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II - formes
d’exploitation sous le communisme primitif
Christophe Darmangeat
Dans Actuel Marx 2015/2 (n° 58), pages 144 à 158
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0994-4524
ISBN 9782130650812
DOI 10.3917/amx.058.0144
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/07/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
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C. DARMANGEAT, Certains étaient-ils plus égaux que d’autres ? II - Formes d’exploitation sous le communisme primitif
CERTAINS ÉTAIENT-ILS
PLUS ÉGAUX QUE D’AUTRES ?
II - FORMES D’EXPLOITATION
SOUS LE COMMUNISME PRIMITIF
Par Christophe DARMANGEAT
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volontairement mis de côté leurs éventuelles dimensions économiques. Ce
sont ces dimensions économiques – autrement dit, la possible présence de
mécanismes d’exploitation – qu’il s’agit d’explorer à présent.
JEUNES ET VIEUX
En plus des privilèges moraux plus ou moins marqués qu’il accordait
_
dans ces sociétés, l’âge pouvait y assurer un certain nombre d’avantages
144 matériels. Ainsi, le vigoureux égalitarisme qui régnait parmi les habitants
_ des îles Andaman était-il très clairement biaisé en faveur des aînés, comme
le montre la circulation des possessions individuelles :
1. Radcliffe-Brown Albert R., The Andaman Islanders (1922), New York, The Free Press of Glencoe, 1948, pp. 42-43.
Ces extraits ne parlent que des hommes et laissent les femmes dans l’ombre.
La vieillesse semblait néanmoins apporter ses bénéfices aux deux sexes :
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ont la possibilité d’être exemptés des corvées liées à leur mode
de vie, ces travaux étant accomplis volontairement pour eux
par les jeunes célibataires qui vivent sous leur patronage3.
Il est bien possible que ce qui est présenté ici comme un service volon-
taire fût en réalité la compensation matrimoniale connue sous le nom de
_
« service pour la fiancée » ; celle-ci imposait au futur époux d’effectuer
un certain temps de résidence et de travail chez ses beaux-parents afin de 145
gagner le droit de s’établir en ménage. Un tel système pouvait très aisément _
déboucher sur une situation de subordination avérée, où les beaux-parents
faisaient tout leur possible pour exploiter leur futur gendre – on connaît cet
épisode de la Bible où Laban après avoir exigé de Jacob sept ans de service
pour donner la main de sa fille Rachel, se débrouilla pour l’unir à Léa, lui
escroquant sept années supplémentaires pour qu’il accède enfin à l’élue de
son cœur. Le service pour la fiancée ne donnait certes pas lieu tous les jours
à ce type de péripéties rocambolesques, mais il contenait une dimension
exploiteuse latente qui ne demandait qu’à s’épanouir. Les Machiguenga,
comme la plupart des autres peuples d’Amazonie, pratiquaient ce système :
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l’oncle paternel5.
Les vieillards sont respectés de quiconque les connaît, et
ce respect va jusqu’à mettre de côté pour eux les racines les
plus recherchées et les parties les plus tendres du gibier dans
toutes leurs chasses, si lointaines qu’elles soient6.
_
Ce point a été pleinement confirmé par l’ethnographie récente. Les
146 hommes d’âge mûr étant à la fois ceux qui avaient toute probabilité de
_ posséder le plus d’épouses, de fils et de gendres, on comprend qu’ils étaient
approvisionnés en permanence, tant en quantité qu’en qualité. Il serait
néanmoins tendancieux de les imaginer comme des pachas trônant au
sommet de leur ménage polygyne, se faisant nourrir dans l’oisiveté par
leurs dépendants ou obligés plus jeunes. Si les anciens ne participaient
plus à la chasse – une activité partout socialement valorisée – c’est « le plus
souvent, à cause de leur vue qui déclinait7 ». Quant à leur inactivité, elle
n’était que relative :
5. Palmer Edward, « Notes on Some Australian Tribes », The Journal of the Anthropological Institute of Great Britain and Ireland,
vol. 13, 1884, p. 285.
6. Salvado Rudesindo, Mémoires historiques sur l’Australie (1851), Paris, Alphonse Pringuet, 1854, p. 326.
7. Hart Charles W. M., Pilling Arnold R., The Tiwi of North Australia (1960), New York, Holt, Rinehart and Winston, 1966, p. 46.
