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DOI : 10.3917/rma.162.0425
426 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010
de la Somme le roi un texte célèbre. Le traitement de l’avarice est illustré par de nom-
breux détails concrets tirés de l’observation des métiers. Les prêteurs d’argent, par
exemple, ne comptent pas dans le paiement les fruits de ce qu’ils ont pris en gage,
ou bien déguisent l’usure, en vendant une marchandise plus que ele ne vaut pour le
terme. Mais les prêteurs courtois ne sont pas mieux lotis, car ils attendent, en échange
de leur courtoisie, des bontés, en deniers ou en chevaus ou en copes d’or ou d’argent, ou
robes ou tourniaus de vin ou porceaus gras, services, corvées de chevaus et de cherretes, ou
provendes a leurs filz… Sont malhonnêtes également cil escrivain qui moustrent bonne
lettre au commencement et puis font mauvese, ou encore ces drapiers qui choisissent des
lieux obscurs pour vendre leurs draps. Les vices des mauvais officiers et serviteurs
font l’objet d’un long développement : ces larron privé volent le produit des amendes,
diminuent les rentes de leurs seigneurs, et content plus en mises et en despens, et moins
en recetes et en rentes. En réalité, les grands de ce monde, comme les gens les plus
modestes, personne n’est épargné dans cette revue des péchés du monde.
Basée sur la thèse d’École des chartes d’É. Brayer, la belle édition de la Somme le
roi par les soins de la Société des Anciens Textes Français nous rend enfin cet ouvrage
accessible. L’édition du texte, qui prend pour manuscrit de base le manuscrit 870 de
la Bibliothèque Mazarine, décoré par le Maître de Papeleu, et offert par Philippe le
Long à Jeanne de Bourgogne, est précédée d’une introduction qui retrace la composi-
tion du traité et ses liens avec le Miroir du monde, et qui en montre la place singulière
dans la tradition des traités moraux et spirituels, puisqu’il s’agit du premier grand
traité moral et spirituel destiné aux laïcs, l’équivalent, pour ceux-ci, de la Summa de
vitiis et virtutibus de Guillaume Peyraut.
Le texte de la Somme le roi est suivi de plusieurs annexes, tables et index – dont
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Les albas occitanes. Étude et éd. par Christophe CHAGUINIAN, transcr. musicale et
étude des mélodies par John HAINES, Paris, Champion, 2008 ; 1 vol. in-8°, 356 p.
(Classiques français du Moyen Âge, 156). ISBN : 978-2-7453-1563-2. Prix : € 32,00.
Lorsqu’on aborde l’étude d’un genre poétique, il arrive souvent que le corpus de
textes varie selon les normes et les principes mis en valeur. Pour l’alba, ce chiffre se
situe entre dix-huit et dix-neuf, selon qu’on s’en tient à la présence du mot alba comme
mot-refrain ou comme mot dans un refrain, ou bien si l’on accepte le poème Ab la
genser (PC 461, 3), qui l’omet, ce qui, à de rares exceptions près, réunit les éditeurs.
C. Chaguinian reprend la question du groupement et, donc, de la dénomination
établie par M. de Riquer, et généralement acceptée, des dix-neuf poèmes répartis
entre albas proprement dites, contre-albas et albas au divin. Au terme d’une introduction
bien menée et enrichie par une comparaison de cette tradition avec celle qui existe
dans d’autres langues, C.C. arrive à la conclusion que, pendant les deux siècles et
demi, la tradition s’est diversifiée, séparant le premier groupe (albas proprement
dites) des deux autres. L’alba s’est transformée en « genre thématico-formel » (p. 91)
et de là en genre formel, et lui suggère l’appellation suivante : alba de séparation, alba
formelle érotique et alba formelle religieuse. À la fin de l’introduction, J. Haines étudie
en détail les deux albas qui nous ont fourni la notation musicale, celle de Guiraut
de Bornelh, Reis glorios (PC 242, 64) et celle de Cadenet, S’anc fui belha (PC 106, 14),
et considère les deux grosses questions de l’authenticité des textes musicaux et de
leur interprétation.
L’édition des textes fournit tout ce qu’il faut pour l’examen des versions manuscri-
tes : une analyse détaillée des rapports entre les témoins manuscrits, qui mène à une
argumentation poussée pour arriver au choix d’un manuscrit de base, une table des
variantes aussi claire que possible, vu la méthode qui est à l’honneur dans ce domaine,
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un siècle trop tard (en 1940 au lieu de 1840), ce beau volume est plein de surprises
et de découvertes savantes qui méritent qu’on s’y attarde.
La discussion s’amorce dès le discours d’accueil de J. Leclant, secrétaire perpétuel
de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui n’hésite pas à déclarer que « le
terme anglo-normand est contestable mais pratique » (p. 5). Passées les premières
générations de francophones installés en Angleterre au XIe et XIIe siècles, il préférerait
utiliser le terme « français insulaire » ou « français d’Angleterre ». Plusieurs orateurs
font face à la difficulté de terminologie, certains (A. Butterfield, J.P. Pouzet) allant
jusqu’à proposer « anglo-français » dans leur titre. Mais cette dernière expression –
néologisme dans ce sens – possède sans doute des relents trop politiques et journalis-
tiques (on parlerait, par exemple, d’un accord anglo-français) pour convenir à décrire
un état de la langue médiévale. Certes, en anglais le seul terme couramment employé
est Anglo-Norman, rendu incontournable par les publications de The Anglo-Norman
Text Society, connues de tous les spécialistes. Mais si l’adjectif « anglo-normand » n’est
pas accepté pour ce dialecte qui n’était, somme toute, qu’une variété régionale de
français, pourquoi ne pas dire « le français anglo-normand », ce qui aurait le mérite
d’éviter toute ambiguïté tout en maintenant l’usage de l’expression consacrée ?
T. Hunt, lui, ne se lance pas dans ce genre de débat, mais parle de l’un de ses
domaines préférés, l’alchimie anglo-normande. Il explore notamment plusieurs
manuscrits britanniques qui foisonnent de recettes médicales et extraits alchimiques,
la ligne de démarcation entre les deux arts n’étant pas toujours bien claire à l’époque.
Dans un article très touffu de 42 pages (développé à partir d’une communication né-
cessairement plus brève), J.P. Pouzet examine l’utilisation du français dans l’écriture
religieuse anglaise entre la fin du XIIe et la fin du XIVe siècle. Il présente des éléments
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l’autobiographie critique d’une communauté urbaine, relatée par l’un de ses acteurs.
Le tout forme une sorte d’exemplum laïque fondé sur l’histoire communale.
Au-delà de son intérêt littéraire, cette chronique qui couvre un siècle d’histoire du
royaume angevin de Naples, espace moins bien documenté que le Nord et le Centre
de la péninsule, apporte son lot d’informations sur les conditions d’existence des
concitoyens de Buccio : les descriptions crues, presque sociologiques, des effets de
la Peste noire ou du séisme de 1349 sont à cet égard remarquables.
Dotée d’une longue introduction historique et littéraire, et d’une bibliographie
très complète, cette édition, assortie d’un appareil critique fourni, est complétée par
un fort utile glossaire du vocabulaire aquilin et de copieux index.
Hadrien PENET
hérentes les unes avec les autres, de ce mythe complexe et difficilement saisissable.
La première rubrique porte, comme il se doit, sur les différentes appellations : familia
Herlechini, milites Herewini, Herla/familia Herlethingi, societas/familia Arturi, familia
Helliquini, militia/familia Hellequini pro Karlequinus.
Dans la deuxième section du chapitre, K.U. présente et analyse certains « my-
thèmes isolés », à savoir des motifs ou des éléments présents dans des textes qui ne
mentionnent pas le nom Hellequin et ses nombreuses variantes, mais qui révèlent
des traits « hellequiniens ». Elle énumère trois motifs : les déplacements nocturnes,
les combats aériens et les équipées démoniaques, le chasseur infernal.
À propos des déplacements nocturnes, K.U. cite un passage de Gervais de Tilbury
à propos des démons aériens qui, pendant la nuit, pénètrent dans les maisons, en
soulignant que l’A. s’efforce de rationaliser ce phénomène en le ramenant au rang
de cauchemar. Avec subtilité, K.U. note que cette rationalisation est ambivalente
puisque, selon son étymologie, le cauchemar renvoie de toute manière à un être
diabolique qui « s’assoit sur la poitrine du dormeur pour l’oppresser » (p. 80). On
apprécie ici la citation du Französisches Etymologisches Wörterbuch (on ajoutera tout
simplement la référence au volume [FEW II-1, 62b]), à propos de l’étymologie du mot
cauchemar (< calcare) et à sa signification en français médiéval (« démon nocturne »,
attesté aussi au féminin, cauchemare « sorcière »).
À propos des combats aériens, la source choisie est Giraud de Barri, auteur des
deux célèbres traités topographique et historique sur l’Irlande : Topographia hibernica
(daté de 1188) et Expugnatio hibernica. K.U. cite un extrait de ce dernier traité à travers
la traduction de C. Lecouteux et P. Marcq1 en héritant d’une erreur tant fâcheuse
qu’évidente, portant sur l’indication géographique « Ibérie » au lieu de « Hibernie ».
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Nastagio/Anastagi. Cette nouvelle doit être sans aucun doute considérée comme
une actualisation ou une « émanation du motif » de la Mesnie Hellequin, dans la
mesure où elle est entièrement centrée sur le motif de la chasse infernale. Il aurait
été intéressant de noter, par exemple, que si dans les sources latines le chevalier et la
dame chassée sont des âmes du Purgatoire réclamant des messes de suffrage, chez
Boccace ils sont tout simplement des émanations de l’Enfer. L’intérieur du Décaméron,
le but de l’histoire est désormais entièrement orienté vers un enseignement profane :
la condamnation de la dame sans merci.
Mis à part ces critiques de détail, un autre aspect de ce chapitre me laisse per-
plexe. Au moment d’entreprendre l’excursus des sources latines, K.U. déclare que
les écrivains latins abordent la matière avec un « véritable souci d’historien et une
volonté de rendre le phénomène intelligible, sinon entièrement déchiffrable » (p. 36).
Au moment où elle analyse plus en détail certains des auteurs latins présentés, elle
nuance, à juste titre, cette affirmation un peu trop péremptoire : chez Pierre de Blois,
elle parle d’une « simple référence allusive » (p. 48) ; chez Gautier Map, elle parle
d’une « œuvre littéraire dans le sens de fabula » (p. 49). En somme, l’opposition latin–
histoire–intelligible/langue vulgaire–fiction–irrationnel ne me paraît pas très nette
ni particulièrement utile du point de vue euristique.
