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Introduction

Le rôle de la République Française a beaucoup changé au cours des siècles, ainsi que la
langue française. Mais comment est-ce que le rôle de la langue française s’est transformé ?
J’ai choisi de faire mon essai en français sur ce sujet, et pour cela je vais commencer par
présenter mon hypothèse et le mode de travail. Puis, je vais décrire en bref l’histoire de la
langue française jusqu’à aujourd’hui, et discuter des théories concernant l’avenir de la langue
française dans le monde, et plus particulièrement en Europe.

Hypothèse
Comment est-ce que le rôle de la langue française s’est transformé ? Je trouve qu’il y a
quelques changements significatifs dans la transformation du rôle de la langue qui ont résulté
dans la position que le français a aujourd’hui en Europe, comme par exemple le
développement vers plus de concurrence avec les autres langues officielles européennes, mais
aussi la dominance de la langue anglaise. Au niveau linguistique, le français a évolué dans un
milieu où l’influence d’autres langues est remarquable (malgré certaines actions de « défense
de la langue »). Cette influence est donc visible dans le vocabulaire français.

Méthode et matériel
J’ai commencé par chercher des textes utilisables. Pour examiner comment le rôle de la
langue s’est transformé, j’ai utilisé des sources factuelles mais aussi des rapports et textes des
séminaires pour montrer les attitudes par rapport aux changements linguistiques. Dans ce
mémoire je vais aussi présenter mon analyse et ma conclusion. Mes principales sources sont
issues des articles de journaux et les faits historiques sont basés sur des textes de l’Académie
Française. J’ai également utilisé des livres sur la francophonie. Une grande partie de ma
discussion prend sa source dans les raisonnements de M. Magrey qui est professeur de
civilisation française de l’université Mc Gill à Montréal. Après avoir présenté des faits
concernant le développement de la langue et la situation dans le monde aujourd’hui, je vais
présenter quelques actes de promotion de la langue, et aussi regarder des hypothèses
concernant l’avenir. Sur cette base je vais faire mon analyse de la situation de la langue et
essayer de voir s’il est possible d’en tirer des conclusions concernant l’avenir du français.

4
1. L’histoire du français

1.1 L’évolution du français en bref :


Si on regarde l’origine de la langue, on voit que le français est une langue dont la grammaire
et la plus grande partie du vocabulaire sont issues des formes orales et populaires du latin, qui
ont été transformées par l’usage depuis l’époque de la Gaule romaine. Le plus ancien
document écrit en français est Les Serments de Strasbourg1. Ces textes scellent en 842
l’alliance entre Charles le Chauve et Louis le Germanique. (Académie française, 2005-04-21)
Au Moyen Âge, la langue française consistait en une multitude de dialectes qui variaient
d’une région à une autre. Les groupes principaux de parlers qu’on a pu distinguer étaient les
parlers d’oïl2 au Nord de la Loire et les parlers d’oc au Sud. La langue d’oïl s’impose
progressivement avec l’établissement de la monarchie capétienne. Mais comme tous les autres
pays d’Europe à cette époque, la France était « un pays bilingue ». D’une part, la grande
masse de la population parlait la langue vulgaire, qui était aussi celle utilisée par les écrivains;
d’autre part, le latin était la langue de l’Église et de l’administration. Le latin était aussi
l’idiome commun, utilisé dans la communication entre des peuples parlant des dialectes
différents. Cette coexistence entre le latin et la langue vulgaire continue jusqu’au XVIIe
siècle, et dans le monde de l’Université et dans celui de l’Église, le latin a longtemps
maintenu sa position malgré la progression du français. (Académie française, 2005-04-21)
Peu à peu le français s’est transformé en langue nationale. L’extension de l’usage d’un
français qui a pu être compris par tous était proportionnelle. Dans la construction de la nation
française, la généralisation de l’emploi du français a été un des facteurs déterminants. La
langue française a joué un rôle important dans les progrès de l’administration et de la justice
royale dans le pays. En août 1539, deux articles de l’ordonnance de Villers-Cotterêts3, ont été
souscrits par le roi François Ier. Ces articles donnèrent une assise juridique à ce processus du
développement de la langue. La vie publique du pays était ainsi liée à l’emploi consciencieux
du français. Ces articles fondateur devront être réunis à « la Défence et Illustration de la
langue françoyse » de l’année 1549, qui était le manifeste du groupe qu’on appellera plus tard

1
Les Serments de Strasbourg : Traité fait par Charles le Chauve et Louis le Germain (c’est à dire les petits-fils
de Charlemagne) pour mettre fin à leur querelle d’héritage et s’unifier contre leur troisième frère, Lothaire. Ce
texte est considéré comme le plus ancien monument de la langue française. (Tétu, 1997, p.38)
2
La langue d’oïl : (oïl = oui) Des dialectes différents parlés au Nord de la Loire; par exemple lorrain, picard,
wallon, bourguignon, anglo-normand, francien etc. La langue d’oc : Le provencal au Sud. (Tétu, 1997, p.39)
3
L’Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 substitue le français au latin dans les actes notariés et les jugements
des tribunaux. (Tétu, 1997, p.41)

5
la Pléiade4. Dans ce manifeste, le groupe a proclamé, « l’excellence et la prééminence du
français [...] », et que « l’attachement résolu à la langue française répond à une exigence
littéraire mais également politique et juridique. (Académie française, 2005-04-21) »
En 1635, le Cardinal Richelieu a créé l’Académie française. L’article XXIV des statuts
précise que la principale fonction de l’Académie française sera de travailler avec tout le soin
et toute la diligence possible à donner des règles certaines à la langue et à la rendre pure,
éloquente et capable de traiter les arts et les sciences. La mesure imaginée par Richelieu est
restée sans modification majeure jusqu’à nos jours. Ses directions signifient que le pouvoir
politique ne saurait sans abus intervenir directement sur la langue. Mais Richelieu décide
donc de laisser « le soin d’enregistrer, d’établir et de régler l’usage de la langue, à une
assemblée indépendante […]. (Académie française, 2005-04-21) » En matière de langage, il
y avait selon Richelieu des moyens bien plus efficaces que l’intervention autoritaire, comme
l’incitation, la régulation et l’exemple.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles le français quitte le cadre de la nation à la suite du progrès de
la culture, les améliorations faites à la langue, l’influence des populations protestantes
émigrées, etc. Pendant cette période, le français a été la langue de l’aristocratie et des
personnes cultivées dans tout le Nord de l’Europe. C’était aussi la langue de la diplomatie.
Tous les grands traités qui étaient auparavant en latin, ont à l’époque été rédigés en français.
(Académie française 2005-04-21) Par la création de l’Académie et la diffusion de la langue
française les Académiens ont créé un modèle français, plus tard suivi par d’autres pays
Européens ; et en 1786 la Suède a eu sa propre Académie Suédoise.

Un dictionnaire français :
La première édition du Dictionnaire de l’Académie représentait un effort de créer une norme
dans la langue. Depuis la publication du dictionnaire, l’orthographe s’est visiblement
transformée. Cela est le résultat d’une évolution naturelle, mais aussi de l’intervention de
l’Académie et des linguistes. Quand ils ont examiné l’orthographe ils ont dû considérer des
choses comme l’importance de l’usage établi, les contraintes de la prononciation et celles de
l’étymologie. Il était également important de considérer les pratiques de l’institution scolaire,

4
La Pléiade: Groupe de sept grands poètes français de la Renaissance. (Le Petit Robert, 2003 )

6
et celles du monde des éditeurs et des imprimeurs, etc. L’Académie française s’est employée
à maintenir un équilibre entre ces différentes exigences5. (Académie française, 2005-04-21)
Au XIXe siècle, le développement de l’institution scolaire a sans doute contribué à fixer
l’orthographe. Il y avait besoin de règles dans le système éducatif, et pour cette raison le
Conseil supérieur de la langue française a, en 1990, publié un document intitulé « Les
rectifications de l’orthographe6 » au Journal officiel. Les principales modifications
recommandées étaient :
• la soudure d’un certain nombre de noms composés (portemonnaie,
pingpong...) ; l’harmonisation du pluriel des noms composés avec celui des
noms simples (un perce-neige, des perce-neiges, un garde-malade, des
gardes-malades...) ;

• la possibilité de supprimer certains accents circonflexes sur le i et le u


(voute, traitre, paraitre, huitre...) ;

• l’accent grave sur le e quand il est précédé d’une autre lettre et suivi d’une
syllabe qui comporte un e muet (évènement, cèleri, sècheresse,
règlementaire — comme règlement —, règlementation...)

• l’application des règles usuelles d’orthographe et d’accord aux mots


d’origine étrangère (des imprésarios, un diésel, les médias...). La
rectification de quelques anomalies graphiques (charriot, imbécilité,
nénufar, relai...).

La presse traite le sujet des modifications de l’orthographe et a longtemps entretenu une


dispute assez artificielle. L’Académie française approuva à l’unanimité le document, mais
resta fidèle à sa ligne de conduite traditionnelle. Tout en souhaitant que ces simplifications et
unifications soient soumises à l’épreuve du temps, l’Académie française en a adopté un
certain nombre dans son Dictionnaire, mentionnant les autres à la fin de l’ouvrage.
(Académie française, 2005-04-21)

5
Un essai de standardiser la langue fait par l’Académie en 1835 est visible dans la sixième édition de son
Dictionnaire. Là on voit l’orthographe -ais pour les mots terminés jusqu’alors en -ois mais prononcés depuis
longtemps è (« le françois, j’étois », réforme réclamée au siècle précédent par Voltaire).
6
« Les rectifications de l’orthographe », publiés en 1990, par le Conseil supérieur de la langue française dans
son Journal officiel. (Académie française, 2005-04-21)

7
1.2 Le développement dans la politique linguistique :
La concurrence de l’anglais représentait une réelle menace pour le français, et les
importations anglo-américaines dans le lexique devenaient trop massives. Par conséquent les
autorités gouvernementales ont, depuis plusieurs années, essayé de compléter le dispositif
traditionnel de régulation de la langue. (Wikipedia, 2005-11-03)
En 1972, des commissions ministérielles de terminologie et de néologie sont constituées.
Ces commissions s’emploient à indiquer et parfois même à créer, les termes français qu’il
convient d’employer pour éviter l’utilisation massive des mots étrangers ou encore pour
désigner une nouvelle notion pas encore nommée. Par conséquent, on ne dit plus tie-break
mais jeu décisif, baladeur se substitue à walkman, etc7. (Académie française, 2005-04-21)
Plusieurs lois ont pendant la dernière partie du vingtième siècle été introduites. Une des
lois appelée « Bas-Lauriol » promulguée en 1975, rend l’emploi du français obligatoire dans
différents domaines, comme par exemple l’audiovisuel ou le commerce. Le 25 juin 1992, un
nouvel alinéa important est ajouté à l’article 2 de la Constitution disant que « La langue de la
République est le français. » La loi dite « loi Toubon » du 4 août 1994, se fonde sur ce
principe, et élargit les dispositions de la loi de 1975. À la suite d’un décret fait le 3 juillet
1996, une nouvelle commission générale de terminologie et de néologie a été instituée.
L’accord de l’Académie est devenu indispensable pour que les termes recommandés et leurs
définitions soient publiés dans le Journal officiel. (Académie française, 2005-04-21)

La féminisation des noms de métiers


En 1984, une commission de terminologie dont le travail était relatif au vocabulaire
concernant les activités des femmes, a été créée par le Premier ministre. Le but de cette
commission était que « la féminisation des noms de professions et de titres vise à combler
certaines lacunes de l’usage de la langue française dans ce domaine et à apporter une
légitimation des fonctions sociales et des professions exercées par les femmes. » L’Académie
française n’avait pas été consultée, et a exprimé une forte désapprobation. (Académie
française, 2005-04-21)
En français, le masculin est le genre non marqué et peut alors dénommer les hommes
aussi bien que les femmes. Le féminin est appelé nettement le genre marqué, dont la marque
est privative. Cela permet de donner au terme marqué une limitation. Selon les linguistes de

7
Exemples de mots empruntés à l’anglais. (Académie française, 2005-04-21, www.academie-
francaise.fr/langue)

8
l’Académie française, le genre marqué (le féminin), appliqué aux êtres animés, institue entre
les deux sexes une ségrégation. Ce fait le distingue du genre non marqué (le masculin). Les
linguistes de l’Académie pensent qu’on risque aussi que la féminisation aboutisse à un résultat
inverse à celui qu’on vise, c’est-à-dire d’établir, dans la langue elle-même, une discrimination
entre les hommes et les femmes. Le principe a finalement été contesté par l’Académie
française, jugeant qu’une telle démarche risque « de mettre la confusion et le désordre dans un
équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de
modifier.8 » (Académie française, 2005-04-21)
Malgré les plaintes, le Premier ministre recommanda, en 1986, de procéder à la
féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres dans les textes officiels et dans
l’administration. Une dizaine d’années plus tard, certains ministres du gouvernement
prescriront de leur côté la forme féminisée « la ministre », ce qui a provoqué une nouvelle
réaction des académiciens. Dans une circulaire de mars 1998, le Premier ministre a pu
constater le peu d’effet de la recommandation de 1986. Pourtant il recommanda à nouveau la
féminisation « dès lors qu’il s’agit de termes dont le féminin est par ailleurs d’usage courant».
(Académie française, 2005-04-21)
Le Premier ministre chargea la commission générale de terminologie et de néologie de se
concentrer sur la question, et en octobre 1998, un rapport de la commission a été remis au
Premier ministre. Dans ce rapport on a pu lire qu’une intervention gouvernementale sur
l’usage touchait vite à des obstacles d’ordre juridique et pratique. On voit une claire
différence entre les métiers. Dans les métiers où les formes féminines sont depuis toujours en
usage cela ne pose pas de problème particulier, mais quand il s’agit des fonctions, grades ou
titres qui doivent être clairement distingués de la personne il y a des obstacles. Selon la
commission, l’utilisation ou l’invention de formes féminines n’est pas souhaitable parce que
la fonction ne peut être identifiée à la personne qui l’occupe, le titre à la personne qui le porte,
etc. (Académie française, 2005-04-21)

1.3 L’influence d’autres langues :


La langue française est aujourd’hui parlée un peu partout dans le monde, et par conséquent,
elle existe dans différentes variétés. Les variétés de français sont très nombreuses et
principalement lexicales (Tétu, 1997, p.63). Naturellement le français au Canada, en Asie, en

8
Extrait trouvé dans une déclaration présentée par Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss ; « structuralistes »
et membres de l’Académie française. (www.adpf.asso.fr/adpf-publi/folio)

9
Afrique, etc. est un peu différent de celui parlé en France quand il s’agit de la prononciation
ou du vocabulaire. Le développement des pidgins9 ou créoles10 à base française a aussi été
fréquent dans certaines parties du monde.
En France, il y a des formes ou variétés régionales de la langue, mais aussi des variétés
influencées par d’autres pays. À Paris et dans d’autres villes françaises, une variété de la
langue a depuis une centaine d’années été parlée. Cette variété appelle verlan, nom construit
par une interversion des lettres d’envers, une manipulation consciente des mots. Au début,
cette variété a eu la forme de « langue du jeu » entre jeunes étudiants, mais est aujourd’hui
devenue la base pour une variété du même nom. Cette variété de la langue est alors
partiellement consciemment construite et a des règles complexes pour le renversement des
syllabes. Mais dans sa nouvelle fonction, le verlan a depuis les dernières décennies été enrichi
d’une multitude de mots de l’arabe, du sénégalais, du wolof11 et de l’américain du rap.
Aujourd’hui le verlan fonctionne souvent comme un marqueur anticonformiste pour jeunes
privilégiés, et comme un élément d’une langue d’identité pour groupes de jeunes dans des
banlieues dont la majorité de la population est d’origine multiethnique12. (Bijvoet & Fraurud,
2004) Le verlan est d’abord utilisé par les mecs coincés dans les HLM13 des cités avant
d’evahir le vocabulaire commun. (Jouyeux, Prune, 2005-11-21)
Comme on le voit l’influence des langues anglo- américaines existe au niveau de l’argot et
du verlan, mais l’influence est visible à tous les niveaux de la langue. Dans les secteurs du
commerce ou technique, dans les médias etc. Un exemple souvent utilisé dans les médias est
l’expression « Administration Bush14 », qui est un emprunt de l’américain « The Bush
Administration. » Cette expression d’utilisation fréquente dans la presse devrait être en
français « le Gouvernement Bush ».
L’influence de la langue anglaise n’est pas quelque chose de nouveau. Le franglais est un
portemanteau fait par combinaison des mots français et anglais ; c’est un type de « jargon »
dont la signification est différente en français et anglais. Comme résultat des traditions
différentes dans ces pays le franglais a l’air un peu différent en comparaison des emprunts. Ce

9
Le pidgin est une langue véhiculaire moins développée qu’un créole. (Wikipedia, 2005-11-02)
10
À base lexicale française : le créole guyanais, martiniquais, haïtien, cajun ou acadien des États-Unis.
11
Wolof: Langue du groupe atlantique occidental, une des langues nationales du Sénégal. (Le Petit Robert,
2003)
12
(Dans les médias le verlan a quelque fois une connotation négative.)
13
Habitations à loyer modéré (dictionnaire.reverso.net/francais-anglais/HLM).
14
Exemple pris du site Internet de tv5, Bernard Cerquiglini « merci professeur » cf. www.tv5.org, (2006).

