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CAMPEMENTS DE CHASSEURS-CUEILLEURS

>> Les campements


de chasseurs-cueilleurs
de Champréveyres et Monruz

Situation des
campements
de Champréveyres
et Monruz au pied
du Jura sur la rive
nord du lac
de Neuchâtel.
Cliché OMAN.

Établis sur les rivages du lac de Neuchâtel, au pied du Jura, les campements magdaléniens de
Champréveyres et Monruz sont distants d’un kilomètre l’un de l’autre. Ils se caractérisent par la ri-
chesse des vestiges et leur remarquable état de conservation. Foyers, nappes d’ocres, déchets de dé-
bitage du silex et restes osseux permettent d’approcher le quotidien des chasseurs d’il y a 15 000 ans,
à la fin de la dernière glaciation.
Par Marie-Isabelle CATTIN
>> Archéologue à l’office et musée d’Archéologie de Neuchâtel

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Espace des chasseurs


au musée du Laténium.
Cliché OMAN.

A
u Laténium, l’« espace des chasseurs » tivités, une matière est indispensable : le silex, qui va 1. Cynégétique :
qui concerne
évoque les pistes qui suivent les cours d’eau fournir une majorité des outils nécessaires à la chasse et la chasse.
au pied du Jura, environnement ouvert où aux diverses opérations lui succédant. Cette matière
le regard se porte au loin. Les vitrines qui renferment n’est cependant pas toujours présente et de bonne qua-
les objets de la vie quotidienne surgissent de plate- lité à proximité des campements, c’est le cas à Cham-
formes basses rappelant la configuration du terrain. Ins- préveyres et Monruz ; elle est même absente de la
tallé au milieu de ce paysage, le campement est région de Moosbühl près de Berne, également fré-
matérialisé par un foyer reconstitué, autour duquel quentée par les Magdaléniens. On constate donc que
s’organisent les activités domestiques. Des figurations ces populations de chasseurs nomades s’installent dans
paléolithiques de la faune chassée défilent sur le mur, des endroits qui ne répondent pas à l’intégralité de
rappelant ainsi l’importance des animaux pour ces leurs besoins. Toutefois, certains paramètres sont ré-
groupes humains. Dans ce monde dominé par la chasse, currents, comme les qualités cynégétiques du lieu, la
la sagaie et son propulseur s’imposent au regard – dans proximité de l’eau, l’abondance de combustible. En re-
une vitrine à hauteur des yeux. Puis, une traversée du vanche, le silex peut être apporté lorsqu’il est absent ou
glacier nous amène à l’espace consacré au Moustérien, de mauvaise qualité sur place.
quelques mètres pour symboliser un hiatus de plu-
sieurs milliers d’années sans occupation humaine sur L’ENVIRONNEMENT
le territoire suisse pris sous la glace. Le parc du musée Dès 14000 av. J.-C., le glacier s’est retiré du pied du
offre un prolongement de l’espace intérieur, dans le- Jura. Des animaux parcourent ces régions, comme le
quel blocs erratiques, lande à bouleaux nains et saules rhinocéros laineux dont on a découvert un crâne lors
rampants illustrent le paysage glaciaire, à côté du mou- d’opérations de dragage du lac de Neuchâtel. Vers
lage du sol magdalénien de Monruz. 13 000 av. J.-C., des groupes humains s’installent en di-

LA DÉCOUVERTE
En 1983, la découverte du campement de Cham-
préveyres, occasionnée par la construction de l’auto-
route reliant Neuchâtel à Genève, a apporté une
nouvelle vision du Magdalénien sur le Plateau suisse.
Situé sous le niveau actuel du lac, ce gisement a no-
tamment permis d’étudier les variations du lac à la fin
de la glaciation. À un kilomètre de Champréveyres, le
campement de Monruz a été mis au jour en 1989, tou-
jours sur le tracé de l’autoroute, révélant une fréquen-
tation répétée de cette portion du lac de Neuchâtel. Ce
site se caractérise par la présence d’une langue de terre
qui divise le lac actuel en deux bassins inégaux. Cette
configuration particulière du terrain a sans doute
constitué, pour les préhistoriques, une opportunité du
point de vue cynégétique1. Reconstitution du rivage d’il y a 15 000 ans. Le niveau du lac plus bas qu’aujourd’hui
La chasse est au centre de la vie des Magdaléniens : laissait émerger une bande de terre, isolant du grand lac un petit plan d’eau au bord
se nourrir, se vêtir, s’abriter, constituent autant d’actions duquel se sont installés les groupes de chasseurs magdaléniens.
Cliché et infographie M.-I. Cattin.
tributaires de la chasse. Toutefois, pour réaliser ces ac-