8. Ibidem. Voir aussi, pour des éléments chiffrés qui plaident dans le même sens : Altman Jon, Hunter-gatherers today: An Aboriginal
economy in north Australia, Canberra, Australian Institute of Aboriginal Studies, 1987, pp. 108-110.
point sont assez rares ; elles ont de surcroît le mauvais goût de se contredire.
D’un côté, plusieurs éléments indiquent que les femmes âgées pouvaient elles
aussi être en situation de diminuer leur effort productif direct :
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D’autres témoignages, cependant, insistent au contraire sur la préca-
rité de la situation matérielle des femmes âgées, ou au moins de certaines
d’entre elles, par rapport à celle des hommes. Isolées de leur propre
parenté, veuves ou répudiées par leur mari, dépourvues des avantages
conférés par la détention des secrets religieux, elles pouvaient vivre une
_
vieillesse de privations10.
La situation matérielle des vieillards andamanais ou australiens, assu- 147
rés d’une certaine prospérité, si ce n’est de certains privilèges, contraste _
assez nettement avec celle de leurs homologues inuits ou bushmen chez
qui, semble-t-il, il n’existait guère de prescriptions similaires. Cela ne veut
pas dire pour autant qu’on y laissait les personnes âgées sans ressources,
mais celles-ci semblent avoir été plus aléatoires et davantage laissées à
l’initiative individuelle11.
Doit-on, en pareil cas, parler d’exploitation entre générations ? La
question s’avère beaucoup plus ardue qu’en ce qui concerne la domina-
tion, qui ne soulevait pas de difficultés particulières.
Le fait que les anciens devenus improductifs soient pris en charge par
la communauté – au même titre, d’ailleurs, que ces autres improductifs
que sont les jeunes enfants – n’autorise certainement pas en lui-même à
parler d’exploitation. À moins de vouloir fausser le sens des mots et de
s’en servir pour obscurcir les choses plutôt que pour les comprendre, les
chasseurs-cueilleurs actifs ne sont pas davantage exploités par les jeunes
ou les anciens que nos travailleurs actifs ne sont exploités par nos retraités
ou nos écoliers. Les transferts effectués lors d’une période donnée d’une
9. Goodale Jane, Tiwi wives: A Study of the Women of Melville island, North Australia (1971), Prospect Heights, Waveland Press, 1994,
pp. 44-45.
10. Voir Meehan Betty, « Man does not live by calories alone: The role of shellfish in a coastal cuisine », in Allen J., Golson J., Jones
R. (eds) Sunda and Sahul – Prehistoric studies in Southeast Asia, Melanesia and Australia, London, Academic Press, 1977, p. 493-531 ;
White Neville, « Sex differences in Australian Aboriginal Subsistence: Possible Implications for the Biology of Hunter-Gatherers » in
Ghesquiere J., Martin R. D., Newcombe F. (eds), Human Sexual Dimorphism, London, Taylor and Francis, 1985, pp. 323-361.
11. Biesele Megan, Howell Nancy, « ‘The Old People Give You Life’: Aging Among !Kung Hunter-Gatherers » in Amoss P., Harrell S. (eds),
Other Ways of Growing Old: Anthropological Perspectives, Stanford University Press, 1981, pp. 92-93.
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giés. Dès lors, plutôt que de vouloir trancher à tout prix un débat termi-
nologique, le plus sage est de reconnaître que le concept d’exploitation n’a
pas été forgé pour désigner ce type de réalité ; nous n’avons pas de mots
pour désigner un transfert qui bénéficie à tout individu suffisamment
avancé en âge, mais qui n’en établit pas moins, à un moment donné, une
inégalité dans l’accès aux biens de consommation. Dans ces sociétés, les
_
vieux n’exploitaient pas, au sens strict, les jeunes ; mais ils s’arrogeaient un
148 certain nombre d’avantages matériels palpables à leurs dépens.