10
type de mélange peut être trouvé tôt dans la littérature anglaise, par exemple dans Jorrocks
Jaunt and Jollities, écrit en 1869 par Robert Surtee15 :

"You shall manger cinque fois every day," said she; "cinque fois," she
repeated.--[…] "Oui, Monsieur, cinque fois," repeated the Countess,
telling the number off on her fingers--"Café at nine of the matin, déjeuner
à la fourchette at onze o'clock, diner at cinque heure, café at six hour, and
souper at neuf hour. (Wikipedia, 2005-11-03)"

2. Analyse de la situation du français aujourd’hui

2.1 Le français dans le monde :


Si on regarde la situation du français aujourd’hui, on trouve que près de 119 millions de
gens dans le monde ont le français comme langue maternelle où d’usage courant, 63 autres
millions sont des francophones partiels et 82 millions de jeunes ou adultes apprennent le
français, soit un total de 264 millions de personnes ayant le français en partage. (Cela peut
être comparé avec le mode anglo-saxon dont le nombre de gens qui ont l’anglais comme
première langue est de plus de 400 millions, ou les locuteurs d’espagnol dont les chiffres
montrent que 350 millions ont l’espagnol comme langue maternelle.)
À l’ONU, le français est l’une des deux langues de travail. C’est aussi l’une des deux
langues officielles du Comité International Olympique, et le français est aussi la seule langue
universelle des services postaux et la langue principale de l’Union Africaine. La langue
française est utilisée dans le domaine de l’aéronautique, des transports ferroviaires, de
l’alimentation, des industries de luxe et de la mode, etc. Le français s’associe aussi à un haut
degré de savoir faire, de technologie et de modernité. La langue française se mesure au statut
qu’elle a au niveau international et à sa pratique dans le milieu des décideurs. Le français est
avec l’anglais, la seule langue présente sur tous les continents. En outre, l’accroissement
démographique des pays du Sud et en particulier de ceux d’Afrique a résulté dans un nouvel
essor du nombre global de francophones. (Agence francophonie, 2004-07-05)

2.2 Le monde francophone :


Les fondateurs du mouvement francophone ont défini l’espace francophone comme un espace
médiateur entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, entre chrétiens et musulmans, sans négliger

15
Robert Surtee (1803-1864).

11
les peuples d’autres religions. En plus, cet espace francophone semble être le seul qui ne soit
pas dominé par un seul groupe ethnique. Ces francophones médiateurs essayent donc de fixer
la situation de la langue française dans le monde. Pour eux, il est nécessaire de trouver une
solution à la situation du français en Europe pour que la France et la francophonie aient un
avenir clair.
Il faut aussi rappeler que la langue est parlée par la majorité des gens au Québec, et que le
français est la troisième langue parlée aux États-Unis. Dans la plupart des pays
méditerranéens, il semble bien que l’évolution du français dépende de la volonté politique
française « d’aller de l'avant. » En Afrique noire, qui bouge constamment, il n’est pas toujours
facile de savoir ce qui s’y passe, mais y résoudre les problèmes les plus courants, est une
urgence pour stabiliser l’avenir du français en Afrique. Longtemps, forte de son héritage, il
apparaît étrange que la France se replie sur l’Europe, abandonnant peu à peu l’outre-mer où le
français progresse. (Agence francophonie, 2004-07-05)
Grâce à un monde francophone qui s’est stabilisé et au sein duquel le français progresse,
un climat tel que celui qui se présente aujourd’hui à la langue pour se diffuser ne s’est jamais
présenté auparavant dans le monde. Pour réussir cela, il faut se concentrer sur la création
d’une position privilégiée pour le français dans les secteurs stratégiques comme par exemple
l’espace audiovisuel. (Agence francophonie, 2004-07-05)
En matière de défense de la langue française, il faut regarder la formation professionnelle,
les échanges de chercheurs, la recherche d’investisseurs étrangers ou le marché du tourisme.
Dans le rayonnement francophone, la mobilisation associative est une chose importante. Il
faudra mettre ensemble les acteurs de chaque territoire, les associations de professeurs de
français, les universités, les centres de recherche, les chambres de commerce et d’industrie,
les associations de solidarité internationale, les organismes culturels, etc. Dans l’avenir, la
Francophonie va développer une collaboration entre les pouvoirs publics et les associations,
entre les collectivités territoriales et l’État, mais aussi entre les collectivités territoriales elles-
mêmes. Pour conclure, on peut dire que l’avenir de la Francophonie dépend d’une part de
l’action des États et gouvernements ayant le français en partage, mais aussi de l’adhésion de
l’opinion publique et plus particulièrement des jeunes. (Agence francophonie, 2004-07-05)

Les associations francophones :


Une des organisations qui travaillent pour la francophonie s’appelle l’Organisation
Internationale de la Francophonie (OIF). L’OIF contribue à la prévention des conflits au sein
de l’espace francophone. L’organisation favorise la consolidation de l’État de droit et de la

12
démocratie et agit pour la promotion et la mise en œuvre des droits de l’Homme. L’OIF
participe aux grands débats mondiaux en cours, et agit par la concertation entre pays
francophones engagés dans la défense de leurs intérêts communs au niveau international, et
par le soutien aux politiques nationales, principalement des pays du Sud. L’OIF est aussi
engagée dans des questions concernant l’éducation et intervient à toutes les étapes de la
formation, et l’organisation est également impliquée dans les procès concernant l’économie et
le développement. (Agence francophonie, 2004-07-05)
La Délégation générale à la langue française et aux langues de France est placée sous
l’autorité du Premier ministre. Depuis 1996, cet enseignement est aussi lié au ministère de la
Culture et de la Communication, qui a la responsabilité de coordonner et de promouvoir les
actions des administrations et organismes publics et privés concourant au bon usage et à la
diffusion de la langue française. Le ministère est également responsable d’encourager la mise
en œuvre des actions recommandées par le Conseil Supérieur de la langue française. Ce
Conseil a des liaisons interministérielles, dont le travail est de présenter au gouvernement des
propositions concernant, l’aménagement, l’usage, la diffusion et la valorisation de la langue
française en France et hors du pays. Le Conseil est aussi responsable des questions concernant
la politique à l’égard des langues étrangères. (Agence francophonie, 2004-07-05)

2.3 L’image de la langue française en Europe :


En Europe, comme ailleurs dans le monde, la langue française est encore perçue comme une
langue « de grande culture et de valeurs humanistes universelles ». (Franceparler, 2004-10-
20) De plus en plus, la langue française est l’une des principales langues étrangères dans
laquelle les jeunes Européens font leurs études, la France est aussi devenue le second pays
d’accueil des échanges Erasmus. Il y a plusieurs facteurs importants pour l’actualisation de
l’image de la langue française et de la France à l’étranger comme par exemple le dynamisme
des entreprises françaises, et la vivacité des échanges culturels. Le nombre des enseignants
étrangers de français est également un facteur déterminant, et pour cette raison, la coopération
française s’attache à soutenir leur engagement en ce qui concerne la langue française et les
échanges entre cultures. (Franceparler, 2004-10-20)
Après l’élargissement de l’Union européenne à dix nouveaux membres le 1er mai 2004,
l’Assemblée Nationale s’est prononcée à l’unanimité pour le maintien de la diversité
linguistique et une présence accrue du français face à l’extension de l’anglais. Les députés de
l’Assemblée Nationale ont alors adopté une proposition de résolution traitant de ce sujet,

13
écrite par le rapporteur de la délégation de l’Assemblée Nationale pour l’Union européenne.
L’un des défis majeurs de l’Union élargie est le dossier linguistique, sur lequel les
négociations sont en cours à Bruxelles. Aux 11 langues en vigueur : l’anglais, l’allemand, le
danois, l’espagnol, le finnois, le français, le grec, l’italien, le néerlandais, le portugais et le
suédois, se sont ajoutés l’estonien, le hongrois, le letton, le lituanien, le maltais, le polonais, le
slovaque, le slovène et le tchèque. Le nombre de langues officielles est alors passé de 11 à 20.
Quelque chose qui peut poser des problèmes pour les linguistes est le fait qu’il y ait
aujourd’hui 110 combinaisons possibles pour l’interprétation, avec 11 langues officielles, et
que ce nombre est passé à 420 après l’élargissement. (Le Monde Français, 2004-12-01)
Au PESC (c’est à dire les réunions de politiques étrangères et de sécurité commune et de
celui du français, de l’anglais et de l’allemand) un texte de recommandations a été présenté.
Parmi les 19 recommandations du texte on trouve « le maintien du principe de l'interprétation
intégrale pour les réunions de niveau politique, la pérennisation de l’usage d’anglais et du
français ». La priorité est de chercher une solution équitable et consensuelle autour de
quelques langues pivots pour les autres groupes de travail. (Le Monde Français, 2004-12-01)
Dans le texte, on souligne l’importance de prendre des mesures pour enrayer le déclin du
français en Europe, notamment l’apprentissage du français dans les écoles de l’Union et la
formation des fonctionnaires communautaires. D’après un rapport de M. Herbillon16, 58 %
des documents de la Commission des Quinze étaient rédigés en français en 1986, contre à
peine 30 % en 2001. (Le Monde Français, 2004-12-01)
Il y a 89 établissements culturels français en Europe, ils consistent principalement en
centres et instituts, alliances françaises soutenus par le Ministère des Affaires étrangères. Ces
établissements offrent des cours de français à près de 70 000 élèves. La Direction de la
coopération culturelle et du français du Ministère a lancé un plan pluriannuel : « Le français à
la conquête de nouveaux publics ». Avec ce plan ils visent à professionnaliser l’activité des
cours de langue en aidant les établissements à se positionner sur un marché linguistique de
plus en plus concurrentiel. Les jeunes Européens, encadrés de certifications, ont en 2003 été
164 750 à s’inscrire au Diplôme élémentaire en langue française (DELF) ou au Diplôme
approfondi en langue française (DALF) et 136 821 étudiants ont été admis. (Franceparler,
2004-10-20)

16
M. Herbillon : député de Val-de-Marne. (www.premier-ministre.gouv.fr/acteurs/communiques.html)

14
M. Magrey17, Professeur de civilisation française, a une vision pour délimiter quatre zones
linguistiques majeures en Europe. En premier, une Europe du Nord, plutôt dominée par
l’anglais. Cette domination doit pourtant respecter les autres langues et les cultures nationales.
Pour le professeur Magrey, il est clair que si on veut essayer d’améliorer une situation
devenue fâcheuse pour de nombreuses langues européennes, il semble raisonnable d’ordonner
des quotas par les émissions en anglais. Selon lui, il serait possible dans ce cas de dire que
dans chaque pays, 60 % de la production devrait être nationale; 20 % serait proposé à
l’anglais et 20 % aux émissions des autres pays européens. Le Professeur Magrey pense qu’un
tel équilibre favoriserait en réalité les échanges entre les différents paya européens, sans
déposséder l’anglais de sa position. M. Magrey sait sans nul doute que le français participe
aujourd’hui à ce mouvement d’affirmation en faveur de la diversité des langues et des
cultures. À son avis, le conflit de la langue française n’est pas seulement politique mais moral
et se met au milieu d’un dialogue des cultures qu’il essaye de privilégier, cela pour éviter que
le monde étouffe sous l’uniformisation culturelle. (AMOPA, 1994, n° 124)

3. Le travail de préservation et de promotion de la langue

3.1 La promotion du français :


Aujourd’hui on compte un peu plus de 180 millions de francophones à travers le monde pour
qui le français est langue maternelle ou seconde. Au sein des systèmes éducatifs nationaux,
environ 82,5 millions de personnes apprennent le français comme langue étrangère. La
diffusion de la langue française dans le monde constitue une priorité traditionnelle et
universelle du Gouvernement français par les actions de promotion du français comme la
politique de coopération dans les secteurs d’intervention, i.e. diffusion culturelle, partenariat,
éducatif, coopération universitaire, scientifique et de recherche, coopération audiovisuelle etc.
(Ministère des affaires étrangères, 2005-05-03)
Une composante majeure de l’influence de la France dans le monde, qui est son
rayonnement culturel, passe par une politique de promotion des idées et des œuvres françaises
dans les pays étrangers, dont la langue française est « un protecteur » important, ainsi que
« par la mise en œuvre d'une politique de coopération avec les pays les plus pauvres
contribuant à la promotion de la diversité culturelle et linguistique. » Cette politique a été

17
De l'université Mc Gill de Montréal.

15
mise en œuvre par le ministère des Affaires étrangères et a pour but, outre le développement
de la langue française, la source des valeurs communes à tous les pays francophones ayant
cette langue en partage, lesquels englobent 181,5 millions de personnes, et peuvent compter
plus de 82, 6 millions d’apprenants de français. (Franceparler, 2004-10-20)
À la conquête de nouveaux publics, un plan pluriannuel pour le français a été lancé par la
Direction de la coopération culturelle et du français. Le plan vise à professionnaliser les
centres de langue et à leur permettre de mieux définir leur offre de cours. Un plan de
renforcement du plurilinguisme dans l’Union européenne est aussi en construction.
L’introduction d’une deuxième « langue vivante » pendant la scolarité obligatoire dans les
pays européens, renforcement des dispositifs d’enseignement bilingue dans le secondaire et le
supérieur en Europe, programme de formations au français de public cibles dans le cadre de
l’élargissement, à Bruxelles et dans les capitales sont des idées fondamentales du plan.
(Ministère des affaires étrangères, 2005-05-03)
Le Gouvernement français se concentre sur son réseau de centres culturels, alliances
françaises, lycées et établissements homologués, centres et instituts de recherche à l’étranger.
Le Gouvernement français agit également à travers la Francophonie multilatérale où on a un
dialogue mondial entre cultures. L’Organisation internationale de la Francophonie s’est
trouvée dans une position internationale plus forte, depuis les sommets de Moncton (1999) et
de Beyrouth (2002) des 56 chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en
partage. Il est maintenant possible d’être remarqué dans les milieux où se dessinent les règles
d’une mondialisation qui sont toujours à développer, ainsi que des objectifs politiques clairs,
comme par exemple l’enracinement de la démocratie, la promotion de la diversité culturelle,
et un développement durable et solidaire. (Franceparler, 2004-10-20)

3.2 Trouver des équivalents français pour les mots techniques :


Une équipe de terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF) regarde
l’industrie des technologies de l’information à la recherche de nouvelles notions à traduire.
Tous les jours, de nouveaux mots viennent définir ce secteur en constante évolution. Le
principal défi de l’équipe est de produire, proposer et diffuser rapidement une expression
française avant que son équivalent anglais ne s’impose. Quand un terme anglais s’est
implanté, il devient très difficile de le déloger, les linguistes terminologue à l’OQLF devront
alors faire vite, s’ils veulent réussir à influencer l’usage de termes. Ainsi, leur travail consiste
à répondre aux besoins terminologiques à mesure qu’ils se présentent. Plus les terminologues

16
interviennent rapidement et plus l’expression a des chances d’être adoptée. (La Presse
Affaires, 2005-02-23)
L’OQLF est depuis quelques années mis également sur Internet pour faciliter et accroître
la diffusion de nouveaux termes. En donnant gratuitement accès à son Grand Dictionnaire
terminologique (GDT), l’Office québécois de la langue française augmente les chances
d’implantation des termes français dans les technologies. La stratégie semble être une
réussite. En effet, quatre mois après qu’ils avaient inscrit le mot hameçonnage dans le GDT
pour traduire le terme « phishing18 », près de 2000 pages Internet comportaient déjà ce terme.
On rappelle que cette expression tirée de l’anglais vise à une forme de pêche que des pirates
informatiques pratiquent dans l’océan Internet. Ces pirates lancent donc un faux courrier qui
emprunte l’identité d’une institution financière afin d’inciter « le poisson », un internaute naïf,
à révéler ses coordonnées bancaires ou personnelles, et leur permettre de détourner des fonds.
Il est important pour les terminologues de garder en français l’image de pêche qui a été
suggérée par le mot anglais, mais il ne suffit pas d’inventer un mot ou une expression. Ils
devront aussi s’assurer que cette dernière ne comporte aucune connotation négative. Quand
l’expression « hameçonnage » a été proposée par l'OQLF pour remplacer le terme
« phishing », l’expression « pêche aux gogos » avait déjà été suggérée par les Français. En
France, le terme gogo signifie un être crédule et facile à duper, pour cette raison le Québec a
préféré opter pour une expression plus positive. (La Presse Affaires, 2005-02-23)
Dans le secteur des nouvelles technologies, où il existe encore très peu d’informations
concernant des concepts neufs et abstraits, les linguistes dans l’OQLF sont souvent les
premiers à suggérer officiellement une définition. Même s’il est possible de trouver quelques
éléments de compréhension dans les glossaires, la plupart du temps, tout est à inventer. Le
terme original est parfois un peu vague, trop général, et le manque de précision de l’anglais
pose également des problèmes. Pour prendre un exemple, le mot « hotspot », se traduit
souvent par « point chaud », et ne pouvait convenir au contexte d’Internet car il manquait de
précision. Les terminologues ont alors opté pour un point d’accès sans liaison à Internet qui
symbolisait d’avantage ce terme. Souvent il est difficile de choisir le terme qui définit le
mieux la notion, c’est-à-dire celui qui de loin a les meilleures chances d’être adopté. L’OQLF
propose des termes mais n’impose pas, ce sont toujours les usagers qui ont le dernier mot. (La
Presse Affaires, 2005-02-23)

18
Phishing: une forme de pêche. Exemple (Traduire l’informatique en français, www.lapresseaffaires.com)

17
4. L’avenir de la langue française

4.1 Le rôle de la langue française dans l’avenir :


Pour assurer le maintien et le développement du statut de la langue française à l’étranger ainsi
que sur le territoire national, le Gouvernement mène une politique déterminé et conséquente,
où elle est un trait important du patrimoine et de la cohésion sociale. Cette politique s’attache
à un pluralisme maîtrisé au sein des instances de l’Union européenne élargie. Le
Gouvernement a engagé avec des partenaires de la Francophonie un Plan pluriannuel pour la
relance du français en Europe. Le Gouvernement est aussi l’initiateur et le principal
contributeur d’un Plan d'urgence pour le français dans les organisations internationales et
s’associe aux actions de promotion linguistique. (Ministère des affaires étrangères, 2005-05-
03) Il est important que le gouvernement soit engagé dans le travail de développement de la
langue en créant des règles claires : toucher les gens au niveau national de même
qu’international et introduire des nouveautés linguistiques au lieu d’imposer des changements
au peuple. Le travail interne avec les entreprises, écoles et centres de recherche pour suivre le
progrès de la langue a également son importance.
Beaucoup grâce à la stratégie des industries de la langue, et par la conduite d’une politique
déterminée en matière d’éditions universitaires et scientifiques, la France a pu garder son
statut de grande langue de la recherche et de la communication internationale. Mais le
français, longtemps fort d’un héritage considérable, a aujourd’hui perdu de la puissance en
terme absolu, partiellement à cause du dynamisme de nombreux pays. La langue française
doit, à présent, avant tout, s’adapter, « prendre des mesures modernes et favoriser le partage
de nouvelles réalités entre les francophones ». (Ministère des affaires étrangères, 2005-05-03)
Il est évident que quand plus de pays entrent sur le marché international et amènent leur
langue propre, les langues traditionnelles devront faire place. Ce phénomène est visible après
l’élargissement de l’Union Européenne, et il semble que la France doive trouver une manière
de s’adapter à la nouvelle situation en Europe pour maintenir sa position forte. Par la suite,
une palette de stratégies possibles a donc été présentée.
D’après une thèse de M. Magrey19, Professeur de civilisation française à l'université
McGill de Montréal, les francophones ne connaissent pas toujours leurs atouts. Dans son livre
il insiste sur le fait que les francophones ne savent pas qu’ils peuvent compter sur au moins 25

19
M. Axel Magrey, Professeur de civilisation française à l'université McGill de Montréal. (AMOPA, 1994, n°
124)

18
millions d’allophones francophiles répartis dans de très nombreux pays. On peut être d’accord
avec lui sur le point que les francophones devraient faire mieux connaître leurs atouts. Avec
plus de connaissance sur d’autres francophiles et plus de respect pour des cultures différentes,
il est plus facile de coopérer sur les frontières des nations. Mais parfois il y a des écarts
culturels difficiles à vaincre même si on parle la même langue. Le Professeur Magrey trouve
que, pour rester dans « le peloton de tête » des grandes langues, il faut que la France continue
d’être une puissance économique de bon niveau et que le français soit une langue dominante
dans les institutions européennes. Il est vrai qu’il est plus facile pour une nation forte d’avoir
les moyens d’être influente dans des contextes internationaux, mais c’est seulement un des
facteurs importants. M. Magrey pense aussi que le président Senghor20 avait mille fois raison
d’insister sur le fait que les francophones doivent apprendre d’autres langues étrangères que
l’anglais. (AMOPA, 1994, n° 124) Il est également important que les français apprennent
d’autres langues que l’anglais, cela pour diminuer la dépendance vis-à-vis des langues anglo-
saxonnes. Cela est probablement quelque chose auquel les gens de toutes nationalités
devraient penser, comme l’utilisation de l’anglais est remarquable dans la communication et
la collaboration entre pays.
À la fin du XXe siècle, la diffusion de l’anglais ou de « l’américain », connaît une vigueur
sans précédent. C’était surtout à la suite des deux guerres mondiales que les États-Unis, et
donc la langue anglaise, se sont mis à occuper un espace de plus en plus large, et ont profité
des pertes et destructions considérables survenues en Europe pour affirmer leur puissance.
Tous les indicateurs, notamment ceux qui se rapportent aux fonctions de l’anglais dans les
activités scientifiques et techniques, le démontrent. Le plus souvent, les élites francophones
évaluent cette réalité avec une inquiétude certaine. « Les conséquences de la diffusion
massive de l’anglais sont loin d’être négligeables, et produisent une pression en faveur de
l’uniformisation qui menace la diversité des langues ainsi que celle des cultures. » (AMOPA,
1994, n° 124) Selon Magrey cela est peut-être le motif le plus sérieux de cette inquiétude. Il a
peut-être raison d’être inquiet. La menace de l’anglais pourrait être dangereuse si l’anglais se
diffuse au frais des autres langues au lieu d’exister en distribution complémentaire. Cela est
donc souvent le cas et les anglicismes sont facilement acceptés et adaptés dans le vocabulaire
français, même si ce fait est souvent source de débat.

