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Paul Fustier
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ISBN 9782749248059
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2015-2-page-20.htm
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Dossier
20 Du travail social:
la part du don1
PAUL FUSTIER
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Les hypothèses que nous proposons concer- qu’on pourrait appeler la socialité secondaire,
nant une analyse psychologique des pra- ils [les sujets humains] naissent, se structu-
tiques sociales s’articulent de la façon rent, trouvent et mettent à l’épreuve le sens
suivante. de leur existence dans la sphère des relations
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dans les termes de la socialité secondaire est marchand (de l’ordre de la socialité secon-
un échange bien délimité, qui a un début daire) : une famille d’accueil reçoit une cer-
et surtout une fin. D’autre part, et de façon taine somme d’argent pour couvrir les
contradictoire, le praticien social est au cœur frais engagés par elle (notamment de
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familiales », c’est-à-dire qu’elle a la res- secondaire » : ce qui était important pour
ponsabilité d’aider des familles en difficulté elle, c’était les conduites d’achat que
à gérer leurs allocations familiales. Ayant à Mme X. devait adopter, et non pas le lien
s’occuper de la famille X., elle note des social ou affectif entre les deux protago-
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carences « techniques » importantes chez nistes ; il devait s’agir d’un échange partiel,
Mme X. concernant tout ce qui touche aux équilibré, qui devait, naturellement, et
achats et notamment aux achats de nour- sans problème, s’achever une fois l’objec-
riture pour la famille. Melle A. décide que tif atteint. Malheureusement, ce que Melle A.
Mme X. a, en quelque sorte, besoin d’un n’a pas entendu, c’est que Mme X. a inter-
apprentissage ; elle établit donc un « pro- prété la situation d’une tout autre manière,
gramme » sous forme d’un « projet per- à partir de la « socialité primaire ». Ce que
sonnalisé ». Elle conduira Mme X., chaque l’on sait de la personnalité de Mme X., ce que
semaine pendant deux mois, dans un l’on comprend du climat relationnel dans
supermarché et lui montrera quels achats lequel se sont effectuées les courses au
sont nécessaires et comment les effectuer. supermarché sembleraient le montrer. Pour
Tout se passe bien, Mme X. modifie ses com- Mme X., voir Melle A. l’accompagner pendant
portements d’achat dans le sens souhaité ; ses courses ne relève pas d’un dispositif
Melle A. en est contente et met donc fin à cet d’apprentissage, mais d’un don : Melle A.
apprentissage couronné de succès. Mais très offre du temps, de la disponibilité pour l’ai-
rapidement, Mme X. exprime, avec vio- der, à titre privé, pour le plaisir pourrait-on
lence, ce qui ressemble à des idées déli- dire.
rantes, sur le thème des produits vendus par À ce don, Mme X. répond par un contre-don:
le supermarché : « Ils ne sont pas frais, ils elle s’adapte, elle progresse, elle fait plai-
sentent mauvais, ils sont pourris… Ils vont sir à Melle A. Mais comme cette dernière
m’empoisonner ainsi que ma famille. » pense en termes d’apprentissage, une fois
Tous les effets positifs de l’intervention de celui-ci terminé, elle arrête l’expérience (c’est
Melle A. ont alors apparemment disparu. la fin d’un échange équilibré). Alors Mme X.
Comment expliquer cette situation ? Il en ne comprend plus : dans un échange par le
est discuté avec Melle A., qui insistera sur le don, elle avait répondu à Melle A. par un
climat très chaleureux – elle dira «familial» – contre-don, mais cette dernière s’est déro-
dans lequel se déroulaient les achats au bée et a annulé l’échange ; nous avons vu
supermarché. Elle se sentait «bienveillante» plus haut que, pour M.Mauss, il s’agit d’une
et sentait Mme X. « très impliquée ». Quand rupture, voire d’une déclaration de guerre ;
cette dernière se met à tenir des propos Melle A. a brisé un lien que Mme X. voulait
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L’interprétation par le don propose à une jeune fille des vêtements
Essayons d’être plus précis. La personne qu’elle ne porte plus, des livres sont prêtés
dont s’occupe un travailleur social peut sen- qui appartiennent au travailleur social, un
tir que les pratiques de ce dernier sont accompagnement est fait dans la voiture
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l’éducateur ne peut plus se comporter s’y refuse, mais elle provoque alors décep-
avec cet adolescent-là comme il se comporte tion et haine, et le lien est rompu.
