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Le recrutement dans l'empire colonial français, 1914-1918

Chantal Antier
Dans Guerres mondiales et conflits contemporains 2008/2 (n° 230), pages 23 à 36
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0984-2292
ISBN 9782130567899
DOI 10.3917/gmcc.230.0023
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LE RECRUTEMENT
DANS l’EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS,
1914-1918

Les territoires d’outre-mer de la France, dont la pacification n’est pas


terminée à la déclaration de guerre en août 1914, constituent pourtant le
deuxième empire colonial du monde, très envié par les alliés comme par
les ennemis. Il représente avec la métropole une population de « près
de 100 millions d’habitants », d’après le général Mangin. Des statuts diffé-
rents, une conscription envisagée mais jamais appliquée par une loi, l’op-
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position entre militaires des colonies, administrateurs et ministres, ne per-
mettent pas de considérer ces territoires comme un réservoir potentiel de
soldats. Pourtant, l’emploi d’ « indigènes » dans des expéditions coloniales,
et même dans des guerres menées par la France, a été tenté avant la
Grande Guerre1.

DES INDIGÈNES DANS L’ARMÉE AVANT 1914

Les troupes de Marine sont les premières à recruter des « indigènes »


(Laptots) dans leurs rangs, du fait de leur pénétration très ancienne dans les
territoires d’outre-mer. Marsouins et Bigors (artilleurs de Marine) forment
un corps encore peu nombreux. Les officiers d’infanterie de Marine, sortis
dans les derniers de Saint-Cyr, sont affectés généralement à l’Afrique
noire. La Marine n’a pas la même conception du choix des « indigènes » à
recruter que l’armée de terre ; la première s’appuie plutôt sur ceux qui
pratiquent une religion animiste alors que la seconde fait davantage
confiance aux musulmans organisés sous la direction d’un imam2.
Après la guerre de 1870, se pose d’une façon précise l’emploi dans
l’armée de ces hommes des colonies. Le procès-verbal du Conseil supé-

1. L’Empire dans la Guerre, 14-18, Ministère de la Défense - Secrétariat d’État aux Anciens
Combattants, sous la direction de Claude Carlier, p. 4-5.
2. Benjamin Leroy, « Les troupes de marine en Afrique à la fin du XIXe siècle », Revue historique
des Armées, no 247, 2007, p. 116-1117.
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 230/2008
24 Chantal Antier

rieur de la guerre du 8 novembre 1872 fait état de la demande du général


de division, duc d’Aumale : « Est-ce qu’il ne conviendrait pas qu’un des
corps d’armée prît le nom de corps d’outre-mer et fût composé de zoua-
ves, tirailleurs indigènes, troupes de la marine et de toutes les troupes en
un mot qui occuperaient les colonies et l’Algérie et où les troupes de ligne
ne seraient plus employées en temps ordinaire ? »3
Le 28 février 1874, le procès-verbal du Conseil supérieur de la guerre
donne la constitution des troupes : « Troupes spéciales au XIXe corps
d’armée : 3 régiments d’infanterie de ligne, 4 régiments de zouaves,
4 régiments de tirailleurs algériens, 1 régiment étranger, 3 bataillons d’in-
fanterie légère et 5 compagnies de discipline. »4 Cette organisation tient
compte de l’emploi des troupes algériennes présentes à Sébastopol et pen-
dant la guerre de 1870.

L’EXPANSION COLONIALE ET L’ENRÔLEMENT DES « INDIGÈNES »

Le général Faidherbe, commandant et gouverneur militaire du Séné-


gal, réalise rapidement que le peu de troupes métropolitaines qu’il com-
mande, supportent mal le climat et les maladies tropicales. Sur le modèle
des troupes d’Algérie, il demande la création de tirailleurs sénégalais pour
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continuer la colonisation dans l’Ouest africain. Un décret impérial du
21 juillet 1857 autorise ce recrutement. En 1884, un seul régiment de
tirailleurs est créé ; en 1900, il devient le 1er régiment de tirailleurs sénéga-
lais. De même, en 1891, le commandant Archinard, convaincu de la soli-
dité de ses troupes et malgré les oppositions du gouvernement français,
forme un contingent uniquement noir pour ouvrir une voie du Niger à
Tombouctou5.
Un changement dans la politique de recrutement se manifeste en 1895
en raison du développement des colonies de l’Afrique occidentale fran-
çaise (AOF) : le Sénégal, la Guinée, le Soudan, la Côte-d’Ivoire. En
France, les ministres de la Guerre, les lobbies, les colons n’approuvent pas
cette ingérence militaire dans les colonies. Il faut la tension franco-anglaise
au moment de Fachoda en 1898 pour que le général de Galliffet, ministre
de la Guerre, autorise le recrutement de troupes noires.
Ce projet est soutenu énergiquement par le capitaine Mangin et le
capitaine Gouraud, sans être encore voté par le Parlement6. À la faveur
d’articles dans des périodiques, comme L’Armée coloniale ou La Revue de
Paris, et dans son livre La Force noire, Mangin, en 1910, reprend la théorie