20
Senghor : académicien, homme de culture, 1960 élu président de la République de Sénégal. (www.ville-
verson.fr/fr/chronologie.htm)

19
D’après le professeur Magrey « l’analyse de la diffusion de l’anglais dans le monde
demeurerait incomplète s’il fallait taire la force des résistances aux pressions d’uniformisation
linguistique et culturelle causée par l’internationalisation des marchés économiques ».
(AMOPA, 1994, n° 124) Il existe donc des forces de résistance aux pressions
d’uniformisation qui vont résulter de l’évolution des sociétés contemporaines. Le Québec se
situe au cœur de ce mouvement de résistance des locuteurs français et francophones, et
constitue un modèle exemplaire. (AMOPA, 1994, n° 124) Il est vrai qu’il existe des
mouvements de résistance et les gens conservateurs sont peut-être trop puristes dans leur but
de protéger la langue. Mais comme il est quand même établi que l’anglais reste un fort
opposant, avoir un peu d’influence est probablement en faveur du développement de la
langue.

4.2 Conclusion :
Pour conclure, je vais essayer de donner une réponse à la question « Comment est-ce que
le rôle de la langue française s’est transformé ? » La langue française a longtemps été
considérée comme une langue dominante en Europe. Longtemps, la France et plus
particulièrement Paris ont été au centre de l’art et de la culture, et le français était donc la
langue à la mode. Cette popularité a eu comme conséquence une augmentation de l’utilisation
du français. L’emprunt massif de mots français dans les autres langues montre que la langue a
autrefois eu une position forte dans le monde, surtout grâce à la colonisation massive et au
commerce international. Peu à peu le pays a perdu de grandes parties de ses territoires,
comme ce fut le cas en Afrique. Même si ses territoires sont « devenus indépendants », ils
restent marqués de l’empreinte de la France, et plusieurs anciennes colonies ont maintenu le
français comme langue officielle. Je pense que cette influence de la langue française est
devenue une partie de la culture dans certaines colonies et va par conséquent rester en
utilisation et se développer dans une autre manière que la langue française en France. Je
trouve que même si la France a perdu certains pouvoirs, la nation reste toujours forte, grâce à
sa position dans le monde, la dépendance des anciennes colonies, et son rôle dans la politique
internationale. L’importance du français dans des pays où la langue a un statut officiel,
comme en Belgique, en Suisse, à Monaco et au Canada a sans doute aussi contribué au
maintien de la forte position de la langue dans le monde.
Aujourd’hui, un total de 264 millions personnes ont le français en partage, et parmi eux
119 millions ont le français comme langue maternelle. Des variétés de la même base française

20
sont parlées un peu partout. Cela peut être comparé avec le mode anglo-saxon dont le nombre
des gens qui ont l’anglais comme première langue sont plus de 400 millions, ou l’espagnol
dont les chiffres montrent que 350 millions ont l’espagnol comme langue maternelle. Pour
maintenir la position de la francophonie politiquement et linguistiquement, un travail de
promotion de la langue française est mis en pratique à plusieurs niveaux. Un des projets les
plus importants est d’inspirer les jeunes à apprendre le français comme langue maternelle ou
seconde. Je trouve que cela est quelque chose d’essentiel, d’éveiller tôt l’intérêt pour la
langue. Comme les jeunes sont ouverts aux nouvelles idées dans leur formation, c’est une
bonne manière de créer une fondation linguistique pour les locuteurs qui ont le français
comme première langue, et d’inspirer les nouveaux locuteurs étrangers, et il est vrai qu’il y a
aujourd’hui plus d’étudiants d’autres pays qui veulent apprendre le français. Si ce phénomène
évolue, ça sera quelque chose de positif qui indiquerait un intérêt croissant d’autres pays pour
la langue française.
L’Europe, comme le reste du monde, bouge constamment. De nouveaux pays entrent dans
l’UE et apportent avec eux leurs propres langues. Les pays qui ont eu avant des positions
privilégiées en matière de langue et de politique dans l’union trouvent maintenant la situation
un peu changée. Les pays privilégiés, parmi lesquels la France peut être inclue, ont eu
l’avantage (le droit) d’avoir tous leurs documents dans le cadre de l’UE, traduits dans leur
langue nationale. Dans l’Union Européenne, dont le centre du parlement est à Bruxelles, le
français est toujours une des langues officielles les plus importantes. Je pense que la
concurrence entre les langues parlées dans l’UE sera intensifiée au fur et à mesure que de
nouveaux membres entreront dans l’union. Mais à mon avis, il n’y a pas de menace plus forte
(linguistiquement) que l’anglais. Sûrement l’espagnol est parlé par un grand nombre de gens
autour du monde, mais ses locuteurs sont plus nombreux dans des espaces en Amérique latine
qu’en Europe. Je trouve que même si la langue française a perdu du pouvoir en Europe, les
Français vont toujours avoir un rôle à jouer dans des contextes internationaux, et un fort
héritage de l’histoire de leur langue à garder. Cela va aider le français à préserver son statut
comme langue mondiale.
Pour en revenir à la menace de la forte concurrence de l’anglais au plan linguistique, il est
clair que la plupart des mots nouveaux dans les secteurs techniques et scientifiques viennent
du lexique anglo-saxon. Le travail des terminologues de OQLF, est d’éviter trop d’emprunts
aux autres langues et d’offrir des mots alternatifs en français. À mon avis il est nécessaire
d’essayer de trouver des équivalents, au lieu de toujours faire la chose plus facile, c’est-à-dire
emprunter des mots directement aux autres langues. Comme il n’est pas toujours possible de

21
trouver des équivalents en français, cela risque de résulter en une uniformisation des langues
Européennes vers l’anglais et un français mélangé, « un Franglais ». Je trouve ce
développement plutôt négatif. Ce problème de la dominance de l’anglais dans plusieurs
secteurs va probablement rester, parce que les États Unis et la Grande Bretagne sont deux
« nations » fortes sur le marché international quand il s’agit de l’économie ou de la technique
ou même de la politique. En même temps, il ne faut pas être trop protecteur de la pureté de la
langue, et la protéger contre toutes sources d’influence. Il est important d’augmenter la
connaissance et le respect des autres langues et de leur permettre d’être présentes à travers des
films, et d’autres médias venant de l’étranger. On ne peut pas offrir une seule solution au
problème de la dominance anglo-saxonne, mais je trouve que si on permettait plus de langues
dans les médias français, l’utilisation de l’anglais dans la langue commune pourrait peut-être
diminuer, et on pourrait aussi voir l’apparition d’autres mots étrangers. Un peu d’influence est
naturel au procès de développement de la langue, et on ne peut pas empêcher l’évolution ou la
croissance de la langue. Comme on le voit, le français d’aujourd’hui inclut beaucoup
d’emprunts des langages d’Afrique, etc., les pays dont la plupart des immigrants viennent. On
a fait une adaptation au vocabulaire des mots nouveaux.
Par la création de l’Académie et le dictionnaire de la langue française, la France a fait un
modèle à suivre pour d’autre pays. Au niveau politique linguistique, les procès de
féminisation de noms sont toujours une cause de problèmes. Cela est difficile, dans la mesure
où il reste plusieurs défenseurs de la langue pour protéger le français contre tout influence. Le
débat sur la féminisation sera probablement intéressant à suivre pendant plusieurs années de
plus.
Par rapport à la thèse de M. Magrey, il me semble que les mots diffusion, promotion et
coopération résument bien ses idées. Je trouve qu’il a raison quand il dit que les Français
peuvent compter sur au moins 25 millions d’allophones francophiles, et alors ils sont très
nombreux, mais le nombre n’est pas le seul facteur déterminant pour mettre la langue
française au peloton de tête dans la hiérarchie des langues.
Pour conclure, on peut dire que même si le rôle du français a beaucoup changé au cours
des siècles, les forces des locuteurs sont restées fortes à leur volonté de protéger leur langue
contre l’influence d’autres langages. Les changements du rôle ont eu des effets positifs et
négatifs et il est difficile à savoir quel rôle le français va jouer à l’avenir, puisque c’est une
langue en développement constant comme toutes les autres langues européennes.

22
Références bibliographiques :

Académie Française. (2005-04-21), L’Histoire de la langue française, www.academie-francaise.fr/langue/

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3224,36-348211,0.html

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www.diplomatie.gouv.fr/education/langue

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Tétu, M. (1997), Qu’est-ce que la FRANCOPHONIE, Hachette-Edicef, Pg. 8-26, 38-47, 63

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Références sécondaires :
Lundén, T. (1990), Språkens landskap i Europa, Språket – nyckeln till Europas framtid

23
LA LANGUE
FR ANÇAISE
DANS LE MONDE
LA LANGUE
FR ANÇAISE
201 5 DANS LE MONDE
201 8

Cette nouvelle édition quadriennale de La langue française dans le monde – la quatrième du genre – confirme une
fois de plus le dynamisme de l’espace linguistique francophone. Avec 300 millions de locuteurs, le français est la
cinquième langue la plus parlée au monde après le chinois, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Présente sur les cinq
continents, la langue française a toutes les caractéristiques d’une langue mondiale. Comme quelques autres, peu
nombreuses, elle se distingue par son statut et l’influence qu’elle exerce dans différents espaces et contextes.

Enrichi cette année d’une réflexion prospective sur les conditions des évolutions possibles de l’usage du français
– tout particulièrement dans les pays du Sud où réside l’essentiel de ses locuteurs –, cet ouvrage examine en
profondeur la réalité des pratiques quotidiennes. En tant que langue d’enseignement, mais aussi comme langue
étrangère, la situation de la langue française fait l’objet d’analyses approfondies et d’un état des lieux – global et par
grandes régions – qui permettent de mesurer la place singulière qu’occupe cette langue dans le paysage mondial.
Les dimensions économiques liées à la langue française sont largement abordées dans la troisième partie du livre,
qui montre à la fois le poids significatif que pèsent les pays francophones dans l’économie mondiale, mais aussi
l’avantage qu’ils retirent de leur appartenance à cet espace de partage d’une langue commune, notamment dans le
domaine des industries créatives. La valeur ajoutée du français pour l’emploi est également questionnée. Enfin, à
l’heure de l’intensification et de la massification des pratiques numériques et de la consommation audiovisuelle, les
données concernant la place de la langue française dans les grands médias internationaux et sur Internet viennent
illustrer de manière précise les conséquences de la croissance du nombre de francophones dans le monde.

édition
2019
internationale de
la Francophonie
Organisation
Gallimard

26 euros
G01827
978-2-07-278683-9

| Gallimard | Organisation internationale de la Francophonie

COUV_OIF.indd 1 22/10/2018 16:26


LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE

PRÉFACE
Davantage encore que les précédentes, cette édi-
tion nous apporte la démonstration de la pertinence
de nos ambitions, de nos engagements, et de la légiti-
mité de la Francophonie à les mener aux côtés de ses
États et gouvernements membres.

Nous savons à quel point la langue française est


résolument un puissant trait d’union pour agir soli-
dairement, et sur tous les fronts. Qu’elle est bien cette
grande langue de coopération, d’affirmation, de so-
cialisation, de concertation stratégique, d’action poli-
tique et de communication internationale. Troisième
langue des affaires et du commerce, la seule avec l’an-
glais à être parlée sur tous les continents, elle est aus-
La nouvelle édition de La langue française dans le si, sans contredit, langue de création et d’innovation.
monde est très attendue, car cet ouvrage permet de L’économie, les sciences et la société de l’information
faire le point sur la réalité d’un espace aux contours se conçoivent, se pensent et se pratiquent tous les jours
si vastes, la francophonie, que nous pourrions nous en français. La langue française est à la fois langue juri-
y perdre. dique, langue d’enseignement, de partage de connais-
sances, de médiation et de recherche. Nous refusons
Ce rapport, d’abord pensé comme un support pro- l’idée même que certains domaines soient la chasse
pice au partage des connaissances sur la langue fran- gardée d’une seule et unique langue, donc d’un seul
çaise et sa vitalité dans le monde, nous donne aussi mode de pensée. Nous estimons ce cloisonnement
l’occasion de mesurer, tout au moins en partie, les contre-productif. Le génie humain ne connaît pas de
effets des actions menées par la Francophonie, ainsi frontières.
que par l’ensemble des acteurs en charge de sa pro-
motion et de sa diffusion. Il constitue surtout une Notre plaidoyer en faveur du multilinguisme au
mine d’informations utiles, permettant d’étayer les sein des organisations régionales et internationales
recherches ou bien de renseigner qui s’intéressera à la est que l’on tienne compte de tous ces peuples qui
variété des situations et des contextes linguistiques et se projettent et qui disent aussi le monde en français,
culturels qui caractérisent un ensemble dont les com- que l’on entende leurs expériences, leurs perspectives,
posantes ainsi que leurs implications sont multiples : que l’on tire le meilleur de leurs options singulières
langagières, symboliques, éducationnelles, sociales, et plurielles, pour toujours plus de démocratie, d’es-
professionnelles, ou encore médiatiques, numériques, prit d’adhésion, d’inclusion et d’innovation dans le
économiques, démographiques… multilatéralisme.

12

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PRÉFACE

Sur le plan géopolitique et économique, la Franco- des stratégies déployés en actions multiformes, por-
phonie est le Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident. tées vigoureusement par des équipes d’hommes, de
Sur le plan culturel, elle est la créolité, la latinité, femmes et de jeunes, de solides réseaux d’experts,
l’arabité, la négritude et combien d’autres identi- convaincus et engagés, en associant fortement les
tés encore. Sur le plan linguistique, nous voyons la forces vives du terrain et la société civile.
langue française s�épanouir sur les cinq continents,
imbriquée dans une formidable mosaïque de cultures La langue française dans le monde 2018 propose
et dans un foisonnement d�autres langues – plus du également un questionnement stratégique, sorte
quart des 6 000 langues encore parlées sur la planète, d’état des lieux des enjeux et des défis qui se pré-
le sont dans les pays de l’espace francophone. sentent à nous dans des domaines aussi cruciaux que
l’investissement dans le capital humain, la croissance
De plus en plus nombreux, les 300 millions de partagée, le développement inclusif, responsable et
francophones, dont la très grande majorité dans durable, l’éducation, la formation professionnelle,
nombre de pays a moins de 30 ans, représentent plus technique et technologique des jeunes et des femmes,
que jamais une force capable, sur les cinq continents, leur insertion professionnelle, leurs capacités entre-
d’incarner la volonté de construire, produire, échan- preneuriales, le numérique et les nouvelles techno-
ger, créer, inventer, innover, établir des passerelles, logies, les industries culturelles et les médias. Sur la
avancer solidairement, forger des solutions ensemble, base de travaux rétrospectifs et prospectifs conduits
grâce à cette langue commune qui rend tout cela pos- depuis deux ans et des contributions de personnalités
sible, nous met en présence et nous permet de nous émérites et d’intellectuels francophones, différents
rencontrer. horizons sont esquissés pour la Francophonie.

