Vous êtes sur la page 1sur 27

Langue française

Les Atlas linguistiques de la France par régions


Jean Séguy

Citer ce document / Cite this document :

Séguy Jean. Les Atlas linguistiques de la France par régions. In: Langue française, n°18, 1973. Les parlers régionaux. pp. 65-
90;

doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1973.5631

https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1973_num_18_1_5631

Fichier pdf généré le 04/05/2018


Jean Séguy, Université de Toulouse IL

LES ATLAS LINGUISTIQUES


DE LA FRANGE PAR RÉGIONS

I. Qu'est-ce qu'un dialecte?

Langue-Dialecte-Patois : ainsi est intitulé le chapitre que J. Fourquet


a écrit dans Le Langage (p. 571 suiv.), l'une des excellentes sommes
scientifiques — celle-ci publiée sous la direction d'A. Martinet — de
Г Encyclopédie de la Pléiade (Paris, Gallimard, 1968, 1525 p.). Tout
simplement, citons ces pages vraies et lumineuses. « La langue : on va dans
un autre pays et on trouve que les hommes communiquent entre eux à
l'aide de mots et de phrases que le visiteur ne comprend pas; aux choses
correspondent d'autres noms... » Le dialecte, « c'est l'expérience de
diversités à l'intérieur de ce qu'on considère comme une même langue, parce
que les dénominations de choses, sans être identiques, ont des
ressemblances évidentes, et que, de façon générale, les différences observées
ne sont pas telles qu'elles empêchent la compréhension. On remarque
que la servante venue de son village dit moue pour " moi ", ou il ot pour
'" il est ". En France, on dit qu'elle parle patois : ici se mêle, à l'idée d'un
groupe d'hommes qui ont leurs habitudes propres, en ce qui concerne la
parole, celle qu'ils sont nés lourdauds et qu'ils n'ont pas reçu d'éducation
— réaction naïve (bien connue) de la part d'un groupe placé devant un
comportement différent du sien... L'allemand Mundart suggère que
chacun parle comme il a la bouche faite (wie ihm der Schnabel gewachsen ist),
et aurait tort de changer sa nature; il s'y mêle, sous l'influence du
romantisme, une nuance de respect pour ce qui est de nature originale, non
sophistiquée... La place des parlers dialectaux apparaît, contrairement
à une erreur tenace, comme le plan de base... : c'est du plan dialectal que
proviennent les éléments dont sont formées les langues communes telles
que l'anglais [jadis dialecte londonien], le français [jadis dialecte de l'Ile-
de-France]... », l'espagnol, jadis dialecte de la Vieille Castille. On ne saurait
mieux définir, ni chasser plus radicalement les connotations déplorables
des mots dialecte et patois (voir aussi, plus loin, l'article de L. Warnant).
Nous nous permettrons seulement de joindre quelques réflexions.

65
LANGUE FRANÇAISE П0 18 5
Si les dialectes existent, c'est qu'ils ont une ou plusieurs fonctions.
Il nous paraît que la fonction du dialecte est double : assurer la
communication entre communautés voisines et, contradictoirement, permettre
aux collectivités de se démarquer x. Peu importe que ces fonctions aient
créé l'organe ou que le morcellement dialectal soit dû à d'autres facteurs
(dispersion de la population, obstacles naturels, divisions historiques, etc.) :
c'est là un problème téléologique hors de notre champ de vision. La double
fonction explique la décadence actuelle du fait dialectal. Pour ce qui est de
la communication, la langue véhiculaire fait aussi bien l'affaire, et même
mieux. D'autre part, le démarquage est effacé par l'évolution de
l'humanité contemporaine, qui va partout à l'uniforme. Ce que ne contredit
nullement la reviviscence des langues minoritaires tombées à l'état de
patois : elles se raniment un peu partout, mais les écrivains qui en usent
ou les jeunes qui y retournent fuient, dans la mesure du possible, les dia-
lectalismes. Il en va ainsi de l'occitan qui, après des siècles d'émiettement,
tend à retrouver, du moins au niveau littéraire, l'étonnante unité qu'il
présentait dans ses premiers monuments. Donc, si on considère le dialecte
comme un fait digne d'étude, question qui sera envisagée plus loin, c'est
le moment ou jamais de prendre une empreinte aussi fidèle et aussi
complète que possible des parlers. Rien n'est plus désolant, pour un
linguiste, que de savoir qu'une forme du langage, connue en période
historique, a disparu sans laisser de traces, ou que de disposer seulement
de quelques débris à partir desquels il est rarement possible de
reconstituer le tout.

II. Qu'est-ce qu'un atlas linguistique?

L'idée de représenter les faits dialectaux sous forme de cartes


géographiques n'est pas neuve, car elle s'impose. Elle date du début du
xixe siècle, quand on commença à s'intéresser aux patois, ou,
généralement parlant, quand on commença à faire de la linguistique sérieuse et
scientifique, en suivant les méthodes d'observation et de collection.
Quelques tentatives plus ou moins adroites et très partielles — elles ne
visaient que des faits phonétiques — furent faites en Allemagne. Mais
c'est au génie du Suisse Jules Gilliéron, géologue de son métier, qu'on

1. A. Martinet, dans « Dialect » (in Romance philology, Berkeley -Los Angeles,


VIII-1, 1954), a formulé une remarque semblable (p. 10-11) : « Les linguistes doivent
dorénavant se montrer pleinement conscients de ce fait que la divergence est
seulement la moitié du tableau complet [de l'évolution linguistique], l'autre moitié étant
la convergence. » De plus, dans Éléments de linguistique générale (Paris, A. Colin, 1961,
p. 160), à propos des dialectes : « ...aussi note-t-on aujourd'hui plutôt convergence
que divergence » [par suite du raccourcissement des distances]. Mais nous pensons
que, s'agissant de dialectes contigus, la convergence l'a toujours emporté sur la
divergence : si le coefficient de divergence devient trop fort, et par là gêne la
communication entre collectivités voisines, les patois meurent, comme l'a fort bien [observé
A. Martinet en Savoie.

66
doit la conception et la réalisation du premier atlas linguistique digne
du titre : l'Atlas linguistique de la France (Paris, 1902-1910) [= ALF].
Avant tout se posait un problème de décision : que faire et comment?
L'idéal aurait été de recueillir la totalité de chaque dialecte à chaque
commune de France prise comme unité géographique. Cette ambition
chimérique ne fut même pas envisagée. Restait néanmoins un dilemme :
ou bien passer dans toutes les communes, et alors il fallait limiter très
strictement le nombre de faits à relever et solliciter l'aide de
correspondants locaux (c'est cette solution qui avait été adoptée en Allemagne
quelques années plus tôt); ou bien il fallait restreindre le nombre des
communes à un réseau de points de sondage répartis au mieux. Cette
recherche par échantillons avait l'inconvénient certain de négliger les
unités dialectales qui passeraient entre les mailles, mais elle permettait
de multiplier le nombre des faits — sans prétendre évidemment à un
relevé exhaustif — et aussi de confier l'exploration à un spécialiste.
Edmond Edmont, un dialectologue picard, de Saint-Pol, avait fait la
preuve de ses qualités d'observateur et de la finesse de son ouïe. Gil-
liéron établit un questionnaire de 1 400 articles, sélectionnés selon des
critères divers, et Edmont, de 1897 à 1901, visita 639 localités du domaine
gallo-roman; à chaque point du réseau, il cherchait un informateur qui
eût le loisir, la bonne grâce et la compétence de traduire dans son verna-
culaire les mots français qu'on lui soumettait. Nous disons bien le domaine
gallo-roman : Edmont enquêta non seulement sur tout le territoire de la
France (Roussillon et Corse compris, encore que ces deux régions
appartiennent à d'autres groupes que le gallo-roman), mais aussi sur le versant
italien des Alpes, en Suisse romande, dans la Belgique wallonne et picarde
et dans les îles anglo-normandes. Puis Gilliéron, dépouillant les cahiers
d'EDMONT sans y apporter la moindre retouche, dressa les cartes
correspondant aux articles du questionnaire : il écrivait la forme recueillie à
l'emplacement du point géographique (ces points sont figurés par un code
numérique). Les frais des enquêtes et ceux de la publication furent
entièrement pris en charge par le ministère de l'Instruction publique, sur les
instances des romanistes de l'époque, au premier rang desquels figurait
Gaston Paris, qui avaient parfaitement compris l'intérêt des dialectes
déjà en déclin. Mieux : le ministère distribua gratuitement l'Atlas aux
bibliothèques et à bon nombre de centres d'études. Cet instrument d'une
puissance extraordinaire fut le départ d'une nouvelle ère de la
dialectologie, qui, de la monographie ponctuelle, passa à la vision bi-dimen-
sionnelle. C'est incontestablement de Y ALF que sont nées les notions
d'aire linguistique (lexicale, phonétique, etc.) et la faculté de considérer
les phénomènes du langage sous leur aspect géographique.
L'ALF suscita tout de suite des émules : le doyen Le Roux en
Bretagne celtique, l'abbé Griera en Catalogne élaborèrent et publièrent
des atlas sur les mêmes principes. De Y ALF lui-même, Gilliéron, Mario
Roques et bien d'autres savants tirèrent des travaux célèbres.

