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L’ARMÉE AMÉRICAINE
ET LES VIOLS EN FRANCE
JUIN 1944-MAI 1945
Loin de l’image du bon GI, les auteurs dé- de ces deux soldats, Cooper et Wilson, etait
voilent une pratique ultra minoritaire mais execute par la pendaison le 9 Janvier 1945 et le
réelle, celle des viols de guerre commis en 2 Fevrier 1945, respectivement.
France à la Libération par des soldats améri-
cains. Ces actes isolés, nés avant tout de la Le General Commandant veut que je vous
frustration sexuelle des unités logistiques, exprime son regret sincere qu’ait presente l’in-
jettent un éclairage inédit sur l’attitude de cident malheureux, et que des membres des
l’armée américaine sur le continent euro- troupes americaines puissent etre culpables de
péen mais aussi sur les relations interra- telle conduite honteuse.
ciales entre soldats noirs et population
A vous sincerement 1,
blanche.
QUARTIER GÉNÉRAL
LA TROISIÈME ARMÉE DES ÉTATS-UNIS Madame Lucienne B. était l’une des
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Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 75,
juillet-septembre 2002, p. 109-121.
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Wilson, ils furent deux des vingt-et-un GIs quelle société », comme l’affirme très sé-
américains pendus en France pour viol. rieusement l’auteur d’un récent best-
seller 3. Il en va par contre très différem-
UN PASSÉ LONGTEMPS TABOU
ment des anciens combattants de la guerre
du Vietnam qui furent longtemps pré-
Les viols qui font l’objet du présent ar- sumés coupables de tous les crimes.
ticle comptent parmi les crimes et actes de Malgré l’imposante littérature qui existe
violence les plus odieux que commirent aux États-Unis sur l’expérience des soldats
les troupes alliées sur la population civile américains durant la seconde guerre mon-
qu’elles avaient mission de libérer. Peu de diale, très peu d’auteurs osent aborder le
temps après le débarquement, les civils sujet de leur comportement sexuel, pas
français commencèrent à porter plainte plus que celui de la consommation d’al-
auprès des autorités militaires américaines cool et l’abus de narcotiques. Cette hé-
et de la police française pour toute une sitation n’est pas à attribuer à une igno-
série d’incidents causés par des soldats. Du rance des faits, mais plutôt au désir de ne
simple accident de circulation au meurtre, pas ternir l’image vertueuse du GI. Cepen-
en passant par le pillage, l’escroquerie, le dant, il est certain que le sexe et l’alcool,
gangstérisme, la contrebande de produits de par leur manque ou insuffisance, font
rationnés et le viol, il y eut en effet de sé- l’objet de la plupart des désirs et des obses-
rieuses atteintes à la discipline militaire sions des soldats, en tout temps et quelle
qui, avec les destructions occasionnées par que soit leur nationalité 4. Lorsque ces
les combats, contribuèrent à faire de la li- sujets sont abordés, ils sont le plus souvent
bération un événement parfois douloureux représentés de manière erronée et reflètent
et traumatisant. certaines préconceptions qui ne résistent
Les viols commis par les soldats améri- pas toujours à l’analyse systématique des
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Branch Office of the JAG publiés en 1945 1. blancs encouraient des peines fréquem-
Ces sources, qui jusqu’à présent n’ont ment moins sévères que les soldats noirs.
jamais été exploitées, contiennent une À titre d’exemple, le rapport entre le
mine de données statistiques et narratives nombre de soldats noirs et le nombre de
sur les viols commis par les troupes améri- soldats blancs qui furent exécutés pendant
caines en Europe entre 1942 et 1945. Ces la guerre est grossièrement dispropor-
derniers ont été répertoriés et codifiés de tionné 3. Il est donc possible de penser que
façon à permettre l’analyse des caractéris- la justice militaire poursuivit les violeurs
tiques des violeurs, des victimes, de l’envi- blancs avec moins de zèle qu’elle ne s’ap-
ronnement social dans lequel les crimes pliqua à punir les violeurs noirs. Cela dit, il
eurent lieu, et des peines auxquelles les est impossible d’estimer le nombre exact
violeurs furent condamnés après procès. de viols que commirent les troupes améri-
caines en France à la Libération.