Au deuxième chapitre, K.U. part à la recherche des traces du mythe, ou plutôt
des mythèmes, dans les œuvres vernaculaires du Moyen Âge. Tous les éléments du
cortège, (la chasse, la ménagerie, les ustensiles, la forêt, les ténèbres, etc.) ne forment
plus un ensemble structuré, mais subissent une sorte d’éclatement à l’intérieur d’un
réseau de réécritures. La quantité des sources mises à contribution est très importante.
L’analyse est souvent fine et convaincante. K.U. montre bien que les éléments de la
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1. Gervase of Tilbury and the birth of Purgatory, Medioevo romanzo, t. 14, 1989, p. 97-110.
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dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais qui retient bien d’autres textes
visionnaires, tels la Vision de Fursy et la Vision de Drithelm (liv. 24), la Vision de Charles
le Gros (liv. 25), la Vision de Tondale et la Vision de l’enfant Guillaume (liv. 28) et la Vision
de Gunthelm (liv. 30).
Le dernier chapitre présente une enquête sur les résurgences du mythe aux siècles
postérieurs au Moyen Âge. K.U. note que le personnage d’Hellequin continue de
hanter l’imagination des poètes et des écrivains, mais qu’il trouve aussi sa place dans
la tradition populaire, comme en témoigne la figure d’Arlequin, décrit comme « le
descendant le plus célèbre » et « le plus clairement identifié » de Hellequin (p. 572).
D’autres personnages comme le juif errant, Don Juan et la statue du Commandeur,
Faust et Tannhäuser, le Hollandais volant, le Freischütz et le Roi des Aulnes doivent
également être considérés comme des avatars de Hellequin.
Des traces de l’ancienne chasse sauvage se retrouvent aussi chez des poètes pré-
classiques comme Ronsard et le Cardinal de Retz, chez les Allemands du XVIIIe siècle
comme Schiller et Gottfried August Bürger, chez les romantiques français comme
Théophile Gautier, Prosper Mérimée, et même chez les écrivains contemporains
comme Umberto Eco et Joanne K. Rowling, auteur de la saga d’Harry Potter.
Dans sa conclusion, K.U. revient à la littérature médiévale en insistant sur le
fait que le caractère multiforme et changeant de la Mesnie Hellequin, cohérent
avec son appartenance à l’imaginaire infernal, rend son identité fragile et difficile à
cerner d’une façon univoque. Les innombrables actualisations et manifestations de
ce mythe sont toujours contaminées et connectées à d’autres figures et motifs. La
conclusion se termine sur une sentence lapidaire, en guise d’explicit : « Hellequin est
un masque » (p. 707).
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Marienwerder, son confesseur, donne de la sainte des visions opposées, celle d’une
laïque impliquée dans le monde ou celle d’une recluse, selon qu’il s’adresse aux laïcs
ou aux clercs. Les actes du procès de canonisation mettent en valeur sa réclusion et
font d’elle la sainte d’un lieu, la cathédrale de Marienwerder, dont le chapitre faisait
partie de l’ordre teutonique. Elle n’y apparaît pas comme la « patronne de la Prusse » :
cet aspect prend forme dans d’autres recueils de miracles, qui font des gens du peu-
ple les bénéficiaires privilégiés de ses intercessions. Elle n’y apparaît pas non plus
comme la patronne de l’ordre teutonique, qui préféra promouvoir, dans des lieux
plus prestigieux, le culte marial.
L’A. reconnaît que la notion de « censure » ne rend pas toujours compte des mé-
canismes décrits : les actes des procès de canonisation, qui neutralisent les aspects
politiques des saints, n’empêchent pas d’autres textes de circuler. Plus que de censure,
il faut bien parler de choix et de stratégie. Bien que ce résultat soit peu surprenant, le
livre garde tout son intérêt car il aborde un espace rarement appréhendé en tant que
tel et propose une analyse fine des sources hagiographiques et de leur instrumentali-
sation. Contrairement à ce que le titre de l’ouvrage laisse entendre, ces sources ne se
limitent pas aux seuls actes des procès et l’étude, au-delà de la thématique politique,
révèle bien d’autres enjeux, en particulier le contrôle de l’image des femmes et les
représentations de l’espace baltique dans le reste de l’Occident.
Corinne PÉNEAU
Der Weg zur Kaiserkrone. Der Romzug Heinrichs VII. in der Darstellung
Erzbischof Balduins von Trier, éd. Michel MARGUE, Michel PAULY et Wolfgang
SCHMID, Trèves, Kliomedia, 2009 ; 1 vol. in-4°, 200 p. (Publications du Centre
luxembourgeois de Documentation et d’Études médiévales, 24). ISBN : 978-3-89890-
129-1. Prix : € 60,00.
La chronique imagée conservée sous la cote 1 C 1 au Landeshauptarchiv de Coblence
constitue sans contexte une source essentielle du règne d’Henri VII, comte de
Luxembourg, élu roi des Romains en 1308 et couronné empereur dans la basilique
du Latran à Rome le 29 juin 1312. Elle a bien entendu fait l’objet de plusieurs
éditions, mais elles sont toutes difficiles d’accès. Ce volume qui présente pour la
première fois les illustrations au format original vient à son heure pour combler
un déficit. La chronique est précédée de trois essais introductifs qui permettent de
la contextualiser. M. Pauly retrace les grandes lignes du règne d’Henri. J. Mötsch
replace la réalisation de la chronique dans le contexte de l’effort de mise en ordre
archivistique accompli durant le pontificat de l’archevêque Baudouin de Trèves.
Enfin C. Winterer dresse un état de nos connaissances au niveau de l’histoire de l’art
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Linguaggi politici nell’Italia del Rinascimento. Atti del Convegno Pisa, 9-11
novembre 2006, sous la dir. d’Andrea GAMBERINI et Giuseppe PETRALIA, Rome,
Viella, 2007 ; 1 vol. in-8°, XIV-546 p. (I libri di Viella, 71). ISBN : 978-88-8334-284-4.
Prix : € 40,00.
S’appuyant sur les études pionnières de K. Skinner et de J.G.A. Pocock, ce volume
examine les différentes formes du langage politique en Italie au cours des XIVe et
XVe siècles. Les É. cherchent à mettre en exergue ses spécificités en privilégiant des
sources parfois négligées par leurs devanciers. L’ouvrage se caractérise en effet par
un véritable souci d’interdisciplinarité. Les actes diplomatiques et notariés ainsi que
la correspondance et les statuts urbains côtoient les récits d’entrées princières, les
traités militaires et, même, l’architecture.
L’un des principaux intérêts de ce volume réside, en fait, dans la volonté des É.
de décrire une vie politique plus nuancée que l’image traditionnelle d’une Italie
de la Renaissance déchirée par deux pensées antagonistes : le régime communal,
moribond, et le principat, en pleine ascension. Certes, certaines communications
attestent bel et bien de la puissance de l’État princier dans la Péninsule. Les princes
mettent en place des stratégies de communication visant à imposer leur pouvoir,
que ce soit à travers l’architecture (P. Boucheron), les formulaires des actes princiers
(A. Airò, L. Arcangeli), la pensée juridique (F. Senatore) ou militaire (A. Gamberini)
ainsi que les institutions fiscales (F. del Tredici). Malgré tout, la plupart des textes
rassemblés dans ce volume mettent en exergue la survie d’une certaine autonomie
locale en matière décisionnelle, voire, dans certains cas, d’une véritable pensée com-
munale et républicaine. Celle-ci apparaît en fait comme une réalité que le pouvoir
princier n’est pas parvenu à effacer et avec laquelle il s’est résolu à cohabiter. À
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la scène, tel celui sur la fidélité et la vengeance. Ainsi, la vie politique italienne se
révèle bien moins hiérarchisée qu’il n’y paraît. Derrière l’ordre imposé par le prince
se cache toute la complexité de rapports de pouvoir multiformes.
Jonathan DUMONT
Hugo de Sancto Victore » ? Jean Châtillon a montré en 1958 qu’ils sont de Richard
de Saint-Victor, lequel en intègre une partie dans son Liber exceptionum. Certes, pour
éditer un ouvrage aussi imposant par sa taille et sa diffusion manuscrite que le De
sacramentis, il faut du temps, de la patience et du soin, mais il est hors de doute que
l’entreprise en vaut la peine, fallût-il une équipe pour l’affronter. Peut-être sera-ce
l’effet du présent travail d’inciter des éditeurs à unir leurs efforts et à offrir du De
sacramentis l’édition qu’il mérite, en étudiant l’ensemble de sa tradition manuscrite
pour offrir un texte fiable. D’ici là, on saura gré à R. Berndt, sinon de rendre inutile
l’édition de Migne souvent meilleure, du moins d’attirer l’attention sur un ouvrage
majeur de l’histoire intellectuelle médiévale et d’apporter, sur le livre I, le témoignage
d’un manuscrit médiocre, mais ancien, peu connu et dont le texte était inaccessible.
Dominique POIREL
Zifar, les met en relation avec le modèle morganien mis en évidence par L. Harf-
Lancner et souligne la dimension arthurienne du texte.
Enfin, deux études portent sur la représentation de l’Italie dans le domaine ar-
thurien français. K. Ueltschi (Sibylle, Arthur et sainte Agathe : les monts italiens comme
carrefour des autres mondes) montre comment la représentation littéraire de l’Italie
permet de « cristalliser » les traditions antiques, celtiques et chrétiennes du monde
après la mort et elle propose un rapprochement éclairant, autour de l’autre monde
et des morts, entre le séjour d’Arthur dans l’Etna, la figure de sainte Agathe et la
Mesnie Hellequin. B. Wahlen (Nostalgies romaines : le parcours de la chevalerie dans le
Roman de Meliadus, première partie de Guiron le Courtois) montre comment le séjour
de Charlemagne en Grande-Bretagne, en contrepoint à la décadence de Rome et à la
faillite de l’Empire romain signifiées dès le début de Guiron, « incarne les désirs de
fusion du mythe impérial et des valeurs chevaleresques arthuriennes ».
Prenant en charge à la fois le traitement de la matière arthurienne dans les littéra-
tures méditerranéennes et la présence du monde méditerranéen dans cette matière,
le recueil ouvre des perspectives intéressantes, partielles certes, redondantes ou du
moins convergentes parfois car un texte atypique comme Jaufre justifie que les deux
premiers articles envisagent des problématiques proches, mais toujours stimulantes
tant il est vrai que la matière arthurienne est une grande voyageuse.