67
III. Les atlas linguistiques par régions.

Cependant, à l'usage, on s'apercevait que Y ALF n'était pas exempt


de lacunes et de défauts. Chose bien pardonnable à une innovation totale
et de cette ampleur. D'abord, comme il était à prévoir, le réseau se révélait
trop lâche : quantité de particularités de tout ordre n'étaient pas
représentées dans les cartes. Le questionnaire moyen, conçu pour toute la
France, ne tenait pas compte des grandes différences que présentent les
cultures régionales, lesquelles se reflètent forcément dans le langage :
deux pays aussi disparates que la Beauce et les Alpes savoyardes étaient
passés au même filtre. Enfin, la démarche de Gilliéron était tout
abstraite : le mot français et sa traduction en dialecte, c'est tout; pas le
moindre commentaire. Ceci passe quand il s'agit de notions simples et
bien dessinées : la belette — un frêne — vendredi — habiter — je
veux. Mais rien ne va plus quand le signifiant français s'étend à des
signifiés en réalité divers. Par ex., il y a charrue et charrue (pour le seul araire
de bois, les Landais distinguent trois types ayant chacun son nom) :
de sorte que la carte portant ce titre unique est faite de signifiants
hétéroclites correspondant à des signifiés multiples. D'autre part, Gilliéron
n'avait pu prévoir dans son questionnaire certaines choses qui avaient des
noms intéressants dans les dialectes. Edmont s'en aperçut chemin faisant;
il fit face bravement et introduisit de nouveaux articles en cours d'enquête.
Mais comme il n'était pas question qu'il recommençât son dur itinéraire,
toute une série de cartes ne couvre que la moitié sud de la France, à la fin
de l'ouvrage; il y en a même qui représentent seulement le quart sud-est.
Enfin, les spécialistes régionaux ne tardèrent pas à déceler certaines
erreurs. Dans la méthode : Gilliéron avait donné à son enquêteur la
consigne de s'en tenir à la première réponse de l'informateur. C'est le
tabou du « premier jet », issu lui-même d'une métaphore réalisée :
Gilliéron proclamait qu'il voulait obtenir une « photographie instantanée »
du visage dialectal de la France. Donc, défense de prendre plusieurs
clichés. Or, l'expérience apprend vite que le témoin, par fatigue ou par
ennui, se contente trop souvent de patoiser le mot français proposé par
l'enquêteur; dans ce cas, il est nécessaire de retourner un peu l'informateur
sur le gril, pour l'inviter à rechercher le « vrai mot » (fût-il archaïque,
ce qui est noté; toutefois, quand l'informateur fournissait des synonymes,
Edmont n'en faisait pas fi : il les enregistrait fidèlement, parfois en
mentionnant une particularité, notamment celle de l'archaïsme). Mais c'est
bien par suite de la funeste directive de Gilliéron qu'EDMONT a si
souvent couché dans ses cahiers du faux patois. Il arrivait aussi — rarement,
par bonheur — qu'EDMONT ne fût pas assez exigeant sur les origines
géographiques du témoin : d'où erreurs de localisation, vice extrêmement

68
grave en la matière 2. Enfin, en dépit de la finesse de son oreille, il
n'entendait pas ou entendait mal certains faits phonologiques : par ex.,
l'accent du mot en occitan et en francoprovençal.
C'est Albert Dauzat qui résolut de faire mieux, d'autant que les Suisses
Jud et Jaberg avaient dirigé et publié un atlas linguistique de l'Italie
en apportant de brillants perfectionnements au système de Gilliéron.
Pour Dauzat, l'essentiel était de prospecter non plus le territoire national,
mais des régions naturelles par leur langage et par leur culture. Ainsi
seraient abolis deux inconvénients majeurs : le réseau trop lâche et
l'inventaire uniforme, donc inadéquat.
De plus, Dauzat était un dialectologue de terrain. Il vivait réellement
la vie de ses compatriotes les montagnards auvergnats et il savait depuis
toujours que techniques, habitat, économie, folklore, croyances d'une part
et langage d'autre part sont inséparables (nous reviendrons sur ce point,
p. 73). Aidé du petit groupe de dialectologues qu'il dirigeait à l'École
des Hautes Études, il élabora le questionnaire du Nouvel Atlas
linguistique de la France par régions. Il y reprenait quantité d'articles figurant
dans le questionnaire de Gilliéron, mais il y ajoutait un grand nombre
de thèmes beaucoup plus concrets et spécifiques de la civilisation rurale,
en s'efîorçant de prévoir des adaptations régionales. Dès ses débuts, le
Centre National de la Recherche Scientifique comprit la valeur et l'urgence
des recherches mises en chantier par Dauzat : cet organisme accorda un
soutien définitif. Disons une fois pour toutes que l'aide du C.N.R.S. ne
s'est jamais démentie, mais bien au contraire accrue : depuis longtemps,
le C.N.R.S. a entièrement pris à sa charge les Atlas linguistiques de la
France par régions.
Malgré les efforts de Dauzat et de Roques, trop tôt disparus, on connut
quelques années de stagnation relative, parce que trop peu d'universités
s'étaient préoccupées de former des dialectologues. Peu à peu, des équipes
se constituaient; enfin, tous les chercheurs et enquêteurs furent rassemblés
dans une « équipe de recherches associées » dirigée par Mgr Gardette :
la mesure fut décisive, et, actuellement, cette entreprise du C.N.R.S. est
l'une des plus productives dans l'ordre des sciences humaines. Tout le
territoire national est exploré par des équipes régionales dont les travaux
se trouvent à divers stades, le moindre étant l'établissement du
questionnaire, comme on peut le voir dans la carte ci-après. On observera que la
couverture s'étend aux régions non romanes : Alsace, Lorraine
francique, Pays Basque.

2. Cf. A. Lerond, Réflexions sur une énigme de l'ALF :f l'enquête d'Edmont à


Malmedy (point 191) [Bull, du Dictionnaire wallon, XXIII, Liège, Société de Langue
et de Littérature wallonnes, 1970, p. 1-107; p. 100-101, bibliographie de la question].

69
LES ATLAS LINGUISTIQUES DE LA FRANCE PAR REGIONS

flamand

de la Kallœiie vv

ъ
ATLAS LINGUISTIQUES DE LA FRANGE PAR RÉGIONS

Dirigés, financés, publiés et édités par le Centre National de la Recherche


Scientifique, 15, quai Anatole-France, 75-Paris (7e).
La répartition géographique et l'état d'avancement des travaux sont
présentés dans la carte de la p. 70.
Les titres de ces ouvrages commencent tous par Atlas linguistique et
ethnographique d... L'indication de la région est suivie du nom du ou des
auteurs et des collaborateurs principaux. Les dates concernent les volumes
parus.

Alsace : E. Beyer, R. Matzen; t. I (1969) [= ALA].


Bourgogne : G. Taverdet.
Bretagne romane, Anjou, Maine : G. Guillaume, J.-P. Chauveau.
Centre : Mlle P. Dubuisson; t. I (1971) [= ALCe).
Champagne et Brie : H. Bourcelot; t. I (1966), t. II (1969) [= ALCB].
Franche-Comté : Mme C. Dondaine.
Gascogne : J. Séguy (t. I-III), J. Séguy, X. Ravier (t. IV, t. VI), J. Al-
lières (t. V); t. I (1954; 2e éd., 1965), t. II (1956; 2e éd., 1967),
t. III (1958; 2e éd., 1968), t. IV (1966), t. V (1972) [= ALG\.
Ile-de-France et Orléanais : Mme M.-R. Simoni-Aurembou.
Jura et Alpes du Nord : J.-B. Martin, G. Tuaillon; t. I (1971) [= ALJA].
Languedoc occidental : E. Nègre, X. Ravier, J. Boisgontier.
Languedoc oriental et Roussillon : L. Michel.
Limousin et Basse-Auvergne : J.-G. Potte.
Lorraine germanophone : Mlle M. Philipp.
Lorraine romane : J. Lanher, A. Litaize, J. Richard.
Lyonnais : Mgr P. Gardette; t. I (1950; 2e éd., 1967), t. II (1952; 2e éd.,
1970), t. 111(1956), t. IV (1968) [= ALLy].
Massif central : P. Nauton; t. I (1957), t. II (1959), t. III (1961), t. IV
(1963) [= ALMC].
Normandie : R. Lepelley, P. Brasseur.
Ouest (Poitou,
Mlle В. Aunis,
Horiot;Saintonge,
t. I (1971)Angoumois)
[= ALO]. : f Mlle G. Massignon,
Pays basque français : J. Haritschelhar.
Picardie : R. Loriot, G. Deparis.
Provence : Ch. Rostaing, J.-C. Bouvier, Mme C. Martel.
Pyrénées orientales (Atlas linguistique des) : H. Guiter (1965) [ = ALPO].
Réunion (île de La; éventuellement Maurice, Rodrigues, Seychelles) :
R. Chaudenson, M. Carayol.

Parties du territoire français représentées dans d'autres atlas.

Ardennes : Ch. Bruneau, Enquête linguistique sur les patois d'Ardenne


(2 vol., Paris, 1913-1926) — Une petite partie du département
des Ardennes est dans l'Amas linguistique de la Wallonie (v. p. 89)
[= ALW].
Basque de France : J. Allières, Petit atlas linguistique basque « Sacaze »
(Toulouse, Via Domitia, 1960 suiv.).
Bretagne celtique : P. Le Roux, Atlas linguistique de la Basse-Bretagne
(Paris, 1924 suiv.).
Catalan de France : A. Griera, Atlas linguistic de Catalunya (Barcelona,
Abadia San Cugat del Vallès, 1923 suiv.) [= ALC] — Navarro

71
Tomáš, Atlas linguístico de la Peninsula ibérica (Madrid, Consejo
Superior de Investigaciones Cientîficas, 1962) [= ALPI].
La principauté d'Andorre (dont l'un des deux coprinces est constitution-
nellement français) : A. Griera, Atlas linguistic ď Andorra
(Andorra la Vella, Conseil de les Valls, 1960). — De plus, figure
dans VALPO et l'ALC.
Corse : J. Gilliéron et E. Edmont, Atlas linguistique de la France : Corse
(Paris, 1914; publication malheureusement interrompue en 1915
à la carte n° 799) -— G. Bottiglioni, Atlante linguistico-etnografico
italiano délia Corsica (Pisa, 1933 suiv.).
Flamand de France : G. G. Kloeke, Taalatlas van Noord- en Zuid-Neder-
landse (Leiden, 1939 suiv.)- ■— W. Pée, Dialekt- Atlas van Wcst-
Vlaanderen en Fransch-Vlaanderen (Antwerpen, 1946 suiv.).
Francoprovençal : F. A. Devaux, Atlas linguistique des 'Terres-Froides
(publié par A. Duraffour et P. Gardette, Lyon, 1935).
Gascon : G.Millardet, Petit atlas linguistique d'une région des Landes
(Toulouse-Paris, 1910).
Lorrain : O. Bloch, Atlas linguistique des Vosges méridionales (Paris, 1914).
Poitou : L. O. Svenson, Les parlers du Marais vendéen (Goteborg, 1959).

