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Comptes rendus

Dans Le Moyen Age 2010/2 (Tome CXVI), pages 425 à 502


Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0027-2841
ISBN 9782804161378
DOI 10.3917/rma.162.0425
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 22/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

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Comptes rendus

Chartes et documents hagiographiques de l’abbaye de Saint-Sever (Landes)


(988-1359). Texte éd., trad. et ann. par Georges PON et Jean CABANOT, Dax, Comité
d’études sur l’histoire et l’art de la Gascogne, 2010 ; 2 vol. in-8°, 1139 p. ISBN :
978-2-9501584-8-2. Prix : € 50,00.
Après l’excellent Cartulaire de la cathédrale de Dax publié il y a quelques années,
G. Pon et J. Cabanot unissent à nouveau leurs compétences pour livrer un ouvrage de
grand intérêt aux chercheurs, mais aussi à un plus large public de curieux. En effet,
il faut le souligner d’emblée, cette édition donne, en regard des textes originaux en
latin ou en gascon, leur traduction intégrale, qui en permet une lecture aisée. Pour
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rester sur le plan fonctionnel, on appréciera aussi les index à la marge grisée, bien
visibles sur la tranche du tome 2. Deux cartes dépliantes du temporel de l’abbaye
de Saint-Sever au XIe et aux XIIe-XIVe siècles permettent d’identifier aisément les
lieux cités. Comme l’indique son titre, ce livre comprend deux parties : l’édition et la
traduction des actes autrefois conservés par l’abbaye de Saint-Sever puis celles des
textes hagiographiques. Chaque partie est précédée d’une introduction historique
et diplomatique très copieuse. Les 220 chartes réunies dans la première partie sont
celles qui ont dû appartenir au monastère ou qui concernaient directement le monas-
tère. Elles ont été rassemblées en puisant aux fonds des Archives Nationales, de la
Bibliothèque nationale, dans les copies réalisées au XVIIe siècle par le bénédictin Du
Buisson, mais aussi dans les registres du Parlement de Paris pour des mandements et
dans des fonds plus surprenants comme les Rôles gascons, les Reconnaissances de la
Connétablie de Bordeaux et même des sources d’origine anglaise, le Gascon Register et
le Gascon Calendar de 1322. La date de ces documents est comprise entre la fondation
de l’abbaye en 988 (avec quelques documents forgés ou interpolés très intéressants du
point de vue de l’écriture de l’histoire monastique, ainsi que l’abordent les historiens
depuis les travaux de P. Chastang) et la division de ses biens en 1359. En 1360, la ville
et le monastère furent pris et détruits par les troupes françaises ; malgré la restauration
postérieure du monastère, son époque faste était révolue. Saint-Sever évoque bien
entendu le célèbre commentaire de l’Apocalypse, copié et enluminé à l’abbaye sous
l’abbé Grégoire († 1072) d’après un manuscrit du moine espagnol Beatus de Liebana
(VIIIe s.). Au-delà de ce manuscrit célèbre, les A. exposent la riche production écrite

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du monastère, exceptionnelle même en Gascogne pour sa partie hagiographique :


cartulaires, nécrologe, trois vitae, un livre des miracles, des offices liturgiques et récits
de translations. Cette édition se signale par l’attention portée à la langue gasconne
utilisée à partir de 1250 : l’étude détaillée de la langue est complétée par le très utile
glossaire raisonné des formes gasconnes contenues dans les actes. Un cahier de
reproductions en couleurs de plans et de documents anciens complète l’ouvrage.
Pour l’historien de la seigneurie, sous sa forme gasconne si originale illustrée par les
travaux de B. Cursente, la lecture de certains textes est un véritable délice, accessible
à tous grâce aux fidèles traductions. Nous citerons entre autres les statuts accordés
par l’abbé aux hommes de Saint-Sever en 1092-1106, un plaid évoquant l’appropria-
tion privée des dîmes de cinq casaux de la villa de Sorrele (1107-1128), ou la charte/
chronique relatant comment un serf (homo Sancti Severi natura), saisi de fureur pour
une raison inconnue (dixit le moine rédacteur), répandit le vin et le cidre du cellier de
l’abbaye, avant d’être livré à l’abbé par son propre parrain, puis énuclé et châtré et
ses terres attribuées à titre viager au délateur. Cette édition sera une mine renouvelée
de textes d’étude pour nos étudiants. Remercions-en aussi les A.
Aymat CATAFAU

FRÈRE LAURENT, La Somme le roi, éd. Édith BRAYER et Anne-Françoise LEURQUIN-LABIE,


Paris-Abbeville, Société des Anciens Textes Français-E. Paillart, 2008 ; 1 vol. in-8°,
593 p., ill. ISBN : 2-906867-04-7. Prix : € 60,00.
Composée sur l’ordre de Philippe III le Hardi en 1279 par frère Laurent, domini-
cain et confesseur royal, la Somme le roi se présente sous la forme d’un ouvrage de
morale chrétienne à destination des laïcs. Il est composé de cinq traités : le premier
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expose les dix commandements, le deuxième les douze articles de la foi, le troisième
est un traité des vices, le quatrième un éloge de la vertu en général, et le cinquième
et dernier un traité des vertus. Les troisième et quatrième traités reprennent le texte
de l’anonyme Miroir du monde, un ouvrage contemporain de celui de frère Laurent,
avec lequel il est amalgamé dans certains manuscrits, mais en en modifiant l’ordre et
en introduisant des modifications stylistiques assez importantes, ainsi qu’un certain
nombre de développements originaux, comme la description des vices fondée sur la
Bête de l’Apocalypse, ou un chapitre sur les péchés de langue ; le reste du texte est
entièrement dû à la plume du confesseur du roi. Des systèmes métaphoriques basés
pour la plupart sur le chiffre sept construisent l’ouvrage. Pour chaque vice ou vertu,
l’auteur distingue différents degrés, mais il reprend aussi, pour développer son pro-
pos, l’image de l’arbre, avec ses racines, ses branches et ses rameaux, celle de la Bête
de l’Apocalypse, avec ses sept têtes, et même l’image du moulin à vent, dont Dame
Fortune se sert comme d’une roue. À plusieurs reprises, il rappelle qu’il écrit pour
des laïcs, et non pour des clercs, « qui ont les livres », et établit des correspondances
entre les noms savants et les noms communs des vices ou des vertus : fole baerie, par
exemple est appelée en clergeois ambicion.
Les proverbes émaillent l’ouvrage et lui donnent sa saveur, comme cette évocation
du peureux qui n’ose entrer ou sentiez por le limez qui moustre ses cornes. La descrip-
tion des péchés en particulier donne lieu à des développements pleins de vie, qu’il
s’agisse de décrire l’hypocrisie, l’envie, ou les péchés « de bouche » – gloutonnerie
et péchés de langue. Mais ce sont les évocations de la vie quotidienne qui ont fait
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de la Somme le roi un texte célèbre. Le traitement de l’avarice est illustré par de nom-
breux détails concrets tirés de l’observation des métiers. Les prêteurs d’argent, par
exemple, ne comptent pas dans le paiement les fruits de ce qu’ils ont pris en gage,
ou bien déguisent l’usure, en vendant une marchandise plus que ele ne vaut pour le
terme. Mais les prêteurs courtois ne sont pas mieux lotis, car ils attendent, en échange
de leur courtoisie, des bontés, en deniers ou en chevaus ou en copes d’or ou d’argent, ou
robes ou tourniaus de vin ou porceaus gras, services, corvées de chevaus et de cherretes, ou
provendes a leurs filz… Sont malhonnêtes également cil escrivain qui moustrent bonne
lettre au commencement et puis font mauvese, ou encore ces drapiers qui choisissent des
lieux obscurs pour vendre leurs draps. Les vices des mauvais officiers et serviteurs
font l’objet d’un long développement : ces larron privé volent le produit des amendes,
diminuent les rentes de leurs seigneurs, et content plus en mises et en despens, et moins
en recetes et en rentes. En réalité, les grands de ce monde, comme les gens les plus
modestes, personne n’est épargné dans cette revue des péchés du monde.
Basée sur la thèse d’École des chartes d’É. Brayer, la belle édition de la Somme le
roi par les soins de la Société des Anciens Textes Français nous rend enfin cet ouvrage
accessible. L’édition du texte, qui prend pour manuscrit de base le manuscrit 870 de
la Bibliothèque Mazarine, décoré par le Maître de Papeleu, et offert par Philippe le
Long à Jeanne de Bourgogne, est précédée d’une introduction qui retrace la composi-
tion du traité et ses liens avec le Miroir du monde, et qui en montre la place singulière
dans la tradition des traités moraux et spirituels, puisqu’il s’agit du premier grand
traité moral et spirituel destiné aux laïcs, l’équivalent, pour ceux-ci, de la Summa de
vitiis et virtutibus de Guillaume Peyraut.
Le texte de la Somme le roi est suivi de plusieurs annexes, tables et index – dont
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un index thématique autour de sept grands thèmes – qui en éclairent la compréhen-
sion : une liste des sources, une liste des proverbes, dictons et sentences, une liste
des exempla, et une liste des manuscrits – au total plus de quatre-vingt-dix –, tous
décrits et analysés de manière précise dans des notices conséquentes. La grande
stabilité du texte – qui se retrouve dans la stabilité du programme iconographique
– est sans doute due à sa cohérence, à son organisation stricte, mais aussi à l’aura
du patronage royal : on sait que la diffusion de la Somme le roi, d’abord restreinte à
l’entourage immédiat de Philippe III, se fit, à partir de 1294, dans des cercles pro-
ches de la royauté et auprès des prédicateurs mendiants, avant de pénétrer d’autres
milieux, dont ceux des élites urbaines. On en retrouve d’ailleurs des échos à la fin
du XIVe siècle dans le Doctrinal aux simples gens et dans le Mesnagier de Paris. L’usage
qu’on put faire de l’ouvrage est souligné par l’existence, dans plusieurs manuscrits,
de tables alphabétiques, dont quatre sont éditées en appendice.
La Somme le roi se présentait sous la forme d’un ouvrage maniable : on y trouvait
les dix commandements, les principales prières et un traité accessible des vices et
des vertus, et c’est cette organisation du texte qui permet aux éditrices de l’ouvrage
de suggérer qu’il put être lu à la manière d’un livre d’Heures. L’édition du volume,
avec ses annexes, constitue un apport précieux à la connaissance de la littérature
morale et spirituelle destinée aux laïcs au Moyen Âge et fera date.
Frédérique LACHAUD
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Les albas occitanes. Étude et éd. par Christophe CHAGUINIAN, transcr. musicale et
étude des mélodies par John HAINES, Paris, Champion, 2008 ; 1 vol. in-8°, 356 p.
(Classiques français du Moyen Âge, 156). ISBN : 978-2-7453-1563-2. Prix : € 32,00.
Lorsqu’on aborde l’étude d’un genre poétique, il arrive souvent que le corpus de
textes varie selon les normes et les principes mis en valeur. Pour l’alba, ce chiffre se
situe entre dix-huit et dix-neuf, selon qu’on s’en tient à la présence du mot alba comme
mot-refrain ou comme mot dans un refrain, ou bien si l’on accepte le poème Ab la
genser (PC 461, 3), qui l’omet, ce qui, à de rares exceptions près, réunit les éditeurs.
C. Chaguinian reprend la question du groupement et, donc, de la dénomination
établie par M. de Riquer, et généralement acceptée, des dix-neuf poèmes répartis
entre albas proprement dites, contre-albas et albas au divin. Au terme d’une introduction
bien menée et enrichie par une comparaison de cette tradition avec celle qui existe
dans d’autres langues, C.C. arrive à la conclusion que, pendant les deux siècles et
demi, la tradition s’est diversifiée, séparant le premier groupe (albas proprement
dites) des deux autres. L’alba s’est transformée en « genre thématico-formel » (p. 91)
et de là en genre formel, et lui suggère l’appellation suivante : alba de séparation, alba
formelle érotique et alba formelle religieuse. À la fin de l’introduction, J. Haines étudie
en détail les deux albas qui nous ont fourni la notation musicale, celle de Guiraut
de Bornelh, Reis glorios (PC 242, 64) et celle de Cadenet, S’anc fui belha (PC 106, 14),
et considère les deux grosses questions de l’authenticité des textes musicaux et de
leur interprétation.
L’édition des textes fournit tout ce qu’il faut pour l’examen des versions manuscri-
tes : une analyse détaillée des rapports entre les témoins manuscrits, qui mène à une
argumentation poussée pour arriver au choix d’un manuscrit de base, une table des
variantes aussi claire que possible, vu la méthode qui est à l’honneur dans ce domaine,
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des notes copieuses et une traduction, un glossaire et un index des noms.
Cette édition, abordable dans la belle collection des Classiques français du Moyen
Âge, deviendra la version standard des albas occitanes.
Peter T. RICKETTS

María Luisa PARDO RODRÍGUEZ, La Cancillería de Don Fernando de la Cerda, Infante


de Castilla y León (1255-1275), Léon, Universidad de León-Área de Publicaciones,
2009 ; 1 vol., 264 p. ISBN : 978-84-9773-462-2.
L’A., professeur de paléographie à l’Université de Séville, a eu la très bonne idée,
grâce à cette monographie, exemple d’étude de sciences auxiliaires de l’Histoire,
d’éveiller l’attention des historiens sur les années d’activité de l’infant Fernando de
la Cerda. Ce prince, qui a vécu vingt ans, fils aîné du roi Alphonse X le Savant de
Castille († 1284), est surtout connu dans la tradition universitaire comme le père des
« Infants de la Cerda », écartés du trône par leur oncle Sancho, devenu le roi Sanche IV
à leur place, qui ne respecta pas l’ordre de primogéniture imposé par son père. Or,
l’infant Fernando a laissé d’autres témoignages de sa carrière ; il a eu le temps, né
en 1255, d’épouser en 1266 la princesse Blanche de France, fille de saint Louis, d’en
avoir deux fils, et il a gouverné au nom de son père le roi savant, le royaume de
León ; puis, en 1274, Alphonse X tentant l’élection impériale, l’infant Fernando a été
régent de l’ensemble des royaumes de Castille et de León. Mais il est mort l’année
suivante. On garde de lui, dans des fonds très divers et dispersés en Espagne, un
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ensemble de 57 documents, émanant de sa chancellerie de 1269 à 1275 ; M.L. Pardo


Rodríguez, citant en exergue la Partida II du roi Alphonse X qui insiste sur la valeur
du sceau et des chartes, mémoires du souverain, en fait une analyse diplomatique
savante, qui éclaire une partie du gouvernement d’Alphonse X, dont le fils aîné
héritier est le fondé de pouvoir depuis sa majorité. L’infant Fernando de la Cerda,
éduqué par les intellectuels de la cour de son père, puis envoyé en apprentissage du
pouvoir à León, Zamora, Oviedo, Santiago, également sur la frontière de l’émirat de
Grenade, notamment à Cordoue, a suivi parfaitement, de ses 14 à 20 ans, les mesures
paternelles, pour l’élaboration, la rédaction, la mise en forme, et bien sûr l’objectif,
la destination, de ses chartes.
La chancellerie du prince n’a pas de titulaire officiel, ce qui est général dans les
États ibériques du XIIIe siècle, comme ailleurs en Occident. Mais le sceau secret du
prince est dans la garde d’un notaire, qui dirige le bureau de la chancellerie. L’A. fait
connaître les notaires, grands ecclésiastiques, prélats, de l’entourage d’Alphonse X
et commis par lui à la formation de son fils, don Juan Alfonso et maître Fernando
Martínez, et une douzaine de scribes, également ecclésiastiques, qui suivent partout
l’infant et travaillent dans l’écriture, la forme, le scellement, la copie et l’enregistre-
ment. Vingt documents sont élaborés de 1266 à 1273, tous les autres de 1273 à 1275,
années de régence et de grande activité du prince. Trente-six documents sont gardés
en original, les autres en copies insérées ou en cartulaires.
L’A. suit longuement la diplomatique et la paléographie de ces 57 documents
conservés, leur forme externe, le support, la langue (quatre en latin pour les affaires
internationales, les autres en castillan, qu’Alphonse X a voulu langue de chancel-
lerie pour son royaume), les éléments du discours, la validation et l’apposition
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du sceau. Le prince possède deux sceaux de cire rouge portant l’écu de Castille et
Léon traditionnel. L’A. élargit souvent son étude à la diplomatique internationale,
à la sigillographie et à la paléographie générales. Elle conclut ce qu’elle développe
dans l’ensemble, les actes du prince de la Cerda sont des facettes de la politique
du roi Alphonse X. Après 30 photos de chartes et de sceaux, la collection diploma-
tique donne l’intégral des 57 documents analysés, concernant les affaires léonaises
pour l’essentiel, affaires ecclésiastiques en majorité, authentifications d’actes du roi
Alphonse X pour la plupart. Les Indices des noms et des lieux, une bibliographie de
13 pages, font de cet ouvrage un très utile outil de diplomatique médiévale.
Béatrice LEROY

Journée d’études anglo-normandes. Organisée par l’Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres, Palais de l’institut, 20 juin 2008. Actes édités par André CRÉPIN et
Jean LECLANT, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2009 ; 1 vol. in-8°,
173 p. Prix : € 30,00 (Diff. De Boccard).
Organisée par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, cette journée d’étu-
des a eu lieu au Palais de l’Institut à Paris, le 20 juin 2008. Les actes rassemblent six
communications sur les huit prononcées : il manque les articles de J. Dor et D. Trotter,
qui sont toutefois signalés dans la liste des discours prononcés par les participants
(p. 171). Les communications sont toutes données en français, y compris celles des
collègues britanniques, A. Butterfield et T. Hunt, tous deux éminents francisants. En
dépit d’une coquille sur la 4e de couverture qui fait naître le grand romaniste P. Meyer
430 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

un siècle trop tard (en 1940 au lieu de 1840), ce beau volume est plein de surprises
et de découvertes savantes qui méritent qu’on s’y attarde.
La discussion s’amorce dès le discours d’accueil de J. Leclant, secrétaire perpétuel
de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui n’hésite pas à déclarer que « le
terme anglo-normand est contestable mais pratique » (p. 5). Passées les premières
générations de francophones installés en Angleterre au XIe et XIIe siècles, il préférerait
utiliser le terme « français insulaire » ou « français d’Angleterre ». Plusieurs orateurs
font face à la difficulté de terminologie, certains (A. Butterfield, J.P. Pouzet) allant
jusqu’à proposer « anglo-français » dans leur titre. Mais cette dernière expression –
néologisme dans ce sens – possède sans doute des relents trop politiques et journalis-
tiques (on parlerait, par exemple, d’un accord anglo-français) pour convenir à décrire
un état de la langue médiévale. Certes, en anglais le seul terme couramment employé
est Anglo-Norman, rendu incontournable par les publications de The Anglo-Norman
Text Society, connues de tous les spécialistes. Mais si l’adjectif « anglo-normand » n’est
pas accepté pour ce dialecte qui n’était, somme toute, qu’une variété régionale de
français, pourquoi ne pas dire « le français anglo-normand », ce qui aurait le mérite
d’éviter toute ambiguïté tout en maintenant l’usage de l’expression consacrée ?
T. Hunt, lui, ne se lance pas dans ce genre de débat, mais parle de l’un de ses
domaines préférés, l’alchimie anglo-normande. Il explore notamment plusieurs
manuscrits britanniques qui foisonnent de recettes médicales et extraits alchimiques,
la ligne de démarcation entre les deux arts n’étant pas toujours bien claire à l’époque.
Dans un article très touffu de 42 pages (développé à partir d’une communication né-
cessairement plus brève), J.P. Pouzet examine l’utilisation du français dans l’écriture
religieuse anglaise entre la fin du XIIe et la fin du XIVe siècle. Il présente des éléments
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pour une linguistique aréale vernaculaire, fondée sur une étude paléographique et
dialectologique minutieuse.
J.C. Thiolier passe en revue tous les manuscrits associés à Pierre de Langtoft,
chanoine augustin auteur d’une Chronique qu’on avait l’habitude de placer dans le
lointain Yorkshire, afin de montrer qu’une partie au moins du texte (dont témoignent
trois manuscrits) se situe au sud du Humber. Ce faisant, il examine de près plusieurs
familles nobles, françaises et anglaises, durant le règne du roi Édouard Ier (1272-1307).
Il conclut que les historiographes anglais continuent à se servir du français jusqu’à
la fin du Moyen Âge.
P. Ménard explore les mentalités médiévales d’après un recueil de proverbes à
Cambridge (ms. Corpus Christi College 450). Même à travers des adages ordinaires
répétant des banalités de la vie quotidienne, ou encore des maximes ou sentences se
prêtant à différentes interprétations, il décèle plusieurs strates sociales (populaires,
cléricales, etc.).
Enfin, A. Crépin, membre de l’Institut et organisateur de la journée, fait apparaître
le pluriculturalisme de l’Angleterre durant le règne du roi Henri II Plantagenet (1154-
1189), visible notamment dans le Psautier d’Eadwine, planches en couleur à l’appui.
Ce manuscrit renferme la version gallicane des Psaumes et son commentaire en latin,
ainsi que les versions romaine et hébraïque avec les gloses supralinéaires en anglais
et en français, reflet du statut relatif des langues.
Leo CARRUTHERS
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 431

Jacques LACOSTE, Les maîtres de la sculpture romane dans l’Espagne du pèlerinage


à Compostelle, Luçon, Éditions Sud-Ouest, 2006 ; 1 vol., 359 p., ill. ISBN : 2-87901-
578-2. Prix : € 49,00.
J. Lacoste présente les trésors de la sculpture romane de l’Espagne du Nord de la
fin du XIe au début du XIIIe siècle. Il partage les conceptions de M. Durliat1, et pour
cette raison nous offre peu de commentaires personnels dans la première partie,
qui couvre la fin du XIe et la première moitié du XIIe siècle le long du chemin de
Saint-Jacques de Compostelle. Il y suit la propagation de la sculpture romane de
la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle à celle de Jaca, puis en Aragon et en
Navarre.
La seconde partie, l’essentiel du livre, est consacrée au renouvellement de la sculp-
ture de 1160 à 1180 et aux chefs-d’œuvre résultants. Le renouvellement est porté par
des hommes venus de Bourgogne ou d’Île-de-France, tel Leodegarius, qui introduit
en Espagne les expériences récentes de l’art européen. Ses compositions, conservées
sur le portail de Santa Maria la Real à Sangüesa, offrent une parenté avec celles de la
façade occidentale de Chartres. J.L. décortique les sculptures au niveau des formes,
des drapés, des visages et fait apparaître leur beauté, leur rusticité parfois, l’influence
de l’antique mais aussi les prises faites dans un grand nombre de régions du nord de
l’Espagne. Après 1170 et jusqu’autour de 1180, d’autres Maîtres apparaissent, liés à
des œuvres principales que sont San Vicente de Avila, Aguilar del Campo et Carrion
de los Condes. À Avila, le maître inconnu, tout en prolongeant la sculpture bour-
guignonne telles celles de Vézelay ou d’Avallon, favorise l’expression de la beauté
et même de la sensualité des corps. Il prépare la voie à l’architecte du Porche de la
Gloire, Maître Mathieu, et à celui de la deuxième sculpture du cloître de Silos.
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Une analyse détaillée de son œuvre architecturale au niveau du Porche de Gloire,
en particulier des seize statues colonnes, montre que l’art de Maître Mathieu se situe à
l’apogée de la sculpture romane en Espagne. Il traduit « l’aboutissement des diverses
tentatives qui ont amené la sculpture romane à se montrer de plus en plus respec-
tueuse de l’image de l’homme ». Les visages atteignent là une vérité psychologique.
Suit une étude argumentée des sculptures de la Camara Santa d’Oviedo, au nombre
desquelles des statues-colonnes disposées dans les ébrasements des portes. L’analyse
des drapés conduit J.L. à voir au Maître sculpteur d’Oviedo une origine en Île-de-
France, comme Maître Mathieu, il a connu l’art de Senlis sans en être totalement
dépendant. Tous deux présentent de nombreux points communs, mais le Maître
d’Oviedo a exercé son talent dans le sens d’une « révision » de l’art romain.
La dernière partie s’attache à présenter le retentissement de l’art des grands
maîtres et la fin de la sculpture romane en Espagne. L’analyse d’un grand nombre
d’édifices religieux élevés de 1180 à la première décennie du XIIIe siècle démontre
que l’art roman de cette période n’importe plus du nord des Pyrénées l’essentiel de
ses composantes. Il se nourrit désormais des nouveautés apportées par les grands
maîtres, enrichies des conceptions romanes vernaculaires.
Au total, ce livre bien présenté, nous offre, grâce à l’argumentation approfondie
développée dans la seconde partie, une indispensable compréhension des sculptures

1. M. DURLIAT, La sculpture romane de la route de Saint-Jacques : de Conques à Compostelle,


Mont-de-Marsan, 1990.
432 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

du nord de l’Espagne. Le texte et les photographies de qualité offertes par l’A. se


complètent et se soutiennent. Cet ouvrage, en enrichissant notre connaissance de l’art
roman, nous rappelle l’importance de la libre circulation des artistes d’une contrée à
l’autre dès le XIIe siècle, et ouvre d’amples horizons de réflexion.
Jean PASSINI

BUCCIO DI RANALLO, Cronica, éd. Carlo DE MATTEIS, Florence, SISMEL-Edizioni del


Galluzzo, 2008 ; 1 vol. in-8°, CLIII-452 p. (Archivio Romanzo, 13). ISBN : 978-88-
8450-257-5. Prix : € 70,00.
La Cronica de Buccio di Ranallo présente l’une des traditions les plus tardives de
la littérature italienne, les témoins connus les plus anciens étant postérieurs de près
de cent trente ans à la rédaction supposée du manuscrit originel. C’est sur la trans-
cription réalisée par le franciscain Alessandro de Ritiis, en 1493, conservée à L’Aquila,
que V. De Bartholomaeis avait fondé une édition, désormais vieille d’un siècle, négli-
geant la copie effectuée par le marchand Francesco d’Angeluccio di Bazzano avant
1488, qui avait servi de base à l’édition la plus ancienne, celle d’A.L. Antinori, au
début du XVIIe siècle. La redécouverte à la Bibliothèque Palatine de Parme de cette
version a permis à C. de Matteis, professeur de philologie et de littérature italienne
à l’université de L’Aquila, de proposer une nouvelle édition de la Cronica, fondée
principalement sur ces deux témoins.
L’œuvre est originale à plus d’un titre. Centrée sur l’histoire de L’Aquila, cité
des Abruzzes fondée par Frédéric II vers 1245, achevée en 1254 par Conrad IV, dé-
truite par Manfred en 1259 et refondée par Charles Ier d’Anjou après la bataille de
Bénévent (1266), la Cronica apparaît paradoxalement comme le récit d’une ville sans
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passé et, partant, le texte fondateur d’une civitas nova. Iacobo di Ranallo, dit Buccio
(vers 1295/1363), présente lui-même un profil sociologique et idéologique peu
commun dans le panorama de la littérature italienne médiévale. Loin des modèles
du « marchand-écrivain » de l’Italie communale ou du « fonctionnaire-poète » de
l’école sicilienne, Buccio incarne plutôt la figure d’un propriétaire-lettré impliqué
dans les affaires publiques, participant sans doute au gouvernement de sa cité après
1354, et prenant part directement à plusieurs batailles (Amatrice en 1318 ; Rieti en
1320 ; Anticoli en 1328). Qualifié de « citoyen pratique et discret », expert en choses
publiques et doté de discernement, par son transcripteur Alessandro de Ritiis, Buccio
incarne la mentalité des « périphéries conservatrices », le milieu des vieilles familles
de petits propriétaires fonciers du royaume angevin, hostiles aux menées baronales,
actrices de l’autonomie municipale aux côtés des classes nouvelles de la bourgeoisie,
mais respectueuses de l’autorité royale, et défendant la liberté contre la tyrannie,
le bien commun contre les intérêts privés, la commune libre contre les survivances
féodales. Cette idéologie, qui combine morale laïque et mentalité conservatrice,
s’exprime à travers une forme littéraire fort particulière.
Chronique versifiée, composée de 1 249 quatrains monorimes et de 21 sonnets,
rédigée dans un vulgaire aquilin que son auteur, à l’instar d’un Dante, ennoblit par
la mise à l’écrit, l’œuvre de Buccio, empreinte d’une certaine « rusticité provinciale »,
occupe une place singulière dans la littérature médiévale, alliant au récit historique le
chant épique dérivé de la chanson de geste et adapté à une thématique politique, et
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l’autobiographie critique d’une communauté urbaine, relatée par l’un de ses acteurs.
Le tout forme une sorte d’exemplum laïque fondé sur l’histoire communale.
Au-delà de son intérêt littéraire, cette chronique qui couvre un siècle d’histoire du
royaume angevin de Naples, espace moins bien documenté que le Nord et le Centre
de la péninsule, apporte son lot d’informations sur les conditions d’existence des
concitoyens de Buccio : les descriptions crues, presque sociologiques, des effets de
la Peste noire ou du séisme de 1349 sont à cet égard remarquables.
Dotée d’une longue introduction historique et littéraire, et d’une bibliographie
très complète, cette édition, assortie d’un appareil critique fourni, est complétée par
un fort utile glossaire du vocabulaire aquilin et de copieux index.
Hadrien PENET

Karin UELTSCHI, La Mesnie Hellequin en conte et en rime. Mémoire mythique et


poétique de la recomposition, Paris, Champion, 2008 ; 1 vol. in-8°, 779 p. (Nouvelle
bibliothèque du Moyen Âge, 88). ISBN : 978-2-7453-1745-2. Prix : € 120,00.
Ce gros volume, issu d’une thèse d’habilitation à diriger des recherches, présente
une étude comparée basée sur un vaste corpus de textes. Le propos de l’A. est assez
ambitieux : il s’agit de « mener une analyse aussi exhaustive que possible de la for-
tune des éléments mythiques appartenant à la Mesnie dans la littérature médiévale,
puis de déceler ses traces dans la littérature des siècles suivants » (p. 24), et l’étude
est visiblement le fruit d’un chercheur expérimenté.
K.U. propose d’abord un excursus des sources latines : Orderic Vital, Pierre de Blois,
Gautier Map, Gervais de Tilbury, Guillaume de Guillerville, Hélinand de Froidmont,
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Guillaume d’Auvergne, l’anonyme Codex Runensis (manuscrit contenant un recueil
cistercien), Étienne de Bourbon et Jean, abbé de Viktring. On retiendra ici surtout
Orderic Vital qui propose la première attestation de la familia Herlechini – K.U. relate, à
juste titre, un long extrait de son texte –, Gervais de Tilbury, où le mythe de la Mesnie
Hellequin se superpose à celui du roi Arthur, représenté dans le volcan Etna, en tant
que prince des morts, et Hélinand de Froidmont, repris par Vincent de Beauvais (on
ajoutera, en passant, la référence au Speculum historiale, liv. 30, chap. 118). Ce dernier
propose une pseudo-étymologie assez surprenante, rattachant le terme Hellequinus
à Karlequinus renvoyant probablement, comme l’explique K.U., au dernier prince
de la dynastie carolingienne, Charles de Lorraine. La figure d’Hellequin est donc
ici assimilée à celle d’un souverain disparu – c’était aussi le cas avec le roi Arthur
– qui subit probablement les peines du Purgatoire, mais dont on attend le retour
dans une perspective messianique. En s’appuyant principalement sur les travaux
de J.C. Schmitt et de C. Lecouteux, K.U. analyse ces extraits en dégageant les traits
essentiels qui contribuent à définir le mythe.
La présentation des récits est très efficace et appréciable, car l’A. propose les
textes en traduction française en insérant des extraits latins, entre parenthèses et en
italiques, afin d’attirer l’attention sur les termes clés qu’elle souhaite souligner. Tous
les textes latins sont proposés en annexe. Un tableau étalé sur quatre pages (p. 88-91)
résume les résultats de l’analyse en rendant compte, d’une façon synthétique, de
toutes les caractéristiques relevées à l’intérieur des différentes sources, permettant
ainsi d’apprécier toutes les composantes et toutes les variantes, plus ou moins co-
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hérentes les unes avec les autres, de ce mythe complexe et difficilement saisissable.
La première rubrique porte, comme il se doit, sur les différentes appellations : familia
Herlechini, milites Herewini, Herla/familia Herlethingi, societas/familia Arturi, familia
Helliquini, militia/familia Hellequini pro Karlequinus.
Dans la deuxième section du chapitre, K.U. présente et analyse certains « my-
thèmes isolés », à savoir des motifs ou des éléments présents dans des textes qui ne
mentionnent pas le nom Hellequin et ses nombreuses variantes, mais qui révèlent
des traits « hellequiniens ». Elle énumère trois motifs : les déplacements nocturnes,
les combats aériens et les équipées démoniaques, le chasseur infernal.
À propos des déplacements nocturnes, K.U. cite un passage de Gervais de Tilbury
à propos des démons aériens qui, pendant la nuit, pénètrent dans les maisons, en
soulignant que l’A. s’efforce de rationaliser ce phénomène en le ramenant au rang
de cauchemar. Avec subtilité, K.U. note que cette rationalisation est ambivalente
puisque, selon son étymologie, le cauchemar renvoie de toute manière à un être
diabolique qui « s’assoit sur la poitrine du dormeur pour l’oppresser » (p. 80). On
apprécie ici la citation du Französisches Etymologisches Wörterbuch (on ajoutera tout
simplement la référence au volume [FEW II-1, 62b]), à propos de l’étymologie du mot
cauchemar (< calcare) et à sa signification en français médiéval (« démon nocturne »,
attesté aussi au féminin, cauchemare « sorcière »).
À propos des combats aériens, la source choisie est Giraud de Barri, auteur des
deux célèbres traités topographique et historique sur l’Irlande : Topographia hibernica
(daté de 1188) et Expugnatio hibernica. K.U. cite un extrait de ce dernier traité à travers
la traduction de C. Lecouteux et P. Marcq1 en héritant d’une erreur tant fâcheuse
qu’évidente, portant sur l’indication géographique « Ibérie » au lieu de « Hibernie ».
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Or, au moment où K.U. s’attache à souligner que cette « référence à l’Espagne […]
permet d’établir un lien avec le texte de Guillaume d’Auvergne » (p. 82), cette faute
vénielle suscite un certain embarras.
Pour le motif de la chasse infernale, K.U. cite Césaire de Heisterbach et notam-
ment un court récit inséré dans son célèbre Dialogus Miraculorum (v. 1223-1224)
qu’elle intitule judicieusement « le chasseur infernal » (p. 83) et qui met en scène une
femme, habillée seulement d’une chemise, poursuivie par un chevalier à l’aspect
diabolique. Il s’agit encore d’une citation de deuxième main (encore une référence à
Lecouteux–Marcq), mais cette fois-ci, elle est tout à fait correcte. En revanche, dans
ce cas, le passage cité me semble particulièrement important et aurait mérité beau-
coup plus d’attention. Tout d’abord, il faut noter que ce récit apparaît d’abord chez
Hélinand de Froidmont, puis chez Césaire de Heisterbach et aussi chez Vincent de
Beauvais (Speculum historiale, liv. 30, chap. 120), ce qui lui a garanti une diffusion
immense dans la chrétienté tout entière. En effet, le récit a été repris, entre autres,
par le prêcheur florentin Iacopo Passavanti († 1357) et surtout par un autre écrivain
toscan plus connu, à savoir Giovanni Boccaccio. Cet exemplum constitue en effet la
source de la célèbre nouvelle Nastagio degli Onesti (Décaméron, V, 8), qui aurait cer-
tainement mérité d’être analysée par K.U. alors que, sauf erreur de ma part, elle est
seulement mentionnée brièvement, à la p. 483, à propos d’une hypothèse étymolo-
gique formulée par P. Walter sur la parenté entre les noms Annequin/Hennequin et