Christine FERLAMPIN-ACHER
L’enquête au Moyen Âge. Études réunies par Claude GAUVARD, Rome, École française
de Rome, 2008 ; 1 vol. in-8°, 512 p. (Coll. de l’École française de Rome, 399). ISBN :
978-2-7283-0826-2. Prix : € 57,00.
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mations, voire des erreurs (sans compter les fautes de français : inserrer au lieu d’insé-
rer, dûe etc.) ; par exemple, les longs passages publiés synoptiquement aux p. 4-14 sont
loin de prouver un prétendu rapport de dérivation vers > prose (par ailleurs, on ne
comprend pas pourquoi J.F.K.T. cite le texte en vers d’après l’édition Raynaud-Foulet
de 1912 et non pas d’après l’éd. Stuip) ; la disparition des insertions lyriques dans
l’Istoire en prose, à laquelle on fait allusion p. 17-18, pouvait être utilement mise en
rapport avec le même phénomène dans d’autres remaniements contemporains (Le
Chastelain de Coucy, texte très proche de l’Istoire, ou Gérard de Nevers, mise en prose du
Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil). La description du manuscrit (p. 20-21)
est insuffisante : rien n’est dit de la mise en page, de la décoration, de l’organisation
du recueil (qui contient quatre autres textes), ni de son histoire.
Les Remarques sur la langue (p. 24-29) sont étonnantes. À propos de la graphie,
J.F.K.T. énumère par exemple quelques traits absents dans son texte (p. 24), souligne
que « la désinence -z […] enlève l’ambiguïté de nombre du “il” masculin » (p. 26).
Pour la morphologie, la rubrique « Démonstratifs » est vide (p. 27) ; pas de paragraphe
consacré au verbe, mais des remarques isolées sur quelques désinences (p. 28). La
Syntaxe (p. 28-29) comprend au total : une observation sur l’alternance qui/lequel, une
autre sur qui = qu’i, deux sur l’emploi de la conjonction et. On ne trouvera rien sur le
lexique ni sur les locutions ou le style. Cependant, le texte contient bien des formes
qui auraient mérité ne fût-ce que d’être relevées ; je cite au hasard de la lecture : quy
au sens de si l’on (108 v°), quelques propositions infinitives (112 r°, 112 v°, etc.), ainsi
que des picardismes divers, frappants dans un manuscrit d’origine italienne : biaulté,
109 r° et ailleurs, traveillé (110 r°), elle vousist (116 v°), courcé (= courroucé, 119 v°),
effroye (p.p.f., 130 v°) etc. L’édition présente des fautes : quy (à lire qu’y, dernier mot
de la p. 33), qu’il [l’] (à lire qu’i l’, p. 35, l. 2) ; l’intégration du sujet [elles] p. 37 n. 61,
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chastellaine du Vergier… (1540, disponible sur Gallica et déjà édité par R. Stuip), un
extrait de la nouvelle de Marguerite de Navarre (selon l’éd. Jacob, 1958) et deux poè-
mes du XVIIIe siècle (Les amours infortunés de Gabrielle de Vergy et de Raoul de Coucy,
anonyme, 1752 ; la Lettre de Gabrielle de Vergy à la comtesse de Raoul, sœur de Raoul de
Coucy, par Gabriel Mailhol, 1766).
J.F.K.T. annonce maintenant une nouvelle édition de l’imprimé de 1540 : reste à
espérer qu’il y suivra des critères plus scientifiques qu’il ne l’a fait ici.
Maria COLOMBO TIMELLI
Élisabeth CROUZET-PAVAN, Les villes vivantes. Italie, XIIIe-XVe siècle, Paris, Fayard,
2009 ; 1 vol. in-8°, 477 p. ISBN : 978-2-213-64265-9. Prix : € 27,00.
Depuis des années, É. Crouzet-Pavan poursuit sa quête d’informations sur les
villes italiennes au Moyen Âge, de l’époque communale à celle des principautés.
Son nouveau livre s’est attaché à montrer le dynamisme de villes qui à l’époque
médiévale offraient une image extraordinaire de la vie urbaine. Ces agglomérations,
dont certaines apparaissaient alors comme exceptionnellement peuplées, étaient
particulièrement actives et animées. À la conquête des campagnes proches, leur
contado, de marchés pour leurs produits industriels, riches de capitaux, dominées
par des élites entreprenantes, elles ont su affronter avec succès les problèmes urba-
nistiques, d’approvisionnement en eau, d’organisation des métiers, comme elles ont
su s’attaquer à ceux liés aux nuisances, aux risques du feu en même temps qu’elles
s’ornaient d’églises et de palais publics et privés.
Pour exposer l’ensemble des problèmes propres à toutes ces villes, l’A. a divisé
son livre en six grands groupes de chapitres. Après une introduction où elle présente
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qui a été souvent négligé par les historiens des villes. Là aussi l’A. privilégie Venise.
Il faut admettre cependant qu’il s’agit d’un thème peu abordé pour les autres villes
italiennes. Elle revient par ailleurs sur des problèmes qu’elle a déjà longuement
abordés avec l’étude de la famille et de son patrimoine. Ce sont là des aspects qui
n’ont pas été sans attirer l’attention des historiens, guidés dans le cas florentin par
les livres de ricordanze. Elle termine son étude par la vie en communauté, n’omettant
pas d’insister sur les caractères propres à l’exclusion et la marginalité.
« Brève histoire comparée » dit l’A. en conclusion de son livre qui repose en fait
particulièrement sur Venise et accessoirement sur Florence. Nous ne sommes pas sans
comprendre les difficultés de réaliser une synthèse sur l’histoire des villes italiennes,
regrettant que l’intérêt soit de nouveau trop porté sur les grands centres urbains
comme ce fut trop longtemps et trop souvent le cas. Des histoires de villes moyennes
ont vu le jour, auxquelles ont collaboré des historiens français qui apparaissent trop
peu dans l’ouvrage après le grand chapitre historiographique. Il n’en reste pas moins
que l’ouvrage d’É.C.P. est appelé à rendre de grands services au public cultivé comme
aux étudiants avides de nourrir leur bagage scientifique, comme à les faire réfléchir
sur les méthodes de l’histoire urbaine (relations de l’homme au milieu, organisation
de l’espace, importance des groupes sociaux et des forces politiques, expression des
sentiments). Un index des noms de lieux et de personnes complète l’ouvrage, permet-
tant au lecteur pressé de trouver facilement une information. Une bibliographie bien
informée montre l’attention de l’A. aux grands aspects de l’histoire urbaine italienne.
Regrettons que l’appareil cartographique soit par trop réduit à l’aspect géopolitique ;
une carte des activités industrielles et du trafic commercial des grandes villes de
Gênes, Pise, Venise comme des villes de l’intérieur n’aurait pas été inutile.
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tion aux souscriptions et aux sceaux), et enfin par les procédés d’authentification
des cartulaires. Les inégalités de l’historiographie apparaissent alors : si la valeur
mémorielle des cartulaires d’abbayes bénédictines a été récemment soulignée, les
cartulaires laïques sortent seulement de l’ombre. Le rôle identitaire du grand cartu-
laire de Saint-Victor de Marseille, réalisé autour de 1080, a été analysé maintes fois ;
M. Zerner reprend ici l’étude de son dossier introductif, présente également le petit
cartulaire du XIIIe siècle (qui reprend la plupart des actes écartés dans le grand) et
s’interroge sur l’authenticité de certaines pièces en se limitant à leur copie dans les
cartulaires. L’adéquation de la date d’un cartulaire avec un besoin particulier voire
une urgence, bien connu pour les cartulaires monastiques, ressort ici de plusieurs
études pour les cartulaires laïques. H. Débax montre la réponse efficace de Roger
II Trencavel au besoin de s’affirmer symboliquement suite à son abjuration et un
héritage difficile par la rédaction d’un cartulaire (plus ancien cartulaire laïque de
France, 1186-1188 puis 1203-1206), l’intensification de l’usage du sceau et enfin par
la prise du titre de vicomte d’Albi, pourtant risquée à cause de l’assimilation entre
Albigeois et hérétiques. On soulignera avec P. Chastang comment les objectifs du
commanditaire peuvent influencer la composition d’un cartulaire : répondant au
besoin de défense du patrimoine acquis et à l’usage des actes comme preuve, le cartu-
laire des Guilhem de Montpellier est composé selon une organisation claire, exposée
dans la préface que P. Chastang confronte aux rubriques et à la table récapitulative.
On notera comment le contenu d’un cartulaire peut être révélateur de l’institution
commanditaire : les cartulaires d’Arles (1093-1095) et d’Apt (1122-1124) sont des car-
tulaires d’églises cathédrales où l’évêque est encore très présent (F. Mazel). Quoique
la copie des actes de constitution d’un patrimoine propre aux chanoines y véhicule la
mémoire de la réforme canoniale initiée au Xe siècle, ces cartulaires mettent surtout
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Piacere e dolore. Materiali per una storia delle passioni nel Medioevo, éd. Carla
CASAGRANDE et Silvana VECCHIO, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2009 ; 1
vol. in-8°, 240 p. (Micrologus’ Library, 29). ISBN : 978-88-8450-325-1. Prix : € 44,00.
Cet élégant petit ouvrage recueille les interventions présentées lors d’un colloque
tenu à Pavie en 2005. Il participe de l’attention croissante que suscite la thématique
des émotions médiévales, un terrain travaillé avec ardeur ces dernières années, entre
autres par les chercheurs fédérés dans le programme de recherche EMMA (http://
emma.hypotheses.org/).
460 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010
Catalina GIRBEA, Communiquer pour convertir dans les romans du Graal (XIIe-
XIIIe siècles), Paris, Éd. Classiques Garnier, 2010 ; 1 vol. in-8°, 482 p. (Bibliothèque
d’Histoire médiévale, 2). ISBN : 978-2-8124-0107-7. Prix : € 64,00.
