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Genre et violences de guerre dans les conflits actuels du

Moyen-Orient
Valérie Pouzol
Dans Confluences Méditerranée 2017/4 (N° 103), pages 9 à 13
Éditions L'Harmattan
ISSN 1148-2664
ISBN 9782343139258
DOI 10.3917/come.103.0009
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Dossier Variations

Valérie Pouzol
Maîtresse de conférences en Histoire, Université de Paris 8.
Chercheure au LEGS ( UMR 8238, CNRS-Paris 8).

Genre et violences de guerre


dans les conflits actuels
du Moyen-Orient

L e Moyen-Orient est plus que jamais une région ébranlée par


la guerre : guerres civiles en Syrie et en Irak, guerre interposée
entre l’Iran et l’Arabie Saoudite au Yémen. Des conflits plus
anciens perdurent et d’autres menacent (Liban), aggravés par la milita-
risation de la région. Ainsi le conflit israélo-palestinien est-il malheu-
reusement toujours d’actualité. Le processus de paix a périclité et le
spectre d’une séparation des populations, sans retrait de l’occupation1,
pourrait se profiler. Le peuple kurde, autre population écartelée, est
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étroitement mêlé aux conflits de la région, à partir des ses différentes
entités (Syrie, Irak, Turquie, Iran). Ces conflits, d’intensités diffé-
rentes, ont en commun, outre tune violence multiforme, d’impliquer
massivement les populations civiles et de les pousser, pour certaines
d’entre elles, sur les chemins de l’exil. Ils contribuent souvent à une
désagrégation des territoires, des communautés et à une remise en
cause de fragiles équilibres politiques, sociaux et ethniques.
Ce numéro est issu, en grande partie, d’une journée d’études
organisée, en avril 2016, à l’Université de Paris 8 qui avait convié à la
fois des chercheurs et des humanitaires sur la question des violences
de guerre liées au genre2. Il fait également écho à un numéro déjà
ancien de la revue Confluences Méditerranée paru en 1996 sur « Femmes
et Guerres 3». Il y était question à l’époque de l’expérience des femmes
dans les guerres d’ex-Yougoslavie, d’Algérie, d’Israël-Palestine, du
Liban et de Turquie. Elles y assuraient une difficile survie quotidienne,
étaient des cibles et elles essayaient souvent de s’opposer aux logiques
d’affrontements. Certaines de ces zones de conflits sont toujours

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actives et on peut constater avec inquiétude que d’autres pays du


Moyen-Orient ont, depuis, rejoint cette sombre liste.
C’est la mise en scène et la réalisation d’une violence extrême de
guerre4 à l’encontre des hommes mais également des femmes, qui marque
ce nouveau numéro. Hamit Bozarslan souligne que « la brutalisation
des sociétés en cours au Moyen-Orient s’opère sur la chair et dans
la chair5 ». Les violences commises par les troupes de l’organisation
de l’État islamique (EI) contre les populations yezidies dans le Djebel
Sinjar en Irak sont bel et bien de nature genrée. Révélatrices d’une
entreprise génocidaire, dans leur claire volonté de faire disparaître une
population considérée comme indésirable, elles distinguent pourtant
hommes et femmes, comme ce fut le cas dans d’autres génocides à
l’instar du Rwanda. Les milices de l’EI ont systématiquement éliminé
les hommes yezidis, laissant les femmes en vie pour mieux les utiliser
ensuite comme esclaves sexuelles (Lire l’article de Sareta Ashraf. Acts of
Annihilation. The Role of Gender in the Commission of the Crime of Genocide).
On apprend ainsi que l’EI s’est particulièrement soucié de la sexualité
de ses combattants et s’est assuré de pouvoir leur fournir suffisamment
de femmes au fur et à mesure que son assise territoriale s’élargissait
(lire l’entretien avec Nelly Lahoud sur les femmes dans la littérature et la pensée
djihadiste).
Des enquêtes et un film récents6 ont révélé que, dans les prisons
de Bachar-al- Assad, de nombreuses femmes syriennes avaient été
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systématiquement violées. Le viol des femmes a été utilisé par le régime
syrien comme une véritable arme de guerre. Certaines femmes, qui
tentent aujourd’hui de se reconstruire, veulent faire reconnaître les
crimes dont elles ont été victimes et faire évoluer leur propre société
qui considère le viol des femmes comme un déshonneur et un tabou
absolus. La violence extrême de guerre peut également déséquilibrer le
ratio entre les sexes, les survivants étant souvent des survivantes. En
Syrie c’est le drame de six millions de déplacés internes, pour la plupart
réfugiés dans des zones loyalistes qui inscrit, par la force des choses, les
femmes au cœur de l’histoire. Elles y sont tellement nombreuses à avoir
perdu leurs maris et compagnons que Damas est désormais la ville des
veuves.7 En Syrie mais également au Liban où de nombreuses femmes
syriennes se sont réfugiées les femmes peinent à trouver de l’aide.
Sur les chemins de l’exil, les femmes sont parfois seules ou avec leurs
enfants. Parmi les populations déplacées et réfugiées on retrouve de
nombreuses femmes qui fuient les zones de combat et de destruction.
Elles se trouvent particulièrement fragilisées et vulnérables sur les