3. La Défense sous la IIIe République, t. I : Vaincre la défaite, 1872-1881, Documents présentés par
le Pr Guy Pedroncini, SHAT/IHCC, 1988, p. 400.
4. Ibid., p. 39.
5. Les chemins de mémoire, no 176, octobre 2007, article sur les tirailleurs sénégalais à propos de
l’exposition du Musée des troupes coloniales à Fréjus, « La Force noire (1857-1965) ».
6. Marc Michel, « Colonisation et défense nationale, le général Mangin et la Force noire »,
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 145, janvier 1987, p. 29-30.
Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914-1918 25

de la combativité des guerriers africains et la nécessité d’étendre leur rôle,


en cas de guerre, au théâtre européen. Il fait connaître publiquement ses
idées et récolte des soutiens politiques et militaires. Le but est d’obtenir
une loi de conscription en Afrique noire. Une expérience est autorisée
par le Parlement pour envoyer deux bataillons de Sénégalais finir de paci-
fier l’Algérie. Le projet d’augmenter ce contingent n’a pas de suite « étant
donné la malveillance de l’Allemagne vis-à-vis des troupes noires, la cam-
pagne de dénigrement née en France et l’engagement difficile au
Maroc »7.
Sur le continent asiatique, la situation est différente. Une force jaune
est constituée avant 1900 en Indochine ; ce sont les tirailleurs annamites
qui participent à la guerre contre les Boxers sous les ordres du colonel
Pennequin. Mais l’éloignement et les révoltes ne facilitent pas de nouvel-
les levées et la formation de nouveaux contingents.
Dans la deuxième partie du XIXe siècle, cette question de recrutement
semble trouver enfin sa conclusion : « C’est la loi du 15 juillet 1889, à
l’élaboration de laquelle les députés des colonies ont pris une part active,
qui est le triomphe des idées d’assimilation et du service obligatoire, égal
pour tous. »8 Cette loi sera remise plusieurs fois en question jusqu’à la
veille de la guerre et par décrets successifs comme celui de 1912, qui per-
met d’enrôler pour quatre ans des Sénégalais de 20 à 28 ans, ce qui aug-
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mente immédiatement les effectifs9.

LES ARMÉES FRANÇAISES EN 1914

En 1914, deux types d’armées sont composés d’ « indigènes » :


— l’armée d’Afrique ou XIXe Corps d’armée comprend les unités
d’Afrique du Nord, composées de Français d’Algérie, de Tunisie et du
Maroc, de métropolitains engagés aux côtés d’Algériens, de Tunisiens
et de Marocains. Plusieurs corps constituent l’armée d’Afrique : la
Légion étrangère qui s’est illustrée dans presque toutes les conquêtes
coloniales, des régiments de zouaves, de tirailleurs, de chasseurs
d’Afrique, des unités auxiliaires, les goumiers marocains, réunis en
tabors. Par ailleurs, des bataillons d’Afrique (les Bat d’Af’) reçoivent des
hommes qui ont été condamnés à des peines légères ; surveillés et
commandés sévèrement, ils fournissent un appoint non négligeable ;
— l’armée coloniale date de 1900 ; elle existait auparavant sous le nom
de troupes de Marine. Elle est formée de troupes métropolitaines,
casernées en France et appelées à servir dans les colonies (Afrique
noire comprise) ou stationnées dans les colonies. Elle comporte égale-
ment des tirailleurs indigènes commandés par des métropolitains.

7. Extrait du rapport du député Henry des Lyons de Feuchin, décembre 1924.


8. Gratien Candace, conférence à l’École coloniale, Paris, 1919.
9. Gilles Manceron, Marianne et les colonies, Paris, La Découverte, 2003, p. 154.
26 Chantal Antier

Au fur et à mesure des pertes de la guerre, les soldats indigènes sont


mélangés aux unités de métropole. Ainsi, la brigade marocaine Ditte sera
intégrée à la 6e Armée du général Maunoury au début de septembre 1914,
lors de la bataille de la Marne.
En 1914, hors de métropole, l’armée comprend 60 bataillons d’indi-
gènes coloniaux, 35 de Sénégalais, 16 d’Indochinois, 9 de Malgaches, un
escadron de spahis sénégalais, des unités auxiliaires et des tabors de gou-
miers marocains10. Au début, les volontaires sont des soldats de métier qui
acceptent, pour améliorer leur niveau de vie, la présence française dans
leur territoire. Ils sont d’abord engagés pour vaincre les résistances natio-
nalistes ou tribales de leur propre pays ou des pays voisins, comme les
deux bataillons de Sénégalais en Algérie, au Maroc puis à Madagascar.

