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27/10/2018 hétérotopie | sociologie du vide

sociologie du vide

Quand un lucide vagabond s'occupe du vide

Archives de Tag: hétérotopie

NON CLASSÉ, POLITIQUE, SOCIÉTÉ

Réflexions autour du temps et de l’espace

9 JUIN 2016 | SOCIOLOGUEDUVIDE | CYBERNÉTIQUE, DELEUZE, ENVIRONNEMENT,


ESPACE, ESPACE-TEMPS, FOUCAULT, GOUVERNEMENTALITÉ, HÉTÉROTOPIE, NUMÉRIQUE,
SOCIÉTÉ DE CONTROL, SOCIOLOGIE, SURVEILLER ET PUNIR, TEMPS, URBANISME | 2
COMMENTAIRES
« Le paysage a beau être dégagé et le terrain visible, l’espace cache beaucoup plus qu’il n’en révèle. » David
Apter

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Espace froissé, Béatrice Helg, 1993

Introduction

Si l’on devait citer une singularité qui était, est et sera toujours constante dans le monde du vivant, ce
serait sans conteste son éternelle inconstance. Ce e évolution bidimensionnelle dans le temps et dans
l’espace, ainsi que le lien très intime de l’empire animal et végétal avec son environnement raconte
l’histoire d’une nature souveraine, maîtresse du sauvage qui fait plier la faune et la flore sous le poids
de ses exigences et qui fait de la biodiversité le témoin de ses caprices, de sa sévérité, de sa folle
fantaisie nommée hasard. L’Homme qui n’a pas dérogé à ce e règle durant des millénaires, est
pourtant parvenu à s’approprier ce vaste espace qu’est la planète terre et à en faire la toile sur laquelle
il esquisse son génie, sa supériorité. Son essor intellectuel l’a fait passer du statut de survivant à celui
de conquérant. Les groupes et tribus qui autrefois formaient des microsociétés poussés par l’instinct
grégaire, où l’on dressait un toit sur sa tête afin de se protéger des orages et des prédateurs ont
lentement fait place à des villes de plus en plus hautes, grimpant au rythme des ambitions
narcissiques de l’Homme industriel qui semble vouloir a eindre les nuages à travers ses gra e-ciels.

C’est donc tout naturellement, dans son expansion démographique, dans son étalement urbain, dans
l’affinement de sa capacité d’analyse, que l’Homme a tantôt pensé, tantôt renié et quelques fois, a
fantasmé l’espace. Pensé d’abord comme terrain d’exploration, puis comme ressource à préserver et à
aménager minutieusement, enfin comme un outil de control au cœur de la gouvernance, de la société
et des comportements. Renié dans une modernité où l’Homme numérique jouit d’un pouvoir

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sensoriel augmenté qui lui permet d’interagir avec son environnement comme s’ils ne faisaient qu’un.
Fantasmé en ces lieux imaginés puis théorisés, ce rêve d’organisation parfaite, d’entropie zéro en
l’image d’une cité idéale et chimérique nommée Utopie.

Autour de l’espace physique et de l’espace concept orbitent moult disciplines qui tentent d’en
dessiner les contours et d’en décortiquer l’immanente complexité. Quelques pistes de réflexion seront
abordées dans ce mini-mémoire qui ambitionne de faire prendre conscience au lecteur de quelques-
unes des dimensions que renferme le sujet, notamment à travers les travaux de philosophes et
penseurs tels que Michel Foucault et Gilles Deleuze.