Domaine linguistique gallo-roman hors de Frange.

Belgique : J. Haust, É. Legros et L. Remacle, Atlas linguistique de la


Wallonie (Liège, 1953 suiv. — entreprise belge, v. p. 89) [ = ALW].
Canada : Atlas linguistique du Québec. Entreprise canadienne sous la
direction de G. Dulong, professeur à l'Université de Montréal.
Questionnaire de 2 300 articles; enquêtes (200 localités) actuellement
très avancées.
Le val d'Aran, dont le vernaculaire est gascon mais qui appartient à
l'Espagne, est représenté dans l'Atlas linguistique et ethnographique
de la Gascogne (v. p. 71); Mgr A. Griera prépare un atlas consacré à
cette vallée.
Pour V ALF, v. p. 67.

IV. Les atlas linguistiques de la France par régions :


caractères et méthodes.

Avant de décrire les atlas linguistiques de la France par régions,


nous devons nous arrêter un peu sur deux caractères qui les marquent
tous (il en est de même hors de France) et qui peuvent donner matière à
controverse : l'informateur unique et la part importante donnée à
l'ethnographie.
Le plus souvent, pour chaque localité, les atlas font état de plusieurs
informateurs. En réalité, on n'en interroge qu'un seul à la fois, et, s'il y en
a plusieurs, ils se relaient. Il arrive certes qu'un informateur dit
secondaire intervienne pour redresser ou compléter le témoin principal : ces
données d'appoint sont enregistrées et portées sur la carte. Mais ceci
ne se produit que par intermittence. La règle, c'est l'informateur unique.
Dès lors, on peut se demander de quoi il est représentatif, si ce n'est de

72
lui seul, et de quel droit on donne comme échantillon d'une collectivité
la « parole » d'un individu. Quelques linguistes tiennent même cette façon
pour la pierre d'achoppement des atlas linguistiques. C'est oublier un fait
mieux qu'évident : certain. A savoir que l'idiolecte est toujours une
aberration et marque la conduite d'un déviant. La communication, même au
sein d'une petite collectivité, exception faite de certaines réalisations
phonologiques, exige un accord parfait, repose sur une norme vétilleuse et ne
laisse place à aucune fantaisie individuelle; tout écart, sans nuire
forcément à l'intelligibilité, excommunie le locuteur. Même dans les cas où on
rencontre un polymorphisme important (p. 88), on peut être certain qu'il
s'agit d'un polymorphisme de groupe, à tout le moins bien socialisé. Et
voici la preuve décisive de la validité du témoin unique : à condition que
la maille du réseau soit assez serrée, un fait dialectal, pour étonnant qu'il
soit, affecte toujours plusieurs localités. Les exceptions existent, mais ce
sont des exceptions. L'étendue et la morne platitude de nombreuses aires
lexicales, phonologiques ou morphologiques devraient à elles seules faire
classer définitivement ce dossier. Par contre, il faut se méfier de
l'informateur venu assez âgé d'une autre commune que celle où l'on enquête :
il conserve fréquemment des traits de son origine, qui sont bien tolérés,
même par le conjoint, puisque la personne en question « n'est pas d'ici ».
Sur la relation entre linguistique et ethnographie, il suffirait de
renvoyer aux pages décisives de G. Mounin, dans Les problèmes théoriques
de la traduction (Paris, Le Seuil ■— 296 p. — , p. 227 suiv.). Il convient tout
de même d'examiner la question du point de vue particulier des atlas.
Wôrter und Sachen. Avant que Tappolet — suisse lui aussi — lançât
cette espèce de slogan, la collaboration entre dialectologues et folkloristes
n'était qu'épisodique. L'ALF, nous l'avons vu, se proposait uniquement
de collecter des mots : pas le moindre dessin ni même d'indication sur les
choses nommées, sur les realia, comme d'aucuns disent encore. On
philosophe beaucoup sur la nature de la substance, ou chose, par rapport au
concept; on pose qu'entre la chose et le signifiant existe un être
intermédiaire idéal, et que cet être doit s'appeler le signifié, terme qui ne convient
pas à la chose elle-même, etc. Tout cela est bel et bon, mais, à nos yeux,
il s'agit de dissertations d'école dont le pouvoir opératoire est nul, du
moins sur notre chantier. Il nous suffit de connaître que la science des
mots et celle des choses ont, par leur alliance, créé des monuments comme
le Sprach- und Sachatlas Italiens und der Sù'dschweiz de J. Jud et
K. Jaberg (Zofingen-Suisse, Ringier C°, 1928 suiv.) [= Atlas Halo-
Suisse ou A IS] et le Glossaire des patois de la Suisse romande de L. Gau-
chat, J. Jeanjaquet et E. Tappolet (Neuchâtel-Paris, Attinger, 1924
suiv.). La tâche des enquêteurs et des rédacteurs est de présenter d'une
part les mots et d'autre part, mais conjointement, tout ce qu'on peut
apprendre touchant les choses. Il appartient au lecteur de découvrir
s'il y a une relation, ou s'il n'y en a pas, entre la nature des objets et leur
dénomination. Dans VALG, une planche montre tout un fouillis de jougs

73
de conceptions très variées, et pourtant la carte linguistique a partout
le continuateur du latin jugum et ses dérivés. Les dénominations de
l'araire procèdent d'étymons fort divers, groupés en aires géographiques;
mais, sauf dans les Landes, il ne semble pas y avoir de liens entre les types
d'araires et leurs noms. Au contraire, à chaque sonnaille correspond un
nom particulier, attaché non seulement à la forme, à la matière et à la
sonorité, mais à la fonction. Le nom du frein veut dire « entrave » ou
« enrayoir », alors que la retenue du véhicule par le procédé brutal de
l'enrayage (barrer les rais avec un bâton ou une chaîne) est presque partout
oublié : la fonction n'ayant pas changé, on a fait l'économie d'un mot
nouveau. Délimiter l'aire où le tourbillon s'appelle « sorcière » est la
première chose à faire; mais il serait absurde de ne pas relever et rechercher
les mythes qui supportent cette appellation. Ce sont là des faits de langage
tout aussi dignes de considération que les structures syntagmatiques
dérivées, par ex., et on ne voit pas comment on pourrait donner aux gens
le moyen d'y accéder sans les informer du concret. Et aussi, nous faisons de
l'ethnographie pour l'ethnographie. Jamais un enquêteur ne se dira :
« Cet objet, cette coutume, ce dicton ne peut avoir la moindre relation
avec le langage; par conséquent, passons », parce qu'en vérité il n'en sait
rien, et pour d'autres raisons, que nous tâcherons d'exposer brièvement.
Il serait souhaitable que l'investigation ethnographique fût confiée
à des spécialistes et non à des dialectologues, dont le savoir et le
savoir-faire, en la matière, ne sont qu'empiriques et autodidactiques.
En France, cette mission reviendrait naturellement au Musée des arts
et traditions populaires, institution dirigée par des savants éminents,
dotée de chercheurs hautement spécialisés mais trop peu nombreux, qui
ne peuvent opérer que par enquêtes ponctuelles ou limitées à de petites
aires. Le projet d'un atlas ethnographique couvrant toute la France se
heurterait au refus indigné des autorités financières; seul un pays
relativement petit, comme la Suisse, peut se payer ce luxe. Et puis, il faut
faire vite : la technologie agricole subit une mutation catastrophique,
au sens naturaliste de l'adjectif, le folklore dépérit, partout objets et
façons changent. Durant les planifications et les tractations budgétaires
interminables et sans doute vouées à l'échec, ce qui subsiste de la
civilisation ancienne s'effacerait. Aussi fut-il décidé, d'emblée, de faire d'une
pierre deux coups, en conduisant simultanément la collecte dialectale
et la collecte ethnographique. A l'expérience, il apparaît que le défaut de
formation spécialisée ne produit pas des résultats tellement désastreux :
les enquêteurs dialectologues compensent cette tare en se tenant à la
règle « noter, dessiner, photographier tout ce qui se présente, et faire sortir
de l'ombre tout ce qui ne se manifeste pas spontanément ». On enregistre
au magnétophone les récits de travaux tombés en désuétude, par ex. la
sériciculture, la confection du toit de chaume ou celle du fromage, la
culture et le traitement du chanvre; on dessine les charpentes, même si on
n'en saisit pas bien la structure; le char à quatre roues dans tous ses détails,

74
même si on n'en comprend pas nettement la mécanique; les ruches, même si
on a peur des abeilles3; on note proverbes et recettes, et on les sollicite. Il
ne reste plus au rédacteur et au dessinateur qu'à insérer ces données dans
l'atlas sans que la dominante linguistique s'en trouve affectée. A propos
des illustrations : nos enquêteurs ne sont pas en mesure de relever des
dessins vraiment technologiques, c'est-à-dire par projection orthogonale
de plusieurs plans, les seuls qui permettent une reconstitution fidèle. Tous
nos croquis sont en perspective, à l'effet, et souvent tirés de photographies.
Néanmoins, le lecteur a sous les yeux des représentations réalistes et
suffisamment évocatrices. En principe, les mesures des objets sont relevées,
de sorte que la restitution n'est pas absolument impossible : d'après un
dessin coté, on a pu exécuter la maquette convenable d'un véhicule
assez compliqué (ALG). C'est pourquoi tous les atlas régionaux de France
sont intitulés « atlas linguistique et ethnographique ». Mais on
supprimera « ethnographique » dans le volume qui ne traitera, par ex., que
du verbe.
En somme, pour ce qui est du sens, les atlas usent de trois sortes de
referents : 1. le mot de la langue de départ (dans notre cas le français),
comme dans les petits dictionnaires de poche. C'est le titre de la carte,
et bien souvent, ce réfèrent est suffisant (pain — vin — tête — nez —
vendredi — je tousse — veuf); d'autres fois, il est inadéquat, parce
que le français découpe les signifiés autrement que ne fait le vernacu-
laire. — 2. le réfèrent-définition. C'est la « question indirecte », en général
libellée en tête de l'exergue; ou bien, dans les cartes inverses, c'est-à-dire
celles où les divers sens d'un mot vernaculaire sont précisés et localisés,
les définitions données par les informateurs à la question : « Que veut
dire tel mot de votre patois? » Les réponses sont alors reproduites telles
quelles, et on voit que la méthode tient à la fois de la sémantique par
définitions et de la sémantique du comportement. — 3. le réfèrent déictiqne,
montré sous la forme d'un croquis. Dans la pratique, le réfèrent 1 figure
dans toutes les cartes : un titre est indispensable, ne serait-ce que pour
dresser la table alphabétique; il est remplacé, dans des cas exceptionnels,
par un chiffre renvoyant à un dessin (les pièces du char, dans Y ALG :
il en existe bien une nomenclature française, mais elle n'est connue que de
quelques très vieux charrons ayant fait leur tour de France). Les réfé-
rents 2 et /ou 3 viennent préciser 1, non pas selon un règlement dogmatique,
mais d'après le jugement de l'auteur. Et on voit que les referents 2 et 3
ne sont autres que ceux des dictionnaires encyclopédiques.