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Phalanges distales entières de cheval. Cliché OMAN.

vers lieux propices à la chasse ; le climat est encore ri-


goureux. Les analyses polliniques, entomologiques2 et
malacologique3 ont permis de restituer les conditions
paléo-environnementales de la fin de la dernière gla-
ciation sur le Plateau suisse et plus particulièrement
sur les rives du lac de Neuchâtel. Une végétation rase de
pelouses de type alpin se développe en mosaïque avec
des landes d’arbustes nains, comme les saules rampants
et les bouleaux nains ; les températures ne dépassent
pas 9 degrés en moyenne au mois de juillet. Les don-
nées archéozoologiques révèlent la présence d’une
faune de milieux ouverts dominée par le cheval, qu’ac-
compagnent le renne, la marmotte, le lièvre variable, le
bouquetin, le renard polaire, ainsi que divers oiseaux.
Complémentaire de la chasse, la pêche est également
pratiquée, comme en témoignent divers restes de pois-
sons recueillis sur les fouilles.

LE LIEU DE CHASSE DEVIENT CAMPEMENT


Les deux campements se caractérisent par une
grande quantité de restes de chevaux, dont toutes les
parties anatomiques sont représentées. La carcasse d’un
cheval est difficile à déplacer sans découpe préalable : il
est donc probable que les Magdaléniens ont chassé puis
installé leur campement sur le lieu d’abattage. Les ou-
tils servant à la découpe sont réalisés sur place : le re-
montage de lames (identifiées par la tracéologie
comme des couteaux à viande) sur des nucléus montre
que leur production précède de peu leur utilisation.

LE CAMPEMENT, LIEU SOCIAL


Dans le campement, toutes les opérations consécu-
tives à la chasse s’organisent autour de foyers, qui peu-
vent être à plat ou à cuvette et qui sont associés à une
Le remontage très complet d’un nucléus à lames utilisées
couverture pierreuse composée de galets et de plaques.
comme couteau (en rouge) montre l’utilisation des produits
débités non loin de leur lieu de production et un abandon Chaque outil, chaque objet peut être rapporté à des ac-
de ces derniers sur le lieu d’utilisation. Dans ce cas, tivités spécifiques. L’analyse des structures et du mobi-
les couteaux sont produits pour une utilisation immédiate.
Cliché OMAN, Infographie M.-I. Cattin. lier permet d’identifier des instants de la vie
quotidienne : aire de travail des peaux alliant grattoir

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Vestiges osseux et lithiques illustrant la richesse Monruz se caractérise par de nombreux objets de parure : coquillage percés, figurines
du niveau d’occupation de Monruz. Cliché OMAN. et éléments perforés en lignite, dent de marmotte perforée. Cliché OMAN.

et nappes d’ocre, travail de l’os et du bois de renne au leur morphologie naturelle qui les rapproche de blocs 2. Entomologie :
étude des insectes.
moyen de burins, confection de parures, débitage du de silex mis en forme. En examinant ces blocs dont la
silex, utilisation et réutilisation des pierres de foyer, vi- productivité est nulle, on a l’impression qu’un tailleur 3. Malacologie :
dange des foyers. Le campement de Monruz se dis- expérimenté expliquait à son/ses « élève(s) » les quali- étude des mol-
lusques.
tingue par une grande quantité d’éléments de parure : tés du bloc qu’il faut choisir, la façon de mettre en place
petites figurines féminines et pièces perforées en li- le plan de frappe, l’utilité d’une arête (naturelle ou à
gnite, coquillages fossiles percés et dents sciées ou per- créer) pour débuter la série laminaire, puis enfin l’or-
forées. Une partie de ces objets a dû être confectionnée ganisation du débitage pour maintenir les convexités
sur place, car on a retrouvé des déchets de façonnage longitudinales et latérales du nucléus.
du lignite. Par leur style, les figurines féminines sont
comparables à celles découvertes dans une grotte du DU CAMPEMENT AU TERRITOIRE
sud de l’Allemagne, le Petersfels, à environ 200 km au L’étude des sites de Champréveyres et de Monruz
nord-ouest de Monruz. Cette analogie, corroborée par a permis d’appréhender le territoire des populations
la présence à Monruz de deux nucléus en silex de la ré- magdaléniennes. Comme ces sites sont localisés dans
gion du Petersfels, indique vraisemblablement des une région où le silex de bonne qualité est absent, ils
contacts entre ces campements. ont apporté ou obtenu des matières au grain fin se