1. Les esprits et les morts, Paris, 1990, p. 87.


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Nastagio/Anastagi. Cette nouvelle doit être sans aucun doute considérée comme
une actualisation ou une « émanation du motif » de la Mesnie Hellequin, dans la
mesure où elle est entièrement centrée sur le motif de la chasse infernale. Il aurait
été intéressant de noter, par exemple, que si dans les sources latines le chevalier et la
dame chassée sont des âmes du Purgatoire réclamant des messes de suffrage, chez
Boccace ils sont tout simplement des émanations de l’Enfer. L’intérieur du Décaméron,
le but de l’histoire est désormais entièrement orienté vers un enseignement profane :
la condamnation de la dame sans merci.
Mis à part ces critiques de détail, un autre aspect de ce chapitre me laisse per-
plexe. Au moment d’entreprendre l’excursus des sources latines, K.U. déclare que
les écrivains latins abordent la matière avec un « véritable souci d’historien et une
volonté de rendre le phénomène intelligible, sinon entièrement déchiffrable » (p. 36).
Au moment où elle analyse plus en détail certains des auteurs latins présentés, elle
nuance, à juste titre, cette affirmation un peu trop péremptoire : chez Pierre de Blois,
elle parle d’une « simple référence allusive » (p. 48) ; chez Gautier Map, elle parle
d’une « œuvre littéraire dans le sens de fabula » (p. 49). En somme, l’opposition latin–
histoire–intelligible/langue vulgaire–fiction–irrationnel ne me paraît pas très nette
ni particulièrement utile du point de vue euristique.
Au deuxième chapitre, K.U. part à la recherche des traces du mythe, ou plutôt
des mythèmes, dans les œuvres vernaculaires du Moyen Âge. Tous les éléments du
cortège, (la chasse, la ménagerie, les ustensiles, la forêt, les ténèbres, etc.) ne forment
plus un ensemble structuré, mais subissent une sorte d’éclatement à l’intérieur d’un
réseau de réécritures. La quantité des sources mises à contribution est très importante.
L’analyse est souvent fine et convaincante. K.U. montre bien que les éléments de la
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Mesnie resurgissent dans les textes, dans des contextes fort différents. Le risque est de
ramener à la Mesnie tout élément et tout épisode comportant une interférence entre
la matière courtoise et la matière infernale, eschatologique ou mythique. Prenons
par exemple l’épisode de la Douloureuse garde du Lancelot (p. 203). Ce passage met
en scène une entrée en Enfer, il n’y a aucun type de cortège ni d’apparition dans
le bois, dans les airs ; aucun enjeu lié à la chasse. Il s’agit d’une situation statique,
d’un aperçu infernal. Visiblement, il s’agit d’une résurgence d’une autre tradition
littéraire : celle des visions de l’au-delà, une tradition qui sera traitée plus loin. De
même, le discours sur les géants (p. 206) et sur les nains (p. 212) s’éloigne beaucoup,
me semble-t-il, du motif du cortège infernal. D’autre part, si la Mesnie Hellequin « a
de nombreux liens avec l’air », il me paraît difficile d’admettre qu’il existe un lien
entre le mur d’air qui tient prisonnier Maboagrain (ou Mabonagrain) dans le roman
Érec et Énide et le cortège aérien de la Mesnie Hellequin (p. 292). Depuis longtemps,
les commentateurs de cet épisode ont mis en évidence l’origine celtique du motif du
géant prisonnier d’une fée dans l’autre monde (cf. les travaux de M.L. Meneghetti).
En somme, il n’est pas toujours facile d’admettre la présence d’une réminiscence
« hellequinienne » derrière tous les épisodes évoqués. Cela dit, loin d’être hors pro-
pos, les analyses de K.U. constituent autant de pistes d’approfondissement des élé-
ments qui se trouvent également liés, dans d’autres contextes, au mythe de la Mesnie
Hellequin. L’idée qu’il existe une parenté entre le mythe de la Mesnie Hellequin et
le cortège du Graal me semble en revanche plus convaincante et stimulante dans la
mesure où la figure complexe du Roi Pêcheur, en tant que guide et nautonier, peut
être rattachée au contexte infernal.
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Le troisième chapitre se propose de retracer les racines possibles du mythe, en le


rattachant tout d’abord aux traditions antiques de la descente infernale (Odyssée,
Énéide, mythe d’Orphée) et du rapt (Proserpine). Mais c’est surtout dans la my-
thologie germanique – que K.U. semble maîtriser d’une façon remarquable – que
se retrouvent les caractéristiques principales de la Mesnie. Jakob Grimm, dans sa
Deutsche Mythologie (1835) traite de l’armée et de la chasse sauvage et propose d’as-
similer l’ancien dieu Wodan (ou Odin) au Chasseur, chef de l’armée sauvage. De
nombreuses caractéristique de Wodan permettent en effet de l’assimiler à Hellequin :
il est « psychopompe et apte à se métamorphiser […] il est enraciné dans l’imaginaire
du vent et de la tempête » (p. 466-467). La mythologie celtique fournit également des
pistes intéressantes, car certains dieux partagent certaines caractéristiques propres à
Hellequin. K.U. aborde la délicate question de l’étymologie du nom, en présentant
une longue liste d’hypothèses qui ont été formulées par les critiques (p. 476-484).
K.U. se concentre ensuite sur les textes hagiographiques, considérés comme les
produits d’une riche stratification culturelle. Certains saints héritent en effet de
quelques caractéristiques propres au chef de la Mesnie. Par exemple, la hotte et les
clochettes de saint Nicolas assument volontiers une connotation ambiguë, voire dia-
bolique, qui est bien vivante dans les traditions contemporaines, spécialement dans
les pays nordiques et germanophones. De même, saint Antoine avec ses clochettes,
saint Hubert en tant que patron des chasseurs, saint Christophe en tant que géant
passeur cynocéphale et sainte Agathe, qui protège la ville de Catane des flammes
de l’Etna, montrent des analogies plus ou moins étroites avec l’ancien chef de la
Mesnie.
Mais ce genre de contaminations intéresse principalement l’imaginaire infernal
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véhiculé principalement par la tradition des visions eschatologiques. K.U. insiste sur
le fait que la Mesnie Hellequin peut être considérée comme une sorte de « Purgatoire
ambulant » (p. 506), ou, selon l’expression de C. Lecouteux, comme une armée
formée par « les évadés du Purgatoire ». La référence principale, voire unique, par
rapport à la tradition du Purgatoire demeure l’ouvrage de J. Le Goff, La naissance du
Purgatoire (1981). Je ne peux certainement pas reprocher à K.U. d’avoir utilisé exclu-
sivement cet ouvrage de référence pour un argument qui dans sa recherche occupe
une position assez marginale. Je tiens quand même à souligner qu’il s’agit d’un livre
pionnier et qui a donc vieilli très rapidement, dans la mesure où il a engendré un
débat historiographique très riche et passionnant qui a remis en cause sa thèse dans
ses fondements. Un certain nombre d’études réalisées sur l’impulsion de Le Goff
auraient pu apporter des éclaircissements importants à cette recherche. Je citerai,
par exemple, une étude de P. Cherchi1.
Parmi les textes visionnaires K.U. retient, à raison la Vision de Turchil, ou Thurkill,
écrite par le cistercien anglais Ralph de Coggeshall (1202), où la matière infernale
subit une ébauche de déformation grotesque qui va dans le sens d’une mise en scène
quasiment théâtrale et carnavalesque. Ce récit met en scène, en effet, « un démon
monté sur un cheval noir dans une course éperdue » et une foule d’esprits malins
qui « alla à sa rencontre en dansant et riant aux éclats pour la proie qu’on leur ame-
nait » (p. 509 la traduction citée est celle d’A. Micha). On notera tout simplement
que, contrairement à ce qu’on lit dans la note 229, p. 509, ce texte n’apparaît guère

1. Gervase of Tilbury and the birth of Purgatory, Medioevo romanzo, t. 14, 1989, p. 97-110.
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 437

dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais qui retient bien d’autres textes
visionnaires, tels la Vision de Fursy et la Vision de Drithelm (liv. 24), la Vision de Charles
le Gros (liv. 25), la Vision de Tondale et la Vision de l’enfant Guillaume (liv. 28) et la Vision
de Gunthelm (liv. 30).
Le dernier chapitre présente une enquête sur les résurgences du mythe aux siècles
postérieurs au Moyen Âge. K.U. note que le personnage d’Hellequin continue de
hanter l’imagination des poètes et des écrivains, mais qu’il trouve aussi sa place dans
la tradition populaire, comme en témoigne la figure d’Arlequin, décrit comme « le
descendant le plus célèbre » et « le plus clairement identifié » de Hellequin (p. 572).
D’autres personnages comme le juif errant, Don Juan et la statue du Commandeur,
Faust et Tannhäuser, le Hollandais volant, le Freischütz et le Roi des Aulnes doivent
également être considérés comme des avatars de Hellequin.
Des traces de l’ancienne chasse sauvage se retrouvent aussi chez des poètes pré-
classiques comme Ronsard et le Cardinal de Retz, chez les Allemands du XVIIIe siècle
comme Schiller et Gottfried August Bürger, chez les romantiques français comme
Théophile Gautier, Prosper Mérimée, et même chez les écrivains contemporains
comme Umberto Eco et Joanne K. Rowling, auteur de la saga d’Harry Potter.
Dans sa conclusion, K.U. revient à la littérature médiévale en insistant sur le
fait que le caractère multiforme et changeant de la Mesnie Hellequin, cohérent
avec son appartenance à l’imaginaire infernal, rend son identité fragile et difficile à
cerner d’une façon univoque. Les innombrables actualisations et manifestations de
ce mythe sont toujours contaminées et connectées à d’autres figures et motifs. La
conclusion se termine sur une sentence lapidaire, en guise d’explicit : « Hellequin est
un masque » (p. 707).
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À un contenu scientifiquement dense et très riche fait écho un style élégant et
agréable à la lecture. Malheureusement, la présentation typographique ne fait pas
preuve d’autant de rigueur et aurait mérité plus de soin. Les références bibliographi-
ques auraient requis un gros travail d’harmonisation. Dans les notes en bas de page,
ainsi que dans la bibliographie, il est rare de trouver plus de trois ou quatre références
successives qui respectent les mêmes critères de présentation (lieu d’édition + mai-
son d’édition + année d’édition). Dans la bibliographie à la fin du volume, quelques
coquilles sautent particulièrement aux yeux. L’éditeur de la Chanson de Roland est
C. Segre et non pas C. Segré ; la SATF n’a jamais appartenu à l’éditeur Champion
(le roman de Gui de Warewic, éd. A. Ewert a été accueilli dans la collection CFMA et
non chez « Champion, SATF »). À corriger aussi les mentions SAFT (Jaufré 1943 et
Roman de Fauvel 1914-19).
Au-delà de ces quelques défauts superficiels et des quelques critiques tout à fait
marginales que j’ai pu soulever, le livre de K.U. est riche et stimulant, il rassemble
une documentation précieuse et ouvre de nouvelles pistes de recherches sur une
thématique virtuellement inépuisable.
Mattia CAVAGNA
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Cordelia HESS, Heilige machen im spätmittelalterlichen Ostseeraum. Die


Kanonisationsprozesse von Birgitta von Schweden, Nikolaus von Linköping
und Dorothea von Montau, Berlin, Akademie Verlag, 2008 ; 1 vol., in-8°, 396 p.
(Europa im Mittelalter, 11). ISBN : 978-3-05-004514-6. Prix : € 69,80.
Le livre est issu d’une thèse, soutenue en 2007 à l’université de Hambourg, sur
la dimension politique des saints dans l’espace baltique. Il a pour sujet la censure
appliquée à la vie et aux miracles des saints dans les actes des procès de canonisa-
tion, qui permettent à la papauté de diffuser, jusque dans les marges de la chrétienté,
son propre idéal de la sainteté. Les procès de Brigitte de Suède († 1373), de l’évêque
Nicolas Hermansson († 1391) et de Dorothée de Montau († 1394) ont été retenus, car
ils ont abouti. Notons d’emblée que ce critère est faible : Brigitte est la seule à avoir
été canonisée au Moyen Âge. Le culte de Nicolas de Linköping fut autorisé en 1499
et Dorothée fut canonisée en 1976. Dorothée n’a donc pas plus de légitimité que
Guillaume d’Æbelholt, qu’Ingrid de Skänninge et Brynolf de Skara, dont les procès
débutèrent au même moment que celui de Nicolas, ou que Catherine de Suède, dont
le culte fut autorisé en 1484.
Les quatre premières parties forment une longue introduction, avec, dans la
première, un bilan de la recherche et, dans la deuxième, une définition des sources.
Dans la troisième, l’A. présente sa méthode, qui consiste à analyser les variations
dans la structure de chaque miracle et dans la composition des recueils. La quatrième
partie décrit le culte des saints dans l’espace baltique : cette région des confins de la
chrétienté présente, en dehors des saints rois scandinaves, peu de traits spécifiques.
Seule Brigitte y exerça une influence originale. Nicolas fut considéré comme saint
car il promut le culte brigittin et la sainte inspira probablement aussi Dorothée de
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Montau.
L’image de Brigitte se révèle cohérente malgré des différences entre les textes ita-
liens, qui insistent peu sur son activité en Suède, et les textes suédois, focalisés sur la
dimension régionale de son culte. Les premiers textes hagiographiques ont tendance
à gommer les aspects politiques de son action, si visibles dans ses Révélations. Les
actes officiels du procès construisent l’image d’une sainte sans lien particulier avec la
Suède et sans spécialité marquée vis-à-vis des femmes. La Vita abbreviata, rédigée en
suédois, à Vadstena, à la fin du XIVe siècle, donne à l’influence politique de Brigitte
toute sa dimension : son activité auprès du roi était connue en Suède et ne pouvait y
être passée sous silence. En revanche, une version allemande de la vie et des miracles
de Brigitte, rédigée à Nuremberg en 1445, ignore presque tout de la Suède et présente
la sainte comme une médiatrice entre la culture du Sud et le Nord.
Nicolas Hermansson, dont le culte était limité au diocèse de Linköping, fut soumis
à une normalisation analogue. Le culte de ce défenseur de la liberté de l’Église fut
encouragé par son successeur sur le siège épiscopal de Linköping pour des raisons
politiques locales. Mais les actes du procès gomment son enracinement régional et
ses traits les plus populaires. On regrettera une erreur de détail dans ce chapitre : l’ex-
trait de la chronique placé au début du chapitre VI n’a pas été correctement traduit.
Le vers « Han war mången man ath gangne » signifie « Il vint en aide à beaucoup
d’hommes » et non « Er war viele Männer auf einmal » (p. 205 n. 1).
L’image de Dorothée de Montau présente de grandes variations entre les pre-
miers textes de 1395 et les actes du procès de canonisation, ouvert en 1404. Johannes
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 439

Marienwerder, son confesseur, donne de la sainte des visions opposées, celle d’une
laïque impliquée dans le monde ou celle d’une recluse, selon qu’il s’adresse aux laïcs
ou aux clercs. Les actes du procès de canonisation mettent en valeur sa réclusion et
font d’elle la sainte d’un lieu, la cathédrale de Marienwerder, dont le chapitre faisait
partie de l’ordre teutonique. Elle n’y apparaît pas comme la « patronne de la Prusse » :
cet aspect prend forme dans d’autres recueils de miracles, qui font des gens du peu-
ple les bénéficiaires privilégiés de ses intercessions. Elle n’y apparaît pas non plus
comme la patronne de l’ordre teutonique, qui préféra promouvoir, dans des lieux
plus prestigieux, le culte marial.
L’A. reconnaît que la notion de « censure » ne rend pas toujours compte des mé-
canismes décrits : les actes des procès de canonisation, qui neutralisent les aspects
politiques des saints, n’empêchent pas d’autres textes de circuler. Plus que de censure,
il faut bien parler de choix et de stratégie. Bien que ce résultat soit peu surprenant, le
livre garde tout son intérêt car il aborde un espace rarement appréhendé en tant que
tel et propose une analyse fine des sources hagiographiques et de leur instrumentali-
sation. Contrairement à ce que le titre de l’ouvrage laisse entendre, ces sources ne se
limitent pas aux seuls actes des procès et l’étude, au-delà de la thématique politique,
révèle bien d’autres enjeux, en particulier le contrôle de l’image des femmes et les
représentations de l’espace baltique dans le reste de l’Occident.
Corinne PÉNEAU

Mouvances et Jointures. Du manuscrit au texte médiéval. Textes réunis par Milena


MIKHAÏLOVA, Orléans, Paradigme, 2005 ; 1 vol. in-8°, 334 p. (Medievalia, 55). ISBN :
2-86878-237-X. Prix : € 39,00.
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Ce volume réunit les actes du colloque international organisé par le CeReS –
Université de Limoges, du 21 au 23 novembre 2002. S’inscrivant dans le mouvement
des approches critiques fondées sur les concepts de mouvance et de variance du
texte médiéval, l’ensemble des contributions s’attachent à la problématique posée
par les rapports du texte à son environnement manuscrit, généralement occultés
par la pratique habituelle de l’édition critique, alors qu’ils conditionnent largement
son identité. Elles tentent ainsi de définir les aspects et les conditions de la mobilité
du texte, qui peut être inhérente aux différentes pratiques de la mise en recueil,
mais semblerait tout aussi bien relever d’un projet littéraire prémédité. Après une
introduction de M. Mikhaïlova et une préface de J. Cerquiglini-Toulet consacrées à
quelques réflexions sur la notion de texte dans l’espace du manuscrit, les différentes
contributions sont rassemblées en trois sections. La première, intitulée Insertions et
Jointures, est consacrée à l’étude des principaux types de jointures, qui constituent
autant des raccords que des marques de séparation, permettant aussi bien l’homo-
généisation du texte que sa fragmentation. K. Busby interroge de ce point de vue les
tituli qui, dans le fragment d’Yvain contenu dans le ms. Montpellier, BIU, Sect. Méd.
H 252., pallient l’absence d’images. F. Laurent montre, dans le Guillaume de Dole de
Jean Renart, les contraintes énonciatives qui régissent les jointures entre les parties
narratives et les insertions lyriques. M. Demaules constate que, dans le Lancelot-Graal,
les songes contribuent à la mise en cohérence des différents textes qui constituent
ce vaste cycle. Pour D. Maddox, les insertions narratives de la Folie Tristan d’Oxford
confèrent à ce texte une fonction de récit-cadre à de micro-récits. Une seconde section
est intitulée Malléabilité du texte, textualité ductile. Est exemplaire à ce titre la Bible
440 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

d’Herman de Valenciennes, dont M. Boulton analyse la tradition manuscrite particu-


lièrement complexe. Exemplaire aussi, pour N. Regalado, le travail de découpage et
d’interpolations que Jean Molinet, dans son Romant de la Rose moralisé, a fait subir au
vieux Roman de la Rose. J.J. Vincensini revient sur le Roman de Mélusine pour montrer
que les différentes variantes de ce texte « chamarré » et polygénérique, loin de tendre
vers l’incohérence et l’hétérogénéité, déplient au contraire une solide organisation
symbolique. Quant au risque d’incohérence auquel sont particulièrement exposées
les œuvres cycliques, « fatalement mouvantes », R. Trachsler l’aborde dans le cadre
d’une réflexion méthodologique, en rapprochant l’exemple du Lancelot-Graal, plus
particulièrement la Suite-Vulgate du Merlin, de la série des Harry Potter. Une troi-
sième section est consacrée à L’Œuvre et l’espace du recueil. Quatre communications
reviennent sur la composition du célèbre manuscrit Paris, BnF, fr. 837, véritable
recueil-bibliothèque, pour remettre en cause l’image traditionnelle d’une compila-
tion hétéroclite : Y. Foehr-Janssens en proposant de lire le Dit du Barisel comme un
prologue programmatique, lieu de dévoilement des éléments d’une conjointure pa-
radoxale ; O. Collet en suggérant que ce recueil-anthologie constituerait une somme
des « expériences » littéraires et formes « transgressives » tendant à renouveler la
création poétique en langue française ; W. Azzam en constatant que les œuvres de
Rutebeuf constituent comme un recueil à l’intérieur du recueil, miroir des tensions
thématiques du recueil enchâssant ; S. Lefèvre en montrant combien l’hybridation du
narratif et du lyrique inscrit les unica – en particulier saluts et complaintes d’amour –
de façon cohérente dans cet immense répertoire. Par ailleurs, G. Parussa renouvelle
par une approche globalisante la lecture de l’ensemble des textes essentiellement
dramatiques du ms. Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 1131. En font de même
L. Walters pour les textes romanesques « chrétiens » rassemblés dans le ms. Chantilly,
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Musée Condé 472, et C. Lucken pour le manuscrit autographe des poésies de Charles
d’Orléans, Paris, BnF, fr. 25458. Si l’enjeu était bien de nous inviter à abandonner nos
critères et nos habitudes de lecture, il est atteint. Mais la problématique ici explorée
par des voies multiples reste encore largement ouverte.
Jean-Pierre PERROT

Der Weg zur Kaiserkrone. Der Romzug Heinrichs VII. in der Darstellung
Erzbischof Balduins von Trier, éd. Michel MARGUE, Michel PAULY et Wolfgang
SCHMID, Trèves, Kliomedia, 2009 ; 1 vol. in-4°, 200 p. (Publications du Centre
luxembourgeois de Documentation et d’Études médiévales, 24). ISBN : 978-3-89890-
129-1. Prix : € 60,00.
La chronique imagée conservée sous la cote 1 C 1 au Landeshauptarchiv de Coblence
constitue sans contexte une source essentielle du règne d’Henri VII, comte de
Luxembourg, élu roi des Romains en 1308 et couronné empereur dans la basilique
du Latran à Rome le 29 juin 1312. Elle a bien entendu fait l’objet de plusieurs
éditions, mais elles sont toutes difficiles d’accès. Ce volume qui présente pour la
première fois les illustrations au format original vient à son heure pour combler
un déficit. La chronique est précédée de trois essais introductifs qui permettent de
la contextualiser. M. Pauly retrace les grandes lignes du règne d’Henri. J. Mötsch
replace la réalisation de la chronique dans le contexte de l’effort de mise en ordre
archivistique accompli durant le pontificat de l’archevêque Baudouin de Trèves.
Enfin C. Winterer dresse un état de nos connaissances au niveau de l’histoire de l’art
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 441

(particulièrement important au niveau de la datation de la chronique). La qualité


des illustrations est impeccable, le format choisi permet d’en saisir les moindres
détails et en fait un instrument de travail appréciable autant qu’un objet d’art. L’on
regrettera l’omission de la reproduction des versos des 14 premiers folios, contenant
les armoiries de familles nobles des régions tréviroise et luxembourgeoise. Chaque
illustration est décrite en regard de manière précise et détaillée par W. Schmid et les
légendes explicatives sont également éditées et traduites. L’ambition principale des
É. est annoncée dans le titre. La chronique imagée est une représentation faite sous
l’ordre de Baudouin du voyage entrepris à Rome par Henri VII, son frère, voyage
auquel Baudouin prit lui-même part. En d’autres mots, les A. ont voulu réévaluer le
rôle de commanditaire joué par Baudouin. Les essais d’analyse sont essentiellement
l’œuvre de W. Schmid et de M. Margue. Les thèmes abordés concernent des aspects
de la représentation politique. Ainsi W. Schmid traite des relations entre les deux
frères, de la politique, de l’archevêque commanditaire, et enfin replace le manuscrit
dans le cadre d’une politique de memoria dynastique, un thème qu’il a développé dans
des publications antérieures. Ces essais demeurent dans l’ensemble très descriptifs et
énumératifs voire par endroit répétitifs (on notera ainsi la reproduction en p. 162-165
de larges portions de descriptions d’illustrations accompagnant l’édition). Tout à fait
appropriés pour un grand public, ils laisseront probablement les spécialistes sur leur
faim. En ce sens, une courte contribution de M. Pauly, reprenant en la synthétisant
l’analyse brillante faite par J.M. Moeglin des représentations des redditions de
Crémone et Brescia, rappelle à quel point la chronique exprime un point de vue
spécifique qui doit être analysé et critiqué au même titre que d’autres sources écrites.
C’est ce qu’entreprend M. Margue dans un chapitre consacré à la guerre et au monde
de cour qui offre une analyse thématique des types de scènes contenues dans la
chronique (représentation du pouvoir, combats et déplacements royaux) et se montre
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sensible à la manière dont les images sont construites, un aspect peu pris en compte
par W. Schmid. Enfin, la conclusion de M. Margue reprend les données principales
nécessaires à la compréhension de la chronique imagée. Celle-ci développe un
discours mémoriel double. Tout d’abord, la chronique constitue très certainement
un manifeste dynastique, impérial, dans lequel le souverain mort jeune est présenté
sous des traits plus chevaleresques qu’impériaux. Mais ce qui frappe surtout, c’est
l’ancrage indiscutable de la chronique dans un ensemble documentaire épiscopal et
trévirois (qui est certes évoqué dans le volume, mais qui mérite une enquête plus
approfondie). Baudouin est omniprésent dans la chronique, ce qui fait de lui un
témoin privilégié de la geste de son frère. Il constitue également le vecteur essentiel
de sa memoria. Cette image est complétée par les Gesta Baldewini qui décrivent les
réalisations de Baudouin en tant qu’évêque et prince d’Empire. L’élément trévirois
est encore plus marqué dans le Prooemium du cartulaire. Pour M. Margue, cette
dimension tréviroise est historique, juridique et politique. Nul doute qu’il conviendra
de pousser plus avant l’enquête autour de la personne et de l’activité de Baudouin
durant son long pontificat au niveau régional, à Trèves, ainsi que dans l’Empire.
La chronique imagée en constitue une source essentielle. En conclusion, ce volume
superbement illustré offre non seulement une très belle introduction accessible au
grand public germanophone, mais constitue également une invitation à la poursuite
de recherches interdisciplinaires dans le champ renouvelé de la représentation
politique au bas Moyen Âge.
Herold PETTIAU
442 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

ENEAS SILVIUS PICCOLOMINI, Pentalogus, éd. Christoph SCHINGNITZ, Hanovre, Hahnsche


Buchhandlung, 2009 ; 1 vol. in-4°, XXX-344 p. (M.G.H., Staatsschriften des späteren
Mittelalters, 8). ISBN : 978-3-7752-0308-1. Prix : € 50,00.
Cette édition accompagnée d’une traduction allemande vise à remplacer les
précédentes éditions datant de 1723 (Hieronymus Pez) et 1840-43 (Joseph Chmel,
édition et traduction en allemand partielles), comportant des lacunes et ne répondant
plus aux critères modernes d’édition des sources – les interventions de l’É. n’étaient
ainsi pas signalées dans l’édition Pez. La récente édition de L. Weinrich (2001),
accompagnée d’une traduction allemande, n’était pas suffisante puisque partielle et
reprenant certaines erreurs de l’édition Pez. La présente édition, issue d’une thèse
soutenue en 2006 à l’université de Munich, ne prétend pas, en raison de l’état des
sources, à la reconstitution d’un texte idéal, mais se veut le reflet de la transmission
du texte, ainsi que l’occasion d’un éclairage nouveau. C. Schingnitz dispose de deux
manuscrits et se base essentiellement sur le codex Clm 14134 conservé à la Bayerische
Staatsbibliothek de Munich (ff. 239-268) (manuscrit M). Ce manuscrit a été conservé
au monastère de Saint-Emmeran de Ratisbonne dans un ensemble de textes rédigés
par Piccolomini, et a probablement été obtenu par l’écolâtre du lieu grâce à ses
contacts avec des membres de la cour des Habsbourg ou lors d’un séjour d’Eneas
Silvius Piccolomini dans le monastère. Il est complété par le manuscrit L (British
Library, Harl. 3303, fol. 1-47), plus récent, dont on n’a pu retracer la provenance avant
le XVIIIe siècle. Il faisait sans doute partie d’une collection de manuscrits produits
au sud de l’espace germanique et achetée par le prince-électeur du Palatinat, avant
d’être en partie vendue à la cour anglaise. Le manuscrit M présente moins d’erreurs
de copie et d’omissions. C.S. note toutefois que la copie L est sans doute faite à partir
d’une deuxième version du texte puisqu’on y trouve des corrections et modifications,
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indiquant un retravail, notamment stylistique, du texte, qui apparaît dans la présente
édition sous forme de notes ou pour compléter les lacunes du manuscrit M. C.S.
suppose qu’une version postérieure aurait pu permettre à Piccolomini de corriger
les dernières scories. Les deux manuscrits contiennent par ailleurs des erreurs liées
sans doute à la méconnaissance des copistes de certaines particularités graphiques
italiennes.
L’A. a choisi de conserver l’orthographe originale pour certains points, notam-
ment les particularités typiques de la fin du Moyen Âge (comme la graphie des diph-
tongues). En revanche, l’orthographe peu homogène du manuscrit a été harmonisée
afin de proposer une édition lisible. Cela concerne en particulier l’usage de u/v et des
h aspirés, de façon aussi à respecter les usages modernes. Ce souci d’accessibilité se
reflète également dans la traduction, permettant une réception plus large du texte,
sans toutefois s’éloigner trop du texte latin. Les citations sont indiquées dans le texte
latin et dans la traduction par des italiques. Enfin, l’édition présente les dispositions
originelles du manuscrit et de la première édition en indiquant les changements
de feuillets et de colonnes. Des notes de bas de page indiquent les variations par
rapport au manuscrit L et les corrections apportées par Pez, mais apportent aussi
des informations et des précisions quant aux personnes et événements cités ; elles
présentent le contexte historique si nécessaire. Cet apparat est complété par trois
indices, de lieux, de notions et de personnes, et une large bibliographie où figurent
les éditions et travaux les plus anciens comme les derniers développements de la
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 443

recherche allemande, autrichienne, italienne et anglaise ; les chercheurs français


semblant avoir largement délaissé ce champ.
Le Pentalogus est depuis longtemps étudié selon quelques axes principaux : la
recherche allemande s’intéresse majoritairement aux aspects stylistiques, humanis-
tes et politiques du texte ; la recherche autrichienne met l’accent sur la personne de
Frédéric III, destinataire du texte ; la recherche anglo-saxonne étudie les représen-
tations de l’Empire à l’œuvre dans ce texte ; la recherche italienne enfin étudie cet
aspect politique dans un cadre spécifiquement humaniste.
C.S. date le texte de février ou mars 1443. L’É. confirme ici la thèse de Georg Voigt
(1856-1863), et s’éloigne des propositions plus récentes ; l’interprétation d’une lettre
de 1442 par S. Iaria (2003) et sa datation plus haute, fin 1442, est ainsi récusée. L’É.
présente très brièvement l’A., certes bien connu et étudié par ailleurs, mais on aurait
apprécié une courte notice biographique. Cette présentation insiste sur son rôle, ses
fonctions et ses liens avec l’administration impériale et la curie romaine. C.S. rappelle
en effet que l’ouvrage est éminemment politique : la première partie aborde la crise
entre l’Église et l’Empire, la seconde le conflit qui divise l’Église après l’élection de
Félix V en 1439, et la troisième constitue un programme de gouvernement concer-
nant notamment les espaces italiens. L’originalité de l’É. est de mettre en parallèle
ce texte et les discours politiques de Machiavel et de la Renaissance, afin de répon-
dre à une des problématiques classiques concernant le Pentalogus : les rapports du
texte à son contexte politique et historique. Il cherche certes à retrouver les sources
de Piccolomini et à le replacer dans un contexte et un héritage, montrant que l’A.
s’appuie essentiellement sur des auteurs latins (il utilise notamment abondamment
Cicéron sans toujours identifier les citations), sur quelques auteurs chrétiens (mais
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bien moins que les auteurs des siècles précédents) et sur des auteurs médiévaux (on
a ici l’un des premiers témoins de la réception des œuvres historiques d’Otton de
Freising), ainsi que sur des documents officiels de la cour Habsbourg et des décrets
conciliaires. Mais C.S. souligne la modernité du texte et sa proximité avec les dis-
cours politiques italiens postérieurs : il s’agit ici d’un texte d’éducation politique et
de conseils à l’usage du prince, dont l’un des concepts centraux est l’utilitas, aune à
laquelle le prince peut mesurer son action, mais aussi aune à laquelle Piccolomini
peut mesurer l’efficacité de son discours. La forme antique du discours délibératif est
ici mise au service d’une situation concrète analysée empiriquement. La parenté avec
Machiavel, relevée déjà par G. Kallen (1939) se voit aussi dans l’usage du concept de
(dis)simulatio, protection du prince fournie aussi par la confidentialité des conseillers.
Ce nécessaire secret des choses du gouvernement explique peut-être la faible dif-
fusion de l’ouvrage. Piccolomini exprime sans doute ici la culture politique de la
cour des Habsbourg, mais il y ajoute des connaissances et pratiques spécifiquement
italiennes, en particulier une pratique politique à rapprocher de celle de Machiavel.
S’il est bien l’héritier d’une tradition rhétorique latine, il est également le représentant
d’un climat intellectuel humaniste et italien qui continue à se développer jusqu’à
Machiavel, cinquante ans plus tard.
Morwenna COQUELIN
444 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Robert SCHÖLLER, Die Fassung *T des Parzival Wolframs von Eschenbach.


