Vous êtes sur la page 1sur 43

Guerre française en Algérie, les méandres de l’adaptation

Entre acceptation et refoulement


Hartmut Elsenhans
Dans NAQD 2018/2 (Hors-série 4), pages 41 à 83
Éditions NAQD
ISSN 1111-4371
DOI 10.3917/naqd.hs4.0041
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-naqd-2018-2-page-41.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour NAQD.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
GUERRE FRANÇAISE EN ALGÉRIE,
LES MÉANDRES DE L’ADAPTATION
Entre acceptation et refoulement*
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

* Je dédie ce texte à la mémoire du vénérable Chikh Bouamrane, qui n’a pas


cessé de m’encourager à continuer mes recherches sur la guerre d’Algérie et les
rapports de l’Algérie avec l’Europe. J’éprouve des sentiments profonds
d’admiration et de reconnaissance à son égard. La conférence sur laquelle le texte
est basé a eu lieu au Haut Conseil Islamique sous la présidence du Chikh
Bouamrane à Alger, le 2 novembre 2015. Je remercie Mme Fadila Bouamrane de
tous ses efforts pour assurer la publication de ce texte en Algérie.

41
Quand les révolutionnaires algériens déclenchèrent en
novembre 1954 la guerre de libération nationale, ils pouvaient
être certains de la gagner. Le FLN n’a jamais pensé pouvoir jeter
l’armée française à la mer, et la victoire militaire dans un sens
étroitement limité n’était pas son objectif. Les actions militaires
devaient poser le problème politique aux opinions française et
internationale, pour démontrer que la France n’avait pas les
moyens d’imposer sa paix en Algérie. Sur un autre plan, la tête
de pont qui prétendait rendre légitime la revendication de
l’Algérie « partie » de la France, était trop limitée dans la société
algérienne pour représenter un poids décisif dans l’opinion.
Je doute que les révolutionnaires de 1954, après leurs succès
militaires spectaculaires des deux premières années de la guerre,
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


aient prévu que celle-ci durerait plus de sept ans et demi.
Pourquoi la France est-elle restée, jusque dans la troisième
année de guerre, inactive sur le plan de l’évolution politique ?
Pourquoi la voie de la négociation est-elle restée bloquée
pendant pratiquement plus de cinq ans ? Quelles furent les
forces et les motifs qui poussèrent la France à se résigner à
conclure une paix avec le FLN ? La substance essentielle ne fut-
elle pas la tentative d’utiliser cette défaite politique pour
accéder à un rôle entièrement nouveau dans le tiers-monde ?
Comment concevoir l’idée de réaliser un tel rôle, avec l’aide
directe et indirecte du futur gouvernement indépendant et révo-
lutionnaire au pouvoir à Alger, après une victoire politico-mili-
taire obtenue avec tant de sacrifices1, ?

1. Pour en savoir plus cf. Elsenhans (2015b). Les faits de la guerre d’Algérie
mentionnés ici sont bien documentés dans mes publications majeures sur

43
HARTMUT ELSENHANS

L’évolution de la France, en matière algérienne pendant la


guerre, est le résultat d’une pression constante de l’ALN qui
démontrait, sur le terrain, que celle-ci était incapable d’assurer
la paix sociale. La France était donc incapable de commander
avec suffisamment de légitimité pour prétendre que l’Algérie lui
appartenait. Le peuple algérien, dans sa grande majorité, soute-
nait l’ALN contre l’armée française, pourtant bien supérieure en
puissance de feu et moyens techniques. Le moteur de cette évo-
lution fut l’action des forces algériennes de libération nationale,
particulièrement dans le déclenchement des changements poli-
tiques en France. Par leur agencement, ils donnèrent à la solu-
tion du conflit une dimension qui renforça le rôle de la guerre
d’Algérie dans la dynamique internationale.
Si la France ne pouvait éviter l’indépendance de l’Algérie, elle
aurait pu, du moins, se résigner à l’accepter dans le chagrin et le
ressentiment, à l’issue d’une médiation internationale imposée
par les grandes puissances. La France fit front contre ce danger
en s’imposant de nouvelles orientations, ce qui lui permit de pré-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


senter la fin de la guerre comme une conversion aux idéaux nou-
veaux, représentés par la révolution algérienne, reconversion
peut-être incomplète, d’où le soupçon de refoulement.

1. Après 1945, le contexte international interdit le colo-


nialisme

L’indépendance de l’Algérie fut inévitable lorsque le mouve-


ment de libération nationale, mais par la force des armes aussi,
fut suffisamment cohérent, pour poser le problème algérien
devant l’opinion internationale. Celle-ci était déterminée, depuis
la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par la présence des deux
superpuissances qui, toutes deux, rejetaient le colonialisme

cette guerre et ne seront pas appuyés par des références. Le lecteur est renvoyé
pour les références à : Elsenhans (2000a).

44
Guerre française en Algérie...

comme principe d’exercice de souveraineté nationale de pays allo-


gènes sur d’autres pays. De tels arrangements institutionnels
impliquaient l’inégalité des peuples à l’échelle mondiale, un prin-
cipe que les forces antifascistes avaient combattu dans leur lutte
contre les fascistes allemands, japonais et italiens. Depuis 1949,
l’Union soviétique se voyait concurrencée par la Chine maoïste
qui accentuait l’orientation anticolonialiste du camp communiste.
Avec les succès rapides de la marche vers l’indépendance en Asie,
notamment les indépendances des États du subcontinent indien et
de l’archipel indonésien, plus d’un tiers des populations asiatiques
créaient à l’échelle internationale, donc à l’assemblée générale des
Nations Unies, un groupe d‘États auxquels les deux grandes puis-
sances ne pouvaient s’adresser sans une position ferme de
condamnation du colonialisme2.
La France ne pouvait par conséquent choisir qu’entre
l’isolement ou la « vente », à l’opinion internationale, d’une poli-
tique respectant formellement le principe démocratique du droit
de l’Algérie de choisir elle-même son destin. S’opposer au mou-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


vement de libération nationale n’était recevable que si la France
agissait comme défenseur du droit des Algériens de disposer
d’eux-mêmes, dans le cadre des normes démocratiques. C’est ici
que le discours sur le caractère « terroriste » du FLN prit son ori-
gine et sa place centrale dans la rhétorique française, et c’est sur
ce plan que le FLN dut agir, d’où son action diplomatique sur
tous les plans de la vie internationale.

2. Sur le plan international une conviction unanime :


l’Algérie n’est pas la France

Derrière ce combat, sur le principe démocratique, réside


l’interprétation de la situation par les partenaires de la France. Je

2. Peut-on conclure que la guerre d‘Algérie aurait été perdue à l’ONU (Vaïsse
1990 : 451-462). C’est une conclusion abusive, car sans les succès militaires de
l’ALN, l’ONU n’aurait rien fait.

45
HARTMUT ELSENHANS

ne connais aucun document confidentiel ou secret de ses amis


occidentaux dans lequel sa légitimité en Algérie soit reconnue.
« L’Algérie est la France » était un slogan correspondant à un état
de fait sur le plan juridique, c’est-à-dire l’annexion de l’Algérie par
la France. Mais, sur le plan sociologique, l’Algérie n’était pas la
France. Pour les amis de la puissance coloniale, l’Algérie était un
pays arabo-musulman dans lequel une petite minorité euro-
péenne exploitait une population majoritaire arabo-berbère. Son
sort économique était déplorable et l’on ne pouvait donc
l’imaginer être française. Dans les discours des opinions occi-
dentales autres que française, il n’y a pas de Français-musulmans
mais des Musulmans d’Algérie, visiblement différents des
Français3.
Certes, la présence d’une minorité européenne importante
constituait un aspect spécifique du problème, mais ne faisait pas
de l’Algérie une province française. Le combat était donc asymé-
trique : la France ne pouvait sérieusement prétendre représenter le
corps politique en Algérie. Elle pouvait au maximum avoir un
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


droit de régler le problème parce que le mouvement de libération
nationale ne respectait pas suffisamment la majorité des Algériens
ou bien des minorités non-musulmanes importantes. On peut faci-
lement démontrer que personne, à l’échelle internationale,
n’interdisait à la France de représenter une minorité importante, la
minorité européenne4, mais peu de commentateurs considéraient
que la France représentait une minorité importante algérienne. Je
prends cela comme signe de l’importance des facteurs tradition-
nels dans la définition des nations, malgré la prédominance du
discours à la « Renan » dans les déclarations officielles après 1945.
Les Algériens constituaient une nation à cause de leur origine et

3. Comme exemple : Central Intelligence Agency (1954).


4. La France a même fait des efforts pour amener l’Inde à aider à trouver un
compromis, Elsenhans 2000a : 101, tandis que la Chine populaire considérait la
France comme une puissance impériale secondaire qu’il fallait soutenir contre des
États-Unis, Elsenhans 2000a : 132.

46
Guerre française en Algérie...

de leurs traditions culturelles. D’où l’importance de rallier le


peuple algérien derrière le FLN, et de ne pas admettre la forma-
tion ou la perpétuation de tendances structurées à l’intérieur du
FLN. Ceci a été facilité par l’absence d’ouverture politique de la
part de la France à l’égard des nationalistes algériens jusqu’en
1957.

3. La France n’a pas de solution au problème algérien


jusqu’en 1957

Le manque d’initiative politique du côté français n’était pas


signe de refus de comprendre la situation algérienne, mais d’un
manque d’intérêt. À l’exception de la droite traditionnelle, tous
les courants de l’opinion française savaient que des changements
étaient nécessaires, mêmes ceux qui voulaient se limiter à
l’application « honnête » du statut de 1947, comme base de départ
de pourparlers avec les différentes tendances de l’opinion
publique de l’Algérie musulmane5. La victoire du Front républi-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


cain aux élections du début 1955, à cause de son insistance pour
une évolution « libérale », en témoigne. Mais la solution du pro-
blème algérien n‘a pas eu la préséance. Ce manque d’intérêt était
lié aux priorités fixées par les groupes économiques et sociaux
dominants en France.
Ce manque d’intérêt permit à l’armée française de dévelop-
per un discours qu’elle a considéré conforme à certaines priori-
tés françaises, et donc capable de servir à occuper les instances
élaborant la politique algérienne en métropole. Ce même

5. Tous croyaient à l’évolution de la situation, même ceux qui pensaient appli-


quer le statut. Personne ne défendait le statu quo. L’application du statut de 1947
était censée permettre de dégager une élite nationaliste modérée, disposant d’une
légitimité électorale, et qui pouvait donc être jouée contre les nationalistes du FLN
et leur légitimité révolutionnaire. Ceci aurait permis d’engager des pourparlers
dans le cadre de la continuité des institutions françaises, Elsenhans 2000a : 787.

