réforme des contrats », in Les contrats spéciaux et la réforme
du droit des obligations, dir. L. Andreu et M. Mignot, Varenne, 2017, p. 343.
−− M.-L. Izorche, « À propos du mandat sans représentation », D. 1999, chron. 369.
−− C. Lazerges, « Les mandats tacites », RTD civ. 1975, p. 222.
−− Ph. Le Tourneau, « De l’évolution du mandat », D. 1992, chron. 157.
−− J.-F. Sagaut, « De quelques questions au sujet de la pratique du mandat », RDC 2009,
p. 723.

POUR S’ENTRAÎNER

I. QCM
1. Le mandat est la seule technique de représentation présente dans le
Code civil.
a : vrai ; b : faux.
2. Dans la représentation imparfaite :
a : le tiers contractant sait que le représentant n’est pas la partie avec
laquelle il s’engage ; b : le représentant agit en son nom propre.
3. L’hypothèse type de représentation dans le mandat est :
a : une représentation parfaite ; b : une représentation imparfaite.
4. La gratuité participe :
a : de l’essence du mandat ; b : de la nature du mandat.
5. Le mandat conclu avec un mandataire incapable :
a : peut être annulé ; b : ne peut pas être annulé.

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CORRIGÉ
1 : b. faux. Il existe d’autres techniques de représentation, telles la représentation

Fiche 29 • La qualification et la forme du mandat


du mineur par ses représentants légaux ou la solidarité.
2 : b. Le représentant agit pour le compte du représentant, mais en son nom
propre. Autrement dit, seul le représentant est engagé envers le tiers (qui
ne sait pas qu’il contracte avec un représentant), mais il agit pour le compte
du représenté.
3 : a. une représentation parfaite puisque le mandataire agit au nom et pour
le compte du mandant.
4 : b. de la nature du mandat. Cela s’explique par le fait que les parties
peuvent convenir d’une rémunération pour le mandataire sans que le contrat
n’encoure la requalification.
5 : a. peut être annulé. Conclure un mandat avec un incapable est risqué.
L’acte conclu avec le tiers n’est pas menacé, mais le mandat peut l’être. Selon
l’article 1990, le mandataire n’a d’action contre l’incapable qu’en respectant
les règles relatives au droit des incapacités. L’incapable est donc en droit
de demander la nullité du mandat et n’aura à restituer que ce qui a tourné
à son profit.

II. Question de cours


Dressez un rapide panorama des différentes combinaisons possibles entre
mandat spécial, général, exprès, et conclu en des termes généraux.

CORRIGÉ
Le mandat peut être général et conçu en des termes généraux : c’est par
exemple le cas d’un mandat de gérer tous les biens du mandant.
Il peut être général et exprès : c’est le cas du mandat portant sur l’aliénation
de tout ou partie des meubles du mandataire.
Il peut être spécial et exprès : il portera alors par exemple sur l’aliénation de
tel ou tel bien du mandataire.
Il peut être spécial et conçu en des termes généraux : son objet peut alors
être de gérer tel ou tel bien appartenant au mandataire.

229

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Fiche 30
Les effets du mandat

I. Les effets entre les parties


II. Les effets à l’égard des tiers

Définition

Ratification. La ratification est une régularisation a posteriori par le mandant


de l’acte passé par le mandataire sans pouvoir.

La particularité du mandat tient au fait que s’il est bien conclu entre deux
parties – le mandant et le mandataire – sa finalité est la conclusion d’un acte avec
un troisième protagoniste : le tiers contractant. Bien que bilatéral, le mandat produit
donc des effets entre trois personnes.

I. Les effets entre les parties

A. Les obligations du mandataire : exécuter sa mission


et rendre des comptes

Le mandataire doit tout d’abord, exécuter sa mission, c’est ce qui résulte de


l’article 1991 C. civ. qui dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat
tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient
résulter de son inexécution. Il est tenu de même d’achever la chose commencée au
décès du mandant, s’il y a péril en la demeure ».
La responsabilité du mandataire est appréciée différemment selon les circons-
tances. En effet, si le mandat est conclu à titre gratuit, le mandataire sera traité
avec plus de clémence :
−− si le mandat est conclu à titre onéreux, une faute simple permet d’engager
sa responsabilité ;
−− si le mandat est conclu à titre gratuit, une faute lourde ou grave doit lui
être reprochée.

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L’exécution doit être conforme au contrat, l’article 1989 dispose d’ailleurs à
cet égard que « le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans
son mandat ». Cela signifie qu’il doit se conformer aux instructions qui lui ont été

Fiche 30 • Les effets du mandat


données (par exemple, il ne pourrait vendre un bien en dessous du prix minimum
fixé par le mandant).
L’exécution doit être diligente. À ce titre, le mandataire doit agir avec rapidité
et efficacité. Il doit donc tout faire pour préserver les intérêts du mandant (par
exemple vendre au meilleur prix possible). Il doit enfin persévérer dans sa mission
puisqu’il est tenu d’achever sa mission en cas de décès du mandant, s’il y a péril
en la demeure.
L’exécution doit être loyale. Le mandataire ne doit donc pas agir dans son intérêt
personnel ou dans l’intérêt d’un tiers. Ceci explique la disposition de l’article 1596
C. civ. qui interdit au mandataire de se porter adjudicataire d’un bien vendu aux
enchères s’il était lui-même chargé de le vendre.
Au même titre, il est tenu d’une obligation d’information ou de conseil à l’égard
du mandant (l’intensité de cette obligation varie selon que le mandataire est rému-
néré ou non).

Illustration

Cass. civ. 1re, 12 juillet 2007, pourvoi n° 06-17979 :


Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme que le mandataire doit attirer
l’attention du mandant sur l’existence d’un revirement de jurisprudence : « Attendu
qu’il entre dans les obligations de la société d’exploitation d’une clinique, mandataire
rémunérée pour le recouvrement des honoraires des médecins exerçant auprès d’elle,
d’attirer leur attention sur la portée rétroactive d’une jurisprudence leur ouvrant
désormais droit à la perception d’une somme forfaitaire complémentaire auprès des
caisses primaires d’assurance maladie ».

Si le contrat n’est pas marqué par l’intuitus personae, le mandataire peut se


substituer un sous-mandataire afin d’exécuter sa mission. L’article 1994 C. civ.
fixe le régime de la substitution :
−− si la substitution n’a pas été autorisée par le mandant, le mandataire initial est
responsable à l’égard du mandant des fautes commises par le sous-mandataire ;
−− si la substitution a été autorisée, le mandataire initial n’est pas responsable à
l’égard du mandant des fautes commises par le sous-mandataire, à moins que
son choix n’ait porté sur une personne « notoirement incapable ou insolvable ».
Que la substitution ait été autorisée ou non, le mandant dispose toujours d’une
action directe contre le sous-mandataire.
Le mandataire doit également rendre des comptes au mandant. Cette obligation
est prévue à l’article 1933 C. civ. qui dispose que « tout mandataire est tenu de rendre

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compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu
de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant ».
Cette obligation impose au mandataire d’informer le mandant de l’évolution de
sa mission (avancement, difficultés…) et, au terme de cette mission de l’informer
de sa réussite ou de son échec.
Elle impose également de fournir au mandant un compte de gestion voire de
restituer au mandant ce qu’il détient pour son compte.

B. Les obligations du mandant : payer, rembourser et indemniser

Si le mandat est salarié, le mandant doit bien entendu payer la rémunération


prévue.
Deux autres obligations sont à la charge du mandant. Celles-ci témoignent de
l’idée suivant laquelle le mandat ne doit pas faire subir de pertes au mandataire :
−− le mandant doit donc, suivant l’article 1999 C. civ., « rembourser au mandataire
les avances et frais que celui-ci a faits pour l’exécution du mandat », mais une
clause contraire peut toutefois décharger le mandant de cette obligation ;
−− l’article 2000 C. civ. prévoit que le mandant doit « indemniser le mandataire
des pertes que celui-ci a essuyées à l’occasion de sa gestion, sans imprudence
qui lui soit imputable ». Autrement dit, dès lors que la perte n’est pas due à la
faute du mandataire, c’est au mandant d’en subir les conséquences. Une clause
contraire est envisageable à la condition d’être claire et dépourvue d’ambiguïté.

II. Les effets à l’égard des tiers

A. Les effets entre le mandataire et les tiers

Le principe de la représentation parfaite dans le mandat est que l’acte conclu en


exécution de la mission du mandataire ne lie que le mandant et le tiers contractant.
Cet acte ne peut donc enrichir ou appauvrir le mandataire qui n’est qu’un intermé-
diaire permettant la conclusion du contrat.
Par exception, le mandataire peut être responsable personnellement envers le
tiers contractant dans deux hypothèses :
−− s’il n’a pas dit au tiers contractant qu’il agissait au nom et pour le compte du
mandant. Dans ce cas, le tiers en question peut considérer que le mandant
est son débiteur ;
−− s’il a commis une faute à l’égard du tiers notamment en dépassant les
pouvoirs qui lui avaient été transmis (ce dépassement de pouvoir est alors
susceptible d’entraîner la nullité de l’acte passé). Sa responsabilité est alors
extracontractuelle.

232

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Illustration

Cass. Ch. mixte, 26 mars 1971, pourvoi n° 68-13407 :


« Le mandataire est responsable personnellement envers les tiers des délits et

Fiche 30 • Les effets du mandat


quasi-délits qu’il peut commettre, soit spontanément, soit même sur les instructions
du mandant, dans l’accomplissement de sa mission ».

Depuis la réforme du droit des contrats, l’article 1158 C. civ. prévoit qu’un tiers qui
doute de l’étendue du pouvoir du mandataire « peut demander par écrit au représenté
de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représenté
est habilité à conclure cet acte ». Cette nouvelle disposition instaure une action
interrogatoire dont les conditions et le régime sont strictement fixés. La demande
doit être adressée par écrit, enfermée dans un délai raisonnable et préciser qu’à
défaut de réponse, le représentant est réputé habilité à conclure l’acte en question.

B. Les effets entre le mandant et les tiers

Aux termes de l’article 1998 « le mandant est tenu d’exécuter les engagements
contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ; il n’est
tenu de ce qui a pu être fait au-delà, qu’autant qu’il l’a ratifié expressément ou
tacitement ».
Si l’acte a été accompli conformément au pouvoir transmis au mandataire,
par l’effet de la représentation, le mandant est alors engagé avec le tiers comme
s’il avait lui-même pris part à la conclusion du contrat (par exemple, si le mandat
portait sur la conclusion d’une vente, que celle-ci a été conclue, le mandant sera
tenu de toutes les obligations du vendeur). Tous les actes accomplis par le mandataire
seront donc opposables au mandant.
Le principe s’efface en cas de collusion frauduleuse entre le mandataire et le
tiers : l’idée est que ces deux parties auraient conclu un acte dans le but de nuire au
mandant (en négociant par exemple un taux d’intérêt extrêmement haut). Dans ce cas,
la représentation ne joue pas et le mandant n’est pas engagé par l’acte du mandataire.
En cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant n’est pas
engagé par les actes conclus avec le tiers. L’acte passé est alors menacé.
Depuis l’ordonnance de réforme du droit des contrats, l’article 1156 C. civ. prévoit
que l’acte passé par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inop-
posable au représenté (alinéa 1er). Le tiers contractant qui ignorait le dépassement
ou l’absence de pouvoir peut, pour sa part, demander la nullité de l’acte (alinéa 2).

Attention

Dans l’hypothèse où le tiers contractant connaît l’absence ou le dépassement de


pouvoir de la part du mandataire, il ne peut plus demander la nullité de l’acte.

233

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La nullité et l’inopposabilité de l’acte sont cependant écartées dans deux hypo-
thèses :
−− le mandant peut ratifier tacitement ou expressément l’acte conclu sans
pouvoir ou dans le cadre d’un dépassement de pouvoir. La ratification produit
un effet rétroactif ;
−− peut aussi s’appliquer la théorie du mandat apparent. Celle-ci peut permettre
de sauver l’acte lorsque le tiers a pu légitimement croire qu’il traitait avec
un mandataire investi des pouvoirs suffisants pour conclure l’acte. Afin de
protéger le tiers, l’acte est alors sauvé et le mandant engagé comme dans le
cadre d’un mandat ordinaire. Le tiers doit cependant rapporter la preuve qu’il
a légitimement cru en l’étendue des pouvoirs du mandataire et démontrer
que les circonstances l’autorisaient à ne pas vérifier les limites du pouvoir
du mandataire.

