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HISTOIRE DE LA VIEILLESSE EN FRANCE, 1900-1960.

DU VIEILLARD AU
RETRAITÉ
Élise Feller

Françoise Cribier

Comité d'histoire de la sécurité sociale | « Revue d'histoire de la protection sociale »

2008/1 N° 1 | pages 162 à 165


ISSN 1969-9123
DOI 10.3917/rhps.001.0162
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Histoire de la vieiLLesse
en France, 1900-1960.
page 162 Du vieillard au retraité

Élise Feller

E
n France, peu d’historiens avaient étudié la vieillesse dans la pre-
mière moitié du XXe siècle. Certes les travaux des sociologues étaient
nombreux à partir des années 1960, mais n’avaient ni les objectifs ni
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les méthodes de l’histoire. Élise Feller s’est lancée dans l’aventure,
faisant à la fois, comme l’avait souhaité Peter Laslett, l’histoire de la vieillesse et
celle des vieux, dans une période véritablement charnière1. Elle analyse les évo-
lutions de la famille, des patrimoines, des rapports à la propriété, aux secours,
aux pensions, des institutions d’hébergement, des attitudes devant la vie et la
mort, de la médecine, enfin les représentations de la vieillesse qui mènent de
la figure du vieillard indigent dépendant de l’assistance à celle du retraité allo-
cataire de droits.
L’auteur met d’abord les « questions de l’âge » et les regards sur l’âge au cœur
d’une histoire marquée par les guerres, les changements rapides de l’économie et
de la démographie, la crise mondiale, l’Occupation et les bouleversements d’après
la Libération. Elle souligne combien ce qu’Hervé Le Bras a appelé « la névrose
française » a marqué durablement la perception de la vieillesse. Le vieillissement
rapide de la population, c’est-à-dire l’augmentation de la part des 60 ans et plus,
est dû alors essentiellement au recul des naissances, et très peu à l’allongement
de l’espérance de vie au-delà de 60 ans : jusqu’en 1960, les Français parvenus à
60 ans vivent à peine plus longtemps qu’avant2. Ce vieillissement de la popula-
tion comme l’analyse H. Le Bras, est chargé de tous les maux depuis la défaite
de 1870 devant la Prusse : il est vu à la fois, rétroactivement, comme l’origine de
ce grand malheur, et comme une menace de déclin futur et de « sclérose » - les
gens âgés, les plus pauvres en particulier, les plus nombreux, étant désormais
perçus comme un fardeau.

1  Elise Feller, Paris, Editions Seli de la vie après 60 ans augmente progrès sont les plus importants.
Arslan, 2005, 352 p. fortement. Aujourd’hui, c’est aux 2  On trouvera dans le Cahier d’His-
2  A partir de cette date, la durée âges élevés et très élevés que les toire de la Sécurité sociale, Regards
La deuxième partie de l’ouvrage décrit d’abord le « long sommeil de la gériatrie »,
dans un pays où Charcot (1825-1893), étudiant à la Salpetrière les maladies des
vieillards, s’était engagé dans la voie d’une recherche gériatrique, et le « rendez-
vous manqué » de la médecine avec la vieillesse. Pendant et après la Grande Comptes-rendus

Guerre, les thèses de médecine sur les maladies des gens âgés se font rares (en 163
1922, seules 13 sur 1000 s’intéressent à la vieillesse), alors que se multiplient
celles sur l’enfance et la maternité. La gériatrie ne se développera à nouveau
en France qu’après 1948, et surtout à partir des années 60, en liaison avec une
nouvelle efficacité des traitements.
Un beau chapitre (p.103-144) est consacré à « l’hospice des vieux », lieu de reléga-
tion traditionnel pour les vieillards misérables ou indésirables. Resté à la veille
de la Grande Guerre «  la crainte et l’espoir des vieux pauvres », il demeure entre
1920 et 1960 un lieu de vie frugale, de soins médiocres, de mortalité élevée, et de
perte de l’espace privé. Mais il est devenu un signe de solidarité républicaine, les
constructions se multiplient, leur confort progresse2), et l’on espère y trouver une
réponse décente à l’hébergement des vieilles gens. D’ailleurs, et c’est nouveau,
une partie des couches moyennes ruinées par l’inflation y trouve refuge.
Mais la plupart des gens, Elise Feller le montre bien, souhaitaient vivre leur
vieillesse chez eux, près de leur famille quand ils en ont une. Car la famille,
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mise à mal par l’exode rural, et qui semblait condamnée au déclin4, a fait mieux
que « résister » : les formes de solidarité entre générations se sont renouve-
lées, comme l’auteur le montre plus loin (p.158-170) dans un excellent chapitre,
« Vieillir en privé », riche d’analyses, et de témoignages de l’époque.
La troisième partie est consacrée à la « construction sociale de la vieillesse », au
moment où celle-ci sort de la sphère privée pour réclamer un traitement collectif.
La loi de 1905 institue l’assistance obligatoire aux vieillards les plus démunis,
érigeant comme « première figure institutionnalisée » de la vieillesse celle du
vieillard indigent, qui n’a su ni épargner, ni s’entourer d’une famille aimante.
Mais elle affirme aussi le principe de la « dette sociale » que la République doit
aux anciens. En 1936, 450 000 « vieux » touchent les maigres secours prévus,
et parmi eux bien des vieux chômeurs. Qu’en est-il des retraites ? Vers 1900,
seulement 10 % des ouvriers sont affiliés à une Caisse de retraite. La loi de 1910,
aboutissement de 50 ans de travail parlementaire (une « loi-évènement », dit
l’auteur), a instauré pour les petits salariés une obligation de cotisation jusqu’à
65 ans. Elle est mal comprise des intéressés, et dénoncée par le mouvement
ouvrier, tant les salaires sont bas et les taux de décès élevés, surtout chez les
hommes de 55 à 65 ans (trois fois plus élevés qu’aujourd’hui : aussi parlera-t-on
de « retraite pour les morts »). Cette retraite « obligatoire » est rejetée par la
multitude des travailleurs pratiquant la pluriactivité, ou rêvant de s’établir un

croisés sur la protection sociale de les punitions, le travail à l’extérieur, observateurs.