DES GROUPES FAMILIAUX


La quantité de matériel recueilli dans les campe-
ments et la diversité des activités réalisées indiquent
que les groupes sont vraisemblablement composés de
familles. Les actions discrètes des enfants transparais-
sent parfois dans le matériel archéologique, notam-
ment à travers des indices d’imitation et
d’apprentissage de la taille qui peuvent se lire sur le
matériel en silex. À Monruz, un nucléus dont le plan
de frappe est arrosé de marques d’impact révèle le tra-
vail d’un débutant. Si celui-ci imite les gestes qu’il voit
et frappe le bloc de silex pour essayer d’en tirer des
éclats, il ne sait pas encore où porter ses coups pour
qu’un éclat se détache du bloc. Plus tard, il apprendra
à organiser ses enlèvements ; subsisteront cependant
Paysage de
des maladresses, des erreurs dans la gestion du volume. Champréveyres
La transmission d’un savoir-faire sous la forme d’une au Magdalénien.
Aquarelle P. Röschli/
leçon a aussi été repérée sur deux blocs de pierre de OMAN.
Monruz. Ces blocs ont certainement été choisis pour

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ruz et Champréveyres – ou indirectement si l’on envi-


sage que des échanges sont pratiqués pour obtenir les
matières. Les blocs de silex introduits sur les campe-
ments sont de petites dimensions et de faible poids (en-
viron 500 g pour un nucléus préparé). Ils ont servi
essentiellement à la confection des armatures de pro-
jectiles, et ont été débités au moment de la réfection
des armes, probablement après chaque chasse. On peut
donc très bien envisager que chaque chasseur trans-
portait avec lui le matériel nécessaire à la réparation de
ses sagaies.
Ces groupes de chasseurs sont nomades. Leurs dé-
placements ne devaient pas être les mêmes suivant les
saisons en raison des grands froids de l’hiver (la tem-
pérature moyenne au mois de janvier était de - 25°).
Les gisements de Champréveyres et Monruz indiquent,
d’après les âges des animaux abattus et la réutilisation
des foyers, une fréquentation répétée des lieux à la belle
saison. Si les sites de plein air étaient occupés à la belle
saison, les porches de grotte ou les abris-sous-roche ont
Localisation des gîtes certainement été préférés pour l’hiver.
de silex exploités
par les Magdaléniens de prêtant mieux à la réalisation des outils indispensables
Champréveyres et Monruz à la vie quotidienne. Les lieux d’approvisionnement de DES OCCUPATIONS AZILIENNES
et trajets possibles empruntés
ces divers silex, déterminés par une analyse pétrogra- Les gisements de Champréveyres et de Monruz ont
suivant les cours d’eau.
Infographie M.-I. Cattin. phique alliée à une prospection sur le terrain, se situent également été fréquentés par les chasseurs aziliens.
le long de la chaîne du Jura, mais aussi sur son f lanc Quelques foyers, autour desquels s’organisent activités
nord. Ils montrent également une fréquentation possi- de débitage, réarmement des sagaies et grattage des
ble des Préalpes. Leurs localisations s’étendant entre les peaux, indiquent à nouveau des installations centrées
régions de Bellegarde, en France, et du lac de Constance, sur la chasse. Les armatures (des bipointes à Monruz et
au sud de l’Allemagne, permettent d’identifier des par- des pointes à dos courbe à Champréveyres) permettent
cours qui devaient suivre les cours d’eau, chemins les d’attribuer le premier site à un Azilien ancien qui in-
plus aisés pour atteindre ces lieux. Une traversée de la terviendrait aux alentours de 12 600 av. J.-C., au mo-
chaîne du Jura suivant les cluses semble moins proba- ment de l’expansion du genévrier et de l’argousier.
ble en raison de l’instabilité du terrain lors du dégel du Quant à l’occupation de Champréveyres, elle se place-
permafrost. Ce sont des distances variant entre 150 km rait un peu plus tard, vers 12 000 av. J.-C., avant que le
vers le sud et 200 km vers le nord qui constituent le ter- pin ne colonise le Plateau suisse. L’étude de ces occu-
ritoire parcouru directement par les groupes de Mon- pations a permis de compléter les connaissances envi-

