Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LA GENÈSE
DU XIX^-E SIÈCLE
É D IT IO N FRANÇAISE PAR ROBERT GODET
TOME PREMIER
SIXIÈME ÉDITION
1913
[1899]
PARIS
LIBRAIRIE PAYOT ET Cie
46,R ue S a in t -A ndré des Arts , 46
IMPORTE DE SUISSE
J h i physiologiste
JULIUS WIESNER
en toute déférence et gratitude
ce livre est dédié
qui témoigne de certaines convictions précises
sur des objets de science et de philosophie.
INTRODUCTION GENERALE
1
INTRODUCTION GÊNÉEAiE
*) J e ne fais pas allusion ici aux objets particuliers de ses dém ons
tra tio n s d ’a llu re scolastique, m ais p a r exem ple à ses considérations su r
les ra p p o rts des hom m es e n tre eux (M onarchia liv re I, ehap. 3 e t 1) ou
su r la F é d é ratio n des E ta ts , conçue de telle so rte que chaque m em bre
y conserverait son in d iv id u alité e t sa législation propres, tan d is que
l ’em pereur, en sa qualité de a pacificateur b e t de m a g istra t’ e x erç an t
sa ju rid ictio n su r ce qni est a com m un à tous, convenable à to u s », form e
r a it le lien a ssu ra n t leu r union (livre I, cbap. 14). A d ’a u tre s égards,
précisém ent parce q u ’il nous offre le ty p e d ’une « figure in term édiaire »,
D a n te nous a p p a ra ît im b u des conceptions de son époque e t de to u te s
sortes d’utopies poétiques. O n reviendra su r ce s u je t a u chapitre v u , e t
plus spécialem ent dans l ’in tro d u c tio n a u c h ap itre v i n d u p ré sen t ou
vrage.
IN TR O D U C T IO N G ÉN ÉR A LE 17
2
18 IN TR O D U CTIO N GÉNÉRALE
3
34 IN TR O D U CTIO N GÉNÉRALE
LES ORIGINES
L’HÉRITAGE
c’est une question subtile qui n ’a rien à faire ici. Intimidé par
le bruit assourdissant d ’un prétendu « scientifisme », beau
coup d ’historiens actuels montrent à oet égard des scrupules
exagérés. Il est pourtant bien évident que le présent ne
s’éclaire à nos yeux que si nous le considérons m b specie
necessitatis. Bacon a dit : v&re scire est per causas scire; cette
manière de voir est la seule scientifique, mais quelle en serait
l’application si nous ne reconnaissions partout la nécessité ?
Le mot « doit » exprime l’enchaînement nécessaire de la
cause et de l’effet, pas davantage ; c’est au moyen de notions
de ce genre que nous dorons les poutres du hall étroitement
borné oh notre esprit prend ses ébats, sans entretenir pour
cela l’illusion de nous être envolés à travers l’espace libre.
Mais de plus — et l’on n ’v saurait accorder trop d ’attention :
alors que la nécessité « configure », il se forme autour de ce
point central des cercles toujours plus étendus, et nul ne
saurait nous interdire ■ —• quand notre but l’exige — d’éviter
le chemin long et difficile que tracent les cercles les plus exté
rieurs, pour prendre notre point d’observation aussi près que
possible de Taxe moteur, à peine mobile lui-même, c’est-
à-dire là oü l’apparente fantaisie se confond presque avec
l’indéniable nécessité.
CHAPITRE PREMIER
L’ART ET LA PHILOSOPHIE
HELLÉNIQUES
5
66 l ’h êbita g e
les animaux. Mais l’homme n ’en reste pas moins avec l’outil
un animal comme les autres. Non seulement l’anthropoïde,
mais beaucoup de singes plus éloignés de nous inventent des
outils (chacun peut s’en informer dans Brehm) ; et l’éléphant
est un maître dans l’art de les manier, sinon de les inventer
(voir Romanes : Mental Evolution in Animais). La plus ingé
nieuse dynamo, le plus audacieux aéroplane, n’élèvent pas
l’homme d ’un pouce au-dessus du niveau de la terre ou de
l’atmosphère communes à tous et où tous se meuvent. Toutes
les découvertes de cette nature ne signifient rien qu’une nou
velle accumulation de force dans la lutte pour l’existence :
l’homme voit par là, en quelque sorte, s’accroître sa valeur
animale ; on dirait, si cet animal était un nombre, qu’il s’est
élevé à une plus haute puissance. Il s’éclaire avec des bougies,
ou avec de l’huile, ou avec du gaz, ou avec de l’électricité,
au lieu d’aller dormir : il y gagne du temps — et cela signifie
que sa capacité de production augmente. Mais nombreux
sont les animaux qui s’éclairent aussi, soit par phosphores
cence, soit (comme certains poissons des grands fonds) élec
triquement *). Nous voyageons à- bicyclette, en bateau, par
chemin de fer, en dirigeable — les oiseaux migrateurs et les
habitants de la mer avaient depuis longtemps mis les voya
ges à la mode; et l’homme, tout comme eux, voyage pour se
créer des moyens de subsistance. Certes, son incommensu
rable supériorité se montre dans le fait qu’il est capable
d’inventer tout cela rationnellement et d’en multiplier
les applications suivant une progression « cumulative ».
p e u ts ’in stru ire que des résu lta ts auxquels conduisent les recherches des
sa v a n ts ; m ais ces ré su lta ts, il a le d ro it e t le devoir, en ta n t qu'hom m e
libre e t d isp o san t d ’u n ju g em e n t sain, de les exam iner e t de les com pa
rer. In c o m p é te n t p o u r prononcer su r la v aleu r des argum ents scienti
fiques, il g arde to u te licence de se form er une opinion su r la m entalité
des savants eux-m êm es d 'a p rès le style, la langue, l’enchaînem ent des
idées propres A chacun — te l u n m onarque qui a tte s te sa sagesse dans le
choix d e ses conseillers. Aussi, q u an d il m ’a d v ie n t de citer m es « a u to
rités », est-ce m oins p o u r fo u rn ir a u lec teu r des « preuves » que p our
q u ’il puisse ju g er à son to u r de m a capacité de juger. Comme je l’in
dique ci-dessus, je suis, en c ette m atière, d ’accord avec Socrate :
s’a g issa n t d u je u de la flûte, les m usiciens so n t les m eilleurs juges ;
de la poésie, lés poètes. L ’opinion d e Goe.the to u c h a n t H om ère a plus
de p rix à m es yeux que celle de to u s les philologues réunis. J e m e suis
néanm oins inform é de leurs tra v a u x a u ta n t que le p e u t faire u n
d ile tta n te sincèrem ent désireux de s ’orienter p a rm i les difficultés d ’u n
problèm e fo rt complexe.
A u m o m en t où je p rép arais la prem ière édition d u p ré sen t ouvrage,
c’est, je pense, dans Niese : D ie Entu-ickehmg der homerischen Poesie
(1882) e t dans J e b b : D am er (1888) q u ’on tro u v a it le plus ex act aperçu
(mais p a s dav an tag e) des données e t des phases d u débat. Celui-ci a été
renouvelé en p a rtie p a r l’effet de découvertes récentes e t d ’une portée
beaucoup plus générale, d o n t je p arlerai à l’in sta n t. M ais— il n ’e st que
ju ste de le dire — dès la publicatio n p a r B ergk de sa Griecldsche Lïttera-
turgeschichle (1872-81), le d ile tta n te possédait u n guide sû r'pour explorer
le dédale des discussions hom ériques. A u v a ste savoir que lui reconnais
se n t les spécialistes, B ergk jo in t une perspicacité e t une prudence bien
faites p o u r lu i concilier le com m un des lecteurs ; son ju g em e n t pondéré
com plète adm irablem ent celui de Schiller qui, on l’a vu, tran ch e la
question p a r une in tu itio n rap id e e t som m aire comm e la foudre. Il fa u t
lire, o u tre le ch ap itre in titu lé « H om ère , u n e personnalité historique »,
celui qui tra ite d ’« H om ère d e v a n t les m odernes ». S u r la théorie des
ju x ta p o sitio n s rapsodiques, B ergk é c rit : « Les postulats d ’ordre général
q u ’elle im plique se d é m o n tren t, à l’exam en, absolum ent insoutenables,
su rto u t si l’o n considère les poèm es hom ériques dans leur ra p p o rt avec
le développem ent de la poésie épique en son ensem ble. La- LiedeHJieorie
n ’a p u être échafaudée que p a r des gens qui n ’h é sitè ren t p as à isoler ces
poèm es de leu r ento u rag e n a tu re l p o u r les so u m ettre à une analyse
destructrice, e t qui les c ritiq u ère n t sans te n ir aucu n com pte de l’histoire
de la litté ra tu re grecque » (l, 625).