Cette force tient au fait, comme l’a si bien dit Léo- Enfin, je tiens à remercier les Éditions Gallimard
pold Sédar Senghor, que « notre Francophonie n’est qui nous ont accompagnés dans ce travail avec tout
ni une tour, ni une cathédrale, elle s’enfonce dans leur savoir-faire et leur longue expérience, en espé-
la chair ardente de notre temps et ses exigences ». rant que le lecteur trouvera dans cet ouvrage de quoi
Ces mots fondateurs s’imposent à nous comme une satisfaire sa curiosité tout en prenant plaisir à sa
évidence. C’est bien pour répondre notamment aux consultation.
exigences sans cesse renouvelées de la paix, de la dé-
mocratie, des droits et des libertés, de la prévention
des crises, de la sécurité humaine, des objectifs du
développement durable, de la protection de l’envi-
ronnement, que la Francophonie, à la demande de
ses pays membres et aux côtés des populations, met
en œuvre au quotidien des programmes, des plans et

Michaëlle Jean
Secrétaire générale de la Francophonie

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AVANT-PROPOS

AVANT-PROPOS
Avec 300 millions de locuteurs, le français est la de l’universel », qu’appelait de ses vœux Léopold
5 e langue la plus parlée au monde après le chinois, Sédar Senghor, susceptible d’accueillir et de faire
l’anglais, l’espagnol et l’arabe. Présente sur les 5 dialoguer entre elles des identités multiples, ref lets
continents, la langue française a toutes les caracté- de nombreux imaginaires différents, de toutes les
ristiques d’une langue mondiale. Comme quelques spiritualités et d’un large spectre de références sym-
autres, peu nombreuses, elle se distingue par son boliques.
statut et l’inf luence qu’elle exerce dans différents
espaces et contextes. De ce fait, le travail présenté ici, fruit de 4 an-
nées de travail depuis la dernière édition de La lan-
En effet, elle est langue officielle (dans 32 États et gue française dans le monde, n’a rien d’un exercice
gouvernements et dans la plupart des organisations introspectif et autocentré qui viserait à montrer la
internationales), langue d’enseignement (de plus de force, voire la supériorité, de la langue française par
80 millions d’individus, sur 36 pays et territoires), rapport à telle ou telle langue ou dans tel ou tel sec-
langue étrangère (apprise par plus de 50 millions de teur. La réalité de ses usages, mais aussi leur variété,
personnes dans les 115 pays répertoriés cette année), condamneraient toute tentative en ce sens à l’échec
langue des médias internationaux (TV5MONDE, et au dérisoire. Il s’agit de tout autre chose.
RFI ou France 24, mais aussi Euronews, BBC News,
la chinoise CGTN ou la russe RT) et de l’Internet Ouvrage de caractère scientifique (cf. encadré
(où elle occupe la 4 e place). En outre, en rapport di- « Le comité scientifique de l’Observatoire de la lan-
rect avec le nombre de ses locuteurs ainsi qu’avec le gue française »), La langue française dans le monde,
poids économique, démographique et politique des se veut d’abord un outil d’information objectif sur
espaces qu’ils occupent, la langue française pèse de la présence et l’usage du français dans les grands do-
façon significative dans la création de richesse, le dé- maines de l’activité humaine. Ce faisant, il donne
veloppement durable et les échanges internationaux à voir, mais aussi à comprendre, les différents
à l’échelle nationale, régionale et mondiale. contextes de sa diffusion, les interactions auxquelles
elle participe, les inf luences qu’elle subit et qu’elle
Enfin, grâce aux francophones, la langue fran- exerce, la perception qu’en ont ses locuteurs… bref,
çaise est devenue, au fil des siècles, un creuset des toute la complexité qui s’attache à un objet d’étude
expressions culturelles et de la diversité linguistique aussi polymorphe qu’une langue.
et l’une des matrices d’une possible « civilisation

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AVANT-PROPOS

« Insister sur les enjeux liés à l’usage


du français en lien avec les conditions
qui détermineront son avenir. »

Mais l’objectif de cet ouvrage est également l’on dit parfois « seconde » et que certains appellent
d’inspirer les acteurs de la promotion de la langue « africaine » (par son appropriation, si ce n’est de
française et du multilinguisme, et plus largement par son origine) ? Comment aborder la question de la
les observateurs et les chercheurs concernés par les diversité des français qui se déploient au rythme de
questions linguistiques, d’éclairer les zones d’ombre, l’inventivité et des besoins des francophones ?
d’anticiper les évolutions manifestes et souterraines
et, peut-être, d’alimenter la profondeur stratégique Cette partie s’ouvre sur les réf lexions livrées par
de leur réf lexion. À cette fin, et conformément au quelques intellectuels francophones – que nous re-
mandat confié à l’Observatoire de la langue fran- mercions très sincèrement –, qui ont bien voulu nous
çaise qui la réalise, la présente édition insiste tout accompagner dans cet exercice, permettant de redon-
particulièrement sur les enjeux liés à l’usage du ner de la hauteur aux analyses engagées et d’ouvrir
français en lien avec les conditions qui détermine- de nouvelles pistes de recherche pour l’avenir.
ront son avenir.
Ce préalable en forme de plongée au cœur des si-
La première partie tente ainsi d’examiner diffé- tuations de francophonie nous a semblé indispen-
rents paramètres pertinents qui rendent compte de sable à la présentation de l’estimation actualisée
la vitalité de la langue française, de la réalité de ses du nombre de francophones dans le monde et par
usages dans les contextes plurilingues au sein des- pays – laquelle inclut quelques nouveaux pays –,
quels elle évolue très majoritairement aujourd’hui, que nous avons réalisée en étroite collaboration
et des défis qui conditionnent son éventuel essor : avec l’Observatoire démographique et statistique
éducatifs, normatifs, performatifs et symboliques. de l’espace francophone (ODSEF), basé à l’Uni-
Près de 60 % des locuteurs quotidiens de français versité Laval (Québec). Ce travail conjoint nous a
se trouvant désormais sur le continent africain, l’at- permis de présenter des chiffres dont les sources
tention s’est naturellement focalisée sur cet espace (multiples et souvent croisées) s’enrichissent d’année
et plus particulièrement sur l’examen de plusieurs en année, et dont la fiabilité tient à la maîtrise des
pays d’Afrique subsaharienne, du Maghreb et du outils statistiques, associée à la qualité scientifique
Liban. Quelles langues y parle-t-on à la maison, des chercheurs issus de tout l’espace francophone
dans le quartier, au travail ? Quelle place occupe la qui s’y succèdent. Nous laisserons au lecteur le soin
langue française dans les interactions langagières au de découvrir le détail de nos calculs dans la « Note
sein du foyer, en fonction des interlocuteurs et des de recherche » publiée séparément1, mais appelons
générations impliqués ? Est-elle considérée comme d’ores et déjà son attention sur les nécessaires dis-
une langue du patrimoine culturel et des outils de tinctions que nous établissons selon les différents
la transmission qu’il conviendrait, à ce titre, de pré- rapports qu’entretiennent les francophones avec la
server et de pérenniser ? Quels regards portent ses langue française en fonction de leur environnement
locuteurs, dont ce n’est pas souvent encore la pre- linguistique et des besoins qui sous-tendent leur re-
mière langue de socialisation, sur cette langue que cours à cette dernière.

1
Baptiste BECK, Richard MARCOUX, Laurent RICHARD et Alexandre WOLFF,
Estimation des populations francophones dans le monde en 2018. Sources et démarches
méthodologiques, Québec, 2018, Observatoire démographique et statistique de l’espace
francophone (ODSEF)/Université Laval, coll. « Note de recherche » de l’ODSEF, 160 p.

17

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LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE

Suivant l’habitude désormais établie, nous dessi- validation de projets professionnels, de mobilité ou
nons ensuite la fresque des nombreuses situations dans d’intégration, cette partie contribuera, nous l’espé-
lesquelles la langue française se trouve insérée dans rons, à une connaissance plus fine des réalités et des
des dispositifs d’apprentissage et d’enseignement. dynamiques plus spécifiques d’une centaine de pays,
Concentrés essentiellement sur son statut de langue parfois décrites à des échelles régionales.
étrangère, ce qu’elle est dans tous les pays du monde
non francophone, nous nous arrêtons néanmoins en Ce chapitre doit beaucoup aux précieuses
détail sur certains contextes où elle occupe, à des de- contributions que nous ont apportées en pre-
grés divers, des fonctions de langue d’enseignement. mier lieu les États et gouvernements membres
et observateurs de la Francophonie qui ont bien
Ouvert par un panorama général qui rend compte voulu répondre à notre questionnaire quadrien-
de sa présence mondiale, par continent, et de ses nal ; mais aussi à celles du ministère de l’Europe
évolutions récentes dans la sphère éducationnelle, et des Affaires étrangères français, et, par son
ce 2 e chapitre se poursuit par des présentations ré- entremise, des postes diplomatiques, au sein desquels
gionales et celles des situations de l’enseignement les conseillers culturels et les attachés de coopéra-
du et en français plus spécifiques aux pays. Celles- tion éducative ont œuvré sans relâche à la collecte
ci permettront au lecteur d’avoir un aperçu précis de données plus difficiles à obtenir qu’on ne le pense
du nombre d’apprenants et de ses évolutions, ainsi généralement ; et enfin aux partenaires et opérateurs
que des dynamiques insuff lées par les acteurs sur le œuvrant au service de la promotion et de la diffusion
terrain, ou encore dans le cadre de politiques na- du français qui ont mis en partage un certain nombre
tionales, ou d’accords de coopération linguistique de données et éléments d’analyse Qu’ils en soient,
et éducative avec les opérateurs et partenaires de les uns et les autres, très chaleureusement remerciés.
la Francophonie. Poursuivant l’inventaire entamé
dans la dernière édition, nous avons choisi d’insister Le chapitre suivant aborde les dimensions éco-
tout particulièrement sur l’Asie du Sud-Est (grâce nomiques qui s’attachent à la langue française. Il
à la contribution de David Bel) et sur l’Amérique, se propose d’examiner dans un premier temps les
relevant ainsi les enjeux et les évolutions propres à aspects macroéconomiques. Les travaux liminaires
ces vastes espaces essentiellement non francophones. menés en 2013 sur l’avantage que représentait le par-
tage de la langue française en matière d’échanges
Complétée par trois études synthétiques décrivant commerciaux et financiers, nous ont conduits à sol-
les outils et réseaux de diffusion et de promotion de liciter de nouveau l’une des chercheuses impliquée,
la langue française, les outils numériques existants Maria Masood, qui a procédé ainsi à une mise à jour
en ligne et mis à disposition des enseignants et des des données tout en élargissant le champ couvert
apprenants, et enfin, la description des certifications aux échanges relevant des industries créatives. Outre
associées aux apprentissages du français ainsi qu’à la la confirmation du bénéfice que retirent les pays

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AVANT-PROPOS

« L’intensité des échanges entre francophones


s’accroît, grâce à leur langue commune, dans
plusieurs secteurs des industries créatives. »

francophones de l’appartenance à cet espace, cette à démontrer. En constante mutation et se déployant


contribution renseigne une intuition encore insuf- sur des espaces quasiment infinis, ce monde à la fois
fisamment documentée : l’intensité des échanges virtuel et articulé sur des dispositifs technologiques
entre francophones s’accroît, grâce à leur langue et matériels, illustre tout autant les disparités décou-
commune, dans plusieurs secteurs des industries lant de l’hyperpuissance de certains acteurs et donc
créatives, tout particulièrement dans le domaine de de certaines langues, que les formidables occasions
l’écrit, mais aussi, pour les films et, plus inattendu, qu’il offre à la pluralité des langues et des expres-
pour les jeux vidéo. sions culturelles. À ce titre, il est particulièrement
révélateur d’y voir la langue française s’y mouvoir
L’approche microéconomique retenue par la suite, avec assurance, occupant une place enviable à bien
consiste en la restitution de plusieurs enquêtes des égards.
conduites dans différents pays sur la capacité du
français à constituer un atout pour les entreprises Cet ouvrage aurait pu aborder beaucoup d’autres
et une valeur ajoutée sur le marché du travail. En sujets encore, puisque la langue est impliquée dans de
Arménie, en Bulgarie, au Cambodge, au Kenya, très nombreux secteurs d’activité qui ont chacun leur
au Liban, à Madagascar, au Nigeria, en Roumanie importance et pour lesquels les enjeux liés à l’usage
et au Vietnam, les offres d’emploi ménagent-elles des langues sont essentiels, comme les organisations
une place à la connaissance de la langue française ? et les grandes conférences internationales 2 , le proces-
Quelle importance lui accordent les entreprises sus de normalisation ou la recherche scientifique. Ces
dans leur politique de recrutement et la gestion des sujets font ou feront l’objet de petites publications
carrières de leurs collaborateurs ? Le lecteur trou- séparées. Par ailleurs, se sont dessinées, au fil de la
vera des éléments de réponse à ces questions grâce rédaction, des pistes de recherches à venir, comme le
aux quelques statistiques présentées, mais surtout à recensement du nombre de professeurs et l’identifi-
travers l’analyse des orientations exprimées par les cation de leurs besoins ou l’importance relative et les
employeurs qui se sont prêtés à l’exercice. Le pe- spécificités de l’offre de formation dispensée dans les
tit échantillon mobilisé ne permet de tirer aucun entreprises et les administrations.
enseignement général, mais il a mis au jour quelques
constantes intéressantes qui consacrent, en général, Avant de laisser le lecteur naviguer dans les diffé-
l’importance de la connaissance des langues étran- rentes parties de ce livre selon ses centres d’intérêt
gères et la présence régulière du français dans les et sa curiosité, une dernière précision nous semble
combinaisons demandées. utile à formuler : tout en étant une publication of-
ficielle de l’OIF, La langue française dans le monde a
Enfin, une dernière partie est consacrée à l’uni- été conçue et rédigée selon des règles académiques,
vers médiatique et numérique, dont l’importance en scientifiques et éditoriales indépendantes de toute
matière d’usage et de diffusion des langues n’est pas considération institutionnelle.

2
Voir sur http://observatoire.francophonie.org/2018/doc-suivi-6.pdf

19

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PARTIE 1

LES FRANCO-
PHONES DANS
LE MONDE

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

LA FRANCOPHONIE VUE PAR…

Bernard Cerquiglini
Professeur de linguistique française,
présente l’émission Merci professeur ! sur T V5MONDE

L’extension mondiale de cet idiome a bénéficié


d’une norme solide, due à l’action pluriséculaire
des grammairiens et dictionnaristes, enseignée par
l’école, diffusée par la littérature et les médias. Le
français de référence, dérivé de la meilleure variété
hexagonale, ne manque pas de vertus : on lui doit
la Francophonie, seule organisation internationale
fondée sur une langue, ce qui implique le partage
et le respect d’une norme. Le français est une syn-
taxe ; il produit naturellement du lien social. Mais
cette langue, en se mondialisant, s’est défaite d’un
carcan académique. Chaque bouture a pris racine et
s’est élevée, libre et vivace, portant de beaux fruits :
termes propres, locutions particulières, façons de
dire aussi diverses que légitimes. Le français tire une
force accrue de cette diversité, qui illustre sa vitalité.
La norme, par suite, ne doit pas être un corset, mais
LA VIGUEUR un creuset ; il nous faut penser une francophonie de
D’UNE LANGUE-MONDE l’élan, et non du purisme.

« Le français s’est au fond émancipé de la France, il Montrons-nous tout d’abord plus réceptifs à la
est devenu une langue-monde. » Paraphrasant variante, en ne craignant pas d’adopter les fran-
Édouard Glissant, le président de la République cophonismes de bon aloi : des termes bien formés,
française s’exprimait en ces termes, le 20 mars 2018. transparents, utiles. L’impressionnante produc-
Que cet éloge d’un français « archipel » fût prononcé tivité francophone de la première conjugaison des
sous la coupole de l’Académie française donnait à verbes en est un bon exemple. On dit couramment
penser. Le berceau de cette langue (Belgique du Sud, en Suisse romande agender, pour « noter dans son
France du Nord) est devenu minoritaire en Franco- agenda » : agender un rendez-vous. La connais-
phonie ; la référence prescriptive, essentiellement sance (même intuitive) des règles morphologiques
française, perd de son autorité : tel est le fait majeur et sémantiques fait saisir le sens de ce terme, et sa
de l’histoire récente du français ; il n’est pas infé- formation : le verbe agender provient du substan-
cond. tif agenda. La pratique du français fait mesurer

22

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LA FRANCOPHONIE VUE PAR...

« Il nous faut penser


une francophonie de l’élan,
et non du purisme. »

également la valeur de cette création, qui remplace une institutrice, donc un procureur, une procureure
la périphrase utilisée partout ailleurs : inscrire dans (dire le ministre au sujet d’une femme joint à l’héré-
un agenda. Ce néologisme, conforme au « génie de sie grammaticale une humiliation sexiste). Ensuite,
la langue », vient avec bonheur et brièveté exprimer ce changement d’envergure, ref let d’un mouvement
une notion jusqu’ici traduite gauchement : le fran- social d’émancipation féminine, fut essentiellement
çais de référence, en quelque sorte, l’attendait. Il en francophone : parti en 1978 du Québec de la Révo-
est de même pour benner (« basculer la benne d’un lution tranquille, il gagna la Suisse, puis la Belgique,
camion » ; Belgique), bêtiser (« dire des bêtises » ; puis le Luxembourg, accompagné par les instances
Haïti), confiturer (« tartiner de confiture » ; Afrique de politique linguistiques (Offices de la langue,
centrale), fausser (« chanter ou jouer faux » ; Québec), Académies, etc.), en arc de cercle autour d’un Hexa-
grèver (« faire la grève » ; Afrique de l’Ouest et gone qui résistait avec hauteur. Car la France, en-
du Centre), siester (« faire la sieste » ; idem), etc. fin, malgré un puissant courant réformateur et
deux initiatives gouvernementales (Yvette Roudy
Il importe d’autre part d’accueillir les évolutions en 1984, Lionel Jospin en 1998), attendit les années
sociales telles qu’elles se ref lètent dans la langue. 2010 pour généraliser la parité lexicale. La situation
La féminisation des noms de métiers, titres et fonc- y est aujourd’hui paradoxale, qui met en présence
tions, l’un des changements linguistiques les plus une féminisation à l’œuvre dans tous les registres
amples de l’histoire du français, le montre exem- de langue, et un discours puriste (l’Académie fran-
plairement. Cette évolution, qui entend légitiment çaise prescrit le genre masculin pour les fonctions
inscrire la parité dans la langue et accroître la vi- éminentes) qui continue à la condamner.
sibilité des femmes, présente trois caractères. Tout
d’abord, elle s’accorde au « génie de la langue ». La La langue-monde attend le dictionnaire de son es-
morphologie produit aisément des féminins profes- sor : une compilation numérique bienveillante des
sionnels (avouée, contractuelle, courtière, informati- francophonismes dont elle s’est enrichie. Le fran-
cienne, etc.) ; les problèmes sont infimes (médecin, çais-archipel doit ouvrir sa norme aux alizés du pro-
matelot), les difficultés (mots en -eur non liés à un grès. Repenser la prescription, en pressant d’audace
verbe : ingénieur, procureur, etc.) aisément levées francophone l’habituelle prudence normative, telle
par le suffixe néologique -eure diffusé par le Qué- est la tâche à laquelle nous incite une langue univer-
bec (ingénieure, procureure). La grammaire, quant selle et qui se rit des frilosités.
à elle, attribue aux substantifs animés humains un
genre solidaire de leur sexe : un adolescent, une ado-
lescente ; un Chinois, une Chinoise ; un instituteur,

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

LA FRANCOPHONIE VUE PAR…

Rada Tirvassen
Professeur et chef de département des langues anciennes
et modernes à l’Université de Pretoria (Afrique du Sud)

mon vécu non seulement de francophone mais aussi


de plurilingue afin de tirer quelques enseignements
qui peuvent nourrir une réf lexion sur les initiatives
que pourraient prendre non seulement la Franco-
phonie mais également les États. Je suis d’ailleurs
d’avis que ce sont les initiatives nationales qui créent
d’abord et avant tout les conditions pour que rayon-
nent une langue ou plutôt des pratiques langagières.
La communauté internationale devrait alors agir
en complémentarité de ces initiatives nationales.