Poursuivant les recherches autour des systèmes de valeurs mondaines et reli-
gieuses de la royauté et de la chevalerie qu’elle a entamées dans un précédent livre1,
C. Girbea s’interroge dans ce nouvel ouvrage sur la conversion dans les romans du
Graal. Le sujet n’est certes pas nouveau : la représentation de la religion dans ce cor-
pus a déjà été étudiée par A. Pauphilet et É. Gilson pour ce qui est de la Queste del Saint
Graal, par A. Micha pour le Merlin ; conversion et prédication ont fait l’objet d’études
nombreuses, en particulier par M. Zink. Actuellement, si le corpus du Graal suscite
des approches fécondes insistant sur l’autonomie du champ poétique et faisant du
saint Vessel avant tout un objet littéraire2, un retour à l’exploration des contextes
culturels et historiques se dessine, en particulier lorsque J.R. Valette s’interroge sur
les rapports entre roman et théologie3 et que dans Communiquer pour convertir C.G.
reprend le problème des rapports entre prédication et roman arthurien, en se fondant
sur les apports de la linguistique pragmatique moderne.
Une première partie étudie la thématique de la conversion dans les romans du
Graal, met en évidence des « sermons informels » et réinterprète la quête du Graal
et les liens de parenté sous l’angle de la conversion. Si la dimension cistercienne de
la Queste del Saint Graal est bien connue, C.G. renouvelle les perspectives en mettant
en évidence une influence franciscaine dans l’Estoire del Saint Graal et en suggérant
un rapport entre l’épisode où les compagnons de Joseph d’Arimathie rencontrent le
roi Evalac de Sarraz (terme qu’elle rapproche de Sarrasins) et l’aventure vers 1220 de
saint François auprès du sultan Al-Kamil en Égypte. Une deuxième partie étudie les
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Böhmen und das deutsche Reich. Ideen- und Kulturtransfer im Vergleich (13.-
16. Jahrhundert), sous la dir. d’Eva SCHLOTHEUBER et Hubertus SEIBERT, Munich,
Oldenbourg, 2009 ; 1 vol. in-8°, VIII-362 p., ill. (Veröffentlichungen des Collegium
Carolinum, 116). ISBN : 978-3-486-59147-7. Prix : € 49,80.
Mise en chantier à la fin des années 1980 par des spécialistes des contacts entre
l’Allemagne et la France (M. Espagne et M. Werner), l’historiographie des transferts
culturels a depuis lors prouvé sa fécondité. La démarche consiste, on le sait, à dépas-
ser la notion d’influence, jugée trop simple et mécanique, en éclairant le processus
dynamique par lequel une culture de réception s’approprie un objet, une pratique
ou une idée venue d’ailleurs. Appliquer cette méthodologie aux relations entre la
Bohême et l’Empire germanique s’annonçait prometteur, tant il est vrai qu’il ne
s’agit pas là seulement d’aires culturelles voisines : l’appartenance politique des pays
tchèques à l’Empire et l’existence d’importantes communautés germanophones y ont
imbriqué les cultures et créé un terreau propice aux jeux subtils d’identification, de
différenciation et d’hybridation à l’œuvre dans tout processus de transfert culturel.
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(p. 367-370), utilisé par l’A. dans une partie sur les liens de voisinage pour mettre en
évidence les contacts entre les populations juives et chrétiennes. En effet, le testateur
arrivant de Francfort depuis peu est obligé de faire appel à des interprètes, dont un
chrétien, le charretier Valentino originaire de Hongrie connaissant l’allemand. De la
sorte, toute la complexité des rapports au sein d’une ville entre les pratiquants de
religions différentes est démontrée.
Le mérite de l’A. est d’avoir non seulement fait l’histoire de la population juive
de Trévise sur la longue durée, en questionnant la validité des affirmations de ses
prédécesseurs, notamment sur la place de Trévise comme centre des juifs de l’Ita-
lie du Nord, mais aussi d’offrir une étude de cas qui intéressera au-delà du cercle
des chercheurs intéressés à la Vénétie par les thèmes examinés, comme celui des
« condotte », c’est-à-dire les pactes signés entre les autorités et les juifs. De nombreux
« portraits » de prêteurs ponctuent les différents chapitres. Ainsi, des familles de
« stars », comme celle des Rapp, une des plus riches de Nuremberg, sont présentées.
Pour les Rapp, une représentation cartographique permet de se rendre compte de
l’importance des migrations des différents membres de la famille sur un siècle ; les
déplacements sont incessants. Le travail est fondé sur une base documentaire solide
composée de sources pour la grande majorité inédite. À cela s’ajoute la maîtrise d’une
imposante bibliographie permettant des comparaisons avec les situations des autres
populations juives d’Italie, mais aussi d’Europe.
Seules des petites erreurs dans la transcription des noms des Trévisans sont à
regretter – notamment les citoyens faisant partie des conseils aux n. 28, 29 et 30
p. 208 ; par exemple le tanneur indiqué à la n. 30 est Martin Sapasorgo ou Zapasorgo
et non Sapasongo ou Zampetrus de Posnovo et non de Posirono à la n. 29 – n’enta-
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Holly FLORA, The Devout Belief of the Imagination. The Paris Meditationes Vitae
Christi and Female Franciscan Spirituality in Trecento Italy, Turnhout, Brepols,
2009 ; 1 vol. in-4°, 305 p., ill. (Disciplina monastica, 6). ISBN : 978-2-503-52819-9.
Prix : € 95,00.
Avec plus de deux cents manuscrits conservés en de multiples langues, les
Meditationes vitae Christi sont un des textes les plus diffusés aux deux derniers siècles
du Moyen Âge. La parution, en 1961, d’une traduction anglaise du manuscrit ital.
115 de la BnF, accompagnée de la reproduction en noir et blanc de ses miniatures,
aux soins d’I. Ragusa et de R. Green, conféra au texte – et, plus encore, à ce témoin
d’exception – une singulière notoriété dans le monde anglo-saxon. H. Flora s’inscrit
dans cette lignée, en consacrant un livre important aux Meditationes dans ce témoin
ital. 115 de la BnF. Elle prévient que son étude portera non seulement sur le texte,
mais sur son interaction avec les miniatures qui ornent le manuscrit et qu’elle s’in-
téresse à l’œuvre tant du point de vue de la création que de la réception. Dans un
premier chapitre, elle rappelle l’état de la question et penche pour une composition
du texte vers le milieu du XIVe siècle, initialement en italien et non en latin. Elle
pense pouvoir trouver dans les Meditationes une trace de la vie dévotionnelle des
clarisses, pour lesquelles l’œuvre a été composée par un frère mineur. Le très utile
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 465
cette ancienne cité islamique soumise par le roi Alphonse VI en 1085. L’étude des
habitations tolédanes où l’on retrouve la trace des anciennes demeures islamiques
est pour l’archéologue d’un intérêt majeur. L’enquête parvient ainsi à repérer l’em-
placement d’anciens bains musulmans, comme le baño del Cenizal, ou de mosquées
(comme l’adarve de San Nicolás). Cette « archéologie sans fouille », comme la désigne
justement P. Toubert dans sa préface, dépasse largement les données habituellement
fournies par l’archéologie du bâti et l’ouvrage constitue en ce sens une référence
incontournable. À l’origine de l’enquête menée figure une source exceptionnelle, le
Libro de Medidas du chapitre de la cathédrale de Tolède, un inventaire détaillé des
biens immeubles relevant du chapitre dans la ville qui fut dressé vers 1491-1492 et
dont plusieurs transcriptions, proposées par J.P. Molénat, figurent en fin d’ouvrage.
L’A. met d’abord l’accent sur l’intérêt de cette source dans laquelle sont énumérées
les possessions du cabildo dans chaque quartier de la ville, les limites des parcelles
qui jouxtent ces biens et les mesures des pièces composant les demeures. Complétant
ensuite l’étude de ce document par de multiples enquêtes sur le terrain, J.P. parvient à
reconstituer le tissu parcellaire de la ville à la fin du Moyen Âge et fournit un catalogue
détaillé de tous les édifices mentionnés, dont 280 maisons identifiées et restituées.
L’examen des espaces voués au négoce s’avère particulièrement intéressant dans la
mesure où on discerne bien la transformation des alcaicerías islamiques en bâtiments
à un ou plusieurs niveaux (casa puerta), associant en même lieu des fonctions à la
fois commerciales et résidentielles depuis la fin du XIVe siècle. L’impressionnante
quantité d’échoppes de la Calle de los Alatares dont quatre-vingt quatre appartenaient
vers 1400 à un même propriétaire, don Pedro Tenorio, en fournit un autre exemple,
tout comme les mesones du Zocodover (p. 203-230), un ancien lieu de négoce ou
fundûq. Les pages relatives aux casas des quartiers font également l’objet d’une fine
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dans l’œuvre de la critique, cette énergique curiosité de l’enquête qui fait le pouvoir
de sa postérité, s’illustre à merveille dans l’hommage qui lui est rendu dans ce li-
vre : dans une bonne part des contributions, des jugements de la grande médiéviste
lancent la réflexion ou fournissent un heureux repère pour formuler et calibrer des
conclusions. Ainsi, les ferments, les virtualités qui faisaient aussi la richesse de son
travail trouvent dans cet ouvrage un naturel prolongement, et l’on peut dire que
l’hommage fonctionne à plein.
Les problématiques variées qu’il aborde font du livre un vademecum de l’actualité
critique du Tristan en prose, d’autant que l’index de fin de volume (de L. Hincapié)
en fait un efficace outil de consultation. La bibliographie, qui ne prétend pas à l’ex-
haustivité, en complète utilement de plus anciennes.
Des articles se penchent sur les retombées formelles, dramatiques ou intertex-
tuelles de l’inscription du lyrisme dans le roman en prose (D. Hüe, R. Brusegan,
D. Demartini). Loin du lyrisme, la forme propre de la prose occupe également
C. Croizy-Naquet.
D’autres s’attachent à l’étude d’un thème – pouvoir et formes langagières
(C. Denoyelle), amour avant le philtre (C. Gaullier-Bougassas), rois du Graal
(M. Botero García), le sommeil (C. Van Coolput), « l’imagination de la mort »
(M. Bruckner), flagrants délits (N. Koble) – généralement des vers à la prose.
Certains se consacrent à des épisodes de la prose : récits étiologiques (D. Maddox),
les faux (M.N. Toury), la Nef de Joie (B. Milland-Bove), la Fontaine du Pin
(A. Combes).
Un des intérêts notables de ce volume est d’étendre le propos à d’autres traditions
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Patricia Healy WASYLIW, Martyrdom, Murder, and Magic. Child Saints and Their
Cults in medieval Europe, New York-Washington D.C.-Baltimore-Berne-
Francfort-Berlin-Bruxelles-Vienne-Oxford, Lang, 2008 ; 1 vol., 203 p. (Studies in
Church History, 2). ISBN : 978-0-8204-2764-5. Prix : € 52,30.