LES TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS, ENJEUX DU RECRUTEMENT

L’appellation « indigène » très générale est aussi peu précise que tirail-
leur sénégalais qui désigne des soldats originaires de toutes les régions de
l’AOF (Afrique occidentale française), qu’ils soient Soudanais, Guinéens,
Ivoiriens, Dahoméens, Mauritaniens, Nigériens et, bien sûr, Sénégalais du
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Sénégal ou du haut Sénégal. « Par la suite les tirailleurs deviennent une
troupe de conscrits, requis d’office, arrachés à leurs activités rurales tradi-
tionnelles, sans expérience militaire. »11 L’armée « école de l’indigène,
l’armée formatrice » n’est plus d’actualité au moment de la guerre. Man-
gin et le gouverneur général de l’AOF, William Ponty, pensent avant tout
que le loyalisme des Africains et leur caractère guerrier sont un gage de
réussite, ce qui n’est pas l’avis de l’administrateur Joost Van Vollenhoven,
bien au courant de l’administration coloniale et des « Indigènes ».
La mobilisation révèle rapidement le nombre insuffisant des effectifs
français face aux troupes allemandes. La guerre courte apparaît comme un
mythe, l’empire colonial commence à être perçu comme un réservoir de
soldats.

Premières mesures en septembre, octobre 1914


De 1913 à 1915, des décrets spéciaux permettent de recruter libre-
ment dans tout l’empire colonial. En 1914, les administrateurs, des agents
recruteurs indigènes payés pour leur action, de grands chefs de tribus, la
police indigène mais également les missionnaires se rendent dans les villa-
ges pour haranguer la population, lors de longs palabres, montrant l’im-
portance de participer à une œuvre commune contre les barbares
turco-allemands attaquant la mère patrie. « Il est donc évident que les

10. Colonel Jean Revol, Histoire de l’Armée française, Paris, Larousse, 1929, p. 222.
11. Marc Michel, Les Africains dans la Grande Guerre, Éditions Karthala, 2003, p. 36.
Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914-1918 27

appels revêtent des aspects de recrutement forcé dès le départ et les procé-
dés valent ce que valent les administrateurs et leurs auxiliaires. »12
Deux bataillons algériens, formés antérieurement en Algérie, sont
envoyés en Belgique où ils sont décimés en novembre et remplacés par
des tirailleurs sénégalais, eux-mêmes écrasés devant Arras. Devant ces
échecs, un recrutement autre que celui d’engagés volontaires non prépa-
rés, s’impose. Cette idée est appuyée par des lobbies coloniaux et une
partie de l’autorité militaire, dont le général Mangin. Le 10 octobre 1914,
un décret décide que les anciens tirailleurs sénégalais non réservistes seront
engagés.
Les « Hindous » sont aussi incorporés. Les cinq comptoirs français
fournissent un bataillon qui débarque à Marseille le 26 septembre 1914. Ils
rejoindront les Hindous du corps d’armée britannique comprenant
90 000 hommes, dont 20 000 seront tués. Ces hommes jouent un rôle
essentiel dans le nord de la France et en Belgique, grâce à l’action de leurs
sapeurs et de leurs mineurs.
La réorganisation de cette nouvelle armée qui doit s’adapter à une
guerre européenne, ne se fera pas sans mal, ni sans pertes. Certains régi-
ments, comme ceux de la Légion étrangère, sont complètement transfor-
més : la dissolution de ses bataillons en Indochine en octobre 1914
entraîne le retour de 400 légionnaires en Europe. Avec les 3 000 légion-
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naires de métropole, la fusion s’opère dans le Régiment de marche de la
Légion étrangère.

1915. Le recrutement s’accélère


Un changement notable s’opère dans l’armée en 1915 : élargissement
du recrutement à de nouvelles colonies malgré les différences de statuts.
Les fronts deviennent plus nombreux : Salonique, Moyen-Orient,
Europe centrale, colonies allemandes en Afrique. Clemenceau, à la
Commission sénatoriale de novembre 1915, clame : « Il nous faut
500 000 hommes de troupes indigènes. » Un deuxième corps d’armée est
alors constitué avec des réservistes français et des Sénégalais, ce sont les
premières unités mixtes.
Le 9 octobre, un décret déclare mobilisable tout indigène âgé de
18 ans : « Recrutement volontaire, non forcé et méthodique des indigè-
nes de nos colonies. Mais l’âge du contractant sera apprécié approximati-
vement. »13 La mobilisation en Indochine n’est proclamée que le
1er avril 1915 ; le général Joffre, ayant servi au Tonkin lors de la colonisa-
tion sous le commandement de Gallieni, ne fait pas confiance à des trou-
pes annamites. La propagande diffuse en France l’idée que les Annamites
sont de piètres combattants mais d’excellents travailleurs ; au départ, ils

12. Ibid., p. 37.


13. Sylvette Boubin-Boyer, De la Première Guerre mondiale en Océanie, les guerres de tous les Calédo-
niens, 1914-1918, Thèse, Nouméa, 2001.
28 Chantal Antier

participent plus à des travaux de terrassement qu’à des combats, ce qui


n’est pas toujours apprécié des soldats français et des civils.
De nombreux cargos débarquent ces « indigènes » en France dans des
camps qui occupent tout le sud et le sud-est de la France, particulièrement
autour de Marseille, Toulon et Nice, camps d’entraînement, camps de
repos après de durs combats, camps de formation à la conduite d’automo-
biles ou des chars. Si les promesses de récompenses, d’allocations et de
solde ainsi que le soutien des femmes, procurent au début, pour des rai-
sons économiques, de nombreuses jeunes recrues, l’âpreté des combats et
la brutalité lors de nouveaux recrutements découragent peu à peu les
populations.

