Vous êtes sur la page 1sur 5

Histoire de l'Afrique Subsaharienne

Le Mythe de Fondation du Royaume du Songhay


KRIMAT
Célian

En quoi ce mythe de fondation est-il révélateur de la volonté des auteurs du


T'arikh as-Sudan de réaffirmer la légitimité de l’état Songhay et de sa monarchie,
alors sous tutelle marocaine ?

I-Légitimité Dynastique

A/ Une dynastie ancienne


B/ Une dynastie prospère

II-Légitimité Culturelle

A/ Un royaume islamique ?
B/ Influencé par la culture berbère

III- Légitimité Territoriale

A/Ancienneté de l’implantation de la région


B/ Volonté populaire voir divine d’autogestion

Ce document est le premier chapitre du T’arikh as-Sudan, un texte rédigé en


arabe vers 1650, qui relate le destins des grands empires du Soudan occidental
(Mali, Ghana, Songhaï) du XIe au XVIIe siècle, et décrit tout les différents aspects
de la vie dans ces royaumes : coutumes, architecture, guerres, règnes… Il est la
principale et l’une des seules source manuscrite sur la région et la période, avec
le T'arikh el-Fettach. L’ouvrage est destiné en particulier aux élites lettrées
Songhaï et aux membres de l’administration coloniale Marocaine. Son auteur,
Abderrahman ben Abdallah ben Imran ben Amir Es-Sa'di , est un savant de
Tombouctou. Né en 1596, il est d’abord imam à la mosquée de Sankoré en 1627,
avant d’être nommé imam à Tombouctou en 1637. Il devient ensuite Kateb
(Secrétaire au gouvernement), ce qui l’implique dans les affaires politiques de
son pays et le met en relation avec l’administration marocaine, vis à vis de
laquelle il aura un rôle de médiation entre eux et les pouvoirs Songhaï. En effet,
le royaume Songhaï s’effondre en 1591 à la suite de la victoire Marocaine à la
bataille de Tondibi. Les territoires autour du fleuve Niger anciennement
administrés par le royaume du Songhaï passent désormais sous tutelle marocaine.
L’aristocratie Songhaï tente alors de conserver ses prérogatives, en collaborant
avec les autorités marocaines. Ce document nous amène alors à nous demander
En quoi ce mythe de fondation est il révélateur de la volonté des auteurs du
T'arikh as-Sudan de réaffirmer la légitimité de l’état Songhaï et de sa monarchie,
alors sous tutelle marocaine ? Après avoir vu comment Es-Sa’di use de la liste
dynastique a cet effet (I), nous verrons comment il sous entend une certaine
proximité culturelle avec les marocains (II), et défends la légitimité territoriale
de son royaume (III).

Dès le début du texte(L1 à L21), l'auteur établit une liste royale des princes
qui ont regnés au Songhaï, depuis le fondateur mythique « Za-Alayaman » (L1)
jusqu'au fondateur de la dynastie des Askïa « Askïa-El-Hadj-Mohammed »(L21). Il
sépare ces princes en 4 : d'abord les 14 princes de la dynastie des Za ou Zuwa non
convertis à l'Islam (L1 à L4), puis les 17 convertis(L7 à L13), ensuite les 19 de la
dynastie des Sonni (L14 à L21), et enfin, seulement le premier des Askïa (L21),
puisque cette dynastie sera étudiée en détail dans la suite du T'arikh as-Sudan.
Cependant, la véracité historique de cette liste royale est contestable. En effet,
celle ci ne correspond pas toujours aux noms qui figurent sur les stèles royales
retrouvées dans les sites archéologiques de Gao, Saney et Bentyia : les
inscriptions de Saney sont plus anciennes, et les noms mentionnés sont parfois
différents. Cette liste royale à donc visiblement pour objectif d’inscrire les
dynasties Songhaï dans le temps long, en démontrant leur grande ancienneté, et
en prouvant qu'il est possible d'établir une continuité dynastique qui remonte
jusqu'au fondateur mythique du royaume, légitimant de ce fait le règne de leurs
descendants à l'époque ou écrit Es-Sa'di. Ainsi, pour Paulo Fernando de Moraes
Farias, les listes dynastiques comme celles ci sont conçues dans le but de faire
remonter aussi loin que possible les origines de la dynastie, ce qui explique
qu'elles comprennent aussi bien des personnages historiques que des héros
mythiques ou folkloriques.
De même, les descendants de Za-Al-Ayaman sont présentés comme « des
hommes energiques, audacieux et braves , […] de forte corpulence et de haute
taille.» (L54 à L55). Cela contribue à donner une image prospère et forte des
dynasties Songhaï, qui comme rappelé dans la chronique, descendent tous d'une
manière ou d'une autre de Za-Al-Ayaman : Askïa Mohammed est le neveu de Sonni
Ali Bar, qui descends d'Ali Kolon, fondateur de la dynastie Sonni et lui même «
fils de Za Yasiboï » (L16). La descendance de Za-Al-Ayaman est d'ailleurs « si
nombreuse que Dieu seul sait combien il eut de descendants » (L54), ce qui
facilite grandement le rattachement à ce personnage, nottamment pour les
membres de la dynastie Askïa vivant à l’époque de rédaction du T'arrikh As-Sudan
(Askia Dawud IV?), soit au minimum plus de 650 ans après le premier règne daté,
qui est lui même séparé de Za-Al-Ayaman par 14 règnes.