Je suis originaire de l’Île Maurice, une île dite pluri-


lingue où le français a longtemps été associé à la colo-
nisation et à ce qu’on appelle les Franco-Mauriciens,
c’est-à-dire les Blancs. Depuis quelques décennies,
la communauté mauricienne rebat ses cartes et laisse
à l’histoire ses catégorisations d’un autre temps. Le
français a pu s’affranchir d’une signification qu’il a
REPENSER L’ESPACE FRANCO- longtemps traînée comme un boulet. On assiste, en
PHONE : CE QUE CERTAINES effet, à une forte association entre le français et la
EXPÉRIENCES PEUVENT DIRE mobilité sociale 3 dans une société où, pourtant, les
stéréotypes ont la vie dure. On peut longuement épi-
Aujourd’hui, la majorité des locuteurs qui utilisent le loguer sur les causes de ces nouvelles significations
français quotidiennement résident sur un territoire qu’a prises cette langue. Quel que soit le point de
où cette langue n’est pas la langue première de la ma- vue que l’on peut adopter, on ne peut éviter d’évo-
jorité de la population. Il est donc temps de repenser quer la croissance économique que l’île a connue
l’espace francophone afin qu’il puisse être au service depuis son accession à l’indépendance en 1968, les
des communautés comme des citoyens. On peut, à efforts effectués afin que l’éducation soit accessible
cet égard, s’inspirer de la sociolinguistique, disci- à tous (l’éducation primaire et secondaire est non
pline qui se penche sur les rapports entre langues et seulement gratuite mais obligatoire jusqu’à l’âge
sociétés et qui a montré l’inadéquation de l’idéolo- de seize ans), l’accès aux médias (le taux d’équipe-
gie du monolinguisme pour planifier le devenir des ment télévisuel n’est pas loin de 100 %), la qualité
communautés humaines, dans le Sud comme dans de l’infrastructure routière et du transport public,
le Nord. Dans ce qui suit, je voudrais me fonder sur etc. Sur le plan linguistique, l’État a volontairement
3
Daniel BAGGIONI, Didier de ROBILLARD, « Le français régional mauricien : une
variété de langue en contact et en évolution dans un milieu à forte mobilité linguistique »,
in Multilinguisme et développement, Paris, 1993, IECF/Didier Érudition, p.141-237.

24

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LA FRANCOPHONIE VUE PAR...

« Tout est lié : développement économique,


respect des droits des citoyens, accès aux services
de première nécessité dont le droit à l’éducation. »

privilégié une politique visant à promouvoir un plu- et à la coexistence des pratiques langagières dans un
rilinguisme pouvant servir les divers objectifs fixés, équilibre, il est vrai difficile à réaliser, entre le res-
qu’ils soient culturels ou économiques. pect des traditions et l’évolution vers la modernité.
C’est dans cet équilibre que je situe l’avancement
Mon expérience en Afrique du Sud me permet de de la francophonie mauricienne et en particulier
conforter mon point de vue, même si dans ce pays, la progression du français dans la vie quotidienne,
c’est l’anglais qui est au centre des réf lexions des comme dans les institutions.
linguistes. Une des particularités de ce pays est de
donner un sens à sa libération du régime d’apartheid Cette démarche n’empêche pas des initiatives inter-
et de conforter son appartenance à « la culture afri- nationales. Nous sommes au début d’une période
caine ». Les autorités tentent d’assurer un soutien où, pour le linguiste, une langue n’est la propriété
équilibré à l’ensemble des langues majeures du pays d’aucun peuple : elle fait partie du patrimoine inter-
ainsi que le montre la décision d’offrir un statut de national et ceux qui veulent se l’approprier peuvent
langue officielle aux onze langues du pays. Toute- le faire en toute légitimité. Le nombre d’étudiants
fois, l’anglais joue le rôle de lingua franca, de mé- inscrits, à leurs frais, à des programmes d’enseigne-
dium des communications officielles et d’outil de ment des langues, est un fait connu. Toutefois, le
la réussite professionnelle et sociale. En dépit de commun des mortels n’a pas encore pris conscience
ses problèmes et de ses tensions, c’est un pays qui que la pratique de la langue française ne peut plus
opère dans un espace démocratique où les langues être associée à ce qu’on appelle, en sociolinguistique,
servent tout autant à l’épanouissement des pratiques une seule communauté linguistique. Si les linguistes
culturelles qu’à l’avancement socio-économique de travaillent sur la notion de normes contextuelles, il
la communauté. y a maintenant lieu de répercuter cette interpréta-
tion de la manière dont nous pratiquons nos langues
La Francophonie institutionnelle peut s’appuyer sur auprès des institutions chargées de règlementer la
ces contextes afin de faire prendre conscience aux pratique langagière, notamment en contexte sco-
décideurs des conditions nécessaires à la création laire. Il faudrait par ailleurs favoriser l’expression
d’un espace francophone qui pourrait être au service culturelle plurielle et assurer sa diffusion dans les
de l’harmonie sociale et de l’avancement socio-éco- pays francophones. Les littéraires ont déjà montré
nomique. Il est nécessaire de montrer à quel point la voie même s’il faut maintenant penser à ce que
tout est lié : développement économique, respect j’appellerai, sans doute inadéquatement, la vulgari-
des droits des citoyens, accès aux services de pre- sation de leurs travaux. L’audiovisuel a un petit bout
mière nécessité dont le droit à l’éducation. De ma- de chemin à parcourir. Je pense à la télévision et au
nière plus générale, la Francophonie peut montrer cinéma. Mais, peut-être, qu’après tout ce qui a été
à quel point il est essentiel de créer les conditions réalisé, cette voie sera moins longue que prévu. A
nécessaires au progrès des communautés humaines Hundred Foot Distance 4 ?
4
Titre d’un film qui montre que la distance culturelle entre des peuples étran-
gers n’est qu’un leurre.

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

LA FRANCOPHONIE VUE PAR…

Souleymane Bachir
Diagne Professeur à Columbia University

voulaient qu’Édouard Glissant par exemple figurât au


rayon périphérique des écrivains francophones quand
Milan Kundera était reçu dans la maison « littérature
française » et invité à s’asseoir à côté de Lamartine.
À Saint-Malo, l’édition 2018 du toujours magnifique
festival des Étonnants Voyageurs a d’ailleurs été l’occa-
sion, dix ans après le Manifeste et le livre, de mesu-
rer les progrès accomplis dans le décloisonnement, le
décentrement de ce qui ne doit être que la littérature
créée en cette langue française que partagent auteurs
suisses, congolais, français, sénégalais, québécois,
maliens, etc., lorsqu’ils la célèbrent et la renouvellent
constamment dans et par leur écriture.

Puisqu’aujourd’hui c’est en grande partie chose faite


que de reconnaître que les auteurs du monde qui ont
le français en partage ne se distribuent pas entre ceux
du centre et ceux de la périphérie, peut-être faut-il
On se souvient qu’en 2007 quarante-quatre éminents maintenant se rappeler, comme certains l’avaient dit
écrivains ont ensemble signé un manifeste publié dans d’ailleurs au plus fort de la controverse soulevée par
le quotidien Le Monde pour remettre en question la l’attaque contre la « francophonie », que ce mot, à
notion de littérature francophone. Le manifeste s’était l’examen, n’est en rien opposé à la notion de « littéra-
ensuite prolongé en un ouvrage collectif dirigé par ture-monde en français ». J’ajouterai, et c’est l’objet de
Michel Le Bris et Jean Rouard et portant pour titre mon propos ici, qu’au contraire la francophonie bien
Pour une littérature-monde en français. comprise, c’est-à-dire comprise comme illustration du
pluralisme linguistique, dénote la même chose que
L’idée de ce Manifeste était née à Bamako l’année cette expression et répond en particulier à la demande
précédente, pendant le Festival Étonnants Voyageurs d’Édouard Glissant que l’écriture en français soit la
qui se tenait dans la capitale malienne. L’histoire veut célébration d’une « co-présence des langues » du monde
que tout soit parti d’une conversation entre Michel Le et de leur mise en relation.
Bris, Jean Rouard et Alain Mabanckou qui avaient
exprimé le ras-le-bol de bien des écrivains devant la Édouard Glissant, on le sait, a été de l’aventure du
séparation établie entre auteurs français et auteurs Manifeste et il a également donné un entretien pour le
dits « francophones », malgré des incohérences qui livre collectif sur la Littérature-monde en français. Que

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LA FRANCOPHONIE VUE PAR...

« L’écriture en français [est]


la célébration d’une co-présence des langues
du monde et de leur mise en relation. »

d’ailleurs le concept même de « littérature-monde » présence d’une langue qui est aussi toutes les langues
doit au moins autant au concept du « Tout-monde » du monde, pour citer ici le mot bien connu d’Édouard
qui est au centre de son œuvre qu’à celui de « litté- Glissant, qu’il reprend et répète lui-même souvent
rature mondiale » créé par Goethe. Il est évident que dans ses textes : « J’écris en présence de toutes les lan-
puisqu’il visait avant tout à détacher la langue de la gues du monde. » On peut ainsi, par exemple, citer
nation, de la déraciner hors de l’ancrage dans l’identité ce passage : « J’écris désormais en présence de toutes
pour la redistribuer dans les relations et les emmêle- les langues du monde, dans la nostalgie poignante de
ments qui constituent le monde, le Manifeste était de leur devenir menacé. (…) Dans la langue qui me sert
part en part glissantien en ce qu’il affirmait de toute la à exprimer, et quand même je ne me réclamerais que
force des voix capitales de la littérature en français qui d’elle seule, je n’écris plus de manière monolingue.6 »
l’avaient porté et relayé que, selon le mot de Jacques N’est-ce pas là, justement, le sens même de la fran-
Derrida, « la langue n’appartient pas ». cophonie littéraire, un écrire en français qui bruisse
du pluriel d’autres langues, et qui, en se faisant, dé-
Mais, cela dit, il n’est pas seulement question de dé- crit aussi la trace du Divers. Je cite encore Jean-Louis
tacher la langue de la nation et d’effectuer le décen- Joubert parlant fort justement d’une « esthétique de la
trement qui mettra ensemble, qui emmêlera dans les trace » : « C’est bien ce qui se rencontre dans les textes
rayons des librairies de France, selon un rangement d’Édouard Glissant. Son usage de la langue française
qui n’obéira qu’à la neutralité et la sagesse de l’ordre s’écarte des grands chemins battus pour ouvrir de
alphabétique, Mabanckou, Manchette et Mallarmé. nouvelles tracées langagières. Sur le plan de la syn-
Il est aussi question, ainsi que l’écrit Jean-Louis Jou- taxe comme du lexique il mêle à son français les traces
bert à propos de Glissant « de déconstruire le fran- d’autres langues, principalement du créole. »
çais pour rendre sensible l’occultation du créole ».
Et l’auteur de continuer : « Si le créole parfois fait Ces usages sont, dans le fond, ce que réunit et emmêle
irruption dans son écriture, c’est dans le choc de sa le concept d’écriture francophone. Qui exprime simple-
présence littérale, soulignant la tangence aux An- ment qu’en elle se tiennent les langues du monde ; que
tilles du créole et du français, et non dans quelque les langues de Mabanckou, de Sami Tchak ou de Nancy
douteuse créolisation du français.5 » Huston en français bruissent d’autres langues qui les
habitent. Et ne parlons pas de Kourouma où les langues
Je m’arrête ici sur ces notions qu’il y a tangence du autres tonnent plutôt qu’elles ne bruissent. Voilà ce que
créole et du français, que le créole fait parfois irruption dit, simplement, le mot « francophonie » qui invite du
dans l’écriture en français (même si hors de ces mo- reste les auteurs hexagonaux à s’aviser qu’eux aussi sont
ments d’irruption on peut soutenir qu’il reste présent) francophones en ce que leur écriture ne peut plus se
et que celle-ci procède aussi à sa propre déconstruction faire « de manière monolingue ». De la francophonie lit-
pour rendre sensible une autre langue qui s’y trouve téraire on pourra alors dire, sans paradoxe, qu’Édouard
occultée. Voilà un sens de ce que cela veut dire écrire en Glissant est bien le plus ardent des défenseurs.

5 6
Jean-Louis JOUBERT, Édouard GLISSANT, Paris, 2005, adpf, p. 53. Édouard GLISSANT, Traité du Tout-Monde. Poétique IV, Paris, 1997, Gallimard,
p. 26.

27

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

LA FRANCOPHONIE VUE PAR…

Jean-Marie Klinkenberg
Membre de l’Académie royale de Belgique

Dans l’ensemble, ces évolutions ont bien évidem-


ment servi la diffusion de l’anglais. Mais
l’observateur attentif ne manquera pas de remarquer
d’autres mouvements. Il constatera ainsi que plu-
sieurs républiques nées de l’éclatement de l’URSS
sont désormais entrées dans l’orbite culturelle de la
Turquie. À l’autre bout du globe, en Amérique
latine, il pointera les effets des échanges économiques
que le Mercosur a suscités : n’ont-ils pas stimulé la
croissance des besoins en compétences langagières et
encouragé l’avènement de nouvelles politiques édu-
cationnelles misant notamment sur l’éducation bi-
lingue espagnol-portugais ?

Au total, si la suprématie de l’anglais ne semble pas


menacée (et notamment pas par le Brexit), une re-
distribution du rôle des langues pourrait donc adve-
nir à moyen et à long terme. On se rappellera ainsi
LE FRANÇAIS FACE AU MARCHÉ qu’en 1997, le British Council publiait, sous la
DES LANGUES plume de David Graddol, un rapport sur la situation
de l’anglais, fondé sur des projections dé-
Le marché des langues a connu bien des transforma- mographiques et économiques : The Future of Eng-
tions au cours de ces dernières années. À la fin du lish ? Cette étude montre qu’à l’horizon 2050, de
xx e siècle, une série de facteurs politiques et civilisa- nouveaux rapports de force s’établiront, où plus au-
tionnels ont réaménagé le rapport entre les langues cune langue n’occupera la position hégémonique
de grande diffusion : l’effondrement de l’empire so- dont l’anglais jouit en ce début de xxie siècle.
viétique, la réunification de l’Allemagne, la montée
en puissance de la Chine et de l’Inde, la vie caho- Le français n’est pas trop mal placé pour épouser ces
tante de la construction européenne, le raz-de-marée mouvements. D’une part, sa situation économique
néolibéral, le développement formidable des tech- est loin d’être aussi défavorable qu’on le dit, et
nologies bouleversant les modes de communication d’autre part, la démographie semble lui garantir un
autant que l’organisation du travail et des loisirs… bel avenir.

28

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LA FRANCOPHONIE VUE PAR...

« Chacun sait que l’avenir du français est en Afrique,


mais tout le monde n’en déduit pas que cet avenir
passe par le développement de ce continent. »

Sur le premier plan, François Grin et Marcello Gaz- téressé, peut être conjugué avec un second, pragma-
zola notent que si les francophones ne constituent tique et idéaliste à la fois, qui est le nécessaire déve-
qu’entre 1,5 et 2 % de la population du globe, leurs loppement du Sud : chacun sait que l’avenir du
revenus représentent environ 5 % de son économie. français est en Afrique, mais tout le monde n’en
On peut donc affirmer que le français joue encore déduit pas que cet avenir passe par le développement
un rôle économique non négligeable. Mais il faut de ce continent.
aller au-delà de ces chiffres, en soulignant qu’ils
masquent les fortes disparités du monde franco- Or la conjonction de ces deux objectifs en génère un
phone : celui-ci compte en effet les pays les plus pau- troisième, plus résolument idéaliste : le maintien de
vres de la planète. la diversité culturelle. Un objectif qui est donc une
conséquence des deux autres. Car si je tiens, comme
Sur le second plan, la situation est également inté- le fait la Francophonie organisée, que la défense de
ressante à analyser. Dans un travail publié en 2012, la diversité est le seul mandat qu’elle puisse se don-
le démographe Richard Marcoux évaluait le nombre ner, ce n’est pas pour moi une prémisse, ou la con-
de francophones en 2050 en partant de deux hy- crétisation de je ne sais quel destin : c’est la conclu-
pothèses, l’une défavorable – la stabilisation des sion d’un raisonnement mené sur un mode réaliste.
taux de naissance et de formation – l’autre favo-
rable : une scolarisation plus poussée des pays du Mais pour réaliser ce triple programme, deux condi-
Sud. Dans le premier cas, il aboutissait à 276 mil- tions devront être réunies, qui ne font certes pas
lions de francophones, et, dans le second, à plus du consensus. Il faut d’une part mettre résolument en
double. Or le premier chiffre est déjà dépassé cause des politiques fondées sur la culture du
aujourd’hui, si l’on en croit le présent rapport. Il y a profit, qui, loin de le servir, freinent le développe-
là un saut spectaculaire. Mais cette progression est ment. Il faut d’autre part acter que si le français oc-
due à deux facteurs très localisés dans l’espace : la cupe aujourd’hui une position tactique faisant de lui
croissance démographique des pays d’Afrique subsa- un acteur important dans la lutte pour la diversité (il
harienne et la progression de la scolarisation dans présente en effet ces deux traits importants : d’une
cette même région. Conjoindre ces deux constats part il permet l’expression de la modernité, et de
fournit sa feuille de route à la Francophonie en lui l’autre il est assez fort pour être fédérateur et assez
assignant deux objectifs. faible pour n’être pas – ou plus – universellement
dominateur), il n’est pas seul face au mouvement
Dans le cadre de la compétition économique mon- d’uniformisation. Il devra donc apprendre à dia-
diale, les États francophones septentrionaux déve- loguer loyalement avec les autres aires culturelles,
loppés ont intérêt à garder rentable la langue qui les afin de créer un jour un carrefour des États « ne vou-
définit. Mais ce premier objectif, pragmatique et in- lant pas avoir que l’anglais en partage ».

29

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USAGE QUOTIDIEN DU FRANÇAIS : QUEL AVENIR À L’HORIZON 2050 ?

USAGE QUOTIDIEN DU FRANÇAIS :

quel avenir à l’horizon


2050 ?
L’usage des langues peut se mesurer sous diffé-
rents angles : l’intensité, la qualité, la localisation,
« L’usage des langues
la spécialisation par domaine, le crédit qu’on leur peut se mesurer sous
porte… Afin d’étudier différents scénarios de fu-
turs possibles concernant l’usage de la langue fran-
différents angles :
çaise, et compte tenu du nombre de secteurs et de la l’intensité, la qualité,
multiplicité des facteurs liés à son utilisation, il est
préférable, dans un premier temps, de circonscrire
la localisation… »
la question prospective à un périmètre restreint :
l’avenir de l’usage quotidien du français à l’horizon
2050 7.
en 2016 et 2017, qui ont réuni plusieurs dizaines de
Cette question est le fruit du travail de veille et spécialistes en charge de l’économie et du numé-
d’analyse qui a permis de mieux cerner des situations rique, de l’éducation et de la jeunesse, des affaires
de francophonie très variées selon les territoires, et politiques et de la gouvernance démocratique, de la
dont il a été rendu compte dans La langue française langue française, de la diversité culturelle, de la pro-
dans le monde 2014 8. grammation et du développement stratégique.