3. Dans le livre d'É. Legros, Sur les types de ruches en Gaule romane et leurs noms
(Liège, Éditions du Musée wallon, 1969, 132 p.), hors de la Belgique et de la Suisse,
toute l'illustration provient des atlas linguistiques français par régions.

75
a) Méthodologie et substance des atlas linguistiques par régions.
La première étape est l'établissement du questionnaire. En effet,
si on peut extraire de la traduction d'un même texte des informations
phonétiques cohérentes 4, il n'en va pas de même pour le lexique et la
morphologie : à chaque localité il faut rechercher l'équivalent vernaculaire
d'une longue série de notions limitées ou prégnantes.
En France, il y a lieu de distinguer trois zones concentriques : les
questionnaires et la méthode d'enquête n'y sont pas les mêmes. Zone I :
la périphérie, où les parlers vivants sont en réalité des langues très
différentes du français (wallon, lorrain des Vosges; domaines occitan, franco-
provençal, germanique, basque). Les informateurs étant des bilingues
vrais, il suffît en général de leur demander la traduction vernaculaire
d'un mot énoncé en langue véhiculaire, quitte à procéder par périphrases
ou définitions quand le terme officiel a toutes chances d'être inconnu
(notamment, en matière de technologie). Zone II : le gros des dialectes
d'oïl, presque partout en déclin, et qui ne se différencient guère du
français que par des traits phonétiques et par des éléments lexicaux. Là, il
est absolument nécessaire de ne poser que des questions indirectes, c'est-
à-dire périphrastiques et descriptives, sous peine de n'obtenir que la
répétition du mot français plus ou moins patoisé. De plus, dans certaines
régions (Artois et Picardie, Haute-Normandie), les patois sont tombés
en désuétude; il faut alors s'adresser à de vieilles gens qui les ont parlés
dans leur jeunesse, les interroger avec patience, guider leur mémoire.
Des trois, la zone I est, de tout point de vue, la plus facile (à une
exception près, constituée par une partie du francoprovençal). La tache blanche
du francoprovençal, à quoi nous venons de faire allusion, c'est le Jura,
où les parlers se sont éteints depuis longtemps pour des raisons mal
élucidées. Dans l'équipe des enquêteurs des atlas régionaux, la palme des
afflictions revient certainement à J.-B. Martin, qui dut découvrir les
quelques octogénaires et nonagénaires qui avaient parlé patois en leur
adolescence, les voiturer, les interroger avec mille précautions. Zone III :
les ci-devant Seine et Seine-et-Oise, plus partie ou totalité des
départements limitrophes. Il semble paradoxal qu'on parvienne encore, dans les
années 60 et 70, à récolter du patois en vue de la tour Eiffel, dans le
berceau même de ce dialecte francien qui devait devenir la langue nationale.
C'est pourtant ce que fait avec succès Mme M.-R. Simoni-Aurembou,
et H. Bourcelot avait réussi la même performance à 35 km à l'est de
la capitale. En la conjoncture, tout tient à l'habileté de l'enquêteur et
à l'adéquation du questionnaire. Il fallait d'abord dresser l'inventaire des
notions désignées par des termes dialectaux, pour laisser de côté celles
dont le lexeme figure dans le Larousse. R. Loriot, professeur à
l'université de Dijon, eut l'idée de dépouiller les glossaires patiemment constitués

4. Par ex. J. Allières, Petit atlas basque « Sacaze » (Toulouse, Via Domitia, 1960
suiv.).

76
par des amateurs locaux. Comme la très grande majorité de ces glossaires
sont restés à l'état manuscrit, R. Loriot et ses disciples durent les faire
sortir des placards et des greniers où ils moisissaient, au prix d'une quête
harassante. Il faut dire bien haut ce que la dialectologie d'oïl doit à ce
maître, lui-même inlassable enquêteur des parlers picards.
On trouvera peut-être que nous faisons beaucoup de personnalités
dans cet exposé. Mais il y a un abîme entre l'existence des linguistes de
cabinet et celle des linguistes de terrain; ceux-là publient beaucoup, leurs
noms sont connus; ceux-ci peinent en déplacement, tout leur temps est
pris par des tâches aux résultats lointains, de sorte qu'ils figurent
rarement aux sommaires de nos périodiques : l'occasion se présentant, il est
bon de corriger leur injuste sort 5.
Les auteurs et enquêteurs des atlas linguistiques de la France par
régions sont astreints à des règles communes qui, tout compte fait,
perpétuent ce qu'avaient de bon les principes deGiLLiÉRON amendés par Jud
et Jaberg. On procède toujours par points de sondage, et il appartient
aux responsables de détecter, par une enquête préliminaire et brève, les
points représentatifs des subdivisions dialectales et, par conséquent, de
fixer eux-mêmes l'équidistance moyenne des localités, qui varie d'un atlas
à l'autre et même à l'intérieur d'un même atlas, suivant la densité de la
population et suivant le degré de variété des parlers. Il est évidemment
souhaitable que les atlas régionaux aient en commun un très fort
contingent de signifiés, afin qu'on puisse comparer telle région à telle autre.
U ALF, étant national, continue à répondre à ce besoin, plutôt pour la
consultation cavalière : l'ensemble reste solide, mais on tombe çà et là
sur des détails douteux, et l'échantillonnage s'est révélé insuffisant;
toutes raisons qui, nous l'avons vu, ont incité Dauzat à créer le Nouvel
atlas. Le problème du fonds commun à tous les atlas est d'ailleurs un faux
problème, qui ne demande aucune mesure spéciale; par la force des choses,
les mêmes signifiés se retrouvent dans tous les atlas : il n'est que de
consulter les indications bibliographiques qui, dans chaque carte, renvoient à
telles pages des atlas déjà publiés. Il arrive qu'on découvre une carte
sans références, mais le cas est assez rare et concerne presque toujours
une « spécialité locale » (objet, coutume ou notion). Dauzat avait dressé
un questionnaire commun à tous les atlas régionaux, qui permettait
toutefois de traiter différemment certains chapitres. En fait, le questionnaire
de Dauzat n'a servi que pour les trois premiers volumes de Y AL G. D'autres
dialectologues (Gardette, Nauton) s'étaient tout de suite aperçus que
le questionnaire de Dauzat était encombré de trop de mots déjà traités
dans Y ALF — Dauzat croyait en effet qu'il importait de reprendre une
grande partie de Y ALF; mais les défauts de cet atlas sont trop
clairsemés pour justifier pareille entreprise — ; on vit aussi que le
questionnaire de Dauzat omettait une foule de choses représentées dans les voca-
5. Précisons que nous sommes nous-même, depuis bien des années, un chercheur
sédentaire.

77
bulaires respectifs des régions. Les volumes I à III de VALG furent bien
accueillis; mais la parution des atlas du Lyonnais (ALLy) et du Massif
central (ALMC) révéla de graves lacunes, si bien que la Gascogne dut
être explorée une deuxième fois au moyen d'un questionnaire
complémentaire, qui engendra trois nouveaux volumes.
Les atlas français restent fidèles à la représentation directe : les formes
doivent être portées intégralement sur la carte, sans transformation
symbolique compliquant et ralentissant la lecture. On utilise toujours le
système phonétique imaginé par l'abbé Rousselot et repris par Gillié-
ron. Il a ses avantages et ses inconvénients. Comme il s'écarte le moins
possible des valeurs des graphèmes français, les lecteurs francophones
ont peu à faire pour s'y accoutumer; par contre, les autres préféreraient
le système international (IPA). Partout le fond des cartes, qui porte les
limites des départements, les numéros conventionnels des localités et le
cours des grands fleuves, est de couleur orangée, à l'exemple de l'atlas
Jud-Jaberg (AI S). Cette teinte contraste avec les écritures noires et
avec le papier blanc sans trop attirer le regard. Les fonds bruns ou bleus
sont moins lisibles et les rouges, assez fatigants, ne sont adoptés que par
les atlas à chiffres serrés et petits (Alsace, Pyrénées orientales). Les titres
des cartes sont imprimés en caractères typographiques, et aussi,
actuellement, les explications et les compléments donnés en exergue, parfois
très denses; mais les formes elles-mêmes sont calligraphiées à la plume
— à main levée ou à l'aide de pochoirs — , ce qui offre toutes latitudes
dans les genres d'écritures et pour la multiplication des signes, alors que
Y ALF, entièrement composé en caractères typographiques, ne disposait
que d'une police unique et forcément limitée, en dépit de son extrême
complexité.
Mais le principe fondamental, hérité de Gilliéron et qui ne souffre
jamais le moindre accroc, c'est le « postulat d'objectivité », au sens épis-
témologique où le définit J. Monod : « le refus systématique de considérer
comme pouvant conduire à une connaissance ' vraie ' toute interprétation
des phénomènes donnée en termes de causes finales, c'est-à-dire de '
projet '» 6; et au sens vulgaire: il existe d'une part l'objet (le fait dialectal),
d'autre part le sujet (l'enquêteur), et celui-ci a pour devoir de reproduire
cela en réduisant au minimum l'équation personnelle. Attitude paradoxale,
spécialement en matière de phonétique, puisque la notation n'est rien
d'autre qu'une perception sensorielle codée, qu'elle soit directe — de
bouche à oreille — ou par le moyen du magnétophone. Pour ce qui regarde
la façon d'enquêter, notre souci d'objectivité est exactement le même que
celui de Gilliéron : ne pas influencer l'informateur; la différence consiste
en ce que Gilliéron se donnait comme impératif de ne gratter que la
surface, alors que nous recherchons aussi en profondeur. Comment
concilier? Comment « retourner le témoin sur le gril » sans créer des artefacts?