UN PHÉNOMÈNE STATISTIQUEMENT Comment interpréter le viol de guerre ?
SOUS-ESTIMÉ
Susan Brownmiller dit du viol, qu’il soit
Ces données ne sont pas sans défauts ni commis en temps de paix ou en temps de
limites. Il y a de bonnes raisons de penser guerre, qu’il n’est rien de plus « … qu’un
que les viols ici rapportés ne représentent processus conscient d’intimidation par
qu’une fraction du nombre réel des viols lequel tous les hommes maintiennent
qui furent commis à la Libération par les toutes les femmes dans la peur » 4. Cette in-
troupes américaines. D’une part, les docu- terprétation est conceptuellement et mé-
ments ne contiennent que les cas les plus thodologiquement discutable. Comme
brutaux. D’autre part, il est probable que Lance Morrow le fait plus justement remar-
de nombreuses victimes de viol ne rappor- quer, « même les crimes sexuels ont des
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commis. Les auteurs de cet article s’ap- d’humilier les proches masculins des vic-
puient ici sur une typologie du viol de times et de démontrer ainsi leur impuis-
guerre dressée par Robert Lilly et Pam sance à les protéger 6. Le viol de guerre
Marshall 1. Cette typologie est fondée sur le peut aussi être une pratique systématique
principe sociologique selon lequel les et ordonnée rentrant dans le cadre d’une
crimes nécessitent et reflètent un soutien politique délibérée. Le viol devient alors
social contextualisé. Elle établit que l’acte une arme au service d’un génocide 7.
du viol et ses motifs peuvent avoir plu- Les viols commis par les troupes améri-
sieurs sens. Ainsi, certains viols correspon- caines en France à la Libération sont
dent à une stratégie d’État conçue pour in- encore d’un autre type. Ceux-ci étaient des
timider et étouffer une population résis- actes gratuits perpétrés au hasard des cir-
tante 2. D’autres sont organisés par les constances dans le seul but d’assouvir un
autorités militaires pour permettre aux sol- désir sexuel personnel, sans considération
dats d’assouvir leurs désirs sexuels sur des pour l’identité de la victime, qu’elle soit
femmes prélevées sur une population amie ou ennemie. Ce même type de viol
vaincue et réduites à l’esclavage 3. Plus tra- fut commis pendant la guerre de Sécession
ditionnellement, les soldats se livrent au (1861-1865), la guerre de Corée (1950-
viol qu’ils estiment être une récompense 1953), la guerre du Vietnam (1965-1973), et
due ; les femmes n’étant dans ce cas guère la guerre du Biafra (1967-1970). Nous
plus qu’un butin soumis au pillage 4. Fré- n’avons trouvé aucun document indiquant
quemment, le viol de guerre peut aussi que les soldats américains avaient détenu
avoir valeur d’initiation. Certains soldats leurs victimes, ou qu’ils les avaient privées
violent pour faire la preuve non seulement de nourriture, forcées à cuisiner ou à faire
de leur virilité mais aussi de leur apparte- d’autres travaux ménagers, ou bien encore
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firent parfois preuve d’une brutalité ex- derniers étaient responsables des viols
trême et d’un manque dépravé de sensibi- commis en Europe par les troupes améri-
lité. caines 4. À notre surprise, les archives de la
justice militaire américaine révèlent que la
Les caractéristiques des viols de guerre commis en
grande majorité des soldats jugés pour viol
France
en France n’étaient pas des combattants de
Voici ce que nous savons de manière première ligne mais plutôt des membres
certaine. Entre le 14 juin 1944 et le 19 juin d’unités de soutien logistique, c’est-à-dire
1945, l’armée américaine jugea 68 cas de des soldats dont la responsabilité était
viol ordinaire concernant 75 victimes, dont d’approvisionner les soldats du front en
3 (4 %) étaient des réfugiées 1. Au total, munitions, nourriture, essence et pièces de
139 soldats se trouvaient présents sur les rechange.