Untersuchungen zur Überlieferung und zum Textprofil, Berlin-New York,
De Gruyter, 2009 ; 1 vol., X-554 p. (Quellen und Forschungen zur Literatur-und
Kulturgeschichte, 56 (290)). ISBN : 978-3-11-020550-3. Prix : € 118,00.
Il existe de nombreuses versions du Parzival de Wolfram von Eschenbach et c’est
à l’une d’elles que R. Schöller a consacré sa thèse dont il propose ici le texte remanié.
Après avoir circonscrit le champ de sa recherche et exposé sa méthode, l’A. localise
et présente les différents textes vecteurs de la version *T pour ensuite s’intéresser à la
place qu’elle occupe dans le corpus traditionnel du Parzival. Pour ce faire, il procède
à une lecture comparée de différents passages, en se référant notamment à la version
« canonique » du ms. D présentée par Lachmann. Cela lui permet de bien mettre
en évidence les variantes d’une version à l’autre, de nous faire ainsi véritablement
entrer au cœur du texte et d’en retracer l’histoire. Son analyse (forme et contenu),
toujours en référence à l’édition de Lachmann, permet d’aboutir à une réflexion sur
le statut historique de la version étudiée, et l’A. conclut que le témoin le plus ancien
de la version *T est aussi le texte le plus ancien, cette dernière ayant été vraisembla-
blement composée du vivant de Wolfram von Eschenbach et se rapprochant donc
beaucoup du texte « original », l’A. ayant peut-être apporté lui-même des variantes.
R.S. estime alors qu’elle devrait trouver la place qu’elle mérite dans une édition à
venir du Parzival.
Les annexes, riches et précises, présentent une intéressante série de comparaisons
entre la version *T et l’édition de Lachmann, ainsi qu’une transcription complète des
fragments 32 et 42.
Cet ouvrage, élaboré dans le cadre du « Projet Parzival » lancé par M. Stolz en
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2000, apporte sa pierre à ce bel édifice en mettant en lumière une version méconnue
de l’œuvre.
Florence BAYARD

Perspectives for an Architecture of Solitude. Essays on Cistercians, Art and


Architecture on Honour of Peter Fergusson, éd. Terryl N. KINDER, Turnhout-
Cîteaux, Brepols-Commentarii cistercienses, 2004 ; 1 vol., XII-409 p. (Medieval
Church Studies, 11 – Cîteaux : Studia et Documenta, 13). ISBN : 2-503-51692-0. Prix :
€ 150,00.
Cet ouvrage d’hommage à P. Fergusson propose une série d’articles consacrés
pour l’essentiel à l’architecture et à l’art cistercien en Grande-Bretagne. Malgré la
diversité des méthodologies et des sujets de recherche, conséquence logique d’une
approche résolument interdisciplinaire, la structure adoptée offre à l’ensemble
une organisation relativement cohérente. Les différents articles se regroupent ainsi
autour de problématiques fondamentales, souvent abordées dans les écrits de P.F.,
et que des recherches récentes ont contribué à mettre en évidence. Quelques essais
portent cependant sur des monuments dont les rapports avec l’architecture ou l’art
cistercien sont souvent ténus, voire inexistants, ce qui brouille un peu la cohérence
de l’ensemble.
C’est à la fondation des premières abbayes cisterciennes en Angleterre et aux
premières décennies d’existence des nouvelles dépendances de Clairvaux que se
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 445

consacre la première partie de l’ouvrage. La multiplication des approches permet


de mettre en évidence différentes facettes de la toute jeune histoire de ces nouvelles
fondations. En passant les textes du XIIe siècle au crible d’une critique très rigou-
reuse, C. Norton revient par exemple sur les événements qui mènent à la fondation
de Fountains abbey, soit les dissensions qui apparaissent en 1132 à St Mary’s abbey,
abbaye bénédictine, entre un groupe de moines réformistes, partisans des idées
véhiculées par le mouvement cistercien, et les moines qui, groupé autour de leur
abbé, demeurent fidèles aux traditions observées par l’abbaye. J. Rueffer et J. Burton
s’intéressent ensuite à Rievaulx, la première grande fondation de Clairvaux dans le
nord de l’Angleterre. Le premier se penche sur un traité rédigé par Aelred, abbé de
Rievaulx, et consacré à « l’amitié spirituelle », un concept censé imprégner les rela-
tions humaines à l’intérieur de l’enclos monastique. Le second analyse pour sa part
le développement de l’abbaye entre 1132 et 1147 et montre le rôle fondamental des
nombreuses donations seigneuriales et des relations diplomatiques entretenues par
les premiers abbés de Rievaulx dans le développement de l’abbaye. E. Jamroziak se
penche ensuite sur la nature et les enjeux des legs, donations et autres actes posés
par la noblesse en faveur des abbayes cisterciennes. La question des constructions
primitives de ces premières abbayes cisterciennes est traitée par G. Coppack, qui
confronte les rares données textuelles au résultat des fouilles. Cette étude dresse des
premières installations cisterciennes, où les structures en bois sont souvent préférées
aux bâtisses en pierres, un remarquable état de la question.
L’architecture de l’ordre de Cîteaux occupe ensuite le centre des débats.
L’architecture des abbayes anglaises, sujet de prédilection de P.F., reçoit évidemment
une place de premier choix, et notamment les abbatiales, auxquelles sont consacrés
la plupart des écrits. On épinglera notamment l’excellente étude de R. Fawcett sur
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l’abbaye de Culross, ou encore l’étude consacrée aux abbatiales galloises de Cymmer,
Abercomwy et Curmhir par L. Butler. Vingt ans après P.F., S. Harrisson s’intéresse
aux tours juchées sur la croisée du transept de certaines abbatiales britanniques.
Ce parti architectural n’est en effet pas rare en Angleterre, en Écosse ou au Pays de
Galles, et illustre à merveille la marge de manœuvre dont disposaient les abbayes
de ces régions faces aux recommandations officielles de l’ordre.
Les recherches de P.F. sont à nouveau mises à l’honneur dans l’étude d’A. Gajewski,
consacrée à la reconstruction du chœur de l’abbatiale de Clairvaux (Clairvaux III).
L’idée d’un sanctuaire-nécropole, destiné à accueillir la sépulture de Bernard, pro-
posée jadis par P.F., est également défendue par A. Gajewski, pour qui le chantier
d’agrandissement de la célèbre abbatiale aurait pu être entamé du vivant de l’abbé
Bernard, dès la fin des années 1140. D’autres abbatiales emblématiques élevées en
France au XIIe ou au début du XIIIe siècle, comme Cîteaux III, Fontenay, Longpont
ou Vaucelles, voient leur plan consciencieusement analysé par N. Hiscock, dans un
article qui examine également les plans cisterciens contenus dans le carnet de Villard
de Honnecourt.
Après l’abbatiale, ce sont d’autres parties du monastère cistercien qui entrent en
lice. D.N. Bell analyse par exemple le développement des cellules individuelles dans
certaines abbayes cisterciennes, et ce en dépit du principe de dortoir commun prescrit
par la règle de saint Benoît, et défendu énergiquement, mais sans grand succès, par
le chapitre général de l’ordre, voire par certains papes. Dans un article consacré à
446 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

l’affectation de la partie orientale des abbayes cisterciennes, J. Hall met en lumière


les subtiles connections établies entre le quartier de l’abbé, situé également dans cette
zone, et les différents locaux de l’infirmerie.
Enfin, D.H. Williams attire l’attention sur les fermes cisterciennes réparties sur
les vastes domaines de ces abbayes, et plus particulièrement sur l’implantation,
l’architecture et le fonctionnement des chapelles (Grange Chapels) annexées à ces
exploitations agricoles.
Après une étude de l’église du collège Saint-Bernard à Paris, l’ouvrage accorde
au patrimoine mobilier ou au vitrail l’attention de quelques articles. L’étude de
T. Coomans sur les stalles de l’abbatiale de Melrose, par exemple, témoigne très bien
des relations qui, le temps d’une commande, pouvaient se nouer entre une abbaye
écossaise et le milieu de la sculpture flamande du XVe siècle. En 1441, les moines de
Melrose confient en effet la réalisation de leurs nouvelles stalles à Maître Cornelius
van Aestre, sculpteur brugeois. On trouvera également dans cette partie de l’ouvrage
une étude iconographique et stylistique de quelques vitraux du début du XVIe siècle,
provenant de l’abbatiale de Mariawald (H. Zakin), ou encore l’analyse archéologique
d’une fosse destinée au coulage d’une cloche, et découverte sur le site de l’abbaye
de Grosbot, en Charente (M. Horton).
Le volume propose ensuite plusieurs essais consacrés à l’influence de l’architec-
ture cistercienne sur des églises élevées par d’autres ordres ou par le clergé séculier.
L’influence de l’ordre de Cîteaux sur l’architecture élevée en Galice, par exemple,
côtoie deux études qui mettent en lumière l’apport des cisterciens dans l’architecture
des cathédrales de Canterbury et de Salisbury (V. Jansen) ou encore dans celle de
Wells (C. Marino Malone).
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Les deux derniers articles abordent des périodes plus récentes des abbayes cis-
terciennes. L’étude archéologique d’un bâtiment de l’ancienne abbaye de Furness,
par exemple, permet à J. Wood d’explorer la vie d’un monastère cistercien aux XVe
et XVIe siècles, et de mettre en évidence la construction de plus en plus fréquente, à
cette époque, de demeures de laïcs dans le grand enclos monastique. T.N. Kinder,
qui dirige la publication de cet ouvrage et signe la préface, clôture également les
débats en étudiant la démolition de l’abbaye de Pontigny au début du XIXe siècle,
entreprise qui s’accompagne d’un projet d’aménagement de jardins romantiques sur
le site de l’ancienne abbaye.
Parmi les quelques articles étrangers à l’architecture ou à l’art cistercien, il paraît
difficile de ne pas évoquer l’étude de S. Bonde et de C. Maines, assurément l’une des
plus originales sur le plan méthodologique. Pour étudier l’organisation de la circu-
lation à l’intérieur de l’abbaye de Saint-Jean-des-Vignes, à Soissons, ces deux A., en
se fondant sur les textes et les nombreuses fouilles menées sur le site, construisent
un diagramme des accès (access map) qui permet d’illustrer en un schéma l’ensemble
des connections établies entre les différents espace du monastère.
Mathieu PIAVAUX
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 447

Marc BOCHET, Allers et retours de l’enfant prodigue : l’enfant retourné. Variations


littéraires et artistiques sur une figure biblique, Paris, Champion, 2009 ; 1 vol.
in-8°, 174 p. (Essais sur le Moyen Âge, 41). ISBN : 978-2-7453-1886-2. Prix : € 45,00.
Après quelques pages d’introduction herméneutique, M. Bochet fait découvrir
ou redécouvrir les multiples résurgences de la parabole biblique dans la littérature
européenne, en commençant par le théâtre. Partant du jeu médiéval de Courtois
d’Arras, il montre combien le schéma narratif de l’enfant prodigue est adapté à une
mise en scène pédagogique et exhume des pièces allégoriques italiennes oubliées
comme Il vitello sagginato ou Il figliuol prodigo. Le XVIe siècle se voit illustrer par
Georgius Macropedus, l’Espagnol Luis de Miranda, l’Anglais George Gascoigne ou
l’Allemand Burkard Waldis. Avec l’Enfant prodigue de Voltaire apparaît une version
féminisée de la parabole, dans laquelle l’intrigue sentimentale joue un rôle majeur.
La dimension édifiante des pièces ressurgit en 1889 avec le drame biblique du Père
Chauffour ; M.B. poursuit son panorama avec El Hijo prodigo de Jacinto Grau puis le
clôt sur les rapports amoureux de Camille et Prouhèze, sous-tendus par la parabole,
dans le Soulier de Satin de Claudel. Au cours du XIXe siècle, le roman s’intéresse à son
tour au thème biblique, allusivement chez Alexandre Dumas ou dans les Misérables.
Gide le remodèle profondément dans sa nouvelle, Le Retour de l’enfant prodigue, pour
en faire la quête de l’accomplissement de soi et convoque la parabole dans sa propre
crise religieuse de 1916. Mais M.B. décèle la prégnance du thème chez les romanciers
modernes les plus inattendus, de Roger Martin du Gard à l’Enfant prodigue de Soweto
du congolais Zounga Bongolo, en passant par Michel Tournier ou Le grand dadais de
Bertrand Poirot-Delpech. Le chapitre Une riche postérité littéraire se clôt sur la poésie.
Arthur Rimbaud, l’enfant prodigue las des « mesquines pelouses » de Charleville,
reprend la tradition. Charles Péguy la liera au mystère de l’Espérance dans le Porche
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du mystère de la deuxième vertu. L’enfant prodigue de Rilke lui, ne veut pas être aimé et
préfère repartir, enfant prodigue sans retour qui se retrouve dans la poésie contempo-
raine d’un André Schmitz. Le centre de l’ouvrage offre une quinzaine d’illustrations,
en noir et blanc, qui cèdent une belle place aux vitraux du XIIIe siècle de la cathédrale
de Bourges. Le chapitre qui le suit, L’errance, chemine à travers toutes les références
littéraires précédemment évoquées, soulignant certaines étapes communes à toutes :
le jeu, la boisson et la ripaille, les femmes, le fumier et les porcs. Il se clôt sur le thème
du retour au pays natal, celui d’Aimé Césaire, mais aussi et surtout sur les « retour-
nements » de plusieurs figures juives : André Chouraqui, Heinrich Heine, Franz
Rosenzweig ou Karl Wolfskehl. Le chapitre 6 tente une approche psychanalytique
de la parabole en rétablissant l’importance d’une figure apparemment absente du
schéma narratif, celle de la mère, celle que l’on quitte vraiment en quittant la maison.
Il fait du couple des deux frères un couple de « frères ennemis devant la porte », issu
de couples mythiques comme Caïn et Abel, Esaü et Jacob. Françoise Dolto est convo-
quée pour montrer que le fils prodigue certes a péché, mais n’a pas péché contre la
loi du désir. Le chapitre 8, consacré à la réception artistique, analyse les illustrations
de l’ouvrage : vitraux, mais aussi œuvres de Dürer, Jérôme Bosch, Greuze ou Georges
de La Tour, avant de s’intéresser à des superproductions hollywoodiennes, telles que
L’Enfant prodigue de 1925. Il n’oublie pas la musique, de M-A. Charpentier à Darius
Milhaud. C’est donc un ouvrage extrêmement riche et varié que propose M.B., qui
inspirera de multiples réflexions ou approfondissements.
Élisabeth PINTO-MATHIEU
448 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Linguaggi politici nell’Italia del Rinascimento. Atti del Convegno Pisa, 9-11
novembre 2006, sous la dir. d’Andrea GAMBERINI et Giuseppe PETRALIA, Rome,
Viella, 2007 ; 1 vol. in-8°, XIV-546 p. (I libri di Viella, 71). ISBN : 978-88-8334-284-4.
Prix : € 40,00.
S’appuyant sur les études pionnières de K. Skinner et de J.G.A. Pocock, ce volume
examine les différentes formes du langage politique en Italie au cours des XIVe et
XVe siècles. Les É. cherchent à mettre en exergue ses spécificités en privilégiant des
sources parfois négligées par leurs devanciers. L’ouvrage se caractérise en effet par
un véritable souci d’interdisciplinarité. Les actes diplomatiques et notariés ainsi que
la correspondance et les statuts urbains côtoient les récits d’entrées princières, les
traités militaires et, même, l’architecture.
L’un des principaux intérêts de ce volume réside, en fait, dans la volonté des É.
de décrire une vie politique plus nuancée que l’image traditionnelle d’une Italie
de la Renaissance déchirée par deux pensées antagonistes : le régime communal,
moribond, et le principat, en pleine ascension. Certes, certaines communications
attestent bel et bien de la puissance de l’État princier dans la Péninsule. Les princes
mettent en place des stratégies de communication visant à imposer leur pouvoir,
que ce soit à travers l’architecture (P. Boucheron), les formulaires des actes princiers
(A. Airò, L. Arcangeli), la pensée juridique (F. Senatore) ou militaire (A. Gamberini)
ainsi que les institutions fiscales (F. del Tredici). Malgré tout, la plupart des textes
rassemblés dans ce volume mettent en exergue la survie d’une certaine autonomie
locale en matière décisionnelle, voire, dans certains cas, d’une véritable pensée com-
munale et républicaine. Celle-ci apparaît en fait comme une réalité que le pouvoir
princier n’est pas parvenu à effacer et avec laquelle il s’est résolu à cohabiter. À
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Milan, au temps des Sforza, les assemblées représentatives sont d’ailleurs tolérées
par le duc lui-même. La diversité des organes de prises de décisions entretient une
cacophonie propice à l’imposer comme le seul arbitre des conflits ce qui accroît
son autorité. En contrepartie, celui-ci est contraint de négocier avec des organes
intermédiaires. Le gouvernement prend donc davantage l’aspect d’un contrat que
d’une lutte (M. Della Misericordia). L’on retrouve les traces de ce phénomène tant
au sein de l’administration centrale (F. Cengarle) que dans des villes du contado où
les autorités locales – qu’il s’agisse des factions guelfes et gibelines (M. Gentile) ou
de l’université de Pise (G. Ciccaglioni) – s’érigent en intermédiaires entre la com-
munauté et le pouvoir ducal. Un phénomène similaire s’observe au sein d’autres
espaces politiques comme le marquisat de Mantoue (I. Lazzarini), le duché de Ferrare
(L. Turchi) et, bien entendu, la république de Gênes (C. Shaw). Même les révoltes
populaires, telles celles que connaît le Piémont à la fin du XIVe siècle, peuvent être
interprétées comme des tentatives de négociations directes entre les humbles et le
pouvoir central (A. Barbero).
L’ouvrage met donc en lumière deux facteurs propres au discours politique et, par
là, à l’exercice du pouvoir dans l’Italie des XIVe et XVe siècles. Il démontre la multi-
plicité des sujets capables d’élaborer un langage politique (le prince, les factions, les
grands, les communautés locales, etc.). Cette constatation en entraîne une seconde.
Face à l’augmentation des acteurs politiques, c’est le spectre des thématiques abor-
dées par les acteurs du politique qui se dilate. Outre la lutte entre le prince et les
défenseurs de l’autonomie communale, d’autres discours investissent le devant de
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 449

la scène, tel celui sur la fidélité et la vengeance. Ainsi, la vie politique italienne se
révèle bien moins hiérarchisée qu’il n’y paraît. Derrière l’ordre imposé par le prince
se cache toute la complexité de rapports de pouvoir multiformes.
Jonathan DUMONT

HUGUES DE SAINT-VICTOR, De sacramentis christiane fidei, éd. Rainer BERNDT S.J.,


Münster, Aschendorff Verlag, 2008 ; 1 vol., 647 p. (Corpus Victorinum, Textus histo-
rici, 1). ISBN : 978-3-402-10420-0.
Chef-d’œuvre doctrinal d’Hugues de Saint-Victor, le De sacramentis christianae
fidei est daté de la dernière partie de sa carrière. Il rassemble, retravaille et complète
la matière de ses écrits théologiques antérieurs, si bien qu’en préface l’auteur prie
ses lecteurs de les corriger d’après ce dernier état de sa pensée. Premier exemple
accompli d’un genre littéraire vite devenu classique, la somme de théologie, il exerce
jusqu’à la fin du Moyen Âge et au-delà une influence immense, directe à travers ses
quelque trois cents manuscrits, ou indirecte à travers Pierre Lombard, Robert de
Melun, Alexandre de Halès, Bonaventure et bien d’autres qui le citent largement et en
dépendent intimement. Aussi la parution d’une édition nouvelle, la première depuis
la Patrologia latina (1854, réimpr. en 1880), semble-t-elle propre à réjouir l’ensemble
des médiévistes. Cependant, plusieurs défauts ternissent les espérances qu’a fait
naître un travail annoncé depuis vingt ans. D’abord, l’introduction frappe par sa mai-
greur : quatre pages et demi de Prolegomena seulement décrivent le projet d’ensemble
d’édition des œuvres d’Hugues de Saint-Victor, puis les éditions imprimées du De
sacramentis, les manuscrits utilisés et les principes d’édition. Aucun effort n’est fait
pour reconstituer la généalogie des témoins et l’histoire du texte, alors que des tra-
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vaux récents ont montré le triple profit d’une démarche stemmatique : pour 1) établir
un texte solide, 2) distinguer les rédactions de l’auteur et ses repentirs, 3) décrire la
genèse littéraire de l’ouvrage et sa réception différenciée selon les siècles, les régions
de l’Europe et les catégories de lecteurs. Un tel laconisme surprend d’autant plus
que l’É. annonçait un texte établi sur un manuscrit muni de corrections autographes.
Cette espérance spectaculaire est-elle abandonnée, à juste titre pensons-nous ? La
question aurait mérité une mise au point. Seconde surprise, l’édition s’appuie sur
deux manuscrits anciens (milieu du XIIe s.), mais hétérogènes, l’un pour le livre I de
la somme hugonienne (un manuscrit privé, n° 60 des collections privées de l’I.R.H.T.),
l’autre pour son livre II (Paris, BnF, lat. 14509). Ces deux témoins successifs sont
suivis jusque dans leurs détails graphiques : ligature « & », punctus elevatus, etc., sans
que l’É. s’autorise même à redresser ou à signaler en note leurs bévues manifestes,
pourtant nombreuses (jusqu’à quatre par page, ex. negligerentius pour negligentius
dès la première page). Par bonheur, un apparat donne les leçons, souvent meilleures,
de la Patrologia latina : grâce à elles on peut rendre au texte latin un sens acceptable.
Au lieu donc d’une édition critique, dans laquelle un spécialiste engage sa respon-
sabilité scientifique, on lira la reproduction imprimée d’un témoin, choix obsolète à
l’âge de la photographie numérique. Le progrès vis-à-vis de Migne est plus visible
quant à l’identification des sources et parallèles. Encore celle-ci n’est-elle pas aussi
approfondie qu’on le souhaiterait au regard de la recherche actuelle. Ainsi, bien qu’il
soit établi de longue date que les parties II et III du livre I reprennent la matière du
De tribus diebus, ce traité n’est nulle part mentionné. À l’inverse, fallait-il citer comme
parallèles les Sermones centum présentés d’après Migne sous le nom du « pseudo-
450 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Hugo de Sancto Victore » ? Jean Châtillon a montré en 1958 qu’ils sont de Richard
de Saint-Victor, lequel en intègre une partie dans son Liber exceptionum. Certes, pour
éditer un ouvrage aussi imposant par sa taille et sa diffusion manuscrite que le De
sacramentis, il faut du temps, de la patience et du soin, mais il est hors de doute que
l’entreprise en vaut la peine, fallût-il une équipe pour l’affronter. Peut-être sera-ce
l’effet du présent travail d’inciter des éditeurs à unir leurs efforts et à offrir du De
sacramentis l’édition qu’il mérite, en étudiant l’ensemble de sa tradition manuscrite
pour offrir un texte fiable. D’ici là, on saura gré à R. Berndt, sinon de rendre inutile
l’édition de Migne souvent meilleure, du moins d’attirer l’attention sur un ouvrage
majeur de l’histoire intellectuelle médiévale et d’apporter, sur le livre I, le témoignage
d’un manuscrit médiocre, mais ancien, peu connu et dont le texte était inaccessible.
Dominique POIREL

Materiali arturiani nelle letterature di Provenza, Spagna, Italia, éd. Margherita


LECCO, Alexandrie, Edizioni dell’Orso, 2006 ; 1 vol. in-8°, 183 p. (Studi e Ricerche,
49). ISBN : 88-7694-893-7. Prix : € 17,00.
C’est dans le contexte d’une littérature méditerranéenne que la matière de
Bretagne est abordée dans ce volume, à travers huit contributions (quatre sont en
français et quatre en italien). Quatre textes concernent le domaine occitan. Parmi eux,
trois sont consacrés au Roman de Jaufre, souvent négligé par la critique arthurienne :
A. Berthelot (L’enchantement du récit : magie et illusion à la cour d’Arthur dans le Roman
de Jaufre) et G. Gouiran (Le roi et le chevalier enchanteur : les mésaventures du roi Arthur
dans le Roman de Jaufre), s’intéressant aux deux mêmes épisodes (celui où une bête
monstrueuse s’avère être un enchanteur et celui où ce même enchanteur prend la
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forme d’un oiseau), mettent en évidence leur dimension parodique et carnavalesque,
ce qui conduit A. Berthelot à proposer de retarder la datation de ce roman qui dé-
construit le modèle arthurien et ne peut que se situer en aval de la tradition. M. Lecco
(Fil de Do. Testo, immagine (e un inter-testo sconosciuto ?) nel ms. B.N. fr. 2164 del Roman
de Jaufre) étudie la représentation du roi dans Jaufre, en particulier à travers le motif
du combat d’Arthur contre un animal, que l’on retrouve sur l’archivolte de Modène.
Elle commente le programme iconographique du manuscrit BnF, fr. 2164 et propose
l’Alexandre d’Alexandre de Bernay comme intertexte possible.
La contribution de L. Lazzerini (Romanzi arturiani et lirica d’oc : casi problematici
d’intertestualità, tra animali misteriosi e perfide donzelle) s’intéresse à la lyrique occitane.
L’A. relève des cas d’intertextualité entre la lyrique d’oc et les romans arthuriens. Elle
étudie en détail Si co.l soleilhs per sa nobla clardat attribué soit à Peire de Cols d’Aorlac,
soit à Rigaut de Barbezieux : le texte et sa traduction italienne sont donnés. L’A. éclaire
certaines allusions, problématiques, par des références arthuriennes : ainsi flametz se
comprend par rapport au serpent qui crache du feu (dans Yvain, La Queste) et le nom
Vicenna par rapport à la Dame du Lac.
Deux autres articles s’intéressent au domaine ibérique. V. Orazi (Artù e Tristano
nella letteratura spagnola. XIV-XVI secolo) montre le large déploiement des aventures
arthuriennes et tristaniennes en Espagne, à travers les textes dérivés du cycle de la
Vulgate du Lancelot Graal et surtout du cycle post Vulgate. C. Lee (Artù mediterraneo :
la testimonianza del Libro del Cavallero Zifar), étudie deux épisodes fantastiques de
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 451

Zifar, les met en relation avec le modèle morganien mis en évidence par L. Harf-
Lancner et souligne la dimension arthurienne du texte.
Enfin, deux études portent sur la représentation de l’Italie dans le domaine ar-
thurien français. K. Ueltschi (Sibylle, Arthur et sainte Agathe : les monts italiens comme
carrefour des autres mondes) montre comment la représentation littéraire de l’Italie
permet de « cristalliser » les traditions antiques, celtiques et chrétiennes du monde
après la mort et elle propose un rapprochement éclairant, autour de l’autre monde
et des morts, entre le séjour d’Arthur dans l’Etna, la figure de sainte Agathe et la
Mesnie Hellequin. B. Wahlen (Nostalgies romaines : le parcours de la chevalerie dans le
Roman de Meliadus, première partie de Guiron le Courtois) montre comment le séjour
de Charlemagne en Grande-Bretagne, en contrepoint à la décadence de Rome et à la
faillite de l’Empire romain signifiées dès le début de Guiron, « incarne les désirs de
fusion du mythe impérial et des valeurs chevaleresques arthuriennes ».
Prenant en charge à la fois le traitement de la matière arthurienne dans les littéra-
tures méditerranéennes et la présence du monde méditerranéen dans cette matière,
le recueil ouvre des perspectives intéressantes, partielles certes, redondantes ou du
moins convergentes parfois car un texte atypique comme Jaufre justifie que les deux
premiers articles envisagent des problématiques proches, mais toujours stimulantes
tant il est vrai que la matière arthurienne est une grande voyageuse.
Christine FERLAMPIN-ACHER

L’enquête au Moyen Âge. Études réunies par Claude GAUVARD, Rome, École française
de Rome, 2008 ; 1 vol. in-8°, 512 p. (Coll. de l’École française de Rome, 399). ISBN :
978-2-7283-0826-2. Prix : € 57,00.
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L’enquête est omniprésente aux derniers siècles du Moyen Âge : c’est le premier
constat auquel renvoie la lecture des actes du colloque organisé à Rome en 2004 sous
la direction de F. Bougard, J. Chiffoleau et C. Gauvard. Encadrées par l’introduction
d’A. Boureau et la conclusion d’A. Padoa Schioppa, dix-huit contributions traitent
des formes et des fonctions de l’enquête, en France et en Italie principalement.
L’aspect privilégié est celui de l’enquête considérée comme technique de gouverne-
ment, en relation, tout particulièrement, avec les développements de l’État territorial.
Forme processuelle visant à la certification des faits, l’enquête intervient en matière
fiscale, administrative ou législative d’un côté, en matière juridique de l’autre. La
diversité des dossiers abordés montre néanmoins que l’apparente uniformité et
la banalité des pratiques, au cours du temps, ne doit pas masquer la pluralité des
usages. En ce sens, il est précieux de voir exposés les éléments d’une archéologie de
l’enquête, pour l’époque carolingienne et pour le XIIe siècle (en Anjou, en Bourgogne),
et d’y repérer des convergences, qui reposent notamment sur l’influence des matrices
canoniques.
Ressortent cependant d’abord, au travers des communications, les usages de l’en-
quête au service du gouvernement des hommes, en tant que moyen d’affirmation de
l’autorité et de la souveraineté, dans le rapport qu’entretient celle-ci avec la vérité. Si
l’enquête participe de l’expression idéologique du bon gouvernement, c’est d’abord
de la pratique du pouvoir qu’il est ici question, sur le plan administratif comme
sur le plan judiciaire. Aux XIVe et XVe siècles, en Italie du Nord ou en Bourbonnais,
l’enquête, instrument de l’intervention princière, dessine une géographie du pouvoir
452 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

et contribue à la légitimation de l’autorité du prince. Cette fonction de légitimation


existe également pour les rois de France à la fin du Moyen Âge ; il apparaît pourtant
qu’ici l’enquête n’est pas nécessairement un outil de décision. Mais peut-être les
historiens ont-ils eu parfois tendance à en surestimer l’importance : l’itinéraire archi-
vistique des enquêtes « administratives » de Louis IX (1247-1248) invite à prendre la
mesure d’une telle survalorisation, historiographique et patrimoniale à la fois.
Il n’est pas impossible que la documentation permette de distinguer, dans cer-
tains cas, des stratégies testimoniales, voire l’expression d’une certaine conscience
politique, ainsi dans certains dossiers relatifs aux campagnes d’Italie du Nord aux
XIIe-XIIIe siècles. Néanmoins, les effets de procédure et les processus de mise en
écrit des dépositions des témoins empêchent de considérer ces dernières comme
l’expression spontanée d’une « voix vive ». Il en ressort que l’enquête, quel que soit
son contexte, ne peut être considérée comme un outil de mesure de « l’opinion » : elle
participe à la formation et à la structuration d’un savoir commun, qui ne se réduit
pas à la constitution d’une mémoire collective. Surtout, l’enquête aspire à la vérité
d’une connaissance totalisante : les différentes contributions du volume montrent
comment la fonction de contrôle se traduit par des processus d’inventaire, de « car-
tographie », de classification des hommes et des terres (en Lauragais au XIIIe siècle,
ou en Comtat Venaissin au début du XVe siècle), parfois conduits sur le mode de
l’expérimentation.
Cette publication permet de préciser les modalités selon lesquelles l’enquête re-
coupe le spectre de l’expérience juridique et administrative de la période médiévale.
État des questions, elle constitue aussi une invitation à préciser les typologies, tant
formelles que fonctionnelles. A. Padoa Schioppa remarquait en effet qu’au-delà des
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recoupements (la certification des faits), il était difficile de reconnaître, derrière le mot
« enquête », une notion unitaire. L’actuelle fortune historiographique de l’enquête et
la diversité des objets et des approches des historiens qui s’y intéressent disent la
fécondité du jalon qu’a représenté le colloque de Rome.
Alain PROVOST

Istoire de la Chastelaine du Vergier et de Tristan le Chevalier, éd. Jean-François KOSTA-


THÉFAINE, Londres, Modern Humanities Research Association, 2009 ; 1 vol. in-8°,
112 p. (Critical Texts, 9). ISBN : 978-0-947623-68-5. Prix : GBP 12,99 ; USD 24,99.
L’histoire des amours tragiques de la Châtelaine de Vergi et d’un chevalier du duc
de Bourgogne a joui d’une immense fortune qui s’est prolongée du XIIIe (époque de
rédaction d’un bref poème anonyme en octosyllabes) au XVIIIe siècle ; elle constitue
notamment le sujet de la nouvelle 70 de l’Heptaméron.
J.F. Kosta-Théfaine publie ici la version en prose anonyme du XVe siècle, trans-
mise par un seul manuscrit (BnF, n. acq. f. 6639, d’origine italienne) ; après des
éditions anciennes, ce texte a été édité trois fois en 1985 : par B.J. Gauthier (thèse à
la Vanderbilt University), par R. Stuip, qui a publié aussi le poème du XIIIe siècle,
et par A.M. Babbi.
Disons tout de suite que, malgré sa volonté d’offrir un texte de référence, J.F.K.T.
produit une édition décevante. L’introduction ne fait que citer les travaux de R. Stuip
et, lorsqu’elle s’en éloigne, ce n’est que pour tomber dans des banalités, des approxi-
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 453

mations, voire des erreurs (sans compter les fautes de français : inserrer au lieu d’insé-
rer, dûe etc.) ; par exemple, les longs passages publiés synoptiquement aux p. 4-14 sont
loin de prouver un prétendu rapport de dérivation vers > prose (par ailleurs, on ne
comprend pas pourquoi J.F.K.T. cite le texte en vers d’après l’édition Raynaud-Foulet
de 1912 et non pas d’après l’éd. Stuip) ; la disparition des insertions lyriques dans
l’Istoire en prose, à laquelle on fait allusion p. 17-18, pouvait être utilement mise en
rapport avec le même phénomène dans d’autres remaniements contemporains (Le
Chastelain de Coucy, texte très proche de l’Istoire, ou Gérard de Nevers, mise en prose du
Roman de la Violette de Gerbert de Montreuil). La description du manuscrit (p. 20-21)
est insuffisante : rien n’est dit de la mise en page, de la décoration, de l’organisation
du recueil (qui contient quatre autres textes), ni de son histoire.
Les Remarques sur la langue (p. 24-29) sont étonnantes. À propos de la graphie,
J.F.K.T. énumère par exemple quelques traits absents dans son texte (p. 24), souligne
que « la désinence -z […] enlève l’ambiguïté de nombre du “il” masculin » (p. 26).
Pour la morphologie, la rubrique « Démonstratifs » est vide (p. 27) ; pas de paragraphe
consacré au verbe, mais des remarques isolées sur quelques désinences (p. 28). La
Syntaxe (p. 28-29) comprend au total : une observation sur l’alternance qui/lequel, une
autre sur qui = qu’i, deux sur l’emploi de la conjonction et. On ne trouvera rien sur le
lexique ni sur les locutions ou le style. Cependant, le texte contient bien des formes
qui auraient mérité ne fût-ce que d’être relevées ; je cite au hasard de la lecture : quy
au sens de si l’on (108 v°), quelques propositions infinitives (112 r°, 112 v°, etc.), ainsi
que des picardismes divers, frappants dans un manuscrit d’origine italienne : biaulté,
109 r° et ailleurs, traveillé (110 r°), elle vousist (116 v°), courcé (= courroucé, 119 v°),
effroye (p.p.f., 130 v°) etc. L’édition présente des fautes : quy (à lire qu’y, dernier mot
de la p. 33), qu’il [l’] (à lire qu’i l’, p. 35, l. 2) ; l’intégration du sujet [elles] p. 37 n. 61,
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est inutile ; regracient pour regraciant est à conserver (p. 37 n. 62 ; le copiste écrit ré-
gulièrement avent pour avant) ; p. 43 (119 r°), un brief est à lire en brief ; p. 49, J.F.K.T.
transcrit deux fois me pour ne (se vous me le cellés… ; vous me debvés point doubter…) ;
p. 51, l. 6, loyaulx doit sans doute être lu loyaulté ; p. 55, supprimer le tréma sur peü
(sic, p.p. de pouoir). Les notes au texte (p. 57-62) contiennent des remarques sur le
ms. (mot ou lettres barrés, objet de longs commentaires), et des renvois aux éditions
précédentes.
Le Glossaire, dont les critères d’établissement ne sont pas explicités, apparaît très
sélectif (170 mots environ, p. 63-68). Certains articles sont bizarres : ahontir (alors que
dans le texte on a le p.p.f. ahontee, 116 v°) ; c’onques à la lettre c, glosé par « jamais » ;
consolable, traduit par « réconfort » ; legier, par « facile, facilement, rapidement » (le
texte contient aussi la loc. de legier) ; regraciant (mais pas d’infinitif regracier, pourtant
présent dans le texte, 127 v°). On y chercherait en vain des mots comme : compareille
(110 v°), destreceuses (111 r°), entrerompre (111 v°), faintement (115 v°), janglerie (131 v°),
martireusement (111 r°), et des dizaines d’autres, pour ne rien dire des nombreuses
locutions (faire chere, donner la foy, faire diligence, faire folie, prier d’amours…), ni des
mots dont le genre ou le sémantisme ont évolué du moyen français au français
moderne (ainsi blasme fém., 108 r° ; ou malice masc., 131 r° ; merveilleuse, « étonnée »,
115 v° ; mais, « jamais », 124 r°).
La Bibliographie (p. 71-73) donne moins de renvois que le site Arlima. Le volume
comprend en annexe : la première partie du Livre d’amours du chevalier et de la dame
454 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

chastellaine du Vergier… (1540, disponible sur Gallica et déjà édité par R. Stuip), un
extrait de la nouvelle de Marguerite de Navarre (selon l’éd. Jacob, 1958) et deux poè-
mes du XVIIIe siècle (Les amours infortunés de Gabrielle de Vergy et de Raoul de Coucy,
anonyme, 1752 ; la Lettre de Gabrielle de Vergy à la comtesse de Raoul, sœur de Raoul de
Coucy, par Gabriel Mailhol, 1766).
J.F.K.T. annonce maintenant une nouvelle édition de l’imprimé de 1540 : reste à
espérer qu’il y suivra des critères plus scientifiques qu’il ne l’a fait ici.
Maria COLOMBO TIMELLI