Attention

Seul le tiers peut se prévaloir du mandat apparent (le mandataire et le faux


mandant ne le peuvent pas).

Illustration

Cass. A.P. 13 décembre 1962, pourvoi n° 57-11569 :


« Le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même
en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à
l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les
circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ».

À retenir

−− Le mandataire a deux obligations envers le mandant : exécuter sa mission et


rendre des comptes.
−− Le mandant a trois obligations envers le mandataire : payer la rémunération
(si le mandat est salarié), rembourser les avances et frais et indemniser le
mandataire des pertes subies à l’occasion de la gestion.
−− Par principe, le mandataire n’est pas responsable envers les tiers ; par excep-
tion il peut le devenir s’il a tu sa qualité de mandataire ou en cas de faute
à l’égard du tiers.
−− En cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant n’est pas
engagé, à moins de ratifier l’acte conclu ou si le tiers invoque avec succès la
théorie du mandat apparent.

234

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Pour en savoir plus
−− A. Batteur, Le mandat apparent en droit privé, LGDJ, 2004
−− B. Mallet-Bricout, La substitution de mandataire, préf. C. Larroumet, éd. Panthéon-

Fiche 30 • Les effets du mandat


Assas, 2000.
−− Ph. Pétel, Les obligations du mandataire, Litec, 1988.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Dans le cadre d’un mandat gratuit portant sur la gestion d’un portefeuille
de valeurs mobilières, un conseil peu judicieux du mandataire a fait
perdre de l’argent au mandant.
a : La responsabilité du mandataire peut être engagée ; b : la responsabilité
du mandataire ne peut être engagée.
2. Il est possible de faire peser sur le mandataire les pertes liées à la
gestion :
a : Si les pertes sont dues à la faute du mandataire ; b : par convention ;
c : jamais.
3. Le mandataire est partie au contrat dont la conclusion était l’objet
de la mission.
a : vrai ; b : faux.
4. Dans le cadre d’un mandat apparent, le mandataire peut être responsable
à l’égard du mandant :
a : sur le terrain délictuel ; b : sur le terrain contractuel ; c : il ne peut être
responsable à son égard.
5. Dans le cadre d’un mandat apparent, le tiers aura du mal à rapporter
la preuve de la croyance légitime dans l’étendue des pouvoirs du
mandataire.
a : vrai ; b : faux.

CORRIGÉ
1 : b. la responsabilité du mandataire ne peut pas être engagée : un simple
conseil peu judicieux n’est pas assimilable à une faute lourde ou grave.
2 : a. et b. si les pertes sont dues au mandataire, il peut en être comptable. En
outre, la jurisprudence admet que les parties puissent renoncer aux dispositions
de l’article 2000 C. civ. par clause dès lors du moins que la stipulation est
claire et dépourvue d’ambiguïté.

235

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3 : b. faux : le mandat donne lieu à une représentation parfaite, le mandataire
est en quelque sorte transparent. Une fois sa mission terminée, il n’est en aucun
cas partie au contrat conclu qui n’unit que le mandant et le tiers contractant.
4 : a. sur le terrain délictuel : le mandataire et le mandant n’ont par hypothèse
pas passé de contrat de mandat, il ne peut donc y avoir de responsabilité
contractuelle. La responsabilité que peut engager le mandataire apparent à
l’égard du mandant ne peut donc qu’être délictuelle.
5 : b. faux. Rapporter la preuve de la croyance légitime suppose que le tiers
soit de bonne foi, en quelque sorte, il doit avoir été trompé par l’apparence. Or,
l’on peut rappeler que la bonne foi est présumée. C’est donc essentiellement
au faux mandant de rapporter la preuve de la mauvaise foi du tiers !

236

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Fiche 31
L’extinction du mandat

I. Les causes d’extinction volontaires


II. Les causes d’extinction involontaires

Définition

Mandat d’intérêt commun. Le mandat d’intérêt commun est un mandat dans


lequel le mandant n’est pas la seule partie à avoir un intérêt à la réalisation de la
mission. Pour être qualifié de la sorte l’intérêt doit cependant être véritablement
commun au mandant et au mandataire.

Le mandat peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée, mais ne
peut bien entendu être perpétuel. Partant, le mandat est susceptible de s’éteindre
au bout d’un certain temps. L’extinction peut alors être le fruit de l’application du
droit commun des contrats et résulter par exemple de l’exécution ou d’une résolu-
tion. Elle peut également intervenir par le fait des causes spécifiques d’extinction
du mandat prévues aux articles 2003 et suivants du Code civil.

I. Les causes d’extinction volontaires

Les parties au mandat se voient reconnaître un pouvoir de résiliation unilatérale


du contrat. Lorsque ce pouvoir est exercé par le mandant, l’on parle de révocation,
lorsqu’il est exercé par le mandataire l’on parle alors de renonciation.

A. La révocation

Aux termes de l’article 2004 C. civ. « le mandant peut révoquer sa procuration


quand bon lui semble », le mandat est donc révocable ad nutum.
Le mandant n’a pas à justifier sa décision qui est discrétionnaire.

237

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Attention

Si le mandant peut révoquer le mandat à tout moment, l’exercice de ce droit ne


saurait dégénérer en abus (la révocation ne doit donc pas être brutale), sous
peine de voir la responsabilité de son auteur engagée.

Deux exceptions à la libre révocation doivent être relevées :


−− lorsque les parties ont conclu un mandat irrévocable pendant un certain
temps, la révocation peut produire ses effets, mais le mandant devra alors
indemniser le mandataire ;
−− lorsque le contrat est un mandat d’intérêt commun. Le mandat d’intérêt
commun est une création jurisprudentielle permettant de limiter la révocabilité
du mandat (si le mandant révoque le contrat, il doit indemniser le mandataire).
Pour qu’il y ait mandat d’intérêt commun, mandataire et mandant doivent
poursuivre un intérêt leur étant véritablement commun.

Illustration

Cass. civ. 13 mai 1885, DP 1885, 1, 350 :


« […] le mandat conféré dans l’intérêt des mandants et du mandataire ne peut pas
être révoqué par la volonté de l’une ou même de la majorité des parties intéressées,
mais seulement de leur consentement mutuel, ou pour une cause légitime, reconnue
en justice, ou enfin suivant les clauses et conditions spécifiées par le contrat ».

Attention

Le mandat d’intérêt commun ne prive pas le mandant du pouvoir de révoquer.


La révocation du mandat est valable, mais ouvre droit pour le mandataire à une
indemnisation si elle n’est pas fondée sur un juste motif.

Le mandataire doit donc avoir un véritable intérêt à la réalisation de la mission


qui lui a été confiée. Par exemple, la création d’une clientèle commune au mandant
et au mandataire pourrait fonder l’existence d’un intérêt commun.

Illustration

Cass. com. 8 octobre 1969, Bull. civ. IV, n° 284 :


La Cour de cassation a pu affirmer que l’intérêt commun pouvait se déduire
de ce que « la réalisation de l’objet du mandat présente pour (les deux parties)
l’intérêt d’un essor de l’entreprise par création et développement de la clientèle,
intérêt commun justifiant, pour la révocabilité de ce mandat, une dérogation aux
règles des mandats gratuits ou salariés dont l’objet n’intéresse que le mandant ».

238

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Attention

Tout mandat salarié n’est pas d’intérêt commun, car bien que percevant un salaire
le mandataire ne poursuit pas nécessairement un intérêt lui étant propre.

Fiche 31 • L’extinction du mandat


B. La renonciation

Selon l’article 2007 C. civ., « le mandataire peut renoncer au mandat, en notifiant


au mandant sa renonciation ». Cette renonciation n’a pas à être motivée.
Si la renonciation porte préjudice au mandant, le mandataire devra l’indemniser, à
moins, comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 2007, que le mandataire « ne se trouve
dans l’impossibilité de continuer le mandat » sans que le mandant n’en éprouve « un
préjudice considérable ».

II. Les causes d’extinction involontaires

Selon l’article 2003 C. civ., plusieurs causes involontaires peuvent mettre fin
au mandat.
Il peut tout d’abord s’agir du décès de l’une des parties. Toutefois, en cas de
décès du mandant, le mandataire est tenu d’achever sa mission s’il y a « péril en la
demeure » (art. 1991 C. civ.). De même, si le mandataire ne sait pas que le mandant
est décédé, les actes passés dans cette ignorance sont valables. Les héritiers du
mandant peuvent également décider de poursuivre le contrat en laissant le manda-
taire terminer sa mission.
Il peut ensuite s’agir de l’incapacité (mise sous tutelle ou sous curatelle) frap-
pant l’une des parties.

Attention

Le fait que l’incapacité du mandataire mette fin au mandat n’est pas en contradiction
avec l’article 1990 C. civ. prévoyant qu’un incapable peut être mandataire. Dans
l’article 2003, la situation est différente : initialement, le mandant a contracté
avec une personne capable qui a ensuite été frappée par une mesure d’incapacité.

Il peut enfin s’agir de la déconfiture de l’une des parties. La déconfiture vise en


réalité l’ouverture d’une procédure collective (procédure de sauvegarde, de redres-
sement ou de liquidation judiciaire) à l’égard d’une des parties.

239

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Attention

L’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’une des parties n’emporte pas
la résiliation de plein droit du mandat. L’administrateur judiciaire a en effet
la possibilité d’exiger le maintien des contrats en cours au jour du jugement
d’ouverture de la procédure.

À retenir

−− Chaque partie peut résilier unilatéralement le mandat.


−− Exercée par le mandant, la résiliation unilatérale est nommée révocation.
−− Exercée par le mandataire, la résiliation unilatérale est nommée renonciation.
−− Si le mandat est d’intérêt commun, la rupture unilatérale n’est pas possible
sans indemnisation.
−− Le mandat peut prendre fin par le décès, l’incapacité ou la mise en procédure
collective d’une des parties.

Pour en savoir plus


−− J. Ghestin, « Le mandat d’intérêt commun », in Les activités et les biens de l’entreprise,
Mélanges offerts J. Derrupé, Litec, 1991, p. 105.
−− T. Hassler, « L’intérêt commun », RTD com., 1984, p. 581.

POUR S’ENTRAÎNER

I. Question de cours
La rupture du mandat d’intérêt commun.

CORRIGÉ
L’objet poursuivi par la création de la notion de mandat d’intérêt était
d’exclure la possibilité de révocation du contrat offerte au mandant. Partant
du principe que le mandat n’est pas nécessairement conclu dans l’unique intérêt
du mandant, le mandat d’intérêt commun encadre grandement le pouvoir de
révocation. La situation est alors proche de celle dans laquelle les parties
se trouvent en cas de stipulation d’une clause d’irrévocabilité. À défaut d’un
accord entre les parties, d’une faute du mandataire ou d’une cause légitime
reconnue en justice (telle la réorganisation de l’entreprise du mandant), si
le mandant entend révoquer le contrat, il doit indemniser le mandataire du
préjudice subi. Une stipulation expresse du contrat peut cependant prévoir
que la rupture ne donne lieu à aucune indemnité.

240

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II. Cas pratique
En mars 2017, Eugène, Aristide et Gustave Quincampoix ont hérité en
indivision de la maison familiale située à la Motte Servolex à la suite du

Fiche 31 • L’extinction du mandat


décès de leurs parents. Eugène et Aristide habitant en région parisienne
ont chargé Gustave de procéder à la vente de la maison. Aristide s’étant
néanmoins brouillé avec son frère Gustave a alors révoqué le mandat au
mois de décembre 2017 alors que les recherches d’un acheteur s’avéraient
infructueuses. Après avoir reçu une proposition d’achat en février 2018,
Gustave a conclu une promesse synallagmatique de vente avec M. Barbier.
Afin de voir réaliser la vente, Gustave et Eugène souhaitent assigner
Aristide en vue d’être autorisés à réitérer la promesse. Qu’en pensez-vous ?