Les deux avant-derniers chapitres de Martyrdom, Murder, and Magic traitent de
l’histoire du « Blood Liable », croyance selon laquelle les juifs ont besoin du sang
chrétien pour remplir leurs tâches rituelles. La plupart des prétendues victimes
étaient, à partir du XIIe siècle, de tendres garçons à l’image de l’enfant Jésus. Entre
les années 1150 et 1600 nous comptons environ trente cas, un chiffre minimum sans
doute (p. 107). La thèse principale de ce livre consiste à démontrer que le choix des
enfants innocents ne se faisait pas au hasard, car depuis les grandes persécutions des
chrétiens des IIe et IIIe siècles des enfants martyrs ont occupé une place prépondé-
rante dans l’hagiographie des siècles suivants. Innocents et peut-être incapables de
toujours comprendre pleinement leurs dires et leurs actions, ces enfants martyrs ont
cependant résisté non seulement aux menaces des autorités de l’Empire, mais aussi,
parfois, aux supplications de leurs parents. Nicolas Pérégrin, né en Grèce vers 1070,
considéré par sa mère comme étant pris de folie, a été suivi pourtant par un groupe
d’admirateurs, et il aurait été l’auteur de nombreux miracles et fut même canonisé
de façon précipitée en 1098 par le pape Urbain II.
Le « premier âge féodal » de Marc Bloch nous présente un autre groupe de martyrs :
issus des grandes familles princières ou aristocratiques, ces jeunes enfants, héritiers
légitimes, n’étaient pas capables, à cause de leur âge, de défendre leurs droits. Des
rivaux acharnés, au sein même de la famille, qui cherchaient à accaparer l’héritage,
sont arrivés à se débarrasser de ces « innocents » en les massacrant. L’hagiographie,
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saints avant leur mort et surtout après servaient comme preuve principale de la
vérité de l’histoire du meurtre rituel. On attribue au petit Simon de Trente pas moins
de cent vingt-neuf miracles entre 1475 et la moitié de 1476 (p. 133). Le pèlerinage
à Trente a continué en plein élan jusqu’au milieu du XXe siècle et même au-delà.
L’intérêt économique de la municipalité dans ces pieux touristes est évident. Il faut
noter aussi que déjà à Norwich les membres de la famille du petit William se sont
arrangés pour voler des parties de son corps pour offrir eux-mêmes des miracles,
contre rémunération, cela va sans dire.
P.H. Wasyliw, après avoir recueilli des centaines de cas, se demande dans ses
conclusions comment expliquer l’admiration pour le « petit innocent » même
aujourd’hui et de l’autre côté de l’Atlantique. À cette question il faut en ajouter bien
d’autres concernant l’attachement de gens, par ailleurs considérés comme éclairés,
aux lieux sacrés, aux pèlerinages et à la recherche du miracle. Comment expliquer la
persistance du « Blood Liable » qui semble avoir même gagné en force ces dernières
années ? Ces questions ne peuvent être résolues à mon avis par les seuls historiens.
Nous avons affaire ici à un cas complexe qui réclame un effort inter-disciplinaire pour
être traité. Le livre de P.H.W., comme bien d’autres parus ces derniers années, doit
être examiné non seulement par des sociologues et des anthropologues, mais par des
neurologues ainsi que par des gynécologues. Ainsi parviendrons-nous un jour, espé-
rons-le, à comprendre l’un des aspects les plus remarquables de notre existence.
Joseph SHATZMILLER
JAUME ROIG, Miroir. Le livre des femmes, trad. du poème valencien en prose franç. par
Marie-Noëlle COSTA, suivi de L’Unique Femme, par Stéphane SANCHEZ, Toulouse,
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sémantique » –, puis décrit en quelques pages les parties constitutives d’une étude
de vocabulaire bien menée (identification du mot, étymologie, sens en ancien fran-
çais, paradigmes morphologique et sémantique, sens contextuel, évolution jusqu’au
français moderne). On peut néanmoins déplorer que dans ce petit préambule, ainsi
d’ailleurs que dans les fiches elles-mêmes, certaines notions de linguistique, jugées
sans doute élémentaires par l’A., ne soient pas toujours définies. Car si ce manuel
s’adresse avant tout à des étudiants chevronnés pour lesquels l’hyponymie et autre
glissement métaphorique ou métonymique n’ont plus aucun secret, il ne faut pas
perdre de vue tous les destinataires potentiels de l’ouvrage, passionnés ou simples
curieux pour lesquels, n’en doutons pas, la définition de ces termes n’aurait pas été
inutile. Un simple renvoi à la Sémantique descriptive de P. Lerat ou au Précis de lexico-
logie française de J. Picoche, ouvrages certes anciens, mais que l’on aurait aimé trouvé
dans la bibliographie qui suit, aurait été opportun. Cette bibliographie, sommaire
de l’aveu même de l’A., regroupe les dictionnaires d’un côté, les études particulières
de l’autre. Quelques remarques sur l’art d’utiliser à bon escient tous ces ouvrages et
articles n’auraient pas été superflues et il est dommage d’avoir séparé d’une façon
aussi radicale les pages consacrées à la façon d’élaborer une fiche de sémantique et
celles dévolues à l’énumération des outils indispensables à cette élaboration. Il aurait,
nous semble-t-il, été plus judicieux d’en articuler la présentation à celle de la fiche
standard, en classant tout simplement les dictionnaires par période, afin de permet-
tre aux étudiants – on songe notamment à ceux qui débutent dans la discipline – de
préparer seuls leurs propres fiches, en complément de celles proposées.
Si, dans les 288 fiches qui suivent, les mots retenus sont, pour la plupart, attendus
et donc bienvenus, d’autres, moins « convenus » (anemi, escremir, flum, isnel, large,
tost…), permettent à l’ouvrage de se démarquer des manuels du même genre. Et il
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de soi, n’y soit pas répertorié. Un index des mots mentionnés aurait rendu de bien
meilleurs services.
Nous conclurons en disant que le livre de R. Guillot a largement atteint son
objectif. Ce n’est pas un manuel de plus qui vient grossir les rayonnages, déjà bien
fournis, consacrés à la préparation aux concours. Alliant le savoir-faire au savoir,
cet ouvrage « prêt à l’emploi » répond à un vrai besoin. C’est, pour les étudiants de
lettres, le livre qui manquait !
Christine SILVI
la création du monde, mais qui conduisent jusqu’en 751, sans rupture en 642. Il est
suivi d’une seule vraie continuation pour la période 751-768. Cet ouvrage est écrit
dans une langue qui sent déjà sa réforme carolingienne. On en connaît au moins 12
manuscrits, dont la tradition est difficile à établir. Dans l’un d’eux (Bibliothèque va-
ticane, Reg. lat. 213), juste après l’évocation du sacre de Pépin III en 751, un colophon
indique le nom de l’auteur et le titre que ce dernier a donné à l’ouvrage : « C’est jusque
là, que le comte Childebrand, homme illustre, oncle du roi Pépin, a fait écrire le plus
exactement possible, historiam vel gesta Francorum ». Nibelung, fils de Childebrand,
a fait ensuite rédiger la seule continuation, conduisant du sacre de Pépin à l’avène-
ment de ses fils Charles et Carloman en 768, ce qui renforce la dimension dynastique
carolingienne de l’Historia vel gesta Francorum.
Ce qui amène à relire (ou plutôt à lire enfin) dans ces manuscrits la partie ancienne
de l’œuvre, celle qui correspond à la période traitée dans la Chronique de Frédégaire,
depuis la création du monde. On s’aperçoit alors qu’il s’agit de textes différents,
mettant en œuvre des sources communes, mais aussi bien d’autres sources ; qu’ils
sont agencés différemment (trois parties et non quatre avec des continuations) ; que
leur langue est différente. Nous n’avons pas d’édition de cette Historia : R.C. l’appelle
de ses vœux, mais ne l’a pas établie. Il prévient qu’elle sera difficile à réaliser tant
la tradition manuscrite est complexe. Le plus ancien manuscrit date de 800, mais ce
n’est pas l’archétype que notre A. situerait volontiers vers 787. Il montre que le texte
qui s’achève en 751 est entièrement commandé par l’élévation au trône de Pépin III :
il présente tout ce qui peut la justifier et ne dit rien des résistances qu’elle a rencontré.
Pour la continuation de Nibelung (751-768), le texte met en avant tout ce qui magnifie
le rôle du roi franc face à la papauté et aux Lombards : il pourrait avoir été écrite au
moment où Charlemagne est devenu roi des Lombards (774).
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de la langue, tels Lulle, Brunet Latin ou Alain de Lille ; enfin, le plurilinguisme en tant
que thème poétique ou spirituel, à travers certains mythes bibliques ou coraniques.
La dernière partie, constituée d’un article de F. Antonovich sur le plurilinguisme
dans le Caire moderne, quoiqu’intéressant, semble un rajout.
Le plurilinguisme s’inscrit d’abord dans certains espaces dont il révèle l’histoire
mouvementée : son essence est sociale et politique, reflet de relations de pouvoir sé-
dimentées par le temps. L. Carruthers retrace l’histoire du kaléidoscope linguistique
qui caractérise les îles Britanniques médiévales, au carrefour du roman, du celtique
et du germanique ; I. Short, se plaçant à l’époque de Chaucer, complète cette étude
en montrant, à partir d’un document d’archive du début du XIVe siècle, que les
anglophones monolingues sont alors largement majoritaires face aux francophones
bilingues. Les relations des langues au pouvoir, qu’il soit culturel ou public, sont
envisagées par C. Guimbard, à partir d’une analyse de la « langue parfaite » chez
Dante, notion paradoxale dans la mesure où elle doit être à la fois d’utilité publique
et accessible seulement à une élite. V. Cunha revient sur la question du galicien por-
tugais chez Alphonse le Sage et ouvre à une analyse, un peu rapide, de la question
des langues chez les troubadours occitans. Le descort de Raimbaut de Vaqueiras est
étudié plus en détail par N. Wilkins, qui aborde le problème du jeu des langues en
musique.
La seconde partie de l’ouvrage, éclairant les relations entre les traducteurs et les
pouvoirs en Provence et en Sicile, nous semble l’une des plus cohérentes et intéres-
santes de l’ouvrage. Elle rassemble la remarquable contribution de C. Aslanov sur
J. Caspi, traducteur juif provençal du début du XIVe siècle, celle de C.P. Hershon sur la
famille des Ibn Tibbon, active au XIIIe siècle, deux articles de P. Spallino et A. Musco
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Myriam SORIA AUDEBERT et Cécile TREFFORT, Pouvoirs, Église, société. Conflits d’in-
térêts et convergence sacrée (IXe-XIe siècle), Rennes, P.U. Rennes, 2008 ; 1 vol.,
223 p. (Histoire). ISBN : 978-2-7535-0657-2. Prix : € 16,00.