B ergk so u tie n t aussi que l ’ÉCRiTURE é ta it d ’u n usage c o u ran t au
l ’a r t et la p h il o s o p h ie h e l l é n iq u e s 83
Que dire d’une histoire qui embrasse plus de douze cents ans
et qui n ’a pas un philosophe, pas un diminutif de philosophe
à nous montrer ! Que dire d’un peuple qui doit recourir, pour
1) Il n e sem ble pas q u e les peuples sém itiques a ie n t cru, dès les
tem p s les plus anciens de leur histoire, à l’im m o rtalité de l’âm e in d iv i
duelle; m ais leurs ouïtes o ffrirent à l ’H ellène, dès l ’in s ta n t q u ’il e u t
saisi c ette pensée, plus d ’une suggestion p ropre à le stim uler. A L em nos,
à B hodes, dan s d ’a u tre s îles encore, il c o n n u t le systèm e phénicien des
Cabires (les s e p t d ivinités dites T rès H autes), e t D uncker é crit à ce su je t
(Geschiehte des A lierium s i 4, 279) : « Le m y th e de M elk art re tro u v a n t a u
pays des ténèbres la déesse lu n aire A s ta rté (laqueUe a v a it é té adm ise
dans le cercle de ces divinités) e t re to u rn a n t avec elle à u n e vie nouvelle,
à la lum ière, in d u isit les Grecs à ra tta c h e r a u culte secret des Cabires
es rep résen tatio n s d ’une vie après la m o rt, qui é ta ie n t chez e u s en voie
e fo rm atio n d epuis le com m encem ent d u v i me siècle. »
140 l ' héritage
pas juste en fait, car les dieux revêtent dans Homère toutes
les figures possibles. Comme dit Lehra dans un livre trop
oublié1) : « Les dieux grecs ne sont pas les copies des hommes,
mais leurs pendants. Us ne sont pas des puissances cosmi
ques (c’est entre les mains des philosophes qu’ils deviennent
tels) et encore moins un superlatif d’hommes. Ils apparais
sent souvent en; formes d’animaux et ne revêtent habituelle
ment la figure humaine que parce qu’elle est la plus belle, la
plus noble, la mieux appropriée, mais n’importe quelle autre
forme leur est, en elle-même, aussi naturelle. » Ce n’est là
toutefois qu’un détail auprès du point essentiel : à savoir
qu’on ne découvre chez Homère, non plus que chez aucun
des grands poètes, la moindre trace de téléôlogie : or l’an-
thropomorphisme flagrant ne commence qu’avec elle. Pour
quoi ne représenterais-j e pas les dieux en formes d’hommes ?
préférerait-on par hasard trouver dans mon poème des mou
tons ou des scarabées ? Est-ce que Raphaël et Michel-Ange
ont procédé autrement qu’Homère ? Comment donc s’in
carne le Dieu des chrétiens ? Dans le lahveh des Israélites,
ne reconnaît-on pas le prototype du Juif noble, mais aussi
querelleur et vindicatif ?
On conviendra, je pense, qu’il ne serait pas expédient
de proposer pour thème à l’imagination plastique d’un
artiste l’« essence sans dimension qui pense l’intelligible » de
la théologie aristotélicienne. Tout au contraire, la religion
poétique des Grecs se garde de nous renseigner sur l’«in-
créé »; elle ne s’enhardit point jusqu’à « expliquer rationnel
lement » l’avenir. Elle nous offre une image du monde reflété
comme en un miroir concave, et par là croit réconforter
l’esprit humain, le rafraîchir, l’épurer : c’est assez pour elle.
Lehrs expose comment l’idée téléologique fut propagée par
les philosophes, de Socrate à Cicéron, mais né trouva jamais
accès dans la poésie grecque : « La conception du bel ordre,
de l’harmonie, du cosmos, qui pénètre profondément la reli-
!) Psyché, p . 104.
2) Weltgeschickte i, 230. Ce judicieux apophtegm e fa it tro p songer
à l’anecd o te connue : « Q ui a im es-tu le m ieux, p a p a ou m am a n ? ■—
Tous les d e u x ! o Car si A risto te a son origine d a n s P la to n , il n ’e st pas
m oins c ertain q u ’o n n e s a u ra it im aginer rien de plus dissem blable que
leurs doctrines des âm es (et, d ’ailleurs, que to u te leu r m étaphysique) :
alora com m ent a d m e ttre q u ’ils a ie n t d it to u s les d eu x ce q u ’o n p o u v a it
dire de « m eilleur » ? S chopenhauer a form ulé ce ju g em e n t ju ste e t
concis : « L ’extrêm e o ppo sé d ’A ristote, c’e s t P la to n , s
152 l ’héritage
LE DROIT ROMAIN
amour, chez les Romains, est fidèle, taciturne, pas plus senti
mental qu'expansif, mais prêt à tous les sacrifices : nui
Romain, nulle Romaine n ’hésita jamais à offrir sa vie pour
la patrie.
Comment s’expliquer un amour aussi démesuré ? Rome
ne fut pas, de longtemps, une ville riche. Sans sortir d’Italie,
on pouvait trouver mainte contrée bien plus fertile. Mais ce
que Rome donnait et garantissait, c’était pour l’homme, au
point de vue moral, une existence digne du nom d ’hoinme.
Les Romains n’ont pas inventé le mariage; ils n’ont pas
inventé le droit ; fis n ’ont pas inventé l’E tat ordonné et pro
tecteur des libertés individuelles : tout cela naît de la nature
humaine et se rencontre partout sous quelque forme ou à
quelque degré que ce soit. Mais ce que les peuples aryens
concevaient sous ces notions comme base de toute moralité
et de toute culture, cela n’avait jamais été instauré nulle
part solidement avant les Romains 1). Les Grecs s’étaient-ils
12
178 l ’héritage
pour elle le sang de son cœur. Rome était pour lui la famille
et le droit, le roc delà dignité humaine dressé au milieu d’une
mer écumante !
Ne commettons pas l’erreur de croire que quelque chose
de grand se puisse accomplir en ce monde sans la collabora
tion d’une force purement idéale. L’idée, à elle seule, évi
demment n’y suffirait pas; il faut qu’il s’y ajoute quelque
intérêt palpable, fût-ce un intérêt d’outre-tombe comme chez
les martyrs. Mais sans élément idéal la lutte pour le seul
gain trahit bientôt l’espoir du lutteur : il manque de force
de résistance. Une foi; voilà ce qui décuple sa capacité
d’action et voilà ce que j ’appelle, par opposition à l’intérêt
immédiat et momentané — volupté, richesse, que sais-je ?
— une impulsion idéale. Gomme le dit Denys d ’Halieamasse
des anciens Romains : « Ils avaient une grande idée d’eux-
mêmes et, par suite, ils ne pouvaient rien faire qui fût indi
gne de leurs ancêtres.» (i, 6). En d’autres termes, ils tenaient
leurs yeux fixés sur certain i d é a l qu’ils se formaient
d’eux-mêmes. Ce mot d’idéal, je ne le prends pas au sens
vague et heureusement aboli de la «fleur bleue» roman
tique; j ’entends désigner par là cette force'qui poussait le
sculpteur grec à faire surgir de la pierre le dieu et qui ensei
gnait au Romain à envisager sa liberté, ses droits, son asso
ciation avec une femme dans le mariage, son association
avec d’autres hommes dans la communauté, comme quelque
chose de s a o e é , comme le bien le plus précieux que puisse
octroyer la vie. Un roc, ai-je dit, non point quelque nébu
leuse Utopie. De semblables aspirations ont existé plus ou
moins chez tous les Indo-Européens— comme rêve : la crainte
sacrée, le respect religieux apparaissent sous des formes
diverses chez tous les membres de cette famille; mais la-
force opiniâtre qui était nécessaire pour réaliser le rêve dans
la pratique, nul ne l’a possédée au même degré que les
Romains1). — Refusons-nous donc à admettre que des*)
13 :
194 l ' héritage
com m unauté internationale, qui com prenait des H ébreux e t des Non-
H ébreux e t dans laquelle é ta ie n t représentées to n te s les nuances de la
foi et. m êm e de l ’incrédulité, depuis le pharisaïsm e le plus b ig o t ju sq u ’à
l’irréligion o u v ertem en t ironique, agissait com m e u n seul hom m e dès
q u ’il y a lla it des privilèges e t des in té rêts de la « juiverie » com m une. Le
libre penseur ju if n ’e û t différé p o u r rien a u m onde d ’envoyer son su b
side annuel à Jérusalem p o u r les sacrifices d u T em ple (ou de le verser
a u x apostoli chargés de l’encaisser); Philon, le néo-platonicien, qui
cro y ait aussi peu à Ia h v e h q u ’à J u p ite r, représente p o u rta n tla com m u
n a u té ju iv e d ’A lexandrie à Borne p o u r y défendre les synagogues m ena
cées p a r C aligula; P o p p aea Sabina, la m aîtresse puis la fem m e de N éron,
qui n ’a p p a rte n a it pas à la race hébraïque, m ais qui é ta it un m em bre
a ctif de la D iaspora, s o u tin t les dem andes d u fa v o ri de N éron, l ’a cteu r
ju if A lityrus, qui vou lait q u ’on e x te rm in â t la secte des chrétiens; elle
l u t aussi, trè s probablem ent, l ’instigatrice m orale de c ette atroce persé
c u tio n de l ’an 64 pù les apôtres P ierre e t P a u l a u raien t péri su iv a n t la
trad itio n . On sa it que les R om ains qui, ju sq u ’alors, confondaient chré
tie n s e t ju ifs orthodoxes, d istinguèrent p a rfa ite m en t en tre eux dans
cette occasion : R enan y tro u v e une preuve définitive de c ette accusa
tio n qui fu t portée dès les prem iers siècles contre la D iaspora (sous une
form e voilée, m ais suffisam m ent intelligible, dans T ertullien : Apologe-
(icits, ch. X X I . p a r exem ple; cf. R enan : IJ Antéchrist, ch. v n ). O n tro u
vera d a n s . N eum ann : Der rümische Staat u n d die allgemeine Kirche
(1806), p. 5 e t suiv., 14 e t suiv., des preuves nouvelles e t irréfutables d u
fa it que les R om ains, longtem ps après la m o rt d e N éron — ju sq u ’à
D om itien — reg ard èren t les chrétiens com m e une secte juive. Si T acite
a distingué n e tte m e n t en tre chrétiens e t juifs, cela n ’e st e n l ’espèce
d ’aucune signification : il écriv ait cin q u an te ans après la persécution de
N éron e t il a tra n s p o rté d u tem ps o ù il é crit a u tem pssqu’il raconte la
connaissance q u ’il a v a it lui-m êm e de cet objet. V oir aussi su r la « jalo u
sie » des Ju ifs P a u l A llard : Le christianisme et l'em pire rom ain de N éron
à Thêodose, ch. I.