6. Le hasard et la nécessité (Paris, Le Seuil, 1970, 197 p.), p. 32.

78
Comment lui faire dire tout ce qu'il sait sans lui extorquer ce qu'on
voudrait qu'il sût? C'est là tout le problème et tout l'art de l'enquêteur;
chacun a ses recettes, ses habiletés, variant selon les milieux et selon la
personnalité des témoins, vertus qui supposent une vocation et qui exigent
des degrés peu ordinaires de patience et de sociabilité. De son côté et
toujours pour le même principe, l'auteur-rédacteur s'astreint à reporter
dans les cartes tout ce qu'a donné l'informateur, y compris le français
patoisé du « premier jet »; jamais il n'apporte la moindre retouche à la
matière procurée par l'enquêteur, même si l'erreur lui paraît évidente.
Il lui est loisible d'élaborer des données pour en faciliter la lecture et
l'exploitation, notamment à la fin de l'ouvrage par des traitements numériques
ou en rassemblant des faits épars, mais en s'y prenant de sorte que le
lecteur puisse contrôler toutes les sources et refaire lui-même les
opérations à sa guise. Il s'abstiendra de tout commentaire étiologique ou
génétique, à plus forte raison téléologique. Rien toutefois ne lui interdit
de formuler des interprétations personnelles, fussent-elles délirantes, à la
condition que ce soit en dehors de l'atlas 7.
Sur le modèle de VAIS de Jud et Jaberg, les cartes doivent être
publiées selon des groupements logiques et naturels, autrement dit par
champs sémantiques : « les animaux sauvages »; «les arbres et les plantes
sauvages »; « les plantes cultivées et l'agriculture »; « les animaux
domestiques »; « le corps humain »; « la maison »; etc. L'ordre alphabétique,
qui était celui de Y ALF, est proscrit; mais une table alphabétique
permet de chercher les numéros correspondant aux titres.
En dehors de ces quelques contraintes, les responsables des atlas
régionaux ont toute initiative. Pas de prescriptions générales pour le
choix des informateurs, si ce n'est qu'ils doivent être natifs de la localité
représentée, ou tout au moins y être venus en bas âge. Le bon sens dicte,
s'agissant de techniques agricoles, de s'adresser à un cultivateur de
préférence à un notaire. Pour le temps d'exécution, étant évident qu'on
ne peut se permettre d'étirer indéfiniment les délais, les plannings sont
libéraux : tel enquêteur va vite, parce qu'il est robuste et qu'il opère en
milieu facile, tel autre va plus lentement, parce que ses forces et son
tempérament ne lui permettent pas de faire mieux, ou bien parce qu'il
prospecte un domaine où les dialectes s'éteignent. Les échelles des cartes
diffèrent d'un atlas à l'autre, proportionnellement à la surface du territoire
et à la variété des parlers; l'inconvénient n'est que théorique, puisque
raccorder des cartes de domaines voisins, comme on peut le faire des
coupures des cartes IGN (Institut Géographique National), ne serait
qu'une vue de l'esprit; et s'il faut mesurer des distances géographiques, il
suffît de se fabriquer des « piges » correspondant aux échelles des divers
atlas. Contrairement à Г ALF, les atlas sont publiés sous forme de volumes

7. Si tel volume d'un atlas constitue une thèse de doctorat, on exige


naturellement un commentaire personnel, qui est alors présenté séparément : cas du vol. V
de VALG, par J. Allières.

79
reliés, à l'exception d'un seul, dont l'auteur reste fidèle aux feuilles
détachées, arguant que la confrontation des cartes est ainsi plus facile.
Certains enquêtent à la manière d'EDMONT, le crayon à la main,
notant sur place les réponses du témoin et les diverses informations
(méthode directe). La plupart préfèrent enregistrer toute l'enquête
sur bandes magnétiques (méthode indirecte). Ce procédé a de grands
avantages : il libère l'enquêteur du souci de la notation phonétique;
il dispense du choix (savoir ce qu'il faut prendre et ce qu'il faut laisser),
puisque tout est emmaganisé, choix qui donnerait lieu, bien souvent, à
des regrets et à des repentirs vains; le magnétophone permet de transcrire
d'une façon plus fine et sans doute plus objective, puisqu'on peut lui faire
répéter indéfiniment et sans changement un mot, un passage où la
segmentation et la reconnaissance des sons présentent des difficultés (il est
évidemment nécessaire que le matériel soit d'excellente qualité : l'idéal
est représenté par le camion-cabine qu'utilise l'équipe de l'atlas alsacien).
La méthode indirecte abrège considérablement le temps de l'enquête,
du moment que l'enquêteur n'a rien à écrire; enfin, elle permet de tout
conserver, de tout archiver, de sorte qu'on peut à chaque instant vérifier,
voire corriger un détail en se retrouvant dans le réel vécu et intégral
que le temps ne peut abolir 8. Mais le temps gagné sur le terrain est
largement reperdu dans le travail de transcription (il est en effet inconcevable
de cartographier directement à partir des bandes magnétiques) : à
chaque instant, le transcripteur arrête son magnétophone et le fait répéter,
par scrupule d'exactitude. A ce propos, une observation incidente : certains
spécialistes de la phonétique instrumentale éprouvent quelque méfiance
pour les notations des atlas, toujours faites à l'oreille, que ce soit par la
méthode directe ou par l'autre. Ces craintes ne sont pas justifiées : grâce
à l'entraînement, l'oreille parvient vite à entendre des nuances très fines
et fidèlement perçues; performance non pas analogue, mais identique à
celle du bon musicien qui distingue immédiatement le timbre d'un
violoncelle de celui d'une viole de gambe, le timbre d'un hautbois moderne
de celui d'un hautbois d'amour.
Quand une donnée est identiquement commune à plusieurs localités
contiguës, on l'écrit une seule fois en gros caractères, et on entoure d'une
ligne la surface où elle domine. Les écarts ponctuels sont alors notés en
petite écriture. Ceci a pour but de faciliter la lecture et aussi d'alléger la
tâche du cartographe. Mais certains auteurs préfèrent répéter la donnée
à chaque localité, par scrupule d'objectivité, par crainte de suggérer au
lecteur des aires et des isoglosses.
Est réputé auteur d'un atlas celui qui dirige l'entreprise, procède à
8. Sur l'enquête indirecte, v. G. Hammarstrôm, Études de phonétique descriptive
sur les parlers de l'Algarve [chap. II] (Uppsala, Almqvist et Wiksells, 1953), et «
Importance des enregistrements et de la transcription phonétique indirecte pour la
dialectologie » (in Studia Neophilologica, Uppsala, 1955, p. 43-53); M. Companys, Les
nouvelles méthodes d'enquête linguistique (Toulouse, Via Domitia, 1956, p. 89-138, et
1958, p. 51-167).

80
la cartographie, à la mise en page, conçoit et rédige les légendes et
compléments. Toutefois et presque dans tous les cas, l'auteur est aussi enquêteur
pour une part ou pour l'ensemble du domaine. Dans la méthode indirecte,
la transcription des phonogrammes incombe le plus souvent à l'auteur.
Il arrive aussi que l'atlas soit publié sous les noms de plusieurs auteurs
collaborant.
Pour ne s'en tenir qu'aux atlas publiés ou en cours de publication, la
personnalité des auteurs s'y donne libre cours par certaines tendances ou
préférences, sans que les divers aspects du langage soient pour autant
défavorisés. h'ALMC renferme une documentation ethnographique dont le
niveau ne sera sans doute jamais dépassé. UALCB montre une vive
curiosité pour tout ce qui touche à l'ethnographie « intérieure » (proverbes,
folklore, médecine populaire). Dans YALCe, on remarque le sens du
schéma, de la synthèse et une grande finesse dans la recherche des concepts
et du vocabulaire endémiques. L'ALLî/, le premier paru, réalise un bel
équilibre de tous les éléments. L'atlas alsacien s'attache à une
représentation très serrée et minutieuse. Le premier volume de VALO est
admirablement adapté aux particularités du lexique agricole de cette région,
particularités liées à l'humidité du climat. Par chance, le premier volume
de VALJAcomprend aussi le champ sémantique du foin : quel contraste
avec VALO! Ici les plaines du Poitou, là les plus hautes montagnes de
France. Ce rapprochement justifierait à lui seul l'entreprise des atlas
régionaux, et démontrerait en même temps l'excellence des enquêteurs
intimement liés au pays et au langage qu'ils décrivent. UAL G n'a pas
de spécialités notables, si ce n'est l'abondance de l'illustration et le fait
que, sur les six volumes, deux sont entièrement consacrés à la grammaire.

b) La primauté du lexique.
Gilliéron s'était donné pour mission de recueillir des mots et
uniquement des mots (nous dirions des lexemes) : savoir, par ex., comment
on nommait l'abeille dans le domaine gallo-roman; et puis comment
on appelait le maïs et comment se disait aiguiser, etc. Très rarement,
il faisait rechercher quelques tiroirs de verbes, les plus usuels et les plus
lexicalisés (avoir, être), toujours d'un point de vue parcellaire, sans se
préoccuper aucunement des systèmes ni des paradigmes. De sorte que
VALF apparaît comme un dictionnaire français-dialectes où chaque
article, au lieu de donner les traductions en composition typographique
compacte, les présente sous forme de cartes géographiques, le titre français
de la carte jouant le rôle de la vedette dans le dictionnaire. Et il faut bien
reconnaître que les nouveaux atlas régionaux procèdent toujours du même
principe : en dépit de changements importants, le primat du lexique reste
écrasant. Pourtant, nous ne ressentons de cela aucune culpabilité. D'abord
parce que la fonction primaire du langage — primaire dans toutes les
valeurs du terme — est sans aucun doute la communication; et parce
que ce sont les lexemes qui, dans une proportion massive, permettent à