La désacralisation du temps

Parce qu’alors on l’imagine s’écoulant irrémédiablement dans son lit à l’image des grains fuyants à
travers l’orifice d’un sablier, le temps est conçu au XIXe siècle comme étant linéaire, aussi régulier
que le tic-tac d’une horloge, comme décrit par la mécanique newtonienne. A ce e notion
d’avancement irrémédiable s’ajoute celle d’irréversibilité qui a accompagné la découverte du second
principe de la thermodynamique par Sadi Carnot (1824), mais aussi celle d’évolution avec l’apparition
de théories sur les mécanismes d’évolution des espèces énoncées par Lamarck. C’est ainsi que germe
l’idée que le temps qui coule est une fatalité nécessaire au progrès. En outre, de par sa fatalité, le
temps fut au cœur des œuvres romantiques du XIXe siècle et du début du XXe siècle sous forme de
récits nostalgiques qui glorifient le passé (exemple d’A la recherche du temps perdu de Marcel Proust),
ou d’utopies qui rêvent à un avenir si lointain et idéal qu’il en devenait ina eignable. Cependant, le
concept de temps comme entité absolue et mesurable a été dissout par les travaux de Bergson qui a
introduit au XXe siècle la notion de psycho-perception du temps. En effet, dans son livre Essai sur les
données immédiates de la conscience (1889), le philosophe explique la tendance de l’être humain à
associer à une grandeur des entités empreintes de subjectivité, malgré le fait que la sensation soit un
fait psychologique qui échappe à toute mesure.

C’est avec la théorie de la relativité restreinte d’Einstein (1905) que ce e critique du temps s’est
étendue chez la communauté scientifique, avec ce e nouvelle pensée que le temps et l’espace sont
intimement liés par le mouvement avec ce que cela comporte de résultats contre-intuitifs, comme le
ralentissement des horloges en mouvement. Ainsi, le temps n’est plus ce e grandeur repère
universelle, mais en quelque sorte, une articulation entre l’espace et le mouvement.

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La fontaine chaotique d’Edward Loren , XXe siècle

Repensé et remis en question, le temps est désacralisé et passe au rang de dimension secondaire
derrière l’espace au XXe siècle et de façon encore plus marquée au XXIe siècle. En effet, l’accélération
de l’industrialisation, la production en chaîne, l’organisation scientifique du travail et le
développement de théories économiques qui font du temps un paramètre de production substituable
à la main d’œuvre ou encore à l’argent, marquent le début d’une nouvelle ère : celle de la
domestication du temps. Cela dit, on a vite fait de réaliser que le temps n’était pas seulement
substituable à l’argent ou au travail, mais aussi à l’information. L’avènement de l’informatique écrase
le temps et l’espace d’une manière spectaculaire, donnant naissance au simultané, à l’ubiquité. Les
distances rétrécissent quand le temps disparaît presque, le cyberespace gagne du terrain et brassent
des flux d’information de plus en plus importants, ce qui a pour effet de restructurer le monde en
systèmes imbriqués et interconnectés, où les canaux de connexion semblent avoir plus de valeur que
les points connectés. Malgré ce structuralisme accru, l’espace à l’inverse du temps à beaucoup de mal
à être désacralisé, puisqu’il s’entrecroise avec des sphères psychiques qu’il semble indispensable pour
l’Homme de maintenir (exemple de la sphère privée dans l’espace privée, de la sphère publique dans
l’espace public…).

L’espace absolu et l’espace relatif

Dans son livre Des espaces autres (1967), Michel Foucault suggère que la forme de l’espace occidental
dans l’imaginaire a également évolué au rythme des découvertes scientifiques et du développement
technologique. En effet, au moyen-âge, l’espace obéissait à une certaine hiérarchisation des lieux.
L’Homme médiéval éprouvait ainsi le besoin de cloisonner, de limiter, d’étiqueter ses espaces en
guise de protection (zones de sécurité ou de danger, lieux sacrés ou lieux profanes, lieux de guerre ou
lieux de paix …). Le caractère immuable, rigide et fini de ses derniers a fait de l’espace médiéval un
espace de localisation. Un espace manichéiste organisé autour de l’Homme, dessiné par ses croyances
et convictions.

Cet anthropocentrisme (qui d’ailleurs va de pair avec le géocentrisme) a été fortement ébranlé par ce
qu’a dévoilé Galilée (1633) concernant le mouvement de la terre autour du soleil, faisant de celle-ci
une actrice parmi d’autres dans la valse du système solaire et dévoilant par la même occasion un
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espace supra céleste infiniment grand. Ce concept a par conséquent remis en cause la configuration
rigide et fermée des espaces médiévaux et a induit l’Homme à passer de l’espace de localisation
(espace absolu) à l’espace d’étendue, puis de l’espace d’étendue à l’espace de position, ce dernier se
définissant comme un ensemble de réseaux interconnectés (espace relatif).