47
HARTMUT ELSENHANS

manque d’intérêt accorda l’avantage au FLN pour renforcer son


audience à l’échelle internationale. Parce que la France était une
puissance secondaire, l’armée française se vit plus tard frustrée
de son succès de terrain. La France ne pouvait échapper aux
normes internationales ; elle devait s’y conformer. Si la France
avait été une puissance comme la Chine ou les États-Unis, les
résultats auraient pu être différents. L’interdiction de frapper
des cibles en dehors des frontières algériennes, comme il le
devint manifeste en février 1958 avec les bons offices des États-
Unis et la Grande-Bretagne, contraste avec les pratiques couran-
tes des États-Unis depuis la guerre du Vietnam jusqu’à aujour-
d’hui (Grosser 1990 : 386).
Ce qui frappe l’observateur de la politique intérieure française
jusqu’au début de 1957, c’est la multitude de prises de position
des hommes politiques sur l’Algérie, aux occasions les plus diver-
ses, sans qu’il y ait formulation d’un projet politique même rudi-
mentaire. Sur le plan des réformes économiques, certaines initia-
tives disparates apparurent parmi lesquelles les travaux d’un
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


petit groupe d’intellectuels élaborant un exercice de planification
appliquée, à partir de la fin de l’année 1955. Ce projet n’aboutit
qu’en janvier 1958, avec le programme de développement appelé
les « Perspectives décennales » (Ministère de l’Algérie 1958), qui
deviendra par la suite l’ébauche du « Plan de Constantine ». Il n’y
eut pas de projet rival qui aurait misé plus sur l’amélioration mas-
sive de la situation de la paysannerie algérienne que sur le déve-
loppement d’un secteur moderne industriel.
Sur le plan politique, de multiples projets de statut nouveau
sont ventilés, dont celui de l’application du statut de 1947, éven-
tuellement avec un droit de vote élargi aux Algériens, mais il ne
fut pas formalisé.
Deux lignes sont cependant clairement tracées : la France
refuse l’indépendance de l’Algérie, au nom de sa responsabilité
d’arbitre entre les Algériens et la minorité européenne. Elle refu-
se également l’intégration, admettant de cette manière que

48
Guerre française en Algérie...

l’Algérie n’était pas la France mais un pays sous dépendance de


la France. Elle se déclare prête à discuter de solutions intermédiai-
res mais, par conséquent, pas sur le principe de l’indépendance.
C’est la solution préférée de la grande majorité des forces poli-
tiques françaises, à l’exception des partisans de l’assimilation pure
et simple ou de l’indépendance. Toutes les forces politiques prêtes
à une certaine évolution dénonçaient l’intransigeance du FLN qui
était accusé de rigidité parce qu’il maintenait le « préalable » de
l’indépendance de l’Algérie.
Faute de projets précis, les responsables français vont se réfu-
gier dans le triptyque de Guy Mollet : un cessez-le-feu préalable,
suivi d’élections, dont le trucage en Algérie par l’administration
française était proverbial. Ceci aurait privé le FLN de son moyen
de pression, son activité militaire. Ces élections désigneraient des
représentants avec lesquels la France négocierait, ce qui remet-
trait en cause la réussite du FLN dans la phase initiale de la guer-
re, c’est-à-dire l’unité politique de toutes les tendances du natio-
nalisme derrière le FLN. Si la France avait vraiment recherché une
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


solution avec des nationalistes non-FLN, la condition première
aurait été de faire une proposition en vue de l’autonomie de
l’Algérie, ce qui aurait « coupé l’herbe sous les pieds » du FLN.
On ne peut expliquer ce refus que par la conviction, pour prati-
quement toute la « classe politique française », que tout conflit
intérieur autour de solutions précises à proposer au nationalisme
algérien, mettait en danger les intérêts supérieurs français. Les
différents gouvernements des trois premières années de la guerre
d’Algérie n’ont pas fait d’efforts sérieux pour fournir aux natio-
nalistes non-FLN des perspectives réalistes, à mener dans la
coopération avec la France, ce qui aurait renforcé leur position
vis-à-vis du FLN et de son ALN.

49
HARTMUT ELSENHANS

4. Priorités de la construction européenne dans la forma-


tion des alliances politiques : l’Algérie est secondaire

Les buts supérieurs de la politique française reposaient, dans


l’immédiat, sur la construction européenne, qui faisait partie, sur
le long terme, d’un projet de modernisation économique de la
France. Cette modernisation économique avait la priorité parce
qu’elle était considérée comme condition du maintien de sa posi-
tion parmi le peloton de tête des pays industriels avancés. C’était
le dessein principal de la France parce que, aux yeux de la classe
politique française (Bonin 1987 : 341, Whitfield 1997 : 15, Aglietta,
Orléans et Oudiz 1980 : 45), le retard industriel par rapport à
l‘Allemagne des années 30 expliquait la débâcle de 1940.
Pendant toute la guerre d’Algérie, la priorité fut donnée au
projet de modernisation économique dans le cadre de
l’intégration européenne. La conviction était que la contribution
de l’empire était limitée pour la création de ressources nécessai-
res à une puissance moderne de premier rang. L’empire, dont
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


l’Algérie était le carrefour et la clé de voûte, n’avait plus qu’une
valeur symbolique.
En 1956 le domaine prioritaire est la construction du Marché
Commun et une relance de la politique européenne. L’Assemblée
nationale élue en janvier 1956 obtient une majorité contre
l’intensification de la guerre d’Algérie et pour la recherche d’une
issue, même négociée, comme le démontre l’initiative de la SFIO
d’entrer en contact avec la délégation extérieure du FLN au Caire.
Le parti communiste, pour faciliter une coopération à l’intérieur
d’une telle majorité favorable à l’évolution de l’Algérie, alla jus-
qu’à l’abnégation totale en votant les pouvoirs spéciaux en mars
1956. Ce vote d’abord tactique, sera utilisé pendant toute la guer-
re d’Algérie et depuis, pour démontrer que le parti communiste
trahissait la solidarité avec le peuple algérien6.

6. Pour une vision plus nuancée du comportement du PCF, Elsenhans 2000a :


971ss.

50
Guerre française en Algérie...

5. Est-ce que la France était libérale ou chauvine ?

Certes, le comportement des organisations du parti commu-


niste en France, de même que les conditions que son homologue
algérien croyait pouvoir poser à son intégration au FLN, sont
signes d’une grande réserve des communistes à l’égard d’un
mouvement révolutionnaire ne se réclamant pas d’eux. Mais, en
même temps, on ne peut nier que l’immunité, d’une partie
importante de l’opinion française, contre le virus du nationalis-
me cocardier du gouvernement Guy Mollet et de son ministre
résidant en Algérie Robert Lacoste, était un artefact statistique lié
à l’activité du parti communiste. Le parti communiste avait obte-
nu pratiquement 25 % des voix en janvier 1956. Les sondages
d’opinion de l’époque, basés sur un échantillon stratifié non sto-
chastique mais adapté aux pourcentages des partis politiques
aux dernières élections, étaient fortement biaisés par
l’importance de ceux qui, lors des enquêtes, avaient déclaré avoir
voté communiste en janvier 1956. Voilà les communistes surre-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


présentés. Sous l’influence de la direction de leur parti, ils évo-
luaient rapidement vers l’adhésion à une solution négociée avec
le FLN, comme représentant valable et exclusif du peuple algé-
rien, position que celui-ci revendiquait. Voilà la base empirique
biaisée de la France, prétendument libérale, et de l‘historiogra-
phie française7.
En réalité, l’opinion qui ne voulait peut-être pas de la guerre
d’Algérie, mais qui refusait néanmoins l’indépendance totale,

7. Un exemple de sondage est présenté dans Elsenhans 2015b : 299. J’ai


l’intention d’exploiter la documentation malheureusement incomplète des sonda-
ges en ma possession. Elle parait pourtant être la plus complète qui existe encore,
après que j’ai dû constater que les données sont « non disponibles » au niveau de
l’institut de sondages qui les avait réalisés sur la guerre d’Algérie et l’opinion
publique en France pendant cette guerre. Les éléments publiés de Ageron (1990)
sont très limités. Ces éléments ne contiennent que des reproductions de rapports
de synthèse que l’IFOP avait réalisés elle-même et diffusés en France.

51
HARTMUT ELSENHANS

devenait disponible à un nationalisme cocardier, faute d’issue


dégagée par les forces politiques. En vertu du mandat reçu lors
des élections de janvier 1956, ces forces auraient dû présenter
des perspectives et des voies pour parvenir à une solution.

6. Par manque de leadership, pourrissement du système


politique et fin de la IVe République en France

On assiste alors à la disparition d’un débat structuré dans


l’opinion publique. Celui-ci est remplacé par des appels émotion-
nels à la grandeur de la France, à la nécessité de lutter contre la
décadence, aux accusations des plus virulentes possibles contre le
FLN et dénonçant ses crimes de guerre. Des conspirations mon-
diales contre la France sont « dévoilées », auxquelles il faut ajou-
ter l’imagerie d’un pays assiégé par tous8 y compris ses alliés qui
ne la suivaient pas, dans ce qu’un auteur patriote mais clair-
voyant de l’époque devait qualifier de « fièvre » (Simon 1958).
L’armée était laissée à elle-même, sans pouvoir politique prêt
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


à s’imposer et guider l’opinion. Des officiers saluèrent ainsi
l’opportunité de développer leur propre doctrine. Il faut cepen-
dant admettre l’existence, dès les premières années de la guerre,
de voix discordantes d’autant plus importantes que le pouvoir
politique n’envisageait pas le départ de la France de l’Algérie9.
On put observer, dans certains corps d’officiers, des groupes

8. On manque d’une analyse de la presse écrite française sur les dimensions


émotionnelles et les dimensions intellectuelles du problème de la guerre d’Algérie.
La prédominance des constructivistes dans l’historiographie occidentale a conduit
à beaucoup de prises de position théoriques, mais rarement à des travaux
empiriques sérieux qui auraient pu rivaliser avec la littérature bien établie de
l’histoire contemporaine, sur le changement des perceptions des problématiques à
traiter dans l’évolution des politiques. Je ne connais aucune contribution récente
comparable à Michelat et Thomas (1966) ou dépassant Ziebura (1955).
9. Voir la proposition du général Jacquot, envoyé par Edgar Faure fin 1955 pour
rapporter sur la situation en Algérie. Le général a préconisé un repli des troupes
françaises sur les régions à fort peuplement européen, Elsenhans (2000a : 299),

52
Guerre française en Algérie...

nettement attachés à la modernisation de l’armée française sur le


plan technique, par la constitution de grandes unités mécanisées
pour les champs de bataille européens (d’Abzac-Epezy 1988 : 21,
Bougherara 2006 : 42, Chaban-Delmas 1997 : 209). De même, les
pressions pour consacrer les ressources disponibles de l’armée à
la force de frappe nucléaire française ne discontinuaient pas
(Berstein 1991 : 319).