LE DEOIT KOaiAIR 195
des Gaulois, des Africains, des Syriens, des Goths, des Arabes,
des Ulyriens se succédèrent sous la pourpre : et probable
ment pas un seul d'entre eux n ’avait-il la plus vague parente
avec les hommes dont le sûr instinct fonda l’E tat romain.
L’idée, pourtant, continuait de vivre. Avec l’Espagnol
Trajan elle atteignit même son plus brillant apogée. Sous
Trajan et ses successeurs immédiats, elle s’attesta si rigou
reusement facteur d’ordre et de civilisation — agissant en
toute occasion comme une puissance résolue à ne s’étendre
par la conquête qu’autant que la conquête servirait à conso
lider la paix — qu’il sied de considérer le siècle des Antonins
comme le moment où prit conscience d’elle-même l’inspira
tion romaine universaliste. Elle n’avait été jadis, dans l’âme
du peuple, qu’un mobile instinctif, non un dessein réfléchi.
Les Antonins la conçurent selon leur mentalité particulière,
c’est-à-dire comine des étrangers pleins de nobles inten
tions, qui, initiés à un rêve formé par d’autres, l’envisagent
en toute objectivité pour le réaliser fidèlement et intelli
gemment.
Leur siècle eut sur tous ceux qui suivirent une grande
influence. En quelque lieu que l’on s’inspirât dès lors — à
noble intention — de l’idée d’un empire romain, ce fut tou
jours sous l’impression de Trajan, d ’Hadrien, d’Antonin le
Pieux, de Marc Aurèle, et pour les imiter. Mais, d’autre part,
toute cette période se caractérise par une singulière absence
d’âme. Sous ce règne de l’intelligence, le cœur se tait.
L’âme, dans la mesure où elle subsiste, semble obéir au
même mécanisme qui règle la vie extérieure : nulle passion ;
le bien qu’elle fait, c’est par raison, non par amour. De cette
mentalité, qu’on cherche le reflet dans les Pensées par où
Marc Aurèle dialogue avec lui-même; qu’on en constate
l’inévitable réaction dans les aberrations sensuelles de Faus-
tine, son épouse. La racine de Rome, l’amour passionné de
la famille, du foyer, s’est desséchée. Même la célèbre loi
contre les célibataires, qui institue des primes pour la pro
création d’enfants (Lex Jidia et Papia Poppaea) ne réussit
L E D E O IT BOM'AIN 199
14
210 lYHj'.RïTAGE
l) De legibua i, 5 e t 6 ; n , 4 e t euiv.
®) Rômiséhe Qesehichte m , 620.
L E D R O IT R O M A IN 217
15
226 I/H É E IT A G E
intitulé : «Du droit naturel »x) ; mais dans VEthique (1. rv, th.
37, sch. 2.) nous lisons, noir sur-blanc : « D ’après le droit le
plus haut de la nature il est permis sans restriction à chaque
homme de faire ce qui, suivant son jugement, doit tourner
à son profit; » et dans le traité De la vraie liberté, nous lisons
encore : « Pour atteindre cela qu’exigent notre bien et notre
tranquillité, il nous suffit d’invoquer cet unique principe,
à l’exclusion de tout autre : que nous accordons notre consi
dération à ce qui assure notre avantage 123) ».
Qu’un homme aussi foncièrement honnête ne se trouve
pas embarrassé de construire sur de pareils fondements une
doctrine de morale pure, cela, certes ! témoigne avec éclat
de son talent inné de casuiste; mais il suffit pour que l’on se
rende compte que le droit romain n’aurait pu croître sur le
sol juif, capable tout au plus de produire une manière de
eode simplifié et tel qu’un Tippoo-Tip en eût trouvé l’emploi
dans l’administration de la justice congolaise s). En fait, ce
n’est qu’une fois appuyé sur un droit qui fut créé et déve
loppé jusqu’en ses moindres détails par des Indo-Européens,
que le Juif s’est découvert d’étonnantes capacités juridiques.
H en est tout autrement des Allemands. L’esprit de sacri
fice, la tendance à- « construire du dedans au dehors », l’ac
centuation de l’élément éthique, l’indomptable propos de
liberté, bref : les qualités morales, ils les possédaient à un
degré plus que suffisant -— mais non pas les intellectuelles.
L’acuité, la finesse ne font point partie du patrimoine tudes-
que — c’est là un fait si patent que toute preuve serait
superflue : « Le vrai caractère national des Allemands, c’est
érige sur cette base son E ta t et son Droit, le Grec, lui, part de
F ê t â t , l’organisation de la « Polis » demeure toujours son
idéal, à quoi se doivent subordonner et la Famille et le Droit.
Toute son histoire, toute sa littérature démontrent la jus
tesse de cette affirmation ; et si l’on veut se rendre compte des
néfastes aberrations auxquelles devait conduire son erreur
primordiale, il suffit de se rappeler que le plus grand de tous
les Hellènes qui aient illustré les âges posthomériques •—
Platon — tint pour un but digne d’être proposé aux efforts
de ses compatriotes l’abolition totale de la famille (au moins
dans les cercles dirigeants). C’est à bon droit que Giordano
Bruno dit quelque part : « L’erreur la plus légère commise
dans la manière dont on aborde un sujet sera cause que l’on
aboutira aux conclusions les plus manifestement fausses;
car si peu que dévie' en ses ramifications la marche de nos
idées, cette déviation ira croissant comme croît le gland en
devenant chêne » 1). Or l’erreur dont il s’agit ici n ’était pas
« la plus légère », elle était énorme. De cette erreur procède
toute la misère des peuples hellènes; ils lui doivent leur
impuissance à fonder un E ta t ou un droit capables de résis
ter aux assauts du temps ou de servir d’exemples aux peu
ples futurs. Si l’on s’informe de cette matière dans quelque
ouvrage qui en présente un aperçu détaillé — par exemple
dans l’écrit d’Aristote assez récemment découvert et consa
cré aux formes de l’E ta t chez les Athéniens *2) — on se sent
bientôt pris de vertige à voir défiler tan t de constitutions
diverses, et inspirées chacune d’un génie essentiellement
' différent : la constitution prédraconienne, les constitutions
1) RomuluSt x x ix . Quel c o n tra ste avec les A llem ands chez lesquels,
ju sq u ’à l’in tro d u c tio n d u c h ristianism e (et m êm e ju sq u ’au x v n rae
siècle chez les W endes), il é ta it d ’usage d ’achever les vieux p a ren ts
affaiblis l (Cf. G rim m : Rechtsalteriümer, p. 486-490.)
2) Sans p a rle r de la verge « eensoriemxe », q u i c h â tia it aussi bien un
excès de sévérité q u ’u n excès de négligence dans l’accomplissement-
des devoirs paternels. Cf. Jh e rin g : Geist des rômisehen R edites, § 32.
16
242 l ' héritage
pas deux fois et vers lesquels les générations des siècles futurs
tourneront encore leur regard, non seulement pour admirer,
mais pour s’assurer qu’elles ne s’égarent pas trop loin de la
vérité. Chaque fois qu’on étudiera le dix-neuvième siècle,
que par exemple on discutera la question brûlante du fémi
nisme, une contemplation de la cime altière et désormais
inaccessible rendra d’inappréciables services ; et, pareillement,
quand on scrutera la valeur de ces théories socialistes qui,
en opposition avec le génie romain, se résument dans la for
mule : plus de famille, rien que l’Etat.
elle créa un peuple, elle lui donna d’un cœur prodigue tout
ce que peut offrir la beauté la plus haute pour sanctifier la
vie, tout ce dont dispose la poésie pour transfigurer de pau
vres âmes d’hommes aux prises avec la destinée et pour leur
faire pressentir l’existence de puissances invisibles, ami
cales — et désormais cette fontaine de vie coule intarissable ;
un siècle après l’autre s’y désaltère, un peuple après l’autre
y puise l’inspiration qui le rend capable de créer à son tour
de la beauté. Car le génie est comme Dieu : s’il se mani
feste à des époques et dans des circonstances déterminées,
il n ’en est pas moins inconditionné par essence; de ce qui,
pour d’autres, est chaîne, il se fait des ailes ; il s’envole hors
du temps et, planant plus haut que son ombre de mort, il
entre vivant dans l’éternité.