lieux des crimes – 117 (84 %) d’entre eux De par plusieurs de ces aspects, le pre-
étaient noirs et 22 (16 %) étaient blancs. mier viol qui donna lieu à un procès en
L’armée jugea 116 de ces soldats, 94 (81 %) France établit les modalités qui caractérisè-
noirs et 22 (19 %) blancs. L’accusation uti- rent la plupart des autres agressions com-
lisa certains des soldats non jugés comme mises entre le débarquement et la fin de la
témoins contre les prévenus. L’une des ré- guerre. En fin d’après-midi le 14 juin 1944,
vélations les plus importantes concerne à Vierville-sur-Mer, à quelques kilomètres
l’identité militaire des violeurs. de Sainte-Mère-Église et au centre de ce
La littérature traitant des viols de guerre qui avait été quelques jours auparavant la
prend rarement le temps de faire le portrait zone de parachutage des 82e et 101e divi-
des soldats coupables de tels faits : les vio-
sions aéroportées, une réfugiée polonaise
leurs étaient-ils des soldats engagés ou mo-
du nom d’Aniela S. fut violée dans un
bilisés, des combattants, des hommes du
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Pendant qu’elle trayait la vache, Aniela qu’il fut commis de manière gratuite et for-
remarqua que trois des quatre soldats tuite. Il l’est enfin par l’issue du procès :
étaient dans le champ voisin. En s’en ap- Whitfield fut déclaré coupable, condamné
prochant, elle remarqua que l’un d’eux à mort et pendu.
était allongé sur sa sœur. Elle cria en sa di- La plupart des viols étudiés furent
rection et sa sœur lui répondit : « Ils ont commis entre copains, ou « buddies ». Le
braqué une carabine sur ma tête. » Se ren- mot « buddy » est l’équivalent américain du
dant compte du danger, Aniela s’enfuit en terme français « copain de régiment. » Il fait
courant mais tomba au sol après qu’un référence aux membres d’une nouvelle so-
deuxième coup de semonce fut tiré. L’un ciété ou clique qui souvent se forme dans
des soldats la saisit immédiatement mais les camps d’entraînement lorsque les sol-
fut lui-même écarté par Clarence Whitfield, dats récemment mobilisés se familiarisent
un soldat de première classe âgé de 24 ans avec leur nouvel environnement social. Les
affecté au sein d’une unité du train. À cet archives contiennent des détails sur le
instant, l’assaillant de Zofia abandonna la nombre de soldats impliqués dans chaque
lutte. Il quitta le champ avec deux autres cas de viol. Sur les 68 cas qui donnèrent
soldats pendant que Zofia s’enfuyait cher- lieu à un procès, 42 (62 %) d’entre eux
cher de l’aide. comptaient au total 88 violeurs. Trente-
Après avoir violé Aniela, Whitfield cinq (83 %) de ces 42 viols furent commis
« indiqua en faisant des gestes qu’il voulait par 73 soldats. En plus des violeurs, il y
qu’elle se livre à un acte sexuel contre avait aussi présents dans de nombreux cas
nature ». Elle refusa et bientôt entendit son plusieurs complices qui, sans avoir violé,
mari qui l’appelait. Craignant que le soldat prêtèrent assistance à leurs « buddies ».
noir ne tue son mari, elle essaya de s’em- Selon les circonstances, ces complices
parer de son arme. Alors que Whitfield et servaient de vigie, tenaient en garde cer-
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Pas moins de 78 % des soldats jugés vaine tentative de marchandage qu’un viol
pour viol en France étaient affectés dans particulièrement brutal eut lieu. Le 24 août
des unités de soutien ; ce qui ne veut pas 1944, près de Plougar dans le Finistère,
nécessairement dire que les GIs combat- Madame Anne-Marie F. (56 ans) fut as-
tants ne se livrèrent pas à des actes de vio- saillie par au moins neuf soldats, dont sept
lence. Il reste cependant que les occasions furent jugés et condamnés pour viol. Tous
manquaient aux soldats du front de faire la les accusés étaient membres d’une compa-
rencontre même d’une femme. Sans parler gnie du train. Le jour du crime, Madame F.