CORRIGÉ
En principe le mandant peut révoquer le mandat ad nutum. Néanmoins, ce
principe s’efface lorsque le mandat est qualifié de mandat d’intérêt commun.
En l’espèce, l’un des indivisaires est mandataire, il agit donc autant dans ses
intérêts que dans ceux des autres indivisaires. Il est donc possible de qualifier
le contrat de mandat d’intérêt commun (d’ailleurs cette qualification s’impose
dans les indivisions successorales). Est-ce à dire pour autant que la révocation,
opérée par un autre indivisaire, est inefficace ? Non. Dans le mandat d’intérêt
commun, la révocation est efficace (sûrement, car cette révocation est fondée
par la perte de confiance du mandant envers le mandataire), mais fautive.
Cette faute contractuelle donnera lieu à des dommages et intérêts, mais ne
remettra pas en cause la disparition du mandat. En l’espèce, le mandat a donc
bien été révoqué, la réitération de la promesse ne pourra donc être ordonnée.

241

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Fiche 32
Identification et formation du contrat
d’entreprise

I. La prestation matérielle
II. L’indépendance de l’entrepreneur
III. La rémunération de l’entrepreneur
IV. La formation du contrat d’entreprise

Définitions

Maître de l’ouvrage. Le maître de l’ouvrage est la partie qui commande le travail


à l’entrepreneur. C’est donc le créancier de l’obligation d’exécuter la prestation.
L’entrepreneur. L’entrepreneur est la partie au contrat d’entreprise qui est débi-
trice de l’obligation de réaliser la prestation.
Service. Un service est une richesse, une valeur, créée par le travail d’une personne.

Le Code civil n’emploie jamais l’expression de « contrat d’entreprise », lui préfé-


rant celle de « louage d’ouvrage », permettant ainsi d’opposer ce contrat au louage
des choses (le bail). L’article 1710 définit alors ce contrat comme celui « par lequel
l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix
convenu entre elles ». Cette définition est généralement critiquée, car elle semble
trop large. Il semble plus judicieux de définir le louage d’ouvrage comme celui par
lequel une personne (le maître de l’ouvrage) charge une autre (l’entrepreneur) de
réaliser une prestation matérielle à titre indépendant. L’avant-projet de réforme du
droit des contrats spéciaux propose d’ailleurs de renommer le contrat d’entreprise en
« contrat de prestation de service » et en pose la définition suivante : « le contrat
de prestation de service est celui par lequel le prestataire doit accomplir un travail de
manière indépendante au profit du client » (art. 69).
Ici encore, s’il existe un droit commun du contrat d’entreprise (qui forme l’objet
de notre étude), de nombreux contrats d’entreprise spéciaux – l’on pense notamment
au contrat de construction – peuvent être découverts.

242

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Attention

L’article 1779 ouvrant le chapitre consacré au « louage d’ouvrage et d’industrie »


dispose qu’ « il y a trois espèces principales de louage d’ouvrage et d’industrie :

Fiche 32 • Identification et formation du contrat d’entreprise


1° Le louage de service ; 2° Celui des voituriers, tant par terre que par eau, qui se
chargent du transport des personnes ou des marchandises ; 3° Celui des architectes,
entrepreneurs d’ouvrages et techniciens par suite d’études, devis ou marchés ». La
conception retenue par cet article est néanmoins aujourd’hui dépassée. Le louage
de service est aujourd’hui le contrat de travail (régi par le Code du travail) et le
louage des voituriers dépend de la matière du droit des transports. Au final, seul
le 3° semble refléter (imparfaitement) ce qu’est aujourd’hui le contrat d’entreprise.

Pour qualifier un contrat d’entreprise, il faut caractériser l’existence de l’accomplis-


sement d’une prestation matérielle exécutée à titre indépendant par l’entrepreneur.
Un troisième élément – la rémunération – doit également être étudié, bien qu’il ne
soit pas véritablement essentiel.

I. La prestation matérielle

La fourniture d’une prestation matérielle peut se traduire par la réalisation d’une


chose (édifier un mur, tailler un costume, créer un bijou…) ou par la fourniture
d’un service (délivrer un conseil, réparer un véhicule, tondre une pelouse…). Quoi
qu’il en soit, la prestation est toujours positive, l’entrepreneur est alors débiteur
d’une obligation de faire. Souvent, l’on distingue le contrat d’entreprise d’autres
contrats portant sur les choses en ce qu’il a pour vocation de créer une richesse (et
non uniquement de la transmettre) : dans le contrat d’entreprise, la richesse (ou la
valeur) résulte de la prestation matérielle.
L’exigence d’une prestation matérielle permet de distinguer le contrat d’entre-
prise d’autres contrats.

A. Entreprise et vente

La confusion entre l’entreprise et la vente peut venir de l’hypothèse dans laquelle


l’entrepreneur, une fois le travail réalisé, doit délivrer un bien à son cocontractant
(un joaillier après avoir créé un bijou le « vend » à un client : est-ce une vente ou
un contrat d’entreprise ?).
La situation se complique encore à la lecture de l’article 1787 C. civ. qui dispose
que « lorsqu’on charge quelqu’un de faire un ouvrage, on peut convenir qu’il fournira
seulement son travail ou son industrie, ou bien qu’il fournira aussi la matière ».
Plusieurs situations doivent être distinguées :
−− si l’entrepreneur réalise sa prestation sur un bien appartenant à son client,
il s’agit d’un contrat d’entreprise (par exemple, le bijoutier qui polit la bague
de son client) ;

243

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−− si le contrat a pour seul objet l’acquisition du bien d’ores et déjà fabriqué, il
s’agit d’une vente (le client achète une bague vue en vitrine chez le bijoutier) ;
−− si l’entrepreneur fournit la matière et le travail (le client commande une bague
à fabriquer au bijoutier), il faut distinguer selon que la chose est produite en
série selon les caractéristiques du fabricant (il y a alors vente) ou que le bien
est fabriqué pour les besoins spécifiques du client (il y a alors entreprise).

Illustration

Cass. com. 3 janvier 1995, pourvoi, n° 92-20735 :


La Cour de cassation affirme dans cet arrêt que l’opération est un contrat
d’entreprise lorsque le produit « ne répond pas à des caractéristiques déterminées
à l’avance par le fabricant, mais est destiné à répondre aux besoins particuliers
exprimés par le donneur d’ordre ».

Néanmoins, la jurisprudence est particulièrement stricte dans l’interprétation


de la différence entre production standardisée (un contrat de vente) et production
« personnalisée » (contrat d’entreprise).

Illustration

Cass. Civ. 3e, 11 mai 2005, pourvoi n° 03-13891 :


« Attendu que pour condamner la société SAB à payer une certaine somme à
la société ETC sur le fondement de l’article 14-1 de la loi du 31 janvier 1975, l’arrêt
retient qu’il apparaît des éléments du dossier que la société X a fourni, à la demande
de la société Y, un travail spécifique conforme aux exigences du marché et a donc
agi en qualité d’entrepreneur et non de vendeur en série. Qu’en statuant par cette
seule affirmation qui ne suffit pas à caractériser l’existence d’un contrat d’entreprise,
la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Le seul fait que le travail fourni soit un travail spécifique et conforme aux
exigences du marché ne suffit pas à qualifier l’opération de contrat d’entreprise.
Dès lors, pour qualifier le contrat de contrat d’entreprise, il faut démontrer que le
bien cédé est un produit individualisé, façonné en vertu d’indications particulières
qui rendent impossible la substitution du produit commandé à un autre équivalent.

B. Entreprise et bail

La différence entre ces opérations paraît simple au premier regard (procurer la


jouissance d’un bien et fournir une prestation matérielle sont deux choses diffé-
rentes), mais la situation est parfois complexe.

244

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Quid par exemple de l’entrepreneur de spectacle qui « loue » un siège à son
client afin que ce dernier puisse assister à une pièce de théâtre ? De même, comment
qualifier le contrat par lequel un hôtelier « loue » une chambre à son client, mais

Fiche 32 • Identification et formation du contrat d’entreprise


s’engage en outre à le nourrir et à nettoyer la chambre ?
Pour qualifier, il faut alors rechercher ce que le client attend à titre principal et
ce qui n’en constitue que l’accessoire :

Illustrations

Applications du critère du principal et de l’accessoire :


Le spectateur entend principalement assister au spectacle, la location du
siège n’est que l’accessoire : il s’agit donc d’un contrat d’entreprise.
La personne louant une voiture avec chauffeur entend avant tout jouir de la
voiture, la prestation du chauffeur n’est qu’accessoire : il s’agit donc d’un bail.

Parfois, le critère du principal et de l’accessoire est inefficace. Une qualification


mixte est alors retenue. Il s’agit alors d’opérations plus complexes dans lesquelles la
mise à disposition d’un bien n’intervient que dans un ensemble d’autres prestations (tel
serait par exemple le cas d’un contrat portant sur la mise à disposition d’un système
informatique clés en main incluant l’installation et la maintenance du système).

C. Entreprise et dépôt

La confusion entre les deux contrats peut intervenir lorsqu’une personne remet
une chose à son cocontractant afin que celui-ci exerce une prestation (on pense par
exemple au garagiste à qui le client remet son véhicule en vue de sa réparation).
Ici encore, si une prestation principale se dégage nettement, il convient d’appli-
quer le critère du principal et de l’accessoire.
Toutefois, la jurisprudence recourt souvent à une qualification distributive,
chaque partie de la convention reçoit alors une qualification propre.

Illustrations

Cass. civ. 1re, 11 juillet 1984, pourvoi n° 83-13754 :


« […] l’existence d’un contrat d’entreprise, non alléguée en l’espèce, n’exclurait
pas que l’entrepreneur soit aussi tenu des obligations du dépositaire ».
Cass. civ. 1re 3 juillet 2001, pourvoi n° 99-12859 :
Un cheval est confié à un entraîneur hippique chargé d’assurer à la fois la
garde (soigner et héberger) et l’entraînement de l’animal. La Cour de cassation
retient que « le contrat s’analysait pour partie en un contrat d’entreprise et pour
partie en un contrat de dépôt salarié ».

245

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D. Entreprise et mandat

L’élément fondamental de distinction entre ces conventions tient au fait que leur
objet est fondamentalement différent : alors que le mandataire doit exécuter des
actes juridiques, l’entrepreneur doit pour sa part réaliser une prestation matérielle.
En outre, le contrat d’entreprise n’accorde à l’entrepreneur aucun pouvoir de
représentation. Cette caractéristique permet de distinguer ce contrat du mandat.
Si la frontière entre ces opérations paraît claire en théorie, elle est en pratique
parfois relativement délicate à déterminer. Il n’est pas rare qu’une personne doive,
pour exécuter le contrat, réaliser des actes matériels et des actes juridiques.
Par exemple, l’avocat est un entrepreneur en ce qu’il doit procurer des conseils juri-
diques à son client, mais agit comme un mandataire au regard des actes de procédure.

II. L’indépendance de l’entrepreneur

Le contrat d’entreprise portant sur l’exécution d’un travail (souvent rémunéré) par
l’entrepreneur, le rapprochement avec le contrat de travail est inévitable. C’est alors
le critère de l’indépendance ou de l’absence de subordination juridique qui permet
de distinguer ces contrats. Alors que le salarié est subordonné à son employeur,
l’entrepreneur exécute sa prestation indépendamment du maître de l’ouvrage.
Le lien de subordination peut être défini comme l’exécution d’un travail accompli
sous l’autorité d’un employeur et emportant la possibilité pour ce dernier de donner des
ordres, directives et de contrôler l’exécution de la prestation (Cass. soc. 13 novembre
1996, pourvoi n° 94-13187).