Élisabeth CROUZET-PAVAN, Les villes vivantes. Italie, XIIIe-XVe siècle, Paris, Fayard,
2009 ; 1 vol. in-8°, 477 p. ISBN : 978-2-213-64265-9. Prix : € 27,00.
Depuis des années, É. Crouzet-Pavan poursuit sa quête d’informations sur les
villes italiennes au Moyen Âge, de l’époque communale à celle des principautés.
Son nouveau livre s’est attaché à montrer le dynamisme de villes qui à l’époque
médiévale offraient une image extraordinaire de la vie urbaine. Ces agglomérations,
dont certaines apparaissaient alors comme exceptionnellement peuplées, étaient
particulièrement actives et animées. À la conquête des campagnes proches, leur
contado, de marchés pour leurs produits industriels, riches de capitaux, dominées
par des élites entreprenantes, elles ont su affronter avec succès les problèmes urba-
nistiques, d’approvisionnement en eau, d’organisation des métiers, comme elles ont
su s’attaquer à ceux liés aux nuisances, aux risques du feu en même temps qu’elles
s’ornaient d’églises et de palais publics et privés.
Pour exposer l’ensemble des problèmes propres à toutes ces villes, l’A. a divisé
son livre en six grands groupes de chapitres. Après une introduction où elle présente
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les buts qu’elle veut poursuivre, elle se tourne vers une présentation de l’histoire
des villes italiennes à partir de l’historiographie française (Quand la France regarde
l’Italie communale), depuis Sismondi, genevois, au début du XIXe siècle, jusqu’à nos
jours. Ce chapitre est appelé à rendre de grands services à qui n’est pas familier de
la bibliographie française sur l’Italie médiévale. Mais déjà, elle annonce ce qui sera le
leitmotiv du livre : elle suivra l’histoire des villes italiennes à partir de l’observation
de ce qu’elle connaît le mieux en Italie : Venise. Puis vient l’étude des écosystèmes
vus principalement à partir du modèle vénitien. Le troisième groupe de chapitres :
la ville en chantiers est un thème bien connu de l’A. Sont ainsi illustrés les acteurs
des transformations urbaines, leurs motivations, leurs réalisations, notamment les
palais publics. Le quatrième groupe de chapitres concerne les risques et les nuisances.
L’A. est particulièrement sensible au vocabulaire propre à ces domaines et met en
valeur les deux aspects noirs de la vie urbaine médiévale : le feu et l’insalubrité. Un
cinquième groupe de chapitres est surtout dédié à la ville au travail. Y est notamment
soulignée l’importance des « métiers », mais il convient de souligner qu’y est sur-
tout étudié ce qui regarde l’activité fondamentale de Venise, la construction navale :
l’Arsenal. L’autre grande activité vénitienne, l’industrie du verre, n’a pas été oubliée,
qui s’est d’ailleurs déplacée de Torcello à Murano. Peut-être y aurait-il eu intérêt à
s’arrêter plus longuement sur l’introduction du travail de la soie en un une ville qui
était surtout intéressée à l’élaboration de produits de luxe pour équilibrer son bilan
commercial. Le dernier groupe de chapitres intitulé : L’usage de la ville entend attirer
l’attention du lecteur sur les problèmes du marché immobilier (« pierres à vendre »),
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 455

qui a été souvent négligé par les historiens des villes. Là aussi l’A. privilégie Venise.
Il faut admettre cependant qu’il s’agit d’un thème peu abordé pour les autres villes
italiennes. Elle revient par ailleurs sur des problèmes qu’elle a déjà longuement
abordés avec l’étude de la famille et de son patrimoine. Ce sont là des aspects qui
n’ont pas été sans attirer l’attention des historiens, guidés dans le cas florentin par
les livres de ricordanze. Elle termine son étude par la vie en communauté, n’omettant
pas d’insister sur les caractères propres à l’exclusion et la marginalité.
« Brève histoire comparée » dit l’A. en conclusion de son livre qui repose en fait
particulièrement sur Venise et accessoirement sur Florence. Nous ne sommes pas sans
comprendre les difficultés de réaliser une synthèse sur l’histoire des villes italiennes,
regrettant que l’intérêt soit de nouveau trop porté sur les grands centres urbains
comme ce fut trop longtemps et trop souvent le cas. Des histoires de villes moyennes
ont vu le jour, auxquelles ont collaboré des historiens français qui apparaissent trop
peu dans l’ouvrage après le grand chapitre historiographique. Il n’en reste pas moins
que l’ouvrage d’É.C.P. est appelé à rendre de grands services au public cultivé comme
aux étudiants avides de nourrir leur bagage scientifique, comme à les faire réfléchir
sur les méthodes de l’histoire urbaine (relations de l’homme au milieu, organisation
de l’espace, importance des groupes sociaux et des forces politiques, expression des
sentiments). Un index des noms de lieux et de personnes complète l’ouvrage, permet-
tant au lecteur pressé de trouver facilement une information. Une bibliographie bien
informée montre l’attention de l’A. aux grands aspects de l’histoire urbaine italienne.
Regrettons que l’appareil cartographique soit par trop réduit à l’aspect géopolitique ;
une carte des activités industrielles et du trafic commercial des grandes villes de
Gênes, Pise, Venise comme des villes de l’intérieur n’aurait pas été inutile.
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Pierre RACINE

Les cartulaires méridionaux. Actes du colloque organisé à Béziers les 20 et 21 sep-


tembre 2002 par le Centre historique de recherches et d’études médiévales sur
la Méditerranée occidentale (E.A. 3764, Université Paul-Valéry – Montpellier
III) avec la coll. du GDR 2513 du CNRS (SALVÉ – Sources, acteurs et lieux de
la vie religieuse à l’époque médiévale), sous la dir. de Daniel LE BLÉVEC, Paris,
École des chartes, 2006 ; 1 vol. in-8°, 270 p. (Études et rencontres de l’École des chartes,
19). ISBN : 2-900791-80-4. Prix : € 30,00.
Depuis deux décennies la recherche sur les cartulaires, facilitée par des outils
de travail, en particulier ceux réalisés par l’IRHT, et stimulée par des travaux
d’ampleur (P. Chastang) a progressé. Ce volume poursuit l’investigation, offrant une
chronologie implicite du phénomène de rédaction des cartulaires méridionaux du
XIe au XIIIe siècle, avec quelques prolongements jusqu’au XVIe siècle, et répondant
au moyen d’une série d’études monographiques au questionnement sur la typo-
logie des cartulaires, que présentent P. Bertrand, C. Bourlet et X. Hélary. Cette vue
d’ensemble de la « mise en recueil » des actes dans le Midi, de Marseille à Toulouse,
croise l’analyse codicologique à l’histoire des institutions et de leurs représenta-
tions. On retiendra plusieurs traits de caractères qui ressortent de ce panorama : la
précocité des cartulaires laïques (villes, familles vicomtales et comtales), l’essor de
la culture juridique méridionale qui se manifeste par l’organisation de plus en plus
raisonnée des cartulaires, par la copie souvent rigoureuse des actes (avec une atten-
456 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

tion aux souscriptions et aux sceaux), et enfin par les procédés d’authentification
des cartulaires. Les inégalités de l’historiographie apparaissent alors : si la valeur
mémorielle des cartulaires d’abbayes bénédictines a été récemment soulignée, les
cartulaires laïques sortent seulement de l’ombre. Le rôle identitaire du grand cartu-
laire de Saint-Victor de Marseille, réalisé autour de 1080, a été analysé maintes fois ;
M. Zerner reprend ici l’étude de son dossier introductif, présente également le petit
cartulaire du XIIIe siècle (qui reprend la plupart des actes écartés dans le grand) et
s’interroge sur l’authenticité de certaines pièces en se limitant à leur copie dans les
cartulaires. L’adéquation de la date d’un cartulaire avec un besoin particulier voire
une urgence, bien connu pour les cartulaires monastiques, ressort ici de plusieurs
études pour les cartulaires laïques. H. Débax montre la réponse efficace de Roger
II Trencavel au besoin de s’affirmer symboliquement suite à son abjuration et un
héritage difficile par la rédaction d’un cartulaire (plus ancien cartulaire laïque de
France, 1186-1188 puis 1203-1206), l’intensification de l’usage du sceau et enfin par
la prise du titre de vicomte d’Albi, pourtant risquée à cause de l’assimilation entre
Albigeois et hérétiques. On soulignera avec P. Chastang comment les objectifs du
commanditaire peuvent influencer la composition d’un cartulaire : répondant au
besoin de défense du patrimoine acquis et à l’usage des actes comme preuve, le cartu-
laire des Guilhem de Montpellier est composé selon une organisation claire, exposée
dans la préface que P. Chastang confronte aux rubriques et à la table récapitulative.
On notera comment le contenu d’un cartulaire peut être révélateur de l’institution
commanditaire : les cartulaires d’Arles (1093-1095) et d’Apt (1122-1124) sont des car-
tulaires d’églises cathédrales où l’évêque est encore très présent (F. Mazel). Quoique
la copie des actes de constitution d’un patrimoine propre aux chanoines y véhicule la
mémoire de la réforme canoniale initiée au Xe siècle, ces cartulaires mettent surtout
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en valeur des évêques en clivage par rapport aux exigences grégoriennes et très liés
à l’aristocratie. Outre la précocité du phénomène, l’étude des cartulaires urbains de
Toulouse (F. Bordes) et Narbonne (J. Caille) révèle les évolutions d’une pratique du
XIIIe au XVIe siècles qui verra peu à peu les registres d’enregistrement remplacer les
cartulaires. À Toulouse, l’organisation par type d’actes déjà initiée dans les cartulaires
de 1205, fut par la suite érigée en principe par une décision capitulaire de 1295 pré-
voyant un cartulaire organisé en six chapitres. En fait deux ouvrages ont résulté de
cette décision, le second étant complété pendant 200 ans. À Narbonne la réalisation
progressive des thalamus ou talmut (analyse intéressante de ce terme provençal) si
elle ne résulte pas d’un dessein aussi précis, a comme à Toulouse été suivie d’une
reliure au XVe siècle venant clore le mouvement rédactionnel.
Construction volontaire d’une entité sociale, portant sa mémoire juridique et sym-
bolique, l’objet-cartulaire fascine l’historien. On peut souhaiter qu’en tant qu’élément
des archives d’une institution et véritable émanation de son chartrier, le cartulaire
fasse plus souvent l’objet de confrontation avec celui-ci, par des études comparati-
ves, mais aussi dans le cadre d’éditions que l’on souhaiterait plus nombreuses. Les
contraintes que posent les originaux, leur conservation et leur classement partiel-
lement évoquées ici doivent être intégrées à l’examen du mouvement rédactionnel
des cartulaires.
Jean-Baptiste RENAULT
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 457

Portraits de médiévistes suisses (1850-2000). Une profession au fil du temps. Études


réunies par Ursula BÄHLER et Richard TRASCHLER, coll. Larissa BIRRER, Genève, Droz,
2009 ; 1 vol. in-8°, VIII-402 p. (Publ. romanes et françaises, 246). ISBN : 978-2-600-
01323-9. Prix : € 49,34.
Les études consacrées à l’institutionnalisation de la philologie romane en Europe
à partir de la seconde moitié du XIXe siècle semblent entrer dans une nouvelle phase
qu’illustre cet ouvrage présentant le portrait de huit romanistes suisses. Après une
série de travaux ordonnés autour du foyer parisien et de ses grandes figures – les
monographies d’A. Corbellari sur Bédier en 1997 et d’U. Bähler sur G. Paris en 2004,
le tableau d’ensemble de C. Ridoux en 2001 sur la période 1860-1914 –, voici qu’est
traité le cas d’un pays dont les romanistes se tournent aussi bien vers Berlin que
vers Paris.
Après une introduction de M.R. Jung, l’ouvrage s’ouvre sur un tableau bienvenu
que donne M. Fryba-Reber sur l’institutionnalisation de la philologie romane en
Suisse durant le dernier quart du XIXe siècle, avec des chaires de philologie romane
dans les universités alémaniques (Zurich, Bâle et Berne) et de langue et littérature
en Suisse romande (Lausanne, Fribourg, Genève et Neuchâtel). On retiendra la
conclusion selon laquelle la réception du modèle allemand s’est effectuée par
l’intermédiaire du foyer parisien. Suit une série de huit notices portant sur cinq
générations de romanistes suisses : Tobler, le père fondateur, à Zurich et à Berlin, et
Morf, le « bâtisseur déchu », tragique exemple de philologue en exil ; Meyer-Lübke,
le linguiste-philologue, et Piaget l’explorateur des XIVe et XVe siècles en littérature ;
Aebischer, spécialiste du vieux norrois, et Bezzola qui voit dans le XIIe siècle le ber-
ceau de l’Europe moderne ; Jean Rychner, artisan d’une stylistique du texte médiéval,
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et Dragonetti, ou l’esprit de la lettre, qui caractérise l’« École de Genève ». Vient enfin,
en annexe, la correspondance entre Arthur Piaget et Gaston Paris, éditée par U. Bähler
et J. Cerquiglini-Toulet, qui comprend 32 documents, dont 19 lettres de Piaget et
s’étend de 1891 à 1902 : une seule de ces lettres traite de problèmes philologiques.
On trouvera, dans cet ouvrage érudit qui s’intéresse autant à la personnalité des
romanistes qu’à leur œuvre scientifique, diverses anecdotes significatives : l’évoca-
tion des séminaires de von Wartburg à Bâle vers 1950, les aspects pittoresques et
peu reluisants de P. Aebischer, la rudesse de J. Rychner à l’égard d’A. de Mandach,
la fameuse rencontre à Gand entre R. Dragonetti et J. Lacan… Le cas d’A. Tobler
est particulièrement éclairé par la publication d’extraits de la correspondance entre
Tobler et G. Paris (malheureusement, les lettres de Paris à Tobler semblent bien être
perdues). Cette correspondance témoigne, d’une part, de la profonde intégration de
Tobler à sa nouvelle patrie, la Prusse, et d’autre part de la conception « éthique » qu’il
se faisait de la philologie : connaissance de soi-même par la connaissance d’autrui.
Un texte autobiographique de jeunesse de Tobler, intitulé Zurigo, révèle l’attrait du
jeune homme pour la musique et son désir de s’engager dans une carrière de pia-
niste. Les dernières lettres de Tobler manifestent un certain désenchantement devant
une philologie qui perd le sens de la dimension historique des textes et qui tend à
se réduire à la connaissance de la langue. Signalons aussi l’intérêt des analyses de
C. Lucken à propos des travaux de R. Dragonetti consacrés à Dante et à Mallarmé,
dans lesquels est interrogée la nature même de la création littéraire.
458 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

On ne peut que souhaiter, en prolongement de ces portraits, une étude exhaustive


sur les études médiévales en Suisse, ainsi que l’extension de ce genre de recherches
à la Belgique et à d’autres pays d’Europe occidentale.
Charles RIDOUX

Patriotische Heilige. Beiträge zur Konstruktion religiöser und politischer


Identitäten in der Vormoderne, éd. Dieter R. BAUER, Klaus HERBERS, Gabriela
SIGNORI, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2007 ; 1 vol. in-8°, 405 p. (Beiträge zur
Hagiographie, 5). ISBN : 978-3-515-08904-3. Prix : € 57,00.
Ce volume issu d’un colloque interdisciplinaire tenu à Weingarten en mars 2004
reprend la question du rôle des saints patrons dans la construction d’identités collec-
tives, religieuses et politiques, qu’elles soient urbaines, régionales, ou nationales.
Dans son introduction, G. Signori analyse d’abord l’histoire des termes « patrie »
ou « saints patriotiques/patriotes ». Elle souligne notamment le rôle des auteurs
humanistes, et de l’historiographie des temps reculés plutôt que de l’hagiographie
pour la mise en avant de saints patriotiques (p. 23).
Le gros du volume est divisé en deux parties principales, « pays et régions » et
« villes ». La première s’ouvre sur le roi Étienne (1000-1038), patron de la Hongrie ;
G. Tüskés et E. Knapp montrent combien son culte a connu d’évolutions, remanie-
ments et nouveaux usages depuis sa canonisation en 1083 jusqu’à la fin du XVIIIe s.
Avec C. Scholz à propos de Demetrios de Thessalonique (martyrisé en 303) comme
avec K. Herbers, sur les saints patriotiques espagnols des VIIIe-Xe s., on voit égale-
ment combien les conditions politiques, mais aussi des aspects pratiques ou formels,
jouent dans le succès ou non du culte.
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Les saints patrons dans le monde rural, rarement étudiés, font l’objet de l’étude
d’U. Kleine, centrée sur la Rhénanie du Moyen Âge central, et qui met en lumière
la construction d’espaces autour des patronages, mais refuse de parler de saints
« patriotiques », les groupes les vénérant n’étant ni socialement, ni géographique-
ment fermés. La même précaution est exprimée à propos du Brabant tardo-médiéval
(V. Souche-Hazebrouck), qui ne comptait pas de saint emblématique, mais apparais-
sait comme une terra beata, riche d’une multitude de saints. La Bohême hussite, vue
par A.T. Hack, avait au contraire bien ses saints patriotiques, à commencer par Jean
Hus (imitatio Christi, martyre, culte, malgré la destruction de ses reliques) et d’autres
martyrs de sa cause. Enfin H. Behlmer traite des saints patriotiques égyptiens, sur la
longue durée, en insistant sur l’égypto-centrisme de l’hagiographie copte et sur les
divers usages modernes de ce nationalisme, jusqu’aux interprétations afrocentriques
de l’histoire de l’Égypte ancienne.
La deuxième grande partie, « villes », s’ouvre sur une belle révision par
C. Dartmann du schéma de H.C. Peyer, qui voyait, pour aller très vite, le saint patron
des villes d’Italie du Nord au Moyen Âge central comme une figure consensuelle
favorisant la cohésion de la communauté urbaine ; en fait il est exceptionnel que le
patron urbain soit incontesté et qu’il n’existe pas de compétition pour se l’appro-
prier, en particulier pour contrôler ses reliques. L’historienne de l’art K. Böse analyse
la mise en scène, dans les images de Fina de San Gimignano († 1253) et Giovanna
de Signa († 1307), de leur « sainteté urbaine », car elles y apparaissent comme des
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 459

figures ascétiques spécifiquement citadines, contrairement au modèle de l’ermite


masculin.
T. Maissen présente ensuite avec le patronage de Felix et Regula dans la très réfor-
mée Zürich un magnifique exemple de réutilisation d’un élément intégrateur propre-
ment catholique, mais conservé après la Réformation ; au XVIIe s., ce sont même les
cantons restés fidèles à Rome qui se moquent de l’attitude ambiguë des protestants
envers leurs saints patrons, auxquels ils n’ont pas voulu renoncer. C’est seulement
la critique rationaliste des Lumières qui mit fin au culte zurichois de Felix et Regula,
en mettant en doute leur historicité. Dans la contribution suivante, un théologien
(M. Kloft) et une historienne médiéviste (F. Schmieder) se livrent à un panorama
de la topographie sainte de Francfort, du culte d’Agnès à celui de Charlemagne, et
concluent à une vaste mise en réseau du culte des saints dans les différentes églises
de la ville. K. Schreiner, se penchant sur le culte marial, part d’un paradoxe : comment
la « patronne universelle » peut-elle être invoquée pour la protection spécifique d’un
pays, d’une région ou d’une ville ? À l’aide d’exemples multiples, de l’Antiquité
tardive à la Première Guerre mondiale, il retrace les différentes formes du recours à
la Vierge, des icônes brandies sur les remparts de Constantinople au rosaire comme
arme contre le Mal. Il conclut que le patronage protecteur de Marie, loin de susciter
chez ses bénéficiaires des désirs de réconciliation ou de compromis, les a au contraire
encouragés à rechercher la victoire totale sur l’ennemi. Enfin le dernier article de
cette partie reste consacré à Marie, avec une réflexion sur la Vierge de Guadalupe à
Mexico, « de la conquérante à la sainte nationale » (S. Hensel).
L’ouvrage se termine par une dernière section d’ouverture sur l’époque contem-
poraine, « réemplois et nouvelles directions », avec deux contributions sur l’extension
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du culte de saint Bernard de Bade entre patriotisme local et internationalisation aux
XIXe et XXe siècles (C. Schmitt) et sur les oratorios consacrés à Boniface, miroirs d’un
culte patriotique de ce saint évangélisateur en Allemagne au XIXe s.
Ce livre atteint pleinement son objectif de rénovation de la question des saints
politiques : il propose un réexamen des concepts, un élargissement de l’objets d’étu-
de, en ne se cantonnant pas aux villes et aux royaumes, et en regardant au-delà de
l’Europe, et chronologiquement au-delà du Moyen Âge ; les ruptures de patronages,
les compétitions qu’ils suscitent, les continuités par-delà la Réforme apparaissent
nettement, même si certaines contributions ont peut-être tendance à vite attribuer
un caractère politique, ou « patriotique », à un culte de saint dès qu’il connaît un
ancrage territorial. Le volume est agrémenté de nombreuses illustrations (en noir et
blanc) et d’un index.
Olivier RICHARD

Piacere e dolore. Materiali per una storia delle passioni nel Medioevo, éd. Carla
CASAGRANDE et Silvana VECCHIO, Florence, SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2009 ; 1
vol. in-8°, 240 p. (Micrologus’ Library, 29). ISBN : 978-88-8450-325-1. Prix : € 44,00.
Cet élégant petit ouvrage recueille les interventions présentées lors d’un colloque
tenu à Pavie en 2005. Il participe de l’attention croissante que suscite la thématique
des émotions médiévales, un terrain travaillé avec ardeur ces dernières années, entre
autres par les chercheurs fédérés dans le programme de recherche EMMA (http://
emma.hypotheses.org/).
460 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Comme le relèvent dans l’introduction C. Casagrande et S. Vecchio, si le discours


médiéval sur les émotions, ou plutôt sur les passions, est vaste et traverse toute la
période en question, c’est dans des documents très divers que nous devons tenter de
le saisir ; s’il peut, en effet, être systématique, voire omniprésent, il est parfois égale-
ment fugitif et fragmentaire. Ainsi, à côté de véritables systèmes visant à organiser
les passions – tels ceux élaborés par Augustin ou Thomas d’Aquin –, existent des
éléments non organisés de discours, qu’ils se trouvent dispersés dans une pluralité
de genres littéraires ou qu’ils ne portent que sur une seule passion, ou encore qu’ils
apparaissent dans des documents dont les visées sont autres.
Quand on se trouve devant des documents aussi divers que des traités de nature
scientifique, des sommes de théologie, des œuvres de dévotion ou des ouvrages de
direction sprituelle – pour ne citer que quelques exemples –, comment rendre raison
d’un tel sujet ?
C’est dans le couple « plaisir »/« douleur » que C. Casagrande et S. Vecchio ont
trouvé un point d’ancrage possible de cette multiplicité de discours et d’éléments : à la
fois un « point d’observation » et un « point de raccordement » des différents registres
sur lesquels se situent ces discours. Ce choix est d’autant plus judicieux que ces deux
termes sont de toute évidence récurrents dans les textes les plus variés, et cela jusque
dans ceux de nature non systématique. Par ailleurs, plus que des notions autonomes,
« plaisir » et « douleur » constituent deux « pôles notionnels », dialectiquement reliés
dès l’Antiquité. S’ils permettent ainsi d’inscrire l’histoire des émotions dans la lon-
gue durée, ce n’est que pour mieux mettre en évidence les changements produits au
Moyen Âge par l’idée chrétienne de la douleur salvifique : à la douleur provoquée
par le regret des plaisirs (illicites) répond le plaisir entraîné par la douleur dans la
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mesure où celle-ci amènera le salut.
Les études ici rassemblées sont fort diverses, et cet aspect est bien exprimé dans
le sous-titre de l’ouvrage qui annonce (modestement) des « matériaux pour une his-
toire des passions au Moyen Âge ». Certaines des contributions portent sur l’un des
deux termes, « plaisir » ou « douleur », d’autres prennent en considération les deux
à la fois. Mais il ressort de l’ensemble de ces pages que l’un va rarement sans l’autre
et que, d’autre part, ils ne sont pas nécessairement opposés, ou s’ils le sont, ce n’est
pas d’une manière superficielle, disons « frontale ».
En raison de la variété des sujets traités, il est impossible de présenter ici chacune
de ces études. Les sujets abordés vont du vocabulaire de la douleur à la douceur des
larmes religieuses, de la vertu de la patience au plaisir et à la douleur du Christ dans
la théologie scolastique, en passant par le plaisir sexuel dans les textes médicaux, le
plaisir de la musique chez Nicolas Oresme… Si l’on peut regretter le fait qu’aucune
contribution ne concerne l’iconographie, la diversité et la richesse de ce recueil mon-
trent déjà clairement que non seulement « plaisir » et « douleur » forment un couple
dont la relation est mouvante et complexe, mais que chacun de ces termes constitue
bel et bien lui-même un pôle d’aggrégation de multiples éléments.
Martin ROCH
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 461

Catalina GIRBEA, Communiquer pour convertir dans les romans du Graal (XIIe-
XIIIe siècles), Paris, Éd. Classiques Garnier, 2010 ; 1 vol. in-8°, 482 p. (Bibliothèque
d’Histoire médiévale, 2). ISBN : 978-2-8124-0107-7. Prix : € 64,00.
Poursuivant les recherches autour des systèmes de valeurs mondaines et reli-
gieuses de la royauté et de la chevalerie qu’elle a entamées dans un précédent livre1,
C. Girbea s’interroge dans ce nouvel ouvrage sur la conversion dans les romans du
Graal. Le sujet n’est certes pas nouveau : la représentation de la religion dans ce cor-
pus a déjà été étudiée par A. Pauphilet et É. Gilson pour ce qui est de la Queste del Saint
Graal, par A. Micha pour le Merlin ; conversion et prédication ont fait l’objet d’études
nombreuses, en particulier par M. Zink. Actuellement, si le corpus du Graal suscite
des approches fécondes insistant sur l’autonomie du champ poétique et faisant du
saint Vessel avant tout un objet littéraire2, un retour à l’exploration des contextes
culturels et historiques se dessine, en particulier lorsque J.R. Valette s’interroge sur
les rapports entre roman et théologie3 et que dans Communiquer pour convertir C.G.
reprend le problème des rapports entre prédication et roman arthurien, en se fondant
sur les apports de la linguistique pragmatique moderne.
Une première partie étudie la thématique de la conversion dans les romans du
Graal, met en évidence des « sermons informels » et réinterprète la quête du Graal
et les liens de parenté sous l’angle de la conversion. Si la dimension cistercienne de
la Queste del Saint Graal est bien connue, C.G. renouvelle les perspectives en mettant
en évidence une influence franciscaine dans l’Estoire del Saint Graal et en suggérant
un rapport entre l’épisode où les compagnons de Joseph d’Arimathie rencontrent le
roi Evalac de Sarraz (terme qu’elle rapproche de Sarrasins) et l’aventure vers 1220 de
saint François auprès du sultan Al-Kamil en Égypte. Une deuxième partie étudie les
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stratégies de la persuasion, la présence du locuteur et les symboles de conversion,
afin de montrer comment le discours édifiant prend place dans le moule romanesque.
Une troisième partie s’intéresse à la réception du message religieux, par le biais des
adaptations (en Allemagne, en Italie, dans la péninsule Ibérique), des traductions et
des enluminures, pour conclure à la vitalité des messages religieux associés au Graal
et à leur influence vraisemblable sur les pratiques médiévales. Quinze illustrations
en noir et blanc, une bibliographie d’une vingtaine de pages et un index des noms
complètent cet ensemble soigné (malgré d’assez nombreuses coquilles inégalement
réparties dans le texte), qui constitue une synthèse éclairée et nuancée sur ce vaste
sujet et apporte des éclairages nouveaux sur les rapports entre la fiction et la reli-
gion. L’étude est bien documentée, solide. Diversifiant et recoupant les approches,
elle permet à la fois une synthèse éclairante et un renouvellement de la lecture de
certains textes (L’Estoire del Saint Graal, Perlesvaus, pour lequel il faudrait utiliser
plus systématiquement l’édition parue en 2007 – mentionnée dans la bibliographie –
d’Armand Strubel). Des pistes nombreuses sont ouvertes, que des travaux ultérieurs
ne manqueront pas d’explorer plus avant, comme la relation au théâtre ou la mise
en manuscrit. L’étude des adaptations, sujet immense, réserve certainement encore
des surprises et à côté des versions romanes, on pourra s’interroger sur Malory et sa

1. La couronne ou l’auréole : royauté terrestre et chevalerie célestielle dans la légende arthurienne


(XIIe-XIIIe siècles), Turnhout, 2007.
2. M. SÉGUY, Les Romans du Graal ou le signe imaginé, Paris, 2001.
3. La pensée du Graal. Fiction littéraire et théologie, Paris, 2008.
462 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Morte Darthur. Finalement il serait possible de s’interroger sur l’échec de la littérature


du Graal à la fin du Moyen Âge : on ne met plus alors le Graal en roman, alors même
que l’on copie toujours ces récits et qu’on les illustre plus que jamais, tandis que le
contexte historique redonne, par exemple dans le monde bourguignon, un regain
de vitalité à l’esprit de croisade. Poursuivre l’étude en la décentrant vers les XIVe et
XVe siècles permettrait peut-être d’éclairer d’un jour nouveau, face à la concurrence
d’autres modes de prédication, la place défaillante du roman.
Christine FERLAMPIN-ACHER

Böhmen und das deutsche Reich. Ideen- und Kulturtransfer im Vergleich (13.-
16. Jahrhundert), sous la dir. d’Eva SCHLOTHEUBER et Hubertus SEIBERT, Munich,
Oldenbourg, 2009 ; 1 vol. in-8°, VIII-362 p., ill. (Veröffentlichungen des Collegium
Carolinum, 116). ISBN : 978-3-486-59147-7. Prix : € 49,80.
Mise en chantier à la fin des années 1980 par des spécialistes des contacts entre
l’Allemagne et la France (M. Espagne et M. Werner), l’historiographie des transferts
culturels a depuis lors prouvé sa fécondité. La démarche consiste, on le sait, à dépas-
ser la notion d’influence, jugée trop simple et mécanique, en éclairant le processus
dynamique par lequel une culture de réception s’approprie un objet, une pratique
ou une idée venue d’ailleurs. Appliquer cette méthodologie aux relations entre la
Bohême et l’Empire germanique s’annonçait prometteur, tant il est vrai qu’il ne
s’agit pas là seulement d’aires culturelles voisines : l’appartenance politique des pays
tchèques à l’Empire et l’existence d’importantes communautés germanophones y ont
imbriqué les cultures et créé un terreau propice aux jeux subtils d’identification, de
différenciation et d’hybridation à l’œuvre dans tout processus de transfert culturel.
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Force est cependant d’avouer que ce volume, issu d’un colloque tenu en sep-
tembre 2007 au prestigieux Collegium Carolinum de Munich, n’est pas à la hauteur
des espérances. La responsabilité n’en incombe certes pas aux contributeurs, une
quinzaine de jeunes chercheurs, principalement tchèques, venus confronter avec
talent les résultats provisoires de leurs travaux. On appréciera entre autres leur
capacité heuristique à déjouer les pièges documentaires que recèlent des sources
moins limpides qu’il n’y paraît : sans prétendre à l’exhaustivité, citons les études
exemplaires dont font l’objet les testaments de la noblesse tchèque (R. Šimůnek),
les inscriptions de Bohême et d’Allemagne (J. Roháček/F.A. Bornschlegel), les rôles
d’impôt en Bohême et dans les contrées germaniques voisines (G. Vogeler), les re-
gistres d’ordination (E. Doležalová) et les sermons pragois (P. Soukup). Mais il est
regrettable que les É. n’aient pas su donner davantage de cohérence à l’ensemble,
qui vire à une succession décousue de monographies trop souvent dépourvues de
la moindre ambition comparative. On ne peut s’empêcher non plus de trouver sau-
grenue la présence d’études – par ailleurs remarquables – sur le rayonnement du
modèle parisien et ses limites (B. Carqué) ou encore sur l’impact artistique du séjour
de l’évêque Jean IV de Dražice en Avignon (J. Royt), dont le rapport avec l’Empire
apparaît pour le moins lâche… Au total, rares sont donc les A. à aborder de front
la question des transferts culturels entre Empire germanique et pays tchèques et à
en décrire les déclinaisons concrètes selon les agents, les institutions ou les lieux.
Retenons d’abord l’article, contestable, mais stimulant, de S.A. Hidin, qui cherche la
présence de marqueurs nationaux dans l’architecture religieuse des pays tchèques. Se
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 463

distinguent ensuite les belles contributions de L. Mračková, consacrée à la seconde


vie qu’a connue la musique profane du Flamand Jean Tourout en Bohême – y compris
auprès des utraquistes prompts à réemployer ses airs pour leurs cantiques latins –
et de M. Hansíková, qui traite de la réception de Lucas Cranach dans les milieux
humanistes tchèques, protestants comme catholiques. Enfin, U. Tresp retrace excel-
lemment le destin des Schlick, une famille originaire de Cheb/Eger tiraillée entre
son allégeance à la couronne de Bohême et les solidarités matrimoniales, sociales
et politiques qui l’unissaient à l’Empire. Encore ces cas d’espèce illustrent-ils des
échanges qui se font peu ou prou à sens unique, c’est-à-dire de l’Allemagne vers les
pays tchèques. On aurait pourtant aimé que fussent aussi examinées les impulsions
venues de Bohême : que l’on songe à la diffusion du modèle universitaire pragois, à
l’expansion de la congrégation canoniale de Roudnice ou à l’emploi de mercenaires
tchèques dans les armées grmaniques, les derniers siècles du Moyen Âge prouvent
assez que l’Empire a lui aussi été affecté par son contact, au demeurant de plus en
plus conflictuel, avec la Bohême.
Reste que, même en l’absence de véritable fil conducteur, le lecteur appréciera
de disposer ainsi à la fois d’une précieuse mine de renseignements sur l’histoire
culturelle de la Bohême et d’un échantillon représentatif de l’historiographie tchèque
la plus récente.
Olivier MARIN

Angela MÖSCHTER, Juden im venezianischen Treviso (1389-1509), Hanovre,


Hahnsche Buchhandlung, 2008 ; 1 vol. in-8°, IX-476 p. (Forschungen zur Geschichte
der Juden, Abt. A : Abhandlungen, 19). ISBN : 978-3-7752-5628-5. Prix : € 48,00.
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Après la publication du travail d’U. Israel portant sur les Allemands dans le
nord de l’Italie et qui prend comme étude de cas Trévise, de celui de D. d’Andrea
sur l’hôpital de la plus importante corporation laïque, l’hôpital de Santa Maria
dei Battuti, voici une nouvelle publication de thèse qui démontre la richesse de la
documentation trévisane pour la fin du Moyen Âge. Il s’agit d’un travail remanié
d’un doctorat soutenu à l’université de Trèves sous la direction d’A. Haverkamp en
2004. Le livre d’A. Möschter traite de l’histoire de la population juive de 1389 à 1509
durant la domination vénitienne puisque Trévise, le titre évoquant de lui-même la
situation politique, fait partie du domaine de Terre Ferme vénitien. La borne de 1389
correspond à la reprise en main par Venise de la ville, brièvement abandonnée, et la
date de 1509, marquée par la défaite d’Agnadello, est une importante césure dans
l’histoire vénitienne ; notamment pour le domaine de Terre Ferme construit progres-
sivement durant le XVe siècle, mais aussi pour les juifs qui se voient contraints de
partir. En effet, un aspect important du livre est d’examiner, à travers la politique
menée envers les juifs, en particulier quant à leur présence et au prêt d’argent, les
rapports avec la capitale, démontrant ainsi le degré d’autonomie, certes relatif, des
instances trévisanes face à la capitale de l’État. L’ouvrage est aussi une nouvelle
contribution à l’historiographie de l’État vénitien.
Le cœur de l’ouvrage se compose de cinq chapitres suivis d’une partie sur les
résultats obtenus et les perspectives d’étude ainsi qu’un catalogue prosopogra-
phique de 212 juifs (p. 291-350), d’une édition de sources et d’un index précis. De
beaux documents sont présentés tel le testament daté de 1400 d’un certain Süsskind
464 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