Il va sans dire que si définir l’espace est une tâche très ardue, en décrire la morphologie l’est encore
plus. Le fait est que l’humanité fasse face aujourd’hui à des problèmes de stockage et de capacité (de
par la croissance de la démographie mais aussi du consumérisme, de l’abondance), ce qui rend une
certaine pondération de l’espace par rapport à l’étendue, inévitable. Mais encore, les réseaux et
systèmes d’informations s’enracinent si profondément dans les usages occidentaux, qu’aujourd’hui,
un territoire qui n’est pas numérisé et informatisé est un territoire que l’on ne voit pas, un territoire
qui n’existe pas. L’espace moderne est un espace semi-aveugle et semi-matériel qui tend à
s’émanciper des sens. D’un autre côté, penser l’espace en termes de réseau serait prétendre
l’homogénéité de ce dernier et nier sa réalité physique, mais aussi d’autres dimensions qui qualifient
l’espace telles que son Histoire, ses habitants et leurs psychés. Ainsi, l’espace se décrit comme étant
ce e entité à peine descriptible qui ne peut être pensée que par l’Homme irrémédiablement
émotionnel, qui existe et disparaît, s’étend et se rétracte, s’organise et se dématérialise au gré des
usages quotidiens mais aussi des fantasmes et angoisses de ses habitants. Au final, l’espace jouerait le
rôle d’un contenant miroir qui spatialise la pensée, à la fois donné puisqu’il s’impose à nous, et
construit, puisqu’il n’appartient qu’à nous de le domestiquer.

L’espace utopique et hétérotopique

Le terme « utopie » formé de « ou » (non en grec) qui par la suite s’est transformé en « u » et de topos
(lieu en grec), a été créé et cité pour la première fois par Thomas More dans son livre De optimo rei
publicae statu, deque nova insula Utopia (1516). Dans son œuvre, l’auteur dépeint une cité parfaite située
sur l’île d’Utopia découverte par les Européens. Ceci illustre bien la définition que l’on se donne
aujourd’hui du concept d’utopie, soit d’un espace imaginaire parfaitement décrit dans sa forme et ses
caractéristiques, situable mais n’étant d’aucun lieu, siège d’une réalité idéale.

La cité idéale, Pierro De La Francesca, XVe siècle

Ainsi, les utopies sont ces emplacements qui existent bel et bien dans l’imaginaire collectif sans lieu
réel, qui abritent une société semblable mais perfectionnée (exemple du paradis monothéiste), ou au
contraire, une société à l’opposé de celle-ci. Par ailleurs, il existe des lieux autres que Michel Foucault
a qualifiés d’hétérotopies en opposition aux utopies, qui représentent des sortes d’utopies
localisables. Selon le philosophe, ces lieux seraient différents de tous les autres emplacements, mais
contiendraient assez de ces derniers pour les refléter de manière fidèle, ou totalement inverse. Au
final, ce sont les lieux qui, bien qu’enracinés dans une culture, excluent tout un champ du réel.
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L’exemple du miroir permet ainsi d’éclaircir ces deux concepts. L’image que celui-ci renvoie étant à la
fois parfaitement descriptible, mais irréelle, projetée dans un espace qui n’existe pas mais pourtant,
où l’on se voit. Or, le miroir est un objet palpable qui existe vraiment, c’est donc également une
hétérotopie. En effet, en se regardant dans un miroir, on passe par ce point virtuel dans cet espace
autre pour prendre conscience de soi et de sa matérialité dans l’espace réel. Cet espace réel qui ne
peut exister, ou plutôt être observé qu’à travers l’espace virtuel constitue donc, par le biais du miroir,
une hétérotopie. Un autre exemple est celui du lieu de prière des musulmans. En effet, les cinq
prières quotidiennes musulmanes s’effectuent sur un tapis rectangulaire en direction de la Mecque
qui, une fois la prière commencée, propulse l’individu dans un lieu autre, en totale rupture de
conscience avec son environnement (pour que s’opère la connexion avec Allah), mais ayant des
frontières et une matérialité bien définis. Le navire est également typiquement hétérotopique, ce lieu
en perpétuel mouvement où l’on vit, cet espace flo ant situé nulle part symbole d’exploration et
d’aventure, de prospérité et de bravoure à l’épreuve de la mer.