III. La rémunération de l’entrepreneur

À la lecture de l’article 1710, il semblerait que la rémunération de l’entrepreneur


soit un élément essentiel du contrat d’entreprise. Il n’y aurait donc pas de contrat
d’entreprise conclu à titre gratuit.
Toutefois, une partie de la doctrine n’est pas en ce sens, pour qui l’onérosité
ne participerait pas de l’essence de ce contrat. La jurisprudence semble d’ailleurs
admettre qu’un contrat d’entreprise à titre gracieux puisse être conclu.

Illustration

Cass. civ. 3e, 20 juin 1972, pourvoi n° 71-11802 :


Un entrepreneur (un architecte en l’espèce) peut voir sa responsabilité retenue
sur le fondement d’un contrat d’entreprise, en ce qu’il avait « manqué aux obliga-
tions de direction et de surveillance qu’il avait contractées, fût-ce à titre gracieux ».

246

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IV. La formation du contrat d’entreprise

Fiche 32 • Identification et formation du contrat d’entreprise


A. Règles de fond

Le contrat d’entreprise est un contrat consensuel, il se forme donc par l’échange


des consentements. La particularité de ce contrat, notamment vis-à-vis de la vente,
est qu’il n’est pas nécessaire que le prix (la rémunération de l’entrepreneur) soit
déterminé lors de la conclusion du contrat.
Si le prix n’a pas été fixé lors de la conclusion du contrat, il doit l’être après
l’exécution de ses obligations par l’entrepreneur. Dans ce cas, le nouvel article 1165
du Code civil (issu de l’ordonnance de réforme du droit des contrats), prévoit que
l’entrepreneur peut fixer unilatéralement le prix.

Illustration

Art. 1165 C. civ. :


« Dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant
leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver
le montant en cas de contestation ».

Parfois cependant, l’importance du travail est telle que les parties, avant la
conclusion définitive du contrat, s’accordent sur un devis. Celui-ci contient l’énu-
mération, la spécification et le prix des travaux à effectuer. Sa nature juridique
(véritable contrat, offre, promesse, accord de principe) dépend toujours de la volonté
des parties. Il est parfois gratuit, parfois rémunéré (lorsqu’il est rémunéré, il est
alors tentant d’y voir un contrat d’entreprise indépendant du contrat définitif).
Parfois également, les maîtres de l’ouvrage réalisent une procédure d’appel d’offre
(obligatoire en matière de marché public). Ici encore, la nature dépend du point de
savoir si son auteur s’engage ou non à contracter définitivement avec l’entrepreneur
(le soumissionnaire) ayant procédé à la meilleure offre.
De même que le prix n’est pas nécessairement déterminé par le contrat, l’étendue
de la prestation de l’entrepreneur n’a pas non plus à être déterminée avec précision.
Cela permettra notamment au maître de l’ouvrage d’imposer, pendant l’exécution du
contrat, des modifications à l’entrepreneur.

B. Règles de forme et de preuve

Sauf texte spécial (notamment issu du droit de la construction ou de la consom-


mation), l’écrit n’est pas nécessaire à la formation du contrat d’entreprise.
La preuve du contrat, pour sa part, est régie par le droit commun.

247

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À retenir

−− Le contrat d’entreprise est contrat par lequel une partie (le maître de l’ouvrage)
charge une autre partie (l’entrepreneur) de réaliser une prestation matérielle
en toute indépendance et moyennant, en principe, une rémunération.
−− Le prix du contrat d’entreprise n’a pas à être déterminé dès la conclusion
du contrat.

Pour en savoir plus


−− M. Faure-Abbad, « L’impact de la réforme des contrats spéciaux sur le contrat
d’entreprise », RDI 2017, p. 570.
−− M. de Juglart, « La vente un contrat en voie d’extinction au profit de l’entreprise », in
Les activités et les biens de l’entreprise, Mélanges offerts J. Derrupé, Litec, 1991, p. 63.
−− F. Labarthe, « Du contrat de louage au contrat d’entreprise », in Etudes offertes à
Jacques Ghestin : Le contrat au début du XXIe siècle, LGDJ, 2001, p. 489.
−− P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, préf. B. Teyssié, éd., Panthéon-Assas,
2002.
−− J. Sénéchal, Le contrat d’entreprise au sein de la classification des contrats spéciaux :
recherche sur un double enjeu du mouvement de recodification du droit des contrats,
préf. M. Défossez, PUAM, 2008.

POUR S’ENTRAÎNER

Cas pratique
Qualifiez la situation suivante : une personne demande à son bijoutier
d’enlever une pierre de peu de valeur sur l’une de ses bagues pour la
remplacer par un diamant.

CORRIGÉ
Ici se pose la question de savoir si le contrat est une vente ou un contrat
d’entreprise. Le contrat comprend deux éléments : le travail à opérer sur le bijou
(dessertir l’ancienne pierre et sertir le diamant) et le transfert de propriété du
diamant. Le bijoutier (l’entrepreneur) fournit le travail (la prestation sur le
bijou) et la matière (le diamant). Ici, il ne saurait s’agir d’une fabrication en
série. Bien au contraire, il s’agit d’un travail répondant au besoin spécifique
d’un client. En appliquant ce critère dégagé par la jurisprudence, on peut
donc affirmer que l’opération est un contrat d’entreprise.

248

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Fiche 33
Les obligations de l’entrepreneur

I. L’exécution de la prestation par l’entrepreneur


II. Le recours à la sous-traitance
II. Les autres obligations

Définition

Sous-traitance. La sous-traitance consiste en l’adjonction d’un contractant au


contrat d’entreprise par laquelle l’entrepreneur charge un autre entrepreneur de
réaliser tout ou partie de sa prestation.

L’obligation principale à laquelle est assujetti l’entrepreneur est bien entendu


celle qui consiste en la réalisation de la prestation (l’obligation de faire). Par
principe, c’est à l’entrepreneur d’exécuter lui-même la prestation prévue, il n’est
toutefois pas rare qu’il recoure à la sous-traitance. La jurisprudence a, en outre,
ajouté différentes obligations accessoires portant sur l’information, le conseil et la
sécurité dus au maître de l’ouvrage.

I. L’exécution de la prestation par l’entrepreneur

A. L’exécution, l’inexécution et la responsabilité

Il est évident que l’entrepreneur doit exécuter la prestation convenue en respec-


tant les prévisions contractuelles : il doit donc fournir la prestation commandée.
Lorsque le contrat d’entreprise porte sur une chose (fabrication ou réparation
par exemple), l’entrepreneur doit également la livrer au maître de l’ouvrage dans le
délai prévu.

249

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Attention

Un entrepreneur qui livrerait au maître de l’ouvrage, dans les délais, un bien non
achevé, ne serait en aucun libéré de son obligation. Cette livraison ne serait
donc pas libératoire.

Lee juge peut prononcer l’exécution forcée de l’obligation de l’entrepreneur à la


double condition que cette exécution ne soit pas impossible et qu’il n’existe pas
une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le
créancier (conformément à l’article 1221 C. civ.), éventuellement sous astreinte. Le
maître de l’ouvrage peut également, après avoir mis l’entrepreneur en demeure, faire
exécuter lui-même l’obligation dans un délai et à un coût raisonnable, voire solliciter
l’autorisation préalable du juge pour détruire ce qui aurait été fait en violation de
cette obligation (art. 1222 C. civ.).
Si le maître de l’ouvrage entend engager la responsabilité contractuelle de
l’entrepreneur, il convient de distinguer selon la nature de l’obligation :
−− si le service consiste en une prestation intellectuelle (conseil juridique,
prestation médicale) l’obligation est de moyens ;

Illustration

Quelques exemples d’obligations de moyens.


Un avocat pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de faute, mais en
cas d’échec de la procédure. Une entreprise chargée d’organiser la publicité d’une
société par le biais d’une campagne promotionnelle ne peut se voir reprocher
l’absence de succès de la campagne. Le médecin ne saurait voir sa responsabilité
engagée si les soins prodigués ne parviennent pas à soigner le patient…

−− si le service porte sur une chose (confection, réparation…) l’obligation de


l’entrepreneur est souvent présentée comme une obligation de résultat. Or
il apparaît que la jurisprudence permet à l’entrepreneur de ne pas voir sa
responsabilité retenue lorsqu’il démontre son absence de faute ou l’absence
de causalité entre son intervention et le dommage. Peut-être serait-il ici
plus adéquat de qualifier son obligation d’obligation de résultat atténuée ou
de moyens renforcée (par exemple un garagiste pourrait être exonéré de sa
responsabilité en démontrant le long délai entre la réparation et la panne).

Illustration

Cass. Civ. 1re, 25 février 2016, pourvoi n° 14-29305.


Une personne amène son véhicule en réparation chez un garagiste qui procède
au remplacement des injecteurs. Le client paie la facture, mais la réparation s’avère

250

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inefficace. Sur les conseils du fabricant, le garagiste lui conseille de procéder au
changement du moteur, seule réparation en mesure de remédier aux désordres, ce
que le client refuse. Après avoir vendu le véhicule, le client agit en responsabilité

Fiche 33 • Les obligations de l’entrepreneur


contre son cocontractant et demande la restitution des fonds versés en paiement
du changement des injecteurs. Il est débouté par la juridiction de proximité,
mais la Cour de cassation (saisie après un premier pourvoi ayant donné lieu à
renvoi) relève qu’« alors qu’il résultait de ses constatations que, malgré les travaux
effectués, le moteur ne “tournait” pas convenablement et que le fabricant préconi-
sait son remplacement, de sorte que la société avait failli à l’obligation de résultat
à laquelle elle était tenue à l’égard de son client du chef de la réparation réalisée,
peu important que M. X. ait refusé de faire procéder à une nouvelle réparation, la
juridiction de proximité a violé (l’ancien article 1147 du Code civil) ».

Attention

Pour rappel lorsque l’obligation est de résultat le débiteur ne peut s’exonérer qu’en
démontrant la force majeure. Lorsque l’obligation est de moyens renforcée (ou de
résultat atténuée) le débiteur peut s’exonérer en démontrant son absence de faute.
Lorsqu’enfin l’obligation est de moyens, c’est alors au créancier de démontrer que
le débiteur n’a pas tout mis en œuvre pour exécuter correctement l’obligation.

B. Les questions de garantie et d’acquisition de la propriété

Si l’entrepreneur fournit tout ou partie de la matière, par exemple s’il fabrique


le bien ou si pour le réparer, il doit ajouter au bien existant des biens qui lui appar-
tenaient (tel serait le cas d’un garagiste qui remplacerait les plaquettes de frein
usées d’un véhicule par des neuves), l’on peut se poser la question de savoir s’il doit
également en garantir les vices cachés.
L’article 1792 du Code civil (en matière de construction) prévoit une telle garantie.
Hors de ce domaine, la jurisprudence refuse cependant d’appliquer la garantie des
vices cachés et sanctionne les manquements par le jeu de l’obligation de résultat
d’exécuter la prestation.

Illustration

Cass. civ. 1re 25 octobre 1985, pourvoi n° 83-17091 :


Un chirurgien-dentiste a confectionné un bridge et l’a posé sur une patiente.
Le bridge rompt. La Cour de cassation affirme alors que le chirurgien « en tant que
fournisseur de la prothèse […] devait délivrer un appareil apte à rendre le service que
sa patiente pouvait légitimement en attendre, c’est-à-dire un appareil sans défaut,
et qu’il doit dès lors réparer le préjudice du à la défectuosité de celui qu’il a posé ».

251

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Attention

Le maître de l’ouvrage qui se verrait transférer une chose viciée qui aurait elle-
même été achetée par l’entrepreneur auprès d’un fournisseur pourrait agir contre
l’entrepreneur (qui se retournera ensuite contre son fournisseur), ou directement
contre le fournisseur sur le fondement de l’action directe accordée au destinataire
final de la chose.