_
HOMMES ORDINAIRES ET DÉTENTEURS DU SAVOIR
ÉSOTÉRIQUE
Dans une partie importante des sociétés sans richesse, le savoir reli-
gieux se traduisait lui aussi par des privilèges matériels. Les chamanes
inuits exigeaient d’être payés pour effectuer des guérisons dans un cadre
privé mais aussi pour transmettre leur savoir aux novices12. Quant aux
sorciers andamanais, ils profitaient de la crainte qu’ils inspiraient pour
améliorer leur ordinaire :
Ceux des hommes australiens qui instruisaient les futurs initiés béné-
ficiaient eux aussi de dédommagements matériels (en particulier, des dons
de nourriture) qui leur permettaient, dans une certaine mesure, de vivre
12. Jenness Diamond, The Life of the Copper Eskimos. Report of the Canadian Arctic Expedition 1913-18, volume XII, Ottawa,
F. A. Acland, 1922, p. 92.
13. Man Edward H., « On the Aboriginal Inhabitants of the Andaman Islands », art. cité, p. 96.
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Les vieillards, en gravant des symboles sacrés sur leurs
pipes et en les recouvrant avec des bandes de tissu ou
d’écorce, les rendaient taboues à toutes les femmes et à
tous les hommes auxquels ces symboles n’avaient pas été
révélés dans un contexte religieux. Comme les demandes de
_
tabac étaient courantes, cette stratégie était très efficace. Le
principe général s’étendait à toutes sortes de choses que les 149
hommes âgés pouvaient se réserver pour eux-mêmes en les _
soumettant à un tabou17.
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particulièrement les Occidentaux : lors des déplacements, l’homme ouvre la
voie, ne portant que ses quelques armes, tandis que la femme suit derrière,
lourdement chargée des affaires du ménage et de ses enfants en bas âge.
À peu près à la même époque, on était au contraire frappé par
l’équitable charge de travail qui régnait dans les îles Andaman, où « un
homme mène généralement une vie aussi active que n’importe laquelle des
_
femmes21 ». Les Inuits inspirent un jugement semblable22 ; selon certains,
150 ce sont même les hommes qui, chez eux, travaillent le plus durement23.
_ Il fallut attendre les années 1960-1970 pour que l’on dispose d’élé-
ments plus précis et plus objectifs, sous la forme d’études décomptant le
temps de travail des hommes et des femmes dans différentes sociétés de
chasse-cueillette ou de petits cultivateurs.
L’une des plus célèbres est celle de R. B. Lee sur les Bushmen !Kung.
Sur la période de 28 jours qui avait servi de base à ses observations, les
hommes avaient travaillé davantage que les femmes : 44,5 heures heb-
domadaires en moyenne contre 40,1. En tenant compte des soins aux
enfants, le bilan s’inversait de peu24 (au passage, pour étayer sa thèse de
« la première société d’abondance25 », Marshall Sahlins procédait à une
lecture singulièrement orientée de ces données, excluant du temps de tra-
vail tout ce qui ne se rapportait pas à la recherche directe de nourriture).
Une étude ultérieure menée sur une durée plus longue parmi un groupe
voisin confirma l’essentiel de ces résultats26 ; l’observation des Hadza, des
19. Idem.
20. Les termes anglais sont slave, drudge, beast of burden. Voir en particulier la synthèse des témoignages dans Malinovski Bronislaw,
The Family Among The Australians Aborigines; A Sociological Study, London, University of London Press, 1913, pp. 282, 288.
21. Man Edward H., « On the Aboriginal Inhabitants of the Andaman Islands », art. cité, p. 327.
22. Lantis Margaret, « The Social Culture of the Nunivak Eskimo », art. cité, p. 46 ; Simpson John, « The Western Eskimo » in Royal
Geographical Society, Arctic Geography and Ethnology, London, John Murray, 1875, p. 252.
23. Jenness Diamond, The Life of the Copper Eskimos, op. cit., p. 87.
24. Lee Richard B., The !Kung San: Men, Women and Work in a Foraging Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, p. 280.
Données initialement publiées en 1968.
25. Sahlins Marshall, Âge de pierre, âge d’abondance : l’économie des sociétés primitives (1972), Paris, Gallimard, 1976.
26. Draper Patricia, « Social and Economic Constraints on Child life among the !Kung » in Lee R. B., Devore I. (eds), Kalahari Hunters
Gatherers: studies of the !Kung San and their neighbors, Cambridge, Harvard University Press, 1976, p. 210.
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faire leurs achats à l’épicerie ; même lorsqu’ils conservaient une activité
traditionnelle telle que la chasse, c’est en ayant depuis longtemps remplacé
les propulseurs par des fusils – elles concluaient toutes à l’équivalence glo-
bale de l’effort productif entre les sexes29.