la vieillesse, n° 1, 2005, p. 83-138. l’auteur a réuni bien des obser- 4  Lequin Yves a constaté la persis-
Un travail de l’auteur sur Un hospice vations. Elle montre aussi que le tance du thème de son déclin de
modèle : l’hospice départemental surpeuplement, la promiscuité, 1815 à 1914 dans les très nombreux
des vieillards de la Sarthe. Sur les l’absence de soins, la mortalité livres consacrés alors en France à la
menus monotones, les règlements, élevée choquent alors bien des famille.
jour « à leur compte », et qui en 1910 refusent d’entrer de façon définitive dans
le salariat : le chapitre 8, (p.226-268), est consacré au «  grand malentendu des
retraites ouvrières », citant le mot d’Henri Hatzfeld, pour qui le salariat avait
longtemps été aux yeux des ouvriers un « enfer temporaire ». Finalement, et cela
page 164 n’a pas été assez dit, la loi de 1910 sera peu appliquée.
À partir des années Vingt prend corps, lentement, « l’innovation décisive de
la retraite ». Certes le système de retraite qu’instaure la loi de 1930 sur les
Assurances sociales reste incomplet et insuffisant. Mais la lutte des pensionnés
de l’État, appuyée sur un vigoureux Mouvement des retraités, fait émerger un
« modèle français de retraite » où la pension devient un « salaire continué »,
alimenté par les cotisations des actifs. Ce modèle inspire les revendications de
larges couches du salariat, employés des collectivités publiques, des transports,
des hôpitaux, et acclimate l’idée de retraite aussi bien chez les cadres que dans
les classes populaires longtemps rétives. Lorsque sous le Front Populaire, pour
procurer « Du Pain pour les Vieux et du travail pour les jeunes », il est question
de réformer et d’élargir l’assistance aux vieillards, on parle désormais d’une
« Retraite des vieux ». Celle-ci prendra consistance dans l’État français de l’Oc-
cupation à travers la loi de 1941 sur l’Allocation aux Vieux Travailleurs Salariés,
avant qu’en 1944 la Sécurité sociale ne fonde sur la répartition un système de
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retraite, improprement dit «  général ». En 1948, 63 % des gens de 65 ans et plus
touchent un revenu de vieillesse qu’ils appellent retraite. La figure du retraité
est devenue la figure de la vieillesse.
Selon l’auteur, jamais le sens et l’expérience de la vieillesse n’avaient changé
aussi vite et aussi profondément. Elle montre que dès la 1e moitié du XXe siècle, il
existait après la vie de travail, même parmi les salariés modestes, une aspiration
à une vie de retraite, que les historiens et les sociologues n’ont guère étudiée.
Dans le chapitre 10, consacré à 601 agents des compagnies de transport parisiens
nés entre 1860 et 1880, parvenus à la retraite entre 1920 et 1940, (p. 301-343),
l’auteur suit les trajectoires des agents et de leurs épouses (1 036 individus) :
carrière, mobilité géographique, modes de cessation d’activité, droits à pension
directe et à réversion, revenus, durée de vie, situations et relations familiales,
modes de vie enfin ; 23 % de ces retraités cohabitent, et les migrations vers la pro-
vince, dans les 5 ans de la retraite, sont pratiquées par 40 % de cette population,
souvent en direction du lieu de naissance. Des enquêtes auprès de survivants ou
de descendants ont porté sur les modes de vie, et le veuvage.
Par le sérieux et la finesse des analyses, par la pertinence des questions abordées, ce
livre, écrit à une époque où la vie s’allonge fortement aux âges élevés, apporte beau-
coup à l’histoire sociale, et à la gérontologie. Il aide notamment à situer la vieillesse
en France, comme expérience privée et comme construction sociale, dans l’évolution
des sociétés avancées du XXe siècle. Enfin il se place clairement, comme le souhaitait
Peter Laslett, « du côté des vieux », des vieilles aussi, plus nombreuses, en contri-
buant de façon originale à l’histoire sociale des femmes, dans une période de leur
vie qui longtemps n’avait guère retenu l’attention des recherches féministes.
La thèse de l’auteur5, qui avait reçu en 2000 le prix du CHSS, et celui de la Société
de gérontologie, a été repensée et reprise 3 ans après, pour en faire un livre des-
tiné au public de plus en plus large qu’intéressent les questions de la vieillesse, et
qui veut comprendre comment et pourquoi le sens et l’expérience de la vieillesse, Comptes-rendus

et le regard sur la vieillesse, ont changé aussi rapidement et aussi profondément, 165
bref penser la vieillesse en terme de dynamique : elle est devenue un facteur de
changement social pour l’ensemble de la société.

Françoise Cribier
CNRS-Centre Maurice Halbwachs
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5  Vieillissement et société dans la France du premier vingtième siècle, 1905-1953, thèse d’histoire sous la dir. de
Perrot Michelle, Paris 7, 1997, 3 volumes, 700 p. L’ouvrage est disponible dans plusieurs bibliothèques.

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