des combats, le mouvement et l’encadre- et trois amis et voisins, Messieurs Marcel
ment des troupes de combat faisaient que M., Antoine P. et Pierre C., se rendirent à
toute rencontre ne pouvait être que furtive. bicyclette jusqu’au camp américain qui
Deux combattants accusés de viol, les sol- avait été établi à proximité de Plougar dans
dats Melvine Welch et John H. Dollar, tous l’intention d’y troquer du vin contre de l’es-
deux blancs, appartenaient à une unité de sence. Ils pénétrèrent dans le camp et
défense anti-aérienne. Le 24 août 1944, commencèrent à négocier, mais leurs ef-
près d’un mois après la percée contre les forts échouèrent. Après une heure et
Allemands, ils violèrent à plusieurs reprises demie de pourparlers inutiles, ils furent in-
Madame Germaine A. Ils s’étaient aupara- vités à quitter les lieux et escortés jusqu’à
vant attardés chez les voisins de Monsieur la barrière par un soldat, et suivis par
et Madame A. où ils avaient obtenu de l’al- « douze ou quinze soldats de couleur, dont
cool. Revenant une fois la nuit tombée, ils trois étaient armés » 2.
rentrèrent chez les A. où ils mangèrent et Quand ils atteignirent la route, Mes-
burent une bouteille de cidre. En revenant sieurs P. et M. poussèrent leur bicyclette
du cellier où elle était allée chercher une devant Madame F. qui les suivait à pied à
autre bouteille de cidre, Madame A. trouva
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pour savoir lequel d’entre eux serait le pro- le sens du verre de cidre, du bouquet de
chain. fleur ou de l’embrassade qu’on leur offrait.
Les violeurs étaient presque tous des sol- Certains soldats noirs étaient « prêts » mais
dats noirs qui appartenaient à des unités mal préparés à établir un comportement
de soutien dans une armée ségrégée. À sexuel consensuel lorsqu’ils arrivèrent en
cause de préjugés raciaux et de considéra- France « libérée. »
tions politiques, les soldats noirs qui repré- L’alcool et la violence sont un facteur
sentaient environ 10 % des troupes améri- dans la plupart des viols qui furent commis
caines engagées en Europe n’étaient que en France par les troupes américaines.
rarement autorisés à servir en première Cela a été aussi le cas en Angleterre, mais
ligne. Ils étaient alors versés au sein avec deux distinctions importantes. En An-
d’unités de soutien qui elles, à l’exception gleterre, l’alcool de choix était la bière et
des officiers, étaient composées presque lorsqu’il y avait violence, elle était infligée
exclusivement de soldats noirs. Du fait de à coups de poings, de matraques ou de
la ségrégation de fait ou de droit qui exis- couteaux après une visite bien arrosée au
tait alors aux États-Unis, et de la non-tolé- pub local. En France, la bière fut rem-
rance des rapports sexuels et sentimentaux placée par le cidre, le vin et tout particu-
entre hommes noirs et femmes blanches, lièrement le calvados qui était tout nou-
les GIs noirs n’avaient eu que très rarement veau pour les soldats américains et bien
(voire jamais) la possibilité d’acquérir les plus intoxicant que la bière qu’ils avaient
habitudes sociales qui leur auraient permis consommée en Angleterre. Au moins 50 %
d’établir une liaison sexuelle consensuelle des soldats-violeurs étaient ivres au mo-
avec des femmes blanches, une situation ment des crimes qu’ils commirent. Plus
qui se trouvait aggravée si celles-ci ne par- grave encore, les soldats présents en
laient pas anglais. Cependant, l’armée France étaient désormais armés du fait des
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soldats d’avoir cassé une vitre. Wimberly de la route et après quelques avances fu-
frappa violemment Monsieur G. à la nuque tiles il « essaya de faire ce qu’il voulait ».