Photographie de Vincent J.Stocker : Heterotopia, la chute tragique, 2013

Selon le même auteur, il existerait dans toute culture mais sous différentes formes, deux principales
sortes de lieux hétérotopiques. Le premier type est celui d’hétérotopies de « crise ». Ces lieux bien que
de moins en moins présents à notre époque, existent pour justement éloigner les individus en crise de
leurs maisons, de leurs familles, de leurs quotidiens. La tradition ancestrale de « voyage de noces »
selon laquelle la défloration de la jeune fille doit se faire dans un train en marche, c’est-à-dire « nulle
part », illustre parfaitement ceci. Le second type de lieux autres et celui d’hétérotopies de
« déviation », où les individus anormaux sont placés afin d’être isolés. Les prisons, les maisons de
retraite, les hôpitaux psychiatriques sont donc des exemples d’hétérotopies de déviation, ces lieux qui
font partie intégrante de la réalité d’une culture et isolent une partie de celle-ci.

D’une manière générale, les hétérotopies dans différentes cultures sont sollicitées dans des périodes
de rupture, de coupure dans le temps usuel ou hétérochronies (par exemple, les cimetières, lieux de
rupture avec la vie). Par ailleurs, ces deux concepts s’enchevêtrent le plus souvent pour former des

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hétérotopies de temps, comme dans les musées ou les bibliothèques où l’on tente d’enfermer toutes
les époques dans un lieu immobile et hors du temps.

Ce qui caractérise également ces lieux autres, c’est leur accessibilité. En effet, Les hétérotopies sont
souvent des lieux sacrés qui nécessitent que l’on se soume e à un rite de purification avant d’y entrer
(comme les églises, les cimetières), ou bien des lieux d’isolement où l’on entre de force (prisons,
hôpitaux). Il existe cependant des hétérotopies auxquelles on semble libre d’accéder sans conditions,
mais qui sont en fait, des hétérotopies de déviation qui tentent paradoxalement d’isoler les individus
des lieux purs, tels que les chambres de motels américains où l’on entre avec sa voiture qui abritent,
mais cachent et isolent aussi les pratiques sexuelles immorales, voire illégales (prostitution, adultère
…etc).

L’espace comme outil de pouvoir

Dans son roman intitulé 1984 (1949), grande référence de science-fiction et de roman de dystopie,
George Orwell décrit une société où un régime totalitariste tente d’instaurer une organisation
abusive, un environnement lisse et transparent, parfaitement égalitaire. Si ces caractéristiques
rappellent fortement celles des utopies censées consoler et faire rêver les hommes, c’est sans doute
parce que la contre-utopie d’Orwell avait pour but de me re en exergue le fait que réaliser une utopie
passe par la violente dénaturation de la société, mais aussi par une drastique réduction de ses libertés
et un effacement des individualités. Ainsi, une contre-utopie n’est qu’une utopie dont les traits sont
exagérés.

Ce e société disciplinaire fictive, mais dont on retrouve les a ributs dans l’Histoire de notre société a
été étudiée notamment par le philosophe Gilles Deleuze, mais principalement théorisée par Michel
Foucault et décrite dans son livre Surveiller et punir (1975). Dans son œuvre, le philosophe souligne le
rôle de l’agencement de l’espace dans le processus de surveillance. En effet, l’un des principaux
objectifs de la société disciplinaire est de diviser les masses d’individus en créant des espaces
fractionnés et en dressant des séparations entre les personnes (par exemple les cellules de prison)
pour que la contagion ne s’opère pas (maladies, homosexualité, vices de tous genres …).
Contrairement aux époques antérieures, notamment l’époque médiévale où le control et la punition
s’effectuaient par la menace de violence physique (pendaison, écartèlement et autres méthodes de
torture), la surveillance dans les sociétés disciplinaires est basée sur le poids du regard ou la visibilité
obligatoire, une violence symbolique permanente. Ceci apparait à travers le modèle des prisons
panoptiques conçues par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham qui perme ent au gardien du
haut de sa tour de voir chaque cellule individuellement sans être vu.