Lorsque le maître de l’ouvrage est un consommateur et que le contrat d’entreprise


a pour objet la fourniture de biens meuble à fabriquer ou à produire, il peut égale-
ment fonder sa demande sur la garantie de conformité du Code de la consommation
(V. fiche n° 15) qui assimile ce type de contrat à une vente (Art. L217-1 C. conso.).
Dans cette hypothèse l’entrepreneur ne serait néanmoins pas tenu de la garantie si
le défaut a son origine dans les matériaux fournis par le maître de l’ouvrage (art.
L217-8 C. conso.).
Se pose également la question de savoir comment la propriété des choses faisant
l’objet du contrat d’entreprise, est transmise au maître de l’ouvrage. Le mécanisme
d’acquisition diffère selon la nature du contrat :
−− si le contrat d’entreprise avec fourniture de matière par l’entrepreneur (sinon,
il n’y a pas de propriété à acquérir pour le maître de l’ouvrage) vise une chose
mobilière, le transfert de propriété intervient à la réception ;
−− si le contrat d’entreprise porte sur la construction d’un immeuble sur le fonds
du maître de l’ouvrage, on applique la règle suivant laquelle les matériaux
deviennent la propriété du maître au fur et à mesure de leur immobilisation
par l’effet de l’accession : superficies solo cedit.
Enfin se pose la question de savoir qui supporte les risques de la chose. La
question est réglée par l’article 1788 C. civ. qui opère une distinction :
−− si l’entrepreneur fournit la matière, il assume les risques jusqu’à la réception
par le maître de l’ouvrage (ou sa mise en demeure de réceptionner) ;
−− si l’entrepreneur ne fournit que son travail, c’est le maître de l’ouvrage qui
assume les risques de la chose.

II. Le recours à la sous-traitance

À la lecture de l’article 1795, le contrat d’entreprise semble être un contrat conclu


intuitu personae : la compétence particulière du prestataire justifierait que le maître
de l’ouvrage ait fait appel à lui. Toutefois, on admet qu’une obligation de faire puisse
être exécutée par un tiers dès lors que le créancier y a consenti (art. 1237 C. civ.).
L’entrepreneur peut donc avoir recours à un sous-traitant afin d’exécuter sa prestation.

252

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L’article 1er de la loi du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme :
« l’opération par laquelle confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité à une autre
personne appelée sous-traitant tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou

Fiche 33 • Les obligations de l’entrepreneur


du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ».

Illustration

Une entreprise est chargée de la construction d’une maison. Les travaux de


plomberie sont confiés à un plombier tiers par rapport à la première entreprise.
La première entreprise est donc l’entrepreneur principal et le plombier est le
sous-traitant. Si, pour installer les canalisations, le plombier doit effectuer des
travaux dépassant ses compétences et que pour cela il fait appel à un autre
artisan, ce dernier sera alors sous-sous-traitant (sous-traitant de second degré).

Attention

Il ne faut pas confondre la sous-traitance, dans laquelle l’entrepreneur fait exécuter


son obligation par un tiers au contrat initial (le sous-traitant), et l’hypothèse
dans laquelle l’entrepreneur fait exécuter son obligation par l’un de ses préposés :
il s’agit alors d’une exécution normale du contrat.

Pour avoir recours à la sous-traitance, l’entrepreneur principal doit demander


l’agrément du maître de l’ouvrage. Cet agrément porte sur les noms des sous-traitants
et sur les conditions de paiement. Si l’entrepreneur ne demande pas l’agrément au
maître de l’ouvrage ou que l’agrément est refusé, mais que le contrat de sous-trai-
tance est malgré tout conclu par l’entrepreneur, les conséquences varient selon le
rapport considéré :
−− dans le rapport entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur : le défaut de
demande d’agrément est une faute contractuelle engageant la responsabilité
de l’entrepreneur ;
−− dans le rapport entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant : le défaut
d’agrément est également une faute engageant de nouveau la responsabilité
de l’entrepreneur. Le sous-traitant non agréé pourra en outre résilier le contrat
de sous-traitance (et donc refuser d’exécuter) ;
−− dans le rapport entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant : le sous-trai-
tant est privé de l’action directe contre le maître de l’ouvrage lui permettant
d’être payé directement par lui.
En principe, le débiteur du sous-traitant est l’entrepreneur principal (son véritable
cocontractant). Cependant si l’entrepreneur ne paie pas la loi du 31 décembre 1975
octroie une action directe en paiement contre le maître de l’ouvrage.

253

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Les questions de responsabilité varient également selon le rapport considéré :
−− dans le rapport entre le sous-traitant et l’entrepreneur principal, la respon-
sabilité est régie par le droit commun du contrat d’entreprise (en contractant
avec un sous-traitant, l’entrepreneur principal ne fait que conclure un autre
contrat d’entreprise) ;
−− dans le rapport entre le sous-traitant et le maître de l’ouvrage, puisqu’aucun
contrat n’unit ces parties, la responsabilité est de nature délictuelle (Cass.
A. P. 12 juillet 1991, pourvoi n° 90-13602). Toutefois, si le sous-traitant a
fourni à l’entrepreneur principal un matériel adapté aux besoins du maître de
l’ouvrage, l’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant est alors de
nature contractuelle (la chaîne de contrat étant alors translative de propriété) ;
−− dans le rapport entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal, ce
dernier est responsable vis-à-vis du premier même pour la partie du travail
qui a été effectuée par un sous-traitant (il s’agit d’une responsabilité contrac-
tuelle du fait d’autrui).

Attention

En pratique, si le maître de l’ouvrage intente une action contre l’entrepreneur


principal en raison d’un problème lié à l’exécution d’une partie de la prestation
confiée à un sous-traitant, l’entrepreneur pourra appeler ce sous-traitant en
garantie.

La situation se complique si l’on envisage la question du recours du maître de


l’ouvrage non contre le sous-traitant, mais contre un fournisseur de l’entrepreneur,
voire un fournisseur du sous-traitant.
Suivant la jurisprudence le recours du maître de l’ouvrage contre le fournisseur
de l’entrepreneur est de nature contractuelle.

Illustration

Cass. A.P. 7 février 1986, pourvoi n° 83-14631 :


« le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits atta-
chés à la chose qui appartenait à son auteur ; […] il dispose donc à cet effet contre
le fabricant d’une action contractuelle directe ».

En revanche, le recours du maître de l’ouvrage contre le fournisseur du sous-


traitant est de nature délictuelle. Ce fondement n’est qu’une application de l’arrêt
Besse. L’action de l’entrepreneur contre le sous-traitant étant de nature délictuelle, le
premier ne saurait agir sur le fondement contractuel contre le fournisseur du second.

254

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Illustration

Cass. Civ. 3e, 28 novembre 2001, pourvois n° 00-13559 et 00-14450 :


« Mais attendu, […], qu’ayant exactement relevé que (le) sous-traitant, engageait

Fiche 33 • Les obligations de l’entrepreneur


sa responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage sur le fondement délictuel, la cour
d’appel a retenu, à bon droit, que le fournisseur de ce sous-traitant, […] devait,
à l’égard du maître de l’ouvrage, répondre de ses actes sur le même fondement ».

III. Les autres obligations

L’entrepreneur est tenu de deux obligations accessoires à la prestation principale :


une obligation de conseil et une obligation de sécurité.

A. L’obligation de conseil

L’entrepreneur est tenu de conseiller son cocontractant, le conseil étant parfois


accompagné d’une information.

Attention

Parfois, le conseil constitue l’objet principal de la prestation attendue de l’entre-


preneur. C’est par exemple le cas de l’avocat consulté pour obtenir un conseil
juridique.

Cependant l’étendue de l’obligation de conseil varie selon la prestation attendue


de l’entrepreneur, tout dépend en réalité du contexte dans lequel le contrat est
conclu. L’obligation est donc différente selon que l’entrepreneur est un avocat, un
médecin, un garagiste ou un menuisier.

Illustrations

art. L1111-2 du Code de la santé publique :


« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette informa-
tion porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention
qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les
risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur
les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.
Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions
de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en
être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.

255

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Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses
compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.
Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser ».
Cass. Civ. 1re, 20 juin 1995, pourvoi n° 93-15801 :
« […] l’obligation d’information et de conseil de l’entrepreneur installateur d’un
matériau lui impose d’appeler l’attention du maître de l’ouvrage sur les inconvénients
du produit choisi et sur les précautions à prendre pour sa mise en œuvre, compte
tenu de l’usage auquel ce matériau est destiné ».

Afin de protéger le créancier de l’obligation de conseil, la jurisprudence décide


que c’est à son débiteur (l’entrepreneur) de rapporter la preuve, par tous moyens,
de son exécution.

B. L’obligation de sécurité

L’entrepreneur est tenu d’assurer la sécurité de ses clients, que la prestation porte
sur une chose (l’entrepreneur doit exécuter un travail sans vice et doit réparer tous
les dommages corporels ou matériels causés par les malfaçons) ou sur une personne
(l’entrepreneur doit ainsi assurer la sécurité des personnes qu’il reçoit dans ses
locaux : on vise ici par exemple le coiffeur, le gérant de discothèque ou encore le
médecin recevant dans son cabinet).

Illustration

L’obligation de sécurité, d’origine jurisprudentielle (V. en matière de contrat


de transport, Cass. civ. 21 novembre 1921, DP 1913, 1) est aujourd’hui consacrée
dans le Code de la consommation à l’article L 221-1 : « les produits et les services
doivent, dans des conditions normales d’utilisation ou dans d’autres conditions
raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on
peut légitimement s’attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ».

L’obligation de sécurité est parfois de moyens et parfois de résultat (mais la


frontière entre ces deux obligations n’est pas vraiment claire). Il semble que tout
dépende du rôle que peut jouer l’entrepreneur dans la préservation de la sécurité
de son cocontractant :
−− l’obligation est de résultat lorsque l’entrepreneur a un rôle passif (par exemple
quand il ne pilote pas l’engin mis à la disposition du client : ce serait par
exemple le cas d’une auto-tamponneuse) ;
−− lobligation n’est que de moyens lorsque l’entrepreneur a un rôle actif et qu’il
peut donc directement agir pour la sécurité de son cocontractant (ce serait
par exemple le cas d’un moniteur de ski).

256

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Attention

Parfois, un même entrepreneur peut se trouver débiteur à la fois d’une obligation


de sécurité de moyens et d’une obligation de sécurité de résultat. Ce serait par

Fiche 33 • Les obligations de l’entrepreneur


exemple le cas du chirurgien-dentiste qui pour les gestes médicaux est débiteur
d’une obligation de sécurité de moyens, mais qui pour le bridge qu’il pose est
débiteur d’une obligation de résultat.

À retenir

−− L’entrepreneur est tenu d’exécuter la prestation mise à sa charge par le contrat


d’entreprise.
−− Le régime de responsabilité de l’entrepreneur varie selon la nature de sa
prestation.
−− Le régime de l’acquisition de la propriété des biens objets du contrat d’entre-
prise varie selon leur nature.
−− L’entrepreneur peut avoir recours à la sous-traitance pour exécuter tout ou
partie de sa prestation.
−− Pour bénéficier de l’action directe en paiement contre le maître de l’ouvrage,
le sous-traitant doit avoir été agréé.
−− L’entrepreneur est débiteur d’une obligation de conseil et d’une obligation de
sécurité à l’égard du maître de l’ouvrage.

Pour en savoir plus


−− L. Marino, « Le transfert de propriété dans le contrat d’entreprise », Defrénois 2001,
p. 907.
−− H. Perinet-Marquet, « Le droit français de la sous-traitance », L’entreprise et le droit
1991, no 1.
−− P. Puig, « Le contrat d’entreprise translatif de propriété », in Études offertes à J. Dupichot,
Liber amicorum, Bruylant, 2004, p. 393.
−− R. Savatier, « Les contrats de conseil professionnel en droit privé », D. 1972, chron.
p. 137.

POUR S’ENTRAÎNER

I. QCM
1. L’obligation de réaliser la prestation par l’entrepreneur est :
a : une obligation de faire ; b : une obligation de donner ; c : toujours une
obligation de moyens.

257

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2. Le transfert de la propriété dans le contrat d’entreprise opère solo
consensu.
a : vrai ; b : faux.
3. Si le sous-traitant n’est pas agréé par le maître de l’ouvrage.
a : Il peut demander le paiement de sa prestation au maître de l’ouvrage ;
b : il peut demander le paiement de sa prestation à l’entrepreneur ; c : il
peut résilier le contrat liant l’entrepreneur et le maître de l’ouvrage.
4. Le sous-traitant est lié contractuellement :
a : à l’entrepreneur principal ; b : au maître de l’ouvrage.
5. L’employé de l’entrepreneur principal est :
a : un préposé de l’entrepreneur ; b : un sous-traitant.