Un tournant difficile en 1916 et 1917


Après le 4 juillet 1916, des contingents nouveaux d’engagés volontai-
res avec des anciens d’Algérie et d’Indochine viennent compléter les
effectifs. En 1916 et 1917, 45 % des Sénégalais sous les ordres du général
Mangin sont tués, blessés ou prisonniers, lors de l’offensive Nivelle au
Chemin des Dames. Cela provoque la dispersion des compagnies de
Sénégalais dans des tâches subalternes et un ralentissement du recrutement
dans les colonies car les jeunes hommes restés au pays et les familles
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connaissent les résultats de ces batailles meurtrières. De plus, l’économie
se ressent de ces départs de jeunes agriculteurs, les villages souffrent de
pauvreté et les colons se plaignent de ne pouvoir fournir la demande des
armées.
Malgré cette situation difficile, un décret du 7 septembre 1916 soumet
les indigènes à un régime de recrutement presque semblable à celui des
Français en particulier pour les auxiliaires14. Le ministère de la Guerre doit
se tourner vers d’autres colonies de l’Asie et de l’Océanie. Le
3 décembre 1916, un bataillon de tirailleurs du Pacifique, formé de
Kanaks, est envoyé en France. Le 10 novembre 1917, on embarque
710 tirailleurs kanaks et tahitiens. Le 10 mai 1917, un bataillon de tirail-
leurs indochinois arrive à Salonique, dans l’Armée d’Orient15. Près de
43 000 hommes, surtout des Tonkinois, combattront en 1916 dans les
tranchées et seront amenés à Salonique en 1917.
Les remplacements de soldats sont supprimés en Afrique, tous les
« indigènes » doivent être recensés, ils commencent à se rebeller. Des
révoltes éclatent en Afrique du Nord, en Afrique noire, en Indochine, à
Madagascar, en Nouvelle-Calédonie ; les villageois et villageoises s’oppo-
sent au recrutement et aident les déserteurs. La répression est très dure
dans la plupart des cas et l’année 1918 s’annonce difficile, d’autant plus
que certains administrateurs s’opposent à ce recrutement massif, comme

14. Augustin Bernard, Histoire des colonies françaises, t. 2 : Algérie, livre IV, chap. 2, Éditions Plon.
15. Pascal Le Pautremat, « Indochinois et effort de guerre », Revue 14-18. Magazine, no 27,
2005.
Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914-1918 29

Van Vollenhoven, nommé gouverneur général de l’AOF jusqu’en 1918. À


ce poste, il contredit la position du général Mangin sur la question de
l’augmentation des effectifs sénégalais, en raison des brutalités employées
trop souvent et sans discernement, et de l’augmentation des problèmes
économiques. Il envoie un rapport au gouvernement de Clemenceau,
marquant son inquiétude, mais il n’est pas écouté, le manque de soldats en
France est prioritaire. Le président du Conseil fait davantage confiance à
Blaise Diagne. Van Vollenhoven refuse de coopérer avec lui pour lever de
nouvelles troupes, il fait un rapport au ministre des Colonies, André
Maginot, en juillet 1917 : « Cet empire africain qui est pauvre en hom-
mes, est riche en produits ; laissez-lui sa misérable population pour le ravi-
taillement pendant la guerre et après la guerre ! Pour tirer encore de ce
pays quelques milliers d’hommes, on le mettra à feu et à sang et on le
ruinera. »16

1918, le député sénégalais Blaise Diagne relève le défi


Depuis la fin 1917, Mangin surnommé le « Boucher » au Chemin des
Dames, lors de la fameuse offensive Nivelle, est mis à pied. Mais soutenu
par Clemenceau au pouvoir, il reprend du service pour appeler de nou-
veau les Noirs, pourtant rebelles, à s’enrôler car il garde, malgré tout, son
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prestige en Afrique. Il y est aidé par le député noir Blaise Diagne,
nommé haut-commissaire de la République, pour recruter massivement
des Sénégalais. Celui-ci organise une mission qui traverse tous les pays de
l’AOF et remporte un franc succès grâce aux promesses de cette puissante
« Voix de l’Afrique » et aux décorations. Les palabres reprennent, les
recrues touchent immédiatement des uniformes, avec prime d’incorpora-
tion, les familles obtiennent des dégrèvements fiscaux, des allocations
mensuelles. La différence avec 1916 vient de la rapidité à mettre en place
ces moyens de propagande pour séduire ceux qui paieront l’impôt du
sang. Les opérations de recrutement, qui durent de mars à août 1918, se
terminent par l’envoi de l’équivalent de cinq divisions, au-delà des espé-
rances du gouvernement. Le panachage des bataillons blancs et noirs est
repris, ce qui redonne de l’efficacité aux troupes noires. La victoire de
Reims en 1918 en reste un exemple fameux17. Les tirailleurs sénégalais
formeront finalement 137 bataillons qui combattront en France et sur le
front d’Orient où ils sont très appréciés. Cependant, on les surveille à
cause de leur religion qui peut les rapprocher des ennemis turcs musul-
mans. Recrutés pour trois ans dans l’armée, ces hommes occuperont
l’Allemagne en 1919 et aideront aux travaux de déminage après la
guerre.