7. L’armée française réussit à bloquer le processus de


prise de conscience en France, par la propagation de la
théorie de la guerre antisubversive

L’absence d’une stratégie, au niveau des instances centrales


politiques françaises, est reflétée par une même absence au
niveau des instances centrales militaires. Ceci permit à des cer-
cles initialement restreints et activistes de gagner en influence
en proposant un programme apparaissant à la fois cohérent,
favorable à l’Algérie française, et en rupture avec les idéologies
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


traditionnelles discréditées du colonialisme. Après la Deuxième
Guerre mondiale, l’état de l’opinion mondiale ne permettait
plus la répression d’un mouvement de libération invoquant
l’infériorité raciale de ceux qui le menaient et le soutenaient. Ces
acteurs ne sont plus des êtres inférieurs à « domestiquer comme
des chiens » en montrant la force et en offrant la justice ; il faut
admettre que ce sont des gens en principe « égaux » aux autres
êtres humains. Porteur des « Droits de l’homme », on ne pouvait
plus les exterminer comme on l’avait fait lors de l’occupation de
l’Algérie au XIXe siècle10. Il fallait montrer que ces êtres humains

confirmé par Zeller (2009 : 495). Dans cet entretien il apparait qu’un grand nomb-
re d’officiers étaient plus opposés à être envoyés encore une fois dans une guerre
inutile, qu’hostiles à une évolution politique en Algérie.
10. Au cours des débats au 20e Salon du livre d’Alger, le 1er novembre 2015, la
question d’un génocide français pendant la guerre d’Algérie fut soulevée dans

53
HARTMUT ELSENHANS

étaient prêts à accepter la puissance « allogène » sans la menace


de leur élimination physique.
La théorie de la guerre antisubversive, mauvaise copie des
théories de la transformation de sentiments de protestation en
mobilisation politique, doit réduire l’évolution de la résistance
de masse vers la protestation, orchestrée par des petites minori-
tés « agissantes ». Ce ne sont plus les masses qui développent le
sentiment de la nécessité de la résistance, mais des minorités
conspiratrices qui créent et exploitent de tels sentiments dans les
masses, indépendamment de l’État et des structures de la société.
Toute société démocratique peut être menacée par une telle
intoxication appelée « subversion ». La démocratie ne se nourrit
plus des espoirs, désirs et volontés de groupes sociaux, mais de
la préservation des groupes sociaux de l’influence néfaste de ces
minorités agissantes. Cette protection est à la charge des forces
qui préservent le corps social contre lui-même, les forces de
l’ordre. Il revient à des élites, véritablement conçues comme des
ordres du Moyen Âge, de protéger les sociétés contre elles-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


mêmes. La méthode pour réaliser cette sauvegarde est la destruc-
tion de ces réseaux adverses, afin de réduire l’ennemi subversif à
des noyaux isolés, et de stabiliser la société dans ce processus de
réduction des forces opposées. Il s’agit d’intégrer les groupes
sociaux dans des réseaux nouveaux, organisés par les forces de
l’ordre, dans l’espoir d’arriver, par l’identification des indivi-
dus, à une internalisation de l’ordre établi. Ceci permet de pas-
ser à un niveau de reproduction « spontanée » du corps social,
suffisant pour procéder ensuite à l’exercice d’une participation
politique, d’apparence démocratique.

les débats. Je m’y suis fermement opposé, car la France fut toujours consciente,
que commettre un génocide en Algérie l’isolerait à l’échelle mondiale et donc
l’affaiblirait de manière décisive. La généralisation, très déplorable aussi, de la
torture pendant la guerre d’Algérie est la conséquence directe de l’impossibilité
politique de risquer trop de morts, en mieux ciblant la terreur. 20 ans avant, les
impérialistes auraient procédé, sans trop s’attarder, à un génocide.

54
Guerre française en Algérie...

L’exigence de l’adhésion démocratique du peuple est rem-


placée par le devoir des élites compétentes de favoriser
l’internalisation par le peuple, comme sa propre volonté, ce que
des dirigeants, et dans le cas de la guerre d’Algérie des diri-
geants extérieurs d’origine française, lui proposent.
La réoccupation de l’Algérie conduisit à la création d’une
organisation politique qui s‘inspirait des totalitarismes fasciste
et communiste de la première partie du XXe siècle. Une partie de
l’armée française se transforma en appareil politique qui géra
ces structures.
L’armée française fut capable d’installer de telles structures
non seulement parce que le pouvoir politique ne lui proposait pas
de stratégie autre que la reconquête, mais du fait de l’absence
d’intérêts français sur le plan économique qui, au nom de leur
sauvegarde à long terme, s‘y seraient opposés. Le néocolonialis-
me qui, auparavant, avait vaincu en Tunisie et au Maroc, et qui
vaincra au cours de la guerre en Afrique Noire française, n’avait
pas de base large en Algérie, vu la pauvreté économique et le
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


poids relativement plus grand de la colonisation par des petits
blancs, par rapport aux autres possessions françaises.
La configuration des forces du côté français ne changera
qu’avec la prolongation de la guerre. Celle-ci entra en contra-
diction avec les intérêts politiques partagés par de larges grou-
pes politiques en France, notamment sur le plan du statut inter-
national de la France, de ses équilibres économiques et sociaux,
et de la stabilité de ses institutions.

8. Les intérêts français en Algérie sont limités. Ils se recon-


vertissent en quittant l’Algérie pour d’autres régions du
tiers-monde

Autant pour des raisons de politique extérieure que de pres-


tige de politique intérieure, la France a occupé l’Algérie en 1830

55
HARTMUT ELSENHANS

et l’a gardée. Elle accrut ainsi son influence en Méditerranée occi-


dentale afin de participer aux luttes qui allaient se développer
suite à l’affaiblissement de l’empire ottoman. D’autres facteurs s’y
rajoutèrent, les rivalités qui allaient en s’intensifiant autour du
partage de l’Afrique, épisode-clé de la nouvelle vague
d’expansion impérialiste à partir de 1860. Une colonisation de
peuplement en Algérie se développa à la suite de cette décision
stratégique, solution bon marché pour garder l’influence françai-
se sur le terrain.
La sécurité nouvelle favorisa les investissements étrangers.
L’épuisement des gisements bon marché près des centres indus-
triels en France et la diversification des besoins en matières pre-
mières pour l’industrie, permirent aux investisseurs métropoli-
tains et étrangers de mettre en valeur des possibilités nouvelles
de production de telles ressources en Algérie.
L’Algérie, par rapport à ses deux voisines, disposait pourtant
de matières en qualité nettement inférieure. Elle exportait surtout
du vin et du blé, deux produits dont la France disposait à des
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


degrés suffisants. Néanmoins, étant donné le manque de compé-
titivité française à l’échelle mondiale, ces productions étaient sou-
tenues par le contribuable français et par une politique protec-
tionniste. L’Algérie bénéficiait de ces avantages puisque ces deux
filières étaient pratiquement entièrement aux mains des colons
français.
La Révolution algérienne avait pour but de changer fonda-
mentalement les structures de la société algérienne et d’abolir les
privilèges de la population européenne. Même si la France voulait
rester en Algérie, elle devait activement abolir ces privilèges,
comme le montre la promotion musulmane dans la fonction
publique ou les initiatives (certes timides) de réformes agraires à
partir de 1956 (Club Jean Moulin 1959 : 554). Au-delà du droit de
la minorité européenne de rester en Algérie, que le FLN ne contes-
tait pas, la France ne pouvait que compenser les pertes de la com-
munauté européenne, ce qu’elle pouvait faire aussi en cas
d’indépendance de l’Algérie.

56
Guerre française en Algérie...

Les intérêts français, limités en matières premières, étaient en


même temps connectés à des activités au Maroc et en Tunisie,
sur la voie de l’indépendance dès le début de la guerre
d’Algérie. Le contenu de ces indépendances était fortement
conditionné par le comportement de la France en Algérie
puisque l’orientation, plutôt modérée de ces deux gouverne-
ments, était constamment menacée de tendances à la radicalisa-
tion dans leurs opinions publiques respectives, toujours attisées
par la prolongation de la guerre d’Algérie. On ne vit pas de
compagnies françaises, actives au Maroc et en Tunisie, exprimer
un soutien notable au colonat européen d’Algérie.
Le grand capital français, actif dans le secteur des matières
premières algériennes, ne s’est pas trompé, dès l’année 1956
avant même la reconquête militaire, sur l’issue prévisible de
l’indépendance. Sous prétexte de l’insécurité, il arrêta ses inves-
tissements et opéra une réorientation de ses activités surtout
vers l’Afrique Noire française et aussi vers l’extérieur de la zone
franc11.
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


Les mouvements du capital reflètent en partie les relations
commerciales. L’Algérie était certes un marché important pour
l’industrie française, mais ne tenait qu’à deux qualifications.
Abstraction faite de la demande alimentée par les dépenses
militaires à partir de 1956, ce marché était surtout constitué par
la population européenne, dont le pouvoir d’achat était entrete-
nu par des transferts directs ou indirects, revenus rentiers de la
viticulture et céréaliculture d’une part, et d’autre part une sur-
représentation des branches orientées vers des produits peu
sophistiqués. Par contre, le défi pour l’industrie française sur le
marché mondial consistait dans le développement d’une industrie

11. La question de la « rentabilité » de l’Algérie soulevée par Lefeuvre (1997)


est donc très secondaire. Sur l’apport de Lefeuvre voir Gallissot (2006 : 506). Ce qui
est important, c’est que la France n’a pas fait la paix en Algérie pour des raisons
de coûts de l’affaire, mais parce que l’Algérie française n’avait pas de sens dans
une stratégie néo-impérialiste aux couleurs du post 1945.

57
HARTMUT ELSENHANS

moderne aux possibilités futures de ventes internationales cont-


re des devises. Une telle réorientation passait, obligatoirement,
par des offensives d’exportation vers les autres pays industriels.
La France espérait pouvoir se lancer dans cette nouvelle stratégie,
par l’amélioration de ses performances d’exportatrice sur un
large marché protégé, celui de l’Europe occidentale en voie
d’intégration (Bossuat 1996 : 386).