81
LANGUE FRANÇAISE П0 18 6
l'émetteur de communiquer son expérience au récepteur. Tout ce qui n'est
pas lexical est secondaire, a pour utilité d'affiner la communication et
surtout constitue l'élément principal de la deuxième fonction, celle du
démarquage ethno-social. Il s'agit là d'une certitude de sens commun que
tout le monde peut vérifier dans la vie quotidienne. Elle a été démontrée
expérimentalement par X. Ravier 9, qui a mis en communication, par
le moyen du magnétophone, des locuteurs dialectaux distants d'environ
200 km. Chaque témoin écoutait deux phonogrammes : l'un décrivait un
travail agricole, ce qui concentrait tout de suite l'attention de l'auditeur
sur un thème; l'autre, entièrement libre, relatait un événement
quelconque. Le niveau de compréhension fut mesuré par une méthode
précise. Il en résulta que l'intelligence globale fut partout positive : le témoin
appréhendait le contenu d'après des éléments lexicaux, même quand la
différence phonologique était importante. Par contre, il se produisait un
« blanc » quand un lexeme lui était inconnu. Quant à la grammaire
(morphologie, syntaxe), pourtant tout autre que la sienne, elle était reçue
comme un bruit à peine gênant et bientôt inaperçu.
Et la phonétique, synchronique ou diachronique? Comme Gilliéron,
d'emblée, avait exigé une transcription extrêmement fine (d'une finesse
malheureusement irréalisable dans trop de circonstances), le matériel
lexical que récoltait Edmont portait du même coup toute l'information
souhaitable. Par ex., si on veut étudier dans le domaine gallo-roman le
traitement de о ouvert du roman commun suivi de yod, il n'y a qu'à
chercher et confronter les cartes des mots comportant ce phénomène :
aujourd'hui, pluie, huit, nuit, etc. Si les cartes sont mononymes,
c'est-à-dire si l'étymon est le même dans tout le domaine, tout va bien;
mais s'il se trouve des variations lexicales — par ex., dans la carte
aujourd'hui — , l'investigation phonétique fera buisson creux sur les aires où le
lexeme n'est pas le représentant du latin hodie. Le plan lexical provoque
ainsi des réactions contradictoires de la part du consultant : s'il est occupé
à un travail de géographie lexicale, il jubilera en lisant les cartes qui offrent
quantité de lexemes différents et considérera les cartes mononymes
comme du papier gâché. Le même consultant, quelque temps plus tard,
étudiant un problème de phonétique, maudira les cartes polyonymes
qui lui interdisent de suivre le fait en continuité. Pour parer à ce dernier
désagrément, le premier volume de l'atlas wallon est fait de toute une
série de cartes mononymes (de même, en Espagne, YALPI); ou bien
l'auteur, qui est l'homme du monde connaissant le mieux son atlas,
prend la peine de traiter lui-même dans des cartes spéciales tous les
problèmes de phonétique et de phonologie, en citant les références des cartes
lexicales où il a puisé sa documentation (ALG, VI).
Le lexique a donc un rôle primordial. Ce qui ne signifie pas qu'on
néglige les autres composantes du langage. Une suite de lexemes donne
9. Actes du colloque du C.N.R.S. sur les atlas linguistiques par régions, Strasbourg,
mai 1971 (sous presse).

82
un message intelligible, mais fruste; à moins d'être justement fournies
par des éléments lexicaux, les informations touchant le nombre, les
personnes, les temps, les articulations logiques de la phrase font défaut
ou doivent être restituées grâce au contexte. Mais c'est au plan de la
typologie linguistique, de la discrimination des groupes que la
morphosyntaxe et la phonologie interviennent comme critères maîtres. Si je dis,
par ex., devant une classe d'enfants : « Janine a acheté un *érodin », je
provoquerai seulement la perplexité : « Qu'est-ce que c'est, un érodin? »
Mais si je dis : *« Janine, il s'a oun vert tchapeau achetu », ce sera un
éclat de rire, et pourtant tout le monde aura compris. Le rire est le propre
de l'homme. Mais parmi les innombrables motifs qui le déclenchent, ne
s'agirait-il pas, dans ce cas, de l'adaptation inoffensive d'un comportement
d'exclusion qui se traduit chez d'autres espèces par des coups de bec ou
de griffes? Un Italien et un Espagnol peuvent « se comprendre » grâce
au fonds lexical commun, auquel le rideau phonologique est transparent;
mais les différences phonologiques, morphologiques et l'agrammaticalité
des énoncés enseignent sur-le-champ aux deux interlocuteurs qu'ils parlent
deux langues différentes et de tout temps cataloguées comme telles. Il
n'en va pas autrement entre deux ruraux qui conversent dans leur ver-
naculaire : toutes choses étant égales, il suffit que l'un dise, pour « je suis »,
[ké so] et l'autre [ké soy] pour qu'ils éprouvent le sentiment d'être
membres de deux communautés distinctes, avec le cortège des affects
vagues, fugaces, mais réels qui accompagne ce constat. Il faut ranger
phonologie et morpho-syntaxe parmi ces « bonnes manières », qui, selon
K. Lorenz, « sont par définition celles du groupe humain auquel on
appartient. Nous nous y conformons automatiquement sans en général
nous rendre compte qu'en fait elles inhibent l'agressivité et constituent
un lien 10 ».
Dès lors, que les atlas négligent la grammaire apparaît comme une
lacune très grave, puisque leur fin est de montrer la différence sous tous
ses aspects. Cette carence s'explique par la méthode d'enquête sur
questionnaire. Elle convient parfaitement pour recueillir le lexique, et même
certains paradigmes, notamment ceux du pronom, des actualisants et
du verbe. Jusqu'ici, la collecte systématique de la conjugaison dialectale
n'a été faite, en France, que par Nauton (ALMC). Mais les flexions
sont présentées en tableaux; les groupements géographiques ne sont
respectés que par hasard, et, à chaque instant, l'exposé linéaire brise
l'unité spatiale : en fait, c'est tourner le dos à la méthode géographique.
Pour la première fois, J. Allières convertit un verbe dialectal en cartes
(AL G, V, 465 cartes), mais au prix de quelles difficultés d'analyse et
d'exécution, et inévitablement de lecture pour le consultant! Tout ce qui
a été saisissable de la morphologie du gascon, notamment la
morphosyntaxe du pronom (et ce n'est pas une mince affaire) est rédigé en cartes
10. In J. Huxley, Le comportement rituel chez l'homme et chez l'animal (Paris,
Gallimard, 1971, 419 p.), p. 59.

83
(AL G, VI), à l'exemple de L. Remacle (ALW, II), mais d'une façon qui
se voudrait exhaustive. Par contre, la syntaxe proprement dite, en dehors
de quelques traits épais, échappe à l'enquête par questionnaire. Si on
demande aux informateurs de traduire dans leur dialecte des énoncés en
français standard, on n'obtient aucune différence dans les régions
centrales, et, dans les régions périphériques, on provoque souvent des calques.
Les discours sollicités, comme ceux qui ont servi de tests à X. Ravier,
bien qu'ils soient libres, présentent une syntaxe monotone et appauvrie.
Le seul moyen est d'écouter du langage spontané, des conversations entre
patoisants. C'est ce que fit L. Remacle des années durant : les fruits en
sont les trois volumes admirables de la Syntaxe du parler wallon de La
Gleize; Ch. Camproux profita de ses enquêtes phonétiques en Gévaudan
pour noter tout ce qu'il put en matière de syntaxe, et il en fit un bon
livre (voir, ci-dessus, l'article de J. Picoche). Mais comment procéder de
façon systématique sur tout le territoire national en suivant la maille
des enquêtes lexicales? On se heurte à des difficultés techniques
décourageantes. L'emploi du magnétophone va de soi. Mais où et comment?
Dans les lieux publics, tels les salles de café? Mais tout le monde y parle
à la fois, et le magnétophone, incapable de séparer les plans, restitue une
bouillie inexploitable. La stéréophonie, d'une efficacité d'ailleurs relative,
exigerait des installations coûteuses et de nature à inquiéter les
consommateurs. Pour les enquêtes en vue de Y Élaboration du français élémentaire
(Paris, Didier, 1950), des magnétophones avaient été placés dans des
enceintes moins turbulentes, par ex., des salons de coiffure, et cette
méthode a fourni un bon corpus, du moins pour le comptage lexical.
Mais il n'y a pas de coiffeur dans les villages où l'on a le plus de chances
d'entendre de la syntaxe endémique. Restent les propos au foyer. La
morale excluant l'usage des gadgets d'espion, il faudrait obtenir d'une
famille, à chaque point d'enquête, que le magnétophone fût mis en
enregistrement durant les repas, et cela pendant des jours et des semaines,
car les faits syntaxiques intéressants n'apparaissent dans le discours que
suivant les caprices du hasard, de sorte qu'il faudrait constituer et
dépouil er un corpus énorme, où l'inutile l'emporterait sur l'utile dans des
proportions accablantes. Ajoutons les nécessités financières, et il apparaît
qu'une telle campagne ne peut que rester à l'état de projet. Il faut donc
se contenter de sondages lents et isolés, comme à La Gleize, ou des
traductions de la parabole de l'Enfant prodigue qu'on enregistre à tous les
points d'enquête dans le domaine d'oc : texte beaucoup trop bref et dont
le cadre préformé bride la spontanéité; seules y résistent les structures
syntaxiques fondamentales, tandis que les traits plus fragiles
s'évanouissent.
V. Des atlas linguistiques, pour quoi faire?
Question horripilante, immédiatement suivie de la glose : « Au fond,
ce n'est que pure curiosité » (in petto, « vaine curiosité »). Faut-il, une