16. Van Vollenhoven, lettre citée par Marc Michel dans Les Africains et la Grande Guerre, op. cit.,
p. 62.
17. Marc Michel, « Colonisation et Défense nationale... », op. cit.
30 Chantal Antier

Conditions de recrutement
De 1913 à 1915, la situation évolue, des décrets spéciaux permettent de
recruter librement dans tout l’empire colonial. Un certificat de bonnes
mœurs est demandé avec une visite médicale. Un accompagnateur écrivant
français doit signer l’engagement ; il s’agit souvent d’un missionnaire,
catholique ou protestant, patriote et républicain qui a enseigné et baptisé
ces jeunes gens et les a poussés à s’engager au service de leur patrie pour être
reconnus après guerre18. Mais la situation diffère pour certaines colonies.
Les Algériens musulmans
Dès la déclaration de guerre, le 2 août 1914, l’Algérie est mise en état
de siège, le gouverneur Lutaud craint des troubles, lorsque deux croiseurs
allemands le Göben et le Breslau bombardent Bône et Philippeville. Il s’a-
dresse ainsi à la fierté des Musulmans : « Les Allemands auraient-ils craint
quelque défaillance ou trahison ? Ce serait pour vous un sanglant outrage.
Dieu n’aime pas les traîtres [...]. Musulmans, la République est résolue à
faire respecter partout l’ordre et la sécurité. Aidez-nous dans cette tâche,
rendez toute précaution inutile. »19 Mais aucun soulèvement n’a lieu et
c’est un véritable concours généreux de toutes les classes sociales qui
entraîne le premier geste de reconnaissance, ci-dessus indiqué, du Gouver-
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neur, le 31 décembre 1914. Le plan de mobilisation prévoyait
27 783 tirailleurs des troupes régulières auxquelles sont ajoutés bientôt
5 000 auxiliaires que des grands chefs du Sud lèvent à leurs frais. 6 000 spa-
his se joignent aux tirailleurs. L’engagement volontaire se fait sous pression,
d’autant plus que le retour des blessés en septembre 1914 choque la popu-
lation. Les congés de convalescence au pays vont être, de ce fait, obtenus
plus difficilement par crainte des réactions de la population.
Les Kanaks
Le 1er janvier 1916, en prévision de la constitution d’une armée com-
plètement indigène, ce qui ne se fera pas, le rapport de la Commission de
l’Armée remarque : « Il n’est pas admissible que nos populations océa-
niennes soient exclues de la contribution militaire à la défense française. »
La participation forcée des colonies est cette fois envisagée.
Elle se fera en quatre temps : 25 avril 1915, premier contingent et
aucune troupe indigène ; 4 juin 1916, formation du Bataillon des Tirail-
leurs du Pacifique ; 3 décembre 1916, envoi de renforts en métropole au
Bataillon mixte du Pacifique ; 10 novembre 1917, 710 tirailleurs kanaks
et tahitiens sont embarqués. Le témoignage d’un officier de marine
montre les difficultés d’embarquer le nombre d’hommes désignés mais pas
toujours présents à l’embarquement. Le 8 janvier 1917, en Nou-

18. Sylvette Boubin-Boyer, De la Première Guerre mondiale en Océanie, op. cit.


19. Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), t. I, Paris, PUF,
1968.
Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914-1918 31

velle-Calédonie, le commandant d’un bateau part à terre pour voir les


chefs à qui il a donné rendez-vous : « À Ouaïlou, nous nous rendons à la
gendarmerie où sont réunis tous les chefs ; le commandant leur dit que le
ministre est très content du premier contingent canaque qui est arrivé en
France au mois d’août et a prescrit de lever d’autres hommes. Les chefs
doivent donner tous les hommes qu’ils peuvent. S’ils viennent volontaire-
ment, ils continueront à toucher leur prime de 200 F mais si on est obligé
de les mobiliser, on ne leur donnera rien. »20 Des administrateurs, des
agents recruteurs, des grands chefs de tribus et la police indigène se ren-
dent dans les villages pour montrer aux populations l’importance qu’il y a
de participer à la défense de la mère patrie.