9. Le capital international opte pour l’ultra-impérialisme,


ce qui implique l’indépendance politique des colonies

Le clivage entre les intérêts capitalistes français et le « capita-


lisme agraire » des colons reflète les évolutions à l’échelle mon-
diale. Le système colonial, introduit à la fin du XIXe siècle, servait
certes aussi à « rationaliser » l’exploitation des populations des
trois continents du Sud. Mais, dans le cadre du système colo-
nial, il fallait alimenter les têtes de pont locaux, comme on avait
dû alimenter les élites locales, avant l’acquisition de la souverai-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


neté sur ces territoires. La fonction de la souveraineté des puis-
sances coloniales sur les continents du Sud servait essentielle-
ment à exclure les rivaux qui s’étaient manifestés à partir de la
deuxième moitié du XIXe siècle, France d’abord, Allemagne,
Italie, et Japon ensuite. Le déclin de l’hégémonie britannique
donna naissance à l’effort d’établir une dépendance formelle. Le
congrès de Berlin (1884-85) organisa ces mécanismes, avec des
règlements portant sur la reconnaissance de la souveraineté des
puissances, uniquement en cas d’occupation effective des terri-
toires.
Ces rivalités nationales n’ont plus de sens quand toutes les
puissances impérialistes traditionnelles ont été, ou bien vain-
cues, ou sont devenues des puissances secondaires associées, de
manière dépendante, aux États-Unis. L’accord entre la Grande-
Bretagne et les États-Unis de 1938 (Menzel 2015 : 905, Glickman
1947 : 442-444) faisait de ces derniers un deuxième « Centre » ou

58
Guerre française en Algérie...

métropole de l’empire britannique. Ce « Centre » apporta rapi-


dement son soutien aux aspirations à l’indépendance, notam-
ment dans ses relations avec les nationalistes « modérés » de
l’Inde (Tahir 1983, Kidwai 1999 : 114-132. Venkataramani et
Srivastava : 1964 : 2). Ceci préfigura la formation d’un ultra-
impérialisme, déjà esquissé avant 1914 par Karl Kautsky (1914),
que l’on ne connaît que par les diatribes lancées contre lui par
Lénine12. Kautsky est pourtant l’auteur qui avait prévu la glo-
balisation sous l’hégémonie, certains disent même le parapluie
impérial, d’un empire nouveau en voie d’achèvement, celui des
États-Unis (Babones 2015).
Les promesses de réformes des puissances coloniales, suite à
leur affaiblissement, furent surtout politiques puisqu’elles
n’avaient pas de ressources pour d’autres stratégies13. Elles furent
le moyen de parer à l’ébranlement du régime colonial. La révolu-
tion chinoise et l’indépendance de l’Inde firent que ces promesses
ne pouvaient être passées sous silence, du moins pas totalement.
Les premières indépendances créaient, à l’échelle internationale,
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


un fort groupe de pression qui, avec l’aide des États-Unis et de
l’Union soviétique, put maintenir le « fer au feu ».
Le colonialisme n’avait que deux options : s’engager dans
des réformes ou se retirer. Dans sa phase tardive, le système fut
donc coûteux pour les puissances coloniales.
Dans le débat algérien des années 1950, on qualifie bien juste-
ment de néocolonialistes les efforts de l’administration française
de couper l’herbe sous les pieds des nationalistes, par des mesures
tendant à alléger, sur le plan économique et social, les problèmes
les plus cruciaux. La tendance, beaucoup plus significative, fut
cependant que ce néo-impérialisme accepta les indépendances
politiques en les vidant de leur substance économique.

12. La polémique se trouve surtout dans le chap. VI, dans l’édition allemande ;
Lenin 1977 [1916] : 171-175.
13. Du côté de la France bien sûr la conférence de Brazzaville en 1944, mais
aussi les autres puissances coloniales : Fasseur (1982 : 106), Lee (1977 : 77ss).

59
HARTMUT ELSENHANS

En cas d’abandon de la souveraineté de la puissance coloniale,


la coopération de toutes les puissances capitalistes présentait,
pour les entreprises occidentales, plus d’avantages que la protec-
tion du seul gouvernement de leur pays respectif. La prospection
et l’exploitation de gisements minéraux dans de nouvelles
régions du Sud, notamment en Afrique Noire française, sont alors
caractérisées par un degré nouveau de coopération internationa-
le. On assiste à la formation de compagnies aux capitaux
d’origines diverses, notamment dans le cas français, malgré le
soutien d’agences publiques, particulièrement pendant la phase
coûteuse et risquée de la prospection (Thomas, 2008).
Pour une telle variante du néocolonialisme, privilégiée par
l’aile ascendante des intérêts initialement colonialistes, la sou-
veraineté d’un seul pays impérialiste ne pouvait être acceptée
que si elle était dans l’intérêt de tous les capitalistes. L’accès des
intérêts impérialistes « non-nationaux » devait être égal à celui
des nationaux originaires de la puissance coloniale, qui cepen-
dant devaient en assumer tous les frais. Les puissances colonia-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


les furent réticentes mais l’impérialisme américain l’exigea des
futurs gouvernements locaux dans les pays d’outre-mer, de pré-
férence aussi politiquement modérés que possible. Le slogan
américain de soutien aux nationalistes, pour combattre les com-
munistes, est une expression de cette option (Zingg 1982 : 110,
Greenfield 2005 : 169ss., Barkaoui 1999 : 34). Le choix systéma-
tique de « nationalistes cravatés », tels les militaires ou les élites
civiles occidentalisées, comme le parti du Congrès indien, sont
les manifestations visibles du succès de cette option.
Dès que le FLN réussit à présenter l’affaire algérienne comme
une menace au succès de la stratégie néocoloniale hors
d’Algérie, où de telles politiques étaient déjà appliquées, les for-
ces attachées à l’Algérie française perdirent du terrain. La loi
Defferre (1956) sur l’Afrique Noire française et les règlements
qui menèrent à l’indépendance des États membres de la
Communauté française à partir de 1958, exigèrent la paix en

60
Guerre française en Algérie...

Algérie. La poursuite de la guerre, sans perspective, ne pouvait


qu’affaiblir les forces pro-occidentales dans ces pays nouvelle-
ment indépendants, comme au Maroc et en Tunisie auparavant.

10. Le national-pétrolisme s’écroule au Sahara

Pendant la guerre d’Algérie, le seul secteur dont les milieux


Algérie française pouvaient tirer espoir de se prévaloir de leurs
capacités, contre ces tendances « néocolonialistes » de l’évolution
du capital international, c’est le pétrole saharien. Les apparences
nationalistes liées à la découverte du pétrole à partir de 1956
s’avérèrent une illusion. La France a certes essayé, dès le début,
d’utiliser sa souveraineté sur le Sahara algérien (et sur d’autres
territoires de son empire colonial) pour affermir sa position à
l’intérieur du club des grandes sociétés pétrolières, les « sept-
sœurs ». La France prit soin cependant de préserver la conces-
sion qu’Exxon voulait obtenir au Sahara. À cause de ses activités
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


très internationalisées, Exxon ne voulait pas demander officielle-
ment une concession à la France, aussi longtemps qu’une telle
démarche puisse apparaître comme une reconnaissance de la
légitimité de sa souveraineté en Algérie. Les autres compagnies
internationales furent également réticentes.
Le manque d’accès au capital international, pour le dévelop-
pement du pétrole saharien, et les hésitations même du secteur
privé français autour de la Compagnie Française des Pétroles,
forcèrent le secteur public, initiateur de la recherche pétrolière
dans le Sahara, à mobiliser d’autres sources financières du pays,
ci-inclus les avoirs des petits épargnants et des couches moyen-
nes, auxquelles on faisait miroiter l’avenir radieux de gains sûrs.
La stratégie nationale du développement du Sahara subit un
revers important en 1959, quand le pétrole saharien arriva dans
les ports algériens. Comme l’ensemble de l’Europe occidentale,
la France se trouvait dans un processus de restructuration de la

61
HARTMUT ELSENHANS

composition de la demande énergétique. Le fioul lourd rempla-


çait le charbon. Il fallait donc un pétrole plutôt lourd comme
celui du Golfe persique, tandis que le pétrole algérien excellait
en qualité, non seulement par sa faible teneur en soufre, mais
surtout par la part importante des produits légers, destinés à la
production d’essence.
Par conséquent, le marché français ne suffisait plus à la mise
en valeur du pétrole saharien. Il fallait échanger ce produit cont-
re du pétrole lourd afin d’alimenter les centrales thermiques
françaises, en gagnant de l’argent auprès des partenaires inter-
nationaux. Ceux-ci, à côté du fioul lourd, avaient besoin d’un
pétrole brut susceptible de fournir de l’essence. À partir de 1960,
le secteur public français se trouva engagé dans des négocia-
tions serrées autour de ces échanges, et dut commencer à réin-
tégrer l’industrie pétrolière internationale. Il se vit obligé, par
ailleurs, de développer des sources de pétrole en dehors de
l’Algérie, en association avec des groupes étrangers.
Le national-pétrolisme ne fut qu’un épisode dans l’histoire
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


de l’industrie énergétique française. Une période nouvelle
s’amorça quand le secteur public fut utilisé pour des contacts
avec des pays pétroliers d‘orientation plutôt gauchiste. Il fut
finalement absorbé par le secteur soi-disant privé, une compa-
gnie de droit privé à forte participation publique, la vieille
Compagnie Française des Pétroles.
L’orientation internationaliste de la France s’accentua. La
France devait se conformer à la ligne du capital international.