(p. 367-370), utilisé par l’A. dans une partie sur les liens de voisinage pour mettre en
évidence les contacts entre les populations juives et chrétiennes. En effet, le testateur
arrivant de Francfort depuis peu est obligé de faire appel à des interprètes, dont un
chrétien, le charretier Valentino originaire de Hongrie connaissant l’allemand. De la
sorte, toute la complexité des rapports au sein d’une ville entre les pratiquants de
religions différentes est démontrée.
Le mérite de l’A. est d’avoir non seulement fait l’histoire de la population juive
de Trévise sur la longue durée, en questionnant la validité des affirmations de ses
prédécesseurs, notamment sur la place de Trévise comme centre des juifs de l’Ita-
lie du Nord, mais aussi d’offrir une étude de cas qui intéressera au-delà du cercle
des chercheurs intéressés à la Vénétie par les thèmes examinés, comme celui des
« condotte », c’est-à-dire les pactes signés entre les autorités et les juifs. De nombreux
« portraits » de prêteurs ponctuent les différents chapitres. Ainsi, des familles de
« stars », comme celle des Rapp, une des plus riches de Nuremberg, sont présentées.
Pour les Rapp, une représentation cartographique permet de se rendre compte de
l’importance des migrations des différents membres de la famille sur un siècle ; les
déplacements sont incessants. Le travail est fondé sur une base documentaire solide
composée de sources pour la grande majorité inédite. À cela s’ajoute la maîtrise d’une
imposante bibliographie permettant des comparaisons avec les situations des autres
populations juives d’Italie, mais aussi d’Europe.
Seules des petites erreurs dans la transcription des noms des Trévisans sont à
regretter – notamment les citoyens faisant partie des conseils aux n. 28, 29 et 30
p. 208 ; par exemple le tanneur indiqué à la n. 30 est Martin Sapasorgo ou Zapasorgo
et non Sapasongo ou Zampetrus de Posnovo et non de Posirono à la n. 29 – n’enta-
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chant cependant en rien la grande qualité de ce travail qui intéressera de nombreux
chercheurs.
Matthieu SCHERMAN

Holly FLORA, The Devout Belief of the Imagination. The Paris Meditationes Vitae
Christi and Female Franciscan Spirituality in Trecento Italy, Turnhout, Brepols,
2009 ; 1 vol. in-4°, 305 p., ill. (Disciplina monastica, 6). ISBN : 978-2-503-52819-9.
Prix : € 95,00.
Avec plus de deux cents manuscrits conservés en de multiples langues, les
Meditationes vitae Christi sont un des textes les plus diffusés aux deux derniers siècles
du Moyen Âge. La parution, en 1961, d’une traduction anglaise du manuscrit ital.
115 de la BnF, accompagnée de la reproduction en noir et blanc de ses miniatures,
aux soins d’I. Ragusa et de R. Green, conféra au texte – et, plus encore, à ce témoin
d’exception – une singulière notoriété dans le monde anglo-saxon. H. Flora s’inscrit
dans cette lignée, en consacrant un livre important aux Meditationes dans ce témoin
ital. 115 de la BnF. Elle prévient que son étude portera non seulement sur le texte,
mais sur son interaction avec les miniatures qui ornent le manuscrit et qu’elle s’in-
téresse à l’œuvre tant du point de vue de la création que de la réception. Dans un
premier chapitre, elle rappelle l’état de la question et penche pour une composition
du texte vers le milieu du XIVe siècle, initialement en italien et non en latin. Elle
pense pouvoir trouver dans les Meditationes une trace de la vie dévotionnelle des
clarisses, pour lesquelles l’œuvre a été composée par un frère mineur. Le très utile
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 465

chapitre 2 détaille les cinq manuscrits qui contiennent un cycle iconographique au


sens plein et semblent des créations totalement indépendantes les unes des autres.
Une attention toute particulière est dédiée aux instructions relatives au contenu des
images à dessiner et à peindre dans le manuscrit ital. 115. Les trois chapitres suivants
s’immergent dans ce témoin, dont abondent de superbes reproductions en couleurs
au fil des pages, parfaitement servies par le grand format de la collection Disciplina
monastica. Chaque chapitre approfondit un thème spécifique, qui permet en même
temps une lecture suivie de l’œuvre : la place exceptionnelle faite à Marie (y compris
lorsqu’elle pratique elle-même la circoncision de son fils) ; l’itinérance (en particulier
lors de la fuite en Égypte) et les splendides scènes de repas (l’influence des travaux
de C.W. Bynum se sent tout au long de l’étude d’H.F.) ; enfin la pauvreté, dans une
tonalité toute franciscaine, avec des scènes stupéfiantes, telles la redistribution aux
pauvres, par Marie, des cadeaux reçus des mages ou le Christ mendiant, main tendue.
Les notations d’H.F. sur le rapport entre la vie active évangélique, présente tout au
long des Meditationes, et la vie contemplative des clarisses auxquelles l’œuvre est
initialement dédiée sont fort bien venues. La conclusion est quelque peu déroutante,
puisqu’elle entraîne vers l’église San Martino de Pise. Sans se prononcer nettement
sur un rapport de dépendance entre le cycle des fresques de l’église pisane et celui des
miniatures du manuscrit ital. 115, qu’elle préfère mettre en relation d’« interpictoria-
lité », H.F. émet l’hypothèse que le manuscrit a été réalisé à destinations des clarisses
de ce lieu. Et curieusement, ce n’est qu’en Appendice que l’A. livre une description
détaillée du manuscrit qui a été au centre de toutes ses attentions.
Le livre d’H.F. offre une lecture profonde, doublement « interactive » – entre textes
et miniatures, créateurs et lectrices – du manuscrit ital. 115 des Meditationes vitae
Christi. Mais les coordonnées de l’œuvre comme du témoin restent flottantes. Seule
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une étude codicologique et philologique de la tradition, confrontant en particulier
rédaction italienne du manuscrit de la BnF, rédaction latine et version italienne
largement diffusée (sachant que celle de l’ital. 115 s’en distingue résolument), per-
mettra de faire le clair sur les conditions de production puis de diffusion de l’œuvre.
Malheureusement l’édition latine publiée en 1997 est loin d’avoir produit pareil
éclaircissement et la récente hypothèse de S. McNamer (Speculum, 2009) demande à
être philologiquement démontrée. Quant aux analyses d’H.F., elles gagneraient par-
fois à une historicisation plus précise, en particulier par rapport aux débats internes
à l’Ordre des frères mineurs sur la pauvreté au XIVe siècle.
Jacques DALARUN

Jean PASSINI, Casas y casas principale urbanas. El espacio doméstico de Toledo a


fines de la Edad Media, Tolède, Universidad de Castilla-La Mancha, 2004 ; 1 vol.,
XX-725 p. ISBN : 84-8427-325-3.
L’ouvrage de J. Passini consacré aux maisons et aux espaces domestiques de la
ville de Tolède à la fin du Moyen Âge constitue un superbe volume de 725 pages
dont il convient de recommander la lecture. De fait, on ne peut que féliciter l’A.
pour l’ampleur du travail réalisé et pour la qualité des plans, des schémas et des
photographies. Rares sont en effet les livres qui présentent un aspect aussi esthéti-
que et l’A., dont on admirera la maîtrise des logiciels d’architecture, mérite d’être
remercié pour cet inventaire, à plus forte raison dans une cité aussi célèbre que
466 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

cette ancienne cité islamique soumise par le roi Alphonse VI en 1085. L’étude des
habitations tolédanes où l’on retrouve la trace des anciennes demeures islamiques
est pour l’archéologue d’un intérêt majeur. L’enquête parvient ainsi à repérer l’em-
placement d’anciens bains musulmans, comme le baño del Cenizal, ou de mosquées
(comme l’adarve de San Nicolás). Cette « archéologie sans fouille », comme la désigne
justement P. Toubert dans sa préface, dépasse largement les données habituellement
fournies par l’archéologie du bâti et l’ouvrage constitue en ce sens une référence
incontournable. À l’origine de l’enquête menée figure une source exceptionnelle, le
Libro de Medidas du chapitre de la cathédrale de Tolède, un inventaire détaillé des
biens immeubles relevant du chapitre dans la ville qui fut dressé vers 1491-1492 et
dont plusieurs transcriptions, proposées par J.P. Molénat, figurent en fin d’ouvrage.
L’A. met d’abord l’accent sur l’intérêt de cette source dans laquelle sont énumérées
les possessions du cabildo dans chaque quartier de la ville, les limites des parcelles
qui jouxtent ces biens et les mesures des pièces composant les demeures. Complétant
ensuite l’étude de ce document par de multiples enquêtes sur le terrain, J.P. parvient à
reconstituer le tissu parcellaire de la ville à la fin du Moyen Âge et fournit un catalogue
détaillé de tous les édifices mentionnés, dont 280 maisons identifiées et restituées.
L’examen des espaces voués au négoce s’avère particulièrement intéressant dans la
mesure où on discerne bien la transformation des alcaicerías islamiques en bâtiments
à un ou plusieurs niveaux (casa puerta), associant en même lieu des fonctions à la
fois commerciales et résidentielles depuis la fin du XIVe siècle. L’impressionnante
quantité d’échoppes de la Calle de los Alatares dont quatre-vingt quatre appartenaient
vers 1400 à un même propriétaire, don Pedro Tenorio, en fournit un autre exemple,
tout comme les mesones du Zocodover (p. 203-230), un ancien lieu de négoce ou
fundûq. Les pages relatives aux casas des quartiers font également l’objet d’une fine
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analyse dans laquelle on retrouve des patios, des cocinas, des comedores ou cenadores.
On retiendra de ces pages la disparition progressive des impasses et la présence, dans
les plus grandes demeures, d’une pièce haute, souvent à plan carré, appelée quadra
dans laquelle on retrouve le symbolisme de la qubba. En résumé, ce livre éclaire par-
faitement la transition de la ville islamique à la ville chrétienne et il serait injuste de
reprocher à l’A. la faible importance accordée à la chronologie des bouleversements
survenus au cours des XIIe et XIIIe siècles, dans la mesure où J.P. se propose de réaliser
maintenant cette recherche.
Philippe SÉNAC et Jordi GIBERT

Des Tristan en vers au Tristan en prose. Hommage à Emmanuèle Baumgartner.


Textes réunis par Laurence HARF-LANCNER, Laurence MATHEY-MAILLE, Bénédicte
MILLAND-BOVE et Michelle SZKILNIK, Paris, Champion, 2009 ; 1 vol. in-8°, 439 p.
(Colloques, congrès et conférences sur le Moyen Âge, 8). ISBN : 978-2-7453-1846-6.
Prix : € 80,00.
Ce volume présente 23 articles de collègues, élèves et amis d’Emmanuèle
Baumgartner, tous consacrés à la matière tristanienne, pierre de touche, à n’en pas
douter, de l’habileté et de la fécondité critiques de la dédicataire, et de la brillante
versatilité de ses travaux. Le beau portrait que dresse d’elle J. Dufournet à l’orée du
volume rappelle en détail l’importance cardinale de sa thèse sur le Tristan en prose,
que ses plus de trente ans n’ont pas périmée, source persistante de réflexion et de
suggestions pour tous les spécialistes de Tristan. Cette force inauguralement présente
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 467

dans l’œuvre de la critique, cette énergique curiosité de l’enquête qui fait le pouvoir
de sa postérité, s’illustre à merveille dans l’hommage qui lui est rendu dans ce li-
vre : dans une bonne part des contributions, des jugements de la grande médiéviste
lancent la réflexion ou fournissent un heureux repère pour formuler et calibrer des
conclusions. Ainsi, les ferments, les virtualités qui faisaient aussi la richesse de son
travail trouvent dans cet ouvrage un naturel prolongement, et l’on peut dire que
l’hommage fonctionne à plein.
Les problématiques variées qu’il aborde font du livre un vademecum de l’actualité
critique du Tristan en prose, d’autant que l’index de fin de volume (de L. Hincapié)
en fait un efficace outil de consultation. La bibliographie, qui ne prétend pas à l’ex-
haustivité, en complète utilement de plus anciennes.
Des articles se penchent sur les retombées formelles, dramatiques ou intertex-
tuelles de l’inscription du lyrisme dans le roman en prose (D. Hüe, R. Brusegan,
D. Demartini). Loin du lyrisme, la forme propre de la prose occupe également
C. Croizy-Naquet.
D’autres s’attachent à l’étude d’un thème – pouvoir et formes langagières
(C. Denoyelle), amour avant le philtre (C. Gaullier-Bougassas), rois du Graal
(M. Botero García), le sommeil (C. Van Coolput), « l’imagination de la mort »
(M. Bruckner), flagrants délits (N. Koble) – généralement des vers à la prose.
Certains se consacrent à des épisodes de la prose : récits étiologiques (D. Maddox),
les faux (M.N. Toury), la Nef de Joie (B. Milland-Bove), la Fontaine du Pin
(A. Combes).
Un des intérêts notables de ce volume est d’étendre le propos à d’autres traditions
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manuscrites que V.II : V.I, comme on le voit, mais aussi certains aspects de BnF 103
(J.Cl. Mühlethaler et B. Wahlen ; R. Trachsler, avec d’autres mss) ou 24400 (M. Séguy) ;
F. Vielliard édite les fragments de Poitiers.
Les versions en vers ou de lointains descendants du Tristan font également l’objet
d’études (Tristan rossignol, M. Gally ; Folies, Y. Foehr-Janssens ; Chèvrefeuille, Ysaÿe le
Triste, P. Victorin), ainsi que des traditions étrangères (italienne, R. Brusegan ; alle-
mande, D. Buschinger).
Un regret relatif est le peu d’intérêt suscité par les questions génétiques. L’article
de P. Ménard s’en charge pourtant. Consacré aux mentions de Robert de Boron dans
V.I et V.II, il apporte des éléments concrets pour reconsidérer les rapports du Tristan
à la Post-Vulgate, voire rediscuter leur datation admise.
Il y a un très grand profit à tirer de cette publication. Le volume, qui vient à son
heure dans les études tristaniennes, témoigne de directions nouvelles que peuvent
emprunter les réflexions à venir. Nombre de ces articles nous font véritablement
mieux comprendre la matière et l’écriture tristaniennes – la prose au premier chef.
Avec ce livre, nous avons affaire à l’une des plus importantes et des plus synthétiques
publications critiques sur les Tristan depuis plusieurs années. Il faut en savoir gré à
celles qui ont organisé ce remarquable rassemblement et, à sa suite, ce remarquable
volume.
Damien DE CARNÉ
468 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Bernard MERDRIGNAC, Le fait religieux. Une approche de la Chrétienté médiévale,


Rennes, P.U. Rennes, 2009 ; 1 vol. in-8°, 189 p. (Didact Histoire). ISBN : 978-2-7535-
0879-8. Prix : € 15,00.
Le titre est dans l’air du temps et le temps est aux enseignements fondamentaux.
Écrire sur le « fait religieux » dans une collection au suggestif nom de Didact Histoire,
c’est évoquer le rapport de 2002 sur L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque.
B. Merdrignac, après et avec R. Debray, prend acte de l’actuelle situation d’« inculture
religieuse » qui touche tous les milieux, y compris confessionnels, pour écrire, par le
biais de la période historique qu’il connaît le mieux, un ouvrage sur les fondamen-
taux de la culture chrétienne. Neuf chapitres quadrillent la présentation dont ceux,
essentiels, sur la doctrine, la tradition, l’Église, mais aussi ceux, plus techniques
sur clercs et laïcs, la pratique, la temporalité chrétienne, le territoire et l’espace du
sacré. Rien n’est laissé de côté : le culte des saints, la Bible dans sa tradition écrite, sa
langue latine en Occident, son exégèse ; le clergé, le monachisme, l’enseignement et
la prédication, les pratiques liturgiques, les sacrements, les sacramentaux, le temps
de l’histoire, le millénarisme, les fêtes du calendrier chrétien, les pèlerinages… Les
recherches récentes sont intégrées aux thèses déjà anciennes : le purgatoire de J. Le
Goff dans la topographie de l’Au-delà et l’inecclesiamento de M. Lauwers. La visée
est donc essentiellement pratique : il s’agit de redire les éléments fondateurs du
christianisme, dont le Moyen Âge s’avère la période la plus idoine pour l’exposé. En
page 18, le mot est prononcé : « comprendre les racines de notre civilisation ». Après
d’autres, B.M. répète à l’envi – au point de friser parfois le ton sentencieux – « la né-
cessité d’une culture religieuse à défaut de laquelle une grande partie du patrimoine
culturel occidental devient inintelligible » (p. 21). Mais, outre le souci didactique,
il y a aussi les débats contemporains sur la laïcité, la mondialisation, la dérive des
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religions, l’identité religieuse, le fondamentalisme, etc. D’où l’anachronisme de cer-
taines expressions dont le titre lui-même pour un livre d’histoire médiévale. Mais
l’A. assume : sa méthodologie sera celle de l’expérimental : « l’anachronisme, péché
mortel de l’historien, ne constitue-t-il pas en pratique l’essence de l’expérimental en
histoire ? » L’A. ose alors superposer le filtre des catégories actuelles sur les réalités
médiévales. La démarche, discutable, a le mérite d’être énoncée clairement.
L’urgence pour l’A. d’une réflexion sur le concept de fait religieux et d’une pré-
sentation exhaustive des éléments de base en quelque cent cinquante pages exigeait
d’aller à l’essentiel. Aussi le propos est-il dense, les définitions précises et systéma-
tiquement renvoyées à leur étymologie, les illustrations nombreuses. Le public visé
entend être le plus large possible, estudiantin et profane. Aussi la prose se veut-elle
libre, ponctuée de nombreuses incises et digressions, souvent à la première personne
du singulier. Le style n’est pas universitaire, ni érudit, la forme non scientifique de
sorte que l’ensemble prend l’allure d’un essai, notamment les premier et dernier
chapitres (Le fait religieux et Essai d’anthropologie chrétienne). Les notes de bas de page
sont souvent de seconde main, citant les autorités ou des manuels.
Plus qu’un écrit d’histoire de l’Église ou qu’un livre d’historien médiéviste,
l’ouvrage se veut donc d’actualité. Il conforte ceux qui ont les idées déjà claires et initie
ceux qui ne les ont pas. Il prétend débusquer les idées fausses et entend dénoncer
les confusions. Il prend place dans le débat public.
Bénédicte SÈRE
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 469

Patricia Healy WASYLIW, Martyrdom, Murder, and Magic. Child Saints and Their
Cults in medieval Europe, New York-Washington D.C.-Baltimore-Berne-
Francfort-Berlin-Bruxelles-Vienne-Oxford, Lang, 2008 ; 1 vol., 203 p. (Studies in
Church History, 2). ISBN : 978-0-8204-2764-5. Prix : € 52,30.
Les deux avant-derniers chapitres de Martyrdom, Murder, and Magic traitent de
l’histoire du « Blood Liable », croyance selon laquelle les juifs ont besoin du sang
chrétien pour remplir leurs tâches rituelles. La plupart des prétendues victimes
étaient, à partir du XIIe siècle, de tendres garçons à l’image de l’enfant Jésus. Entre
les années 1150 et 1600 nous comptons environ trente cas, un chiffre minimum sans
doute (p. 107). La thèse principale de ce livre consiste à démontrer que le choix des
enfants innocents ne se faisait pas au hasard, car depuis les grandes persécutions des
chrétiens des IIe et IIIe siècles des enfants martyrs ont occupé une place prépondé-
rante dans l’hagiographie des siècles suivants. Innocents et peut-être incapables de
toujours comprendre pleinement leurs dires et leurs actions, ces enfants martyrs ont
cependant résisté non seulement aux menaces des autorités de l’Empire, mais aussi,
parfois, aux supplications de leurs parents. Nicolas Pérégrin, né en Grèce vers 1070,
considéré par sa mère comme étant pris de folie, a été suivi pourtant par un groupe
d’admirateurs, et il aurait été l’auteur de nombreux miracles et fut même canonisé
de façon précipitée en 1098 par le pape Urbain II.
Le « premier âge féodal » de Marc Bloch nous présente un autre groupe de martyrs :
issus des grandes familles princières ou aristocratiques, ces jeunes enfants, héritiers
légitimes, n’étaient pas capables, à cause de leur âge, de défendre leurs droits. Des
rivaux acharnés, au sein même de la famille, qui cherchaient à accaparer l’héritage,
sont arrivés à se débarrasser de ces « innocents » en les massacrant. L’hagiographie,
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toujours en recherche de la sainteté, est arrivée à couvrir ces assassinats politiques
du manteau du sacré. Les victimes auraient démontré une dévotion sans faille à leur
religion durant leur courte vie.
L’éveil de l’Occident au XIe siècle a changé l’histoire de la martyrologie de façon
radicale. Après les menaces extérieures des Huns ou des Vikings, il a fallu alors
trouver un ennemi au sein même de la société. Les juifs ont constitué un objet facile
et naturel. Ils étaient faibles, invités à s’installer dans les pays d’Occident il est vrai,
mais sans l’assurance d’un séjour permanent. Surtout ils ont été soupçonnés de pra-
tiquer la magie. Les deux meurtres rituels les plus célèbres qui leur ont été imputés
sont, le premier, à Norwich en 1144 et l’un des derniers, dans l’Occident médiéval,
à Trente en 1475. Dans bien d’autres cas des centaines de juifs ont perdu la vie, sans
qu’un corps du délit soit même découvert. Ceci malgré le fait que la papauté ainsi
que les autorités civiles au plus haut niveau aient rejeté énergiquement ce fantasme
morbide nourri par les fidèles. (Exceptions : Henri III d’Angleterre qui a reconnu la
culpabilité des juifs de Lincoln en 1255 et la papauté qui a reconnu en 1558 la sainteté
du petit Simon de Trente.)
Cette tension entre l’opinion publique et l’attitude de l’échelon suprême de
l’Église et de l’État était le résultat de points de vue contradictoires. Pour la papauté
en désaccord permanent avec des manifestations de religiosité populaire, il fallait
présenter des preuves solides, sans faille, ce qui était évidemment impossible à faire.
Le peuple chrétien de son côté avait besoin de lieux sacrés et de personnes saintes
pour des raisons médicales, légales ou de sociabilité. Les miracles produits par les
470 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

saints avant leur mort et surtout après servaient comme preuve principale de la
vérité de l’histoire du meurtre rituel. On attribue au petit Simon de Trente pas moins
de cent vingt-neuf miracles entre 1475 et la moitié de 1476 (p. 133). Le pèlerinage
à Trente a continué en plein élan jusqu’au milieu du XXe siècle et même au-delà.
L’intérêt économique de la municipalité dans ces pieux touristes est évident. Il faut
noter aussi que déjà à Norwich les membres de la famille du petit William se sont
arrangés pour voler des parties de son corps pour offrir eux-mêmes des miracles,
contre rémunération, cela va sans dire.
P.H. Wasyliw, après avoir recueilli des centaines de cas, se demande dans ses
conclusions comment expliquer l’admiration pour le « petit innocent » même
aujourd’hui et de l’autre côté de l’Atlantique. À cette question il faut en ajouter bien
d’autres concernant l’attachement de gens, par ailleurs considérés comme éclairés,
aux lieux sacrés, aux pèlerinages et à la recherche du miracle. Comment expliquer la
persistance du « Blood Liable » qui semble avoir même gagné en force ces dernières
années ? Ces questions ne peuvent être résolues à mon avis par les seuls historiens.
Nous avons affaire ici à un cas complexe qui réclame un effort inter-disciplinaire pour
être traité. Le livre de P.H.W., comme bien d’autres parus ces derniers années, doit
être examiné non seulement par des sociologues et des anthropologues, mais par des
neurologues ainsi que par des gynécologues. Ainsi parviendrons-nous un jour, espé-
rons-le, à comprendre l’un des aspects les plus remarquables de notre existence.
Joseph SHATZMILLER

JAUME ROIG, Miroir. Le livre des femmes, trad. du poème valencien en prose franç. par
Marie-Noëlle COSTA, suivi de L’Unique Femme, par Stéphane SANCHEZ, Toulouse,
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Anacharsis, 2008 ; 1 vol., 262 p. ISBN : 978-2-914777-46-9. Prix : € 19,00.
Le médecin Jaume Roig écrivit son Spill vers 1460 à Callosa, où il voulait échapper
à la peste qui frappait Valence, situation qui rappelle le cadre narratif du Décaméron.
L’ouvrage s’inscrit, comme le signale l’É. et traductrice (p. 7) dans la querelle en-
tre misogynie et philogynie et, plus largement, dans le déplacement du centre de
gravité politique et culturelle de Barcelone à Valence, sous le règne d’Alphonse le
Maganime, le conquérant de Naples, désormais un carrefour entre les lettres catala-
nes et l’humanisme. Cet âge d’or des lettres valenciennes est attesté aussi par l’œuvre
poétique d’Ausias March, le roman Curial et Guëlfe (d’après certains spécialistes de
sa langue) et le plus tardif Tirant lo Blanch, qui ont fait l’objet de traductions totales
ou partielles en français. On sait que ce double foyer, Barcelone et Valence, pour
le domaine catalan continue d’être de nos jours un enjeu politique et culturel, une
source de malentendus aussi.
Jaume Roig maintient la tradition des noves rimades ou poésie narrative, ce qui est
un trait du domaine catalan à une époque où la tendance va à la prose. Il se donne
même une versification particulièrement contraignante avec des laisses de vers
quatrisyllabes. Un mérite de la traduction est de ne pas avoir oublié le genre de son
original, dont il garde çà et là la trace par le recours à des rimes internes. L’ouvrage
est cependant novateur, en ce sens qu’il cadre bien avec l’écriture du Moyen Âge
tardif ou flamboyant et nous pensons à l’essor du « moi contingent » (M. Zink) avec le
recours au récit à la première personne et sa remarquable volonté de précision dans
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 471

les repères géographiques et temporels, sans compter le thème du songe (rencontre


avec Salomon).
À l’intérieur du corpus de la misogynie, le Spill est remarquable par son option
nettement narrative, en dépit du très long Sermon de Salomon inséré dans l’œuvre, et
qui passe par le choix d’un récit très efficace à la première personne. Le héros épouse
successivement une pucelle, une veuve, une novice, sans parler d’une tentative heu-
reusement ratée avec une béguine. Sur ces épisodes conjugaux piteux se greffent,
en outre, une foule de récits, au titre de choses vues et de choses entendues au sujet
des femmes. Quant à leur inspiration, il me semble que nous ne sommes plus dans
l’exemplum et que Roig connaissait déjà la nouvelle, sans que l’on puisse trancher
entre les recueils français ou les italiens.
On serait intarissable sur la misogynie, domaine où je crois que l’on aurait à gagner
en distinguant les doctrines religieuses et les doctrines médicales, tout en faisant la
part de la volonté polémique voire de l’humour. Roig me semble trahir surtout une
volonté de s’opposer à une certaine idéalisation courtoise de la femme (en avance sur
La Célestine qui s’attaque aussi à ceux qui divinisent leur bien-aimée), position qui
lui ferait forcer le trait de la satire et de la cruauté par moments sadique. C’est par
son choix de renverser un univers idéalisateur ainsi que par son adresse narrative
que le Spill a pu être envisagé comme un précédent du roman picaresque, bien qu’il
faille, sur ce point, rappeler la postérité très maigre de l’ouvrage, avec seulement trois
éditions au XVIe siècle. Au passage, le lecteur peut trouver de curieuses notices sur
la France et Paris, dans le cadre de la guerre des Cent ans, correspondant à l’épisode
chevaleresque dans la vie du personnage.
L’introduction et les notes de M.N. Coste disent l’essentiel sur l’etat de nos
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connaissances et reprennent le sol ferme des certitudes, sans entrer en débats d’opi-
nions et d’interprétations. La tâche de traduction était complexe par le langage
elliptique de Roig et sa grande richesse lexicale. Le résultat final en est exemplaire :
une traduction non littéraliste, mais fidèle, très agréable à lire, fluide et accessible à
un lecteur de culture moyenne, fût-il étranger à la problématique médiévale. Cela
dit, et à défaut d’avoir édité ensemble l’original catalan en vers, on aurait pu envi-
sager une présentation typographique marquant le début de chaque laisse afin de
visualiser un peu la structure poétique de l’original. Une minutie en comparaison
de cette belle réussite.
Vincent SERVERAT

Roland GUILLOT, L’épreuve d’ancien français aux concours. Fiches de vocabulaire,


Paris, Champion, 2008 ; 1 vol., 516 p. (Unichamp-Essentiel, 18). ISBN : 978-2-7453-
1751-3. Prix : € 19,00.
Destiné en priorité aux étudiants préparant le CAPES et l’agrégation de lettres
modernes et de grammaire, cet ouvrage pratique, clair et très riche, rendra, nous
en sommes sûre, de véritables services non seulement aux futurs enseignants, mais
également à tous ceux que l’histoire du lexique intéresse. L’introduction expose
d’abord l’objectif de l’A. – traiter en fiches organisées selon « le modèle standard
attendu par les membres du jury » d’un peu plus de trois cents cinquante mots
« usuels ou caractéristiques de la civilisation médiévale ou susceptibles de faire l’objet
d’une question aux concours parce qu’ils sont représentatifs d’un aspect lexical et
472 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

sémantique » –, puis décrit en quelques pages les parties constitutives d’une étude
de vocabulaire bien menée (identification du mot, étymologie, sens en ancien fran-
çais, paradigmes morphologique et sémantique, sens contextuel, évolution jusqu’au
français moderne). On peut néanmoins déplorer que dans ce petit préambule, ainsi
d’ailleurs que dans les fiches elles-mêmes, certaines notions de linguistique, jugées
sans doute élémentaires par l’A., ne soient pas toujours définies. Car si ce manuel
s’adresse avant tout à des étudiants chevronnés pour lesquels l’hyponymie et autre
glissement métaphorique ou métonymique n’ont plus aucun secret, il ne faut pas
perdre de vue tous les destinataires potentiels de l’ouvrage, passionnés ou simples
curieux pour lesquels, n’en doutons pas, la définition de ces termes n’aurait pas été
inutile. Un simple renvoi à la Sémantique descriptive de P. Lerat ou au Précis de lexico-
logie française de J. Picoche, ouvrages certes anciens, mais que l’on aurait aimé trouvé
dans la bibliographie qui suit, aurait été opportun. Cette bibliographie, sommaire
de l’aveu même de l’A., regroupe les dictionnaires d’un côté, les études particulières
de l’autre. Quelques remarques sur l’art d’utiliser à bon escient tous ces ouvrages et
articles n’auraient pas été superflues et il est dommage d’avoir séparé d’une façon
aussi radicale les pages consacrées à la façon d’élaborer une fiche de sémantique et
celles dévolues à l’énumération des outils indispensables à cette élaboration. Il aurait,
nous semble-t-il, été plus judicieux d’en articuler la présentation à celle de la fiche
standard, en classant tout simplement les dictionnaires par période, afin de permet-
tre aux étudiants – on songe notamment à ceux qui débutent dans la discipline – de
préparer seuls leurs propres fiches, en complément de celles proposées.
Si, dans les 288 fiches qui suivent, les mots retenus sont, pour la plupart, attendus
et donc bienvenus, d’autres, moins « convenus » (anemi, escremir, flum, isnel, large,
tost…), permettent à l’ouvrage de se démarquer des manuels du même genre. Et il
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s’en démarque d’autant mieux que l’ordre d’exposition choisi, rigoureux et systé-
matique, donne une véritable méthode de travail aux étudiants. De plus, les renvois
permanents entre les fiches, les répétitions fréquentes, dont on ne vantera jamais
assez les vertus pédagogiques – duel est par exemple traité de façon succincte dans
le paradigme sémantique du mot angoisse avant de bénéficier d’une fiche spécifi-
que –, ainsi que les explications fournies pour justifier du passage d’un sens à un
autre, d’une synchronie à une autre, simples, mais jamais simplistes, contribuent
efficacement à faciliter le travail d’apprentissage. Les paradigmes morphologique
et sémantique, et l’on en sait gré à l’A., ne se réduisent pas à des listes : les mots qui
les composent sont définis et les liens qu’ils entretiennent avec le terme traité sont
toujours clairement énoncés. Si l’on peut parfois regretter l’absence de tel ou tel
sens, considéré sans doute, le plus souvent à juste titre d’ailleurs, comme marginal
par l’A., on saluera néanmoins la mention d’acceptions rares et de très nombreuses
expressions idiomatiques dont la connaissance est indispensable à la compréhen-
sion des textes du Moyen Âge. L’A. ayant réussi à en dire assez sans jamais en dire
trop, danger qui guette tout lexicologue bien intentionné, les fiches, de dimension
raisonnable, sont aisément mémorisables et d’une lecture agréable.
L’ensemble est assorti d’un index des entrées, qui, laissant malheureusement
échapper un certain nombre de mots énumérés dans les paradigmes, ne reflète
que de façon imparfaite le contenu, et la richesse, de l’ouvrage : il est par exemple
dommage qu’un terme comme fretin, dont la parenté avec fraindre est loin d’aller
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 473

de soi, n’y soit pas répertorié. Un index des mots mentionnés aurait rendu de bien
meilleurs services.
Nous conclurons en disant que le livre de R. Guillot a largement atteint son
objectif. Ce n’est pas un manuel de plus qui vient grossir les rayonnages, déjà bien
fournis, consacrés à la préparation aux concours. Alliant le savoir-faire au savoir,
cet ouvrage « prêt à l’emploi » répond à un vrai besoin. C’est, pour les étudiants de
lettres, le livre qui manquait !
Christine SILVI

Roger COLLINS, Die Fredegar-Chroniken, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, 2007 ;


1 vol., XVI-152 (M.G.H., Studien und Texte, 44). ISBN : 978-3-7752-5704-6. Prix :
€ 20,00.
Nous sommes en présence de ce qui pourrait être l’introduction à une nouvelle
édition de la Chronique de Frédégaire. Inutile de parler de Pseudo-Frédégaire, ce
qui supposerait que l’on en connaisse un qui soit le vrai, comme le Pseudo-Jérôme
par rapport à Jérôme : adoptons résolument le nom de Frédégaire pour désigner
l’anonyme auteur de ce texte, nom qui n’est attesté dans les manuscrits qu’à partir
du XVIe siècle, mais qui existait à l’époque franque. Les historiens connaissent ce
texte comme beaucoup d’autres grâce à l’édition de référence des M.G.H.1 établie
par B. Krusch qui a publié les quatre livres de la Chronique « et ses continuations ».
L’apport majeur de R. Collins est de montrer qu’il ne s’agit pas de « continuations »,
mais que les textes que l’édition de B. Krusch nous a amené à considérer comme
telles sont en fait une autre œuvre intitulée Historia vel gesta Francorum. La démons-
tration se fonde, en bonne méthode, sur un retour aux manuscrits : B. Krusch a en
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effet articulé sur le texte de Frédégaire (dont le meilleur témoin est un manuscrit du
début du VIIIe s., BnF, lat. 10910) des textes qu’il considère comme des continuations,
qui sont connus par des manuscrits de la fin du VIIIe et du IXe siècle dont la partie
correspondant à la période couverte par la Chronique de Frédégaire n’est pas le texte
de Frédégaire : les traditions manuscrites des deux textes sont totalement séparées.
Il convient donc désormais de distinguer la Chronique de Frédégaire, ouvrage en
quatre livres, rédigé par un auteur unique vers 660 selon R.C., dont le premier témoin
est la manuscrit de la BnF cité plus haut, daté de 714/715. Cette chronique déroule
l’histoire depuis le création du monde jusqu’en 642, date à laquelle elle s’interrompt
brutalement. Traditionnellement, seul le quatrième livre (584-642) était considéré
comme historique parce qu’il traitait d’événements contemporains : c’est lui qui a
été le plus étudié, traduit en anglais (Wallace-Hadrill, 1960), allemand (Küstering
et Haupt, 1994) et plus récemment en français avec une excellente introduction
(Devillers et Meyers, 2001). Cette chronique a très mauvaise réputation chez les lati-
nistes classiques pour sa langue « épouvantable » dont M. Banniard a montré que, de
fait, il s’agissait presque de proto-roman. Au terme de son étude, R.C. montre qu’il
faudrait apporter un certain nombre d’améliorations à l’édition de B. Krusch, mais
que pratiquement, on peut continuer à la considérer comme de référence.
Les « sogennante » continuationes (de 642 à 768) sont en revanche une autre œuvre.
Elles font partie d’un ouvrage autonome en trois livres qui, eux aussi, débutent avec

1. Series rerum merovingicarum, t. 2, Hanovre, 1888, rééd. 1963.


474 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

la création du monde, mais qui conduisent jusqu’en 751, sans rupture en 642. Il est
suivi d’une seule vraie continuation pour la période 751-768. Cet ouvrage est écrit
dans une langue qui sent déjà sa réforme carolingienne. On en connaît au moins 12
manuscrits, dont la tradition est difficile à établir. Dans l’un d’eux (Bibliothèque va-
ticane, Reg. lat. 213), juste après l’évocation du sacre de Pépin III en 751, un colophon
indique le nom de l’auteur et le titre que ce dernier a donné à l’ouvrage : « C’est jusque
là, que le comte Childebrand, homme illustre, oncle du roi Pépin, a fait écrire le plus
exactement possible, historiam vel gesta Francorum ». Nibelung, fils de Childebrand,
a fait ensuite rédiger la seule continuation, conduisant du sacre de Pépin à l’avène-
ment de ses fils Charles et Carloman en 768, ce qui renforce la dimension dynastique
carolingienne de l’Historia vel gesta Francorum.
Ce qui amène à relire (ou plutôt à lire enfin) dans ces manuscrits la partie ancienne
de l’œuvre, celle qui correspond à la période traitée dans la Chronique de Frédégaire,
depuis la création du monde. On s’aperçoit alors qu’il s’agit de textes différents,
mettant en œuvre des sources communes, mais aussi bien d’autres sources ; qu’ils
sont agencés différemment (trois parties et non quatre avec des continuations) ; que
leur langue est différente. Nous n’avons pas d’édition de cette Historia : R.C. l’appelle
de ses vœux, mais ne l’a pas établie. Il prévient qu’elle sera difficile à réaliser tant
la tradition manuscrite est complexe. Le plus ancien manuscrit date de 800, mais ce
n’est pas l’archétype que notre A. situerait volontiers vers 787. Il montre que le texte
qui s’achève en 751 est entièrement commandé par l’élévation au trône de Pépin III :
il présente tout ce qui peut la justifier et ne dit rien des résistances qu’elle a rencontré.
Pour la continuation de Nibelung (751-768), le texte met en avant tout ce qui magnifie
le rôle du roi franc face à la papauté et aux Lombards : il pourrait avoir été écrite au
moment où Charlemagne est devenu roi des Lombards (774).
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Conclusion : nous avons, avec l’édition de B. Krusch une édition correcte de la
Chronique de Frédégaire proprement dite (jusqu’en 642). L’édition de l’Historia vel
gesta francorum reste à faire. Mais ce texte est définitivement révélé aux chercheurs
dans son originalité : il faut recourir aux manuscrits et le traiter indépendamment
de la Chronique de Frédégaire.
Michel SOT

Le plurilinguisme au Moyen Âge. Orient-Occident. De Babel à la langue une, éd.