Promesses et réalisations
En Algérie, les engagements sont d’abord satisfaisants et les caïds sont
encouragés à amener leurs propres troupes au service de la France, par une
pluie de médailles (7 décembre 1916). Les promesses de récompenses sont
nombreuses et varient suivant les années. Le décret relatif aux engage-
ments volontaires des tirailleurs et à leurs droits paraît en octobre 1916 ;
parmi ceux-ci apparaissent certains avantages : les tirailleurs seront rapa-
triés au bout de six mois, après la signature des traités de paix. Ils touche-
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ront une prime d’engagement de 200 F, payable à l’arrivée au corps ; une
indemnité sera versée aux familles nécessiteuses dans la limite de 6 à 15 F
par mois et de 120 F aux familles de tirailleurs (veuves et orphelins) sur
demande et enquête préalable. La solde journalière des tirailleurs sera
de 0,50 F, les rations seront équivalentes à celles des troupes blanches et ils
seront habillés de neuf21.
Une forme particulière de recrutement est envisagée en 1915, celui de
travailleurs coloniaux. Il devient progressivement très important pour
remplacer les ouvriers et paysans français tués, inaptes ou au front.

UN RECENSEMENT DES TRAVAILLEURS COLONIAUX


DIFFICILE À ÉTABLIR

Recrutés comme les soldats, convoyés et installés dans des camps sur-
veillés par des militaires aux abords des villes industrielles ou dans les villa-
ges pour les travaux des champs, leur nombre est évalué à envi-
ron 220 668 dont 190 000 en France d’après Jacques Frémeaux, les
documents parlementaires de 1924 parlent de 200 000 hommes,
dont 183 928 venus en Europe22. En juillet 1918, environ 600 000 tra-

20. Sylvette Boubin-Boyer, Conférence à Nouméa, 2003.


21. Jacques Frémeaux, Les colonies dans la Grande Guerre, Paris, 14-18, Éditions 2000, p. 68-69.
22. Les avis sur le nombre exact de travailleurs divergent selon les sources des historiens, d’au-
tant plus que certains travailleurs viennent du nord et de l’est de la France, chassés par les Allemands,
d’autres ont été recrutés dès août 1914 par des entreprises privées, d’autres sont morts, d’autres sont
restés en France ; tous n’ont pas été pensionnés et la liste officielle est difficile à établir.
32 Chantal Antier

vailleurs « indigènes » auraient travaillé en France, suivant la Commission


parlementaire présidée par le député Flandin en 1919.
Dans l’artillerie en 1914, 18 000 travailleurs sont employés, 170 000 à
la fin de 1917. Dans les usines de la Défense par rapport aux ouvriers
affectés spéciaux rappelés du front, les travailleurs des colonies ne repré-
sentent que 7 %, mais 16 % par rapport aux ouvriers civils dans les usines
d’armement non militaires. Ces chiffres sont difficilement contrôlables en
raison des apports officiels et officieux de main-d’œuvre coloniale : ainsi
les mineurs d’origine maghrébine travaillant déjà avant guerre dans le
nord et l’est de la France et refoulés par les Allemands, se joignent à ceux
qui ont été embauchés directement dans les colonies. Parmi eux, de 4 à
5 000 Algériens. Environ 30 000 travailleurs libres, essentiellement
des Algériens, sont recrutés de gré à gré par des mairies ou des chefs
d’entreprise.
En 1916, deux décrets autorisent la levée de nouveaux contingents de
travailleurs, 69 039 au total. En 1917, le nombre augmente contrairement
à l’arrêt du recrutement militaire. Devant la pénurie de main-d’œuvre en
France, la CGT s’incline mais reste vigilante et soutient peu l’initiative du
gouvernement.
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Quels « indigènes » travaillent en France ?
Malgaches et Indochinois fournissent autant de travailleurs que de sol-
dats. Les plus appréciés sont les Kabyles et les Annamites qui s’adaptent
bien. Les Chinois, après un accord du gouvernement français avec le gou-
vernement de Pékin, sont recrutés comme les « indigènes » et non pas
comme des étrangers. Ils sont appréciés pour les terrassements et la coupe
des arbres et restent une curiosité pour les civils. L’armée américaine les
utilisera en nombre, en 1918, pour établir leurs camps. Les conditions de
salaires ne sont pas très égales ; le 13 juillet 1918, le rapport du ministère
du Travail indique la présence de 300 travailleurs chinois à Creil qui tou-
chent 0,25 F par jour, alors que des civils touchent 20 F23.
Une autre réserve de travailleurs se crée avec les soldats des colonies
devenus impropres au combat à la suite de maladies ou de blessures. Avant
d’être rapatriés, ils sont regroupés dans des bataillons d’étapes, utilisables à
l’arrière. Si les usines emploient une grande partie de Maghrébins, l’agri-
culture en embauche également.