11. Pour rester une vraie grande puissance : lâcher l’empire,


construire la force de frappe

Restait alors le problème géopolitique et stratégique. La prio-


rité d’une partie de l’armée française, se moderniser pour des
combats en Europe, a déjà été mentionnée. La France avait vécu

62
Guerre française en Algérie...

en 1940 l’occupation par l’Allemagne et de grandes difficultés à


se libérer à partir de ses territoires coloniaux. Le fait est patent,
malgré tous les mythes développés autour des Africains « venus
de loin pour défendre la patrie », slogan si souvent scandé les
14 juillet sur les Champs-Élysées. Dès qu’une défense de la
France en Europe, contre la nouvelle menace, l’URSS, devint
possible, en raison de la présence permanente des États-Unis, la
France opta pour la défense du sanctuaire national. De là vint la
décision de construire une bombe atomique, afin d’obliger les
États-Unis à se battre en Europe en cas d’attaque du Pacte de
Varsovie. Depuis la guerre d’Algérie, il devenait clair que le sta-
tut de grande puissance était lié au contrôle de la technologie
nucléaire militaire, y compris les systèmes de tir.
La France ne pouvait disposer de toute la gamme de disposi-
tifs nucléaires. Ses possibilités étaient limitées à la dissuasion
massive contre les cibles civiles de l’adversaire car la stratégie
d’être capable de délivrer un second coup, après avoir été atta-
quée par des armes nucléaires adverses, était hors de sa portée.
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


Une attaque des villes de l’adversaire implique une riposte
massive contre sa propre population civile, ce qui équivaut à un
suicide collectif. Menacer un adversaire de suicide collectif
implique que l’enjeu est la survie de sa propre nation. Menacer
de l’arme nucléaire un adversaire, si celui-ci attaque par des
moyens conventionnels un territoire dépendant, est possible
seulement si une telle utilisation de l’arme nucléaire n’entraîne
pas de représailles équivalentes, contre son propre sanctuaire.
La France ne pouvait pas utiliser l’arme atomique pour
défendre son empire. Autant que ses anciens territoires devien-
nent des sociétés avec des États organisés, capables de se défen-
dre eux-mêmes, éventuellement avec l’aide de la France et de
ses alliés. L’empire n’était plus un atout sécuritaire mais une
charge. De plus, l’attachement à l’empire colonial pouvait inci-
ter à négliger l’essentiel de la défense de la France, c’est-à-dire
une armée moderne mécanisée, capable de mener la dissuasion

63
HARTMUT ELSENHANS

et éventuellement la guerre nucléaire en Europe. Des fantassins


français se baladant dans les djebels algériens étaient un pur
gaspillage.
Ce n’était pas pure rhétorique de la part de de Gaulle que
d’expliquer à son public que la France n’avait pas intérêt à res-
ter dans son empire. La profondeur géopolitique, que l’empire
avait mise en place pour la France de la IIIe République, n’était
plus de mise après 1945.

12. Des passions visibles mais non profondément ressenties

La politique ne s’élabore pas uniquement sur le calcul


d’intérêts, du moins en démocratie ; les sentiments, les appré-
hensions, les oppositions et les perceptions dans le grand public
doivent la permettre. L’Algérie et la guerre ont été des sujets
quelquefois passionnels mais l’importance des passions dans le
public français est à mon avis surévaluée par les élites qui écri-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


vent l’histoire. Ce qui frappe, c’est l’engagement limité des
grands groupes sociaux en France pour l’Algérie française.
Certes les Français avaient appris à l’école que l’Algérie faisait
partie de la France. Mais si l’on compare la propension des
Allemands de l’Ouest à aller en Allemagne de l’Est développer
cette partie de la patrie après la chute du mur de Berlin (on
l’estime à 500 000 personnes), à la disponibilité des Français de
France à aller en Algérie y construire une société moderne et
française, la différence est substantielle. L’Algérie, pour la gran-
de masse des Français, était une colonie, y compris dans la pro-
pagande de la droite qui ne niait pas que la colonie appartenait
à la France, mais n’était pas la France.
Le soutien au colonialisme, dans les pays occidentaux, a tou-
jours été lié à une vision humanitariste. Ceci vaut moins pour les
systèmes peu démocratiques tel l’empire allemand d’avant 1914
(Kehr 1930 : 423-424) que pour les démocraties occidentales.

64
Guerre française en Algérie...

Cela ne veut pas dire que de tels pays étaient plus humains que
d’autres. Mais à la fin du XIXe et au XXe siècle, on ne pouvait pas
mener dans les pays démocratiques des politiques outre-mer
qui se déclaraient ouvertement terroristes.
Ces justifications humanitaires étaient d’autant plus impor-
tantes que la France de l’après-1945 croyait pouvoir se distin-
guer dans son nationalisme, par rapport à son voisin allemand,
par le fait qu’elle n’avait jamais commis des crimes comparables
à l’Allemagne nazie14. Il fallait donner l’image d’une France
accomplissant en Algérie une mission civilisatrice avec des
méthodes humaines. Les autorités françaises devaient donc
mener la guerre de manière à ce que de telles convictions ne
paraissent pas ridicules.
Pendant toute la guerre d’Algérie, notamment durant les pre-
mières années, les Français étaient informés d’abus considéra-
bles et de violations importantes des Droits de l’homme, ci-
incluses des exécutions collectives, la torture, etc. (Lefebvre
2001 : 69). Certaines mesures, comme la constitution de camps
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


d’internement15, furent appliquées après discussion publique
au parlement.

13. « Découverte » de la torture quand la victoire parut


lointaine, signe du détachement de l’opinion française
de l’Algérie française

Pour évaluer l’importance de telles violations de la « mission


civilisatrice » pendant la guerre, il est utile de saisir à partir de
quel moment l’opinion métropolitaine s’alarma de tels abus.

14. Sur les résistances des éditeurs français à publier le livre qui allait jusqu’à
l’exigence de le publier sous un pseudonyme français, cf. Ouaïssa (2009 : 12).
15. Tout gouvernement nouveau devait demander, après son investiture, à
nouveau les pouvoirs spéciaux liés à l’état d’urgence, ce qui menait régulièrement
à un débat à l’Assemblée nationale.

65
HARTMUT ELSENHANS

D’après la fréquence des mentions dans la presse, il semble que


c’est à partir du printemps 1957 que les protestations contre ces
atteintes augmentèrent de manière significative. La droite fran-
çaise dénonça violemment cet accroissement des protestations
et les qualifia de « campagne orchestrée de l’étranger ».
On peut supposer que cela correspondit au moment où les
rappelés revenaient en métropole. Cette deuxième source
d’information aurait confirmé les nouvelles répandues par la
presse.
Il faut néanmoins mentionner que ces informations étaient
précédées, depuis la deuxième moitié de l’année 1956, de dis-
cussions et de campagnes soulignant la gravité de la situation
militaire. Ces informations confortaient la demande de renforts
du ministre résident en Algérie, mais créaient également dans
l’opinion le sentiment que la guerre ne pouvait pas être gagnée,
et qu’elle durerait encore longtemps. Ceci est indiqué par
l’évolution de l’opinion après l’échec de l’intervention franco-
britannique en Égypte fin 1956, et ensuite par des sondages
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


d’opinion, où la question sur la durée prévisible de la guerre
était posée fin 195716. Analysant les grands thèmes du journal
L’Humanité, journal considéré comme proche de la base de
l’opinion métropolitaine, on s’aperçoit que l’argument essentiel,
dans certains secteurs de l’opinion, et ce, même durant les pério-
des d’enthousiasme pour la guerre, est l’impossibilité de gagner
la guerre, et l’inanité d’une solution militaire.

16. À partir des questionnaires des sondages de l’IFOP dont je dispose, la


question de la durée probable des hostilités en Algérie n’est posée qu’en janvier
1958 (NS 129). Avant, on pose la question sur la durée prévisible de l’appartenance
de l’Algérie à la France. Il paraît donc que l’IFOP s’apercevait dès la fin de 1958 du
blocage des perspectives de solution politique en Algérie. L’institut paraît avoir
conclu que ce blocage devait aboutir à une prolongation infinie de la guerre. Des
données supplémentaires sont dans Elsenhans 2015b.

66
Guerre française en Algérie...

14. Des remous sociaux quand la guerre doit être payée

Une deuxième poussée vers une solution évolutive s’observe


à partir du début 1959, malgré les espoirs et les enthousiasmes
créés par le 13 mai 1958 en métropole, du moins dans certains
segments de l’opinion centriste. Dans l’espoir illusoire d’une fin
rapide de la guerre, les gouvernements dirigés par la SFIO
(depuis 1956) avaient maintenu une politique favorable aux
revenus de masse malgré l’effort militaire. Ils purent plus ou
moins la défendre, même après l’éviction de Guy Mollet de la
présidence du conseil, parce que la SFIO disposait d’un pouvoir
de blocage dans la formation d’une majorité dans l’Assemblée
nationale élue en janvier 1956. Ce pouvoir de blocage disparut
avec la révision constitutionnelle de 1958 (réduction du rôle du
parlement) et la nouvelle majorité dans l’Assemblée élue en
novembre 1958. Le coût de la guerre, en lui-même, n’était pas
insupportable pour la France mais exigeait l’austérité imposée
par le plan Pinay au début de l’année 1959. Les conséquences se
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


firent sentir sur le revenu de la masse de la population françai-
se et conduisirent à des mouvements sociaux à l’été 1959.

15. Fin des sursis et protestations estudiantines

Les gouvernements français avaient privilégié la population


estudiantine en accordant largement des sursis pour le service
militaire, ce qui permettait aux étudiants d’éviter d’être envoyés
comme soldats en Algérie. Avec l’arrivée de classes creuses à
l’âge du service militaire, cette pratique fut limitée par le gou-
vernement à partir de la mi-1959. La défaite des étudiants anti-
colonialistes, durant les années 1955-1957 dans le combat pour
la direction de l’organisation estudiantine, était corrigée. Les
majorités, dans les associations d’étudiants de la plupart des
facultés de France, changèrent : les étudiants anticolonialistes,
l’ancienne « minorité », prenaient la direction de l’UNEF qui

67
HARTMUT ELSENHANS

commençait à mener une campagne pour la paix en Algérie par


la négociation. Elle prit, dans ce contexte, contact avec l’Union
Générale des Étudiants Musulmans d’Algérie, l’organisation
estudiantine du FLN. Parce que l’UNEF n’avait pas subi la scis-
sion de la gauche française de 1947, elle fut capable avec le
Syndicat National des Instituteurs (SNI) et la Fédération de
l’Éducation Nationale (FEN) de rassembler la gauche dans les
manifestations, pourtant encore limitées.
À partir de la lutte des étudiants pour la paix en Algérie,
l’image a émergé que les intellectuels en France furent une force
majeure de la lutte anticolonialiste. Au niveau des intellectuels
publics, c’est-à-dire des intellectuels qui pouvaient attirer
l’attention sur leurs positions, il y eut cependant un fort courant
en faveur de l’Algérie française. L’USRAF17, organisation fon-
dée en 1956 par Jacques Soustelle pour lutter pour l’Algérie
française, comptait déjà beaucoup d’intellectuels (Soustelle
2009 : 423). L’engagement de nombre d’entre eux pour le main-
tien de la France en Algérie est confirmé par des études ulté-
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


rieures. Les sondages d’opinion démontrent cependant que plus
le niveau d’instruction est élevé, plus cette position apparaît
comme un but souhaité de la politique française18. L’école répu-
blicaine française a produit des nationalistes et non des citoyens
cosmopolites. Il est donc difficile de faire hériter la résistance

17. Union pour le Salut et le Renouveau de l’Algérie Française.


18. Choisissent la réponse la plus favorable à l’Algérie française parmi :
NS114,Q,25 NS 119, Q. 39 NS122, Q 1 NS129, Q. 39 S.2950, Q. 8 NS 142, Q. 21
25-3-56(1) 27-2-57(2) 30-8-57(1) 2-1-1958(1) 24-7-58(3) 17-2-59(4)
Prof.lib. et cadres
41 39 32 35 59 20
Ouvriers 26 30 24 23 50 8

(1) Algérie sera encore française dans 10 ans


(2) Algérie sera encore française dans 5 ans
(3) Intégration est souhaitable
(4) Les députés musulmans élus en novembre 1958 sont représentatifs

68
Guerre française en Algérie...

des étudiants, contre la prolongation de la guerre, d’un legs


idéologique. Ce qui est plus vraisemblable, c’est l’importance
des répercussions de la guerre d’Algérie sur la vie quotidienne
en France. Elle fut finalement façonnée par l’impact de cette
guerre, donc par l’action des combattants algériens, sur des
paramètres importants de la vie française.

