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L’histoire du wahhabisme et de la monarchie

saoudienne : au-delà du mythe


Nabil Mati

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Nabil Mati. L’histoire du wahhabisme et de la monarchie saoudienne : au-delà du mythe : Les travaux
historiographiques concernant la monarchie saoudienne et la formation de l’idéologie wahhabite ont
toujours suscité beaucoup d’intérêt chez les historiens spécialistes du monde arabe. Cette tendance
s’est accentuée ces dernières années au vu de la situation géopolitique brulante au Proche-Orient et
à la montée de l’extrémisme religieux musulman qui est fortement inspiré par cette idéologie. Ainsi,
plusieurs études élaborées tentent de déterminer le lien entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux
saoudien à partir de l’Arabie centrale “ le Najd ” dès la fin du VXIII siècle. . 2018. �hal-01851809�

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L’histoire du wahhabisme et de la monarchie saoudienne : au-delà du mythe

Les travaux historiographiques concernant la monarchie saoudienne et de la genèse de


l’idéologie wahhabite ont toujours suscité beaucoup d’intérêt chez les historiens spécialistes
du monde arabe. Cette tendance s’est accentuée ces dernières années au vu de la situation
géopolitique brulante au Proche-Orient et à la montée de l’extrémisme religieux musulman
qui est fortement inspiré par cette idéologie. Ainsi, plusieurs études élaborées tentent de
déterminer la nature des liens qui excitaient entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux
saoudien depuis la création du premier état saoudien à la fin du XVIII siècle. Cependant, ces
travaux à quelques rares exceptions près, sont demeurés non exhaustifs, revêtant même un
caractère « folklorique » selon l'expression employée par l’historien Modj-ta-ba Sadria
(Sadria, 1989). C’est effectivement le cas de plusieurs contributions produites qui se
contentent seulement de légitimer le pouvoir en place ou de se limiter à une description à la
fois chronologique des évènements historiques, d’une manière peu apologétique en
s’appuyant exclusivement sur le récit officiel.

L’historien Bernard Haykel décrit l’histoire de l’Arabie saoudite comme une histoire
écrite sous domination d’un État-nation moderne. Selon lui, l’état Saoudien a entrepris de
contrôler, et même de monopoliser le récit de sa propre histoire, réduisant au silence toute
forme de dissidence, en imposant sa propre vision de l’histoire du pays, avec pour objectif
principal de renforcer la domination de la dynastie des Saoud. D’ailleurs ces derniers
n’autorisaient généralement pas les étrangers à visiter la région de Najd, berceau du
wahhabisme à une certaine période.

En effet, pour parler de l’histoire de la création de cet état, on se réfère couramment au


récit de Husayn b. al-Ghannâm (1739-1810) qui est considéré comme l’un des disciples et
biographe attitré du prédicateur religieux Muhammad ibn' Abdul-Wahhab (1703-1792)
(Redissi, 2007 p. 40), considéré comme le fondateur de la mouvance wahhabite. Sa chronique
s’arrête en 1797 et puis celle d‛Uthmân b. Bishr1 (1795-1873), l’autre historien officiel de
l’Arabie saoudite, s’arrête en 1854, limitant l’histoire de ce pays à une narration
particulièrement pauvre et opaque au regard des travaux entrepris dans d’autres pays arabes
comme le Yémen, la Syrie ou L’Égypte.

De même, l’historien allemand Jörg Matthias Determann établit dans son ouvrage,
Historiographie en Arabie Saoudite, Mondialisation et État au Moyen-Orient, les traits d’une
histoire marquée principalement par le wahhabisme, puis fortement dynastique. Il met à son
tour au premier plan, le rôle des deux auteurs clés cités précédemment pour créer une
historiographie mise au service des Sa‛ûd dès le début du XIXe siècle. Il précise que l’histoire
développée par Husayn b. al-Ghannâm a atténué de manière considérable la production
d’autres chroniques dans cette région. De plus, Jörg Matthias Determann relève que la région
centrale « le Najd » décrite par cet auteur avant l’arrivée du wahhabisme ressemble
curieusement à l’histoire de la région à l’époque préislamique (avant le VIIe siècle). Ainsi, il
utilise dans plusieurs passages dans son livre, un lexique associé à l’époque précédant
l’arrivée de l’islam pour distinguer clairement la période avant et après l’arrivée du
prédicateur Muhammad ibn 'Abdul-Wahhab. Il utilise dans son récit du vocabulaire tel que «
jâhîliyya » (ignorance), « takfîr » (incroyance). Or, ce lexique utilisé conduit à justifier d’un
point de vue moral et religieux les conquêtes entamées, parfois même à aller commettre des
massacres dans des régions voisines. Il présente cette entreprise comme une mission divine :
par conséquent, toute insoumission à l’égard des Sa‛ûd et à celui de Muhammad ibn 'Abdul-
Wahhab est considérée comme une insoumission à Dieu lui-même.