A Rome, c’est le contraire : le génie est tout simplement
interdit. Rome n ’a aucune sorte de poésie jusqu’à ce qu’elle
commence à se décomposer. C’est alors, quand la nuit tombe
et qu’il n’y a plus de peuple pour les écouter, que ses chan
teurs élèvent leur voix. Us font songer à des papillons de nuit.
Ils apportent aux viveurs blasés les nouvelles des boudoirs
qu’ils hantent, amusent les femmes lascives et distraient la
cour. Bien que des Hellènes vécussent tout proche et qu’ils
n’eussent cessé de répandre les semences de leur art, de leur
philosophie, de leur science (car Rome n’eut jamais d’autre
culture que grecque), pas un de ces germes ne leva. Cinq
siècles avant J.-C., les Romains envoyaient déjà à Athènes
une commission chargée de les informer exactement sur le
droit hellénique; leurs envoyés trouvaient Eschyle dans la
plénitude de sa force et Sophocle débutant : de ce contact
avec le génie en action, attestant si magnifiquement sa splen
dide vitalité, quelle floraison artistique n ’aurait pas dû résul
ter pour Rome, si Rome avait possédé la moindre disposi
tion pour l’art ! Mais ce ne fut pas le cas. Comme le dit bien
Mommsen : « Dans le Latium, lé développement des arts
qu’inspirent les Muses fut plutôt un dessèchement qu’une
floraison. » Les Latins, avant la décadence, n’avaient pas
L E D R O IT ROM AIN 249
*) A ux prem iers je ne sau rais tro p recom m ander le p e tit é crit aussi
plein de faits q u ’e x em p t de passion : Z atein u n d Deutseh (1902) p a r le
professeur H eintze. Il p e u t d ’ailleurs p rofiter à chacun e t n o tam m en t
à ceux qui, préoccupés de la « crise d u français », seraien t ten té s d ’ou
blier que c la langue litté ra ire de R om e e st une création artificielle »,
en so rte q u ’il p e u t y av o ir danger à « ré p éter les procédés u n peu fac
tices des écrivains la tin s », comm e l ’observe L anson dans sa réfu tatio n
des théories de la P lé ia d e {Histoire de la littérature française, 10e éd.
p . 277).
L E D R O IT ROM AIN 251
LE CHRIST
17
258 l ’héritage
poétique humaine, celle d’un individu pas plus que celle d ’un
peuple, ne pouvait inventer un Bouddha — combien, moins
encore un Christ ! et nulle part nous ne découvrons la moin
dre disposition pour une tâche de ce genre. Ni poètes, ni
philosophes, ni prophètes n ’ont rêvé rien de pareil. Souvent,
il est vrai, on rapproche de Jésus Platon; des livres entiers
établissent leurs prétendus rapports; on présente notamment
le philosophe grec comme un précurseur de la nouvelle doc
trine du salut. En réalité, rien de moins religieux que le
génie du grand Hellène : Platon est un métaphysicien et un
homme d’Etat, un investigateur et un aristocrate. E t Socrate
donc ! l’ingénieux initiateur à la grammaire et à la logique,
l’honnête prédicateur d’une morale bourgeoise, le noble
bavard des gymnases athéniens n’est-il pas en toutes choses
l ’exacte contre-partie du divin annonciateur d’un royaume des
cieux pour « les pauvres en esprit » ? Il n ’est pas plus exact
que l’Inde ait pressenti la figure d’un Bouddha ou qu’elle
l’ait évoqué par la puissance magique du désir. C’est là une
de ces innombrables affirmations gratuites qui servent à
étayer après coup quelque chimérique philosophie de l’his
toire. Si le Christ et le christianisme avaient été une néces
sité historique, comme le soutint le néoscolastique Hegel,
comme nous le donnent encore à croire Pfleiderer et bien
d ’autres, nous aurions dû voir apparaître non pas un Christ,
mais des milliers : en quel siècle, je serais curieux de l’ap
prendre, un Jésus n ’a-t-il pas été aussi « nécessaire » que le
pain ? 1) Ne nous attardons pas à discuter dès considéra
') V oir ce qu’é c rit H egel du C hrist dans s a Philosophie de l’his
toire (Ire p artie, 3 e section, ehap. 2) : s II n a q u it cet hom m e-ci, en a b s
tra ite subjectivité, m ais de telle so rte que, p a r u n e interversion des
term es, la finitude n ’e st que la form e de son a p p aritio n phénom énale,
d o n t l ’essence e t le co n ten u consistent bien p lu tô t dans i ’infinitude,
dan s l ’absolu être-pour-soi.... L a n a tu re de D ieu, qui e st d ’être p u r
esprit, se révèle à l’hom m e dans la religion chrétienne. M ais q u ’est
l’e sp rit ? C’est l’U n, l’infini p a reil à soi, la p u re id en tité , qui, secondai
rem ent, se sépare de soi en t a n t que l ’a u tre d ’elle-même, comm e être-
pour-soi e t en-soi p a r opposition a u général. M ais c ette sép aratio n se
L E CH R IST 283
n ’est pas chrétien parce qu’on a été élevé dans telle ou telle
Eglise, parce qu’on v e u t être chrétien; mais si l ’on e s t
chrétien, on l’est parce qu’on d o i t .l’être, et que ni le train
désordonné du monde, ni le délire de l’égoïsme, ni aucun
dressage de la pensée ne saurait anéantir l’image une fois'
aperçue de l’Homme de douleur. «.
Interrogé par ses disciples sur la signification d’un de ses
actes, le Christ répondait, la veille de sa mort : « Je vous ai
donné usr e x e m p l e . » E t tel est le sens non seulement de
l ’acte en question, mais de sa vie tout entière et de sa mort.
Si convaincu qu’il soit de la nécessité d’une institution ecclé
siastique, Luther, le strict Luther écrit : « l ’e x e m p l e du
Seigneur Jésus-Christ est en même temps un sacrement; il
est en nous une force efficace et il ne nous instruit pas seule
ment comme fait l’exemple des Pères, mais il r é a l i s e aussi
ce qu’il enseigne, il donne la vie, ia résurrection et la déli
vrance de la mort. » C’est également sur la vertu de l’ex
emple que se fonde la puissance du Bouddha, c’est grâce
à elle qu’il a conquis une partie du monde. On ne saurait
trop y insister : la véritable source de toute religion, pour
l’immense majorité des hommes vivant à cette heure, il ne
faut pas la chercher dans une d o c t r i n e , mais dans une v i e .
Jusqu’à quel point nous sommes ou ne sommes pas capables,
avec nos faibles forces, de suivre l’exemple, c’est une autre
question. Mais l’idéal est là, clair et net, impossible à mécon
naître, et il influe depuis des siècles, avec une puissance sans
pareille, sur les pensées et sur les actes des hommes, même
des incroyants.
Je reviendrai plus tard, et d’un autre point de vue, sur
cet objet. Si j ’ai fait intervenir le Bouddha dans l’instant
que doit m ’occuper seule l’apparition du Christ, c’est sur
tout parce que la comparaison est le meilleur moyen d’accu
ser le relief d ’une figure. Seulement toute comparaison
n ’est pas raison; et je crois que l’histoire universelle ne nous
offre personne qui se prête mieux que le Bouddha au rappro
chement avec le Christ. Tous deux possèdent le sérieux divin ;
268 l ’hêbitage -
13
274 l 'héritage
19
290 l ’h é r it a g e
l) Aere m inute
QuaMacunque voles Judaei som nia vendant.... (Ju v én al).
-} M om m sen : MOmische Geschichte V, 515.
s) P lu s ta rd encore les h a b ita n ts d e la G alilée sem b len t c o n stitu e r
une race à. p a rt, re m a rq u ab le p a r son courage e t s a force, tém o in le u r
p a rticip a tio n à laeam pagne d u P erse S ch ah b ara e t à la prise de Jé ru sa lem ,
en 614.
294 l ’héritage
*) L e lec teu r appréciera selon ses lum ières u n singulier changem ent
d ’a ttitu d e que l’on observe chez R enan. D ans sa V ie de Jésus, p a ru e
en 1863, R e n an déclare im possible d ’énoncer m êm e une conjecture su r
la race à laquelle Jé su s a p p a rte n n a it p a r le sang. D ans son H istoire du
peuple d ’Israël, achevée e n 1891, e t composée a u tem p s de ses fréquents
rap p o rte avec l ’A lliance Israélite, R en an affirm e expressém ent : « Jé su s
é ta it u n J u if » e t v itu p è re avec une violence insolite les gens coupables
d ’en d o u ter. A ux puissances ty ran n iq u es qui op p rim aien t le dix-
huitièm e siècle e t qui, m algré son effort, n ’o n t pas désarm é, d ’au tre s
se so n t a jo u t ées, e t de pires : c ar sous l ’ancienne co n tra in te le caractère
se fo rtifia it; il s ’am o llit sous la nouvelle. E n tre la liberté d e la s c ie n c e e t
la lib e rté du sa v a n t, il y a, a u dix-neuvièm e siècle, plus q u ’une nuance.
2S Cf. H ugo W ïnclder : D ie Yëlher Yorderasiens, 1900.