Claire KAPPLER et Suzanne THIOLIER-MÉJAN, Paris, L’Harmattan, 2009 ; 1 vol. in-8°,
378 p. (Méditerranée Médiévale). ISBN : 978-2-296-08196-3. Prix : € 34,00.
Ce recueil, placé sous le patronage attendu de Raymond Lulle, est consacré à
la question du dialogue des langues dans les traditions occidentales et orientales
à l’époque médiévale. Ce thème est désormais assez bien connu des chercheurs ;
cependant l’ouvrage est orienté dans une double perspective qui en fait le prix :
d’une part, il propose une réflexion sur la coexistence souvent concurrentielle des
diverses langues vernaculaires en littérature, en diglossie avec une langue scientifi-
que ou sacrée, comme le latin ou l’arabe ; d’autre part, il éclaire la richesse du bassin
méditerranéen à cet égard, notamment les domaines espagnols – castillan, galicien
et catalan – et italiens – Péninsule et Sicile. Les articles sont accompagnés en fin
d’ouvrage de résumés français ou anglais et organisés en diverses parties : les espaces
du plurilinguisme ; les acteurs que sont les voyageurs et traducteurs ; les théoriciens
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 475

de la langue, tels Lulle, Brunet Latin ou Alain de Lille ; enfin, le plurilinguisme en tant
que thème poétique ou spirituel, à travers certains mythes bibliques ou coraniques.
La dernière partie, constituée d’un article de F. Antonovich sur le plurilinguisme
dans le Caire moderne, quoiqu’intéressant, semble un rajout.
Le plurilinguisme s’inscrit d’abord dans certains espaces dont il révèle l’histoire
mouvementée : son essence est sociale et politique, reflet de relations de pouvoir sé-
dimentées par le temps. L. Carruthers retrace l’histoire du kaléidoscope linguistique
qui caractérise les îles Britanniques médiévales, au carrefour du roman, du celtique
et du germanique ; I. Short, se plaçant à l’époque de Chaucer, complète cette étude
en montrant, à partir d’un document d’archive du début du XIVe siècle, que les
anglophones monolingues sont alors largement majoritaires face aux francophones
bilingues. Les relations des langues au pouvoir, qu’il soit culturel ou public, sont
envisagées par C. Guimbard, à partir d’une analyse de la « langue parfaite » chez
Dante, notion paradoxale dans la mesure où elle doit être à la fois d’utilité publique
et accessible seulement à une élite. V. Cunha revient sur la question du galicien por-
tugais chez Alphonse le Sage et ouvre à une analyse, un peu rapide, de la question
des langues chez les troubadours occitans. Le descort de Raimbaut de Vaqueiras est
étudié plus en détail par N. Wilkins, qui aborde le problème du jeu des langues en
musique.
La seconde partie de l’ouvrage, éclairant les relations entre les traducteurs et les
pouvoirs en Provence et en Sicile, nous semble l’une des plus cohérentes et intéres-
santes de l’ouvrage. Elle rassemble la remarquable contribution de C. Aslanov sur
J. Caspi, traducteur juif provençal du début du XIVe siècle, celle de C.P. Hershon sur la
famille des Ibn Tibbon, active au XIIIe siècle, deux articles de P. Spallino et A. Musco
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sur le rayonnement de la cour de Frédéric II à Palerme, où usage plurilingue et
construction d’un État politique étaient fortement concertés, ainsi que deux études
plus brèves de C.H. de Fouchécour et de N. Tajadod sur les traducteurs persans,
courroies de transmission de l’ouest arabe vers l’est chinois.
Objet de pouvoir, outil d’échange, la langue plurielle est aussi un thème théorique
fondamental dans la pensée philosophique et spirituelle entre le XIIe et le XIVe siècle.
Certaines contributions choisissent d’étudier dans le détail les usages plurilingues
et leurs effets chez certains A. : Marco Polo pour P. Ménard, Hildegarde de Bingen
pour J. Ferrante, Brunet Latin pour M. Pfister. Les articles de C. Chiurco sur Alain
de Lille, et surtout la très belle étude de L. Badia sur Raymond Lulle, qui va jusqu’à
l’invention d’un nouvel alphabet, offre des perspectives très stimulantes sur la
complexité de la pensée linguistique à cette période, sur ses surprenantes avancées
et sur les apories sur lesquelles elle bute.
La langue des hommes, traversée de tensions plurilingues, rêve enfin d’une lan-
gue autre et une : langue des oiseaux, étudiée par S. Thiolier à travers la figure du
perroquet dans la littérature française d’oc et d’oïl ; langue des anges que N. Shahbazi
et C. Kappler retrouvent également dans la tradition soufi et dans les textes de la
Genèse.
Estelle DOUDET
476 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Véronique GAZEAU, Monique GOULLET, Guillaume de Volpiano, un réformateur en


son temps (962-1031). Vita domni Willelmi de Raoul Glaber. Texte, traduction,
commentaire, Caen, CRAHM-Université Caen Basse-Normandie, 2008 ; 1 vol.,
138 p. ISBN : 978-2-902685-61-5. Prix : € 19, 00.
En donnant l’édition latine et la première traduction française de la Vita domni
Willelmi (BHL 8907) composée en prose rimée par Raoul Glaber (ca 980/5-ca 1047) en
l’honneur de Guillaume de Volpiano (962-1031), les A. ne se contentent pas de rendre
accessible aux lecteurs francophones un texte que l’auteur lui-même conçoit comme
étroitement lié aux Histoires1, son grand œuvre entrepris à l’instigation du même
Guillaume. Conformément à ce que suggère le titre retenu, elles offrent également
un état de la question sur le réformateur que fut ce dernier, encore appelé Guillaume
de Dijon ou de Fécamp : « sous influence clunisienne sans que les maisons qu’il a
dirigées aient jamais fait partie de l’Ecclesia cluniacensis » (p. 121).
L’ouvrage est à cet effet divisé en trois grandes parties : une introduction proposant
une Présentation littéraire et l’histoire du texte (p. 3-31) ; le texte bilingue (p. 32-79),
suivi d’un Commentaire historique qui l’explicite et, surtout, le complète (p. 81-122).
Ainsi que le soulignent à plusieurs reprises V.G. et M.G., la seule vita de Guillaume
est très insuffisante pour « reconstituer sa carrière comme l’ont fait les historiens »
(p. 8). Tout en rappelant que le texte hagiographique est informé par d’autres sources
et d’autres objectifs que ceux de la stricte biographie d’un protagoniste (p. 8-9), les A.
montrent, y compris dans les notes qui accompagnent la traduction, que les « figures
imposées de l’hagiographie » (p. 9) n’empêchent pas une réelle valeur historique.
Mais peut-être autant, sinon plus, que la carrière et l’œuvre réformatrice du « père
Guillaume », la vita éclaire la représentation qu’en avait et/ou voulait transmettre
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Raoul à la postérité. Il semble pourtant que le texte n’ait guère eu d’écho, puisqu’il ne
nous est parvenu que par deux manuscrits, dont seul l’un subsiste aujourd’hui (Paris,
Bnf, lat. 5390). C’est ce manuscrit, copié à Fécamp dans le troisième quart du XIe s.,
que les A. ont transcrit directement – d’où quelques variantes avec la première édition
scientifique du texte, donnée par N. Bulst en 19742 – et traduit, reportant l’essentiel
des éclaircissements historiques dans le commentaire qui referme le livre.
S’appuyant sur les travaux, incontournables, de N. Bulst et les acquis récents de
la recherche, cette dernière partie fait de surcroît le point sur la carrière de l’abbé
réformateur, suivant son parcours ecclésiastique et géographique pour mieux mettre
l’accent sur l’œuvre spirituelle, pédagogique, mais aussi gestionnaire et architec-
turale de Guillaume de Volpiano et l’inscrire dans son temps. C’est d’autant plus
nécessaire que s’il réforma, ou, plus exactement restaura sur les plans spirituels et
matériels (par ex. c. 6, p. 46 : ad redintegrandum diuini cultus ordinem ; c. 8, p. 50 : a fun-
damentis renouari […] templum. […] coepit ipsius ęcclesię reformandę mirificum construere
apparatum) une quarantaine de maisons bénédictines, c’est aussi parce qu’il « sut
[…] jouer de sa parentèle et de ses réseaux familiaux, pour agir sans jamais s’aliéner

1. RAOUL GLABER, Histoires, trad. M. ARNOUX, Turnhout, 1996.


2. N. BULST, Rodulfus Glabers Vita domni Willelmi abbatis. Neue Edition nach eine
Handschrift des 11. Jahrhunderts (Paris, BnF, lat. 5390), Deutsches Archiv, t. 30, 1974, p. 450-487 ;
édition reprise et traduite en anglais dans ID., Vita domni Willelmi abbatis. The life of St William,
dans RAOUL GLABER, Opera, éd. J. FRANCE, N. BULST et P. REYNOLDS, Oxford, 1989, p. 254-299.
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 477

définitivement les faveurs de l’un ou l’autre prince, respectant toujours la hiérarchie


de l’Église, même s’il lui adressa des critiques très sévères. » (p. 120).
S’il fallait faire une réserve sur cette publication, on pourrait discuter le parti
pris d’une traduction cédant souvent à une élégance qui n’est pas celle de l’original,
préférant ainsi rendre agréable un texte parfois « rugueux » (p. 9) et très en prise sur
une réalité médiévale, parfois difficile à lire pour un public du XXIe s. Mais, dans
la mesure où le texte latin est en regard, c’est là une pure critique de forme, à un
moment où doivent être encouragées des entreprises de ce genre à destination d’un
lectorat francophone.
Armelle LE HUËROU

Myriam SORIA AUDEBERT et Cécile TREFFORT, Pouvoirs, Église, société. Conflits d’in-
térêts et convergence sacrée (IXe-XIe siècle), Rennes, P.U. Rennes, 2008 ; 1 vol.,
223 p. (Histoire). ISBN : 978-2-7535-0657-2. Prix : € 16,00.
Le présent ouvrage a été conçu au départ comme un manuel destiné aux étudiants
préparant le concours d’enseignement. Il devait leur donner les connaissances de
base pour aborder la question proposée en 2009-2010 : « Pouvoirs, Église et société
dans les royaumes de France, Bourgogne et Germanie aux Xe et XIe siècles », de la
fin de l’unité carolingienne au renouveau monarchique du XIIe siècle. Il n’existait
alors aucune synthèse sur le sujet. La publication récente de plusieurs manuels étant
venue combler cette lacune1, les A. ont modifié l’économie générale et la logique in-
terne de leur livre. Elles en ont fait un ouvrage de réflexion sur les rapports entre les
pouvoirs temporel et spirituel, de l’époque carolingienne à la réforme grégorienne,
en s’appuyant sur des textes exemplaires, mais en réduisant, pour l’essentiel, leur
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champ d’observation au royaume de France et à ses marges.
Les trois premiers chapitres décrivent l’ordre carolingien et sa désagrégation ; ils
passent en revue les nouveaux royaumes et les nouvelles principautés qui se mettent
en place du IXe au XIIe siècle et ils font le tour des discussions sur l’émergence de la
seigneurie. Cette première partie montre la continuité des institutions ecclésiastiques
garantes de l’ordre social dans un monde où l’autorité publique change de mains, et
où elle s’exerce dans des cadres renouvelés et restreints.
Les chapitres 4 à 7 étudient le rôle des prêtres, des évêques et des moines dans la
société médiévale ; ils soulignent la volonté de l’Église de contrôler au plus près les
fidèles et ils pointent la contestation de l’autorité ecclésiastique établie, trop étroi-
tement associée à l’ordre seigneurial, la vigueur des débats théologiques et la mul-
tiplication des hérésies. Cette seconde partie du livre explique de façon lumineuse
l’idéologie et la montée en puissance de la réforme grégorienne qui veut rendre à
l’Église son indépendance et qui affirme la primauté romaine. Sous son impulsion,
l’Église passe du statut de simple auxiliaire du souverain et des princes à celui d’ins-
titution puissante et autonome, et elle en vient à rêver d’une théocratie pontificale.
Le huitième et dernier chapitre annonce les changements qui s’amorcent au
tournant des XIe et XIIe siècles. La reconstruction monarchique s’affirme. Les concep-

1. Notamment Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, Bourgogne et Germanie
aux Xe et XIe siècles (888-vers 1110), éd. M. LAUWERS et L. RIPART, Paris, 2008 ; Pouvoirs, Église et
société… Manuel et dissertations corrigées, éd. P. BERTRAND, B. DUMÉZIL et X. HÉLARY, Paris, 2008.
478 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

tions intransigeantes des papes se heurtent à de solides résistances et laissent place


au compromis entre pouvoir politique et autorité religieuse pour assurer la bonne
marche du monde.
On saluera, pour conclure, un ouvrage clair et utile indépendamment de tout
concours.
Willy STEURS

Nicola KAMINSKI, Wâ ez sich êrste ane vienc, Daz ist ein teil unkunst. Abgründiges
Erzählen in der Krone Heinrichs von dem Türlin, Heidelberg, Universitätsverlag
Winter, 2005 ; 1 vol., 283 p. (Beiträge zur älteren Literaturgeschichte). ISBN : 3-8253-
5126-2. Prix : € 45,00.
Le poème allemand appelé Diu Crône (c’est-à-dire la Couronne des épigones), écrit
par Heinrich von dem Türlin dans les années vingt du XIIIe siècle, est un roman
arthurien tardif qui montre les traits typiques d’un genre épigonal : En 30 000 vers
environ, les aventures des chevaliers de la table ronde du roi Arthur, se suivent. Leur
nombre proliférant et leur nature bizarre sont uniques comparées aux précurseurs
classiques tels que les romans courtois d’un Chrétien de Troyes ou – en langue
allemande – d’un Hartmann von Aue, Wolfram von Eschenbach et Gottfried de
Strasbourg, auxquels la Crône fait maintes allusions. Il semble que l’auteur a envisagé
un public qui savait goûter ces réminiscences et les distractions qu’il pouvait tirer.
Quelques traits caractéristiques du texte sont la conception d’un bonheur séculaire
situé hors du temps (la roue de Frou Sælde, une personnification de dame Fortune,
s’arrête), la jeunesse éternelle que Gawein, correspondant allemand de Gauvain et
chevalier modèle de la Crône, acquiert au cours d’une des aventures, le mal trouble
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qui menace le monde arthurien et surtout les suites des visions magiques, une sorte
de projection presque inconsciente que Gawein imagine.
Ce texte énigmatique est le sujet d’une monographie récente publiée par
N. Kaminski qui n’est pas médiéviste, mais spécialiste de la littérature allemande
moderne. L’A. soumet l’œuvre de Heinrich von dem Türlin à une lecture qui reprend
les méthodes post-herméneutiques d’un J. Derrida et d’un P. de Man. Au premier,
elle emprunte le concept de la « différence » qui fait présent sans jamais se vouer au
présent (cf. p. 41), au second, l’idée d’absence de toute profondeur sémantique (cf.
p. 91). En exploitant ces prémisses, l’A. essaie de décrire des phénomènes irritants du
texte comme la « facture schizophrène » de Gawein qui est d’un âge à la fois juvénil
et mûr (un fait que N.K. dans un geste derridien marque par le mot barré jeune) ou
la présence ultra-narrative des visions magiques.
Le point de départ d’une telle lecture est l’extérieur d’un être monstrueux, mi-
homme, mi-poisson, qui se rend à la cour du roi Arthur, qui représente le désir du
monde aventureux qui règne dans la communauté arthurienne. L’A. lie l’apparence
de ce monstre à un passage du prologue (cité dans le titre de la monographie) indi-
quant que la Crône raconte les débuts de la communauté arthurienne (son enfance)
et qu’elle en veut communiquer une partie : ein teil machen kunder (v. 167, cf. p. 16
s.). Selon N.K., le mot kunder (comparatif de l’adjectif kunde, dans le sens de « plus
connu ») renvoie au substantif allemand kunder ou unkunder qui est synonyme du
mot ungehiure et désigne les monstres. La Crône serait alors un récit de la jeunesse
éternelle du monde arthurien qui se révèle tout de même monstrueuse. Dans ses
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 479

analyses détaillés, l’A. développe cette thèse observant la concurrence du roi Arthur
et de Gawein dans leurs rôles de jeunes, expliquant la fatigue (müede) de Gawein
comme reflet de la transe de Perceval/Parzival méditant sur les gouttes de sang dans
la neige, et considérant des faits comme le dédoublement de Gawein en la personne
de Gasoein ou la fonction narrative des objets tels que la ceinture de Fimbeus.
La lecture du texte témoigne d’une connaissance exacte de la recherche et défriche
maintes relations intra- et intertextuelles (à noter sont les références au roman de
Tristan et au genre du « Tagelied », la version allemande de l’aube). Tout au contraire
de son témoin principal Gawein, l’A. ne se fatigue jamais à découvrir dans le texte
des traces et des interconnections cachés. Cependant, le lecteur consciencieux et bien-
veillant suit les expositions de l’A. avec un certain malaise. Les explications tendent
à utiliser une nomenclature philologique hardie (p.ex. hapax legomenon sémantique
pour « aventure isolée », cf. p. 38) et – comme l’exemple de l’interprétation du mot
kunder fait preuve – elles ne sont pas toujours convaincantes. Mais il va sans dire que
cette monographie comporte un aspect créateur et même provocateur qui stimulera
d’autres recherches sur le roman arthurien du Moyen Âge.
Michael STOLZ

Le notaire, entre métier et espace public en Europe, VIIIe-XVIIIe siècle, sous la dir.
de Lucien FAGGION, Anne MAILLOUX et Laure VERDON, Aix-en-Provence, Publ. de
l’Université de Provence, 2008 ; 1 vol., 298 p. (Le temps de l’histoire). ISBN : 978-2-
85399-708-9. Prix : € 27,00.
Les dix-neuf communications rassemblées sous ce titre, augmentées d’une intro-
duction et d’une conclusion, issues d’un colloque tenu à Aix-en-Provence et Marseille
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en septembre 2006, ambitionnent de porter un regard nouveau sur le notaire, dans
la longue durée et sur un espace étendu, du Chablais et d’Orléans au Portugal en
passant par le royaume de Naples et bien entendu la France du Sud-est et l’Espagne.
L’Amérique espagnole entre dans cette aire, par les trente-trois écrivains publics d’Es-
trémadure qui s’embarquent pour les Indes au XVIe siècle et contribuent fortement à
la circulation de l’écrit entre la métropole et ses colonies. La figure sociale du notaire,
son rôle de médiateur, la situation et l’influence que lui donne sa maîtrise des actes
écrits sont au centre des propos, mais le lecteur trouvera aussi de nombreux rensei-
gnements sur les actes eux-mêmes, leur forme, leur contenu et leur nombre, ou encore
l’organisation administrative et juridique du notariat, finalement si diversifiée. Le
terme de notarius apparaît dans les chartes épiscopales de Lucques vers 720, et une
catégorie sociale de gens de l’écrit, cultivée et liée à l’aristocratie locale, laïcisée dès
l’époque carolingienne, se développe ensuite en Italie. Les notaires d’Avignon et
d’Arles au XIIe siècle sont en revanche des ecclésiastiques, chanoines même parfois,
en 1214 seulement le roi de Portugal organise cette activité en nommant dans chaque
ville des personnes publiques pour instrumenter. Ce milieu connaît ensuite une forte
expansion. L’ensemble des notaires de Villeneuve, ville importante du Chablais sur la
route du Simplon et du Grand-Saint-Bernard, scelle une moyenne de 206 actes par an
au début du XIVe siècle, la production des scribes géronais atteint 20 000 actes par an
pour la décennie 1320-1330, huit notaires s’activent à Apt en même temps, entre 1450
et 1560, pour une ville qui compte entre 3 000 et 4 000 habitants. Mais il devient aussi
plus hétérogène, jusqu’au conflit ouvert à Vicence au milieu du XVIe siècle entre un
480 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

collège ancien de notaires citadins nobles et de nouveaux venus, issus de la campagne


et indépendants, portant le vieux titre de notaire impérial. Des personnalités fortes
se dégagent, qui font évoluer les pratiques du métier comme Jean de Freneto, notaire
impérial et juré du duc de Savoie au XVe siècle, ou qui s’appuient sur leur fonction
pour conquérir une situation brillante, comme Pierre-Philippe Candy, de Crémieu
en Dauphiné, auteur d’un précieux livre de raison, acheteur de biens nationaux à la
faveur de la Révolution et finalement riche notable de sa petite ville. Les notaires se
trouvent toujours, de par leur fonction, au centre de multiples relations. Ils prêtent
et empruntent aux marchands et banquiers de leur clientèle privée, comme Pierre
d’Amiens, secrétaire de la ville d’Avignon de 1482 à 1517 ; ils cumulent leur activité
avec des offices publics, comme ceux de la vicomté de Béarn, par ailleurs codifica-
teurs des grands textes publics de la seigneurie depuis la fin du XIe siècle au moins
et arbitres de nombreux conflits privés dans un cadre infrajudiciaire ; habitants des
centres urbains de la Terre Ferme de Venise au XVe siècle ils placent leur argent dans
de nombreux contrats et de multiples entreprises, accordent des crédits, ne serait-ce
que par des délais de paiements pour leurs propres actes, voire dirigent une école
et enseignent eux-mêmes la grammaire. Dans l’Orléans estudiantin du XVe siècle,
ils rédigent les actes de ceux qui, sous forme de dons, transfèrent des contentieux
difficiles aux bénéficiaires des privilèges universitaires. Au service de tous, ils le
sont des inquisiteurs du diocèse de Lausanne comme du Diable, puisque l’un d’eux
est accusé de tenir pour lui le livre de qui vient prêter hommage lors des sabbats.
Leur situation peut cependant se révéler difficile, la concurrence entre eux réduit
sans doute l’activité de certains, et leur champ d’intervention ne connaît pas une ex-
pansion continue puisqu’à Gérone au moins bon nombre d’actes auparavant passés
devant eux ne le sont plus au XVe siècle.
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Dans un livre aussi foisonnant, on peut regretter que les notaires des officialités
n’aient guère retenu l’attention, non plus que les relations entre les notaires et les
témoins, et que les fondements de la « foi publique » dans les actes n’aient pas fait
l’objet d’analyses poussées.
Vincent TABBAGH

Luciana BORGHI CEDRINI, Il trovare Peire Milo, Modène, Mucchi Ed., 2008 ; 1 vol., 543
p. (Studi, Testi e Manuali, nlle sér., 10 ; Subsidia al Corpus des troubadours, nlle sér.,
7). ISBN : 978-88-7000-513-4. Prix : € 40,00.
Annoncée par nombre d’études préparatoires, la nouvelle édition de ce trouba-
dour ardu, mais stimulant qu’est Peire Milo sort enfin. Le travail soigné et rigou-
reux de l’É. n’a peut-être pas raison de toutes les difficultés d’interprétation, mais
le progrès vis-à-vis des résultats atteints par C. Appel dans les années 1890, déjà
fort remarquables, est patent et nous réjouit. D’abord, elle attribue à Peire Milo une
cobla anonyme conservée dans le chansonnier N (BEdT 461,170b), qui vient ainsi
s’ajouter aux neuf pièces – huit chansons et une cobla – attribuées par les manuscrits
à ce troubadour dont on ne sait par ailleurs rien. Ensuite, elle confie à une introduc-
tion imposante (p. 11-427) les résultats, mais aussi les doutes jaillis de sa patiente
recherche : la tradition repose essentiellement sur les mss IKNa et les fragments ω
et z’, avec une contribution occasionnelle de CMP ; la versification n’est pas si fade
et maladroite qu’on l’a dit et semble même se situer, par endroits, dans le sillage du
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 481

trobar ric de l’époque classique ; la conception de la fin’amor y est peu orthodoxe, avec
ses accents utilitaires – la recherche du raffinement chez l’amoureux ne peut être
qu’une conséquence des faveurs octroyées par la dame – et ses notes somme toute
pessimistes. Mais c’est surtout la langue de Peire qui détonne dans le chœur assez
policé de la lyrique occitane ; et c’est donc à raison que L. Borghi Cedrini consacre
à cet aspect central – et si contradictoire qu’il a engendré des hypothèses disparates
– un examen méticuleux, qui occupe un vaste pan de son introduction (p. 161-341).
Déjà, les rimes abondent en anomalies criantes (-ATA > -ea, -A atone > -e, LATRO > lar
et *TRAGERE > trar, CREDERE > crer, *SIAT > seia et sei etc.), qui réclament une interpréta-
tion prudente, au cas par cas : la spécialiste peut ainsi rattacher certaines solutions à
des tendances minoritaires mais attestées chez les troubadours, ou bien à l’influence
exercée par des genres littéraires éloignés, telle la chanson de geste occitane, ou en-
core à des traits propres au dauphinois et aux dialectes environnants. À l’intérieur
des vers également, les formes dissonantes qu’on peut attribuer à Peire foisonnent :
CLARU > cler, ses et eses « êtes », aug « eut », da et dal etc. La conclusion du long examen
est que Peire Milo n’était pas un Italien épris de poésie occitane, mais un Occitan de
l’Est provenant peut-être de l’aire alpine, ainsi qu’il l’avait déjà proposé C. Appel –
les familles Milon et Millon sont d’ailleurs nombreuses, à l’époque moderne, dans
la Drôme, l’Isère et les Hautes-Alpes –, et ouvert aux suggestions linguistiques et
rhétoriques des genres narratifs. Dans cette perspective, il est quelque peu surpre-
nant que L.B.C. n’ait pas souligné davantage le caractère oriental de certains traits
linguistiques dont les attestations sont pourtant passées au crible : par ex., le manque
d’e- (< EX- ou S- + consonne), bien établi chez Peire, est au Moyen Âge fréquent à
l’Est, notamment lorsqu’on remonte vers le Nord du domaine (cf. par ex. BibCarpN
II, p. 91-97), et il n’est pas aisé de l’imputer simplement aux habitudes graphiques
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latines ou à l’influence des dialectes italiens proches ; s’il n’est pas le fait de la source
d’IKNz’, le pronom li au cas rég. ind. pl. est connu en Provence au XIVe siècle, grâce
au v. 245 du Roman d’Arles de Bertran Boysset (cf. RomArlH p. 163 et 270), non pas par
le biais de la Vida de sant Honorat (cf. SHonS p. CIV au sujet du v. 2516) ; de même, son
pour lor, sans être exclusif des dialectes orientaux, y est assez bien attesté (cf. SHonS
p. CVI et CXXXIII) ; lo (et ·l) pour le pronom neutre o au cas rég. est certes rare, mais
fait surface plusieurs fois dans les textes de l’Est (cf. Kjellman p. 78 et SHonS p. CV).
D’autres remarques ponctuelles seraient possibles, eu égard au nombre des questions
soulevées et des pistes de recherche que la spécialiste a su parcourir jusqu’au bout.
Au vu de ces prémisses, l’É. s’est également servie, pour évaluer les rapports
entre les témoins, des variantes linguistiques significatives : dans les chansons à
tradition plurielle I et VI-IX, on dégage aisément un groupe IKNz’, qui remonte au
même modèle et s’oppose à aω (+ C [I]) et à M (VIII) ; le caractère individuel de M
s’affiche ailleurs aussi (II) ; la cobla III également – une variation para-étymologique
sur le mot amor – est connue dans deux rédactions (N et P). Les poèmes, édités avec
soin et prudence, sur la base de la graphie d’a (seul témoin pour IV et V), sont traduits
et dûment commentés (p. 429-495). Une table des faits et des formes linguistiques
notables constitue un outil précieux (p. 497-502) ; par ailleurs, un tableau des cotes
des manuscrits utilisés et des sigles respectives aurait rendu service.
Gabriele GIANNINI
482 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Die Privaturkunden der Karolingerzeit, éd. Peter ERHART, Karl HEIDECKER, Bernhard
ZELLER, Dietikon-Zurich, Urs Graf Verlag, 2009 ; 1 vol. in-4°, 287 p. ISBN : 978-3-
85951-272-6. Prix : CHF 96 ; € 59,00.
En concomitance avec une exposition sur « Mensch und Schrift im frühem
Mittelalter », s’est tenu à l’abbaye de Saint-Gall à l’automne 2006 un important col-
loque international sur le thème plus délimité des actes privés de l’époque carolingienne.
Grâce à la collaboration de trois organisateurs du colloque (P. Erhart de Saint-Gall,
K. Heidecker de Groningen et B. Zeller de Vienne), c’est la publication des actes de ce
colloque qui nous est aujourd’hui offerte. Dès les travaux fondateurs de H. Brunner
(1880) et de plus en plus nettement affirmé au fil des travaux les plus récents, s’impose
le constat de l’extrême diversité des actes privés des VIIIe-IXe siècles. Cette dernière
concerne à la fois la facture matérielle des actes, leurs caractéristiques paléographi-
ques et diplomatiques, leurs finalités juridico-pratiques et sociales, leurs modes
d’archivage et de conservation. Elle a permis à H. Brunner d’avancer le concept
d’« Urkundenterritorien » et de proposer une distribution spatiale des actes privés
en trois grands ensembles : Italie, royaume franc, monde anglo-saxon. Les recherches
postérieures ont permis d’affiner ce concept. On parle plus volontiers aujourd’hui
d’« Urkundenlandschaften » propres, à la fois, à préciser davantage les caractères ré-
gionaux ou locaux de l’acte privé du haut Moyen Âge et donc à en autoriser des études
comparatives. On voit que, suivant un courant historiographique bien affirmé depuis
quelque deux décennies, le présent volume apporte une très intéressante somme de
recherches à caractère essentiellement régional sur la « Schriftlichkeit » carolingienne.
Celle-ci est ici saisie dans l’une de ses catégories typologiques les plus compréhen-
sives : celle de l’acte privé. Si la définition quelque peu moliéresque de l’acte privé
qui nous est donné dès le départ (p. 7 : « il faut entendre par acte privé tout ce qui
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n’est point acte public ») peut surprendre de prime abord, la suite de l’ouvrage nous
rassure sur le caractère finalement satisfaisant d’une telle typologie un peu fruste.
L’organisation du volume, après une série de trois contributions sur l’acte privé de
l’Antiquité tardive et ses prolongements au très haut Moyen Âge (Ve-VIe siècles),
traduit un choix décidé pour la clarté géographique et donc pour un regroupement
des communications par « Urkundenlandschaften ». À la lecture suivie, ce choix se
révèle pertinent et confortable. On ne peut lui faire qu’un seul reproche : celui d’avoir
renoncé à nous offrir au minimum une conclusion très étoffée sur la thématique et
la problématique générales de l’acte privé carolingien. Le coup d’œil final (Ausblick)
de W. Pohl intitulé Von der Vielfalt der Diplomatik expédie en effet en cinq pages une
telle conclusion d’une manière qui ne rend pas justice à la richesse et au sérieux des
quelque vingt communications qui donnent corps à l’ouvrage.
Il n’est pas question, dans les limites d’une recension, de reprendre ces communi-
cations une par une. Il est en revanche utile de préciser la logique spatiale qui a présidé
à leur répartition dans le corps même du volume en « Urkundenlandschaften », plus
raffinée que la vieille tripartion de H. Brunner. Les « territoires du Sud » – entendons
par là le royaume lombard et ses marges, de l’exarchat de Ravenne à l’ancien duché
de Rome –, voient leur unité recomposée en une « area romanica » imbue des traditions
toujours vivantes du notariat et du tabellionat, le cas de Rome et de son duché étant
de loin le mieux connu. Vient ensuite une distribution des actes privés de l’empire
franc en trois sous-ensembles : Ouest et Nord-Ouest (avec trois communications), Est
(avec la Bavière dévolue à H. Wolfram) et Rhétie plus Alémanie (avec trois commu-
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 483

nications, dont celles de B. Zeller et K. Heidecker centrées sur le point fort de l’aire
dominée par Saint-Gall). Une dernière série de communications est naturellement
consacrée aux espaces périphériques de l’Empire : la Catalogne (M. Zimmermann), la
Britannia (surtout continentale) et enfin le monde anglo-saxon. Sans doute pour pal-
lier l’effet un peu scolaire et convenu que pourrait avoir un tel plan, les É. ont intercalé
sous la rubrique passe-partout d’Unité et diversité deux exposés transrégionaux. Le
premier, dû à R. McKitterick, aborde les problèmes de la place de l’acte privé dans la
pratique administrative carolingienne et reprend les arguments déjà développés par
l’A. dans ses travaux antérieurs bien connus. Le second, dû à W. Brown, s’interroge
sur la fonctionnalité pratique des recueils de Formulae. Il m’a paru plus original que
le premier, mais devra être sérieusement complété par la lecture du très utile et ré-
cent travail d’A. Rio sur les Frankish Formulae, paru à Cambridge en 2009. Il faut, en
conclusion, y insister. Dans la simplicité délibérée de sa structure et dans la pertinence
très ciblée des communications, ce volume apporte beaucoup à notre connaissance
des recours multiformes à l’acte privé du haut Moyen Âge à travers les différents
espaces culturels constitutifs de l’ensemble géopolitique franc au IXe siècle. Comme
l’indique justement G. Cavallo dans un trop bref excursus (p. 237-242), un tel effort
de compréhension est indissociable des ressources offertes, au plan paléographique,
par la magnifique entreprise des Chartae Latinae Antiquiores, active avec le succès que
l’on sait depuis plus d’un demi-siècle.
Pierre TOUBERT