Le présent ouvrage a été conçu au départ comme un manuel destiné aux étudiants
préparant le concours d’enseignement. Il devait leur donner les connaissances de
base pour aborder la question proposée en 2009-2010 : « Pouvoirs, Église et société
dans les royaumes de France, Bourgogne et Germanie aux Xe et XIe siècles », de la
fin de l’unité carolingienne au renouveau monarchique du XIIe siècle. Il n’existait
alors aucune synthèse sur le sujet. La publication récente de plusieurs manuels étant
venue combler cette lacune1, les A. ont modifié l’économie générale et la logique in-
terne de leur livre. Elles en ont fait un ouvrage de réflexion sur les rapports entre les
pouvoirs temporel et spirituel, de l’époque carolingienne à la réforme grégorienne,
en s’appuyant sur des textes exemplaires, mais en réduisant, pour l’essentiel, leur
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1. Notamment Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, Bourgogne et Germanie
aux Xe et XIe siècles (888-vers 1110), éd. M. LAUWERS et L. RIPART, Paris, 2008 ; Pouvoirs, Église et
société… Manuel et dissertations corrigées, éd. P. BERTRAND, B. DUMÉZIL et X. HÉLARY, Paris, 2008.
478 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010
Nicola KAMINSKI, Wâ ez sich êrste ane vienc, Daz ist ein teil unkunst. Abgründiges
Erzählen in der Krone Heinrichs von dem Türlin, Heidelberg, Universitätsverlag
Winter, 2005 ; 1 vol., 283 p. (Beiträge zur älteren Literaturgeschichte). ISBN : 3-8253-
5126-2. Prix : € 45,00.
Le poème allemand appelé Diu Crône (c’est-à-dire la Couronne des épigones), écrit
par Heinrich von dem Türlin dans les années vingt du XIIIe siècle, est un roman
arthurien tardif qui montre les traits typiques d’un genre épigonal : En 30 000 vers
environ, les aventures des chevaliers de la table ronde du roi Arthur, se suivent. Leur
nombre proliférant et leur nature bizarre sont uniques comparées aux précurseurs
classiques tels que les romans courtois d’un Chrétien de Troyes ou – en langue
allemande – d’un Hartmann von Aue, Wolfram von Eschenbach et Gottfried de
Strasbourg, auxquels la Crône fait maintes allusions. Il semble que l’auteur a envisagé
un public qui savait goûter ces réminiscences et les distractions qu’il pouvait tirer.
Quelques traits caractéristiques du texte sont la conception d’un bonheur séculaire
situé hors du temps (la roue de Frou Sælde, une personnification de dame Fortune,
s’arrête), la jeunesse éternelle que Gawein, correspondant allemand de Gauvain et
chevalier modèle de la Crône, acquiert au cours d’une des aventures, le mal trouble
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analyses détaillés, l’A. développe cette thèse observant la concurrence du roi Arthur
et de Gawein dans leurs rôles de jeunes, expliquant la fatigue (müede) de Gawein
comme reflet de la transe de Perceval/Parzival méditant sur les gouttes de sang dans
la neige, et considérant des faits comme le dédoublement de Gawein en la personne
de Gasoein ou la fonction narrative des objets tels que la ceinture de Fimbeus.
La lecture du texte témoigne d’une connaissance exacte de la recherche et défriche
maintes relations intra- et intertextuelles (à noter sont les références au roman de
Tristan et au genre du « Tagelied », la version allemande de l’aube). Tout au contraire
de son témoin principal Gawein, l’A. ne se fatigue jamais à découvrir dans le texte
des traces et des interconnections cachés. Cependant, le lecteur consciencieux et bien-
veillant suit les expositions de l’A. avec un certain malaise. Les explications tendent
à utiliser une nomenclature philologique hardie (p.ex. hapax legomenon sémantique
pour « aventure isolée », cf. p. 38) et – comme l’exemple de l’interprétation du mot
kunder fait preuve – elles ne sont pas toujours convaincantes. Mais il va sans dire que
cette monographie comporte un aspect créateur et même provocateur qui stimulera
d’autres recherches sur le roman arthurien du Moyen Âge.
Michael STOLZ
Le notaire, entre métier et espace public en Europe, VIIIe-XVIIIe siècle, sous la dir.
de Lucien FAGGION, Anne MAILLOUX et Laure VERDON, Aix-en-Provence, Publ. de
l’Université de Provence, 2008 ; 1 vol., 298 p. (Le temps de l’histoire). ISBN : 978-2-
85399-708-9. Prix : € 27,00.
Les dix-neuf communications rassemblées sous ce titre, augmentées d’une intro-
duction et d’une conclusion, issues d’un colloque tenu à Aix-en-Provence et Marseille
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Luciana BORGHI CEDRINI, Il trovare Peire Milo, Modène, Mucchi Ed., 2008 ; 1 vol., 543
p. (Studi, Testi e Manuali, nlle sér., 10 ; Subsidia al Corpus des troubadours, nlle sér.,
7). ISBN : 978-88-7000-513-4. Prix : € 40,00.
Annoncée par nombre d’études préparatoires, la nouvelle édition de ce trouba-
dour ardu, mais stimulant qu’est Peire Milo sort enfin. Le travail soigné et rigou-
reux de l’É. n’a peut-être pas raison de toutes les difficultés d’interprétation, mais
le progrès vis-à-vis des résultats atteints par C. Appel dans les années 1890, déjà
fort remarquables, est patent et nous réjouit. D’abord, elle attribue à Peire Milo une
cobla anonyme conservée dans le chansonnier N (BEdT 461,170b), qui vient ainsi
s’ajouter aux neuf pièces – huit chansons et une cobla – attribuées par les manuscrits
à ce troubadour dont on ne sait par ailleurs rien. Ensuite, elle confie à une introduc-
tion imposante (p. 11-427) les résultats, mais aussi les doutes jaillis de sa patiente
recherche : la tradition repose essentiellement sur les mss IKNa et les fragments ω
et z’, avec une contribution occasionnelle de CMP ; la versification n’est pas si fade
et maladroite qu’on l’a dit et semble même se situer, par endroits, dans le sillage du
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 481
trobar ric de l’époque classique ; la conception de la fin’amor y est peu orthodoxe, avec
ses accents utilitaires – la recherche du raffinement chez l’amoureux ne peut être
qu’une conséquence des faveurs octroyées par la dame – et ses notes somme toute
pessimistes. Mais c’est surtout la langue de Peire qui détonne dans le chœur assez
policé de la lyrique occitane ; et c’est donc à raison que L. Borghi Cedrini consacre
à cet aspect central – et si contradictoire qu’il a engendré des hypothèses disparates
– un examen méticuleux, qui occupe un vaste pan de son introduction (p. 161-341).
Déjà, les rimes abondent en anomalies criantes (-ATA > -ea, -A atone > -e, LATRO > lar
et *TRAGERE > trar, CREDERE > crer, *SIAT > seia et sei etc.), qui réclament une interpréta-
tion prudente, au cas par cas : la spécialiste peut ainsi rattacher certaines solutions à
des tendances minoritaires mais attestées chez les troubadours, ou bien à l’influence
exercée par des genres littéraires éloignés, telle la chanson de geste occitane, ou en-
core à des traits propres au dauphinois et aux dialectes environnants. À l’intérieur
des vers également, les formes dissonantes qu’on peut attribuer à Peire foisonnent :
CLARU > cler, ses et eses « êtes », aug « eut », da et dal etc. La conclusion du long examen
est que Peire Milo n’était pas un Italien épris de poésie occitane, mais un Occitan de
l’Est provenant peut-être de l’aire alpine, ainsi qu’il l’avait déjà proposé C. Appel –
les familles Milon et Millon sont d’ailleurs nombreuses, à l’époque moderne, dans
la Drôme, l’Isère et les Hautes-Alpes –, et ouvert aux suggestions linguistiques et
rhétoriques des genres narratifs. Dans cette perspective, il est quelque peu surpre-
nant que L.B.C. n’ait pas souligné davantage le caractère oriental de certains traits
linguistiques dont les attestations sont pourtant passées au crible : par ex., le manque
d’e- (< EX- ou S- + consonne), bien établi chez Peire, est au Moyen Âge fréquent à
l’Est, notamment lorsqu’on remonte vers le Nord du domaine (cf. par ex. BibCarpN
II, p. 91-97), et il n’est pas aisé de l’imputer simplement aux habitudes graphiques
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Die Privaturkunden der Karolingerzeit, éd. Peter ERHART, Karl HEIDECKER, Bernhard
ZELLER, Dietikon-Zurich, Urs Graf Verlag, 2009 ; 1 vol. in-4°, 287 p. ISBN : 978-3-
85951-272-6. Prix : CHF 96 ; € 59,00.
En concomitance avec une exposition sur « Mensch und Schrift im frühem
Mittelalter », s’est tenu à l’abbaye de Saint-Gall à l’automne 2006 un important col-
loque international sur le thème plus délimité des actes privés de l’époque carolingienne.
Grâce à la collaboration de trois organisateurs du colloque (P. Erhart de Saint-Gall,
K. Heidecker de Groningen et B. Zeller de Vienne), c’est la publication des actes de ce
colloque qui nous est aujourd’hui offerte. Dès les travaux fondateurs de H. Brunner
(1880) et de plus en plus nettement affirmé au fil des travaux les plus récents, s’impose
le constat de l’extrême diversité des actes privés des VIIIe-IXe siècles. Cette dernière
concerne à la fois la facture matérielle des actes, leurs caractéristiques paléographi-
ques et diplomatiques, leurs finalités juridico-pratiques et sociales, leurs modes
d’archivage et de conservation. Elle a permis à H. Brunner d’avancer le concept
d’« Urkundenterritorien » et de proposer une distribution spatiale des actes privés
en trois grands ensembles : Italie, royaume franc, monde anglo-saxon. Les recherches
postérieures ont permis d’affiner ce concept. On parle plus volontiers aujourd’hui
d’« Urkundenlandschaften » propres, à la fois, à préciser davantage les caractères ré-
gionaux ou locaux de l’acte privé du haut Moyen Âge et donc à en autoriser des études
comparatives. On voit que, suivant un courant historiographique bien affirmé depuis
quelque deux décennies, le présent volume apporte une très intéressante somme de
recherches à caractère essentiellement régional sur la « Schriftlichkeit » carolingienne.