Par exemple, dans la « galaxie francophonie », cer- L’analyse des réponses aux différents questionnaires
tains pays relèvent de la planète « Naître et vivre aus- envoyés 9 permet de mieux cerner les évolutions
si en français », où il est fait un usage quotidien ou passées ayant eu un impact sur la Francophonie et
très régulier du français. Cette catégorisation prend ses actions ainsi que les changements ou ruptures
en compte la proportion de francophones, le statut éventuels à venir (questionnaire dit « rétrospectif et
de la langue française, l’intensité de sa présence dans prospectif ») en essayant d’en apprécier l’importance
différents secteurs (administrations, audiovisuel, pour la Francophonie et le degré de maîtrise que les
presse écrite, littérature, commerce…) ou encore son répondants lui prêtent. Ces outils, couramment uti-
usage comme langue d’enseignement. lisés en prospective, n’ont aucune prétention scien-
tifique et les résultats qu’ils permettent de dégager
Afin de définir les composantes et thématiques en n’ont pas de valeur représentative, mais ils font
lien avec le sujet, l’Observatoire de la langue fran- émerger des hypothèses, des interrogations et des
çaise a consulté les membres de différentes direc- « signaux faibles », préalable nécessaire à la réf lexion
tions de l’OIF lors d’ateliers collaboratifs organisés sur les pistes de recherche à explorer.

7 9
Voircarte p. 33. Questionnaires rétrospectif et prospectif ; idées reçues et ABAQUE de Régnier©
8
La langue française dans le monde 2014. OIF/Nathan.

31

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

LE PÉRIMÈTRE GÉOGRAPHIQUE
DE L’USAGE QUOTIDIEN DU FRANÇAIS

PAYS OU RÉGION % DE FRANCO- PAYS OU RÉGION % DE FRANCO-


PHONES (SUR PHONES (SUR
LA POPULATION LA POPULATION
TOTALE) TOTALE)

« Naître en français » : Partage le statut de langue


Canada-Québec 93 % officielle avec une ou plusieurs
Fédération Wallonie-Bruxelles 98 % autres langues, « vivre
France 97 % aussi en français » :
Monaco 97 % Burundi 8%
Suisse romande 81 % (2005) Belgique 75 %
Cameroun 41 %
Autre « Naître en français » Canada 29 %
(% significatif) : Canada-Nouveau-Brunswick 42 %
Andorre 70 % Canada-Ontario 11 %
Liban 38 % Centrafrique 28 %
Maurice 73 % Comores 26 %
Djibouti 50 %
Seule langue officielle Guinée équatoriale 29 %
« vivre aussi en français » : Haïti 42 %
Bénin 33 % Luxembourg 92 %
Burkina Faso 24 % Madagascar 20 %
Congo 59 % Rwanda 6%
Côte d’Ivoire 33 % Seychelles 53 %
France-Outre-Mer 84 % Suisse 67 %
Gabon 66 % Tchad 13 %
Guinée 25 % Vanuatu 31 %
Mali 17 %
Niger 13 %
République démocratique
du Congo 51 %
Sénégal 26 %
Togo 40 %

Maghreb, « vivre
aussi en français » :
Algérie 33 %
Maroc 35 %
Mauritanie 13 %
Tunisie 52 %

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USAGE QUOTIDIEN DU FRANÇAIS : QUEL AVENIR À L’HORIZON 2050 ?

33

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

CHANGEMENTS EXTERNES leur diffusion. Ces interactions généralisées et non


ET INTERNES À L’ESPACE régulées entre les cultures ont parfois abouti à une
FRANCOPHONE résurgence de manifestations nationalistes et de re-
vendications identitaires.
De l’analyse des évolutions constatées et prévisibles,
il ressort que cinq éléments sont jugés très impor- L’équilibre des puissances économiques s’est trou-
tants pour l’avenir de la francophonie : vé modifié par l’émergence de nouveaux acteurs
 la mondialisation (BRICs) et un affaiblissement relatif de la France
 les nouveaux modes de communication et de la coopération française. En particulier dans
 la croissance démographique africaine le domaine audiovisuel avec, par exemple, le retrait
 la mobilité des francophones de la France du réseau africain de la radio Africa
 la baisse du niveau de français. Numéro 1 et ce qui est perçu comme un « déman-
Sur tous ces facteurs, la maîtrise de la Francophonie tèlement progressif » de la coopération audiovisuelle
est jugée faible, voire très faible… française. Dans le même temps, les mouvements
migratoires se sont intensifiés, mo-
Les changements passés et les évolutions à venir :
difiant le paysage linguistique de
impact et maîtrise pour la Francophonie certains territoires.
6

4
HYPOTHÈSES
EN DÉBAT
3

2 La place des langues natio-


1 nales par rapport au français
dans les usages quotidiens :
0
« Les langues nationales au-
Mondialisation
(échanges)
Nouveaux modes
communication
Innovations
anglo-saxonnes
Mobilisation politique
pour plurilinguisme
Affaiblissement
France
Revendications
identitaires
Mouvements
migratoires
Poids économique des
pays du Commonwealth
Modèles de gestion et
évaluation anglo-saxons
Jugement sur maîtrise du
français/langue des élites
Français outil
connaissance et expertise
Croissance
démographique africaine
Mobilité des francophones
(visas et bourses)
Baisse du niveau
de français
Changement paradigme
pédagogique (utilitarisme)
Paysage et consommation
audiovisuels
Piratage

ront remplacé le français dans


les usages quotidiens des Afri-
cains subsahariens »

Selon les répondants, l’hypothèse


Importance (1 à 5)
Maîtrise (1 à 5) pourrait s’avérer pour des pays dis-
posant d’une langue vernaculaire
partagée par toute la population
La mondialisation, au sens de l’internationalisation comme le Burundi, le Rwanda, Madagascar, le Mali
et de l’accélération des échanges, a renforcé le rôle de ou le Sénégal, mais pas pour des pays à « mosaïque
langue de communication de l’anglais. La place de linguistique » tels que le Bénin, la Côte d’Ivoire ou
l’anglais s’est accrue également par la capacité d’in- le Gabon par exemple. Cette « substitution » dépend
novation des États-Unis dont les nouveaux produits donc des régions et des zones (rurales/urbaines), de
et services, notamment numériques, se sont imposés leur configuration sociolinguistique et du statut que
entraînant souvent la domination des conceptions chaque pays accordera aux langues nationales.
anglo-saxonnes et une forme d’uniformisation des De plus, beaucoup considèrent que le français reste
modes de consommation et des pratiques culturelles. utile pour la communication entre francophones
n’ayant pas la même langue maternelle et, même
Parallèlement, les expressions culturelles issues dans les pays africains où les langues nationales
d’autres continents ont également pu accroître progressent, les études révèlent que le nombre de

34

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USAGE QUOTIDIEN DU FRANÇAIS : QUEL AVENIR À L’HORIZON 2050 ?

francophones progresse également10. D’autres hy- gistres ou à être présentes dans toutes les disciplines
pothèses sont avancées, comme la progression de et à tous les niveaux d’enseignement avec les sup-
l’anglais plutôt que celle des langues nationales, le ports correspondants.
maintien du français plutôt dans les usages écrits/ Il y a aussi des raisons économiques liées au coût de la
numériques, ou encore, un phénomène d’hybrida- formation que nécessiterait la généralisation de l’en-
tion du français. Enfin, la scolarisation des jeunes a seignement en langue(s) nationale(s) ; sans négliger
pour conséquence de consolider l’usage du français, la délicate question du choix des langues qui seraient
tandis que certaines professions rendent presque retenues au détriment d’autres, dans des pays où
obligatoire sa maîtrise. plusieurs idiomes sont largement pratiqués. Enfin, il
faut considérer la demande des parents d’un ensei-
La place des langues nationales par rapport gnement de qualité, jugé souvent meilleur en français
au français dans l’enseignement : « Les langues (dans les pays où il est langue officielle), et leur vision
nationales, comme le wolof, le bambara ou le pragmatique, fondée sur l’utilité du français dans la
swahili, se substitueront à la langue française communication internationale. Certaines langues,
comme langue d’enseignement » comme le swahili, peuvent néanmoins se prévaloir
de certaines des caractéristiques susceptibles de rela-
Pour les répondants, l’aspiration identitaire, com- tiviser les arguments qui précèdent.
prenant une volonté individuelle de conserver les
langues locales, parfois doublée par des politiques Des Européens plurilingues ? « Les citoyens
publiques volontaristes, pourraient menacer l’usage européens seront une majorité à maîtriser
des langues du passé colonial. La substitution serait deux langues »
donc, théoriquement, possible. Néanmoins, l’ou-
verture vers l’extérieur, les développements techno- La généralisation de l’apprentissage d’une deuxième
logiques, la nécessité d’effectuer une mobilité pour langue étrangère dans les systèmes d’éducation, et
se former, l’ancrage du français dans des pratiques le développement de politiques au sein de l’Union
largement plurilingues en Afrique, rendent peu pro- européenne favorables au multilinguisme, sont des
bable cette hypothèse. On envisage plutôt le main- facteurs décisifs. De plus, l’augmentation des mo-
tien d’une coexistence des langues, même si les fron- bilités et des métissages culturels, la mondialisation
tières de leurs usages évolueront et que le français des échanges et l’évolution des nouvelles technolo-
risque d’être sérieusement concurrencé par d’autres gies renforcent la probabilité d’une maîtrise géné-
langues internationales, comme l’anglais ou l’espa- ralisée d’au moins deux langues étrangères par les
gnol, et éventuellement le mandarin. citoyens européens.

Cependant, il est vrai que les langues africaines Cependant, cette hypothèse doit être nuancée : si les
transfrontalières (comme le swahili ou l’arabe) sont Européens des plus jeunes tranches d’âges auront des
utilisées comme langue d’enseignement, même si compétences dans au moins deux langues en plus de
les langues « internationales » sont toujours pré- leur langue maternelle, en raison d’un apprentissage
sentes dans les systèmes éducatifs et semblent in- dès le primaire, on ne pourra pas réellement parler de
dispensables pour les études supérieures. Ainsi, une « maîtrise » dans trois langues. Une compréhension
meilleure intégration des langues nationales dans passive d’une troisième langue reste plus probable.
les politiques éducatives et linguistiques des pays Ainsi en France, la deuxième langue apprise à l’école,
d’Afrique francophone est plus probable que leur n’est pas réellement maîtrisée. D’ailleurs, la compa-
substitution au français comme langue d’enseigne- raison des enquêtes Eurobaromètre 2005 et 2012
ment. D’autant que ces langues n’ont pas forcément révèle plutôt une régression du nombre d’Européens
pu développer une capacité à exprimer tous les re- maîtrisant deux langues étrangères.

10
« Cohabitation des langues dans l’espace francophone : les exemples de cinq pays
africains », in La langue française dans le monde 2014, OIF/Nathan, p. 82-89.

35

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LES FRANCOPHONES DANS LE MONDE

« Le plurilinguisme reste Les arabes vernaculaires s’imposeront au


Maghreb et au Liban : « Les dialectes se sub-
compris comme “ langue stitueront à l’arabe standard et au français
maternelle + une langue comme langue d’enseignement »

étrangère ”. » Face à cette hypothèse, les avis des répondants sont très
partagés mais s’accordent pour considérer que les situa-
Enfin, pour certains, aucune politique linguistique tions ne sont pas comparables d’un pays à l’autre, tant
sérieuse n’est mise en œuvre. Le « plurilinguisme » du point de vue de l’image du français, que de la place
reste compris comme « langue maternelle + une lan- respective qu’y occupe l’arabe standard, les arabes ré-
gue étrangère », laquelle est le plus souvent l’anglais. gionaux ou encore les différentes variétés du berbère.
Même s’il y a apprentissage d’une seconde langue
étrangère, l’usage de cette langue paraît toujours li- Ainsi, au Liban, l’arabe parlé est relativement proche
mité, excepté chez les populations ayant des origines de l’arabe standard. Il est donc peu probable qu’il se
d’un autre pays, d’une certaine élite culturelle et des substitue à l’arabe standard ou au français comme
Européens « linguistiquement minoritaires » rési- langue d’enseignement. Toutefois, l’enseignement
dant dans un État officiellement multilingue (néer- en anglais pourrait gagner du terrain. Au Maghreb,
landophones et francophones en Belgique ou germa- il est plus probable que les « dialectes » deviennent
nophones et francophones en Suisse par exemple). des langues d’enseignement. Cela pourrait être une
tentation face au problème des « analphabètes bi-
L’anglais remplacerait le français pour ensei- lingues » (ne maîtrisant ni l’arabe classique ni le
gner les sciences dans le monde arabe ? « Au français) même si des exceptions subsisteraient,
Maghreb et au Liban, les disciplines scienti- notamment dans l’enseignement supérieur (comme
fiques seront enseignées exclusivement en an- en Algérie où le français n’a jamais disparu et s’est
glais » même généralisé dans les filières scientifiques mal-
gré une politique affirmée favorable à l’arabe).
Pour la majorité des répondants, l’anglais gagne
certes du terrain dans ces pays (comme en témoigne, Relativement moins de francophones au
par exemple, la présence d’universités privées anglo- Québec ? « La part des locuteurs de français au
phones), mais le passage à l’anglais pour l’enseigne- Québec diminuera »
ment des disciplines scientifiques à l’échelle natio-
nale demanderait du temps. La situation linguistique québécoise est complexe
et ses évolutions dépendent de nombreux facteurs.
En revanche, certains répondants sont en accord Ainsi, la politique d’immigration du Québec favo-
avec l’hypothèse affirmant que la recherche s’in- rise l’arrivée de populations déjà francophones (ou
ternationalise et que le poids de la langue anglaise susceptibles de le devenir) dans la Province, ce qui
devrait continuer à se renforcer. Certains pensent participe à l’augmentation des locuteurs de français.
ainsi que les disciplines scientifiques pourraient pos- En revanche, le français n’étant pas la seule option
siblement être enseignées exclusivement en anglais pour les immigrants, surtout à Montréal où la plu-
au Liban (où cette langue est déjà un médium d’en- part d’entre eux s’établissent, l’anglais pourrait éga-
seignement), mais pas dans les pays du Maghreb. lement les attirer, ne serait-ce que par sa position
Le positionnement politique de l’Algérie – objecti- majoritaire dans le reste du Canada, et en Amérique
vement très francophone – pourrait également évo- du Nord. En outre, de nombreux immigrants au
luer par rapport à la langue française et avoir une Québec connaissent souvent l’anglais avant leur ar-
inf luence sur ses voisins. rivée ou sont motivés à l’apprendre.

36

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USAGE QUOTIDIEN DU FRANÇAIS : QUEL AVENIR À L’HORIZON 2050 ?

« Le nombre de francophones […] dépendra des


évolutions démographiques annoncées, mais également
de la place du français dans les systèmes éducatifs. »

En réalité, les statistiques actuelles et les projections LES CONDITIONS


montrent une légère baisse du pourcentage de franco- DE LA PROGRESSION
phones au Québec malgré une augmentation de leur DE LA FRANCOPHONIE
nombre total. Dans une étude récente de Statistique
Canada11, qui projette la tendance la plus actuelle en Ces premières analyses des tendances passées et la
termes d’immigration (niveaux, composition) ainsi formulation de quelques hypothèses d’évolution sur
qu’en termes de transferts linguistiques, la propor- la place du français dans certains secteurs et zones
tion de locuteurs de français passerait à environ 86 % géographiques ont démontré la nécessité de tenir
en 2050 (contre 89 % en début de projection). compte des contextes spécifiques dans lesquels se
déploie l’usage de cette langue. Destiné à éprouver
Une production audiovisuelle africaine en les dernières prévisions optimistes qui prédisent une
langues nationales ? « La production audiovi- progression significative du nombre de francophones
suelle, TV et cinéma, des pays d’Afrique sub- à l’horizon 207012 , cet exercice doit s’accompagner
saharienne sera très majoritairement en d’une analyse objective des conditions que celles-ci
langues nationales » ont désignées comme nécessaires à cette croissance.