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Prison panoptique de la petite Roque e, France, 1836

Selon Gilles Deleuze, à ces sociétés disciplinaires ont succédé des sociétés dites de control qui ont
réaménagé l’espace de manière à garder ce jeu de regard oppressant, mais en y apportant de
nouveaux éléments. En effet, dans les « open spaces » qui caractérisent les sociétés de control, les
surveillants observent les surveillés et réciproquement, mais les surveillés peuvent également
s’observer entre eux. Ceci reflète une nouvelle façon d’appréhender les relations de pouvoir qui se
veut plus horizontal, égalitaire et moins central, ainsi qu’un control davantage basé sur la force vitale
et créative des hommes plutôt que sur les sujets. C’est effectivement ce qui marque le passage d’une
politique purement juridique à une « biopolitique » selon Michel Foucault, le philosophe qui est à
l’origine de ce néologisme.

En effet, la pensée biopolitique tend à a irer et convaincre les individus que leurs intérêts convergent
avec ceux du pouvoir, au lieu de les contraindre physiquement à obéir, ceci afin d’obtenir le meilleur
d’eux-mêmes. C’est ce que véhicule le capitalisme aujourd’hui dans sa manière de présenter le travail
en soi comme une fin et non comme moyen, un bonheur qu’il serait anormal de ne pas rechercher,
une vertu à travers laquelle on se définit.

Ainsi, l’agencement de l’espace serait non seulement un outil de communication perme ant de
transme re une pensée d’autorité, mais aussi un moyen d’orienter les comportements, d’imposer un
mode de pouvoir et de manifester une gouvernance ou un assuje issement. Il n’est nul doute que
certains éléments du panoptisme se retrouvent dans nos sociétés, notamment à travers les vidéo-
surveillances qui perme ent aux surveillants d’observer sans être vus. D’un autre côté, les open
spaces sont très présents, par exemple dans les espaces de bureaux communs dans certaines
entreprises (concernent plus de 60% des travailleurs en France). Si le panoptisme élimine totalement
l’espace public où rencontres et liens se font et se défont, l’open space impose au contraire une totale
absence d’intimité qui force la surveillance de chacun par chacun.

Espaces publics/privés et liens sociaux dans les villes

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Parce qu’elles sont en théorie en opposition l’une de l’autre, la sphère privée et la sphère publique,
terrains du dedans et du dehors, leur délimitation ne devrait guère prêter à confusion. Pourtant, il va
sans dire qu’à l’époque de la gouvernance de l’opinion publique, de la surmédiatisation, de la
mondialisation, mais aussi de la virtualité et de l’individualisme, au moment où ce qui relève du
privé est déba u publiquement, ces deux champs s’interpénètrent, dessinant une frontière aussi floue
qu’accidentée. L’habitat par exemple, interroge sur la nature de sa propriété. Ni lieu public, ni lieu
privé selon le designer et coloriste Denis Steinme , il est à la frontière de ces deux sphères, isolant ses
résidents du monde extérieur et des regards étrangers, mais faisant partie intégrante du paysage
public, imposant ainsi une esthétique particulière aux passants, exposant sciemment une part de son
intimité (ses gouts notamment, ou ses choix). Ce e double action de masquage et d’exposition
rappelle les textes de Laurence Pfeffer dans son article les dess(e)ins du visage féminin autour de
l’anthropologie du maquillage. En effet, ce e opération qui permet d’exposer l’image de soi que l’on
choisit tout en cachant celle que l’on préfère garder pour soi, relie la sphère privée et la sphère
publique et affecte au visage le rôle d’interface, de façade sociale.

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A3 Animals, Michael Schoner, 2010

Si une publication excessive du privé est source d’oppression (comme l’illustre Georges Orwell dans
« 1984 »), les espaces publics n’en sont pas moins essentiels à la vie sociale urbaine, si l’on considère
ces derniers comme sièges d’expression d’opinion politique et lieu d’ouverture à autrui. Ces espaces
ouverts et utilisables par tous ont d’abord pris la forme d’édifices religieux au moyen-âge, puis
propagés dans les villes par un courant hygiéniste au XIXe siècle visant à ouvrir la ville et à l’aérer.
Selon l’urbaniste Denis Delbaere, l’espace public serait « le ciment de la ville » qu’il faudrait
davantage valoriser au moment où les villes s’éprouvent plus comme des espaces fragmentés et
« résidentialisés » qui perme ent d’éviter au maximum le conflit avec autrui.