16. Les intérêts et les attentes l’emportent sur les désirs

Puisque l’exploitation quantifiée de la presse française, pres-


se généraliste mais aussi celle liée aux organisations politiques,
est encore à réaliser, mes conclusions sur ces observations seront
provisoires mais restent, tout de même, très plausibles
(Elsenhans 2011a). L’opinion française n’est pas fortement enga-
gée pour l’Algérie française, qu’elle croit souhaitable, mais pas
centrale pour autant. Plus la guerre durait, moins l’opinion fran-
çaise y croyait mais, non engagée pour autant, elle ne réagissait
à la guerre qu’à travers ses répercussions. Parmi ses effets, les
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


problèmes économiques avaient une incidence particulière sur
le bien-être des ménages et de plus, la guerre impliquait le sacri-
fice d’une génération. Le discours du général de Gaulle, du 16
septembre 1959, concrétise les préférences diffuses de la grande
majorité de l’opinion française, qui, comme les élites, croyait
que l’Algérie n’était pas la France. L’intégration n’était ni sou-
haitable ni possible, et surtout peu probable. Il fallait une solu-
tion intermédiaire19.

19. IFOP S 2950, Q8, 24-7-59 S 3265, Q.4, oct.59 S 3355 Q.8, 10-2-59
Intégration /francisation
– souhaitable 52 23 30
– possible 40 23 8
Seulement cadres et professions libérales
– souhaitable 59 32 37
– possible 49 13 11

69
HARTMUT ELSENHANS

On observe, dès le début de la guerre, le refus à la fois de


l’intégration et de l’indépendance. Néanmoins, il était possible
encore de présenter une solution de compromis, une solution
moyenne si possible édulcorée et envisageable dans une négo-
ciation, avec des aspects positifs pour les intérêts français.

17. L’Algérie française se catapulte hors du consensus français

Quand les Français d’Algérie, en accord avec certains élé-


ments de l’armée, essaient de forcer de Gaulle à revenir sur cette
préférence pour la solution intermédiaire, il y a conflit entre les
Français d’Algérie et des éléments de l’armée d’une part, et
d’autre part l’opinion métropolitaine. C’est à partir de là, à la
différence du 13 mai 1958, que les sondages dégagent une majo-
rité de l’opinion publique craignant pour la stabilité des institu-
tions républicaines. Ni l’intoxication de l’opinion française pen-
dant les deux dernières années de la IVe République, par les pra-
tiques de guerre psychologique, ni les initiatives de l’armée
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


contre le pouvoir de Paris, comme l’enlèvement de l’avion du
sultan de Maroc avec les chefs du FLN le 22 octobre 1956 dans
l’espace aérien international, ni l’attaque des sanctuaires FLN en
Tunisie en février 1958, n’ont pu provoquer auparavant un tel
sentiment en France. Le public ne s’en inquiète, durant la crise
des institutions républicaines à la fin de la IVe République, que
lorsque de telles initiatives sont visiblement vouées à l’échec, à
cause de la stabilité du pouvoir politique à Paris.
Certes la situation avait changé après le 13 mai 1958. Sur le
plan militaire, des efforts considérables sont entrepris pour
démanteler les unités de l’ALN. L’application de la tactique du
plan Challe obligea l’ALN à se disperser en unités plus petites.
Le « regroupement » de presque la moitié de la population rura-
le algérienne dans des camps encerclés de barbelés, rompait le
contact direct entre les unités armées et la population20. Mais la

20. Voir la description impressionnante de Pecar (1985 : 286ss).

70
Guerre française en Algérie...

population ne bascula pas du côté du pouvoir colonial, malgré


la domination militaire et les programmes de réformes, y com-
pris l’égalité des droits, que de Gaulle offrait21.
Sur le plan de la politique intérieure française, de Gaulle avait
fait des efforts pour ramener l’armée dans la légalité républicaine
et la subordination au pouvoir politique. Les officiers durent rapi-
dement se retirer des « comités du salut publics », créés pendant
mai 1958. Les officiers marqués sur le plan politique furent mutés
en métropole bien avant que le général Massu n’ait donné son
interview de janvier 1960 au journal « Süddeutsche Zeitung ».
Mais ce qui me paraît important, c’est que le courant Algérie fran-
çaise n’avait plus de soutien au niveau des institutions parlemen-
taires françaises. La grande victoire électorale du général de
Gaulle, durant les élections législatives de novembre 1958, avait
envoyé au Palais-Bourbon une large majorité Algérie française,
des députés qui, cependant, devaient leur élection à leur référen-
ce à de Gaulle. La plupart de ces députés ne pouvaient espérer
être réélus en cas de dissolution de l’assemblée par le président de
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


la République. Que de Gaulle ait procédé à la dissolution, en cas
de vote contre sa politique d’autodétermination en octobre 1959,
suivie d’un vote de défiance constructive contre le gouvernement
de Michel Debré, faisait si peu de doute, que cette éventualité n’a
jamais été discutée sérieusement par les opposants au général de
Gaulle. Les efforts des partisans de l’Algérie française, de la majo-
rité gouvernementale, de se rallier la droite parlementaire, initia-
lement Algérie française, a lamentablement échoué. Elle ne devait
qu’échouer pour tout observateur intelligent. Ainsi, un partisan
de l’Algérie française aussi engagé que Jacques Soustelle n’y par-
ticipa même pas. Pour le parti de la droite gaullienne, élue en
novembre 1958, la survie et donc les carrières parlementaires et
politiques, passaient par le soutien au général de Gaulle.

21. Cf. d’Escrienne (2000 : 7), sur l’évaluation très pessimiste de la situation
politique en Algérie par le général de Gaulle.

71
HARTMUT ELSENHANS

J’émets donc l’hypothèse que le comportement de la popula-


tion française joua un rôle en faveur de la paix en Algérie quand
un pouvoir politique à Paris traça une stratégie claire, même si
la solution intermédiaire, à laquelle la majorité des Français
adhérait, fut finalement vouée à l’échec. Ce soutien était renfor-
cé par la conviction accrue que la guerre ne pouvait être gagnée
et sa prolongation ne pouvait que causer des inconvénients aux
ménages français. Dans cette crise, la France avait un chef poli-
tique, certes nationaliste, mais aussi réaliste, trempé dans ses
convictions du respect nécessaire des réalités. De Gaulle, suite
aux années de guerre en situation de faiblesse par rapport à ses
alliés, sut comprendre que la France ne pouvait être sauvée si
elle ne s’adaptait pas aux changements qui se déroulaient dans
le monde. Ce retour de la direction de l’État à la politique
« comme art du possible » a pu convaincre une opinion dispo-
nible, comme les premières années de guerre l’avaient démon-
tré, à des excès émotionnels.
Je n’exclus donc pas l’idée que le refus simultané de
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


l’indépendance et de l’intégration, dans la grande majorité du
peuple français, aurait pu aussi conduire à la prise en main de
la situation par un acteur décidé, en l’occurrence l’armée, qui
aurait certes fait face à des résistances. Éventuellement cela
aurait conduit à une guerre civile.

18. L’opinion française poursuit un parcours vers


l’acceptation de l’indépendance de l’Algérie, car – et si – le
FLN est capable de détruire toute perspective d’une victoi-
re française sous forme de solution imposée

Une contribution autonome de l’opinion française au


dénouement de la guerre d’Algérie n’est donc pas évidente. Elle
s’attachait, pour sa grande majorité, à qui poursuivrait une stra-
tégie crédible. Cela conduira à un dégel de la situation sous de

72
Guerre française en Algérie...

Gaulle. Son adresse, dans le traitement de l’opinion française,


consista dans l’élaboration de la solution intermédiaire, de plus
en plus préférée par les Français. Celle-ci se rapprochait de
l’idée d’indépendance de l’Algérie dans la coopération, ce que le
FLN n’avait jamais refusé. La France abandonnait ainsi sa pré-
tention d’être l’arbitre en faveur de la communauté européenne,
et d’exercer des fonctions de souveraineté en Algérie. La solu-
tion intermédiaire prenait alors la forme d’un accord entre la
France et le GPRA, sur des garanties à préserver pour les inté-
rêts français, ce que le FLN également n’avait jamais refusé.
L’opinion s’était repliée dans une situation de morosité en
l’absence d’une force politique représentant une perspective,
comme ce fut le cas à la fin de la IVe République. Par contre, elle
s’opposa aux extrémistes de l’Algérie française, dès qu’un chef
politique la persuada qu’il était capable de la mener vers une
issue.
L’opinion s’était exprimée tout au long de la guerre d’Algérie
par des idéaux, mais découvrait que ceux-ci étaient finalement
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


préservés dans le compromis de « l’indépendance avec coopé-
ration ». Au fur et à mesure, elle accepta l’ajustement de ses vues
à la situation réelle qui ne pouvait plus être niée. Avec un bon
sens politique, elle se rallia à ce qu’elle croyait possible, et ne
donna plus d’importance à ce qu’elle avait cru souhaitable
auparavant. Ainsi, en 1959, des minorités encore importantes
dans l’opinion croyaient l’intégration souhaitable, mais très peu
la croyaient possible22.