avec son arme. Watson poussa Marie sur Carter fut momentanément distrait par le
une chaise, puis s’en alla rapidement. À cet bruit que fit Émilie D., une femme qui
instant, Marie et son père montèrent se ré- avait entendu les cris de Mademoiselle C.,
fugier dans la chambre qui se trouvait à et cette dernière réussit à s’échapper par
l’étage et fermèrent la porte à double tour. l’arrière de la Jeep. Carter la poursuivit et
Vers minuit, les deux soldats revinrent l’effraya en tirant un coup de feu. Il la
une troisième fois chez les G. Ils montèrent ramena de force dans la Jeep et se mit à
l’escalier et tirèrent à la mitraillette à travers nouveau à conduire en direction de
la porte. Marie et son père furent immédia- Saint-Sulpice. Alors que la Jeep traversait
tement blessés, elle à la jambe gauche, lui le village de Bain-de-Bretagne, les gen-
au pied droit. Ils essayèrent de bloquer la darmes locaux qui avaient entendu le
porte, mais les soldats tirèrent à nouveau, coup de feu essayèrent en vain d’arrêter
démolirent la porte, et pénétrèrent dans la Carter qui chantait à tue-tête pour couvrir
chambre. Choqué et blessé, le père de les cris de Mademoiselle C. Un peu plus
Marie dit : « Pitié, pitié. Qu’est-ce que vous loin, Carter s’engagea sur un chemin,
voulez ? » Il leur offrit du vin et du whisky arrêta la Jeep et commença à déshabiller
mais cela ne suffit pas à les apaiser. Marie Mademoiselle C. En résistant, elle parvint
dit à son père d’aller chercher du secours à mordre Carter à la main. Mais, à bout de
et il s’enfuit par la porte. Les soldats jetè- force, elle ne put l’empêcher de la violer.
rent alors Marie sur le lit puis la violèrent Après le viol, il l’aida à retrouver ses vê-
chacun une fois. Wimberly s’en alla peu de tements et à les remettre. Il lui donna un
temps après et Watson s’endormit sur le lit. billet de 500 francs, qu’elle garda de
Profitant de son sommeil, Marie parvint à crainte qu’il ne l’assaille encore si elle le
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femmes locales 1. Parfois, les agresseurs et cace et moins étroit qu’en Angleterre où,
les victimes se connaissaient de par cer- malgré les obstacles, il leur avait été malgré
tains échanges mais n’entretenaient aucun tout possible d’établir des relations senti-
rapport intime ou amical. Comme dans le mentales durables. Tous ces facteurs, liés à
cas précédent, aucun des viols commis en la brutalisation engendrée par l’expérience
France ne rentre dans cette catégorie, alors même de la guerre, l’abondance de bois-
que, pour les raisons expliquées ci-dessus, sons fortement alcoolisées et le port
il y en eut plusieurs en Angleterre. Sans d’armes de combat contribuèrent à faire
qu’il y eut même échanges, il arrivait que des femmes françaises des proies relative-
les personnes concernées se soient pré- ment vulnérables aux agressions sexuelles.
cédemment rencontrées et qu’elles se
connaissent donc de vue. Le laps de temps
LA PUNITION DES VIOLS DE GUERRE
entre la première rencontre et le moment PAR L’ARMÉE AMÉRICAINE
du crime pouvait être de quelques minutes
ou de quelques jours. En France, 40 % des Les viols perpétrés par les soldats améri-
viols commis rentrent dans cette catégorie, cains pendant la seconde guerre mondiale
alors qu’ils ne comptent que pour 13 % des constituaient une violation du 92e article du
viols perpétrés en Angleterre. Cependant, code militaire qui interdisait aux soldats de
la majorité des viols eurent lieu dès la pre- « faire la connaissance charnelle d’une
mière rencontre entre l’agresseur et sa vic- femme contre sa volonté en faisant usage
time et la durée de leurs rapports ne dé- de la force de manière criminelle ». L’article
passa pas celle du viol, qui pouvait aller de ne faisait pas de distinction légale entre
quelques minutes à plusieurs heures, voire femmes de pays alliés et de pays ennemis.