À ces recherches, il faut ajouter celles qui se sont intéressées à ces socié-
tés sans richesse où la culture sur jardins avait fait son apparition ; elles
_
aboutissent à des conclusions remarquablement proches des précédentes,
confirmant le sentiment de l’ethnographe des Siriono de Bolivie, pour qui : 151
_
Bien qu’elles soient dominées par les hommes, on peut
difficilement dire que les femmes occupent une position
très inférieure à la leur lorsque l’on considère les conditions
d’existence de cette société […]. Sur la base de la division
sexuelle du travail, les hommes travaillent autant, sinon
plus, que les femmes30.
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Yanomami, où la domination masculine était nettement plus marquée,
sont étonnamment proches. Sur l’année, les hommes travaillaient en
moyenne 5 h 23 par jour contre 6 h 40 pour les femmes, une différence
significative mais nullement écrasante. Et lorsque l’on considère l’intensité
du travail de ces dernières (jugée globalement très faible, le travail étant
accompli à un « rythme (...) lent, fréquemment interrompu de pauses
_
et de bavardages33 »), l’image s’inverse, puisque ce sont les hommes qui
152 concèdent la plus grande dépense énergétique journalière (2 000 kcal,
_ contre 1 700 pour les femmes).
Aucun élément solide ne vient donc étayer l’idée que dans les sociétés
sans richesse, même là où règne une domination masculine avérée, celle-ci
se traduisait par une inégalité palpable ou systématique de la répartition
du travail en défaveur des femmes. Dans un certain nombre de cas au
moins, ce sont les hommes qui fournissent l’effort le plus intensif ou le plus
risqué, en tirant même argument pour justifier leur position dominante.
32. Johnson Orna R., Johnson Allen, « Male/Female Relations and the Organization of Work in a Machiguenga Community », American
Ethnologist, vol. 2, n° 4, 1975, p. 643. Voir aussi Johnson Allen, « Time Allocation in a Machiguenga Community », Ethnology, vol. 14,
n° 3, 1975, p. 309.
33. Lizot Jacques, « Économie primitive et subsistance : Essai sur le travail et l’alimentation chez les Yanomami », Libre, vol. 4, 1978, p. 78.
34. Yellen John E., « Cultural Patterning in Faunal Remains: Evidence From The !Kung Bushmen » in Ingersoll D., Yellen J. E., McDonald
W. (eds), Experimental Archaeology, New York, Columbia University Press, 1977, p. 280 ; Marshall Lorna, The !Kung of Nyae Nyae,
Cambridge, Harvard University Press, p. 296.
et les reins) étaient considérés par la religion comme epeme – réservés aux
seuls hommes –, et consommés collectivement par ces derniers à l’écart
du campement35. Même si elles étaient largement répandues, de telles pra-
tiques ne paraissent cependant pas universelles. Chez les Inuits Netsilik,
les chasseurs de caribou donnaient à d’autres les quartiers arrières, les plus
gras, ne gardant pour eux que la carcasse, la peau et les tendons36, et ce
sont les femmes qui présidaient ensuite à la cuisson de la viande et à sa
distribution37. Celles-ci jouissaient même de certaines préséances :
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les villageois sont invités dans la hutte de l’heureux chasseur,
et le phoque est vite réparti. […] Les testicules, considérées
comme la friandise suprême, sont généralement offertes à
l’hôtesse38.
35. Hawkes Kristen, O’Connell James F., Blurton Jones Nicolas G., « Hadza Meat Sharing », Evolution and Human Behavior, n° 22,
2001, p. 120.
36. Rasmussen Knud, The Netsilik Eskimos: social life and spiritual culture, Copenhagen, Gyldendal, 1931, p. 173.
37. Jenness Diamond, The Life of the Copper Eskimos, op. cit., p. 90.
38. Kumlien Ludwig, Contributions to the Natural History of Arctic America, Washington, Smithsonian Institution, 1879, p. 21.
39. Brough Smyth Robert, The Aborigines of Victoria, vol. 1, Melbourne, George Robertson, 1878, p. 143.
40. Curr Edward M., The Australian Race, vol. 1, London, Trübner & Co., 1886, p. 110.
41. Crauford Lindsay, « Notes on the Aborigines of Australia », Journal of Anthropological Institute of Great Britain and Ireland,
vol. 24, 1895, p. 182 ; Jackman William, The Australian Captive, New York, C. M. Saxton, 1859, p. 118 ; Le Souëf Albert, « Notes on the
Natives of Australia », art. cité, p. 292 ; White Charles, The Story of the Blacks (1904), édition électronique: http://gutenberg.net.au/
ebooks13/1300091h.html.