CORRIGÉ
1 : a. une obligation de faire et non une obligation de donner. Il peut s’agir
d’une obligation de moyens (lorsque la prestation est intellectuelle), mais
elle constitue parfois également une obligation de résultat ou une obligation
de moyens renforcée.
2 : b. faux. Le transfert de la propriété opère soit à la réception (pour les
meubles), soit en vertu de la règle superficies solo cedit (pour les immeubles).
3 : b. il peut demander le paiement de sa prestation à l’entrepreneur. N’ayant
pas été agréé, il ne bénéficie pas d’une action directe en paiement contre le
maître de l’ouvrage. Il peut résilier le contrat le liant à l’entrepreneur, mais
ne peut en aucun demander la résiliation du contrat liant l’entrepreneur
principal et le maître de l’ouvrage (il est tiers à ce contrat).
4 : a. à l’entrepreneur principal. Il n’est pas contractuellement lié au maître
de l’ouvrage (même si ce dernier l’a agréé).
5 : a. un préposé de l’entrepreneur.

II. Cas pratique


Monsieur Dupont a conclu un contrat avec l’entreprise Construction Sur
Mesure (CSM) portant sur l’édification dans son jardin d’un immense garage.
CSM a confié, avec l’agrément de Monsieur Dupont, à la société Industrie
Charpente Métalliques (ICM) la fabrication de la structure de la charpente.
Or ICM n’a jamais été payée par CSM qui a été mise en liquidation judiciaire
peu après la réception des travaux (ICM avait d’ailleurs mis son débiteur
en demeure de payer). Monsieur Dupont peut-il être menacé d’une action
de la société ICM directement intentée contre lui ?

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CORRIGÉ
La réponse vient, en premier lieu, de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-

Fiche 33 • Les obligations de l’entrepreneur


traitance qui dispose à l’article 12 :
« Le sous-traitant a une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur
principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui
sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure
est adressée au maître de l’ouvrage.
Toute renonciation à l’action directe est réputée non écrite.
Cette action directe subsiste même si l’entrepreneur principal est en état de
liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des
poursuites.
Les dispositions du deuxième alinéa de l’article 1799-1 du Code civil sont applicables
au sous-traitant qui remplit les conditions édictées au présent article ».
Cet article organise une action directe en paiement au profit du sous-traitant
contre le maitre de l’ouvrage lorsque l’entrepreneur principal ne paie pas, un
mois après avoir été mis en demeure.
Néanmoins pour bénéficier de cet article deux conditions (outre la mise en
demeure qui ne pose pas de problème en l’espèce) doivent être remplies :
un contrat d’entreprise doit être qualifié et le maître de l’ouvrage doit avoir
donné son agrément (art. 1 et 3 de la du 31 décembre 1975).
En l’espèce l’agrément ne pose pas de problème.
On peut toutefois se demander si le contrat passé entre ICM et CSM est
bien un contrat d’entreprise ou s’il ne pourrait pas s’agir d’une vente (ce
qui exclurait le bénéfice de l’action directe). Se pose donc le problème de la
qualification du contrat.
Le critère de distinction entre entreprise et vente est posé par Cass. com.
3 janvier 1995, n° 92-20735, « l’opération est un contrat d’entreprise lorsque
le produit « ne répond pas à des caractéristiques déterminées à l’avance par le
fabricant, mais est destiné à répondre aux besoins particuliers exprimés par le
donneur d’ordre ».
Néanmoins, la jurisprudence, comme vu à la fiche précédente, est particulièrement
stricte dans l’interprétation de la différence entre production standardisée et
production « personnalisée ». Le seul fait que le travail fourni soit un travail
spécifique et conforme aux exigences du marché ne suffit pas à qualifier
l’opération de contrat d’entreprise. Pour qualifier le contrat de la sorte, il faut
donc rapporter la preuve que le bien cédé est un produit individualisé, façonné
en vertu d’indications particulières qui rendent impossible la substitution
du produit commandé à un autre équivalent. En l’espèce on peut donc douter
de la qualification de contrat d’entreprise. Le contrat pouvant être qualifié
de vente, le sous-traitant ne bénéficiera pas d’une action directe contre le
maître de l’ouvrage.

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Fiche 34
Les obligations du maître
de l’ouvrage et l’extinction
du contrat d’entreprise

I. L’obligation de payer le prix


II. Les obligations de réception et de prise de livraison
III. L’obligation de coopération
IV. L’extinction du contrat d’entreprise

Définitions

Prise de livraison. La prise de livraison est un acte matériel par lequel le maître
de l’ouvrage prend possession du bien délivré par l’entrepreneur.
Réception. La réception est l’acte juridique par lequel le maître de l’ouvrage
approuve les travaux de l’entrepreneur, les juge conformes au contrat et les
accepte (avec ou sans réserves).

Le contrat d’entreprise étant un contrat synallagmatique, le maître de l’ouvrage


est bien évidemment lui-même tenu d’un certain nombre d’obligations. La princi-
pale est celle de payer le prix. Cependant, lorsque le contrat d’entreprise porte sur
chose (réparation, construction), il est également tenu d’en prendre livraison et
de la réceptionner. En outre, tenu par l’exigence de bonne foi contractuelle, il est
également débiteur d’une obligation de coopération.
Une fois les obligations des parties exécutées, le contrat peut prendre fin. La
particularité du contrat d’entreprise justifie néanmoins l’existence de certains modes
de rupture dérogatoires au droit commun.

I. L’obligation de payer le prix

L’obligation principale du maître de l’ouvrage est de payer le prix à l’entrepreneur.


En principe, le prix doit être fixé par les parties une fois la prestation achevée
(afin de pouvoir évaluer l’étendue et la qualité du travail réalisé).

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Parfois, cependant, les parties ont pu s’entendre sur le prix ou la façon de le
déterminer lors de la conclusion du contrat. Trois techniques de fixation du prix
coexistent :

Fiche 34 • Les obligations du maître de l’ouvrage et l’extinction du contrat d’entreprise


La technique du marché à forfait permet aux parties de fixer définitivement le
prix dès la conclusion du contrat. Si les travaux coûtent finalement plus cher que
prévu, c’est l’entrepreneur qui en assume le risque. Un supplément de prix ne peut
être demandé que dans l’hypothèse de travaux supplémentaires agréés par le maître
de l’ouvrage.

Attention

Ne sont des travaux supplémentaires que ceux qui ont été agréés par le maître
de l’ouvrage et qui procurent au résultat final une amélioration. N’est donc pas
un travail supplémentaire le travail nécessaire à la réalisation de la prestation
initialement convenue.

Illustrations

Un entrepreneur doit installer une piscine dans le jardin de son client. Pendant
l’exécution du contrat, il propose à son client, qui l’accepte, de carreler les bords de
la piscine. Il s’agit de travaux supplémentaires qui justifient un supplément de prix.
Un entrepreneur doit poser une cuisine aménagée chez un client. Durant
l’installation, il sectionne un conduit de gaz. La réparation de ce conduit emporte
un coût supplémentaire pour l’entrepreneur, mais il ne peut demander au maître
de l’ouvrage de le supporter.

La technique du marché sur devis (ou sur série de prix) permet de fixer le prix
en fonction du coût d’exécution de chaque prestation (x euros le mètre carré). Le
prix total sera calculé en additionnant les différentes prestations et leur quantité
après l’achèvement de l’ouvrage.
La technique du tarif horaire permet de calculer le prix en fonction du temps
passé pour la réalisation de la prestation (x euro de l’heure).
Si le prix a été fixé à l’avance, le juge peut en réviser le montant dans deux
hypothèses :
−− lorsque les honoraires fixés sont excessifs par rapport à la prestation fournie
(cette exception ne touche que les honoraires des prestataires exerçant une
profession libérale (par exemple un généalogiste). Le juge refusera néan-
moins de réviser le montant des honoraires s’il a été accepté par le maître
de l’ouvrage après la réalisation de la prestation ;
−− lorsque l’exécution est défectueuse, c’est-à-dire lorsque la prestation n’a
pas été correctement exécutée. À cet égard, on peut noter qu’en application

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du nouvel article 1223 C. civ., le maître de l’ouvrage peut désormais réduire
unilatéralement le prix tant qu’il n’a pas encore payé. Ce sera donc à l’entre-
preneur de contester devant le juge la réduction.

Attention

La règle de la révision des seuls honoraires pourrait être étendue à tous les
contrats d’entreprise dans lesquels le prix a fait l’objet d’un accord avant la
réalisation de la prestation par l’article 72 de l’avant-projet de réforme du droit
des contrats spéciaux. Son alinéa 2 dispose en effet que : « Lorsque le prix est
fixé d’un commun accord, chaque partie peut en demander la révision au juge s’il
est manifestement dérisoire ou excessif, à moins qu’il n’ait été convenu qu’il était
fixé forfaitairement ».

Si le prix n’a pas été fixé à l’avance, que l’entrepreneur (en application de l’article
1165 C. civ.) le fixe unilatéralement après la réalisation de la prestation, le juge
ne peut intervenir qu’en cas d’abus dans la fixation du prix. Dans cette hypothèse
le juge ne pourra pas réduire le prix, mais simplement octroyer des dommages et
intérêts ou prononcer la résolution du contrat.

Illustration

Art. 1165 al. 2. C. Civ.


« En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande
tendant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la résolution du
contrat ».

L’obligation de payer le prix n’est exigible qu’après l’achèvement de la prestation


(précisément après la réception). L’entrepreneur est cependant libre de demander
des arrhes ou provisions au maître de l’ouvrage.
Il peut enfin être relevé que l’article 1799-1 impose au maître de l’ouvrage
contractant avec un architecte, un entrepreneur d’ouvrage ou un technicien de
fournir une garantie (souvent un cautionnement) à son cocontractant, dès lors que
le montant du contrat dépasse 12 000 euros. Si une telle garantie ne lui est pas
fournie, l’entrepreneur peut refuser d’exécuter sa prestation.

II. Les obligations de réception et de prise de livraison

La prise de livraison est le pendant de l’obligation de l’entrepreneur de mettre


le bien à la disposition du maître de l’ouvrage. Il s’agit d’un acte matériel par lequel
le maître de l’ouvrage prend possession du bien réalisé ou réparé.

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La réception est au contraire un acte juridique (qui peut précéder, être concomi-
tant ou postérieur à la prise de livraison) par lequel le maître de l’ouvrage approuve
le travail réalisé.

Fiche 34 • Les obligations du maître de l’ouvrage et l’extinction du contrat d’entreprise


La forme de la réception est libre et peut même être tacite (si le maître de
l’ouvrage prend possession de l’ouvrage ou paie le prix sans réserve).

Attention

La réception peut précéder la prise de livraison dans l’hypothèse où le maître de


l’ouvrage a agréé les travaux avant même d’en être entré en possession.

Le maître peut réceptionner en émettant des réserves s’il estime que la prestation
n’est pas conforme au contrat. Il peut même refuser de réceptionner dès lors que ce
refus est justifié par l’insuffisance de la qualité de la prestation.
Lorsque des réserves sont émises, le maître de l’ouvrage peut demander la mise
en conformité des travaux ou une diminution du prix.
Les effets de la réception sont particulièrement importants :
−− elle rend le prix exigible ;
−− elle purge la livraison de tout vice apparent et de tout défaut de conformité
dès lors que ceux-ci n’ont pas fait l’objet de réserves ;
−− elle emporte transfert de propriété et des risques de la chose au maître de
l’ouvrage (sauf stipulation contraire ou jeu de l’accession) ;
−− en matière de construction, elle constitue le point de départ des garanties
biennale ou décennale (V. fiche n° 34).
En cas d’inexécution de l’obligation de réception, l’entrepreneur peut demander
à ce qu’elle soit prononcée judiciairement.