Pour certains, si les langues nationales changent de Comme le soulignent les auteurs de ces projections,
statut et que les locuteurs les utilisent davantage, il le nombre de francophones (selon les scénarios13,
est fort possible que les offres culturelles s’adaptent entre 477 millions et 747 millions de francophones
en conséquence. Pour preuve, le succès croissant des en 2070) dépendra certes des évolutions démogra-
séries audiovisuelles produites localement. D’autres phiques annoncées (favorables en Afrique mais défa-
avancent que la production audiovisuelle sera plus vorables en Europe), mais également de la place du
vraisemblablement un mélange entre langues natio- français dans les systèmes éducatifs des pays concer-
nales et langues internationales (français ou anglais). nés (comme langue d’enseignement ou comme lan-
En effet, la progression de productions en langue gue étrangère) et de la qualité de son enseignement14.
nationale est déjà manifeste mais n’empêche pas
une autre offre. Par ailleurs, même dans les pays On pourrait y ajouter la question de la transmission
ayant une forte propension à la production en lan- de cette langue dans les foyers plurilingues – large-
gue nationale (Sénégal, Mali), on observe une ten- ment majoritaires en francophonie – observée à la
dance à passer au français pour mieux exporter les lumière des usages réels et des intentions des locu-
programmes. Le prolongement des dynamiques ac- teurs en la matière15, celle des préférences linguis-
tuelles devrait profiter à la fois aux productions en tiques en matière de consommation culturelle, mé-
langues nationales et aux productions en français. diatique et numérique16 , ou celle de la représentation
La situation pourrait différer d’un pays à l’autre en fonc- que les francophones ont de leur langue17.
tion du poids relatif des langues nationales et du profil
historique et culturel du pays (rapport à la colonisation,
identité nationale, etc.). Les pays les plus dynamiques en 12
Richard MARCOUX, Laurent RICHARD, Tendances démographiques dans l’es-
pace francophone, Québec, 2017, Observatoire démographique et statistique de l’es-
termes de production auront une influence sur les autres. pace francophone/Université Laval, coll. « Rapport de recherche de l’ODSEF », p.13
sur www.odsef.fss.ulaval.ca/sites/odsef.fss.ulaval.ca/files/odsef-lfdm-2018.pdf
13
Ibid.
14
Voir p. 63
11 15
Série thématique sur l’ethnicité, la langue et l’immigration. Projections linguis- Voir p. 41
16
tiques pour le Canada, 2011 à 2036, par René HOULE et Jean-Pierre CORBEIL sur Voir p. 51
17
http://www.statcan.gc.ca/pub/89-657-x/89-657-x2017001-fra.htm Voir p. 75

37

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AVIV AMIT1

LA FRANCOPHONIE A L'ERE DE LA MONDIALISATION2

Introduction
Selon les chiffres de l'Organisation Internationale de la Francophonie
(l'OIF), le français est la langue maternelle ou la première langue étrangère
de près de 200 millions de personnes dans 54 pays. Langue officielle de 14
pays, elle est l'une des langues officielles de l'ONU, de l'OTAN, du Comité
Olympique International, de la Croix Rouge, ou de l'Union Postale
Universelle. Néanmoins, les circonstances politiques et économiques de la
mondialisation, y compris le développement des moyens de communication
et des médias de masse, ont conduit à une situation, où l'anglo-américain
occupe une position prédominante sur le plan international. La langue
française n'échappe pas à cette situation et, malgré d'immenses efforts
protectionnistes, son statut international connaît un incontestable déclin.
Il faut tout d'abord distinguer la situation du français en France de son
statut international. En ce qui concerne l'état du français dans l'Hexagone, il
semble que le gouvernement français et différentes institutions aient la
volonté de diminuer l'influence anglo-américaine sur le corpus du français.
Plusieurs organisations officielles françaises, y compris l'Académie
française, se préoccupent du corpus et de la création de nouveaux termes,
afin d'éviter l'usage d'un grand nombre de termes techniques anglais. De
plus, on peut déceler une intervention du politique pour défendre la langue
française par des lois. Robin Adamson3 montre que dans les quarante
dernières années, on compte environ 150 lois, décrets et arrêtés qui touchent
à la langue française. Citons les trois lois principales que sont la loi Bas-
Lauriol (1975), protégeant les consommateurs français contre l'anglais dans
la publicité et dans les modes d'emploi, la loi constitutionnelle de la langue
française définie comme langue de la République (1992) et la très
controversée loi Toubon (1994), qui essaie de s'opposer à l'omniprésence de
l'anglais. Enfin, un troisième aspect de l'interventionnisme politique est
reflété par le travail d'organisations gouvernementales, notamment la
DGLFLF (Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de
France), l'OIF, L'Alliance française et le Ministère des affaires étrangères,
incluant le travail des divers instituts français à travers le monde. La

1
Teaching Fellow au département des Études Françaises, Université de Tel Aviv, Israel.
2
Ce texte est une version abrégée et modifiée d’une étude parue dans le livre Continuité et changement
dans les contacts linguistiques à travers l'histoire de la langue française (L'Harmattan, 2013).
3
R. ADAMSON (2007). The Defence of French. A Language in Crisis ?, Toronto : Clevedon, Buffalo,
Multilingual Matters 137.
184 AVIT AMIT

DGLFLF cherche à améliorer l'implantation sociolinguistique du français en


France et les trois autres aident à promouvoir la langue française dans le
monde entier.
Alors qu'on peut interpréter ces interventions politiques massives
comme le signe d'une situation de crise, la plupart des linguistes et
sociolinguistes considèrent cette gestion linguistique plutôt comme une
preuve de la vitalité du français. Il semble, en effet, qu'en dépit de certains
reculs, la langue elle-même soit saine et sauve et qu'elle ait réussi, jusqu'à
maintenant, à survivre à l'influence anglo-américaine.
De fait, la crise du français se manifeste plutôt en dehors de l'Hexagone,
et ce qui apparaît menacé, en cette période de mondialisation, c'est surtout
son statut international. L'objectif de cet article est de réfléchir à l'avenir de
la langue française dans la mesure où l'on souhaite qu'elle reste l'une des
langues-pivots, surtout au niveau européen et mondial.
Bien qu'il existe une littérature considérable sur les effets économiques,
sociaux et culturels de la mondialisation, il n'y a, en revanche, que peu de
travaux qui tentent de déterminer les alternatives idéologiques et politiques
susceptibles de répondre aux situations de rencontres du français avec
d'autres langues dans les sphères linguistiques actuelles, notamment au
niveau européen, francophone et mondial. Notre propos vise plutôt à
proposer un nouveau regard socio-politico-économique sur les défis que doit
relever le français dans un monde globalisé, ainsi qu'une lecture critique du
contexte dans lequel le français se trouve sur le plan international.
Pour ce faire, nous montrerons, dans un premier temps, les
problématiques de l'adaptation de la mentalité française traditionnelle dans
un monde globalisé et nous tenterons d'analyser l'alternative idéologique,
déjà existante, dans la sphère européenne et francophone, à savoir l'idéologie
de la diversité linguistique. Ensuite, nous analyserons les différentes
politiques linguistiques possibles à la lumière de cette nouvelle idéologie.
Enfin, nous évaluerons la possibilité d'un passage graduel de l'identité
nationale traditionnelle française aux identités européennes, francophones et
mondiales.

Cadre théorique
Notre cadre épistémologique repose sur la tradition sociolinguistique,
qui insiste sur le fait qu'il est impossible de comprendre les faits de la langue
sans faire référence au social. Cette piste nous permet de mettre en
convergence la linguistique avec certaines approches sociologiques,
politiques et aussi économiques.
Afin de comprendre le déclin du statut du français dans le monde, nous
optons pour adopter, avec certaines modifications, quelques notions de base
tirées du vaste ouvrage de Pierre Bourdieu, notamment de La distinction4, de

4
P. BOURDIEU (1979). La distinction, Paris : Éditions de Minuit.
LA FRANCOPHONIE A L’ERE DE LA MONDIALISATION 185

Ce que parler veut dire : l'économie des échanges linguistiques5 et de


Langage et pouvoir symbolique6. La théorie bourdieusienne recours
constamment au vocabulaire de l’économie avec des concepts
métaphoriques qui sont fréquemment mobilisés pour de champs d'études
divers, y compris les pratiques langagières. La métaphore primordiale, que
nous aimerions utiliser ici, est que quel que soit le moment, le français et les
langues avec lesquelles il est en contact se situent dans une sorte de marché
linguistique, susceptible, selon les différents contextes, d'englober un champ
local, social, national, continental ou international (i.e. le marché
linguistique français, le marché linguistique européen, le marche linguistique
francophone et le marché linguistique global). Comme tout autre marché
économique, le marché linguistique est composé d'acteurs, à savoir les
locuteurs des langues en jeu, qui évaluent chaque langue selon les différentes
« valeurs » qu'elle possède, c'est-à-dire, selon ses « biens », ses « capitaux
culturels ou symboliques » ou ses « produits linguistiques ».
Le « capital culturel ou symbolique » est défini ici comme l’ensemble
des ressources, tant sociales, culturelles, intellectuelles ou institutionnelles
que possède une langue, alors que les « produits » linguistiques sont
constitués, entre autres, par les livres, les dictionnaires, les films, les
émissions de télévision, les chansons, les sites Internet ou encore, les
traductions et l'enseignement des langues. Au fil du temps, le marché suit,
grosso modo, les simples règles de l'offre et de la demande, au cours
desquelles les biens sont transférés d'une main à l'autre, leurs valeurs se
modifient et la position de chaque langue varie, sur le marché, par rapport
aux autres.
Avec la mondialisation, la majorité des marchés linguistiques nationaux
s'ouvrent au monde pour créer un grand marché linguistique global. Comme
dans une concurrence économique réelle, ce marché est caractérisé par le
rapport des forces des différentes langues. De nos jours, l'anglo-américain
est mondialement situé au centre de la vie matérielle, politique, intellectuelle
et culturelle, tandis que les autres langues, y compris le français, voient
diminuer leur valeur économique et se dévaluer leurs « produits
linguistiques » ainsi que leurs « capitaux symboliques ».
Selon Bourdieu (2001), Calvet7 et Loubier8, l'anglais représente, grâce à
sa position internationale, le meilleur rapport entre coût et profit, et peut
servir de langue de communication aux ressortissants de divers pays. Ainsi,
répondant à une très forte demande, l'anglais est aujourd'hui, dans la plupart
des pays du monde, la première langue étrangère enseignée.
Le « modèle gravitationnel » élaboré par Abram De Swaan9 permet de
rendre compte du marché linguistique mondial et de la dynamique de
l’apprentissage des langues dans le contexte international. Pour De Swaan, la

5
P. BOURDIEU (1982). Ce que parler veut dire : l'économie des échanges linguistiques, Paris : Fayard.
6
P. BOURDIEU (2001). Langage et pouvoir symbolique, Paris : Fayard/Le Seuil.
7
L-.J. CALVET (2002). Le marché aux langues, les effets linguistiques de la mondialisation, Paris : Plon.
8
C. LOUBIER (2008). Langues au pouvoir, Politique et symbolique Sociolinguistique, Paris : L'Harmattan.
9
A. DE SWAAN (2002). Words of the World: The Global Language System. Cambridge : Polity Press.
186 AVIT AMIT

communication entre groupes parlant des langues différentes suppose une


organisation hiérarchique, appelée « galaxie ». Les langues périphériques
s’organisent autour d’une langue centrale qui sert à l’intercommunication au
niveau étatique. À leur tour, les locuteurs de langues centrales
communiquent à l’aide d’une des langues « super-centrales » qui jouent un
rôle de lingua franca continentale. Enfin, le système est chapeauté par une
langue « hyper centrale » - qui est l’anglais.
Pour mieux comprendre le marché linguistique international et la
question de la hiérarchisation écolinguistique des langues, il est intéressant
d'utiliser un autre terme, celui de "communauté imaginée" mondiale. Les
dynamiques sociales, économiques, politiques et culturelles de la
mondialisation, à savoir les mouvements de capitaux, d'hommes et de
cultures, sont accompagnées de certaines représentations mentales, qui
développent une nouvelle sorte de « communauté imaginée » mondiale. Il
semble que cette notion permette d’enrichir la réflexion sur les nouvelles
formes de contacts contemporains du français avec d'autres langues, tout en
recourant à une terminologie déjà très connue, à savoir la « communauté
imaginée » de Benedict Anderson10.
Tout comme Anderson voit la technologie de l'imprimerie comme
l'accélérateur de l'émergence de la nation en tant que "communauté
imaginée", on peut considérer que les nouveaux médias et technologies de la
mondialisation contribuent à créer de nouvelles « communautés imaginées »,
aux frontières encore changeantes, réunissant des acteurs partageant le
sentiment d'utiliser un langage commun. À l'image de ces nouvelles
identités, la mondialisation n'existe que par les représentations qu'elle
engendre et l'espace idéologique qui la caractérise se réfère à notre
conscience de l'appartenance au champ mondial.
Ainsi la mondialisation est-elle susceptible de créer un processus
d’identification, dans le cadre duquel des individus en viennent à se
considérer comme faisant partie d’une même communauté globale, voire
transnationale. En tant que « communauté imaginée », la mondialisation
correspond notamment au « semblable dans le monde ». Dans cette
généralisation, nous trouvons à travers le monde les mêmes formes de
modernité et presque les mêmes styles de vie, d'où l'idée d'une
uniformisation du monde. Cet aspect imaginaire est également caractérisé
par de nouvelles formes de consommation selon lesquelles le marché
international est un espace où tout s'achète et se vend librement.
En effet, le conflit entre les « communautés imaginées » mondiale et
nationale se situe au cœur du changement idéologique imposé par la
mondialisation. Cette ère du global, qui est dû, de manière décisive, aux
médias transnationaux, efface les frontières entre les nations et il est donc
impératif de tenir compte de l'influence de son imaginaire sur les champs

10
B. ANDERSON (1996). L'imaginaire national ¬ Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris
: La Découverte. [1ère édition: 1983]. [traduit de (1983). Imagined communities. Reflections on the
Origin and Spread of Nationalism, London: Verso.]
LA FRANCOPHONIE A L’ERE DE LA MONDIALISATION 187

idéologique et politique français. Il semble cependant qu'en France,


l'idéologie nationale résiste, et que la hiérarchie politique n’ait pas encore été
massivement bouleversée. En d'autres termes, on pourrait affirmer que, dans
ce pays, les contempteurs de la mondialisation sont plus visibles que les
laudateurs.
La notion de « communauté imaginée », telle qu'elle a a été conçue, à
l'origine, nécessitait la présence de certains éléments constitutifs tels que la
culture, l'histoire commune et la langue partagée. Dans le contexte langagier,
la « communauté imaginée » mondiale peut choisir entre deux approches
opposées : la langue globale, qui représente la menace d'une uniformité
linguistique, et la diversité linguistique, qui valorise la curiosité de connaître
d'autres cultures et d'autres langues.

La diversité linguistique en tant que capital symbolique


Face à la menace de l'hégémonie de l'anglo-américain, et à
l'affaiblissement concomitant du statut international du français, le grand
défi que doit relever actuellement le français est, sans nul doute, la
concurrence dans laquelle il se trouve avec les autres langues « super-
centrales » (l'espagnol, le chinois, l'arabe…) mais, surtout, avec l'anglais
« hyper-central ». Or émerge en France, depuis une dizaine d'années, l'idée
que le français pourrait servir d'alternative linguistique à l'anglais dans le
monde, à condition toutefois d'opter pour la lutte en faveur de la diversité
linguistique - qui favoriserait les échanges de cultures et de produits
linguistiques.
La mondialisation, qui nous place constamment en contact avec
différentes communautés linguistiques, contribue à développer le désir de
comprendre l’interconnexion entre différentes cultures du monde. Par
opposition à l'exception linguistique, la diversité linguistique apparaît ainsi
comme la mise en valeur et la protection des langues du monde face au
danger de l'uniformisation dans un contexte de mondialisation et ses
connotations deviennent ainsi positives.
Dans cette situation, les institutions françaises officielles, qui sont
longtemps restées réticentes à la notion de plurilinguisme, ont commencé à
évoluer en faveur de la diversité culturelle et linguistique. Étant donné que le
processus de mondialisation favorise la construction de grands ensembles
politiques, la diversité linguistique à l'ère de la mondialisation doit désormais
être étudiée dans les contextes parallèles en dehors de la France, surtout au
sein de deux espaces supranationaux auxquels appartient le français, à savoir
l'Union Européenne et la Francophonie. Dès leur fondation, ces deux entités
politico-économiques associent des pays et des gouvernements dont
l'histoire, les cultures et les langues sont très diverses. Le plurilinguisme y
est donc devenu l'un de leurs principes fondamentaux.
Tout comme dans le cas de la « communauté imaginée » mondiale, la
diversité linguistique se situe au cœur de l'identité européenne. Celle-ci tente
de réunir les citoyens européens dans un ensemble politique, social et
188 AVIT AMIT

économique assurant la construction d'une "communauté imaginée"


plurilingue en synergie avec les identités nationales, régionales et locales.
L'Union Européenne permet donc de réviser les attitudes actuelles envers les
langues nationales et de s'interroger sur son identité linguistique collective.
L'Union Européenne se présente comme un vaste ensemble de pays
cherchant, de manière inédite, à s'unir sans toutefois sacrifier l'identité
propre de chacun de ses membres. Dans la mesure où l’Union Européenne
apparaît, de plus en plus, comme une « communauté imaginée », les
relations entre identité nationale et identité européenne devraient entrer en
concurrence. Les langues, inséparables de leurs cultures, participent de la
dynamique des identités individuelles et collectives. L'Europe se doit donc
de relever un immense défi linguistique qui consiste à respecter toutes les
langues ainsi qu'à faciliter la circulation horizontale des idées, des valeurs et
des imaginaires. Le plurilinguisme devient ainsi l'un des fondements de
l'émergence d'une citoyenneté européenne venant s'ajouter et non se
substituer aux citoyennetés nationales.
Il est néanmoins incontestable qu'au sein de l'Union Européenne,
l'anglais occupe une place de plus en plus significative mettant fin à la
situation antérieure, qui favorisait le français. Les exemples abondent qui
démontrent les menaces pesant sur la place du français. Ainsi, les documents
de la Commission Européenne sont de moins en mois rédigés en français, le
taux de traductions en français baisse, les présidences européennes
privilégient clairement l’anglais et le recul du français dans le Conseil de
l’Europe est important. De plus, après l’adhésion d'un grand nombre de pays
non-francophones à l’Union Européenne, la situation du français s'est encore
dégradée, la conduite des négociations, de même que la rédaction des traités,
se faisant presque toujours en anglais.
Il apparaît donc peu probable que, dans le contexte actuel du marché
linguistique européen, le français regagne un jour son statut antérieur.
Toutefois, pour ne pas laisser l'anglais y devenir l'unique langue commune,
la France doit se mobiliser en faveur de la promotion de la diversité
linguistique en tant que valeur fondamentale.
Or, ce principe du plurilinguisme est très controversé en France, car il
s'oppose frontalement à la tradition linguistique nationale. Malgré une
certaine évolution vers plus de régionalisation, la France conserve une
structure centralisée, tandis que le modèle fédéraliste concurrent offre plutôt
une structure polycentrique, soumise à des flux de bas en haut. Ainsi,
paradoxalement, la France, qui a contribué à définir le caractère
démocratique de l'Union Européenne en tant que co-fondatrice, se trouve
confrontée, aujourd'hui, à un défi idéologique qui devrait la conduire à
adapter son modèle traditionnel à la nouvelle configuration de l'Europe.

