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BILINGUISME ET DIGLOSSIE :
COMMENT PENSER LA DIFFÉRENCE
LINGUISTIQUE DANS LES LITTÉRATURES
FRANCOPHONES1 ?
Rainier GRUTMAN
Université d’Ottawa
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ouvrage renvoie à l’article politiquement engagé de l’helléniste Jean Psichari (1928 ; voir
Fernández, 1995).
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Le cas le plus rare est sans conteste celui de l’écrivain qui publie
simultanément en deux langues (cat. a). Règle générale, il n’y a pas
d’équilibre harmonieux entre les deux versants de son œuvre. Chez Samuel
Beckett, il est vrai, la distribution des langues avait progressivement pris
la forme d’un véritable dédoublement, grâce au recours systématique à
l’autotraduction. Mais Beckett forme l’exception qui confirme la règle, tant
sont rares les équilibristes de sa trempe. Dans la Belgique des années 1930 et
1940, il y a bien eu le cas de Raymond De Kremer, menant de front une
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4 Autrement dit, s’il peut y avoir bilinguisme sans diglossie, le contraire semble relever
davantage de la spéculation théorique que de la réalité empirique. Je fais allusion à un schéma
célèbre où Joshua Fishman combine les concepts de bilinguisme (B) et de diglossie (D) pour
obtenir quatre possibilités : ni B ni D, B et D, B sans D, D sans B (repris dans Fishman, 1979,
pp. 91-106). C’est ce qui amène Alain Ricard à affirmer que la diglossie « peut exister sans
bilinguisme [...], c’est-à-dire sans la pratique effective, au niveau individuel, d’autres langues,
dans la mesure, par exemple, où les échanges entre classes sociales sont très réduits » (1976,
p. 14). Ralph Fasold parle plus vaguement de groupes séparés : « In order to have diglossia
without bilingualism, two disjunct groups within a single political, religious, and/or economic
entity are required » (1984, p. 41). On aurait aimé qu’ils donnent des exemples toutefois. En
Flandre, au Québec et en Catalogne, pour ne parler que des sociétés dont j’ai une connaissance
personnelle, les contacts, même réduits, entre les groupes linguistiques ont fait apparaître
plusieurs formes de bilinguisme.
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Conclusion
Ces quelques exemples montrent à quel point la différence linguistique
investit les littératures francophones. En plus de les sous-tendre institution-
nellement, elle gagne leurs textes et devient un effet d’écriture. Pour
conceptualiser ce phénomène, la « diglossie » s’est avérée plus précise que
le « bilinguisme ». En effet, si ce dernier nous a permis de réunir en une
typologie les principales combinaisons de langues de la part d’écrivains
individuels, la dimension collective, sociale, historique du contact linguis-
tique, indispensable pour qui veut en comprendre les ramifications littéraires,
y brillait par son absence. L’on n’y accède qu’en prenant conscience de la
distribution des langues dans la société dont sont issus les auteurs bilingues.
Il appert alors que leur choix de telle ou telle langue d’écriture est peut-être
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moins personnel que régi par des normes sociales et des conventions
littéraires. Quand bien même il voudrait choisir entre des modes d’expression
équivalents, l’écrivain sait que certaines langues sont plus égales que d’autres.
« Nous considérâmes les langues comme des filets à projeter », écrit Patrick
Chamoiseau. « Une langue se jugeait à ses vertus en termes de filet » (1997,
p. 275). Jadis, il arrivait au sujet diglossique d’avoir honte de sa langue
mineure au point de vouloir la sacrifier à l’autel de « la divinité monolingue »
(Chamoiseau, 1997, p. 277), en échange d’une meilleure maîtrise de la
Grande Langue du Centre. Aujourd’hui, de plus en plus souvent, « la douleur
diglossique est utilisée comme une dynamique d’écriture », utilisation
artistique que Chamoiseau, dans un entretien avec Catherine Détrie (1996,
p. 139), considère « comme une sorte de solution au conflit linguistique ». La
violence liée à ce dernier serait ainsi sublimée dans une écriture qui, par sa
mise en texte ambivalente de la diglossie, par son caractère de palimpseste,
par le dédoublement de son destinataire, affiche un hétérolinguisme
(Grutman, 1996-1997) qu’on chercherait en vain à réduire à la bonne vieille
idéologie du reflet.
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Bibliographie
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