III. L’obligation de coopération

Conformément à l’article 1104 C. civ., la jurisprudence fait peser sur le maître


de l’ouvrage une obligation de coopération.
Il doit donc faciliter la réalisation de la mission de l’entrepreneur (notamment
lui fournir tous les renseignements nécessaires à la satisfaction de ses besoins,
informer l’entrepreneur d’éventuels dangers…).
Il doit également s’abstenir de gêner l’accomplissement de la prestation de
l’entrepreneur.
En cas de manquement à cette obligation de coopération, le maître de l’ouvrage
pourrait engager sa responsabilité civile.

263

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IV. L’extinction du contrat d’entreprise

Classiquement, le contrat d’entreprise s’éteint par l’exécution des obligations


par l’entrepreneur et le maître de l’ouvrage : une fois l’ouvrage achevé et réceptionné
et le prix payé, le contrat prend donc fin. Le contrat peut également, conformément
au droit commun, être résolu.
Le Code de la consommation prévoit en outre la possibilité d’une résiliation
unilatérale en cas de retard par rapport à la date de livraison prévue au contrat ou
à défaut, au plus tard trente jours après la conclusion du contrat. Dans ce cas, « le
consommateur peut résoudre le contrat, par lettre recommandée avec demande d’avis
de réception ou par un écrit sur un autre support durable, si, après avoir enjoint, selon
les mêmes modalités, le professionnel d’effectuer la livraison ou de fournir le service
dans un délai supplémentaire raisonnable, ce dernier ne s’est pas exécuté dans ce délai »
(art. L216-2 C. conso.).
Lorsque le contrat est conclu intuitu personae, le décès de l’entrepreneur y met
également un terme : le contrat est alors caduc (art. 1795 C. civ.).
Dans le cas particulier des marchés à forfait, l’article 1794 autorise le maître de
l’ouvrage à résilier unilatéralement le contrat en indemnisant l’entrepreneur (alors
même que les travaux seraient déjà commencés. L’indemnisation comprend alors
le montant des travaux déjà réalisés, les dépenses engagées, ainsi que les gains
manqués (l’entrepreneur aurait en effet pu conclure d’autres contrats à la place de
celui qui est résilié).
Cette faculté, exceptionnelle et dérogatoire au droit commun, est généralement
justifiée par le fait qu’il semble préférable de permettre au maître de l’ouvrage de
se dégager à peu de frais d’un contrat dont il ne veut plus, ou dont il ne peut plus
assumer la charge (notamment pécuniaire) que de le contraindre à le respecter.

À retenir

−− Le maître de l’ouvrage doit payer le prix, réceptionner, prendre livraison de


la chose et coopérer avec l’entrepreneur.
−− Il existe trois techniques de détermination du prix lors de la conclusion du
contrat : le marché à forfait, le marché sur devis et le recours à la technique
du tarif horaire.
−− Si le montant des honoraires est excessif par rapport à la prestation réalisée
le juge peut la réviser.
−− Si le prix a été fixé unilatéralement par l’entrepreneur après la réalisation
de la prestation le juge ne contrôle que l’abus et ne peut allouer que des
dommages et intérêts ou résoudre le contrat.
−− La réception, par laquelle le maître de l’ouvrage approuve le travail, peut être
pure et simple ou accompagnée de réserves.

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−− La prise de livraison permet au maître de l’ouvrage de prendre possession
du bien.
−− Dans les marchés à forfait, le maître de l’ouvrage peut résilier unilatérale-

Fiche 34 • Les obligations du maître de l’ouvrage et l’extinction du contrat d’entreprise


ment le contrat à tout moment moyennant le paiement d’une indemnité à
l’entrepreneur.

Pour en savoir plus


−− G. Durand-Pasquier, Le maître de l’ouvrage – Contribution à l’harmonisation du régime
du contrat d’entreprise, thèse Paris I, 2005.
−− H. Périnet-Marquet, « La réception des travaux : état des lieux. L’article 1792-6, dix
ans après », D. 1988, chron. p. 287.
−− P. Puig, « Le contrat d’entreprise », in Les contrats spéciaux et la réforme du droit des
obligations, Varenne, 2017, p. 115.
−− M. Zavaro, « Achèvement, inachèvement et réception », Gaz. Pal. 1999, 2, doctr. p. 1121.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. La réception pure et simple (sans réserves) empêche le maître de
l’ouvrage d’agir par la suite en garantie des vices cachés.
a : vrai ; b : faux.
2. Dans un marché à forfait, le maître de l’ouvrage devra payer un travail
supplémentaire réalisé par l’entrepreneur :
a : s’il est nécessaire à la bonne réalisation de la prestation ; b : s’il a été
agréé par le maître de l’ouvrage ; c : s’il a été agréé par l’entrepreneur ; d :
s’il apporte une amélioration à l’ouvrage.
3. Le maître de l’ouvrage qui empêche les préposés de l’entrepreneur
d’accéder au chantier contrevient :
a : à son obligation de coopération ; b : à son obligation de s’abstenir de
gêner la réalisation de la prestation ; c : à son obligation de prendre livraison.
4. Le maître de l’ouvrage peut refuser de réceptionner :
a : si la qualité de la prestation est insuffisante ; b : s’il ne veut plus du
contrat.
5. Si le maître de l’ouvrage résilie unilatéralement un marché à forfait,
il doit payer la totalité de ce qui aurait été dû à l’issue des travaux.
a : vrai ; b : faux.

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CORRIGÉ
1 : b. faux : la réception pure et simple empêche seulement le maître de
l’ouvrage d’agir contre les vices apparents et le contre le défaut de conformité.
2 : b et d. L’entrepreneur ne peut demander le paiement du travail supplémentaire
que s’il a été agréé par le maître de l’ouvrage et qu’il permet une amélioration
de la chose par rapport à ce qui a été prévu initialement.
3 : a et c. l’obligation de coopération a deux facettes, dont l’une est celle de
s’abstenir de gêner la réalisation de la prestation de l’entrepreneur.
4 : a. si la qualité de la prestation est insuffisante.
5 : b. faux : l’indemnité alors due par le maître de l’ouvrage comprend le montant
des travaux déjà réalisés, les dépenses engagées, ainsi que les gains manqués.

266

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Fiche 35
Le contrat d’entreprise
de construction

I. Les garanties dues par les constructeurs


II. La responsabilité des constructeurs

Définition

Vices intermédiaires. Les vices intermédiaires sont ceux permettant d’intenter une
action en responsabilité contractuelle contre le constructeur, mais qui n’entrent
dans le champ d’application d’aucune des garanties légales.

Lorsqu’un contrat d’entreprise a pour objet une construction immobilière lui


sont applicables non seulement les règles du droit commun du contrat d’entreprise,
mais également certaines règles particulières. L’ensemble du dispositif spécial est
tourné vers une protection accrue des intérêts du maître de l’ouvrage. Par exemple,
dès 1804, l’article 1793 C. civ. interdisait dans un marché à forfait l’augmentation
du prix lié aux travaux supplémentaires (ce texte peut aujourd’hui être étendu à
tous les marchés à forfait). Depuis un certain nombre de dispositions ont complété
les textes initialement contenus dans le Code. Celles-ci mettent en place un régime
particulier et complexe de garanties tout en maintenant la responsabilité de droit
commun liée à la qualité de locateur d’ouvrage immobilier.

I. Les garanties dues par les constructeurs

En matière de construction, il existe trois garanties spéciales.

A. La garantie de parfait achèvement

Cette garantie est visée à l’article 1792-6 C. civ. aux termes duquel « la garantie
de parfait achèvement, à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an, à
compter de la réception, s’étend à la réparation de tous les désordres signalés par le

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maître de l’ouvrage, soit au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception,
soit par voie de notification écrite pour ceux révélés postérieurement à la réception ».
L’objet de cette garantie est d’obliger le constructeur à garantir dans l’année
suivant la réception tous les désordres apparents que pourrait constater le maître
de l’ouvrage. Si l’entrepreneur n’exécute pas la réparation nécessaire, le maître de
l’ouvrage peut faire exécuter ces travaux par un tiers « aux frais et risques de l’entre-
preneur défaillant » (art. 1792-6 4°).

Attention

La garantie de parfait achèvement s’impose à l’entrepreneur dans le cadre du


contrat de construction de droit commun et du contrat de construction de maison
individuelle, mais pas dans le cadre de la vente d’immeuble à construire, ni dans
celui du contrat de promotion immobilière.

B. La garantie biennale

La garantie biennale, visée à l’article 1792-3 C. civ., commence à courir au jour


de la réception et comme son nom l’indique dure deux ans. Elle concerne les équi-
pements de l’ouvrage construit (on vise par exemple la plomberie, les tapisseries,
les portes…) c’est-à-dire ce qui ne ressort pas de la construction en elle-même et
qui ne rend pas l’immeuble impropre à sa destination.

Attention

Selon la jurisprudence, les dommages touchant des éléments dissociables ne


relèvent pas de la garantie biennale, mais de la garantie décennale lorsqu’ils
portent atteinte à la solidité ou à la destination de l’immeuble.

C. La garantie décennale

À compter de la réception, le constructeur est responsable de plein droit pendant


dix ans (envers le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur de l’immeuble) des dommages
compromettant « la solidité de l’ouvrage ou qui l’affectant dans l’un de ses éléments
constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination »
(art. 1792 et 1792-4-1 C. civ.).

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Illustration

Des dommages pouvant fonder la garantie décennale :


Peuvent, par exemple, être visés par la garantie décennale le défaut d’étan-

Fiche 35 • Le contrat d’entreprise de construction


chéité d’une toiture, les installations de chauffage, un sous-sol inutilisable en
temps de pluie à cause des infiltrations d’eau, les fuites d’une piscine, ou encore
les défauts d’isolation phonique.

Le constructeur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant la


force majeure.
Selon l’article 1792-1 C. civ. sont considérés comme étant constructeurs les
architectes, entrepreneurs, techniciens, les autres personnes liées par un contrat
d’entreprise au maître de l’ouvrage, le vendeur de l’immeuble si celui-ci l’a construit
ou l’a fait construire, ou enfin toute personne mandataire du propriétaire de l’ouvrage
ayant accompli une mission assimilable à l’entrepreneur.

Attention

Les sous-traitants ne sont pas concernés par la garantie décennale, mais sont
soumis au droit commun de la responsabilité (à l’exception près que les délais
de prescription de l’action en responsabilité sont calqués sur la prescription de
l’action en garantie dirigée contre le constructeur).

II. La responsabilité contractuelle des constructeurs

Dès lors qu’un dommage est couvert par la garantie légale ou décennale, le maître
de l’ouvrage ne peut intenter à l’égard du constructeur une action en responsabilité
contractuelle.
Si un dommage n’est toutefois pas couvert par l’une des garanties, l’action en
responsabilité contractuelle est alors ouverte pendant un délai de dix ans.
Sont ici visés les « vices intermédiaires ». Pour être qualifiés de la sorte, ces
vices doivent toucher la construction elle-même (et non un équipement), mais ne
doivent pas être apparents lors de la réception, ne pas compromettre la solidité de
l’immeuble et ne pas le rendre impropre à sa destination.

Illustration

Cass. civ. 3e, 10 juillet 1978, pourvoi n° 77-12595 :


« […] la cour d’appel qui a relevé que les malfaçons litigieuses, relatives aux
gros ouvrages, n’affectaient pas la solidité de la maison et ne la rendaient pas
impropre à sa destination, a exactement énoncé que (l’architecte) ne pouvait donc

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en être présumé responsable sur le fondement de la garantie décennale de l’article
1792 du Code civil, et que (les maîtres d’œuvre) disposaient dès lors d’une action en
responsabilité contractuelle contre cet architecte à condition de démontrer sa faute ;
qu’ayant ensuite retenu que les désordres étaient dus à une erreur de conception de
(l’architecte), […] a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision ».