Celle-ci est ici saisie dans l’une de ses catégories typologiques les plus compréhen-
sives : celle de l’acte privé. Si la définition quelque peu moliéresque de l’acte privé
qui nous est donné dès le départ (p. 7 : « il faut entendre par acte privé tout ce qui
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nications, dont celles de B. Zeller et K. Heidecker centrées sur le point fort de l’aire
dominée par Saint-Gall). Une dernière série de communications est naturellement
consacrée aux espaces périphériques de l’Empire : la Catalogne (M. Zimmermann), la
Britannia (surtout continentale) et enfin le monde anglo-saxon. Sans doute pour pal-
lier l’effet un peu scolaire et convenu que pourrait avoir un tel plan, les É. ont intercalé
sous la rubrique passe-partout d’Unité et diversité deux exposés transrégionaux. Le
premier, dû à R. McKitterick, aborde les problèmes de la place de l’acte privé dans la
pratique administrative carolingienne et reprend les arguments déjà développés par
l’A. dans ses travaux antérieurs bien connus. Le second, dû à W. Brown, s’interroge
sur la fonctionnalité pratique des recueils de Formulae. Il m’a paru plus original que
le premier, mais devra être sérieusement complété par la lecture du très utile et ré-
cent travail d’A. Rio sur les Frankish Formulae, paru à Cambridge en 2009. Il faut, en
conclusion, y insister. Dans la simplicité délibérée de sa structure et dans la pertinence
très ciblée des communications, ce volume apporte beaucoup à notre connaissance
des recours multiformes à l’acte privé du haut Moyen Âge à travers les différents
espaces culturels constitutifs de l’ensemble géopolitique franc au IXe siècle. Comme
l’indique justement G. Cavallo dans un trop bref excursus (p. 237-242), un tel effort
de compréhension est indissociable des ressources offertes, au plan paléographique,
par la magnifique entreprise des Chartae Latinae Antiquiores, active avec le succès que
l’on sait depuis plus d’un demi-siècle.
Pierre TOUBERT
permet au héros de recouvrer sa capacité d’action ainsi que son identité à travers
la représentation picturale de son histoire. En effet, dans les deux cas, la mémoire
constitue une réponse à la privation de la société, qui est privation d’identité ; elle
dote celui qui est ainsi isolé d’un passé.
La problématique a donc trait au déchiffrage d’une topique littéraire à travers un
éclairage philosophique ; à l’inverse, on peut aussi l’envisager comme l’étude de la
« métaphorisation » ou mise en littérature d’un concept philosophique qui serait à la
source même des deux épisodes. C’est dans ce sens que l’ouvrage d’A.K. est novateur,
d’autant plus que la notion de mémoire n’est pas celle qui s’impose a priori comme
clef de lecture des deux passages. L’ouvrage, s’il témoigne d’une grande érudition, est
en même temps très clair ; la démonstration s’impose. Lorsque les besoins de l’ana-
lyse l’exigent, l’A. n’hésite pas à recourir à des explications de texte ni à confronter
son corpus à des œuvres extérieures (Ywein p.ex.). On souligne les développements
particulièrement stimulants sur les métaphores du pain et de la rumination ; sur les
couples Histoire-histoires, ou Histoire-mythe. Le lecteur français se heurtera tout au
plus, dans la première partie, à une structuration allant jusqu’à six sous-rubriques,
lui demandant un effort certain pour remonter jusqu’à l’idée régissante, ainsi qu’à
une légère asymétrie qui existe dans la structuration entre les deux parties, mais qui
à vrai dire n’a pas d’incidence ni sur la cohérence, ni sur la pertinence, ni même sur
l’équilibre de la démonstration.
Cette thématique de la mémoire pourra ainsi être appliquée à d’autres fragments
ou textes de la même époque et en constituer une clef de lecture féconde en particulier
au regard du triangle « auteur-lecteur-œuvre ».
Karin UELTSCHI
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Mais le plus intéressant dans ce congrès est la remise en cause, par certains inter-
venants, de cette idée même de déclin du monde musulman, et de la pertinence de
cette présentation dissymétrique. La communication de M. Shatzmiller, qui suscita
un certain enthousiasme lors du débat, revient sur l’héritage historiographique de
chercheurs comme E. Ashtor ou C. Cahen qui ont longuement réfléchi, au siècle
dernier, sur cette notion de déclin et l’ont considéré d’emblée comme un fait acquis
pour les derniers siècles du Moyen Âge. Elle conteste en particulier le recul de l’acti-
vité manufacturière et le rôle supposé néfaste de l’intervention de l’État ou de la Loi
musulmane, et invite à étudier l’histoire économique des pays d’Islam en soi, et non
par comparaison avec la situation européenne, ou en lien avec le grand commerce
méditerranéen. Elle rejoint en cela le refus, affirmé dans l’introduction du volume et
par plusieurs A., de l’européocentrisme. Ce vœu se heurte cependant à une difficulté,
que souligne d’une certaine manière l’absence dans ce congrès de médiévistes ve-
nant du monde musulman : avant le XVIe siècle, les sources arabes exploitables pour
l’histoire économique du monde musulman sont rares, et surtout n’apportent guère
d’informations quantitatives en raison de la perte des documents d’archives. Une
telle dissymétrie des sources, et la difficulté que l’on a à mesurer autre chose que ce
qui fait l’objet d’un commerce par les Latins invitent donc à une certaine prudence –
quelle que soit, du reste, la thèse que l’on cherche à défendre. B. Braude montre ainsi
que le rôle des marchands musulmans de l’Empire ottoman a été systématiquement
sous-estimé, tandis que F. Apellaniz souligne que les Mamelouks ont développé
une véritable politique commerciale, fondée sur le système du cottimo, et qui ne se
limite pas à une simple imposition de monopoles. Surtout, comme le souligne encore
B. Braude, l’espace couvert par le congrès, s’il s’étend à tous les pays musulmans
riverains de la Méditerranée, du Maghreb à la Turquie et aux Balkans, ne va guère
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Emotions in the heart of the city (14th-16th century). Les émotions au cœur de
la ville (XIVe-XVIe siècle), éd. Élodie LECUPPRE-DESJARDIN et Anne-Laure VAN
BRUAENE, Turnhout, Brepols, 2005 ; 1 vol. in-8°, VIII-298 p. (Studies in european
urban history, 5). ISBN : 2-503-51618-1. Prix : € 59,00.
Cet ouvrage fait partie d’un large projet permettant une étude de fond sur la
société urbaine des Pays-Bas (bourguignons), dirigé par M. Boone, et fait suite au
colloque À corps et à cris : manifestation et représentation des émotions en milieu urbain
(XIVe-XVIe siècle). Le programme de ce Pôle d’Attraction Interuniversitaire (PAI)
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 487
Chroniques latine du Mont Saint-Michel (IXe-XIIe siècle), éd. Pierre BOUET, Olivier
DESBORDES, Avranches-Caen, Scriptorial Ville d’Avranches-P.U. Caen, 2009 ; 1 vol.,
426 p. + 1 CD-Rom (Fontes et paginae – Les manuscrits du Mont Saint-Michel, Textes
fondateurs, 1). ISBN : 978-2-84133-323-3. Prix : € 35,00 ; GUILLAUME DE SAINT-PAIR, Le
Roman du Mont Saint-Michel (XIIe siècle), éd. Catherine BOUGY, Avranches-Caen,
Scriptorial Ville d’Avranches-P.U. Caen, 2009 ; 1 vol., 405 p. + 1 CD-Rom (Fontes
et paginae – Les manuscrits du Mont Saint-Michel, Textes fondateurs, 2). ISBN : 978-2-
84133-324-3. Prix : € 35,00.
Depuis une quinzaine d’années, l’histoire du Mont Saint-Michel a connu un
profond renouvellement. L’impulsion est venue de travaux d’H. Guillotel (1979-
1984) ou de C. Potts (1990-1991) qui ébranlèrent quelques certitudes et réveillèrent
la recherche. Le colloque consacré à Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident. Les
trois monts dédiés à l’archange, organisé au Centre Culturel International de Cerisy-
la-Salle (Manche) en 20001, témoigne de ce renouveau qui se poursuit depuis, avec
notamment l’étude des pèlerinages. Les études montoises avaient été durablement
marquées par l’impressionnant travail collectif réalisé pour le Millénaire monastique
de 1966 dont les cinq volumes furent édités entre 1967 et 2001. Ils rassemblaient
toutes les connaissances historiques, liturgiques, bibliographiques et archéologiques
sur l’abbaye bénédictine. Il manquait à ce monument l’édition scientifique des sour-
ces montoises. Celle-ci était d’autant plus nécessaire, que le regain d’intérêt pour
l’histoire du Mont a ouvert des débats sur les origines et la nature canoniale ou mo-
nastique de la première communauté montoise, la réforme bénédictine de 966 ainsi
que ses modalités avec la cohabitation de chanoines et de moines, ou encore sur la
provenance des premiers abbés connus. Les enjeux de ces débats dépassent l’histoire
régionale, entre Normandie et Bretagne. Le Mont dédié à l’archange s’impose dé-
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1. Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident. Les trois monts dédiés à l’archange, éd. P. BOUET,
G. OTRANTO, A. VAUCHEZ, Rome, 2003.
2. The Cartulary of the Abbey of Mont-Saint-Michel, éd. K. KEATS-ROHAN, Donington, 2006.
3. Cartulaire du Mont Saint-Michel. Fac-similé du manuscrit 210 de la bibliothèque municipale
d’Avranches, Paris, 2005.
490 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010
constances en conformant le passé au présent (t. 2, p. 41). Elles forment une tradition
ramifiée et dynamique, dont le fil conducteur serait la défense de l’indépendance
monastique face aux pouvoirs séculiers, laïques ou ecclésiastiques (t. 1, p. 176-184 ;
t. 2, p. 31). Écrit entre 1154 et 1186, le Roman du Mont Saint-Michel est une étape de ce
processus continu de réécriture, sous la forme d’une adaptation littéraire, versifiée
(4 106 octosyllabes) et en langue vernaculaire, des sources latines (p. 42). Introduit
comme un guide à l’usage des pèlerins, le roman est aussi une œuvre politique hostile
aux souverains anglo-normanno-angevins. Les analyses aboutissent ainsi à une dé-
construction complexe des récits qui rend d’autant plus souhaitable la reconstitution
complète de l’histoire de la tradition manuscrite annoncée par les A. (t. 1, p. 85).