L E C H B IS T 299
20
306 1 /HERITAGE
21
322 l ’héeitaoe
22
338 l 'h é r it a g e
au demeurant, que sur une culture née aussi tard que la nôtre,
et particulièrement quand elle atteint un âge de hâte essouf
flée où les hommes doivent beaucoup apprendre pour pouvoir
penser beaucoup, pèse la malédiction de la c o n t u s i o n ^ Si
nous voulons acquérir une vue claire de nous-mêmes, il nous
faut avant tout voir clair dans les conceptions et représen
tations fondamentales que nous avons héritées de nos aïeux.
L’extrême complexité de l’héritage hellénique, les contradic
tions particulières inhérentes à l’héritage romain, en même
temps que la profondeur de leur emprise sur la vie et la pen
sée actuelles, ont été, je l’espère, rendues sensibles au lecteur.
Puis nous avons constaté que la figure du Christ, rayonnant
aux confins du temps ancien et du nouveau, ne se présentait
pas, à dix-neuf siècles de distance, sous un aspect si simple
que nous ia pussions dégager aisément du labyrinthe des préju
gés, des mensonges et des erreurs. E t pourtant c’est précisé
ment de cette figure qu’il nous est le plus nécessaire de possé
der une image nette et fidèle. Car — quelque indigne que nous
nous en montrions d’ailleurs — notre culture entière demeure
encore, Dieu merci ! sous le signe de la croix de Golgotha.
Nous apercevons bien cette croix : mais qui voit le Crucifié ?
Or c’est lui, et lui seul, la source vive de tout christianisme,
aussi bien pour le dogmatique intolérant que pour l’homme
qui se déclare incroyant. Le fait qu’on ait pu en douter, et que
le dix-neuvième siècle se soit nourri de livrer représentant le
christianisme comme né du hasard, par voie de simplifica
tion mythologique, à titre d’« antithèse dialectique » (que
sais-je!) ou encore comme un produit nécessaire du judaïsme,
etc., apportera aux générations futures un témoignage élo
quent de la puérilité de notre jugement. Il est i m p o s s i b l e
d’estimer trop haut l’importance du génie : qui oserait se
flatter de calculer l’influence d’Homère sur l’esprit humain ?
Mais le Christ fut plus grand qu'Homère. E t comme doit
brûler éternellement le « feu domestique » du foyer aryen,
jamais plus ne s’éteindra le flambeau de la vérité qu’H
alluma pour nous : si parfois la nuit menace d’envelopper de
340 l ' h é r it a g e
LES HÉRITIERS
LE CHAOS ETHNIQUE
23
354 L ES H É R IT IE R S
25
386 L E S H É R IT IE R S
Tek sont donc les cinq principes qui m’ont paru fonda
mentaux : qualité de la matière première, endogénie, sélec
tion, e t puis la nécessité de croisements, mais la nécessité
aussi de leur limitation dans le temps et de leur convenance
au but. De ces principes découle cette conséquence que la
formation d’une race d’hommes très noble dépend entre
autres de certaines c o n d i t i o n s h i s t o e i c o - g é o o k a p h i q u e s :
ce sont ces conditions qui, réalisant ici ce qu’obtiennent
ailleurs les procédés de l’élevage conscient, pourvoient à
l’ennoblissement de la matière première, à l’endogénie et à
la sélection ; ce sont elles encore, si un astre favorable veille
sur les destinées du peuple à naître, qui suscitent les mariages
de race heureux et empêchent la prostitution du noble dans
les bras de l’indigne. S’il s’est trouvé en plein dix-neuvième
siècle des savants (à commencer par Buekle) pour enseigner
que les circonstances géographiques p r o d u i s a i e n t les races,
rendons-leur le service de ne point nous souvenir qu’ils por
tèrent ce défi à l’histoire. Chacune des lois que j ’ai énumé
rées, ét plus particulièrement les exemples tirés de l’obser
vation de Rome, de la Grèce, de l’Angleterre, de la Judée
■m
L E CHAOS E T H N IQ U E 395
26
402 L E S H É R IT IE R S
l) C o m m e n t s a n s ce la u n H e n r i H e in e o se ra it-il, a in s i q u e je v ie n s
d e le ra p p e le r, s ’é g a le r à u n G o etlie 1
408 LES HÉRITIERS
27
418 L ES H É R IT IE R S
des fru its su b sta n tie ls p o u r son peuple e t p our lui », d it Ju sse ran d
{Histoire littéraire d u peuple anglais* tom e ï. p. 84), e t il n o te encore î
t; A lfred se m o n tra a v a n t l’heure u n v rai Anglais» » A près la conquête
norm ande, on l’appelle encore Enqlene dcrling, « le chéri de l ’A ngleterre »
(p. 89).
i) Cf. n o tam m en t O liver F . E m erson : History of the English
Language, p . 54.
L E CHAOS E T H N IQ U E 433
28
434 L ES H É R IT IE R S
du monde, lié à cette antique l o i qui lui fut donnée sous d’au
tres cieux et qui, de son propre aveu, tient à lui indissolu
blement »1). C’est juste. Mais ce peuple étranger, éternelle
ment étranger parce qu'indissolublement lié — comme le
note ïïerder — à une loi étrangère hostile â tout autre peu
ple, n ’en est pas moins devenu, dans le cours du dix-neu
vième siècle, un élément constitutif de notre vie et peut-être
même, en bien des domaines, son facteur dominant. Il y a
cent ans, le même témoin avouait avec mélancolie que « les
nations les plus grossières de l’Europe s’étaient faites escla
ves volontaires de l’usurier juif » *2) ; il pourrait à cette heure
en dire autant de la partie de beaucoup la plus considérable
du monde civilisé. La possession de l’argent n ’est en soi que
peu de chose : ce sont nos gouvernements, notre justice,
notre science, notre commerce, notre littérature, notre art....
à peu près toutes les formes de notre activité qui sont deve
nues esclaves plus ou moins volontaires des Juifs et qui traî
nent au pied — quelquefois aux deux pieds — la chaîne de
servitude. En outre, ce caractère « étranger » souligné par
Herder apparaît toujours plus saillant; il y a cent ans, on
ne- pouvait guère que le pressentir; maintenant il s’est déve
loppé et affirmé au point de s’imposer à l’observation du
spectateur le moins perspicace. Obéissant à des motifs d’or
dre idéal, l’Indo-Européen a ouvert amicalement la porte; le
Juif s’y est précipité comme un ennemi, il a pris d’assaut
toutes les positions, et sur les brèches — je ne veux pas dire
sur les mines — de notre individualité propre, il a planté le
drapeau de cette autre individualité qui nous demeure éter
nellement étrangère.
Allons-nous, de ce chef, vitupérer les Juifs? Ce serait
manquer de noblesse, autant que de dignité et de raison.
Les Juifs méritent l’admiration, car iis ont agi avec une
29
450 L ES H É R IT IE R S
’) V oir ch. IV le d ern ier p arag rap h e de la ru b riq u e : « Les cinq lois
fondam entales s e t, en ce qui concerne le Sém ite, vo ir un p e u plu s loin
dans le p ré sen t chapitre, a u so u s-titre : « F o rm atio n de l ’Isra élite ».
L E S J U I F S D A N S i/H I S T O I R E O C C ID E N T A L E 465
30
466 L E S H E R IT IE R S
l) E t non p a s eux seulem ent, m ais aussi leurs p a ren ts de race, les
A m m onites, les M oabites e t les E dom ites, qui form ent avec eux la
fam ille des h é b r e u x , nom que tro p souvent l ’on réserve à to r t a u x
seuls Israélites ou m êm e a u x Ju ifs seuls (voir W ellhausen : IsraeliUsche.
und füdische Geschidhte, 3" éd., p. 7 )s à la m êm e fam ille a p p artie n n e n t
égalem ent les M adianites e t les Ism aélites (M aspero : H istoire ancienne,
éd. 1885, n . 65).
LES JU IF S D A N S /-/H I S T O I R E O C C ID E N T A L E 471
l) Sayce : The races of the Old Testam ent (2e éd., p. 70 e t 113),
é c rit : « L e R om ain chassa le J u if d u p a y s que ses pères a v a ie n t conquis,
tan d is que le J u if n ’a v a it jam a is réussi à chasser les v ra is possesseurs
de C anaan.... L e J u if o c cu p a it Jé ru sa lem e t H ébron, ainsi que les villes
e t villages des environs, m ais il ne fo rm a it ailleurs (et m êm e dans la
Ju d é e p ro p re m e n t dite) q u ’une frac tio n de la populatio n . — Dès que le
J u if s ’éloignait, p a r exem ple lors d e la c a p tiv ité d e B abylone o u après
la d estru ctio n de Jé ru sa lem p a r les R om ains, la pop u latio n indigène,
478 L E S H E R IT IE R S
31
482 L E S H É R IT IE R S
32
498 L ES H E R IT IE R S
33
514 L E S H É R IT IE R S
34
530 L E S H É R IT IE R S
x) D ie W e tt aïs W ille unâ Yorstellung, t-. n 521., ch. 24. Sans aucune
connexion avec la do ctrin e d e S chopenhauer, m ais n o n m oins in té re s
sa n te com m e reflet de la m êm e in tu itio n , e st la d o c trin e d u S âm k h y a
(systèm e ra tio n aliste des H indous brahm aniques) su iv a n t laquelle le
vouloir n ’e st p o in t u n e fon ctio n spirituelle, m ais p h y siq u e (Cf. G arbe î
Sâmhhya-Philoso'pliie, p . 251).