Les services de recrutement et de placement


Le recrutement est, au début, assez inorganisé et les arrivées de travail-
leurs sont seulement vérifiées par les Services du Renseignement. À partir
de 1916, une multitude de services nationaux se créent selon les change-

23. SHD – section Terre, Vincennes, carton 23N8.


Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914-1918 33

ments d’attribution des ministères : le Service des travailleurs colo-


niaux (STC) relevant du ministère de la Guerre, le Service de la
main-d’œuvre étrangère (SMOE) d’abord rattaché au sous-secrétariat d’État
à l’Artillerie et aux Munitions (dirigé par Albert Thomas), puis au
ministère du Travail.
Mais la main-d’œuvre agricole nécessite une organisation différente de
celle des ouvriers. De 1915 à 1917, le ministre Clementel prend en charge
Commerce, Agriculture et Travail. Les contrats des travailleurs agricoles
ne se font plus de gré à gré entre exploitations et Union des Colons mais
entre une collectivité, mairie ou coopérative avec l’agrément de l’officier
représentant la région militaire et les services nationaux et départemen-
taux de la main-d’œuvre. Ceux-ci sont chargés d’assurer le logement, la
répartition dans les différentes exploitations avec une priorité pour les
veuves de guerre et, selon le calendrier, des gros travaux et des récoltes ou
moissons24.
Le Service de l’organisation des travailleurs coloniaux, rattaché
d’abord au ministère de la Guerre, puis à celui des Colonies, tente d’éta-
blir un règlement et d’attirer les « indigènes » par des primes d’embauche
(120 F la première fois puis, à la deuxième embauche, 70 F). L’heure de
travail est payée entre 5 à 8 F selon les entreprises militaires ou privées.
Les Indochinois bénéficient d’un contrat de cinq ans pour les manœuvres
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et de deux à quatre ans pour les spécialistes.
Le 12 décembre 1917, de nouveaux organismes sont créés sur le plan
régional et local : un Comité économique par département, coordonnant
l’action des services chargés des intérêts économiques et regroupant public
et privé, des sous-comités sous contrôle des intendants militaires pour
organiser la distribution de la main-d’œuvre suivant les demandes des
mairies et des Chambres de commerce.
Après l’embauche, les bureaux des Affaires indigènes sont chargés de
la surveillance de ces travailleurs et contrôlent leurs cartes de séjour et de
circulation. Pour les Indochinois, il existe le même contrôle des tirailleurs
et travailleurs indochinois, à la fois militaire et civil et qui est chargé de
leur installation et de la surveillance du moral des « exotiques »25.

Emplois des différents travailleurs


À leur arrivée, après un voyage éprouvant, l’état de santé des travail-
leurs est à nouveau contrôlé. S’ils sont déclarés aptes, ils reçoivent un
numéro d’immatriculation et sont affectés à un camp et à un travail selon
leurs compétences, sinon ils sont rembarqués dans leurs pays, parfois après
avoir attendu un bateau, ce qui augmente encore plus la population des
camps et donc le mécontentement. La plupart de ces hommes sont des

24. Chantal Antier, La Grande Guerre en Seine-et-Marne, Éditions Presses du Village, 1998,
p. 69-70.
25. Ibid.
34 Chantal Antier

paysans lancés dans le monde industriel avec des cadences très dures. Ils
logent dans des baraques Adrian peu confortables, reçoivent une nourri-
ture qui n’est pas toujours adaptée et ils sont contraints de rester dans leurs
campements, sauf un jour par semaine ou une soirée. Pour se rendre au
travail et en revenir, ils sont encadrés par des gardes ou par des gendarmes,
puis par le personnel des usines de façon à éviter le maximum de contacts
avec la population française.
Ces travailleurs sont répartis en 181 groupements envoyés selon les
besoins de ce grand chantier qu’est devenue la France. Des concentrations
d’une même ethnie se forment dans les usines d’armement ou parfois en
compagnie d’autres qui ne s’apprécient pas toujours. Cette nouvelle
population à Paris, autour de Lyon, au centre de la France, dans le
sud-ouest ou le sud-est amène un changement dans la vie des Français et
particulièrement celle des ouvriers et ouvrières.
Le travail de certains « indigènes » est plus recherché que d’autres. Les
Algériens et les Indochinois représentent 10 % des effectifs mais ces der-
niers sont davantage appréciés pour leur adresse, leur docilité et leur adap-
tation aux méthodes tayloristes qui commencent à se mettre en place dans
l’industrie française. Environ 48 980 Indochinois travaillent en France
avec des contrats en bonne et due forme. Ils apprennent rapidement la
langue, ce qui leur permet d’être bien notés et de progresser plus rapide-
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ment que d’autres, ils sont engagés également dans les hôpitaux militaires.
À l’arrière des armées, ils sont souvent employés pour le ravitaillement, le
creusement et le nettoyage des tranchées26.
L’immigration contrôlée augmente après 1917 ; elle fournit un
appoint considérable, permet de faire tourner à plein régime les nouvelles
industries de matériel de guerre et d’augmenter le rendement agricole.
Malgré les rapports sociaux parfois difficiles, le manque fréquent de consi-
dération à l’égard de cette main-d’œuvre, certains travailleurs « indigè-
nes » ont découvert l’intérêt de l’assimilation, d’autres la refusent mais
aucun ne rentrera chez lui sans avoir vécu dans un monde différent qui
laissera longtemps des traces.
La guerre pose à nouveau la question de la colonisation mais d’une
façon différente du ministre Jules Ferry qui souhaitait en 1885 que les
Indigènes travaillent sur place pour enrichir leurs métropoles : « Il y a une
autre forme de colonisation, c’est celle qui s’adapte aux peuples qui ont
ou bien un superflu de capitaux ou bien un excédent de produits. C’est,
là, la forme actuelle la plus répandue et peut-être la plus féconde, car les
économistes se sont toujours demandés avec raison, s’il y avait profit à l’é-
migration des individus. »