À retenir

−− La garantie de parfait achèvement vise tous les désordres apparents signalés


par le maître de l’ouvrage lors de la réception ou dans l’année la suivant.
−− La garantie biennale a pour objet les équipements de l’ouvrage construit.
−− La garantie décennale permet de faire peser une responsabilité de plein droit
sur le constructeur pour les dommages rendant la construction impropre à sa
destination ou affectant sa solidité.
−− La responsabilité contractuelle ne peut être utilisée qu’à titre subsidiaire si
un dommage n’est pas couvert par l’une des garanties légales.

Pour en savoir plus


−− J.-P. Karila, « Domaines respectifs des garanties responsabilité légales et des
responsabilités de droit commun des locateurs d’ouvrages immobiliers », in Études
offertes à Philippe Malinvaud, Litec, 2007, p. 317.
−− H. Marganne, « Les principes essentiels du marché à forfait », JCP G. 2007, I, 178.

POUR S’ENTRAÎNER

QCM
1. Le maître de l’ouvrage constate 13 mois après la réception que
l’ascenseur de l’immeuble construit ne fonctionne pas correctement.
Il doit invoquer :
a : la garantie biennale ; b : la garantie décennale.
2. Six ans après la réception d’un immeuble, le maître de l’ouvrage se
rend compte que les canalisations sont abîmées en raison de la forte
corrosion liée à une composition anormale de l’eau.
a : il peut agir contre le constructeur sur le fondement de la garantie
décennale ; b : il ne peut pas agir sur le fondement de la garantie décennale.
3. Une infiltration d’eau dans la toiture inonde le grenier d’une maison
réceptionnée il y a cinq ans. La société ayant procédé à la construction
d’un immeuble a fait faillite et n’existe aujourd’hui plus.

270

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Le propriétaire peut agir sur le fondement de la garantie décennale :
a : contre l’architecte ; b : contre le couvreur sous-traitant de la société
entrepreneuse ; c : contre le vendeur de la maison qui l’avait construire ;

Fiche 35 • Le contrat d’entreprise de construction


d : aucun recours n’est envisageable.
4. Un manquement à l’obligation de conseil du constructeur est couvert :
a : par la garantie décennale ; b : par la garantie biennale ; c : par la
responsabilité contractuelle.
5. Durant l’année suivant la réception, seule la garantie de parfait
achèvement peut être actionnée :
a : vrai ; b : faux.

CORRIGÉ
1 : a. la garantie biennale, puisqu’il s’agit d’un élément d’équipement qui ne
touche pas à proprement parler à la construction.
2 : b. il ne peut pas agir, car la composition anormale de l’eau sera retenue comme
élément de force majeure déchargeant le constructeur de sa responsabilité.
3 : a et c. l’article 1792-1 assimile au constructeur les architectes et le vendeur
ayant fait construire l’immeuble vicié. Les recours sont donc envisageables
contre ces personnes. Le sous-traitant ne peut cependant être poursuivi sur
le fondement de la garantie décennale.
4 : c. par la responsabilité contractuelle, puisqu’il s’agit d’une obligation sans
rapport direct avec les défauts de construction faisant l’objet des garanties
décennales et biennales.
5 : b. faux. Les autres garanties courent également dès la réception de
l’immeuble. Elles peuvent donc dès ce moment être actionnées.

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Table des abréviations

Table des abréviations


Remarque : afin de retrouver le texte intégral des arrêts, le numéro de pourvoi est
indiqué sous le format utilisé par la base www.legifrance.gouv.fr (c’est-à-dire du type
00-00000) ; l’utilisation de nombreuses autres bases suppose d’ajouter un point après
le quatrième chiffre (c’est-à-dire : 00-00.000). Les arrêts anciens ne n’ayant pas de
numéro de pourvoi sont consultables grâce à leur numéro de publication au Bulletin.

AJDI : Actualité juridique du droit immobilier


Art. : article
Bull. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
Cass. civ. 1re, 2e, 3e : Cour de cassation, 1re, 2e, ou 3e, Chambre civile.
Cass. com. : Cour de cassation, Chambre commerciale
C. civ. : Code civil
C. com. : Code de commerce
C. conso. : Code de la consommation
CPC : Code de procédure civile
CSP : Code la santé publique
Chron. : Chronique
D. : Recueil Dalloz
Dir. : sous la direction de
Dr. et pat. : Droit et patrimoine
éd. : édition
Gaz. Pal. : Gazette du palais
JCP (G ; E ; N) : La semaine juridique (édition générale, entreprise, notariale)
JOUE : Journal officiel de l’Union européenne
LPA : Les petites affiches
N° : numéro
p. : page
RDC : Revue des contrats
RDI : Revue de droit immobilier
Rev. crit. leg. jur. : Revue critique de législation et de jurisprudence
RRJ : Revue de la recherche juridique
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial

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Index

Index
Les numéros renvoient au numéro des fiches

A. Chose :
−− vente : 9
Acompte : 16
Clause :
Acte de complaisance : 26
−− élusive de garantie : 14
Action directe :
−− inaliénabilité : 9
−− contrat d’entreprise : 33
−− limitative de garantie : 14
−− vente : 14
−− réserve de propriété (de) : 11
Action estimatoire : V. Garantie des vices
Classification : 2
cachés
Concession de carrière : 5
Action rédhibitoire : V. Garantie des vices
cachés Conformité :
Agréage : 5 −− délivrance (de la) : 12
Appel d’offre : 32 −− garantie (de) : 15
Apport en société : 5 Conseil (obligation de) : 7 - 33
Arrhes : 16 Contrat
−− aléatoire : 4
−− cadre : 10
B. −− commutatif : 4
Bail : −− consensuel : 4
−− droit commun – droit spécial : 19 −− déménagement (de) : 2
−− chose d’autre (de) : 20 −− nommé : 1
−− circulation : 23 −− innomé : 1
−− extinction : 23 −− réel : 24 – 25 - 26
−− formation : 20 −− spécial (définition) : 1
−− garanties : 21 −− sui generis : 2
−− obligations du bailleur : 21 −− synallagmatique 4
−− obligations du preneur : 22 −− titre gratuit : 24 - 25
−− preuve : 20 −− titre onéreux (à) : 4
−− prix : 18 Contrat d’entreprise :
−− qualification : 18 −− extinction : 34
−− formation : 32
−− garantie : 33
C.
−− obligation de l’entrepreneur : 33
Capacité : −− obligation du maître de l’ouvrage : 34
−− vente : 5 −− qualification : 32
−− bail : 20 −− sous-traitance : 33

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Contrat de construction : 35 −− vente : 12 – 14
Contrat d’hôtellerie : 18 Garde (obligation de) : 27
Contrat de coffre-fort : 18
Contrat de stationnement : 18
I.
Convention de Vienne : 3 – 11
Commodat : V. prêt à usage Indemnité d’immobilisation : 8
Information (obligation de) : 7

D.
L.
Dation en paiement : 5
Dégustation (vente à la) : 6 Logement décent : 21
Délivrance (obligation de) : Louage d’ouvrage (V. contrat d’entre-
−− vente : 12 prise)
−− bail : 21 Loyer (paiement du) : 22
Dépeçage (du contrat) : 2 Lésion : 10
Dépôt : 26 - 27
Dépôts spéciaux : 28 M.
Détermination
Mandat :
−− chose : 9
−− apparent : 30
−− prix : 10 - 34
−− effets : 30
Devis : 32
−− extinction : 31
Donation : 5
−− forme : 29
Droit commun (articulation avec droit
−− intérêt commun (d’) : 31
spécial) : 1 – 19
−− qualification : 29
Droit commun spécial des contrats : 1
−− révocation : 31
Droit européen de la vente : 1
Mise à disposition : 12

E.
O.
Échange : 5 - 17
Option (délai d’) : 8
Éléments du contrat : 2
Entretien (obligation de) : 21
Essai : 6 P.
Pacte de préférence : 8
G. Paiement :
−− bail : 22
Garantie biennale : 35
−− vente : 16
Garantie d’éviction : 13
Préemption (droit de) : 6
Garantie décennale : 35
Prêt à usage : 24
Garantie de conformité : 15
Prêt de consommation : 25
Garantie de parfait achèvement : 35
Prise de livraison : 34
Garantie des vices cachés :
Privilège
−− bail : 21
−− du bailleur : 22
−− contrat d’entreprise : 33
−− du vendeur : 16
−− prêt à usage : 24

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Prix Surveillance (obligation de) : 27
−− bail : 18 – 20
−− contrat d’entreprise : 34
T.

Index
−− vente : 10
Promesses : 8 Transfert de propriété :
−− contrat d’entreprise : 33
−− dépôt irrégulier : 28
Q. −− prêt de consommation : 25
Qualification : 2 −− vente : 4 – 9 – 11
Quittance : 16 Transfert des risques :
−− prêt de consommation : 25
−− vente : 11
R.
Trouble : V. Garantie d’éviction.
Ratification : 30
Réception (obligation de) : 34
Réflexion (délai de) : 7 U.
Refus de vendre : 6 Usufruit : 18
Représentation : 29
Responsabilité :
V.
−− bail : 22
−− contrat d’entreprise : 33 Vente :
−− contrat de construction : 35 −− capacité : 6
−− vente : 12 −− chose d’autrui 9
Res perit domino : 11 - 24 −− chose future : 9 - 11
Restitution (obligation de) : −− consentement : 6
−− bail : 22 −− dégustation (à la) : 6
−− dépôt : 27 −− délivrance : 12
−− prêt à usage : 24 −− essai : 6
−− prêt de consommation : 25 −− évolution : 3
Rétention (droit de) : 16 −− fruits (de) : 5
Retirement (obligation de) : 16 −− garantie d’éviction : 13
Rétractation (délai de) : 7 −− garantie de conformité : 15
−− promesse : 8 −− garantie des vices cachés : 14
Risques (transfert) : V. ce mot −− information : 7
−− libre service (en) : 11
−− prix : 10
S. −− promesse (de) : 8
Sécurité (obligation de) : 13 – 21 – 33 −− qualification : 5
Service : 32 −− retirement (obligation de) : 16
Séquestre : 28 −− sources : 3
Soulte : 17 −− transfert de propriété : 4 – 9 – 11
Sources −− transfert des risques : 11
−− des contrats spéciaux : 1 Vice caché (notion) : 14
−− vente : 3 Vice intermédiaire : 35
Sous-traitance : 33

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le contenu
• 35 fiches pour réviser tout le cours de Droit des contrats spéciaux : 2e édition
les définitions à connaître, les erreurs à éviter, les points essentiels à retenir
• des exercices corrigés pour vérifier ses connaissances
• des repères bibliographiques pour aller plus loin
• 1 index

2e éd.
le sommaire
1. Premiers aperçus de la matière 20. La formation du contrat de bail
2. Qualification des contrats spéciaux 21. Les obligations du bailleur
22. Les obligations du preneur
Première partie 23. Circulation et extinction du bail

Droit des contrats spéciaux


Les contrats portant sur les choses 24. Le prêt à usage
3. Présentation du contrat de vente 25. Le prêt de consommation

Droit des contrats


4. Identification du contrat de vente 26. Identification et formation du dépôt
5. Qualification du contrat de vente de droit commun
6. La capacité et le consentement 27. Les effets et l’extinction du dépôt
dans la vente de droit commun

spéciaux
7. Information et réflexion 28. Les dépôts spéciaux
8. Les avant-contrats
9. La chose vendue Seconde partie
10. Le prix de vente Les contrats portant sur les services
11. Le transfert de propriété 29. La qualification et la forme du mandat
et des risques 30. Les effets du mandat
12. L’obligation de délivrance 31. L’extinction du mandat
13. La garantie d’éviction 32. Identification et formation du contrat
14. La garantie des vices cachés d’entreprise
15. La garantie de conformité 33. Les obligations de l’entrepreneur
16. Les obligations de l’acheteur 34. Les obligations du maître de l’ouvrage
17. L’échange et l’extinction du contrat d’entreprise
18. Présentation et qualification 35. Le contrat d’entreprise de construction
du contrat de bail
19. L’articulation du droit commun du bail
et des statuts spéciaux

Johann Le Bourg
l’auteur le public
Johann Le Bourg est maître de conférences à • Licence 3 Droit
l’Université de Savoie Mont Blanc. • Master 1 Droit

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