538 L E S H É R IT IE R S
35
546 L E S H É R IT IE R S .
encore qu’il dise que « le royaume des eieux est pour ceux
qui ressemblent à des enfants », dit aussi, dans le même
entretien : « Tous ne comprennent pas la parole, mais seule
ment ceux à qui cela est donné.... Que celui qui peut com
prendre, comprenne » (Matthieu xrx, 11,12 et 14). Tout autre
est le Sémite et, dès lors, tout autre sa puissance de foi.
Cette simple phrase : « Je crois en Dieu, créateur du ciel et
de la terre », ne fait même pas partie de son credo; le Coran
ne signale qu’en passant cette circonstance, et il en existe à
peine trois mentions dans la totalité des livres sacrés des
Juifs. Par contre, le premier commandement de Moïse dit
tout de suite : « Je suis le Seigneur, qui t’ai tiré du pays
d’Egypte ! » La foi, on le voit, s’attache dès l’abord aux faits
historiques que le peuple tient pour authentiquement certi
fiés, et jamais elle ne s’élève au-dessus du niveau de la vision
commune. Ainsi que nous l’indiquait Montefiore1) : la reli
gion juive ne connaît pas de mystères. Quand donc on parle
de l’incomparable force de cette foi sémitique, il ne faut pas
perdre de vue qu’elle embrasse un contenu borné, extrême
ment mince, qu’elle laisse systématiquement de côté le
grand miracle du monde et que, par l’imposition d’une
« Loi » (au sens juridique du mot), elle réduit également à
un minimum la vie intérieure du cœur : quiconque obéit à
la Loi est sans péché, et il n’a pas besoin de se casser la tête
davantage; nouvelle naissance, grâce, délivrance, tout cela
n’existe pas. Nous sommes donc conduits à reconnaître que
cette foi si forte suppose en revanche un minimum d’objets
de foi, un minimum de religion. Moïse Mendelssohn a eu de
ce fait la juste intuition, et il l’a exprimé avec une franchise
qui l’honore, quand il a dit : « Le judaïsme n’est pas religion
révélée, mais législation révélée » 2).
« Le Sémite a proprement peu de religion », déplore le*)
de ces tom bes fraîchem ent com blées. Sans convulsions n i lu tte s les
sa in ts hom m es p a sse n t d u tem p s à l ’é te rn ité , en so rte que Ton c ro ira it
à l ’a sp e ct d e leurs cadavres que la m ain d e l ’am o u r a disposé leurs m em
bres e t ferm é leurs y e u x {ceci su iv a n t des com m unications verbales, et.
des dessins d ’après n a tu re ). Si l’o n v e u t ap p ren d re com m ent la vieille
religion aryenne s’e st conservée v iv a n te e t p u re e n c ertain s lieux e t en
certaines âm es, com m ent elle y fleurit dans sa b e a u té originelle, ja illis
s a n t d ’u n sol sp iritu e l qui dem eure éternellem ent p a reil à lui-m êm e, il
f a u t lire l ’esquisse b iographique d ’u n s a in t hom m e d e fam ille b ra h m a n i
q u e m o rt e n 1886, q u ’a publiée (pour la fê te de N oël, 1898) M ax
M üller sous ce titr e : HâmahHshna, his life and sayings.
1) O ldenberg certifie (Religion des Yeda, p . 30; 92; 302, etc.) que
les dieux des H indous aryens, p a r opposition a u x a u tre s, so n t des êtres
lum ineux, véridiques, bienfaisants, n i rusés, n i cruels, n i m enteurs.
2) « L es H indous in v o q u aie n t les ra p p o rts figurés dan s le sacrifice
com m e re p ré se n ta n t des ra p p o rts analogues de l’univers, un is à lui p a r
u n lien m y stiq u e », n o te encore Oldenberg. O n en tro u v e les preuves
560 LES H É R IT IE R S
r) n B ois x m .
2) R . S m ith : Prophète of Israël, p. 438. G’e st dans le Deutéronome
q u ’e st posée la prem ière p ierre d u ju d aïsm e p ro p rem en t d it. I l form e
le centre de l ’A ncien T esta m en t en la form e actuelle de celui-ci, « le
point- d ’où p e u v en t e t d o iv en t p a rtir les inv estig atio n s qui te n d e n t au
delà ou e u deçà, si l ’on v e u t q u ’elles a ie n t quelque chance d ’a b o u tir à
une ju s te com préhension d u re ste s, com m e d isa it Reuss, voici long
tem p s d éjà, d a n s sa décisive H istoire de l’A ncien Testament § 286.
L E S J U IF S DANS L ’HISTGERE O CC ID EN TA LE 577
37
578 L E S H É R IT IE R S
tam ent furent rédigés dans la formé où ils nous sont parvenus
par compilation de sources diverses, non sans que celles-ci
eussent été préalablement revisées, expurgées, glosées au
profit de la nouvelle hiéroeratie et du* nouveau iahvisme,
comme aussi de la nouvelle « Loi » sous laquelle les infor
tunés Juifs allaient dorénavant gémir. Ce travail eût exigé
des forces dépassant le degré de culture de ses auteurs, en
sorte que les contradictions éclatent dans toute l’étendue
de leur édifice et que ses lacunes mêmes nous permettent
d’apercevoir à l’œuvre le pieux arbitraire1). Cette Thora
(ou « Loi » écrite) fut à son tour complétée peu à peu par des
extraits d ’une littérature gnomique en partie très ancienne
1) E n a r g e n t s e u le m e n t E s d ra s a p p o r t a i t , co m m e d o n g r a c ie u x
d u ro i, u n e s o m m e d e p lu s d e s ix m illio n s d e f ra n c s ! L ’a u th e n tic ité
(a u m o in s essen tielle) d e s d o c u m e n ts p e rs a n s c ité s p a r E s d r a s a é té
d é fin itiv e m e n t é ta b lie , à l ’e n c o n tr e d e l ’o p in io n d e W e llh a u s e n , p a r
E d u a r d M e y e r (v o ir D i e E n ts te h u n g d e s J u d e n tu m s , 1896, p . ,1-71).
Ains i se tr o u v e tr a n c h é e u n e d e s q u e s tio n s le s p lu s difficiles d e l ’h is
to ire . O n n e p e u t l ir e le liv r e d e M e y er, s i b re f m a is d ’u n c o n te n u s i
ric h e , s a n s r a tif ie r s a c o n c lu sio n : e L e ju d a ïs m e a é té cré é a u n o m d u
r o i d e s P e rse s e t p a r l ’a u t o r i té d e s o n e m p ir e ; a u s s i p e u t- o n d ir e q u e
n o t r e p r é s e n t se r e s s e n t d ir e c te m e n t d e s effets d e l ’e m p ire a c h ê m é -
n id e , q u i a g is s e n t en c o re s u r lu i p lu s p u is s a m m e n t q u e b ie n d ’a u t r e s
f a c te u r s » (p . 243).
2) N é h é m ie x m , 27. J ’a i m a r q u é a u d é b u t d u p r é s e n t c h a p itr e l ’im
p o r ta n c e d e ce p o i n t p a r tic u lie r.
590 L E S H É R IT IE R S
38
594 BBS H É R IT IE R S
1> L e D ie u d ’A m o s d i s a it d e m ê m e , a p rè s a v o ir e x p rim é s a « h a in e »
e t son. « m é p ris » d es c érém o n ies relig ie u ses : « M ais q u e la d r o itu r e s o it
co m m e u n c o u r a n t d ’e a u e t l a ju s tic e co m m e u n to r r e n t q u i n e t a r i t
j a m a is 1 » (v , 21-24).