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routes de l’exil (lire les articles de Jane Freedman : Conflit, « Crise » et femmes
réfugiées en Europe).
L’instabilité politique et les interventions étrangères ont grandement
fragilisé un pays comme l’Irak. Les femmes s’y battent, pour assurer
une survie quotidienne mais également pour conserver leurs droits. Les
partis islamistes chiites arrivés au pouvoir depuis 2003 ont contribué
à la fragmentation territoriale et à la résurgence des oppositions
ethniques. Cette situation a singulièrement fragilisé les droits que les
femmes avaient acquis de haute lutte lors de la construction étatique
(lire l’article de Zahra Ali : Fragmentation de l’Irak et des droits des femmes :
mobilisation des féministes et de la société civile).
Les femmes ne sont pas uniquement des victimes de guerre : elles
sont aussi parfois engagées dans les combats et dans la résistance armée
tandis qu’elles revendiquent leur statut de combattantes. Dans une
situation de désespoir face à l’occupation israélienne, mais également
au manque total de perspective politique viable, des jeunes filles
palestiniennes ont participé, à des attaques anti-israéliennes, dans ce
qu’on appelle « L’Intifada des couteaux » (lire l’article d‘Elisabeth Marteu :
Le genre dans « l’Intifada des couteaux » : l’évolution de la place des femmes
dans la lutte armée palestinienne). Dans les rangs d’organisations politiques
kurdes, les rapports entre les sexes changent progressivement. Au sein
du Komala (Iran) et du PKK (Turquie), les femmes kurdes combattantes
ont expérimenté une organisation en non-mixité. C’est dans cette
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sociabilité martiale entre « femmes » qu’elles se sont affirmées,
renforcées et sont parvenues ainsi à légitimer leur présence au sein
des partis et à imposer des revendications féministes à l’agenda de ces
derniers (lire l’article de Sarah Guillemet : S’organiser au maquis comme à la
ville : les femmes kurdes au Comité des révolutionnaires du Kurdistan Iranien
(Komala) et au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Inversement
on apprend que dans les organisations djihadistes, les femmes sont
écartées du combat et sont plutôt destinées à assurer un soutien non-
militaire (collecte d’argent, encouragements, transmettre l’idéologie aux
enfants). L’EI n’a pas habilité les femmes à se battre mais seulement à
se livrer à des opérations de police (lire l’entretien avec Nelly Lahoud sur les
femmes dans la littérature et la pensée djihadiste).
Les femmes résistent comme elles le peuvent à la guerre. … Dans
des sociétés broyées par la guerre, elles rétablissent le rapport au
temps. Reprenons les paroles de Lela Chikhani Nacouz, psychologue
libanaise, qui écrivait en 1991 un éloge des mères libanaises : « Quand
tout avait basculé dans la longue nuit sanguinaire, quand les hommes avaient perdu