42. Bonwick James, Daily Life and Origins of the Tasmanians, London, Sampson Low, Son & Marston, p. 17 ; Brough Smyth Robert, The
Aborigines of Victoria, op. cit., p. 3 ; Angas George, Savage Life and Scenes in Australia and New Zealand, London, Smith, Elmer & Co,
1847, p. 83.
43. Bunce Daniel, Australasiatic Reminiscences of Twenty-Three Years’ Wanderings in Tasmania and the Australias, Melbourne,
J. T. Hendy, 1857, p. 69 ; Howitt Richard, Impressions of Australia Felix, London, Longman, Brown, Greens and Longmans, 1845, p. 194.
44. Lumholtz Carl, Among Cannibals, London, John Murray, 1889, pp. 160-161.
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sents […]. Les femmes sont sur un pied d’égalité avec les hommes. » 45
Plusieurs autres observateurs mentionnent des règles précises de décou-
page et d’attribution des morceaux de gibier, dans lesquelles les femmes ne
paraissent pas particulièrement désavantagées – de manière remarquable,
ces règles ne désignent jamais les femmes comme bénéficiaires en tant
qu’épouses, mais toujours en tant que mères, belles-mères, ou sœurs46,
selon un schéma que l’on retrouve chez des chasseurs-cueilleurs d’autres
continents47. Quant à deux des plus grands ethnographes de cette époque,
tout en reconnaissant la « sévérité brutale, et parfois révoltante48 » avec
laquelle les femmes pouvaient êtres châtiées si leur mari les soupçonnait
d’avoir manqué à leurs devoirs, ils écrivent dans leur épais ouvrage sur les
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tribus du Désert central :
45. Howitt Alfred W., The Native Tribes of South-East Australia, London, McMillan and Co., 1904, p. 762.
46. Fison Lorimer, Howitt Alfred W., Kamilaroi and Kurnai, Melbourne, George Robertson, 1880, pp. 261-267, 286-287 ; Palmer Edward,
« Notes on Some Australian Tribes », art. cité, p. 285.
47. Hawkes Kristen, O’Connell James F., Blurton Jones Nicoals G., « Hunting and Nuclear Families: Some Lessons from the Hadza about
Men’s Work », Current Anthropology, vol. 42, n° 5, 2001, p. 682.
48. Spencer Baldwin, Gillen Francis, The Native Tribes of Central Australia, London, McMillan & Co, 1899, p. 50.
49. Idem.
50. Hamilton Annette, « Aboriginal Women: The Means of Production » in Mercer J. (ed.), The Other Half: Women in Australian Society,
Ringwood, Penguin Books, 1975, p. 171.
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Les hommes, en particulier ceux d’âge mûr encore actifs,
avaient probablement davantage de viande à manger que les
femmes […] Ils avaient aussi davantage accès aux foies et à
la graisse, des aliments fort appréciés53.
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fois plus intense et plus risqué que celui des femmes, ce dont les hommes
arguaient pour justifier leur supériorité. En ce qui concerne les biens de
consommation, globalement, « il règne une grande égalité dans leur par-
tage entre les hommes et les femmes58 ». Seuls les hommes, il est vrai, pou-
vaient consommer le gibier de chasse et le foie des porcs ; mais s’il traduisait
la domination masculine, ce privilège n’entraînait apparemment pas une
_
grande différence d’alimentation. Ainsi, dans une des sociétés au monde où
156 les hommes dominaient les femmes de la manière la plus écrasante, cette
_ domination ne se traduisait pas, ou fort peu, sur le plan économique.
BILAN
De ce tour d’horizon, au-delà de l’immense variété des cas particu-
liers, émergent deux grandes conclusions. La première est que les sociétés
sans richesse ne sont pas exemptes de phénomènes qui s’apparentent à
l’exploitation et dont les connaissances ésotériques, l’âge, la position dans
le système de parenté et le sexe masculin, ensemble ou séparément, sont les
principaux canaux. L’égalitarisme économique – bien réel – de ces sociétés
n’est donc pas absolu ; leurs structures, fondamentalement communistes,
ménagent une place à certains privilèges matériels, dont celui consistant à
capter sans contrepartie le travail d’autrui.