Alexander KOLERUS, Aula memoriae. Zu Gestalt und Funktion des Gedächtnisraums


im Tristan Gottfrieds von Straßburg und im mittelhochdeutschen Prosa-
Lancelot, Francfort-Berlin-Berne-Bruxelles-New York-Oxford-Vienne,
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Lang, 2006 ; 1 vol., 321 p. (Mikrokosmos. Beiträge zur Literaturwissenschaft und
Bedeutungsforschung, 74). ISBN : 978-3-631-54354-2. Prix : € 52,80.
Cet ouvrage étudie la présence métaphorique et topique de la conception augus-
tinienne de la mémoire dans deux œuvres de la littérature médiévale allemande qui
fournissent la structure à l’analyse : la première partie traite du Tristan de Gottfried
von Strasbourg (en particulier la scène de la grotte d’amour) et la seconde partie
du Lancelot en prose (l’épisode de la prison ou chambre aux images). L’introduction
retrace de manière concise et claire l’essentiel de la conception augustinienne de la
mémoire comme modèle du fonctionnement de la psyché humaine, comme condition
de tout mouvement intellectuel, en particulier de la volonté et de la perception du
temps. Les pratiques mnémotechniques classiques génèrent des métaphores spatia-
les qui permettent de visualiser les processus de mémorisation et de rappel.
A.K. montre qu’aussi bien dans l’héritage du poète que dans la topique qu’il
utilise à son tour se rencontrent souvent des espaces architecturaux qui renvoient
à ces conceptions, thématisant ainsi la memoria ; ces espaces sont particulièrement
révélateurs lorsqu’ils apparaissent dans un contexte d’isolement du personnage par
rapport au reste du monde : c’est proprement cet « espace de la mémoire » que la lit-
térature met en scène, en particulier comme une réponse à l’expérience qui constitue
la cause de cet isolement. Chez G. de Strasbourg, l’épisode la grotte d’amour possède
comme soubassement le conflit entre amour passionnel et société dont le souvenir et
le rappel conscient structurent toute la narration, tandis que dans le Lancelot, la prison
484 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

permet au héros de recouvrer sa capacité d’action ainsi que son identité à travers
la représentation picturale de son histoire. En effet, dans les deux cas, la mémoire
constitue une réponse à la privation de la société, qui est privation d’identité ; elle
dote celui qui est ainsi isolé d’un passé.
La problématique a donc trait au déchiffrage d’une topique littéraire à travers un
éclairage philosophique ; à l’inverse, on peut aussi l’envisager comme l’étude de la
« métaphorisation » ou mise en littérature d’un concept philosophique qui serait à la
source même des deux épisodes. C’est dans ce sens que l’ouvrage d’A.K. est novateur,
d’autant plus que la notion de mémoire n’est pas celle qui s’impose a priori comme
clef de lecture des deux passages. L’ouvrage, s’il témoigne d’une grande érudition, est
en même temps très clair ; la démonstration s’impose. Lorsque les besoins de l’ana-
lyse l’exigent, l’A. n’hésite pas à recourir à des explications de texte ni à confronter
son corpus à des œuvres extérieures (Ywein p.ex.). On souligne les développements
particulièrement stimulants sur les métaphores du pain et de la rumination ; sur les
couples Histoire-histoires, ou Histoire-mythe. Le lecteur français se heurtera tout au
plus, dans la première partie, à une structuration allant jusqu’à six sous-rubriques,
lui demandant un effort certain pour remonter jusqu’à l’idée régissante, ainsi qu’à
une légère asymétrie qui existe dans la structuration entre les deux parties, mais qui
à vrai dire n’a pas d’incidence ni sur la cohérence, ni sur la pertinence, ni même sur
l’équilibre de la démonstration.
Cette thématique de la mémoire pourra ainsi être appliquée à d’autres fragments
ou textes de la même époque et en constituer une clef de lecture féconde en particulier
au regard du triangle « auteur-lecteur-œuvre ».
Karin UELTSCHI
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Relazioni economiche tra Europa e mondo islamico. Secc. XIII-XVIII. Europe’s
Economic Relations with the Islamic World, 13th-18th Centuries. Atti della
« Trentottesima Settimana di Studi », 1-5 maggio 2006, éd. Simonetta CAVACIOCCHI,
s.l., Le Monnier, 2007 ; 2 vol. in-8°, 1 080 p. (Fondazione Istituto Internazionale di
Storia Economica « F. Datini » Prato, 2e sér., Atti delle « Settimane di Studi » e altri
Convegni, 38). ISBN : 88-00-72239-3. Prix : € 60,00.
La 38e rencontre d’histoire économique de Prato, qui s’est tenue en mai 2006,
était consacrée aux relations économiques entre l’Europe et le monde islamique. Ces
deux volumes d’actes regroupent 42 communications1, ainsi que la transcription des
débats – qui n’est pas la partie la moins intéressante. Le thème proposé est en effet
au cœur de questionnements largement renouvelés ces dernières décennies. Il aurait
sans doute mérité un cadrage plus rigoureux autour précisément de ces problémati-
ques, ce qui aurait évité un ensemble parfois un peu disparate, mêlant des études très
ponctuelles et des réflexions très générales, voire théoriques, autour de cinq thèmes :
Les musulmans en Europe (sur la péninsule Ibérique et la présence ottomane dans les
Balkans) ; les Européens dans le monde musulman (principalement axé sur l’expan-
sion européenne) ; politiques et rivalités en Europe pour la suprématie économique
dans le monde musulman (sur les mêmes questions) ; transmissions institutionnelles

1. La table des matières est consultable sur le site http://catdir.loc.gov/catdir/toc/


casalini07/07940174.pdf (dernière consultation 8 mai 2009).
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 485

et technologiques, évolution comparative des institutions et des techniques, influen-


ces réciproques et interactions ; idées, règles et perceptions économiques (en réalité
principalement sur la question des métaux précieux).
Si le monde musulman peut être relativement bien défini (à condition d’en re-
connaître la diversité et d’éviter l’essentialisme), l’Europe a visiblement embarrassé
certains A., dans la mesure où, comme le montre la première session, il y eut une
présence musulmane en Europe. En réalité, le congrès portait surtout sur les relations
entre mondes chrétiens (principalement latins) et musulmans. La période prise en
considération, dans la tradition des rencontres de Prato, couvre les derniers siècles du
Moyen Âge et l’époque « moderne » – mais les communications débordent parfois de
ce cadre. Elle présente une réelle cohérence du point de vue de l’histoire économique
et des relations entre le monde chrétien et l’Islam. C’est en effet au XIIIe siècle, ou un
peu avant, que commencent à se manifester pleinement les effets d’un basculement
économique entre les deux espaces, dû notamment à l’expansion latine, mais aussi
à des difficultés économiques dans le monde musulman. Au-delà de la description
des relations économiques, en particulier commerciales, des réseaux et des acteurs
de ces échanges, c’est ce basculement qui est interrogé, de manière plus ou moins
explicite, par ce congrès.
De manière classique, l’analyse des produits commercialisés permet de souligner
le caractère inégal de l’échange, entre un monde musulman qui exporte principale-
ment des matières premières ou des produits alimentaires pas ou peu transformés
et un monde latin qui vend les productions de son industrie, notamment textile. La
question des flux de métaux précieux, et donc de la balance des paiements fait en re-
vanche l’objet de davantage de débats, et est centrale dans plusieurs communications
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et dans certains débats, la mesure de ces phénomènes étant plus problématique. De
même, les acteurs de ces relations mis en avant sont principalement les Latins, qui
assurent une grande partie du transport maritime et imposent, du moins en partie,
les termes de l’échange. Le rôle de certains groupes intermédiaires est cependant
souligné plusieurs fois, notamment celui des minorités (juifs, musulmans et mo-
risques en péninsule Ibérique) et de personnages à la frontière des deux mondes
(captifs ou anciens captifs, renégats, mercenaires…). L’étude des emprunts croisés de
techniques et de savoirs montre le même déséquilibre, au bénéfice de l’Europe latine.
Les modalités de cette expansion européenne sont interrogées par plusieurs articles,
notamment à travers l’évolution des relations diplomatiques et des conflits entre
les grandes cités marchandes et le monde musulman, mais aussi à travers l’analyse
des infrastructures d’accueil et des colonies marchandes latines, qui constituent un
atout déterminant et une des causes du recul des acteurs musulmans dans le grand
commerce. La période prise en considération permet de suivre les évolutions sur un
temps relativement long, de montrer une certaine continuité entre le Moyen Âge et
l’époque moderne, et de revenir sur le problème de la chronologie du décrochage du
monde musulman. Alors que certains le voient apparaître dès le XIe siècle, d’autres
le placent plutôt vers le XIIIe-XIVe, alors que les modernistes montrent que à l’aube
du XVIIIe siècle rien n’est encore joué, et que les évolutions sont au contraire lentes,
les structures de l’échange se mettant en place progressivement, par une codification
de normes et de coutumes longuement sédimentées.
486 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

Mais le plus intéressant dans ce congrès est la remise en cause, par certains inter-
venants, de cette idée même de déclin du monde musulman, et de la pertinence de
cette présentation dissymétrique. La communication de M. Shatzmiller, qui suscita
un certain enthousiasme lors du débat, revient sur l’héritage historiographique de
chercheurs comme E. Ashtor ou C. Cahen qui ont longuement réfléchi, au siècle
dernier, sur cette notion de déclin et l’ont considéré d’emblée comme un fait acquis
pour les derniers siècles du Moyen Âge. Elle conteste en particulier le recul de l’acti-
vité manufacturière et le rôle supposé néfaste de l’intervention de l’État ou de la Loi
musulmane, et invite à étudier l’histoire économique des pays d’Islam en soi, et non
par comparaison avec la situation européenne, ou en lien avec le grand commerce
méditerranéen. Elle rejoint en cela le refus, affirmé dans l’introduction du volume et
par plusieurs A., de l’européocentrisme. Ce vœu se heurte cependant à une difficulté,
que souligne d’une certaine manière l’absence dans ce congrès de médiévistes ve-
nant du monde musulman : avant le XVIe siècle, les sources arabes exploitables pour
l’histoire économique du monde musulman sont rares, et surtout n’apportent guère
d’informations quantitatives en raison de la perte des documents d’archives. Une
telle dissymétrie des sources, et la difficulté que l’on a à mesurer autre chose que ce
qui fait l’objet d’un commerce par les Latins invitent donc à une certaine prudence –
quelle que soit, du reste, la thèse que l’on cherche à défendre. B. Braude montre ainsi
que le rôle des marchands musulmans de l’Empire ottoman a été systématiquement
sous-estimé, tandis que F. Apellaniz souligne que les Mamelouks ont développé
une véritable politique commerciale, fondée sur le système du cottimo, et qui ne se
limite pas à une simple imposition de monopoles. Surtout, comme le souligne encore
B. Braude, l’espace couvert par le congrès, s’il s’étend à tous les pays musulmans
riverains de la Méditerranée, du Maghreb à la Turquie et aux Balkans, ne va guère
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au-delà. L’Afrique occidentale est un peu abordée, à travers la question de l’or et
des esclaves, mais ce n’est le cas ni de l’Asie centrale, ni surtout de l’océan Indien.
Or c’est précisément dans ces régions que l’Islam connait sa seconde expansion à
la fin du Moyen Âge, et les réalités économiques y sont souvent très éloignées de
l’impression de déclin qui peut se dégager de la comparaison entre l’Europe latine
et les pays d’Islam sur les rives de la Méditerranée.
D’une certaine manière ce congrès, en dépit de la qualité parfois très grande des
interventions et d’une volonté réelle d’éviter le piège de l’européocentrisme, reste
globalement fidèle à une tradition qui présente le monde musulman comme un
terrain pour l’expansion de l’Europe latine, et guère comme un acteur à part entière
des relations économiques en Méditerranée.
Dominique VALÉRIAN

Emotions in the heart of the city (14th-16th century). Les émotions au cœur de
la ville (XIVe-XVIe siècle), éd. Élodie LECUPPRE-DESJARDIN et Anne-Laure VAN
BRUAENE, Turnhout, Brepols, 2005 ; 1 vol. in-8°, VIII-298 p. (Studies in european
urban history, 5). ISBN : 2-503-51618-1. Prix : € 59,00.
Cet ouvrage fait partie d’un large projet permettant une étude de fond sur la
société urbaine des Pays-Bas (bourguignons), dirigé par M. Boone, et fait suite au
colloque À corps et à cris : manifestation et représentation des émotions en milieu urbain
(XIVe-XVIe siècle). Le programme de ce Pôle d’Attraction Interuniversitaire (PAI)
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 487

regroupait les universités de Gand, Anvers, Bruxelles (ULB), Leyde et la Bibliothèque


Royale de Bruxelles de 2000 à 2004. Il a donné naissance à plusieurs publications
composant la collection à savoir : en 2003, les travaux de C. Deligne sur Bruxelles et sa
rivière (t. 1), ceux de F. Vermeylen sur la commercialisation de l’art à Anvers (t. 2) et
les articles publiés dans le t. 3 sur les dettes publiques urbaines. En 2004, le quatrième
volet n’est autre que le fruit de la thèse de doctorat d’É. Lecuppre-Desjardin sur la
communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons. Le thème de la
communication symbolique est le fil conducteur du présent ouvrage. En choisissant
de développer différentes approches de l’émotion (évènementielle, sociale, rela-
tionnelle…), pas moins de quatorze spécialistes, tant médiévistes que modernistes,
se relaient pour faire connaître cet aspect de la vie quotidienne. Le livre se divise
en trois parties, dont la première nous livre l’émotion lors des révoltes urbaines à
Florence (L. Martines), en Languedoc (V. Challet) ou dans les Pays-Bas (J. Dumolyn et
É. Lecuppre-Desjardin, J. Haemers, P. Arnade). Le deuxième volet s’attache à présen-
ter l’émotion au cœur de la justice, dans les procès à caractère sexuel (M. Naessens),
sur la sensibilité des victimes (J. Van Leeuwen) ou encore sur la compassion dans
le plaidoyer de Marie de Bourgogne (L. Smagghe). Le dernier point se focalise sur
l’expression artistique de l’émotion comme le drame (D. Coigneau), l’amour courtois
(V.M. Wilhite), la farce française (È.M. Halba) ou encore par l’étude du Tableau Vivant
de l’entrée à Anvers en 1549 (S. Bussels). Le choix du thème n’est pas novateur si
l’on se base sur les publications tant anglophones que francophones depuis la fin
du XIXe siècle à nos jours. En 1941, L. Fèvre ne se posait-il pas la question dans les
Annales d’Histoire sociale : « La sensibilité et l’histoire. Comment reconstituer la vie
affective d’autrefois ? ». Pour répondre à une telle question, une analyse poussée et
une comparaison entre villes et régions sont alors indispensables. Et c’est justement
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la force du présent ouvrage qui regorge de notes bibliographiques, de faits extrê-
mement précis permettant à W. Prevenier de tirer des conclusions remarquables. Il
nous fait part de l’innovation méthodologique et de l’ardeur des chercheurs à cerner
la fonction sociale de l’émotion. Une telle approche ne peut rester sans lendemain.
En 2007, la Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme à Aix-en-Provence
a organisé un colloque sur le Sujet des émotions au Moyen Âge qui a permis d’appré-
hender de nouveaux aspects ou d’apporter de nouveaux éclairages. Ainsi seront
étudiés les rapports entre les émotions et les corps, le discours savant, la sexuation,
les pratiques de piété et l’identité.
Céline VANDEUREN-DAVID

ALBERICO DI MONTECASSINO, Breviarum de dictamine, éd. Filippo BOGNINI, Florence,


SISMEL-Edizioni del Galluzzo, 2008 ; 1 vol., CC-199 p. (Edizione Nazionale dei Testi
Mediolatini, 21 – 1re sér., 12). ISBN : 978-88-8450-265-0. Prix : € 62,00.
Cette édition du Breviarium de dictamine d’Albéric du Mont-Cassin est l’un des
nombreux signes du regain d’activité et des progrès effectués dans le champ des
études sur l’ars dictaminis. La rédaction des manuels de dictamen d’Albéric (ca 1030-ca
1095), actif au Mont-Cassin à l’époque de l’abbatiat de Didier, fut l’acte de naissance
du dictamen en tant que discipline rhétorique « réactivant » en les infléchissant les
préceptes cicéroniens et pseudo-cicéroniens pour fonder un nouvel art de la rédac-
tion. Le contexte de leur création (le Mont-Cassin allié à la papauté grégorienne des
années 1070-1080), tout comme l’importance de leur diffusion ultérieure, en direction
488 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

à la fois de Bologne et de l’Allemagne, font de l’ensemble des textes rassemblés dans


le Breviarium – refonte par l’A. de différents traités rhétoriques préalablement com-
posés par lui – une pièce centrale dans la compréhension du phénomène politique
et culturel complexe que fut la naissance de l’ars dictaminis dans l’Italie des années
1060-1130.
Le beau travail d’édition-analyse accompli par F. Bognini permet d’envisager tous
les aspects d’un dossier textuel qui a fait couler beaucoup d’encre, eu égard à sa place
centrale, mais longtemps controversée dans cette histoire. Le volume est divisé entre
une section de prolégomènes de deux cent pages et l’édition proprement dite (192 p.).
Les prolégomènes comprennent une introduction qui présente l’historiographie des
diverses tentatives d’édition, les éléments connus sur l’activité d’Albéric, l’histoire
de la genèse et de la diffusion du Breviarium et ses liens avec le développement de
l’ars dans la première moitié du XIIe siècle (Introduzione, p. XIII-XXXV). Le chapitre
successif est une minutieuse analyse des sources d’Albéric, du texte biblique et
des auteurs païens aux écrivains contemporains de la réforme grégorienne (Pierre
Damien, Papias…) en passant par les classiques tardo-antiques et les pères de l’Église.
Il se clôt par une analyse des techniques de citation et de réécriture, et une discussion
de son public potentiel (Le fonti : alle origini del « dictamen » albericiano, p. XXXVII-
LXXIX). Le chapitre suivant est consacré à l’analyse de la tradition manuscrite (La
tradizione manoscritta, p. LXXXI-CVIII). Suit une reconstitution du stemma (Analisi
delle relazioni tra i mss. del « corpus », p. CIX-CLCV), et une bibliographie.
L’édition proprement dite (p. 3-85) est suivie d’un commentaire (p. 87-170) que
complètent trois index des noms, des termes rhétoriques, grammaticaux et rares,
des salutationes.
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Il ne faut pas imaginer le Breviarium sous la forme « classique » d’un certain nombre
d’artes postérieures. Première synthèse d’une série d’essais opérés dans un champ
alors vierge, le Breviarium affecte une forme typique d’une ars encore éloignée de sa
future standardisation. Les développements se placent à mi-chemin entre l’exposi-
tion grammaticale et rhétorique. Ils incluent une réflexion sur la rédaction de l’acte
qui s’intéresse aussi bien aux monogrammes et autres formes de validation, aux
alphabets, qu’à la structure de la lettre proprement dite, ou aux figures de rhétorique.
Ils débouchent aussi bien sur un traité de poésie rythmique. Le texte est par ailleurs
riche en références renvoyant à des concepts juridiques (mundiburdium…) de l’Italie
méridionale. Ce foisonnement, reflétant l’intense activité culturelle du Mont-Cassin
à son apogée, à la fois enracinée dans le contexte culturel de l’Italie centro-méridio-
nale et en prise directe sur les enjeux de la réforme grégorienne, indique assez que
le Breviarium est bien plus qu’un traité de rhétorique : un témoin fondamental des
mutations culturelles en cours dans l’Occident de la fin du XIe siècle.
Benoît GRÉVIN
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 489

Chroniques latine du Mont Saint-Michel (IXe-XIIe siècle), éd. Pierre BOUET, Olivier
DESBORDES, Avranches-Caen, Scriptorial Ville d’Avranches-P.U. Caen, 2009 ; 1 vol.,
426 p. + 1 CD-Rom (Fontes et paginae – Les manuscrits du Mont Saint-Michel, Textes
fondateurs, 1). ISBN : 978-2-84133-323-3. Prix : € 35,00 ; GUILLAUME DE SAINT-PAIR, Le
Roman du Mont Saint-Michel (XIIe siècle), éd. Catherine BOUGY, Avranches-Caen,
Scriptorial Ville d’Avranches-P.U. Caen, 2009 ; 1 vol., 405 p. + 1 CD-Rom (Fontes
et paginae – Les manuscrits du Mont Saint-Michel, Textes fondateurs, 2). ISBN : 978-2-
84133-324-3. Prix : € 35,00.
Depuis une quinzaine d’années, l’histoire du Mont Saint-Michel a connu un
profond renouvellement. L’impulsion est venue de travaux d’H. Guillotel (1979-
1984) ou de C. Potts (1990-1991) qui ébranlèrent quelques certitudes et réveillèrent
la recherche. Le colloque consacré à Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident. Les
trois monts dédiés à l’archange, organisé au Centre Culturel International de Cerisy-
la-Salle (Manche) en 20001, témoigne de ce renouveau qui se poursuit depuis, avec
notamment l’étude des pèlerinages. Les études montoises avaient été durablement
marquées par l’impressionnant travail collectif réalisé pour le Millénaire monastique
de 1966 dont les cinq volumes furent édités entre 1967 et 2001. Ils rassemblaient
toutes les connaissances historiques, liturgiques, bibliographiques et archéologiques
sur l’abbaye bénédictine. Il manquait à ce monument l’édition scientifique des sour-
ces montoises. Celle-ci était d’autant plus nécessaire, que le regain d’intérêt pour
l’histoire du Mont a ouvert des débats sur les origines et la nature canoniale ou mo-
nastique de la première communauté montoise, la réforme bénédictine de 966 ainsi
que ses modalités avec la cohabitation de chanoines et de moines, ou encore sur la
provenance des premiers abbés connus. Les enjeux de ces débats dépassent l’histoire
régionale, entre Normandie et Bretagne. Le Mont dédié à l’archange s’impose dé-
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sormais comme l’un des établissements ecclésiastiques (canonial ou/et bénédictin)
majeur de la France du Nord-ouest.
Pour les documents diplomatiques, dont certains avaient été publiés dans des
éditions thématiques, la première édition partielle du cartulaire a été proposée en
2006 par K. Keats-Rohan2 dont les travaux prosopographiques ont apporté des
éclairages débattus, mais stimulants sur les deux premiers siècles de l’histoire mon-
toise. Le cartulaire, y compris ses extraits narratifs, a aussi fait l’objet d’une édition
fac-similée en 20053. Mais les éditions des textes narratifs montois remontaient à la
fin du XIXe siècle (1878, 1892, 1894). Les deux volumes présentés ici comblent donc
cette lacune. Leur ambition est de mettre à la disposition des chercheurs l’ensemble
de la tradition historiographique, hagiographique et littéraire montoise, complétée
par quelques documents externes utiles à l’analyse. Ainsi se trouve réunie la totalité
des documents concernant l’histoire du Mont avant 1060 et le dossier documentaire
dont disposa Guillaume de Saint-Pair pour la rédaction du Roman du Mont Saint-
Michel, édité dans le second volume. Les choix éditoriaux sont clairement explicités
(t. 1, p. 9 et 85 ; t. 2, p. 95-98). Dans le premier volume, l’apparat critique se conforme

1. Culte et pèlerinages à saint Michel en Occident. Les trois monts dédiés à l’archange, éd. P. BOUET,
G. OTRANTO, A. VAUCHEZ, Rome, 2003.
2. The Cartulary of the Abbey of Mont-Saint-Michel, éd. K. KEATS-ROHAN, Donington, 2006.
3. Cartulaire du Mont Saint-Michel. Fac-similé du manuscrit 210 de la bibliothèque municipale
d’Avranches, Paris, 2005.
490 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

à un parti-pris de simplicité se limitant aux « leçons essentielles ». Le cahier des


chartes situé à la fin du volume (Annexe IV) se contente de renvoyer à quelques
copies et aux éditions récentes. Dans le second volume, les notes de traduction sont
détaillées (confrontant les deux copies conservées de l’œuvre) et renvoient aux textes
latins publiés dans le premier volume. Outre l’édition critique, adaptée au système
graphique du français moderne, précédée de sa traduction (p. 113-308), l’A. propose
une transcription diplomatique fidèle au texte originel de la copie A du XIIIe siècle
(p. 313-358). Enfin, les volumes sont munis d’illustrations (25 planches au total), d’un
glossaire (t. 2) et d’index de noms propres (lieux et personnes). Les versions pdf sur
Cédérom reprennent le contenu des ouvrages, mais permettent une navigation aisée
et des recherches rapides.
Le principal apport de ces volumes réside dans les critiques internes des textes
proposés. La tradition narrative ancienne (IXe-XIe siècles) est principalement conser-
vée dans quatre manuscrits de la Bibliothèque municipale d’Avranches (mss 210, 211,
212, 213), présentés au Musée scriptorial d’Avranches. La présentation de la Revelatio
ecclesiae sancti Michaelis archangeli in Monte qui dicitur Tumba reprend pour l’essentiel
des articles antérieurs de P. Bouet et d’O. Desbordes parus dans Culte et pèlerinages
(p. 10-26 pour l’édition et p. 65-90 pour l’analyse) ainsi que dans la revue Tabularia
en 2004. En revanche, la présentation conjointe de trois opuscules habituellement
dissociés (Introductio monachorum, De translatione et miraculis beati Autberti et Miracula
sancti Michaelis), permet la reconstitution d’une œuvre unique, sous le titre De mira-
culis in Monte Sancti Michaelis patratis (p. 139-140). Cette approche novatrice et très
suggestive offre une hypothèse convaincante de la finalité de ce travail entrepris sans
doute à la fin du XIe siècle (vers 1080-1095), afin de conformer l’histoire montoise
à l’histoire du duché. Ainsi la mise en perspective de ces récits place la découverte
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du corps d’Aubert (évêque d’Avranches fondateur du monastère) comme l’un des
pivots de l’histoire montoise qui revitalisa le culte d’un saint local, mais surtout
contribua à enraciner l’idée d’une « présence physique » de l’archange au Mont (t. 1,
p. 188-189 et p. 230-231). L’affirmation de cette présence culmine dans le Roman du
Mont Saint-Michel de Guillaume de Saint-Pair (t. 2, p. 32), dont C. Bougy propose
d’abord l’étude comparative des deux copies conservées à la British Library (copie A,
1280, Additional 10289 et copie B, 1340, Additional 26876), puis une étude dialectale
minutieuse (phonétique et lexicale).
Mais, comme le souligne P. Bouet, le passage de cette critique interne à l’histoire
est un exercice délicat (p. 54) car ces textes sont souvent isolés et certaines analyses ne
peuvent demeurer qu’« hypothétiques » (p. 66) et se fondent sur la « vraisemblance »
(p. 70). L’histoire proposée est très fidèle « au récit donné » par les textes, sans ignorer
les débats que ceux-ci suscitent encore (p. 9-10). La place des chanoines aux côtés des
moines est sans doute l’un des acquis majeurs de cette étude. Toutefois, le recours
à une large contextualisation entre 820 et 966, puis entre 966 et 1009, révèle la diffi-
culté d’écrire une histoire continue du sanctuaire durant ses deux premiers siècles
d’existence. Ainsi, P. Bouet (p. 159) et C. Bougy (p. 12 et 25) ne sont pas d’accord sur
l’authenticité du diplôme du roi Lothaire copié dans l’Introductio monachorum.
L’étude des étapes de la réécriture périodique des textes narratifs et diplomatiques
montois est une dimension essentielle de ces éditions. Ces réécritures, qui dépassent
les questions de style et la recherche de tournures synonymiques, s’adaptent aux cir-
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 491

constances en conformant le passé au présent (t. 2, p. 41). Elles forment une tradition
ramifiée et dynamique, dont le fil conducteur serait la défense de l’indépendance
monastique face aux pouvoirs séculiers, laïques ou ecclésiastiques (t. 1, p. 176-184 ;
t. 2, p. 31). Écrit entre 1154 et 1186, le Roman du Mont Saint-Michel est une étape de ce
processus continu de réécriture, sous la forme d’une adaptation littéraire, versifiée
(4 106 octosyllabes) et en langue vernaculaire, des sources latines (p. 42). Introduit
comme un guide à l’usage des pèlerins, le roman est aussi une œuvre politique hostile
aux souverains anglo-normanno-angevins. Les analyses aboutissent ainsi à une dé-
construction complexe des récits qui rend d’autant plus souhaitable la reconstitution
complète de l’histoire de la tradition manuscrite annoncée par les A. (t. 1, p. 85).
Éric VAN TORHOUDT

Projets de croisade (v. 1290-v. 1330), présentés et publiés par Jacques PAVIOT, Paris,
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2008 ; 1 vol., 413 p. (Documents relatifs
à l’histoire des croisades, 20). Prix : € 50,00. Diff. De Boccard.
Connus depuis les travaux de J. Delaville-Leroulx et N. Iorga à la fin du XIXe siècle,
les traités de croisade, écrits à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle pour
inciter l’Occident à une expédition en Terre sainte, ont connu ces vingt dernières
années un regain d’intérêt considérable. Les études de S. Schein et d’A. Leopold n’ont
pas épuisé le sujet, comme le prouve le colloque Les projets de croisades et leurs objec-
tifs organisé en juin 2009 à l’Institut de France (ANR « croisades tardives », CNRS).
Il était donc logique que la série des Documents relatifs à l’histoire des croisades
publiée par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres se dote – enfin ! – d’un
volume consacré à ces projets. J. Paviot, distingué par ses travaux sur les politiques de
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croisade des cours bourguignonnes et françaises au XIVe siècle, était indéniablement
un des chercheurs français les plus compétents pour mener à bien cette édition. Son
volume regroupe neuf de ces traités dans leur langue originale (cinq en latin et quatre
en français) : le Liber recuperationis Terre sancte de Fidence de Padoue (ca 1291) ; la Via
ad Terram sanctam, texte anonyme (ca 1289) ; le Conseil sur le saint passage de Jacques
de Molay (1306) ; l’Informatio et instructio super faciendo generali passagio de Jacques
de Villaret (1306) ; Coment la Terre sainte puet estre recouvree par les Crestiens du même
auteur (1308) ; les Memoria, texte anonyme (entre 1288 et 1308) ; l’Informatio d’Henri
II, roi de Chypre (1311) et le Chaboclois d’armes de Roger de Stanegrave (1332). La
Devise des Chemins de Babylone (1308), quant à elle, n’est pas un traité au sens strict,
mais une description des routes et chemins en l’Orient. Une introduction présente
rapidement les auteurs et les œuvres, renvoyant à la bibliographie pour des analyses
plus poussées. Un vaste appareil de notes détaille les variantes des manuscrits et
apporte quelques éclaircissements factuels. Deux index complets, des noms de per-
sonnes et de lieux, complètent utilement l’ouvrage.
Parmi les textes réunis, seul celui de Roger de Stanegrave restait encore inédit.
Le manuscrit, détruit par le feu en 1731, est très lacunaire, mais les parties conser-
vées permettent de se faire une idée de la structure et du style de l’œuvre, à défaut
d’embrasser son contenu entier. Pour les autres traités, J. Paviot rappelle les éditions
existantes, qu’il mentionne et catalogue, mais le texte publié a été établi à partir des
différents manuscrits, soigneusement consultés et comparés.
492 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

L’immensité du corpus des projets de croisade imposait de faire un choix d’édi-


tion. On peut suivre J. Paviot lorsqu’il affirme que les textes de Marino Sanudo et
d’Héthoum d’Arménie mériteraient une édition à part. Sa volonté de se limiter aux
auteurs qui « ont possédé une expérience directe de l’Orient des croisades » peut
surprendre, dans la mesure où elle sous-entend que les autres seraient moins bien
informés et, par conséquent, moins intéressants pour l’historien. Les projets de
Ramon Lull, Galvano di Levanto, Charles II d’Anjou et bien d’autres sont pourtant
tout aussi révélateurs des discours tenus sur la croisade au début du XIVe siècle.
À une époque où la croisade est de plus en plus sollicitée pour légitimer des poli-
tiques nationales, ce dernier aspect ne peut être tenu pour secondaire. Les textes de
Guillaume Durant et Guillaume Adam, très bons connaisseurs de l’Orient, ont aussi
été écartés ; leur expérience contemporaine de Chypre, la Perse ou l’Inde, n’était-elle
pas aussi importante – voire plus – dans l’élaboration des stratégies de croisade que
les souvenirs des vétérans de la chute d’Acre ?
Toute édition comporte une part d’arbitraire. Celle-ci garde le mérite d’explici-
ter ses critères et rend facilement disponibles des textes jusque-là peu accessibles.
Espérons que cette entreprise favorisera les études sur ces textes et sur les autres
projets de la fin du Moyen Âge dont beaucoup – pour le XVe siècle notamment –
demeurent inédits.
Benjamin WEBER

Didier LECHAT, Dire par fiction. Métamorphoses du je chez Guillaume de Machaut,


Jean Froissart et Christine de Pizan, Paris, Champion, 2005 ; 1 vol. in-8°, 512 p.
(Études christiniennes 7). ISBN : 2-7453-0935-8. Prix : € 80,00.
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L’objet de cet ouvrage, version remaniée d’une thèse dirigée par E. Baumgartner,
se situe à l’articulation des deux termes essentiels de son titre : les différentes varié-
tés d’histoires, surtout mythologiques, enchâssées dans les œuvres narratives, en
premier lieu des « dits » de la seconde moitié du XIVe siècle et du début du XVe, dans
leur rapport avec la première personne du narrateur. Ces « micro-récits » sont des
fictions au sens fort que prendra ce terme, notamment chez Jacques Legrand, à la fin
de la période considérée, c’est-à-dire des créations poétiques. Généralement issues
du réemploi de matériaux traditionnels, comme ceux provenant de l’Ovide moralisé,
elles témoignent en même temps d’une conscience nouvelle à cette époque des ca-
pacités d’invention que comporte l’écriture en langue vulgaire. Ces fictions peuvent
entretenir avec le je héros de la narration des rapports d’analogie, à la manière des
exempla, ou constituer des lieux d’intervention extrêmement divers de l’A., qu’il se
présente ainsi réfléchissant sur son art, ou établissant une relation avec son public
ou son dédicataire, ou encore sous la figure de l’amant-poète. La problématique ainsi
esquissée est donc extrêmement étendue. Les termes en sont précisés dans un premier
chapitre qui reconstitue les principes nouveaux et certaines conceptions communes
qui gouvernent la création poétique de cette époque, à partir de textes postérieurs à
la plupart des dits de Machaut, comme le Prologue que celui-ci place en tête de cer-
tains de ses manuscrits et l’Art de dictier de Deschamps, et d’autre part les « arts de
seconde rhétorique » du début du XVe siècle. L’influence exercée par le Roman de la
Rose sur les modalités du réemploi des mythes traditionnels est reconsidérée à la fin
de ce chapitre liminaire comme un des éléments essentiels pour l’intelligibilité des
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 493

formes nouvelles que prend la création poétique dans les dits du XIVe siècle. De telles
considérations se situent dans le prolongement de nombreux travaux antérieurs – la
bibliographie de l’A. est effectivement très étendue –, mais l’objet défini au départ
n’est jamais perdu de vue, et sur ce terrain les avancées sont appréciables, grâce à
une approche originale qui réunit sous le même regard ce qui est généralement dis-
joint : les œuvres des trois auteurs qui peuvent être utilement mises en relation, les
multiples formes de fiction narrative et l’écriture à la première personne.
Trois chapitres traitent respectivement de l’évolution des fonctions données
aux fictions dans quatre dits de Guillaume de Machaut (Le Jugement dou Roy de
Navarre, Le Confort d’ami, La Fontaine amoureuse, le Voir Dit : de l’exemplum aux
« subtiles fictions ») ; des transformations de l’image du poète dans trois dits de Jean
Froissart, où l’expérience vécue, ou prétendue telle, et les très nombreuses références
littéraires apparaissent comme les éléments essentiels de créations souvent très com-
plexes, jusqu’à l’invention d’histoires pseudo-ovidiennes convenant à son propos
(L’Espinette amoureuse, La Prison amoureuse, Le Joli Buisson de jonece : récritures
et trompe-l’œil) ; et enfin d’un ensemble d’œuvres de Christine de Pizan à la première
personne où se trouvent réunis des dits (le Dit de la Rose, La Pastoure et Poissy) et d’autre
part des œuvres morales et politiques en vers et en prose des années 1402-1405 (« dire
par fiction le fait de la mutacion »). Les oppositions très marquées relevées au cours
de ce dernier chapitre entre les modalités de la fiction – références mythologiques,
allégories, songe notamment – et de l’engagement personnel dans ces deux catégo-
ries d’œuvres permettent de tisser entre elles un réseau de relations et de contrastes
qui en éclaire très utilement certains ressorts profonds. Se trouvent ainsi également
mises en valeur la dextérité de Christine dans le « mixage » de matériaux étonnam-
ment divers et aussi les véritables dimensions de sa personnalité littéraire.
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Dans l’ensemble de l’ouvrage, la multiplication des analyses précises qui portent
sur des œuvres et des récits pris successivement en considération assure à la réflexion
des bases solides et ouvre fréquemment des pistes de lecture nouvelles. Une telle
démarche présente sans doute l’inconvénient de fragmenter parfois excessivement
l’enquête, ce qui peut entraîner pour le lecteur quelques difficultés à synthétiser les
observations ainsi accumulées : ce risque sans doute inévitable est atténué par de brè-
ves conclusions d’étape et surtout par le fréquent signalement d’échos d’une œuvre
à l’autre et l’établissement de relations transversales, par exemple sous la forme de
séries significatives, comme les différentes figures mythiques qui, du Pygmalion du
Roman de la Rose aux femmes artistes de la Cité des Dames, évoquent allusivement
les rapports du poète avec sa création. Voilà donc une étude importante qui, tout en
opérant une synthèse critique de nombreux travaux antérieurs, apporte bien des vues
inédites et aussi des suggestions de méthode particulièrement pertinentes.
Liliane DULAC