un jour entier. En France, ces viols comp- L’armée américaine punissait sévèrement
tent pour 56 % des agressions commises,
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sation suggérait que les agresseurs avaient mordial pour les agresseurs. Nous n’inter-
été incapables de maîtriser leurs ardeurs et prétons pas ces renseignements pour signi-
désirs sexuels. Ces adjectifs trouvés dans fier que la domination et la soumission
les minutes des procès révèlent donc ce n’étaient pas présentes dans l’esprit des
que l’armée américaine pensait des vio- violeurs, mais à partir des documents dis-
leurs qui se trouvaient dans ses rangs en ponibles, nous ne pouvons pas affirmer
France. Il est clair qu’elle les considérait que le désir de dominer les victimes cons-
comme des êtres déviants et trompeurs, titue l’explication causale principale de ces
sexuellement dépravés, bestiaux et enclins crimes. De la même manière, il n’y a
à commettre des « crimes contre nature ». aucune indication que les violeurs auraient
Certaines de ces descriptions se retrou- agi dans un but de vengeance ou par co-
vaient parfois dans l’évocation d’un seul et lère, et il n’existe aucune référence qui
même incident. Ainsi il fut dit du viol col- porterait à croire que les agresseurs pen-
lectif le 6 janvier 1945 d’une adolescente saient que les viols qu’ils commirent
de 16 ans qu’il exhibait « le crime bestial étaient la réalisation d’un fantasme de leurs
qu’est le viol sous ses formes les plus victimes.
détestables et brutales » 1. Dans une rare Les peines infligées pour viol ne consti-
tentative d’explication, l’accusation imputa tuaient pas seulement un moyen destiné à
l’effet corrompant des mœurs étrangères. contrôler les activités criminelles au sein de
C’est à ces influences que Kenneth W. l’armée pour le seul bénéfice de la discipline
Nelson aurait succombé quand il viola. militaire. Nous estimons que les peines sont
Engagé dans l’armée en novembre 1941, il le reflet et la manifestation des normes so-
participa aux campagnes d’Afrique du ciales et culturelles qui prévalaient au sein et
Nord, de Sicile, d’Italie et de France. Une au-delà du théâtre d’opération européen.
fois en France, il viola Mademoiselle Anne- C’est avec beaucoup de prudence que nous
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viols intraraciaux. Il existait donc bien exécutions eurent lieu sur le théâtre d’opé-
deux poids, deux mesures. Les accusations ration européen où 70 des condamnés à la
de viols portées par des femmes blanches peine de mort furent pendus ou passés par
contre des hommes blancs étaient souvent les armes. Sur ce nombre, 29 furent exé-
considérées avec le plus grand soupçon, et cutés pour viol.
lorsque le viol était irréfutable, il était fré-
quemment estimé que les victimes elles- Tableau : Crimes, Race et Exécutions,
mêmes l’avaient provoqué ou encouragé. Théâtre d’Opération Européen
Cette attitude n’est pas simplement ex-
Meurtre/
primée dans la pensée populaire, mais Meurtre Viol
Viol
Désertion Total
aussi dans le raisonnement juridique. Ce Blanc.... 6 4 4 1 15
raisonnement est fondé sur l’argument très Noir ...... 22 25 8 0 55
ancien selon lequel il est beaucoup plus Total..... 28 29 12 1 70
facile pour une femme d’accuser un
homme de l’avoir violée, que pour un
homme de prouver son innocence. L’une En France, 34 soldats furent exécutés
des conséquences de ce raisonnement est pour crimes commis contre des citoyens
qu’il était attendu que toute accusation de français ou des réfugiés. Sur ce nombre 21
viol devait inclure une preuve physique d’entre eux (67 %) le furent pour viol, et
corroborante. D’une manière ou d’une parmi ceux-ci, 18 (86 %) étaient noirs, 3
autre, il était nécessaire que les femmes (14 %) étaient blancs. Le nombre de sol-
prouvent qu’elles avaient résisté au viol. dats noirs exécutés en France excède gran-
Sinon, leur innocence devenait suspecte et dement leur présence dans l’armée dont ils
elles risquaient de passer pour des prosti- ne composaient que 10 % de l’effectif.
tuées 1. Tous les soldats condamnés à mort ne
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