Ainsi, si les princes Songhaï sont légitime du fait de l'ancienneté de leur


dynastie, ils le sont aussi car ils ont tout comme les marocains, « embrassé la foi
musulmane » (L4). Selon Es-Sa'di, les princes songhaï sont musulmans depuis Za
Kosoï, qui se convertit « en l'an 400 de l'hégire »(L9) ; c'est à dire qu'a l'époque
de rédaction du T'arikh as-Sudan, les songhai sont déjà musulmans depuis 650
ans. L'usage du calendrier islamique pour les datations souligne d'ailleurs cela.
Toutefois, la conversion à l'Islam ne s'est pas opéré si simplement qu' Es-Sa'di veut
le faire paraître, en précisant que Za-Kosoï « a embrassé l'islam volontairement
sans y être contraint » (L8-9). En effet, on sait que le règne de Sonni Ali Bar
(1464-1492) est marqué par une volonté de valorisation de la religion
traditionnelle Songhaï, bien qu'il reste un prince musulman. C'est véritablement
son successeur Askia Mohammed qui règne de 1493 à 1529, qui favorise
l'expansion de l'Islam au sein de l'empire, et ramène de nombreux lettrés
musulmans de son pèlerinage à la Mecque. Même après cela, la tradition Songhaï
conserve une place importante dans la population, en particulier à la campagne.
En outre, le récit mythique de fondation du royaume Songhaï contribue aussi a
faire de Za-Al-Ayaman et ses descendants des défenseurs de l'Islam. En effet, à
son arrivée a Koukiya, il délivre « les populations au milieu desquelles il vivait »
de leur paganisme (L36-37) en tuant « grâce à l'aide de Dieu » (L44) le poisson
idole qu'ils vénéraient, présenté comme une manifestation du « démon »(L37).
Bien qu’invraisemblable puisqu'il vient de tuer l'idole adoré par les habitants,
ceux ci le font roi : il est donc remercié pour leur avoir montré la voie de l'Islam,
à eux qui « étaient manifestement dans une fausse voie »(L42-43). En réalité,
l’hypothèse d'Octave Houdas semble plus probable : le poisson-démon serait en
fait le symbole d'actes de piraterie qui avaient lieux tout les ans à la même
période dans la région, ce qui explique la reconnaissance accordée a Za-AL-
Ayaman. Cette interprétation du mythe visant à faire de Za-Al-Ayamlan un bon
musulman montre bien que la construction du récit qu'est le T'arikh as-Sudan a
des objectifs politiques. D'ailleurs, ceux ci ne s’arrêtent pas la. En effet, en
précisant que Za-Al-Ayaman « était musulman »(L46) mais que ses successeurs
« abjurèrent leur foi »(L47), Es-Sa'di légitime plus spécifiquement la dynastie des
Askïa, au détriment de celle des Sonni. Askïa-El-Hadj-Mohammed est
implicitement présenté comme le restaurateur de l'Islamisme abandonné par ses
prédécesseurs païens Sonni.
Le T'arikh as-Sudan établit aussi une certaine proximité culturelle avec les
marocains, dans le sens ou il fait remonter l'origine des fondateurs du royaume
Songhaï au Yémen. Ce sont donc soit des arabes, soit berbères. On ne sait en
réalité pas si ils venaient réellement du Yémen, mais ils étaient en revanche
sûrement berbères fuyant l'invasion arabe du Maghreb, car on sait que ceux ci se
pensaient originaires du Yémen. -
Comme on l'apprends dans le texte, Za Al-Ayaman et son frère parlaient l'arabe,
d’où la phrase « dja men el-Yemen »(L32), dont l’incompréhension par les
Songhaïs autochtones est à l'origine du nom Za-Al-Ayaman. Qui plus est, il est dit
que ces populations parlaient « un dialecte barbare » (L34), afin de souligner leur
manque de culture et de civilisation avant l'arrivée d'Al-Ayaman ainsi que leur
paganisme, puisque l'arabe est aussi une langue sacrée car c'est la langue de
l'Islam.