HADEWIJCH, Liederen, introd., trad. et comm. par Veerle FRAETERS et Frank WILLAERT,
coll. Louis Peter GRIJP, Groningue, Historische Uitgeverij, 2009 ; 1 vol., 455 p. + 4
CDRom. ISBN : 978-90-6554-4780. Prix : € 49,95.
Depuis que J. Van Mierlo S.J. publia, durant la première moitié du XXe siècle, l’œu-
vre en néerlandais du Moyen Âge de l’écrivaine Hadewijch, l’intérêt international
pour cette œuvre n’a cessé de croître. À juste titre, car ses textes sont particulièrement
494 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

significatifs, non seulement pour l’évolution de la littérature néerlandaise, mais aussi


pour la théologie mystique. Jan van Ruusbroec cite de temps en temps Hadewijch
sans la nommer, et ses intuitions théologiques fondamentales s’accordent fort bien
à cette écrivaine visionnaire et poétique.
La Historische Uitgeverij a publié une nouvelle édition de ses poèmes. Cette édi-
tion comprend le texte en moyen néerlandais ainsi qu’une nouvelle traduction en
néerlandais contemporain par F. Willaert et V. Fraeters.
Leur choix fut de ne pas suivre le manuscrit qui avait la préférence de J. Van
Mierlo, à savoir le manuscrit C (Gand, Bibliothèque universitaire, 941), mais bien la
manuscrit A (Bruxelles, Bibliothèque royale, 2879-80). Leur argument est que pour le
moment on admet que le manuscrit A est plus ancien que le manuscrit C, ce que ne
savait pas encore Van Mierlo. Cet argument n’est pas tout à fait correct. Van Mierlo
n’a pas fait son choix – à raison d’ailleurs – en se basant sur l’ancienneté, mais en
s’appuyant aussi sur la qualité de la critique textuelle de C1. Le texte en moyen
néerlandais qu’offre cette nouvelle édition ne diverge certes pas souvent de l’édition
critique, sauf sur un point important, à savoir la séquence des poèmes. Plus de dix
poèmes ont dans cette édition un numéro qui diffère de celui de l’édition standard
de Van Mierlo, ce qui est évidemment fort gênant.
La nouvelle traduction aide certainement à lire le texte original, même si les tex-
tes de Hadewijch sont parfois théologiquement affaiblis, lorsque wanneer daer lief in
lief sal al dorevloyen est traduit par « waar lief volledig in lief zal vervloeien » (« où le
bien-aimé va entièrement se fondre dans l’aimé ») (p. 88-89) : Hadewijch ne comprend
jamais l’union à Dieu comme une fusion pure et simple.
Dans le commentaire des poèmes en paraphrases, la dimension christologique
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fait parfois défaut. Le célèbre poème dix-sept (dans ce recueil, le seize, p. 154) fait
référence à la transfiguration au vers 38 (lichte wolke = nubes lucida, Mt 17, 5). Ainsi le
ic (je) prend une dimension christologique qui devient encore plus évidente par les
nombreuses allusions à Job, la préfiguration du Christ souffrant. Le commentaire
n’a pas rendu la chose. Selon moi, F.W. et V.F. n’ont pas vraiment réussi à mettre en
valeur le « double fond » christologique du ic suggéré souvent avec beaucoup de
finesse dans ces poèmes.
L’aspect le plus passionnant de cette nouvelle édition est cependant que les poè-
mes sont enfin redevenus des chants. Dom V. Truyen O.S.B. avait déjà remarqué en
1943 que le 45e poème de Hadewijch avait été écrit en se basant sur une séquence
mariale latine. Grâce aux travaux de L. Grijp, on a entre-temps découvert encore
bien davantage de mélodies, et celles-ci sont reprises dans cette nouvelle édition. Le
lecteur peut les écouter personnellement grâce aux quatre CD qui sont repris dans
le livre. Ainsi cette nouvelle édition contribue à coup sûr à mieux faire connaître
Hadewijch, cette grande et mystérieuse auteure à l’aube de la littérature mystique
brabançonne.
Rob FAESEN

1. Cf. Visioenen, t. 2, Introduction, p. 39.


COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 495

Städtische Gesellschaft und Kirche im Spätmittelalter. Kolloquium Dhaun 2004,


sous la dir. de Sigrid SCHMITT et Sabine KLAPP, Stuttgart, Franz Steiner Verlag,
2008 ; 1 vol., X-261 p. (Geschichtliche Landeskunde, 62). ISBN : 978-3-515-08573-1.
Prix : € 40,00.
Le projet ayant présidé à la tenue du colloque de Dhaun en février 2004, dont les
actes sont ici publiés, a été conçu par un groupe de chercheurs de l’Université de
Mayence avant qu’y soit associée celle de Trèves. Il s’agissait de scruter, à l’échelle ré-
gionale ou locale, les relations nouées par des individus ou des groupes avec l’Église
afin, notamment, de rehausser, consolider et affirmer leurs positions sociales. La série
de onze contributions est ouverte par trois mises au point consacrées à des ensem-
bles de sources. La base électronique des Württembergischen Regesten, constituée aux
Archives d’État de Stuttgart pour les documents du comté puis duché de Wurtemberg
de 1301 à 1500, et celle du Repertorium Academicum Germanicum rassemblent environ
16 000 données pour la première, près de 35 000 maîtres ès arts et gradués en théo-
logie, droit, médecine entre 1250 et 1550 pour la seconde. Interrogeables sur le Net,
elles sont présentées respectivement par P. Rückert et S. Baeriswyl-Andresen, qui en
décrivent les modalités d’utilisation et les fonctionnalités de façon très méthodique.
A. Rehberg balaie ensuite le spectre des sources romaines permettant de « pister »
le clergé allemand auprès de la Curie. Il fait la part belle au Repertorium germanicum
exploitant les registres pontificaux entre 1378 et 1521, puis décrit les autres sour-
ces romaines comme celles de la Pénitencerie ou, hors des Archives vaticanes, les
registres d’ordinations, les protocoles de notaires et les livres de confréries. De ces
contributions peuvent être rapprochées les remarques de L. Böhringer sur la consti-
tution en cours d’une base de données prosopographique des béguines, béguards
et tertiaires de Cologne.
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Deux études permettent ensuite d’envisager les problématiques à l’échelle d’un
ordre religieux militaire et à celle des villes de l’Empire, avec toutefois un ancrage
géographique précis servant de fondement à la comparaison. K. Borchardt propose
en effet une mise au point sur les johannites, dont plus du quart des deux cents éta-
blissements d’Europe centrale étaient situés en milieu urbain. S’il serait illusoire d’en-
visager une prosopographie exhaustive des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem,
l’A. s’appuie sur du matériau rassemblé pour cette même ville afin d’ébaucher les
linéaments d’une histoire sociale de l’Ordre. De son côté, A. Reitemeier part du cas
de la cité de Wesel pour s’intéresser à la façon dont les lignées de l’élite urbaine ont
pu s’impliquer dans la gestion des églises paroissiales, par le biais, en particulier, de
la fonction de Kirchenmeister, qui a constitué une véritable courroie de transmission
entre les fabriques d’église et les conseils de ville.
Les cinq autres textes sont consacrés à l’étude d’un thème dans le cadre d’une ville.
M. Knichel cherche à évaluer dans quelle mesure les églises Saint-Castor et Saint-
Florin, avec leurs chapitres canoniaux respectifs, ont constitué pour les magistrats
et le patriciat de Coblence des éléments clefs dans le dispositif visant à consolider
leurs positions. R. Gramsch étudie le cas du long affrontement (le Prälatenkrieg) ayant
opposé à Lunebourg, de 1446 à 1462, les autorités urbaines et une partie des membres
de l’Église locale autour des revenus et de la taxation des salines. S. von Heusinger
s’intéresse aux confréries de métiers strasbourgeoises et au rôle de celles-ci dans les
processus de règlement des conflits, de « disciplinalisation » (Disziplinierung) et de
496 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

conscience identitaire. On entre dans la même ville, à la veille de la Réforme, par


le biais de Jean Geiler de Kaysersberg, dont R. Voltmer analyse le « projet politico-
théologique » sous l’angle de la place qu’y occupaient les petites gens et nihil haben-
tes. On aura peut-être plus de mal à cerner l’angle d’attaque problématique choisi
par A. Rüther dans une étude consacrée aux lieux de la communication politique à
Breslau, mais qui a des allures de véritable état de la question sur les métiers (Zünfte)
et le paysage socio-politique de la capitale silésienne à la fin du Moyen Âge. Il y a
beaucoup à prendre dans ce texte comme, d’ailleurs, dans l’ensemble d’un volume
dont les conclusions de R. Kießling ou, à sa façon, l’index des noms de personnes et
de lieux ne masquent pas entièrement le manque d’unité.
Ludovic VIALLET

Cinquante ans d’études épiques. Actes du Colloque anniversaire de la Société


Rencesvals (Liège, 19-20 août 2005), éd. Nadine HENRARD, Genève, Droz, 2008 ; 1
vol., 386 p. (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège,
294). ISBN : 9782870192948. Prix : € 31,88.
Les Actes du colloque célébrant le cinquantième anniversaire de la « Société in-
ternationale Rencesvals pour l’étude des épopées romanes » s’ouvrent avec l’Avant
propos rédigé par Nadine Henrard, secrétaire de la Société et éditrice du volume, qui
retrace les moments forts de cette rencontre. Viennent, ensuite, l’allocution d’accueil
prononcée par P. Verelst, Président de la section belge de la Société ; les messages
transmis par M. de Riquer et R. Lejeune, membres fondateurs qui n’avaient pas
pu assister au colloque ; enfin, un riche exposé sur l’Historique de la Société par
M. Tyssens (illustré de photos rappelant les colloques organisés depuis la création
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de la Société).
Les communications présentées sont classées selon deux grands axes. Le premier
comprend les bilans critiques, répartis selon un critère géographique, des études
épiques réalisées durant les cinquante dernières années dans les différents pays mem-
bres de la Société : Cinquante ans d’études épiques en Allemagne (H. Krauß, p. 35-42),
Bilan des études épiques en Belgique (J. Horrent, p. 43-70), Poésie épique espagnole médié-
vale, Cinquante ans d’études (C. Alvar, p. 71-96), Bilan des études épiques aux États-Unis
et au Canada (W. Kibler, p. 97-116), Cinquante ans d’études épiques en France et en Suisse
(B. Guidot, p. 117-158), Les études épiques au Royaume-Uni et en Scandinavie (P. Bennett,
p. 159-182), Bilan des études épiques en Italie et des recherches sur l’épopée franco-italienne
menées depuis 1955 (A. Varvaro, p. 183-198), Bilan des études épiques au Japon (Y. Otaka,
p. 199-214), Des originaux français perdus à la transmission orale. Aperçu des recherches
dans le domaine de l’épopée française aux Pays-Bas (H. Van Dijk, p. 215-228).
Le second axe traverse l’ensemble de ces études en se focalisant sur trois thé-
matiques : La matière rolandienne (G. Palumbo, p. 229-262), accompagnée d’une
exhaustive Bibliographie rolandienne 1975-2005 (G. Palumbo, p. 263-352), Les mises en
prose (C. Thiry, p. 353-364), L’épopée hors Europe : apport des épopées africaines de l’Ouest
(F. Suard, p. 365-383).
Outre la présence, au sein des bilans nationaux, de notices bibliographiques nom-
breuses et utiles, il faut saluer l’intérêt des communications à caractère thématique,
offrant un regard davantage problématique et raisonné sur « l’état des lieux » que
constitue le volume. Soulignons également le travail réalisé par l’A. de la bibliogra-
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 497

phie rolandienne, qui met à la disposition des chercheurs un panorama complet de


la question, structuré par rubriques thématiques et destiné à compléter l’inventaire
de J.J. Duggan (réalisé pour les années 1955-1974). Cet outil précieux permet de
s’orienter au sein de cette production critique importante.
Cette publication présente donc un panorama exhaustif et fonctionnel des travaux
critiques réalisés dans le domaine de la littérature épique depuis 1955. Structurée
autour de deux axes, respectivement géographique et thématique, elle permet d’ac-
céder, selon des angles d’approche différents, à l’ensemble de cette matière critique,
qui n’a cessé de croître au cours des trente dernières années.
Amélie HANUS

Marie-Anna CHEVALIER, Les ordres religieux-militaires en Arménie cilicienne.


Templiers, hospitaliers, teutoniques & Arméniens à l’époque des Croisades,
Paris, Librairie orientaliste P. Geuthner, 2009 ; 1 vol. in-4°, 890 p. (Orient chrétien
médiéval). ISBN : 978-2-7053-3819-0. Prix : € 58,00.
Auteur déjà d’une demi-douzaine d’articles sur les ordres religieux-militaires et
l’Arménie publiés tant en français qu’en arménien, M.A. Chevalier livre dans ce fort
volume une réflexion d’ensemble sur le thème provenant de sa thèse de doctorat
soutenue à l’Université de Montpellier sous la direction de G. Dédéyan. Grâce à une
maîtrise linguistique qu’il faut saluer, tout particulièrement illustrée dans les annexes
présentant la traduction d’extraits de chroniques et de colophons de manuscrits, et
en dépit d’une documentation fragmentaire et inégale, elle propose une intéressante
étude des rapports des frères, essentiellement templiers, hospitaliers et teutoniques,
avec les pouvoirs en Arménie cilicienne, mais également avec les Arméniens établis
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dans les États latins issus des croisades. Le défi, inédit, était d’importance, et pour
l’affronter l’A. a adopté un plan complexe, pas toujours suffisamment lisible – les
intertitres étant trop nombreux –, mais très logique, articulant quatre parties, chrono-
logiques pour la première et la dernière et thématiques pour les deux autres. Ainsi, les
enseignements de l’étude, politiques et militaires, mais aussi économiques, sociaux
ou même architecturaux, parviennent à être exprimés au mieux.
Tranchant le débat sur la date d’implantation des ordres militaires en Cilicie,
M.A.C. démontre que cette dernière a progressé avec l’établissement des Roupéniens
dans la région, au cours de la seconde moitié du XIIe siècle. Les réticences de plusieurs
princes, tels Thoros II et plus encore Mleh, ont été abandonnées par le roi d’Arménie
Léon Ier, qui a fait des frères, en particulier des hospitaliers et des teutoniques, des
acteurs fondamentaux du jeu politique. La barrière de châteaux qui avait été concédée
aux milices face aux musulmans au nord et à l’est de l’État cilicien s’est maintenue
et a été renforcée jusqu’au milieu du XIIIe siècle, et ce n’est qu’alors, sous le coup
des Mamelouks, qu’elle a été entamée pour disparaître peu à peu au siècle suivant.
Essentiels, ces aspects militaires et politiques ne sont que l’un des éléments de l’en-
quête, et l’A. a pris soin de prêter attention à la vie interne des ordres militaires et à
leur organisation administrative, pourtant peu renseignées par les sources. Elle s’est
penchée notamment sur les domaines des milices, essentiellement ruraux, sur les
relations que celles-ci entretenaient avec la société, analysant les donations, les liens
de confraternité et les pratiques d’assistance, et elle n’a pas négligé la représentation
que l’on se faisait des frères, la méfiance du haut clergé arménien contrastant avec
la faveur généralement accordée.
498 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

De l’Arménie cilicienne, sa bibliographie en atteste, M.A.C. a une connaissance


très fine et, en matière d’histoire des ordres militaires, elle fait preuve aussi d’une
solide érudition. On peut bien sûr avoir quelques regrets. Dans son dernier chapitre,
le livre aurait eu avantage à prendre en compte les archives centrales de l’Hôpital à
La Valette, qui, uniquement citées de manière indirecte à la p. 673, eussent pu fournir
à la marge certains éléments inédits sur les relations entre Rhodes et la Cilicie, pour
lesquelles l’A. en reste aux informations données par A. Luttrell. On peut s’étonner
de plusieurs graphies utilisées pour les frères : Joseph de Cancy pour l’Anglais
Joseph de Chauncy, Gérald de Laperusa pour l’Auvergnat Gérard de Lapeyrouse,
Dominique d’Allemagne pour Domenico de Alamania, dont l’origine napolitaine est
pourtant bien rappelée, ou Jean de la Lizza (p. 709) pour Jean de Laodicée ou de La
Liche, correctement présenté p. 618. Certains jugements sur le Temple, qui sont des
topoi, auraient pu être évités, les frères étant qualifiés d’« électrons libres » (p. 481)
ou tenus pour coupables de mener une politique autocentrée (p. 489). Ces critiques
ne sont cependant que des vétilles, et il ne fait aucun doute que le livre, comme l’ex-
prime J. Richard dans la préface, apportera beaucoup à tous ceux qui s’intéressent
à l’histoire des ordres militaires, mais aussi à celle de l’Arménie cilicienne et, plus
largement, de l’Orient chrétien au Moyen Âge.
Philippe JOSSERAND

Parva pro magnis munera. Études de littérature tardo-antique et médiévale offer-


tes à François Dolbeau par ses élèves, éd. Monique GOULLET, Turnhout, Brepols,
2009 ; 1 vol. in-8°, 988 p. (Instrumenta Patristica et Mediaevalia, 50). ISBN : 978-2-
503-53120-5. Prix : € 140,00.
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Ces imposants Parva munera sont un hommage rendu à l’œuvre de F. Dolbeau par
35 de ses élèves et auditeurs à la IVe section de l’École pratique des Hautes études.
Une partie de son enseignement sur la littérature latine du Moyen Âge, reflet de ses
recherches personnelles faisant appel aux disciplines les plus variées, est restituée
dans les trois sections de ce livre : histoire des bibliothèques et histoire des textes ;
hagiographie, homilétique et liturgie ; lexicographie, grammaire et stylistique.
Deux articles traitent de la reconstitution des bibliothèques de Chaalis et de Saint-
Allyre (A. Bondéelle-Souchier et P. Stirnemann ; M. Peyrafort ; avec éd. des inven-
taires). Pour l’histoire des textes, dix contributions étudient différents aspects des
œuvres suivantes : extraits isidoriens (M.A. Andrès Sanz), le Troisième Mythographe
du Vatican (G. Besson), des Versus in confirmatione operis produits à Saint-Amand
entre le IXe et le XIe (C. Bottiglieri), un Liber de prescientia Dei à attribuer à Servasanctus
de Faenza (M.F. Damongeot-Bourdat), un texte intitulé Cena maletractati, ca 1260-1453
(L. Doležalová ; avec ed. princeps), un recueil de sentences de l’école de Laon intitulé
Principium et causa (C. Giraud), Martianus Capella (J.B. Guillaumin), un libellus de
traités musicaux de Saint-Martial de Limoges, XIIe s. (S. Nihimagi), un florilège
intitulé Liber deflorationum (S. Staats), une lettre de Bède à Egbert (O. Szerwiniack).
L’hagiographie est bien représentée, avec douze études portant sur l’Hospice de
Jérusalem (E. D’Angelo ; avec ed. princeps de la Vita s. Herinis de Iohannes mon.
Amalphitanus), la Passio et l’Inventio des saints Fuscien, Victoric et Gentien, BHL
3226 et 3229 (M. Gaillard), la Vita Hariolfi d’Ermenrich d’Ellwangen (M. Goullet et
M. Hincker ; avec éd. crit.), l’Historia relationis de Rotgar de Saint-Remi (M.C. Isaïa ;
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 499

avec ed. princeps), une Vie de saint Seurin de Bordeaux, BHL 7653 (M. Janoir ; avec
ed. princeps), deux Vies de saint Maixent, BHL 5804 et 5805 (S. Kumaoka), la Passion
de Cécile, BHL 149 (C. Lanéry), la Vita Froilanis episcopi Legionensis, BHL 3180
(J.C. Martín ; avec éd. crit.), la Translatio Calixti Cisonium, BHL 1525 (C. Mériaux), une
réécriture du De miraculis s. Stephani (J. Meyers ; avec éd. crit.), la Vita Adalhardi de
Paschase Radbert, BHL 58, et la réécriture BHL 60 (C. Verri), un récit messin du miracle
de la dent de saint Jean (A. Wagner). Les quatre articles rassemblés sous Homilétique
et liturgie concernent un sermon pseudo-isidorien De timore Domini (J. Elfassi ; avec
éd. crit.), un florilège augustinien sur la connaissance sacramentelle (S. Gioanni ; avec
éd. crit.), un texte polémique de la fin du XIe s. (P. Henriet ; avec éd. crit.), l’allégorie
dans les Sermones in Vetus Testamentum de Césaire d’Arles (M.V. Ingegno). La der-
nière section regroupe huit articles traitant de Lexicographie, grammaire et stylistique :
thème de la transmission des savoirs des antiqui aux moderni chez Gilles de Corbeil
(M. Ausécache), fonction de la rime dans le Cento Probae (M. Bažil), sources du glos-
sariolum du Mont-Cassin 402, Xe s. (F. Cinato), ordo dans le Liber Gomorrhianus de
Pierre Damien (J.F. Cottier), place du cursus rythmique dans les pratiques d’écriture
européennes, XIIIe-XVe s. (B. Grévin), sainteté et grammaire, d’après les exemples de
Gosvin d’Anchin, Bernard d’Anchin et les Notae Dunelmenses (A. Grondeux), la Ratio
in dictamina, les Precepta prosaici dictaminis secundum Tullium et Bernard de Bologne
(A.M. Turcan-Verkerk).
De la codicologie à l’exégèse, en passant par la paléographie, la critique textuelle
ou la stylistique, toutes les disciplines médiévistiques sont mises à contribution dans
les différentes sections de ce volume. Plusieurs A. présentent des travaux originaux :
études de textes copiés dans des manuscrits restés ignorés, dont ils fournissent une
description détaillée, nouvelles éditions critiques (12 textes), recherches sur la pater-
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nité d’une œuvre. Citons par exemple les travaux de M.F. Damongeot-Bourdat, qui
montre que le Liber de prescientia Dei et predestinatione contra curiosos, imputé à tort au
cardinal Juan de Torquemada (XVe s.), fut composé par le franciscain Servasanctus de
Faenza, au XIIIe s. ; et de C. Lanéry, qui restitue à Arnobe le Jeune la Passion de Cécile
BHL 1495, datée auparavant du Ve-VIe s. Ces mélanges constituent un bel hommage
de la part des médiolatinistes qui ont bénéficié de l’enseignement de F. Dolbeau,
par la diversité des œuvres et des sujets étudiés et par les résultats novateurs de
plusieurs contributions.
Marie-Hélène JULLIEN

Jeffrey F. HAMBURGER, Peindre au couvent. La culture visuelle d’un couvent médié-


val, trad. fr., 2e éd., Paris, Gérard Montfort, 2000 ; 1 vol., 254 p., ill. (Imago Mundi).
ISBN : 2-85226-488-9. Prix : € 45,76.
L’histoire des œuvres réalisées par les religieuses souffre de la difficulté de cerner
le contexte dans lequel elles ont été créées et distribuées, tant elles sont difficiles à
dater et à localiser. En outre, leur vocabulaire visuel particulier réduit les possibi-
lités de comparaison avec d’autres œuvres d’art. Elles ont également été négligées
par l’histoire de l’art en raison de leur manque d’habileté et de raffinement, et ont
dès lors été cantonnées à l’histoire du folklore. La survie d’un groupe de dessins
dévotionnels attribués à une même religieuse anonyme travaillant vers 1500 dans
l’abbaye bénédictine de Sainte-Walburge, près d’Eichstätt, constitue donc une belle
500 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

opportunité d’examiner la portée de ces images. Onze dessins sont toujours conser-
vés à l’abbaye même, tandis qu’un douzième a été acquis par la Staatsbibliothek de
Berlin en 1993. Cet ensemble, pratiquement inconnu, a été rassemblé et analysé par
J.F. Hamburger dans cette étude pionnière sur l’art et la culture visuelle au couvent à
la fin du Moyen Âge, d’abord parue en 1997 aux Presses de l’Université de Californie
sous le titre Nuns as artists. The Visual Culture of a Medieval Convent.
Dans son introduction, l’A. envisage les deux catégories dans lesquelles les œu-
vres faites par et pour les religieuses sont généralement rangées, les Nonnenarbeiten
et les Andachtsbilder, pointant les limites de l’une et l’inadéquation de l’autre. L’A.
s’autorise toutefois l’emploi du premier terme parce qu’il contient l’affirmation d’une
différence dans la conception de ces images et leur rôle auprès des femmes cloîtrées.
Cette distinction se manifeste à travers un langage visuel particulier, qui constitue
un mode d’expression aussi spécifique que la spiritualité et les croyances suggérant
la création de cette imagerie. Le premier chapitre contient une description précise,
tant iconographique que stylistique, des dessins de Sainte-Walburge et révèle leur
singularité. Ainsi, six d’entre eux présentent des sujets relativement conventionnels,
bien qu’ils soient rarement traités de manière habituelle : une Mise au Tombeau, une
sainte Kümmernis, une Gnadenstuhl, un Arbor Virginis, une Présentation au Temple
et une Vierge à l’Enfant accompagnée de sainte Barbe. Les autres sont plus insolites :
une Consécration de vierges, une Prière au Mont des Oliviers inscrite dans une rose
rouge, une Crucifixion symbolique, un Cœur sur la Croix, un Banquet eucharistique
et une Maison du cœur. Ces dessins ne sont ni des copies directes ni des adaptations
de sources données, mais sont issus d’un réseau complexe de pratiques artistiques
et dévotionnelles. Les images du couvent franconien participeraient donc d’une
culture visuelle particulière : si elles s’intègrent évidemment dans les exercices de
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dévotion quotidiens, elles impliquent également que la vue, ou plutôt certaines ha-
bitudes de visualisation, jouent un rôle aussi important que la lecture dans la piété
conventuelle.
Ce mode d’expérience est analysé aux trois chapitres suivants, articulés autour
d’un ou plusieurs dessins. Ainsi, le second chapitre, Douce rose de douleur, démontre
comment l’image de la Prière au Mont des Oliviers contient l’essence de la prière sur
la Passion et devient un modèle que la religieuse cherche à refléter (imitatio Christi).
Le troisième chapitre, La blessure du regard, examine, à travers la Crucifixion symbo-
lique et le Cœur sur la Croix, les thèmes de l’ascension spirituelle, du cœur comme
chambre de l’âme et de la blessure du regard d’amour, telle qu’elle est évoquée dans
le Cantique des cantiques et telle qu’elle a pu être interprétée comme exemple d’amour
contemplatif. Le quatrième chapitre, La maison du cœur, étudie les dessins représen-
tant l’âme habitant dans le cœur, lesquels invitent la religieuse à l’union mystique
grâce à ses prières intérieures. Pour chaque image et chaque sujet, l’A. s’appuie sur
les traditions institutionnelles, artistiques (gravure, enluminure, tapisserie, sculpture
et orfèvrerie) et littéraires (exégèse, traités dévotionnels, prières et visions mystiques)
qui formaient la vie des religieuses et nourrissaient leur imaginaire. Enfin, le dernier
chapitre s’intéresse plus généralement à la place des Nonnenarbeiten dans la vie et
la réforme religieuses en Allemagne à la fin du Moyen Âge, à leurs fonctions et leur
circulation.
Ainsi, par une approche contextuelle des dessins de Sainte-Walburge, l’A. réha-
bilite les œuvres réalisées par les religieuses qui, loin d’être naïves, se révèlent au
contraire dans leur complexité comme autant d’indices de l’expérience dévotionnelle
COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010 501

pratiquée dans les couvents médiévaux. En outre, il établit de façon convaincante


l’importance du regard, égale à celle des textes, dans la pratique dévotionnelle des
femmes cloîtrées. Cette étude apporte donc une contribution fondamentale à l’his-
toire de l’art, et plus particulièrement à l’histoire de l’imagerie dévotionnelle, mais
également à l’histoire de la spiritualité médiévale.
Lylan LAM

André SCHNYDER, Das mittelniederdeutsche Theophilus-Spiel. Text – Übersetzung –


Stellenkommentar, Berlin-New York, De Gruyter, 2009 ; 1 vol., VIII-366 p. (Quellen
und Forschungen zur Literatur- und Kulturgeschichte, 58 (292)). ISBN : 978-3-11-
022147-3. Prix : € 129,95.
Cet ouvrage nous offre les trois rédactions du Miracle de Théophile en bas-alle-
mand (XVe siècle), accompagnées d’une traduction. Les textes sont établis sur la base
de l’édition amendée de R. Petsch, avec un apparat critique complété à l’aide de celles
de Geeradts (1984) et Krobisch (1997). Les textes des mss H (Wolfenbüttel, 998 vers)
et S (Stockholm, 748 vers) sont présentés l’un sous l’autre avec traduction en regard,
puis vient celui de T (Trèves, 826 vers). Une brève introduction présente les principes
directeurs. Un commentaire ponctuel (p. 185-272) et fouillé fournit les explications
lexicales et grammaticales, des indications sur les realia, les sources et parallèles pos-
sibles, les prises de position des chercheurs ; les particularités de chaque texte sont
relevées, par ex. : H n’évoque pas de juif comme intermédiaire entre Théophile et le
démon. L’A. examine la matière de la légende théophilienne, les traditions grecque,
latine et allemande, présente les manuscrits (p. 296-298), relève qu’il est impossible
de les dater avec précision, se penche sur la structure de l’histoire, les personnages,
le contenu religieux, les costumes, les accessoires et tente une reconstruction scénique
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de ce miracle. Un bon chapitre sur l’iconographie de la légende de Théophile fait
l’inventaire des lettres ornées, des miniatures, vitraux et sculptures reproduisant telle
ou telle scène. Une bibliographie et un index complètent l’ensemble.
Quelques remarques de détail. P. 189, thesaureir est, bien sûr, le trésorier ; p. 201,
les interrogations de l’A. sur prebendeir (b.-all. prouentherer, mha tradif prebendner,
prouener) n’ont pas lieu d’être : il s’agit du prébendier. P. 210, le latin punctator est
donné pour presencioneir, il s’agit plutôt de prebitor, der do pfruonden git oder presencie
teilet, dit un lexique du bas Moyen Âge.
En résumé, un livre qui permet de (re)lire un beau texte et qui offre mille infor-
mations utiles.
Claude LECOUTEUX

Henry I and the Anglo-Norman World. Studies in Memory of C. Warren Hollister,


éd. Donald F. FLEMING et Janet M. POPE, Woodbridge, Boydell, 2007 ; 1 vol., XXIV-216
p. (The Haskins Society Journal, 17). ISBN : 978-1-8438-3293-5. Prix : GBP 50.
Cet ouvrage, dédié à l’un des fondateurs du Haskins Society Journal, est
issu de colloques tenus à l’occasion de la parution posthume du livre majeur de
C.W. Hollister, sa biographie d’Henri Ier, en 2001, et est l’œuvre d’anciens élèves ou
de collègues proches du champ d’études du maître.
L. Huneycutt retrace tout d’abord l’histoire mouvementée de l’écriture d’Hen-
ri Ier, expliquant la longueur de maturation par les questions sans cesse repensées,
502 COMPTES RENDUS – LE MOYEN ÂGE – CXVI-2010

revisitées par l’auteur. Elle témoigne également des liens de C.W. Hollister avec ses
étudiants, créant une communauté d’universitaires travaillant sur le même domaine
et influençant ses propres recherches.
En écho à un long chapitre du livre de C.W. Hollister, K. Thompson traite de la
jeunesse d’Henri Ier. Elle montre combien les leçons de réalisme politique apprises
en Normandie expliquent la réussite d’Henri Ier contre Robert Courteheuse. L’image
dressée du souverain s’apparente à celle établie par C.W. Hollister (un personnage
habile, rusé, doté de perspicacité politique et d’une compétence à diriger les hommes
et les situations), même si K. Thompson y perçoit un versant plus sombre du caractère
du souverain. A. Williams s’est tournée quant à elle vers les trois Édith de la vie de
Henri Ier comme angle d’approche du concept d’Englishness et d’ethnicité dans le
monde anglo-normand. Elle explique que le choix de Mathilde/Édith comme reine
n’est pas gratuit : descendante des familles royales saxonnes et écossaises, elle ap-
porte une légitimité accrue sur le trône pour les enfants d’Henri Ier, alors même que ce
dernier développait un intérêt soutenu pour la loi anglaise traditionnelle d’Édouard
le Confesseur. R. Babcock traite par la suite de l’Irlande, complétant et élargissant le
travail de C.W. Hollister. L’ouvrage s’oriente ensuite vers le thème de l’aristocratie.
R. Barton adopte l’angle de vue manceau sur la question des relations entre Henri Ier
et Helias, comte du Maine. Il remet en cause l’interprétation du maître, remplaçant
la piété comme moteur des actions d’Hélias par l’amicitia, insistant davantage sur
les aspects horizontaux de leur relation. D. Crouch analyse quant à lui les actes du
comte Robert de Meulan, qui reflètent l’évolution du mode de vie aristocratique, avec
une volonté affirmée d’imiter l’appareil adminstratif royal. L’ouvrage aborde ensuite
sur les liens avec l’Église. D. Spear s’arrête sur la bi-translatio des reliques de saint
Romain de Rouen en 1124, dans le contexte de rivalité entre le chapitre cathédral et
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le monastère de Saint-Ouen. S. Vaughn traite des rapports d’Henri Ier avec Anselme
de Canterbury, avec lequel il a dû collaborer. Elle nuance la vision de C.W. Hollister
d’un roi tout-puissant, mais montre combien le réalisme politique d’Henri Ier lui a
permis de jouer un rôle considérable dans la formation de l’Église d’Angleterre. Le
dernier thème traité est celui de l’histoire administrative. S. Christelow, par l’ana-
lyse du seul Pipe Roll du règne conservé déplace l’attention vers les officiers du
roi, qui suivent leurs propres desseins et n’hésitent pas à manipuler les comptes, ce
qui nuance l’accent mis par C.W. Hollister sur l’efficacité administrative du règne.
H. Tanner prolonge cette question par l’étude de la chancellerie royale d’Étienne,
et montre que ce règne n’a subi aucun effondrement de ce point de vue. Dépassant
également le règne d’Henri Ier, en ouverture, R. DeAragon explore l’histoire maritale
mouvementée d’Agnès d’Essex, qui révèle les changements intervenus dans le ma-
riage noble au milieu du XIIe siècle, avec un rôle accru du consentement individuel,
et l’apparition d’une capacité d’action féminine dans ce domaine.
Bien plus qu’un monument, figé, à la mémoire du maître, cet ouvrage apporte
nuances, ouvertures, voire contestations vis-à-vis des théories de C.W. Hollister. Cet
hommage témoigne avant tout du dynamisme du champ de recherches touchant
Henri Ier, confirmé par la publication d’une nouvelle biographie du roi par J. Green
en 2006.
Corinne LETOUZEY

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