Cependant, et c’est le second aspect, on est globalement frappé par le
faible degré de ces privilèges au regard des relations de domination par-
fois saillantes auxquels ils se rapportent. Pour ne parler que des relations
hommes-femmes, il serait imprudent d’affirmer que les premiers n’ont
jamais ni nulle part profité de leur ascendant pour imposer aux femmes
une charge de travail plus lourde ou plus ingrate. Les données disponibles,
cependant, plaident globalement en sens inverse : dans toutes les socié-
tés sans richesse où l’on a pu mesurer l’effort productif, les hommes ne
travaillent pas moins que les femmes ; là où leur effort est plus bref, il
est plus intense. Jusque dans cet archétype de la domination masculine
qu’est la société baruya, les hommes ne convertissent pas, ou seulement
de manière très marginale, leur domination politique en surtravail imposé
aux femmes. Au contraire, serait-on tenté de dire : être un bon et coura-
geux travailleur est partout une condition presque incontournable de la
carrière masculine. Les dominants ne cherchent pas à échapper au travail :
ils se flattent de l’effectuer, tirant même argument de sa pénibilité réelle ou
supposée pour justifier la subordination de celles qui ne peuvent pratiquer
ces glorieuses activités.
La seule voie par laquelle la domination masculine semble se transmettre
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quelque peu au terrain économique est celle des interdits alimentaires. La
plupart du temps – mais, apparemment, pas toujours – les femmes subissent
des tabous plus nombreux, plus longs ou plus sévères que les hommes.
Il est fort difficile d’estimer les conséquences de ces interdits ; un débat
intense divise les spécialistes à propos de leur impact éventuel sur la santé,
la fécondité, voire le niveau de dimorphisme sexuel59. Il l’est peut-être plus
_
encore d’en cerner les causes. On est bien sûr tenté d’invoquer le simple
désir des hommes de monopoliser les meilleures ressources ou, en tout cas, 157
les plus appréciées. Mais une telle explication « politique » laisse bien des _
questions sans réponse, à commencer par les raisons pour lesquelles les
hommes peuvent eux aussi être sujets à différents tabous ; elle n’explique
pas non plus pourquoi les hommes se seraient contentés de ces privilèges de
consommateurs, et ont renoncé à se décharger sur les femmes d’au moins
en partie du travail productif. Enfin, et peut-être surtout, l’importance du
différentiel alimentaire entre les sexes semble très mal corrélée au degré de
domination masculine, puisque sur ce plan, les femmes semblent avoir été
plus défavorisées chez les Andamanais que chez des champions du sexisme
tels que les Selk’Nam de la Terre de Feu60 ou les Baruya.
À cela, il faut ajouter que les interdits alimentaires qui pèsent sur
les femmes ne répondent que de fort loin à une définition classique de
l’exploitation. Ce ne sont pour ainsi dire jamais les produits du travail
des femmes qui leur sont interdits. La plupart des tabous portent sur
certaines viandes, c’est-à-dire sur des produits masculins. Ainsi, les
hommes n’extorquent pas aux femmes une partie de leur production :
ils soustraient une partie de leur propre production au partage commun.
Cela ne diminue en rien le caractère inégalitaire de la coutume, mais on
perçoit la distance qui sépare de tels mécanismes de l’exploitation au sens
strict qui se mettra en place ultérieurement.
59. Voir en particulier Touraille Priscille, Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse. Les régimes de genre comme force
sélective de l’évolution biologique, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2008.
60. Voir Gusinde Martin, Die Selk’nam, Wien, Mödling, 1931, p. 413.
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posséder sur les choses.
On perçoit cependant comment certaines lignes de fracture qui sont
d’ores et déjà en place dans les sociétés sans richesse pourront, avec la
survenue du stockage, prendre une tout autre dimension et changer de
caractère. Dans les sociétés à forte domination masculine, notamment,
les femmes auront tout naturellement tendance à devenir à la fois des
_
richesses au même titre que d’autres possessions matérielles et des sources
158 de richesse – par leur travail et leur progéniture. Dominées en tant que
_ femmes, elles seront alors également exploitées en tant que travailleuses,
quitte, au demeurant, à ce que la dimension purement oppressive du joug
masculin se fasse un peu moins pesante. Ainsi que l’écrivait M. Godelier à
propos de la Nouvelle-Guinée :
61. Godelier Maurice, La Production des grands hommes, op. cit., p. 225.