84
fois de plus, reprendre l'antienne? La curiosité désintéressée est toujours
à l'origine des découvertes applicables; faute de cette curiosité, le progrès
général de l'humanité a cheminé, durant des millénaires, à train d'escargot;
la prodigieuse expansion de la connaissance, dans les trois derniers siècles,
est due au libre exercice de la recherche fondamentale, etc. Nous
préférons renvoyer aux pages lumineuses où K. Lorenz montre que la curiosité
est un comportement propre aux vertébrés en leur état juvénile (cervidés,
chats, singes et d'autres), mais que cette curiosité s'émousse ou disparaît
à mesure que l'animal devient adulte, puis vieillit; qu'au contraire, c'est
une particularité de l'homme que de se maintenir en cet état juvénile,
ou néoténie, sa vie durant, surtout en ce qui concerne la quête et le
déchiffrement de l'inconnu; et qu'en somme, le degré d'hominisation est
directement proportionnel au degré de curiosité n. A quoi il conviendrait peut-
être d'ajouter une restriction et un corollaire. Cet appétit de la découverte
est loin d'être général chez l'espèce humaine : sous ce rapport, trop
d'individus présentent une sénescence précoce, et quelquefois congénitale.
D'autre part, chacun tend à considérer sa ou ses curiosités personnelles
comme nobles et dignes de tous les appuis, tandis que celles des autres
seraient futiles ou même blâmables.
Procédons, car les atlas linguistiques ont aussi d'autres raisons d'être
que la curiosité pure. On sait, et nous l'avons rappelé d'entrée en matière,
que les dialectes sont partout en perdition, que la vie rurale subit une
mutation brusque. Rien de ce que l'homme a dit ou fait ne doit sombrer
dans le néant de l'oubli. Dans tous les domaines, notamment dans celui
de l'art, on s'efforce de sauver, à tout le moins de conserver sous forme
de reproductions. L'attachement à ce qui n'est plus est un sentiment non
seulement légitime, mais essentiel au fait humain, où la part de l'inné est
extrêmement réduite à côté de l'acquis : presque tout y tient de la tradition,
de l'expérience communiquée et constamment enrichie. D'où le nombre
relativement élevé des non spécialistes qui acquièrent les atlas régionaux :
leur émotion, leur attendrissement à y retrouver des mots d'autrefois,
des objets disparus, des coutumes désuètes, tout cela est parfaitement
sain et naturel, et n'implique pas forcément le misonéisme.
Les mêmes raisons valent dans le domaine scientifique. En dernière
analyse, les atlas linguistiques constituent un département de l'histoire,
limitrophe de l'archivistique et de la muséographie; une autre version du
musée ethnographique et surtout du musée de la parole, mais conçue
sur un plan tout autre, collectionnant des faits bien plus nombreux et
reflétant une prospection géographique plus serrée.
Mais c'est évidemment la linguistique qui a le droit le plus évident
de demander aux atlas leur justification. Il y a d'abord le fait dialectal,
massif, gigantesque, à l'échelle du globe, encore énigmatique en son étio-
logie et son fonctionnement. On ne voit absolument pas pourquoi, du
11. Essais sur le comportement animal et humain (Paris, Le Seuil, 1970, 483 p.),
p. 384.

85
moins dans l'ordre de l'épistémologie, le fait dialectal serait de moindre
intérêt que d'autres aspects du langage, par ex. l'analyse approfondie
des langues standard. Certes, la prospection étiologique et fonctionaliste
y est moins avancée que dans d'autres secteurs, parce que la phase
descriptive n'en finit plus, accapare presque toute l'activité des chercheurs;
ce qui n'a rien d'étonnant quand on considère la diversité immense des
phénomènes et le foisonnement des particularités. Le concept opératoire
de base est, en dialectologie, celui de l'aire. Prenons un cas apparemment
simple : les dénominations du porc dans la Romania. Ce n'est déjà pas
un mince travail que de relever les contours et de reporter sur une carte
la multitude des désignations, et ce travail s'accompagne nécessairement
d'une recherche génétique (autrement dit étymologique), de façon à
pouvoir figurer les aires de mots apparentés par contraste avec ceux qui
procèdent d'autres souches. Mais quand on en vient à se poser la question :
« Pourquoi ceci ici et non là? », on se heurte le plus souvent à un mur.
Veut-on superposer plusieurs faits? Alors les isoglosses (les lignes
circonscrivant les aires) coïncident rarement : le plus souvent elles s'emmêlent
et se recoupent en tous sens. A ce point de la recherche, la dialectologie
se trouve affrontée au redoutable problème des frontières dialectales.
Qu'ont-elles de commun et de différent avec les frontières de langues?
Et même, existent-elles? Au moins pour des faits particuliers, l'aréologie
cherche secours dans des cartes extra-linguistiques (il en figure une série
dans bon nombre d'atlas) : savoir si telle isoglosse coïnciderait avec une
limite historique, ou avec les lignes orographiques, hydrographiques,
avec les changements de sol et de climat, dépendrait des voies de
circulation. Ces confrontations fournissent parfois — pas toujours, il s'en
faut — des explications saisissantes, mais le plus souvent bien partielles12.
Il semble qu'on doive s'orienter plutôt vers une aréologie spécifiquement
linguistique. Les limites nettes ou relatives seront recherchées non plus
dans l'empilement enchevêtré des isoglosses, mais par des procédures
mathématiques d'un tout autre ordre, et en s'attachant à la fonction
double et contradictoire du dialecte (v. p. 65) : il semble bien que l'économie
dialectale imbrique les différences, de manière à assurer la ségrégation
sans nuire pour autant à l'intercompréhension. Ces démarches devront
prendre en compte la totalité des faits de tout ordre, et non pas se fonder
sur quelques traits, phonétiques ou lexicaux, arbitrairement retenus
comme typiques. Ceci pour la définition savante des groupes dialectaux
et de leurs limites. Mais il y a le point de vue des usagers, qui constitue
lui-même un objet d'étude; bien souvent, ils perçoivent l'altérité d'un
parler grâce à des traits peu nombreux, voire à un trait unique qui peut
paraître minuscule au linguiste. On aurait ainsi deux aréologies : l'une

12. V. à ce sujet H. Bourcelot, L'Atlas linguistique et ethnographique de la


Champagne et de la Brie et les limites linguistiques (in Langue française, n° 9, février 1971,
p. 82-92).

86
scientifique, l'autre naïve, et il serait intéressant de voir si elles sont
identiques, semblables ou différentes.
Avec les atlas linguistiques, 1 'etymologie a fait un bond en avant.
Innombrables sont les monographies, brèves ou de longue haleine, qui
procèdent des matériaux des atlas. Certes, les très nombreux dictionnaires
et glossaires régionaux ou locaux avaient déjà fourni le corpus massif
des parlers gallo-romans, comme on peut s'en rendre compte en lisant le
monumental Franzôsisches etymologisches Wôrterbuch de W. von
Wartburg (Tubingen, puis Bâle-Paris, 1922 suiv.) ; mais les atlas apportent
des compléments, et, surtout, la méthode géographique possède des vertus
incomparables : tel mot, considéré isolément, constitue une énigme
étymologique, qui se résout toute seule à la vue de ses avatars voisins. En matière
de morphologie, le contenu des enquêtes dialectologiques paraît souvent
absurde, invraisemblable : on en vient à se demander si l'informateur,
mis en demeure de conjuguer tel tiroir verbal et se trouvant en détresse,
n'aurait pas un peu improvisé; de même pour les systèmes pronominaux
saugrenus (mais lequel ne l'est plus ou moins, à commencer par le
français?). Cette impression se dissipe dès qu'on cartographie et qu'on constate
que le fait présumé douteux s'étend en réalité à plusieurs localités, couvre
des kilomètres carrés, avec une fixité qui laisse pantois, et même qu'il
s'intègre à des systèmes subtilement économiques 13.
Dans le numéro 12 de Langue française (décembre 1971, p. 7),
0. Ducrot rappelait qu'en linguistique, l'expérimentation est impossible.
Mais ne pourrait-on assimiler à des protocoles d'expériences la variété
vertigineuse des phénomènes qui sont consignés dans un atlas linguistique?
Il est courant qu'un mot présente d'une localité à l'autre des distorsions
phonétiques, ou que tel système verbal, ou pronominal, se montre avec
des structures bizarres, contradictoires, pour ainsi dire chimériques,
telles qu'on ne pourrait attendre mieux d'interventions à cerveau ouvert.
Et à supposer que cette horreur devînt licite, elle ne procurerait jamais
que des faits d'idiolecte, alors que les plus étranges données des atlas
sont parfaitement socialisées : il est rare qu'un trait soit propre à une
localité unique, et, fût-ce le cas, il s'agit quand même d'une collectivité.
Autre chose : les très belles généralisations qui s'élaborent et se publient
ne concernent que des idiomes ponctuels. Que ces idiomes ponctuels
soient parlés par quelque cent millions ou seulement par deux centaines
d'individus est évidemment très différent quant à la représentativité
numérique. Mais dans les comptes de la typologie, une grammaire trans-
formationnelle du français standard et une autre du point 29 de Y Atlas
linguistique et ethnographique du Lyonnais, cela ne fait jamais que deux
grammaires transformationnelles. On n'aura le droit de parler d'uni-
versaux qu'une fois inventoriés et analysés sinon tous les idiomes du
monde, du moins un très large échantillonnage; or, les atlas linguistiques