26. Chantal Antier, Les soldats des colonies dans la Première Guerre mondiale, Éditions
Ouest-France, 2008, p. 100-102.
Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914-1918 35

LE NOMBRE DISCUTÉ DE SOLDATS « INDIGÈNES »

Finalement, combien d’ « indigènes » ont été recrutés pour les diffé-


rents fronts ? Le gouvernement, comme la plupart des historiens, se base
sur le rapport du député, le baron des Lyons de Feuchin indiquant, en
décembre 1924, au Parlement le nombre d’engagés volontaires en comp-
tant les travailleurs coloniaux27 :
— les Français incorporés dans les colonies viennent essentiellement de la
Réunion, de la Guyane et de la Martinique et des vieilles colonies,
Guadeloupe, Saint-Pierre-et-Miquelon, Comptoirs indiens, Quatre
communes du Sénégal. Ils représentent 38 220 hommes ;
— les « indigènes » d’Afrique du Nord constituent le plus gros contin-
gent, soit 293 756 hommes. Ceux des colonies d’Afrique noire, de
Madagascar, de la Côte des Somalis, du Pacifique sont au nombre
de 275 230 dont 165 229 tirailleurs sénégalais ;
— par la suite, l’appel aux travailleurs coloniaux permet le recrutement
de 200 000 hommes, plus 36 740 Chinois. Total des recrutés :
805 726 hommes.
Si certains historiens utilisent ces chiffres, d’autres marquent une cer-
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taine réserve à propos de leur véracité. Marc Michel estime à envi-
ron 200 000 le nombre d’ « indigènes » d’AOF28. Pour Jacques Frémeaux,
545 240 ont été recrutés et 437 653 viennent en Europe29. Des chiffres
officieux, envoyés aux journaux parisiens, dès la fin de la guerre, mar-
quent également une différence. Les premiers engagés d’août 1914 au
1er avril 1915 représentent plus de 32 000 volontaires. À cause de la diver-
sité des hommes, soldats indigènes, travailleurs indigènes (sur le Front et
pour des tâches à l’arrière) ne sont pas toujours différenciés ou décomptés.
Il faut noter également que la promesse de citoyenneté française à des jeu-
nes gens de parents étrangers, installés dans les colonies, entraîne des adhé-
sions ; 60 % d’entre eux accepteront de s’enrôler dans l’armée française
pour obtenir leur naturalisation30.
Ce recrutement massif dans toutes les colonies, rendu indispensable en
raison de la longueur de la guerre semble avoir été décidé au coup par
coup, sans vraiment une volonté politique d’égalité pour les colonies
comme pour les protectorats. L’opposition entre gouvernement, adminis-
trateurs, colons et officiers coloniaux, sans doute la sous-estimation des
besoins de l’économie coloniale et la méconnaissance de la civilisation de
ces populations lointaine, n’ont pas facilité un plan d’ensemble.

27. Rapport fait au nom de la Commission de l’Armée sur les pertes en morts et en blessés. Ses-
sion parlementaire du 29 juillet 1924, annexe no 335.
28. Marc Michel, op. cit., p. 193.
29. Jacques Frémeaux, op. cit., p. 63.
30. Ibid., p. 55.
36 Chantal Antier

Malgré les allocations de départ, les pensions allouées au retour au


pays, parfois irrégulièrement et avec parcimonie, une loi permettant la
nomination de soldats « indigènes » comme sous-officiers ou officiers,
l’intégration et la citoyenneté, la situation militaire des colonies reste
cependant à l’ordre du jour des parlementaires dans l’entre-deux-guerres.
Le service militaire devient obligatoire en Afrique noire française par
décret du 19 juillet 1919 mais la constitution d’une armée coloniale n’est
pas résolue. L’après-guerre remettra en question, dès 1924, les manières
d’incorporer des troupes indigènes dans l’armée, comme l’indique le
Rapport parlementaire : « Il n’est pas excessif d’indiquer que l’évaluation
et l’organisation de cet effort indigène sont la préface du statut nouveau à
envisager pour l’armée française [...]. La création d’une “armée française
indigène” doit être réalisée sans plus tarder malgré toutes les résistances
conscientes ou involontaires. »31
Chantal ANTIER,
Docteur en histoire.

31. Rapport parlementaire, cité, de Lyons de Feuchin, décembre 1924.


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