L E S JU TES DANS L ’H IS T O m E O CC ID EN TA LE 59S
*) P lu s e x p lic a b le en c o re p a r le f a i t q u ’u n g r a n d n o m b re d e ces
p a ssa g e s s o n t d es in te r p o la tio n s d a t a n t d ’u n e é p o q u e b ie n p o sté rie u re ,
a in s i q u ’o n e n a f a i t la p re u v e .
s) E n c o re q u e la c o m m issio n b ib liq u e d u V a tic a n a i t p ro n o n c é , e n
1907, q u ’il n e f a lla it p a s d is tin g u e r d e u x I s a ïe (de s o r te q u e C y ru s
a u r a i t é té n o m m é , e t ses a c tio n s r a p p o rté e s , a v a n t s a n a issa n c e ), la
c r itiq u e m o d e rn e c o n tin u e , je l ’a i d é jà d it, d ’a t t r ib u e r u n e p a r tie d u
re c u e il c o n n u so u s le n o m d ’I s a ïe à u n a u te u r p lu s ré c e n t, q u ’elle a p p e lle
le. « S e c o n d I s a ïe » o u D e u té ro -Is a ïe . C ’e s t celu i-ci q u i p a rfo is é v o q u e u n e
fig u re d o n t les t r a i t s f o n t s o n g e r a u C h r is t ( p a r e x e m p le /s o ï c L i n ) , e t il
e s t c a r a c té r is tiq u e q u ’à p e in e s a v ie ac h e v é e , les J u if s , q u i, s o n t d e si
in tré p id e s g é n é a lo g iste s, n ’a i e n t m ê m e p lu s s u s o n n o m . V o ir à s o n s u je t,
n o ta m m e n t, C h e y n e : In tr o d u c tio n lo th e B o o k o f I s a ia h (1895) e t D u h m :
J e m i a (1892). T a n d is q u e le p re m ie r Lsaïe p r ê c h a it e n J u d a lo rsq u e
S a m a rie f u t p r is e p a r les A ssy rie n s q u i m ire n t Un a u ro y a u m e d ’I s r a ë l
(721), e t q u ’a p rè s l a c a ta s tr o p h e il a n n o n ç a la ru in e d e l ’A ssy rie so u s
E z é c h la s, p u is f u t r é d u i t a u sile n c e p a r le b o u r re a u so u s M an assé,
D e u té r o - Is a ïe s ’a d re s s e a u x J u if s c a p tifs e n B a b y lo n ie ( p a r les ch . SX
596 L E S H É R IT IE R S
mer Dieu en ces termes : « Le ciel est mon trône et 1a. terre
-, mon marchepied. Quelle maison pourriez-vous me bâtir et
quel lieu me donneriez-vous pour demeure ?... Mes regards
se portent sur d’autres objets : sur celui qui souffre et qui
a l’esprit abattu, sur celui qui craint ma parole » ( l x v i ,
1 et 2). Le contraste ne pourrait s’accuser plus aigu avec les
commandements de la Thora qui allaient bientôt se substi
tuer à de pareilles intuitions. D’autant qu’il ne s’agit pas
seulement des formes du culte : toute 1a- conception des pro
phètes tend, on le voit, à placer la piété dans le cœ ur ; est
pieux, à leur sens, non celui qui sacrifie, mais celui qui fait
le bien, non celui qui observe le sabbat, mais celui qui pro
tège l’opprimé. H convient de noter aussi que le nationa
lisme chez les prophètes ne revêt jamais (excepté unique
ment dans les interpolations ultérieures) le caractère dogma
tique et inhumain de la foi officielle qui fut instituée plus
tard. Amos, homme admirable dont le livre a été terrible
ment maltraité par la « Grande Synagogue », fait une des
rares remarques proprement humoristiques que l’on puisse
relever dans toute la littérature biblique : « n ’êtes-vous pas
pour moi, ô enfants d ’Israël, comme les enfants des Maures,
dit le Seigneur ? » (xx, 7) et il ajoute que de la même façon
que Dieu a fait sortir les Israélites du pays d’Egypte, il a
# aussi fait sortir les Philistins de Caphtor et les Syriens de
Kir. Miehée ne se montre pas moins tolérant : « Car tous les
peuples marchent chacun au nom de son dieu; et nous, nous
marchons au nom de notre dieu » (xv, 5). Le Second Isaïe,
qui seul s’atteste réel et conscient monothéiste, dit simple
ment : « Il se nomme Dieu de toute la terre » (l i t , 5). En
cela aussi se dessinait clairement une tendance qui fut plus
tard violemment réprimée. E t du même coup furent étouffés
en germe ce besoin plein de promesses d’une religion moins
à LV d e n o t r e liv re d ’Isa ïe ) d e u x siècles e n v iro n a p rè s le p r o p h è te
p ré e x iliq u e . S e lo n C heyn e, il y a u r a i t lie u d ’im p u te r à- u n a u t r e a u te u r ,
en c o re p o s té rie u r, le s ch . T.vi à l x v i , co n sid érés e n g é n é ra l co m m e
l ’œ u v r e d u « S eco n d I s a ïe ».
L E S J U IE S DANS L ’ï ï IS T Q IR E O CC ID EN TA LE 597
39
610 L E S H É R IT IE R S
*) E n c o m p ta n t la génération à 24 an s, ce q u i n ’e st p a s exagéré vu
la précocité des Ju ifs, le J u if a c tu e l a tte in t, en m oyenne, la centièm e
gén ératio n depuis le re to u r d e B abylone e t la fon d atio n d u judaïsm e.
Cela n e s’app liq u e n a tu re lle m e n t q u ’à la succession m asculine; une
succession fém inine inin terro m p u e to u c h e ra it e n viron à la c e n t cin q u an
tiè m e génération.
2) Sous la ru b riq u e : « Conscience de la coulpe raciale».
614 L E S H É B IT IE B S
*) D ans son é crit Dieu, et les hommes, ch. 42, V o ltaire donne u n cal-
cul détaillé d u nom bre de chrétiens qui fu ren t m assacrés p a r des chré
tie n s p o u r cause de doctrine chrétienne. Il arriv e à près de dix m illions,
m ais il a to u t d u long ré d u it les chiffres, e t parfois de m oitié, p o u r év iter
le reproche d ’exagération.
016 L E S H É R IT IE R S
*) A b o th iv , 5 ; d ’a p rè s M o n te fio re.
620 L E S H É R IT IE R S
1) O u co m m e d i t K a n t d a n s s a C r itiq u e d e la r a is o n p u r e (« E c la ir
cisse m e n ts s u r l ’id é e co sm o lo g iq u e d e l a l i b e r té s) : « L a m o r a lité p r o
p r e d es a c tio n s (m é rite e t f a u te ) 'nous d e m e u re — celle m ê m e d e n o tr e
p r o p re c o m p o r te m e n t — t o u t à f a it cach ée. »
622 L E S H É R IT IE R S
l ) A d r a s ie a , 7 e m o rc e a u , v . a B e ih k u m a n is ie r t », d i t le t e x t e a lle
m a n d , p lu s se rré .
L E S J U IF S DANS t ’iU S T O IR E OCC ID EN TA LE 623
40
CHAPITRE VI
l) S eM eieh er, p a r ex e m p le , d a n s so n a r b r e g é n é a lo g iq u e fa m e u x
e t p a r t o u t ré é d ité des la n g u e s in d o -g e rm a n iq u e s (ef. D ie deuische S p r a -
ehe 1S61, p . 82) r é u n i t les a la n g u e s ita lo -e e ltiq u e s » e n u n g ro u p e q u i se
s e r a i t s é p a ré d é jà e n d e s te m p s im m é m o ria u x d e la « la n g u e -so u c h e
n o r d -e u r o p é e n n e . » M ê m e d e s c o n c e p tio n s au ssi d iv e rg e n te s q u e la
a th é o r ie d e s o n d e s » d e J o h a n n e s S c h m id t c o n tin u e n t à r e p ré s e n te r le
C e lte co m m e é t a n t , d e to u s les In d o -E u ro p é e n s , le p lu s élo ig n é d u G er
m a in .
*) L o rs d e l ’e x p é d itio n d e s C im b re s e t d es T e u to n s , e n 1 14 a v a n t
J.-C .
3) D u m o in s s u iv a n t les é ty m o lo g ie s p ro p o sé e s p a r d iv e rs celti-
sttn ts , q u i se s o n t a v is é s q u e le s R o m a in s a v a ie n t c o n n u c e n o m : a G e r
m a in s i, p a r le s G au lo is, e t q u e ceu x -ci l ’a p p liq u a ie n t à d e s p e u p la d e s
636 L E S H É B IT IE B S
les cinq cents ans qui séparent Scot Erigène de Duns Seot
(deux Celtes), toute une série de théologiens doués de capa
cités philosophiques remarquables, et que leur tournure d’es
prit indépendante, leur audacieux instinct d’investigation,
exposent aux persécutions de l’Eglise. C’est au cœur de la
Bretagne que naît Pierre Abélard, un réel initiateur, qui
fraie à la conscience des voies nouvelles; mais faisons-y
bien attention : ce qui le caractérise, lui comme eux, ce n ’est
pas seulement l’autonomie de sa- pensée et le besoin ardent
de cette liberté, c’est encore et surtout le sérieux vraiment
sacré de sa vie — et voilà un trait essentiellement « germa
nique». Pas plus que le marin breton de nos jours, ces
anciens représentants de l’esprit celtique, si exubérants de
force, ne sont uniquement des hommes libres ni uniquement
des hommes pieux, mais ils sont tout ensemble pieux e t
libres — et voilà par où s’exprime en eux le « germanisme »
spécifique, tel que nous l’observons de Charlemagne et du
roi Alfred à Cromwell et à la reine Louise, des hardis trou
badours antiromains et des Minnesânger si indépendants
en politique jusqu’à Schiller et à Wagner. E t quand, par
exemple, nous entendons Abélard protester contre le trafic
des indulgences au nom d ’une profonde conviction reli
gieuse (Theologia christiana), déclarer en même temps qu’il
place les Grecs au-dessus des Juifs sous tous les rapports,
que la morale de leurs philosophes est supérieure au léga
lisme hébreu, que la conception platonicienne du monde est
plus haute que la conception mosaïque; mais surtout —
car il s’élève à cette intuition (Dialogus inter philosophum,
Judae.um et Ohristianum) — quand il indique que la pensée
religieuse manque de base ta n t que l’on n ’admet pas l’idéa
lité transcendantale de la notion de l’espace, faisant ainsi
dépendre la confrontation directe de l’homme avec Dieu non
point de son entrée dans un ciel empirique, mais de sa con
version intérieure.... ce sont là, certes! autant d’indices d’une
intelligence conformée selon le type indo-européen, par oppo
sition au type sémitique ou au type bas-romain, mais ce
L E S G ERM A IN S D A N S L ’H IS T O IR E U N IV E R S E L L E 639
41
642 L E S H É R IT IE R S
faits visibles à tous les yeux. Je ne vais même pas jusqu’à pos
tuler la parenté de sang : j ’y crois, il est vrai, à partm oi;m ais
je suis trop conscient de l’énorme complexité de ce problème,
je vois trop clairement que le vrai progrès de la science en
cette matière a consisté surtout à nous révéler notre par
faite ignorance et à démolir une à une nos hypothèses, pour
éprouver la moindre envie d’édifier à mon tour de nouveaux
châteaux dans les nuages, maintenant que tout savant digne
de ce nom commence à se résigner au silence. « Tout est plus
simple qu’on ne peut le penser, et en même temps plus enche
vêtré qu’on ne peut le concevoir », dit Goethe. En atten
dant nous avons constaté la parenté d ’esprit, la parenté de
sentiment, la parenté de structure corporelle : cela doit nous
suffire. Nous tenons en main un certain quelque chose, et,
comme ce quelque chose n’est pas une définition mais se
compose d’hommes vivants, je renvoie à ces hommes —
aux Celtes, aux Germains et aux Slaves authentiques —
pour que l’on apprenne ce qu’est cela : le « germanisme ».