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tout point de repère, quand les jours n’étaient plus qu’une durée informe, les femmes
les reliaient au temps. Eau, électricité, aliments ; il est l’heure de dormir ou de
manger. Elles étaient là les mères, pied sur terre dans le temps. Elles avaient assuré
la survie, la continuité. Le rythme de vivre côtoyait le rythme de guerre. Héroïsme
du médiocre peut-être mais pérennité 8.»
Les femmes sont ces héroïnes du quotidien en Irak, elles se
mobilisent pour maintenir les services aux populations (article de Zahra
Ali). Dans plusieurs pays, les combats féministes ont croisé les luttes
contre les violences de guerre. C’est le cas en Turquie où les féministes
turques ont très tôt déconstruit le « mythe égalitaire » véhiculé par
la République turque nationaliste et se sont opposées à la répression
des populations kurdes (lire l’article de Pinar Selek sur le féminisme turc face
à la violence extrême de guerre). En Israël, les luttes de femmes pour la
paix ont redonné de la vigueur à des luttes féministes qui peinaient à
se prononcer sur la question du conflit. Israéliennes et Palestiniennes
cherchent depuis trente ans, à différents niveaux (local, international)
à construire une paix où les femmes seraient des partenaires centrales.
Parmi elles, ce sont souvent des mères qui ont pris la parole et qui usent
de leur légitimité nationaliste ( lire l’article de Valérie Pouzol Palestiniennes et
Israéliennes pour la paix : un éternel recommencement ?)
Pour terminer sur une note d’espoir, les femmes sont des grandes
voix de la résistance non-violente et pacifiste dans la région. Par leurs
écrits, leurs poèmes, leur participation à des manifestations, elles ont
porté ce grand espoir des révoltes arabes, particulièrement en Syrie.
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Nous aimerions ici rendre un double hommage à Fadwa Suleïmane
(lire l’hommage de Serge Airoldi) mais également à Razane Zaitouneh9,
avocate syrienne qui a défendu jusqu’en décembre 2013, date de son
enlèvement, les droits de la personne dans son pays en guerre. Elles
sont toutes deux maintenant disparues. Les femmes résistent par
l’écriture et témoignent inlassablement de ce qu’elles ont vu10 L’écriture
permet de résister à l’éloignement, à la séparation et à la violence (lire
l’entretien avec Pinar Selek, romancière, essayiste et féministe turque en exil en
France).

A propos de la photo de couverture :


Le 31 mars 2015, dans la ville de Kobané (Aïn al-Arab) en Syrie,
Jodat une des membres des YPJ (Unité de protection de la femme,
branche féminine des YPG) regarde la ville détruite. Elle se souvient de
l’intensité des combats et de la résistance menée avec les combattantes.

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Il y a eu à Kobané une intense bataille de quatre mois entre l’EI et


les YPG (Unités de protection du peuple) qui a conduit à la destruction
de 80 % de la ville et au départ de milliers d’habitants qui se sont
réfugiés en Turquie.

A propos de la photographe :
Cette photo a été prise par Maryam Ashrafi qui est une photographe
d’origine iranienne, basée à Paris. Elle a couvert, depuis plusieurs
années, la question kurde dans le nord de l’Irak, en Syrie et en Europe.
Elle a beaucoup photographié les femmes kurdes au front mais
également dans leurs espaces de vie quotidienne. Elle montre que ces
femmes se battent à la fois en tant que Kurdes mais également en tant
que femmes dans leur société dominée par les hommes. Maryam s’est
rendue à Kobané quelques jours après la libération de la ville.

Notes

1. Stéphanie Latte Abdallah et Cédric Parizot, Israël/Palestine. L’illusion de la


séparation, Aix-Marseille, 2017, Presses universitaires de Provence, p. 11.
2. Cette journée a été organisée avec Carol Mann, directrice de l’association Wo-
men in War et soutenue par le LEGS (UMR 8238, Laboratoire des études de Genre
et des sexualités).
3. Annissa Barrak et Bénédicte Muller, Femmes et Guerres, Paris, Confluences
Méditerranée, 1996.
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4. Hamit Bozarslan, Révolutions et état de violence. Moyen-Orient 2011-2015,
Paris, CNRS éditions, 2015, p.241.
5. Hamit Bozarslan, Op.cit, p.247.
6. Plusieurs articles de la journaliste Annick Cojean ont été publiés entre 2012
et 2014, dans Le Monde sur les viols de guerre en Syrie et en Lybie. http://www.
lemonde.fr/proche-orient/article/2014/03/04/syrie-le-viol-arme-de-destruc-
tion-massive_4377603_3218.html, en ligne le 6 décembre 2017. Annick Cojean a
travaillé avec Souad Wheidi activiste lybienne engagée à dénoncer à dénoncer
cette question. La journaliste Manon Loizeau vient de réaliser un film Syrie, le cri
étouffé qui revient sur la question des viols de femmes dans les prisons syriennes.
http://www.telerama.fr/television/a-voir-sur-telerama.fr,-syrie-le-cri-etouffe,-
un-documentaire-exceptionnel-de-manon-loizeau,n5377293.php
7. Laure Stephan, « À Damas, le temps des veuves », Le Monde, 16 novembre 2017.
8. Lela Chikhani Nacouz, Temps et espaces de guerre, in Femmes et guerres,
Paris, Confluences Méditerranée, 1996, p. 30 à 31.
9. Un magnifique hommage vient d’être rendu à Razane Zaitouneh par l’écrivaine
Justine Augier, De l’ardeur, Arles, Actes Sud, 2017.
10. Samar Yazbeck, Les portes du Néant, Paris, Stock, 2016.

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