22. En juillet 1959, 52 % se prononcent pour l’intégration, mais si l’on qualifie


l’« intégration » comme « francisation » en octobre 1959, seulement 32 % sont en
sa faveur (IFOP S 2950, question 8, 24 juillet 1958, contre 23 %, S 3265 question 4,
octobre 1959). En octobre 1959 seulement 12 % sont pour la sécession (ouvriers
16 %). En février 1960 (IFOP S 3355, 10 février 1960) 27, sont pour la francisation,
5,9 % pour la sécession. Cf. aussi infra note 19.

73
HARTMUT ELSENHANS

19. De Gaulle : démiurge ou fin observateur de ce qui est


possible ?

Je ne peux traiter ici de tous les avantages qu’aient pu consti-


tuer pour le peuple français cette solution de rechange contre la
IVe République, ainsi que l’existence physique d’un leader presti-
gieux, au patriotisme incontestable, et à la clairvoyance indénia-
ble. Je ne vais qu’effleurer cette question, si souvent discutée,
d’un général de Gaulle qui aurait su, dès son accession au pou-
voir en 1958, vers où il évoluerait dans la question algérienne23.
Comme tout militaire, de Gaulle avait une perspective qu’il
précisera à fur et à mesure du développement de la situation.
Ne considérant pas l’intégration souhaitable, afin de maintenir
l’homogénéité du peuple français (Dronne 2009 : 252), il voulait
une solution qui maintienne autant que possible l’influence
française en Algérie, ce qu’il appelait la « solution la plus fran-
çaise ». Cette formule, à mon avis, n’était pas purement rhéto-
rique dans son discours du 29 janvier 1960. Il crut que le peuple
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


algérien ne constituait pas une nation cohérente telle que la
France, et que la « solution la plus française » passerait par
l’accentuation des différences entre Algériens24.

23. Je cite d’une lettre de Pierre Mendès France à moi-même du 4 mars 1970 :
« Il est arrivé à plusieurs reprises entre 1954 et 1958 que je rende visite au Général
de Gaulle avec lequel j’avais gardé de bonnes relations. En ce qui concerne les
affaires algériennes j’ai malheureusement eu l’impression qu’il était très mal infor-
mé et qu’il croyait encore possible une solution qui maintienne intacte l’autorité
française. Je sais bien qu’il a en plusieurs circonstances parlé un langage un peu
ambigu mais c’était probablement pour satisfaire tel ou tel de ses interlocuteurs.
Lors des conversations que j’avais eues avec lui, qui avaient un caractère confi-
dentiel et dont je ne désire pas que vous fassiez état [à quoi je me sens autorisé de
ne plus me conformer 46 ans après] il ne m’a pas paru ouvert aux solutions qui
me semblaient de plus en plus indispensables. »
24. Les structures précapitalistes n’excluent pas un sentiment d’identité
nationale, mais ne dépendent pas de l’émergence de classes homogènes à
l’échelle nationale, ce qui constituera un moteur important de la formation de
nations. Se référant à l’Inde, T. K Oommen (1986 : 63-74), montre que les luttes

74
Guerre française en Algérie...

Les manifestations du 10 décembre 1960 (Elsenhans 2010)


furent le Dien-Bien-Phu du général de Gaulle. Réalité que plus
personne ne pouvait nier sautait aux yeux, le peuple algérien,
hormis la minorité européenne, constituait un bloc politique avec
lequel la France devait négocier, à travers les représentants de
cette nation, c’est-à-dire avec le FLN et son GPRA. L’évolution
entre le discours du 4 novembre 1960 sur « la République algé-
rienne, laquelle existera un jour, mais n’a encore jamais existé » et
les discours du général en Algérie qui suivirent immédiatement
le 10 décembre, est édifiante25.
Les efforts de de Gaulle pour nier cette réalité, avant le 10
décembre 1960, ont probablement prolongé la guerre. Il a pour-
tant évité une guerre civile en France vu l’anomie et la désorgani-
sation dans lesquelles se trouvait le camp libéral. Prêt aux évolu-
tions en Algérie, sans être favorable à l’indépendance, ce camp
était tombé du fait des errements des chefs politiques qui accédè-
rent au pouvoir après les élections de janvier 1956.
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


20. Le dénouement : par dépit, un rôle spécial dans le
tiers-monde

Les forces néocolonialistes, qui se résignèrent à la décoloni-


sation après 1945, ont eu pour objectif de préserver au maxi-
mum leurs grands intérêts économiques, en favorisant
l’accession au pouvoir de chefs modérés, aussi modérés que
possible. De tels intérêts n’étaient pas absents dans la stratégie
française, mais ils étaient insignifiants et surtout, à partir de

pour l’indépendance nationale sont un autre facteur important de la formation de


la conscience nationale et dans ce sens-là l’Algérie présente l’exemple d’un pays
du tiers-monde avec une conscience nationale très généralisée.
25. Je pense par exemple au discours de Blida, extraits dans : de Gaulle,
Charles : « Décorés par le président de la République, les vétérans auraient préféré
de l’argent aux médailles», in Le Monde, (13 décembre 1960) : 4.

75
HARTMUT ELSENHANS

l’accession de de Gaulle à la responsabilité suprême, ils n’étaient


pas centraux dans le processus de formulation de la politique
française.
Pour de Gaulle l’économie c’était « l’intendance qui sui-
vrait ». L’Algérie était une perte regrettable mais non décisive,
car le rang de la France ne dépendait pas du contrôle de
l’Algérie, ni du reste de l’empire. Elle dépendait de l’accession
de la France au rang de puissance militaire moderne. Il fallait
donc liquider l’affaire algérienne dans des conditions aussi
favorables que possible, pour le maintien du rang de la France.
Il fallait néanmoins exploiter l’inévitable afin d’en tirer un maxi-
mum d’avantages pour sa stratégie à long terme.
Quand le général de Gaulle arrive de nouveau aux affaires, la
France risquait de devenir une puissance moyenne, peu différen-
te en rang de cette Allemagne vaincue et divisée suite à sa défaite.
Si un destin comparable guettait la Grande-Bretagne, celle-ci avait
l’avantage que sa fille aînée, les États-Unis, lui réservait un rôle
important dans les discussions sur la stratégie d’ensemble de
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


l’Occident, dominé alors par les « cinq yeux » des nations anglo-
saxonnes (y compris : la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada,
Babones 2014). De Gaulle envisagea d’abord l’égalité de la France
avec la Grande-Bretagne, et en principe aussi des États-Unis, au
sein d’un directoire de l’Alliance atlantique. Les États-Unis refusè-
rent nettement (Vaïsse 1989). La Grande-Bretagne préféra garder
son « special relationship » avec les États Unis, au lieu de faire
front avec la France gaulliste pour imposer une égalité entre les
trois grandes puissances occidentales, membres permanents du
conseil de sécurité (Jones 2011 : 7ss.).
Dans les mémoires du général de Gaulle, une vision de l’après-
guerre prédomine où les pays voisins, dont une Allemagne affai-
blie et de rang inférieur par rapport à elle, font bloc autour de la
France, une sorte d’Europe carolingienne avec comme capitale
Paris (de Gaulle 1959, 63s. ; Maillard 1995 : 1-99). L’Allemagne de
Konrad Adenauer y perçoit l’éventualité du grand dessein de

76
Guerre française en Algérie...

l’ancien chancelier, celle de réintroduire l’Allemagne dans la


famille européenne. La France répondit même au désir des
Allemands, en imposant la fermeté de l’alliance contre l’Union
soviétique, au sujet de la transformation de Berlin-Ouest en
ville libre (Vaïsse 1998 : 279). Malgré les vacillements des alliés
occidentaux sur cette question, le leadership allemand, contre
le chancelier, décida pourtant de donner la priorité à la garan-
tie nucléaire des États-Unis (Brock 1968 : 69). La France, puis-
sance nucléaire, était cependant incapable de procurer un para-
pluie nucléaire à l’Allemagne, elle ne pouvait que se protéger
elle-même par la dissuasion nucléaire.
La France avait besoin d’être soutenue de manière directe ou
indirecte par d’autres pays pour devenir une grande puissance,
au rayonnement international. Cela pouvait être obtenu si la
France épousait une cause qui la dépassait et qui était capable
de rassembler, derrière elle, d’autres pays qui verraient en elle
un chef de file.
Devenir le champion des indépendances du tiers-monde, par
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


rapport au système des superpuissances, était possible. Devenir
le partenaire privilégié des pays dominés qui voulaient se libérer
de la prison bipolaire où les superpuissances les avaient enfermés
(Elsenhans 2009 : 483), représentait une éventualité. Mais le déve-
loppement trop poussé d’une telle stratégie aurait dressé la
France contre les États-Unis, ce que de Gaulle essayait d’éviter
autant que possible, conscient que le parapluie américain était la
condition de ces stratégies indépendantes. Mais ceci n’excluait
pas la manifestation d’une différence d’approche par rapport aux
États-Unis, d‘où, plus tard, la reconnaissance de la Chine popu-
laire ou le discours de Phnom-Penh, de même que les relations
privilégiées avec la Roumanie. Dans tous ces pays, le prestige de
la révolution algérienne était énorme et la France ne pouvait
mener une telle stratégie si la solution de l’affaire algérienne
apparaissait mesquine. Faire de la solution du problème algérien
l’œuvre d’art d’une France généreuse, voilà la tâche historique.

77
HARTMUT ELSENHANS

Cependant, après l’effondrement des empires coloniaux, les


nations émergentes se révélèrent plus disparates que les chefs
du monde non-aligné ainsi que les dirigeants occidentaux
n’avaient espéré ou craint. Malgré leurs conférences et leurs
déclarations communes, elles ne trouvaient pas moyen de
concrétiser une politique coordonnée et collective, qui aurait
forcé les Occidentaux à leur donner voix au chapitre dans la ges-
tion des affaires mondiales. La mission de porte-parole de leurs
intérêts était disponible pour un pays qui, par son histoire et ses
liens diplomatiques, était déjà « dans le sérail » et n’avait donc
pas besoin de soutien pour entrer et durablement faire partie de
ce cercle. Pour une telle puissance, le soutien du tiers-monde
pouvait servir à augmenter son audience à l’intérieur même du
bloc occidental. La France pouvait donc ajouter cette fonction de
liaison aux réseaux déjà hérités de l’histoire, car elle n’en était
pas dépendante.
Une telle perspective de la politique extérieure française,
conçue pour augmenter son rang dans le cercle des puissances
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


occidentales, devait tenir compte des demandes anticolonialis-
tes et anti-impérialistes de ce groupe d’États du Sud, nouvelle-
ment indépendants. Aussi, le contrôle très étroit des États,
anciennement français du sud du Sahara, ne devait pas appa-
raître comme imposé, mais voulu par les chefs d’État de ces
pays. Dans le monde arabe, les autres pays occidentaux avaient
de très lourdes difficultés car les États-Unis et l’Allemagne se
voyaient obligés de donner la priorité aux intérêts de l’État
d’Israël, suivis dans cette ligne politique par la Grande-
Bretagne. En prenant une position plus favorable aux Arabes
sur la question palestinienne et en admettant la critique de l’État
d’Israël, de Gaulle pouvait redorer le blason de la France dans le
monde arabe et musulman. Il fallait donc absolument éviter que
la solution de l’affaire algérienne range la France à la remorque
d’Israël, comme les chefs de l’État d’Israël l’avaient voulu, en
militant, dans leurs contacts avec le gouvernement français
pour la partition de l’Algérie (Abadi 2002 : 620). La décision

78
Guerre française en Algérie...

d’exclure cette option de même que la décision de finalement


renoncer à la souveraineté sur le Sahara algérien, s’inspiraient
de cette stratégie de trouver une solution avec les dirigeants de
la révolution algérienne, autorisant la France à se présenter,
dans le monde arabe, comme un vrai et honnête décolonisateur.