avec les autres (c’est-à-dire de façon «natu- Ces cas extrêmes montrent bien que
relle »). Le secret pèse qui produit un sys- lorsque l’acte professionnel d’un travailleur
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tème relationnel particulier, plus puissant et social est interprété comme un don, un lien
plus « privé » que celui qui prévaut avec les peut se créer qui, à se maintenir en désé-
autres adolescents. Ainsi se crée une « rela- quilibre, va devenir de plus en plus puissant,
tion privilégiée ». de plus en plus intime. Deux destins « théo-
Résumons la situation : un adolescent inter- riques » sont alors possibles, si on s’y est
prète la conduite professionnelle d’un édu- laissé prendre : soit l’intensification du lien
cateur comme un don qui lui serait adressé ; pour réaliser une sorte d’adoption qui se
il répond par un contre-don, c’est la confi- révélera impossible, soit la rupture, géné-
dence. Ce qui devient puissant, ce n’est pas ralement violente.
l’objet du contre-don (le taonga), c’est-à-
dire la confidence, c’est le lien privilégié très
Le maintien dans l’indécidable
fort qui est créé parce que de l’intimité
(M. Mauss dirait du hau) a été offerte en Quel est l’objectif du travailleur social ?
même temps qu’une information secrète. D’abord, ne pas voir ses pratiques réduites
Dès lors, l’éducateur se sent pris (prisonnier, à être comme des marchandises, détachées
ou possédé au sens de la sorcellerie) ; s’il est de tout lien intersubjectif. Mais, comme
pris dans la chaîne de dons, il doit à son tour nous venons de le dire, ne pas non plus être
faire don à ce contre-don; il doit rendre aussi captif d’une chaîne de dons. Du côté de
du hau (de l’âme, de l’intime, du person- l’usager, il importe que demeure l’interro-
nel) à l’adolescent qui lui en a préalablement gation sur la nature du lien ; à la condition
offert. Il doit donner quelque chose de lui- de persister sans trouver de réponse, de ne
même qu’il n’avait peut-être pas envie de pas devenir certitude, cette interrogation
donner… On voit bien que cet échange est peut aider à une évolution de la personne,
en déséquilibre, que son destin est de deve- en lui permettant d’approfondir la question
nir de plus en plus fort, de plus en plus puis- existentielle du « qui est l’autre pour moi ? »
sant… ou de cesser brutalement. à partir d’une formulation plus anodine :
En prolongement de la pensée de Donald « Pour quelles raisons agit-il ainsi à mon
W. Winnicott, nous avons essayé de mon- égard ? »
trer (Fustier, 1993) que des sujets affecti- Pour illustrer ce propos, nous citerons un
vement très carencés gardent l’espoir de « bricolage » relativement répandu que
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accueillies. On comprend de quoi il s’agit : cadeau ?), qui réactualise celui du Père Noël
la fête de Noël a basculé explicitement dans et constitue un rappel de l’enfance. Elle
le familial qu’elle « imite », sans espace de interprète alors la situation comme un
liberté ; on est dans l’univers du don, de échange par le don, dans une socialité pri-
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vement soit d’un contrat salarial, soit d’un Bibliographie
don. Un jeu s’est installé entre les deux pro- BOURDIEU, P. 1994. « L’économie des liens symbo-
tagonistes qui respecte l’incertitude et peut liques », Cahiers de recherche, n° 13.
donc faire travailler la question du lien social. CAILLÉ, A. 1991a, « Nature du don archaïque », La
Revue du MAUSS, n° 12, p. 51-79.
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PAUL FUSTIER
Professeur émérite de psychologie clinique,
université Lyon II.