Selon Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, le


modèle urbain actuel serait d’autant moins propice à la création de liens sociaux, au moment où l’on
reporte les industries et les universités loin de la ville. Ainsi, le cœur de la ville d’aujourd’hui ne
réunissant pas les activités centrales de la ville (travail, loisir, habitat, connaissance), celle-ci est
réduite à la consommation, ce qui a pour effet d’amplifier les inégalités sociales.

Représentation du temps et l’espace dans l’art du XXe et

XXIe siècle

L’évolution du regard porté par l’Homme sur le temps, l’espace, la réalité en terme général s’est
fortement retranscrite dans ses œuvres scientifiques et philosophiques, mais n’en apparait pas moins
clairement dans ses créations artistiques. Puisque l’art est sans doute l’un des meilleurs moyens de
s’affranchir des mots pour saisir toute la subtilité d’un courant de pensée, ce dernier témoigne
parfaitement de ces renversements de paradigmes qu’a connus l’Homme du XXe siècle, mais aussi de
ses espérances, ses angoisses, ses ambitions et ses préoccupations.

A partir de la renaissance et jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’art s’est construit comme une science des
perspectives, renfermant des techniques de reproduction de la réalité visible, donnant naissance à des
œuvres à la précision saisissante et à l’esthétisme déroutant.

Le repas chez Levi, Véronèse, 1573

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Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’une prise de recul par rapport à ce e représentation unique et
fidèle de la réalité, critiquée et repensée par scientifiques et philosophes, a libéré l’art du poids du
réalisme, de sa dimension mathématique, de ce e menace de l’erreur. Ainsi, l’artiste a été libre de
décrire la réalité non plus telle qu’il la perçoit, mais telle qu’il la ressent, telle qu’il la vit. Ceci a donné
naissance à des courants artistiques décisifs tels que le cubisme, développé par Pablo Picasso et
Georges Braque. Le cubisme, en traitant la nature à travers des formes géométriques mises en
perspectives, se caractérise par des images fragmentées et partiellement émancipée de la logique.

Guernica, Pablo Picasso, 1937

L’exploration de la réalité et de ses dimensions cachées se poursuit jusqu’à aboutir à un total abandon
de l’art figuratif, ceci afin de gagner en authenticité en s’affranchissant de l’enveloppe matérielle des
objets et ainsi, communiquer des émotions bruts, voire des vérités invisibles au spectateur, sans
l’intermédiaire trompeur du corps. C’est la naissance de l’art abstrait, instigué par Wassily Kadinsky,
développé par beaucoup de peintres dont Frantisek Kupka qui souligne la souveraineté des
sensations dans ces œuvres abstraites : « il nous semble donc plus opportun de considérer et
d’interroger les sensations de lumière, de caractère et de valeur différentes, en tant qu’elles suscitent
en nous des états d’âme ».

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Jaune-rouge-bleu, Wassily Kadinsky, 1925

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’œuvre artistique s’éprouve davantage comme une
expérience sensorielle à part entière. Les représentations s’échappent de leurs cadres et gagnent les
murs. Elles entourent le spectateur et l’invitent à s’abandonner dans un espace-toile parfois interactif,
souvent éphémère. Ces œuvres tridimensionnelles créent une spatialité insolite, provoquant des
sensations inédites tout en n’étant pas centrées uniquement sur le visuel.

Pénétrable BBL bleu, Jesus Rafael Soto (1923-2005)

Les artistes vont encore plus loin à la fin du XXe sicèle, en projetant leurs œuvres hors des murs des
musées et salles d’exposition. Cet art in situ parfois dit « land art » ou même « design paramétrique »
ou « art météorologique » célèbre l’environnement en le faisant participer à l’œuvre, ce qui a pour
effet de la faire évoluer au gré des changements de ce dernier, d’intégrer la dimension du temps. Que
ce soit dans un espace urbain ou dans la nature, une articulation s’opère alors entre l’œuvre et le lieu.

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Banker, Jason de Caires Taylor, 2015

Auteure de l’article : IKEN Nabila

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