Bien que l'on ignore précisément « à quel époque Za Al-Ayaman quitta le


Yémen, à quel moment il arrive à Koukiya » (L49), l'ancienneté de l'implantation
Songhaï dans la région est incontestable. La ville de Koukiya, ou « Za Al-Ayaman
demeura » (L36), est censée exister depuis le « Temps de Pharaon »(L26), et il en
serait même fait mention dans l'ancien testament. Cependant, cette affirmation
est très douteuse, et il s'agirait en fait d'un simple procédé rhétorique visant a
démontrer la très grande ancienneté de la ville, ce qui permet la encore de
légitimer par sa longévité la présence et la gouvernance Songhaï dans la région. Il
est toutefois certain que la ville soit véritablement très ancienne. Sa localisation
reste néanmoins assez floue et diffère selon les sources, elle serait plus ou moins
identique à celle de Gao pour Octave Houdas, alors que Paulo Fernando de
Moraes Farias semble la faire correspondre avec le site de Bentyia.
Le contrôle territorial des dynasties Songhaï sur la région est aussi lié aux
habitants de cette région. En effet, le T'arikh as-Sudan, rappel que c'est bien la
volonté populaire qui à mis les Zuwa sur le trône, puisqu'il « prêta serment
d'obéissance à Za-Al-Ayaman et en fit son roi » (L45). La légitimité de son règne
et donc populaire et par extension, il en va de même pour celle de ses
descendants. En outre, ce n'est pas la première fois que le royaume Songhaï
perdure sous domination étrangère. En effet, de 1275 au règne de Sonni Ali en
1464, le territoire Songhaï est l'une des principautés qui compose l'empire du
Mali : le royaume de Gao. En rappelant qu'Ali-Kolon Délivra les gens du Songhaï du
joug du peuple de Melli » (L15), Es-Sa'di souligne donc ici la capacité d'auto
administration des Songhaï, mais aussi le fait qu'ils sont parfaitement capable de
se libérer d'une occupation si ils le souhaitent, tout en rappelant l'un des hauts
faits de la monarchie Songhaï. En plus de cela, il fait remarquer que cet exploit à
été réalisé « avec l'aide du Dieu très haut » (L14-15), ce qui pourrait presque
sous entendre une volonté divine d'autonomie du peuple Songhaï. Il faut donc la
encore faire le parallèle avec la domination marocaine en vigueur à l'époque de
rédaction du texte, et garder à l'esprit la tentative d'instauration d'un rapport de
force avec les Arma. Il semble malgré tout y avoir une confusion entre Sonni Ali
Kolon et SonnI Ali Bar, puisque c'est ce dernier et non ce premier qui met fin à la
domination Malienne.

En légitimant de ces différentes manières l'empire Songhaï et sa monarchie,


les lettrés et savants de la classe dominante Songhaï tentent ainsi de valoriser
leur héritage, et de faire valoir leur capacité et leur droit légitime à gouverner,
dans le cadre du rapport de force qui s'établit avec l'administration coloniale
marocaine. Loin de remettre en cause l'autorité marocaine, ils cherchent
néanmoins à se faire une place dans le nouveau système de gouvernement.
Bibliographie
Ouvrage principaux :
-L'éveil à l'écriture : Un nouveau Moyen Âge sahélien À propos de l'ouvrage de
Paulo Fernando de Moraes Farias, Arabic Medieval Inscriptions from the Republic
of Mali. Epigraphy, Chronicles and Songhay-Tuareg History, Jean-Louis Triaud
-Documents arabes relatifs à l'histoire du Soudan / par Abderrahman ben Abdallah
ben ʿImran ben ʿAmir Es-Saʿdi ; traduit de l'arabe [et édité] par O. Houdas ,
édition de 1898/1900
Ouvrages annexes :
-Notes d'Ivor Wilks sur Timbuktu and the Songhay Empire: al-Safidı’s T'arıkh
alsüd n Dow n to 1613 and O ther Contemporary Documents de John Hunwick,
dont voici le lien : https://org.uib.no/smi/sa/11/11Timbuktu.pdf
-Les page Wikipédia anglaises et françaises de : l'Empire Songhay, le peuple
songhay, la liste des empereurs du Songhay, le royaume de Gao, Askïa
Mohammed, Es-Sa'di, Ali Bar, Za Al Ayaman, la bataille de Tondibi.
Ouvrages consultés mais peu utilisés :
-George Kintiba, The Empire of Songhay, 1375-1591: Memory and Heritage of a
Glorious Past [A Historiographical Essay]

Vous aimerez peut-être aussi