Extension du glacier
du Rhône dans la
région neuchâteloise
lors du maximum
glaciaire vers
20 000 av. J.-C.,
en arrière-plan
les zones libres
de glace ayant pu
être fréquentées
par les groupes
gravettiens.
Panorama tiré
de l’Atlas de la Suisse
2.0 reproduit
avec l'autorisation
de Swisstopo
(BA091032).

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ronnementales pour ces périodes marquées par un ré-


chauffement progressif, qui voit une colonisation du
Plateau par des forêts clairsemées de bouleaux, ainsi
que la disparition des faunes de milieux ouverts au pro-
fit des espèces forestières.

LE PALÉOLITHIQUE SUPÉRIEUR EN SUISSE


Les occupations magdaléniennes et aziliennes se
concentrent principalement dans la chaîne du Jura,
plus particulièrement dans les régions de Schaffhouse,
Bâle et Olten. Néanmoins, quelques sites de plein air
se répartissent sur le Plateau suisse aux abords de lacs,
comme à Moosbühl près de Berne, ainsi qu’à Cham-
préveyres et Monruz. D’autres sites montrent une pé-
nétration des Préalpes jusqu’à une altitude de 1000 m
environ.
L’archéologie paléolithique du territoire suisse est
marquée par les mouvements des glaciers, qui ont ef-
facé sur leur passage les vestiges d’habitats de plein air
et empêché, à leur maximum, une fréquentation du
Plateau. Toutefois, des occupations gravettiennes en Al-
Distribution des gisements magdaléniens sur le territoire suisse et les régions voisines.
lemagne, sur le cours du Danube et ses aff luents, et le Infographie M.-I. Cattin.
long des contreforts français de la chaîne du Jura, in-
diquent que des populations se sont installées non loin
des glaciers. Elles ont donc pu occuper les régions li- bres de glace du territoire suisse, telles les régions de
Bâle, Schaff house ou Porrentruy, comme semblent
l’attester de rares vestiges. Liée à l’histoire de la re-
cherche, cette distribution démontre une occupation
du Plateau où de nombreux gisements restent assuré-
ment à découvrir. I

>> Bibliographie

• BULLINGER (J.), LEESCH (D.), PLUMETTAZ (N.) —


Le site magdalénien de Monruz, 1. Premiers éléments pour l'analyse d'un
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• LEESCH (D.), CATTIN (M.-I.) et MÜLLER (W.) — Hauterive-Champré-


veyres et Neuchâtel-Monruz. Témoins d'implantations magdaléniennes et azi-
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Millon (Préhistoire d'Europe, 5), 1998, 499 p.

• MOREL (P.), MÜLLER (W.) — Hauterive-Champréveyres 11. Un campe-


ment magdalénien au bord du lac de Neuchâtel. Étude archéozoologique
(secteur 1). Neuchâtel, musée cantonal d'Archéologie (Archéologie
Paysage de Champréveyres et Monruz à l’Azilien neuchâteloise, 23), 1997, 149 p.
montrant la recolonisation forestière par le bouleau
• PLUMETTAZ (N.) — Le site magdalénien de Monruz, 2. Étude des foyers
et le genévrier. Les troupeaux de rennes sont
à partir de l'analyse des pierres et de leurs remontages. Neuchâtel,
remplacés par le cerf qui constituera la principale
office et musée cantonal d'Archéologie (Archéologie neuchâteloise,
ressource carnée des groupes humains.
38), 2007, 270 p.
Aquarelle P. Röschli/OMAN.

n° 333 / Les Dossiers d’Archéologie / 25

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