Éric VAN TORHOUDT
Projets de croisade (v. 1290-v. 1330), présentés et publiés par Jacques PAVIOT, Paris,
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2008 ; 1 vol., 413 p. (Documents relatifs
à l’histoire des croisades, 20). Prix : € 50,00. Diff. De Boccard.
Connus depuis les travaux de J. Delaville-Leroulx et N. Iorga à la fin du XIXe siècle,
les traités de croisade, écrits à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle pour
inciter l’Occident à une expédition en Terre sainte, ont connu ces vingt dernières
années un regain d’intérêt considérable. Les études de S. Schein et d’A. Leopold n’ont
pas épuisé le sujet, comme le prouve le colloque Les projets de croisades et leurs objec-
tifs organisé en juin 2009 à l’Institut de France (ANR « croisades tardives », CNRS).
Il était donc logique que la série des Documents relatifs à l’histoire des croisades
publiée par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres se dote – enfin ! – d’un
volume consacré à ces projets. J. Paviot, distingué par ses travaux sur les politiques de
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formes nouvelles que prend la création poétique dans les dits du XIVe siècle. De telles
considérations se situent dans le prolongement de nombreux travaux antérieurs – la
bibliographie de l’A. est effectivement très étendue –, mais l’objet défini au départ
n’est jamais perdu de vue, et sur ce terrain les avancées sont appréciables, grâce à
une approche originale qui réunit sous le même regard ce qui est généralement dis-
joint : les œuvres des trois auteurs qui peuvent être utilement mises en relation, les
multiples formes de fiction narrative et l’écriture à la première personne.
Trois chapitres traitent respectivement de l’évolution des fonctions données
aux fictions dans quatre dits de Guillaume de Machaut (Le Jugement dou Roy de
Navarre, Le Confort d’ami, La Fontaine amoureuse, le Voir Dit : de l’exemplum aux
« subtiles fictions ») ; des transformations de l’image du poète dans trois dits de Jean
Froissart, où l’expérience vécue, ou prétendue telle, et les très nombreuses références
littéraires apparaissent comme les éléments essentiels de créations souvent très com-
plexes, jusqu’à l’invention d’histoires pseudo-ovidiennes convenant à son propos
(L’Espinette amoureuse, La Prison amoureuse, Le Joli Buisson de jonece : récritures
et trompe-l’œil) ; et enfin d’un ensemble d’œuvres de Christine de Pizan à la première
personne où se trouvent réunis des dits (le Dit de la Rose, La Pastoure et Poissy) et d’autre
part des œuvres morales et politiques en vers et en prose des années 1402-1405 (« dire
par fiction le fait de la mutacion »). Les oppositions très marquées relevées au cours
de ce dernier chapitre entre les modalités de la fiction – références mythologiques,
allégories, songe notamment – et de l’engagement personnel dans ces deux catégo-
ries d’œuvres permettent de tisser entre elles un réseau de relations et de contrastes
qui en éclaire très utilement certains ressorts profonds. Se trouvent ainsi également
mises en valeur la dextérité de Christine dans le « mixage » de matériaux étonnam-
ment divers et aussi les véritables dimensions de sa personnalité littéraire.
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HADEWIJCH, Liederen, introd., trad. et comm. par Veerle FRAETERS et Frank WILLAERT,
coll. Louis Peter GRIJP, Groningue, Historische Uitgeverij, 2009 ; 1 vol., 455 p. + 4
CDRom. ISBN : 978-90-6554-4780. Prix : € 49,95.
Depuis que J. Van Mierlo S.J. publia, durant la première moitié du XXe siècle, l’œu-
vre en néerlandais du Moyen Âge de l’écrivaine Hadewijch, l’intérêt international
pour cette œuvre n’a cessé de croître. À juste titre, car ses textes sont particulièrement
494 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010
avec ed. princeps), une Vie de saint Seurin de Bordeaux, BHL 7653 (M. Janoir ; avec
ed. princeps), deux Vies de saint Maixent, BHL 5804 et 5805 (S. Kumaoka), la Passion
de Cécile, BHL 149 (C. Lanéry), la Vita Froilanis episcopi Legionensis, BHL 3180
(J.C. Martín ; avec éd. crit.), la Translatio Calixti Cisonium, BHL 1525 (C. Mériaux), une
réécriture du De miraculis s. Stephani (J. Meyers ; avec éd. crit.), la Vita Adalhardi de
Paschase Radbert, BHL 58, et la réécriture BHL 60 (C. Verri), un récit messin du miracle
de la dent de saint Jean (A. Wagner). Les quatre articles rassemblés sous Homilétique
et liturgie concernent un sermon pseudo-isidorien De timore Domini (J. Elfassi ; avec
éd. crit.), un florilège augustinien sur la connaissance sacramentelle (S. Gioanni ; avec
éd. crit.), un texte polémique de la fin du XIe s. (P. Henriet ; avec éd. crit.), l’allégorie
dans les Sermones in Vetus Testamentum de Césaire d’Arles (M.V. Ingegno). La der-
nière section regroupe huit articles traitant de Lexicographie, grammaire et stylistique :
thème de la transmission des savoirs des antiqui aux moderni chez Gilles de Corbeil
(M. Ausécache), fonction de la rime dans le Cento Probae (M. Bažil), sources du glos-
sariolum du Mont-Cassin 402, Xe s. (F. Cinato), ordo dans le Liber Gomorrhianus de
Pierre Damien (J.F. Cottier), place du cursus rythmique dans les pratiques d’écriture
européennes, XIIIe-XVe s. (B. Grévin), sainteté et grammaire, d’après les exemples de
Gosvin d’Anchin, Bernard d’Anchin et les Notae Dunelmenses (A. Grondeux), la Ratio
in dictamina, les Precepta prosaici dictaminis secundum Tullium et Bernard de Bologne
(A.M. Turcan-Verkerk).
De la codicologie à l’exégèse, en passant par la paléographie, la critique textuelle
ou la stylistique, toutes les disciplines médiévistiques sont mises à contribution dans
les différentes sections de ce volume. Plusieurs A. présentent des travaux originaux :
études de textes copiés dans des manuscrits restés ignorés, dont ils fournissent une
description détaillée, nouvelles éditions critiques (12 textes), recherches sur la pater-
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opportunité d’examiner la portée de ces images. Onze dessins sont toujours conser-
vés à l’abbaye même, tandis qu’un douzième a été acquis par la Staatsbibliothek de
Berlin en 1993. Cet ensemble, pratiquement inconnu, a été rassemblé et analysé par
J.F. Hamburger dans cette étude pionnière sur l’art et la culture visuelle au couvent à
la fin du Moyen Âge, d’abord parue en 1997 aux Presses de l’Université de Californie
sous le titre Nuns as artists. The Visual Culture of a Medieval Convent.
Dans son introduction, l’A. envisage les deux catégories dans lesquelles les œu-
vres faites par et pour les religieuses sont généralement rangées, les Nonnenarbeiten
et les Andachtsbilder, pointant les limites de l’une et l’inadéquation de l’autre. L’A.
s’autorise toutefois l’emploi du premier terme parce qu’il contient l’affirmation d’une
différence dans la conception de ces images et leur rôle auprès des femmes cloîtrées.
Cette distinction se manifeste à travers un langage visuel particulier, qui constitue
un mode d’expression aussi spécifique que la spiritualité et les croyances suggérant
la création de cette imagerie. Le premier chapitre contient une description précise,
tant iconographique que stylistique, des dessins de Sainte-Walburge et révèle leur
singularité. Ainsi, six d’entre eux présentent des sujets relativement conventionnels,
bien qu’ils soient rarement traités de manière habituelle : une Mise au Tombeau, une
sainte Kümmernis, une Gnadenstuhl, un Arbor Virginis, une Présentation au Temple
et une Vierge à l’Enfant accompagnée de sainte Barbe. Les autres sont plus insolites :
une Consécration de vierges, une Prière au Mont des Oliviers inscrite dans une rose
rouge, une Crucifixion symbolique, un Cœur sur la Croix, un Banquet eucharistique
et une Maison du cœur. Ces dessins ne sont ni des copies directes ni des adaptations
de sources données, mais sont issus d’un réseau complexe de pratiques artistiques
et dévotionnelles. Les images du couvent franconien participeraient donc d’une
culture visuelle particulière : si elles s’intègrent évidemment dans les exercices de
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revisitées par l’auteur. Elle témoigne également des liens de C.W. Hollister avec ses
étudiants, créant une communauté d’universitaires travaillant sur le même domaine
et influençant ses propres recherches.
En écho à un long chapitre du livre de C.W. Hollister, K. Thompson traite de la
jeunesse d’Henri Ier. Elle montre combien les leçons de réalisme politique apprises
en Normandie expliquent la réussite d’Henri Ier contre Robert Courteheuse. L’image
dressée du souverain s’apparente à celle établie par C.W. Hollister (un personnage
habile, rusé, doté de perspicacité politique et d’une compétence à diriger les hommes
et les situations), même si K. Thompson y perçoit un versant plus sombre du caractère
du souverain. A. Williams s’est tournée quant à elle vers les trois Édith de la vie de
Henri Ier comme angle d’approche du concept d’Englishness et d’ethnicité dans le
monde anglo-normand. Elle explique que le choix de Mathilde/Édith comme reine
n’est pas gratuit : descendante des familles royales saxonnes et écossaises, elle ap-
porte une légitimité accrue sur le trône pour les enfants d’Henri Ier, alors même que ce
dernier développait un intérêt soutenu pour la loi anglaise traditionnelle d’Édouard
le Confesseur. R. Babcock traite par la suite de l’Irlande, complétant et élargissant le
travail de C.W. Hollister. L’ouvrage s’oriente ensuite vers le thème de l’aristocratie.
R. Barton adopte l’angle de vue manceau sur la question des relations entre Henri Ier
et Helias, comte du Maine. Il remet en cause l’interprétation du maître, remplaçant
la piété comme moteur des actions d’Hélias par l’amicitia, insistant davantage sur
les aspects horizontaux de leur relation. D. Crouch analyse quant à lui les actes du
comte Robert de Meulan, qui reflètent l’évolution du mode de vie aristocratique, avec
une volonté affirmée d’imiter l’appareil adminstratif royal. L’ouvrage aborde ensuite
sur les liens avec l’Église. D. Spear s’arrête sur la bi-translatio des reliques de saint
Romain de Rouen en 1124, dans le contexte de rivalité entre le chapitre cathédral et
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