imita- M’étant ainsi expliqué sur ce qu’il faut entendre par
ion du l’extension nécessaire du concept <cgermain », je viens main-
o n c ep t tenant à notre seconde question en quoi consiste la limi
tation de ce concept que j ’ai déclarée non moins nécessaire ?
Ici encore la réponse sera double, visant d’une part les carac
tères physiques, de l’autre les qualités intellectuelles : mais
ce ne sont là, en dernière analyse, que des aspects divers
d ’un seul et même objet.
Gardons-nous d’estimer au-dessous de sa valeur le fac
teur physique. Peut-être serait-il difficile d’aller jusqu’à
l’estimer trop haut : on en connaît la raison si l’on a pris la
peine de lire mes considérations sur la race dans l’avant-
dernier chapitre, mais on la connaît mieux encore, sans le
secours d ’aucune démonstration savante, par ce que nous
fait immédiatement éprouver le seul instinct, le plus ténu
de ces fils de soie qui nous relient au tissu de la nature. Car
de même que l’inégalité des individus humains se lit dans
leurs physionomies, de même l’inégalité des races humaines
L E S .G ERM A INS D A N S l/H IS T O IR E _UNIVERSELLE 657
42
658 LES HERITIERS
mine, oïl peu s’en faut, dans le Tyrol allemand dont Henke
nous assure que les habitants «présentent le vrai type des Ger
mains-primitifs actuellement vivants. » Pour expliquer qu’ils
aient généralement les cheveux _foncés et qu’ils les aient
souvent tout noirs, le même savant, il est vrai, recourt au
soleil : « le soleil les a brunis « la couleur est la qualité
qui se modifie le plus facilement avec le temps. » Seulement
les recherches de Virchow ont depuis longtemps prouvé le
contraire1) et nous pourrions répondre à cette, affirma
tion par cette question : pourquoi David était-il blpnd ?
ou.: pourquoi les Juifs ne conservèrent-ils des Amorrhéens
qu’une certaine ,tendance aux cheveux blonds-roux, et rien
de plus ‘? ou encore : quel soleil a bruni les cheveux de la
noblesse anglaise, et surtout ceux des Norvégiens dans l’ex
trême Nord, où le soleil ne se montre pas pendant des mois ?
Non. Nous avons certainement affaire ici à des phénomènes
d’un ordre tout différent, et qu’il faudra d ’abord élucider du
point de vue physiologique, ce qui, à ma connaissance, n’est
point encore fait-2). De même que certaines fleurs rouges
poussent bleues dans certains habitats, ou sous l’influence
de certaines conditions qui échappent à l’observation
humaine (parfois il en pousse de bleues et de rouges sur la
même tige), de même que l’on connaît des espèces animales
noires d’où dérivent des variétés blanches, de même aussi
rien n ’empêche de concevoir que le pigment des cheveux,
encore qu’il affecte normalement une coloration claire dans
les limites d’un certain type d’homme, y puisse néanmoins
tendre, en de certaines circonstances, vers l’extrémité oppo
sée de l’échelle chromatique. Car ce qui est ici décisif, c’est
que nous observons ces cheveux foncés précisément chez
des hommes garantis purs Germains au sens le plus strict
du mot (qui est celui de Tacite), non seulement au sens large*)
43
674 L ES HÊEITXEES
ses élevages. Bon intuition, car c’en est une, est née de ce
qu’il a longuement, continuellement r e g a r d é . Eh bien,
nous devrions nous exercer à cette sorte de vision, acquérir
le coup d’œil de l’éleveur, apprendre à regarder comme il
regarde : rien de plus utile pour cela que cet aperçu d ’en
semble de tous les Germains contemporains de Tacite, si
un miracle nous l’avait valu. Nous n ’eussions pas constaté
chez tous ces hommes, soyons-en bien sûrs, que la largeur de
la tête fût à sa longueur comme 75 à 100; la nature ignore
cette sorte de restriction; dans la variété illimitée de toutes
les formes intermédiaires concevables, et aussi des formes
qu’un développement ultérieur dut pousser vers un extrême
ou vers l’autre, nous serions très vraisemblablement tombés
çà et là sur des brachycéphales positifs, les crânes exhumés
nous le donnent à supposer, et pourquoi la plasticité des
forces configuratrices n ’eût-elle pas produit pareil résultat ?
Nous n ’aurions pas vu non plus que des géants, et pu décla
rer : celui qui n’atteint pas 1 m. 97 y2 en hauteur n’est pas
un Germain. En revanche, nous aurions pu parfaitement nous
permettre cette affirmation d’aspect paradoxal : les petits
hommes de ce groupe sont grands, parce qu’ils appartiennent
à une race de haute taille et, pour la même raison, ses bra
chycéphales ont des crânes allongés; en y regardant de plus
près, vous discernerez bientôt dans leur personne physique,
comme dans leur être interne, les caractères spécifiques du
Germain. Les hiéroglyphes du langage qu’emploie la- nature
ne sont pas, il s’en faut, si logiquement mathématiques, si
mécaniquement interprétables, que se plaît à le croire maint
chercheur. Il appartient à la vie de comprendre la vie. E t j ’y
songe : on m ’a souvent, de bien des côtés, cité le cas de tout
jeunes enfants (notamment de fillettes) qui avaient un ins
tinct singulièrement prononcé de la race : j ’en connais qui,
n ’ayant pas le moindre soupçon de ce qu’est un « Juif » ou
même qu’il existe rien de semblable, se m ettent à hurler dès
qu’un Juif ou une Juive pur sang les approche ! Le savant
ne sait souvent pas du tout distinguer un Juif d’un Non-
680 L ES H É R IT IE R S
44
690 L E S H É R IT IE R S
Zetlres persanes, c x x x v i.
L ES GERM A INS DANS L 'H IS T O IR E U N IV E R S E L L E 697
res prises p a r T héodorio en vue d e p réserver ces m onum ents. Cf, Gibbon :
R om an E m pire (eh. 89) e t Glarac : M anuel de l’hisioire de l ’art chez les
A nciens jusqu’à la fin dit 6° siècle de notre ère (n , 857 e t suiv.). Les p e u
ples m étis d é tru isa ien t les m onum ents, so it p a r fan atism e religieux,
s o it p arce que les sta tu e s fournissaient la m eilleure chaux, e t les te m
ples d ’excellentes pierres de taille. O ù s o n t les v rais barbares ?
x) A quel p o in t précisém ent l ’é tu d e de la B ible f u t m ie c aractéris
tiq u e des G oths, c’e s t ce que chacun p e u t apprendre en lisa n t, p a r exem
ple, N eander : Kirckengeschichte (4e êd.) m , 199. N eander cite en tre
a u tre s u n e le ttre dans laquelle saint- Jé rô m e exprim e son é tonnem ent
d e ce q u e « la langue b a rb a re des G oths cherche â re stitu e r le sens
p u r de l ’original h éb raïq u e », alors q u ’a u m idi « on ne s ’en soucie pas du
tout. ». Cela d é jà en l ’an. 403 !
L E S G ERM A IN S DANS L ’H IS T O IE E U N IV E R S E L L E 699
45
706 L E S H É R IT IE R S
46
722 L E S H É R IT IE R S
porte quel office que lui veuille assigner celui qui le manie » *).
Il serait vraiment impossible de formuler avec plus de préci
sion qu’en ces mots l’antithèse exacte de toute la façon aryenne
de penser ët de sentir : d’un côté la joie de créer , radieuse,
' exubérante, téméraire, des hommes qui saisissent sans peur
la main droite du Dieu qu’ils p rie n t2); de l’autre un « cada
vre » auquel on a inculqué comme première règle « l’an
nihilation du jugement propre », et pour lequel « la crainte
servile et frémissante » constitue le fondement de toute reli
gion.
îlfbBTÈ 0E SUISSE