Le second auteur, ‛Uthmân b. Bishr, dans son livre, Unwan al-majd fi tarikh Najd,
reprend le chemin pris par son prédécesseur et consolide ses écrits mais ne le cite à aucun
moment bien que des extraits soient clairement repris dans sa chronique. Cet élément a retenu
notre attention de sorte à se demander pour quelle raison ‛Uthmân b. Bishr ne cite à aucun
moment dans son livre Husayn b al-Ghannâm étant donné qu’il aurait vécu dans la même
région et presque à la même période que celui-ci.

Plus tardivement, ces ouvrages sont revus et réécrits voire corrigés après la création de
la monarchie saoudite en 1932, ils sont diffusés à l’intérieur, mais également hors des
frontières du nouveau royaume, et ce, grâce à l’apparition de l’imprimerie moderne.
Pour se donner une dimension plus large, la famille Sa‛ûd utilise également différents
réseaux d’intellectuels arabes, dont la plupart ont été formés dans les universités occidentales,
pour consolider ces mêmes écrits, mais aussi pour rétablir leur image, après plusieurs
décennies de propagande défavorable menée par les Ottomans et leurs vassaux (Mouline,
2011 p. 328)

Nous pouvons évoquer à ce propos les écrits de l’écrivain libanais Amin Al-Rihani
(1876-1940), figure importante du mouvement littéraire du Mahjar (l’exil). C’est au début des
années 1920 qu’Al-Rihani effectue un voyage dans la Péninsule arabique et fait la
connaissance d’Ibn Sa‛ûd avec lequel il noue une relation d’amitié. Il publie par la suite,
Muluk al-`arab (Les rois des Arabes), et Tarikh Nejd Al-Hadith (L’Histoire moderne de Nejd)
qui font état de la situation de l’Arabie saoudite. Dans cet ouvrage, Amin Al-Rihani indique
par exemple que la ville de Dar’iyya, ville historique de Mụhammad ibn 'Abd al-Wahhāb,
serait une « ville consacrée entièrement à la spiritualité, la source des lumières ».

En somme, l’écriture de l’histoire de la monarchie saoudienne et de la naissance de


l’idéologie wahhabite à partir de la région centrale « le Najd » reste difficile à cerner au vu de
nombreuses incohérences des premières sources mises à disposition par les autorités de ce
pays. Ainsi, chez bien des historiens de l’époque le travail historique est le patriotisme reste
de pairs nous avons le sentiment que et cela, malgré l’immense travail apporté par plusieurs
spécialistes, plusieurs zones d’ombres persistent à différentes échelles.

L’histoire doit être une « science objective » fondée sur la critique externe et interne
des documents qui restes encore-restes enrichie et ouverte -à la vérité. C’est la raison pour
laquelle une nouvelle réécriture de la création de l’histoire de ce pays semble nécessaire et
pourrait apporter quelques clarifications concernant la vraie nature des relations, qui ont
perduré jusqu’à nos jours, entre la mouvance wahhabite et la famille des Sa‛ûd.

Encore faut-il une vraie volonté de la part de ces autorités à coopérer davantage pour
une nouvelle écriture d’une partie de son passé.

D’ailleurs le sociologue français Alexis de Tocqueville (1805-1859) rappelle, dans un


tout autre contexte, les conséquences d’un travail de remise en cause historique non effectué
lorsqu’il affirme dans son ouvrage, De la démocratie en Amérique : « Quand le passé
n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres
M. Nabil Mati
Doctorant en histoire et civilisation du monde arabe
Université Paris 8

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