21. La France et l’instrumentalisation rhétorique


de la libération économique du Sud

Face à la compétitivité internationale dans le secteur des tech-


nologies de pointe, un capitalisme faible a intérêt à un accès facile
de ses produits peu sophistiqués aux marchés du Sud. Il peut éga-
lement bénéficier de marchés largement organisés par les gouver-
nements, telles les exportations d’armement ou l’octroi de conces-
sions pétrolières. Les nouveaux gouvernements du Sud, notam-
ment le gouvernement algérien installé en 1965, héritaient d’une
conception du développement économique largement marquée
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


de l’idée que la disponibilité de ressources financières, pour
l’investissement, primait toute autre priorité dans le développe-
ment (Elsenhans 2015c : 8-12). Le sous-développement était
moins expliqué par les structures internes d’inégalité de distri-
bution des revenus, que par l’exploitation des métropoles colo-
niales qui drainaient, en leur faveur, les surplus disponibles
pour l’investissement dans leurs économies. Stimuler des stra-
tégies d’augmentation des revenus à l’exportation pouvait
accroître la capacité d‘importation des sociétés sous-dévelop-
pées. Plus que la demande mondiale, celle de ces nouveaux
pays s’orientait vers des produits moins sophistiqués, pour les-
quels la France était encore compétitive. L’appropriation de ren-
tes par le Sud augmentait les exportations françaises plus
qu’elle ne grevait le coût des importations. Plus tard, des efforts
encourageront les exportations françaises, en acceptant des prix
préférentiels pour les exportations d’hydrocarbures de l’Algérie
(Abdesselam 1990 : 118).

79
HARTMUT ELSENHANS

Le poids secondaire des considérations économiques dans


les choix politiques du général de Gaulle fit de la France un par-
tenaire privilégié des « sociétés bureaucratiques de développe-
ment »26 du Sud avec leurs classes-État, dont l’Algérie. Cette
proximité avec les positions françaises de pointe, au moins sur
le plan verbal, quant aux termes de l’échange avec le Sud, le
soutien aux indépendances nationales, ont donné à la France
l’image d’une puissance progressiste par rapport aux autres
pays impérialistes dans le conflit Nord-Sud27.

22. L’alliance avec les nationalistes laïcs

Quand les classes-État du Sud entrèrent en crise, au sujet de


l’utilisation efficace des rentes obtenues dans l’exportation des
matières premières, encore une fois, la France prendra une posi-
tion « en flèche » dans la coopération avec ces classes rentières
en déclin. La France se sépara des nouvelles forces vives qui
émergèrent à la suite de la crise des nationalistes laïcs, et qui
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


avaient dominé les mouvements de libération nationale dans
l’ensemble des pays du Sud, notamment en Asie et en Afrique,
depuis les années 30 du siècle dernier (LeVine 2006 : 486,
Bhargava 2002 : 75, Hower 1992 : 100).
Cette crise permit aux nationalistes culturels d’élargir leur
audience, notamment en mobilisant les petits entrepreneurs et les
nouvelles classes moyennes issues de l’éducation, bloquées dans
l’emploi par les classes moyennes culturellement très proches de
l’Occident. Ces forces eurent bien sûr le soutien de la grande
masse des marginalisés, prêts à devenir les troupes de choc de

26. (Elsenhans 1981a avec application au cas algérien & Elsenhans 1984, dans
ce volume cf. page 211).
27. Position de la Chine populaire, mais aussi de l’URSS, qui voulait éviter
l’installation des États-Unis en Afrique du Nord après le départ de la France,
Elsenhans 2000a : 131.

80
Guerre française en Algérie...

ceux que certains ont appelé les fondamentalistes, ou islamistes,


dans le monde musulman, extrémistes hindou aux Indes, etc.
(Elsenhans 2012b : 648ss., 2015d : 142-146).

23. Les illusions du dénouement

L’indépendance de l’Algérie fut imposée à la France par un


processus politique au cours duquel celle-ci s’adapta aux nou-
velles réalités internationales. Elle élabora une nouvelle concep-
tion de ses capacités à prétendre à un rang de grande puissance,
au rayonnement international. Elle réussit le virage de la per-
ception de son propre rôle en se résignant à l’inévitable de
l’indépendance de l’Algérie. Ceci lui permit de présenter
l’aboutissement de la guerre comme base de départ d’une rela-
tion nouvelle et fructueuse avec ces forces nouvelles, les natio-
nalistes laïcs aux orientations idéologiques de gauche, qui émer-
gèrent dans le Sud. La nouvelle ligne coïncidait avec un intérêt
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


objectif de la France à la réussite du mouvement de libération en
Algérie dont le dessein était la transformation économique et
sociale, projet des nationalistes laïcs aux commandes du proces-
sus de décolonisation, comme partout ailleurs dans le Sud.
Cependant, cette convergence de perception a été plus
importante dans le domaine du verbe que dans le domaine des
réalités. Les efforts constants pour améliorer les relations avec la
Tunisie et le Maroc et de jouer ces deux pays contre l’Algérie sur
le plan économique, témoignent également de la présence des
forces néocolonialistes dans la politique extérieure française.
La ligne politique spécifique de la France dans l’affaire algé-
rienne ne fut pourtant pas totalement vaine. Elle contribua à
permettre une avancée des idées du Sud sur l’agenda des dis-
cussions d’un nouvel ordre économique mondial plus juste, et
créait l’impression que des alternatives existaient contre la stra-
tégie des grands groupes économiques multinationaux. Je ne nie

81
HARTMUT ELSENHANS

donc pas l’importance politique de telles constructions, dans la


sphère des perceptions et des idéologies, malgré leurs bases éco-
nomiques faibles.
En inventant un rôle nouveau à la France, de Gaulle put ras-
sembler les Français qui n’avaient pas d’intérêt direct à l’affaire
algérienne, pour faire bloc contre les tenants des anciennes for-
mes de domination coloniale. J’admets que dans le long terme,
cette perspective de la France décolonisatrice malgré elle, résolue
à faire de la décolonisation une réussite dans le changement de
son rôle international, a contribué à maintenir des ponts entre
l’Algérie et la France et ensuite, aussi, entre l’Algérie et l’Europe.

24. Les idées et les ajustements à la réalité

Le monde des perceptions et des idées s’attache, cependant,


aux changements de la réalité. Ceci implique que le monde des
perceptions et des constructions idéologiques est étroitement lié
aux réalités et aux intérêts qui en découlent. Le processus de
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


prise de conscience, dans l’opinion publique française, qui
conduisit à l’anomie avant 1958, fut le résultat de l’impossibilité
pour les forces répressives françaises de réduire la révolution
algérienne, malgré des succès militaires, et cela plus encore,
après le lancement du plan Challe (Martzloff 1997 : 40). Le pro-
cessus de prise de conscience s’est accéléré avec les répercus-
sions de la guerre d’Algérie en France, et la réflexion suivit ainsi
l’évolution des réalités. Le verbiage de la théorie de la guerre
subversive avait pu faire ressurgir les fantasmes de l’Algérie
française dans des parties de l’opinion, néanmoins, l’absence de
certains intérêts économiques en Algérie faisait que, avant
même que ses répercussions ne se fassent sentir en France, elles
rappelaient à l’opinion publique française les réalités à respecter
depuis 1945.
La faiblesse relative des avantages dans l’affaire algérienne
n’excluait pourtant pas une évolution de la définition des intérêts

82
Guerre française en Algérie...

français, comme le fut l’évolution des intérêts d’autres puissances


coloniales dans les divers conflits de décolonisation. Le domaine
des perceptions et les interprétations connaissent des degrés de
liberté par rapport à la réalité. Ces degrés de liberté varient au
cours de l’histoire et selon la nature des problèmes rencontrés.
Assez souvent, l’éventail de solutions est pourtant limité pour les
puissances aux moyens restreints. Ce fut le cas avec le processus
de décolonisation. Les idées et les interprétations pouvaient susci-
ter des réticences et des délais dans la prise en compte des réalités
inévitables, ce qui se traduisit par des modulations de la ligne
directrice de l’évolution des politiques. Les idées et les perceptions
des forces résistantes à la libération du joug colonial, ne pouvaient
pourtant pas nier la nécessité de la reconnaissance des conséquen-
ces de la montée de ces nouvelles forces sociales, dans notre cas la
montée des forces de libération nationale des pays du Sud.
Comme dans les autres pays du Sud, la colonisation avait créé
en Algérie de nouveaux groupes sociaux. Face aux inégalités, ils
adoptèrent les identités arabo-musulmanes héritées et, à partir de
© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

© NAQD | Téléchargé le 16/11/2023 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)


ces identités, lancèrent un mouvement nationaliste. Ils se tournè-
rent vers la lutte armée quand toute perspective de compromis
politique fut bloquée. Dans les conditions internationales des
années 1950, la France ne pouvait pas gagner cette lutte, même si
elle éliminait physiquement pratiquement la plus large partie de
la résistance armée sur le territoire algérien. Aussi longtemps
qu’elle ne pouvait conquérir les cœurs des Algériens, la France
devait perdre. La capacité des forces de libération nationale de
maintenir la pression, non seulement politique mais aussi militai-
re, privèrent la France d’une légitimité démocratique et permirent
à la révolution algérienne de vaincre. La guerre d’Algérie ne fut
pas perdue sur le plan international, mais remportée, certes, non
par une victoire militaire traditionnelle, mais par la capacité des
combattants algériens à se maintenir et d’interdire aux forces de
répression d’installer leur ordre.

83

Vous aimerez peut-être aussi