13. V. J. Allières, ALG, t. V, volume de commentaires, p. 140 suiv.

87
offrent, sur des surfaces réduites, une profusion d'objet distincts. Certes,
nous l'avons vu, la morpho-syntaxe n'est pas le fort des atlas, encore que
certains lui fassent une bonne place : d'une façon générale, le discours y est
peu ou mal représenté, au point même qu'il nous est difficile de décrire
les effets de la sandhi. Mais la syntaxe, répétons-le, n'est qu'une des
composantes du langage, et certainement pas la composante capitale.
Les systèmes phonologiques et les structures sémantiques méritent une
attention au moins égale, et les atlas en montrent un spectre plus fin,
plus étalé, mieux ordonné dans l'espace que ne ferait toute autre
collection. Sans compter le domaine autonome de l'aréologie.
Les fluctuations actuelles de a antérieur et de a postérieur dans le
français de Paris, l'occurrence à peu près égale de il s'assied/il s'assoit,
la synonymie totale voiture = auto, la clé de l'énigme/ Clefs pour la
sémantique, sont appelées « variantes libres ». Ces faits, rares, faibles et surtout
éphémères dans les langues standard, se rencontrent bien plus
fréquemment dans les dialectes. Nous les groupons sous le terme de polymorphisme,
très usuel en sciences naturelles. Dans telle aire, le phonème /o/
posttonique s'articule avec une uniformité presque parfaite; dans une autre,
tous les informateurs font entendre, sans en avoir conscience, une gamme
de réalisations sur tous les degrés entre [à] et [o], et il ne reste plus qu'à
calculer le pourcentage respectif de chaque réalisation. Un même témoin,
après avoir conjugué un tiroir verbal, donne spontanément un paradigme
tout autre, et parfois un troisième. Certains mots, surtout les affectifs,
coexistent en une synonymie étonnante. Le polymorphisme est un aspect
du langage tout à fait réel, qu'il faut observer et étudier, qui devra livrer
ses secrets, car il est en contradiction avec la loi d'économie. Tout ce qu'on
en sait, c'est qu'il fonctionne comme prélude d'un changement à terme
plus ou moins long : la coexistence de signes équivalents se réduit par
élimination, et par une élimination aléatoire. On rencontre du
polymorphisme pour ainsi dire dans toutes les cartes des atlas, et c'est à la
dialectologie, y compris celle des argots, que la linguistique doit la
découverte de ce champ de recherches captivant 14.
Submergés par la description, aussi nécessaire qu'intarissable, les
dialectologues font figure de chercheurs parcellaires. Les premières
généralisations sont toutes récentes, et ne sortent pas du domaine de la
dialectologie 15. Désormais, les dialectologues doivent s'efforcer de s'intégrer
à la linguistique générale, tandis que les généralistes se feront un devoir
d'enrichir et de consolider leurs spéculations en puisant dans le trésor de
faits concrets que les chercheurs de terrain mettent à leur disposition.
14. Par contre, il existe dans les langues standard un riche polymorphisme
d'énoncés phrastiques (formulation variée pour un contenu identique) : v. G. Mounin, op. cit.,
p. 264; et A. Martinet, « Réflexions sur l'opposition verbo-nominale » (in Journal de
psychologie normale et pathologique, Paris, 1950, 1, p. 101).
15. Plusieurs communications au colloque de Strasbourg, mai 1971 (sous presse
[v., ci-dessus, en note]); J. Séguy, « La relation entre la distance spatiale et la distance
lexicale » (in Revue de linguistique romane, Lyon-Srasbourg, 1971, 4, p. 335-357).
Appendice.

On doit examiner à part deux ouvrages très importants, dont le


premier, bien qu'inclus dans les Atlas linguistiques de la France par régions,
suit des normes spéciales, et dont le second est totalement indépendant.
1. h' Atlas linguistique des Pyrénées orientales (ALPO), par H. Guiter
(1965).
Le territoire correspond au département des Pyrénées-Orientales
(domaine linguistique catalan), bordé d'une large frange : versant espagnol
des Pyrénées catalanes, Andorre et bande limitrophe de l'Ariège et de
l'Aude (domaine occitan). La particularité de Y ALPO est d'être exhaustif :
au lieu d'aller par points de sondage, l'enquête a été faite dans toutes les
communes, ce qui représente 382 points sur 9 000 kilomètres carrés. Dans
de telles conditions, les 565 cartes ne pouvaient être que strictement
linguistiques, comme celles de Y ALF. Quand les données se trouvèrent très diverses,
il fallut des trésors d'ingéniosité pour les faire tenir dans des espaces aussi
réduits, puisque la figuration symbolique a été écartée : tout est écrit en
toutes lettres. Parce qu'il est exhaustif, Y ALPO constitue un instrument de
travail sans égal, non seulement pour la connaissance exacte des parlers
roussillonnais, mais pour quantité de recherches théoriques. Comme le
domaine est déjà représenté dans trois autres atlas à mailles lâches (ALC,
ALF, ALPI), on peut tester la validité de la méthode par sondages : il
apparaît qu'elle laisse dans l'ombre bien des choses, qui ne sont pas toujours
du menu fretin. A partir de Y ALPO, H. Guiter a établi les formules
mathématiques pour passer d'une densité à une autre quand on entreprend
de mesurer la différence linguistique dans un domaine partagé entre
plusieurs atlas. C'est dans Y ALPO seulement qu'on peut étudier le
comportement dialectal de collectivités véritablement contiguës et comment se fait,
sans qu'on doive extrapoler, le passage d'une langue à une autre (en l'espèce
catalan-occitan) : toutes choses impossibles dans des atlas par sondages.
Une entreprise de la sorte ne pouvait fournir qu'un échantillonnage
relativement réduit des parlers, et H. Guiter devait laisser de côté toute
investigation ethnographique : on ne peut tout faire ni tout avoir. C'est
pourquoi le Roussillon sera repris dans un atlas du plan général.
2. L'Amas linguistique de la Wallonie (ALW; Liège, Vaillant-Carmannc,
1953 suiv.).
Il faut entendre « Wallonie » au sens large : la Belgique romane (wallon
et picard). Le questionnaire, portant sur 4 200 mots, fut dressé par le
regretté Jean Haust, qui mit en œuvre un système d'enquête mixte : les
questionnaires étaient envoyés à des correspondants, puis vérifiés et
complétés sur place par Haust. La mort ne lui permit pas d'achever sa
tâche, qui fut reprise par ses disciples et amis, dont le doyen était l'excellent
dialectologue et ethnographe Elisée Legros. La conception, la rédaction
et la cartographie sont l'œuvre de L. Remacle.
Non seulement Y ALW est une entreprise indépendante des Atlas
linguistiques de la France par régions, et cela de tout point de vue, mais
encore la conception de l'œuvre s'inspire de principes opposés. Et il est fort
instructif de constater qu'en matière de sciences humaines, des voies
divergentes puissent conduire à des résultats également satisfaisants. Les vertus
d'une méthode compensent les défauts de l'autre, et on regrettera que ni

89
le temps ni l'argent ne permettent d'appliquer les deux traitements
partout 16.
D'abord le volume I (réalisé par L. Remacle) ne contient que des cartes
mononymes, dont le seul intérêt est phonétique : disposition qui ne se
trouve jamais dans les atlas français, où les éléments de phonétique
historique doivent être recherchés çà et là, au hasard de la distribution lexicale 17.
Voyons maintenant comment se présente un article lexical et
ethnographique dans le volume III (dû à É. Legros). Exemple : l'ARC-EN-CIEL.
Bien entendu, comme dans tous les atlas, il y a une carte. Mais aucun mot
ne figure dans cette carte, qui est faite de graphismes arbitraires. Le cercle
représente l'ensemble arc de Dieu, le triangle porte de X, le losange
échelle de X, le rectangle sentier de X, etc. : on a ainsi les ensembles.
Les sous-ensembles sont figurés par des modifications aux signes de base :
triangle ordinaire = porte du paradis, triangle inversé avec le sommet
noirci = porte du Bon Dieu, parce que des extrémités noircies = du Bon
Dieu dans le losange échelle de X et dans le rectangle sentier de X. On
voit tout le travail logique et sémiologique qu'a exigé cette mise en forme
(et ceci n'est qu'un aperçu très simplifié). Ainsi, le lecteur aperçoit
immédiatement les aires géographiques, puisque, en règle générale, les signes se
groupent par familles sur le terrain. L'inconvénient théorique, c'est que ces
signes tout à fait arbitraires ne peuvent être classés en légende que dans
un ordre quelconque; mais en réalité, on les décode facilement, parce qu'ils
sont peu nombreux 18. Cette réduction des données à des graphismes
élémentaires exige forcément un lissage, ou typisation. Mais aucun détail n'est
pour autant perdu, puisqu'une notice de plusieurs pages denses accompagne
chaque carte : les réalisations ponctuelles y sont fidèlement restituées.
Cette notice est franchement explicative et interprétative : etymologies,
références bibliographiques, discussions linguistiques de toute sorte. De
plus sont consignés et localisés les présages météorologiques et les croyances
attachés à l'arc-en-ciel. On a ainsi une monographie complète, d'une richesse
qui confond. Certes, comme l'écrit L. Remacle dans l'introduction générale
(vol. I, p. 17), « on enlève au lecteur le plaisir de la découverte », mais
aussi « on évite beaucoup d'erreurs aux savants étrangers peu familiers
avec nos dialectes ». Rien n'empêche d'ailleurs tel ou tel d'exercer son
esprit critique s'il n'est pas tout à fait convaincu par certaines
interprétations de l'auteur.
Un troisième volume — en réalité le tome II — vient de paraître,
consacré à la morphologie (il est l'œuvre de L. Remacle).
Bien que l'Atlas linguistique de la Wallonie soit, répétons-le, tout à fait
indépendant des atlas français, nous lui avons consacré ces quelques lignes,
qui voudraient être un hommage, parce que le domaine représenté est
partie continue du domaine gallo-roman 19.
16. Gela a été tenté, et avec succès, en Roumanie, où un « petit atlas » en signes
symboliques accompagne et double les atlas détaillés.
17. Le vol. VI de VALG aplanira dans une certaine mesure ces difficultés (v.
p. 82).
18. Ce qui n'est pas le cas du Deutscher Wortatlas de W. Mitzka (Giessen, W.
Schmitz Verlag, 1951 suiv.), où certaines cartes contiennent plus de 500 signes
arbitraires.
19. Pour les travaux antérieurs à 1950, l'ouvrage de référence fondamental est
La Dialectologie. Aperçu historique et méthodes d'enquêtes linguistiques, de S. Pop (Lou-
vain-Gembloux, Duculot [1950], LV-1334 p. en 2 vol.).

90

Vous aimerez peut-être aussi