La diversité linguistique de la francophonie


Ayant pour objectif de préserver le plurilinguisme mondial, l'idéologie
de la diversité linguistique correspond également à l'espace francophone qui
LA FRANCOPHONIE A L’ERE DE LA MONDIALISATION 189

s'efforce, depuis ses origines, d'insérer la dimension de "communauté


imaginée" dans une perspective mondiale. L'organisation de la
Francophonie, fondée sur la réalité d'une proximité culturelle, ne se borne
pas à rassembler ses quatre-vingts membres actuels « ayant le français en
partage », elle brandit aussi le drapeau du pluralisme culturel et de la
diversité linguistique, d'abord chez ses membres et ensuite à travers le
monde.
En effet, la création de la Francophonie, en tant qu'organisation
plurinationale, découle surtout du fait que l'interdépendance économique
mondiale contraint à de nouvelles formes de regroupement politique, comme
c'est également le cas entre États où l'on parle arabe, espagnol ou portugais.
La Francophonie, quant à elle, est envisagée comme une forme de
coopération économique permettant de répondre aux défis des contacts
linguistiques à l'ère de la mondialisation.
Ayant pour objectif de préserver le plurilinguisme mondial, l'idéologie
de la diversité linguistique correspond également à l'espace francophone qui
s'efforce, depuis ses origines, d'insérer la dimension de « communauté
imaginée » dans une perspective mondiale. L'organisation de la
Francophonie, fondée sur la réalité d'une proximité culturelle, ne se borne
pas à rassembler ses quatre-vingts membres actuels « ayant le français en
partage », elle brandit aussi le drapeau du pluralisme culturel et de la
diversité linguistique, d'abord chez ses membres et ensuite à travers le
monde.
Dans les années 1990, le discours de la Francophonie s'est peu à peu
modifié. Il envisage désormais la valorisation du plurilinguisme comme une
réponse à l'hégémonie politique et culturelle américaine. Les sommets
francophones les plus récents mettent en lumière l'effort de solidarité en
faveur du multiculturalisme et du plurilinguisme en présentant la
Francophonie comme la seule option face à la mondialisation, surtout grâce
au fait qu'elle a l'avantage d'être présente sur cinq continents.
Actuellement, le principal défi linguistique de la Francophonie est de
reconnaître que la défense du français à l'ère de la mondialisation est
inséparable de la défense de toutes les langues et qu’il est impossible d'en
sauver quelques-unes sans les sauver toutes. Apportant un contenu réel à la
mondialisation, la Francophonie constitue un élément de diversité culturelle
indispensable. Elle est portée par la conviction que la question de la diversité
linguistique ne s'applique pas seulement à l'espace francophone, mais
comporte une dimension universelle en s'associant à d'autres aires
linguistiques, plus particulièrement hispanophone, lusophone et arabophone.
Ainsi, la promotion du français, dans l'aire francophone et dans le monde,
doit se faire à travers la promotion de la diversité linguistique, qui semble
être la véritable alternative à la menace monolingue de la mondialisation.
Bien que la France soit un pays membre de l'OIF à égalité avec les
autres, sans la France, qui contribue pour plus de quatre-vingts pour-cent au
budget de cette organisation, il n'y aurait pas de Francophonie. Ce simple
190 AVIT AMIT

constat vaut toujours pour l'idéologie francophone, qui continue à attribuer à


la France la valeur symbolique la plus élevée parmi tous ses membres.
En effet, il semble que, de nos jours, la grande faiblesse du statut du
français sur le plan international soit liée à la relation des Français avec leur
langue, une relation qui n'a presque pas changé pendant des siècles. Or, la
valeur communicative du français s'est affaiblie, et cela pour trois raisons
principales : la préservation en France de l'idéologie du standard, le
déséquilibre existant entre populations francophones dans le monde, et enfin
le caractère politique de l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Le premier problème découle de l'image officielle du français, qui se
réfère exclusivement au français standard et à la norme française, voire
parisienne. Bien qu'aujourd'hui le marché linguistique national, en France,
semble s'être ouvert au marché international, la plupart des interventions
politiques mentionnées au début de cette communication se référent
paradoxalement à un « marché » plutôt centralisé, dont le souhait serait de
conserver le statut du français comme langue nationale unique.
Pourtant, la « communauté imaginée » nationale française - qui
constitue toujours un référent stable - affronte de grands bouleversements
identitaires, notamment parce que les questions concernant l’avenir de la
langue française continuent d'être perçues par les Français comme l’un des
éléments forts de l’identité nationale. Le marché linguistique français semble
ainsi dominé par une mentalité puriste dont la rhétorique est celle de la
« crise de la langue » ou bien de la « corruption du français ». Les exemples
abondent, citons-en quelques uns: Etiemble par exemple dénonce le
franglais11, De Gaulle, met en place un Comité de défense de la langue
française (1966), la promulgation de la loi Bas-Lauriol (1975) ou celle de la
loi Toubon (1994).
Cette pérennité de l'idéologie traditionnelle du standard constitue
cependant un obstacle à la diffusion de la langue dans l'espace francophone
comme dans le reste du monde ; en outre, elle affecte la concurrence avec
l'anglais. D'après Chaudenson12: « L'exigence qu'on ne puisse légitimement
parler le français que comme Racine ou Proust l'ont écrit […] fait de cette
langue un mode de communication d'une si grande complexité et d'un tel
raffinement que bien des étrangers, en dépit de leur désir initial de
l'apprendre, y renoncent, jugeant insurmontables les difficultés d'une telle
entreprise. »
La deuxième difficulté dérive du fait que malgré la présence du français
sur tous les continents, ce sont les Français qui constituent la majorité des
locuteurs de la langue dans le monde ; une situation contraire aux autres
grandes langues européennes de colonisation. En comparant le français avec
les autres grandes langues européennes de colonisation, notamment l'anglais,
l'espagnol et le portugais, on constate que, tandis que le centre du français est

11
R. ÉTIEMBLE (1964). Parlez-vous franglais ?, Paris : Gallimard.
12
R. CHAUDENSON (2006). Vers une autre idée et pour une autre politique de la langue française, Paris :
L'Harmattan, p. 8.
LA FRANCOPHONIE A L’ERE DE LA MONDIALISATION 191

resté en Europe, le poids linguistique mondial de chacune des autres langues


s'est déplacé : le centre de l'anglais est aux États-Unis, la masse de la
population parlant l'espagnol se trouve en Amérique du Sud, et le Brésil
représente le centre du portugais dans le monde.
Cette situation est due au fait historique que durant son expansion
coloniale, le français a emprunté les voies de la superposition et du
rayonnement tout en continuant de placer la France au centre de l'espace
francophone. C'est ainsi que, de nos jours, la majorité de l'action langagière
française, les divers « produits linguistiques » (livres, chansons, films) et la
masse des moyens de sa diffusion, sont centrés essentiellement sur la France,
fonctionnant comme un marché monopolisé.
Enfin, la Francophonie devient de moins en moins francophone car elle
regroupe également des peuples où les francophones réels sont très
minoritaires. Cette extension politique réduit donc le dénominateur commun
linguistique. Paradoxalement, l'Algérie, qui est fondamentalement
francophone, ainsi qu'Israël, avec au moins dix pour cent de vrais
francophones n'appartiennent pas à la Francophonie par des raisons
politiques. Le défi actuel de la Francophonie est alors de décider si cette
organisation devient une simple organisation politique internationale ou une
organisation qui a des bases linguistiques, et cela afin d'élaborer une
nouvelle stratégie pour la diffusion mondiale du français.

Vers un nouvel aménagement linguistique international du


français
Le contact du français avec l'anglo-américain menace certainement
l'avenir de la langue française dans le monde et en Europe. Afin de diffuser
la langue française sur le plan international, de mettre un terme à son déclin
et d'augmenter sa visibilité au sein des organisations internationales, il
devient donc urgent de développer une meilleure coopération entre pays et
régions francophones.
L'aménagement linguistique du français doit alors être mené,
simultanément, par les instances françaises, ainsi que dans le cadre de
l'Union Européenne et de l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Le premier aménagement linguistique concerne plutôt la planification du
statut international du français, à savoir sa diffusion mondiale, face à
l'hégémonie de l'anglais dans le cadre de l'Union Européenne et au sein de la
Francophonie. Dans ce cas, il s'agirait de reconnaître la grande diversité
linguistique de ces deux marchés linguistiques, tout en mobilisant le
plurilinguisme pour la promotion du français.
Le second défi que doit relever le français, sur le plan international, est
axé sur la planification du corpus et sur son adaptation à une réalité
mouvante. Dans ce cas, il faudrait examiner l'alternative consistant à
standardiser d'autres normes francophones à travers, entre autres, des
dictionnaires et des grammaires. Une telle pluralité de normes, à l'instar du
modèle pluri-centrique du monde anglophone, serait susceptible de mieux
192 AVIT AMIT

refléter les diverses situations francophones dans le monde et d'augmenter la


« valeur de communication » du français-francophone sur le marché
international des langues.
Bien qu'à priori, dans le contexte mondial, l'appartenance de la France à
la fois à la Francophonie et à l'Union Européenne, puisse être considérée
comme contradictoire, l'idée de la diversité culturelle et linguistique,
partagée par les deux organisations, place leurs politiques plurinationales sur
le même plan, et le combat pour la diversité linguistique doit être mené, en
même temps, en Europe et au sein de la Francophonie.
Depuis la fin des années 1990, l'idéologie de la diversité linguistique est
adoptée volontairement par le pouvoir politique français et francophone,
mais uniquement sur le plan international ex-hexagonal. Afin de constituer
un défi réel à l'hégémonie de l'anglais et de toucher un maximum d'individus
dans le monde, la France et la Francophonie institutionnelle investissent dans
la circulation de produits linguistiques d'information et de communication de
masse, tels qu'Internet, les chaines de télévision, le média numérique,
l'industrie cinématographique et le marché de la chanson.
Etant donné que le potentiel démographique dans les pays francophones
se résume, selon les estimations du Haut Conseil de la Francophonie, à 110
millions de francophones réels et 65 millions de francophones partiels,
l'enjeu central pour l'avenir de la Francophonie serait de changer les
francophones potentiels en francophones réels. En fait, l'avenir du français,
comme c'est d'ailleurs le cas pour toutes les langues occidentales, ne se situe
pas seulement au sein des pays développés, mais plutôt dans les masses qui
parleront cette langue dans les « pays en voie de développement », surtout en
Afrique subsaharienne, où le français acquiert déjà divers statuts, tels que
« langue officielle », « langue d'éducation », « langue de communication » et
« langue véhiculaire ». Le défi africain de la Francophonie est fortement
soutenu par Hagège13 et Chaudenson14, qui suggèrent que l’Afrique soit le
continent de l’avenir, au moins sur le plan numérique et sur le plan
économique des richesses naturelles. Dans le cas des pays francophones
africains, la stratégie de la Francophonie ne se borne pas à leur apporter un
soutien économique et technologique, mais également à y développer de
nouveaux moyens de communication, qui pourraient considérablement
accroitre la vitesse de circulation des « produits linguistiques » français.

Pluralité des normes francophones


En ce qui concerne le corpus planning, la norme linguistique, au sens
sociolinguistique traditionnel du terme, correspond à la variété de la langue
qui est celle du groupe social dominant dans l'espace politique, administratif,

13
C. HAGEGE (2002). Halte à la mort des langues, Paris : O. Jacob.
14
R. CHAUDENSON (2007). « La place de la langue française dans la Francophonie » in Hérodote, La
Découverte, nº 126, 2007/3, pp. 129-141.
R. CHAUDENSON (2008). « Le français dans les pays de la francophonie en 2006 » in L'avenir du français,
Paris : AUF, pp. 19-23.
LA FRANCOPHONIE A L’ERE DE LA MONDIALISATION 193

éducationnel et médiatique. Contrairement au modèle du monde anglophone,


qui offre une extraordinaire flexibilité, une grande ouverture à l'innovation
et, surtout, la coexistence de diverses normes, le modèle français désigne
plutôt le français hexagonal, voire parisien, comme « le français
international ». C'est une norme partagée par tous les francophones, celle que
l'on apprend dans les écoles.
Dans la Francophonie, le « français international », en tant que langue
« commune unissant toutes les sociétés qui fédèrent cet espace », ne reflète
pas vraiment les diverses situations francophones réelles. Qui plus est, la
norme écrite de la langue, qui n'a connu que peu de changement depuis sa
standardisation par l'Académie française au 17e siècle, est déjà
significativement éloignée de ses différentes variations géographiques dans
le monde.
En d'autres termes, la vision traditionnelle de la norme du français est
strictement dichotomique et puriste, suggérant que seul le français
standardisé de France représenterait le français correct et constituerait donc
le seul modèle pour tous les francophones, quelle que soit leur origine. De
même, la marginalisation systématique en faveur de la norme française
déclasse les autres variations géographiques, considérées comme relevant
d’une parlure populaire qui refléterait un manque d’éducation et une non-
connaissance de la norme.
La norme reste alors une affaire d’État, le droit à la modification
revenant exclusivement aux autorités françaises. Les Français continuent
ainsi de protéger leur monopole sur le marché linguistique francophone ne
permettant pas de décentraliser ce capital symbolique du prestige. Or il faut
reconnaître que ce modèle élitiste crée un obstacle à l'idée de la diversité
linguistique, ainsi qu'à la progression du français sur le marché linguistique
global, dans la mesure où la valeur communicative francophone est
nécessairement plus élevée que celle du seul français. Dans cette nouvelle
logique, la France doit travailler en coopération avec les communautés
francophones, afin de forger une entité linguistique qui améliorerait l'image
communicative de la langue vis-à-vis de l'image linguistique reflétée par les
pays anglophones. Si nous ajoutons à cela l'important potentiel francophone
en Afrique noire, qui (encore une fois) semble l'enjeu central de la
Francophonie et de l'avenir du français, nous arrivons à un nombre assez
élevé de francophones sur le marché linguistique international.
Pour gagner du terrain sur le plan mondial et rapprocher la masse de
francophones absolument nécessaire pour augmenter la « valeur » de la
langue, le pouvoir politique en France devrait accepter le fait que le peuple
français n'est pas l'unique détenteur de la langue française. L'enjeu
primordial de la nouvelle stratégie pluri-centrique pour la diversité
linguistique renforcerait alors la légitimité, la reconnaissance et la promotion
de normes géographiques au sein de la communauté francophone, comme
c'est d'ailleurs le cas pour la majorité des langues super-centrales.
194 AVIT AMIT

S'opposant aux forces centralisatrices, qui ramènent toutes les normes


francophones à celle de la France, les communautés francophones, surtout en
Belgique et au Canada favorisent l'élaboration de leur propre norme. À ce
propos, citons Boulanger15, linguiste québécois, qui plaide pour le modèle de
la pluralité des normes comme principale assise de la francophonie. Il en est
de même de Moreau16, linguiste belge pour qui les communautés
linguistiques francophones distinctes, ayant suivi chacune une évolution
particulière, doivent affirmer leur identité à travers leur langue et leur norme.
Conformément à la stratégie politico-linguistique traditionnelle, qui
favorise l'instruction, il serait ainsi possible de promouvoir une pluralité de
normes dans le cadre d'une réforme des différents systèmes d'éducation.
Ainsi, l'apprentissage du français comme langue étrangère dans le monde
pourrait s'accompagner d'une connaissance des variations québécoises,
belges, suisses ou africaines. Pour ce faire, il faudrait constituer un
dictionnaire francophone universel, qui normaliserait les différents français
européens, américains et africains. Cette idée de Chaudenson17suggère que
l'inventaire terminologique ne doit pas se faire nécessairement en France et
qu'il est possible d'adopter, par exemple, les nouveaux termes inventés par
les Québécois.
S'il est évident que l'idée de simplifier le français, à travers l'exemple
d'un globish à la française, paraît absurde, il devrait être possible de forger
un français basique ou élémentaire, un français où l'écrit ne serait pas très
loin de l'oral, commun aux hommes d'affaires d'un monde globalisé, comme
aux enfants africains. Selon Claude Hagège18, l'image trop élitiste de la
norme française exige la connaissance quasi-parfaite du standard, alors que
ce n'est pas le cas pour l'apprentissage d'autres langues internationales qui
n'excluent pas les simplifications.
Cependant, la stratégie visant à légitimer plusieurs normes, qui connait
un regain d'intérêt dans les dix dernières années, ne trouve pas, il est vrai, un
grand soutien en France. L'opposition émane, tout d'abord, de l’Académie
française dont les membres n'admettent pas traditionnellement la pluralité
des normes. Bien que dans l'univers francophone, le français soit déjà de
facto une langue plurielle partagée par nombre de peuples de par le monde,
cette institution refuse très souvent de coopérer avec les instances de la
langue française en dehors de l'hexagone. On souhaiterait qu'existe un
certain débat global, dans le cadre duquel les différentes composantes des
sociétés francophones, surtout les « professionnels » de la langue, à l'instar
15
J-C. BOULANGER (2001). « La francophonie : une norme, des normes, un dictionnaire, des dictionnaires
» in Variations et dynamisme du français, une approche polynomique de l’espace francophone, Paris :
L’Harmattan, p. 33.
16
M.-L. MOREAU (2000). « La pluralité des normes dans la francophonie » in La coexistence des langues
dans l'espace francophone, approche macro-sociolinguistique, deuxièmes Journées scientifiques du
réseau de l'AUF, sociolinguistique et dynamique des langues, Rabat 25-28 septembre 1998, Aupelf -
Uref, pp. 137-151.
17
R. CHAUDENSON (2006). Vers une autre idée et pour une autre politique de la langue française, Paris :
L'Harmattan, p. 79.
18
C. HAGEGE (2008). Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des cultures. Paris :
O. Jacob.
LA FRANCOPHONIE A L’ERE DE LA MONDIALISATION 195

des enseignants de français et des journalistes, pourraient définir clairement


la nature de la norme commune et ses variations. Une telle académie au sein
de la Francophonie, à l'exemple du Conseil supérieur de la langue française,
pourrait constituer un organisme consultatif, qui favoriserait la diversité
linguistique.
En dehors de l'Académie, l'idée de la pluralité des normes linguistiques
renverrait, pensent certains, en France, à une vision trop idéaliste, voire
utopiste, de la langue, selon laquelle le français et ses variétés seraient placés
à égalité, diminuant ainsi la valeur du français en tant que « langue de
culture » ou bien « langue de prestige ».
De toute manière, la force démographique, qui renvoie au nombre de
locuteurs francophones dans le monde, assure sans doute le maintien du
français. Il n'est cependant pas toujours en rapport direct avec la dominance
de la langue sur le marché linguistique international. Il suffit de se rappeler
que certaines langues africaines ou asiatiques, dominantes du point de vue
statistique, ne sont jamais devenues des langues importantes dans une
perspective mondiale. Il en résulte alors qu'il faut prendre en compte d'autres
composantes sociolinguistiques, qui permettront à cette force
démographique de s'accroitre.
L'équivalent économique de la « langue de prestige » est le terme «
produit de luxe ». En économie, le prix d'un tel produit s'évalue bien au-
dessus de la moyenne des autres produits de même caractère, selon la
formule suivante : quand la valeur augmente, la demande augmente. En ce
sens, l'atout de la langue française par rapport aux autres langues super-
centrales, est la valeur prestigieuse de son standard.
Ainsi, l'acquisition du standard français peut toujours être considérée
comme un acte d'accumulation d'un certain prestige et elle est liée alors aux
aspects émotionnels et imaginaires de ses locuteurs. Dans ce cas, ce qui
assure que le français restera une langue prestigieuse, c'est que son
acquisition restera suffisamment coûteuse et qu’il faudra une certaine
éducation pour apprécier ce luxe.

Conclusion
Il semble que le statut du français dans le monde ne cesse d'attiser le
débat. Certes, tout le monde est d'accord sur le fait que le français
international est en situation de crise, mais la question controversée est la
suivante : faut-il augmenter la « valeur communicative » du français-
francophone au risque de le simplifier, tel que l'anglo-américain, ou bien
convient-il de défendre son statut de « langue de culture », afin de conserver
sa « valeur » de prestige, mais le poserait plutôt comme « langue élitiste » ?
Or il se trouve que l'ouverture du marché linguistique français vers le
monde à l'ère de la mondialisation, ainsi que les échanges interculturels qui
l'accompagnent, contraignent à un certain changement mental et politique.
Depuis une vingtaine d'années, le français est en crise mondiale et son statut
196 AVIT AMIT

international en déclin continu. Si le français doit rester l'une des langues-


pivots, à l'échelle mondiale, il n'est plus possible, semble-t-il, de préserver
l'idéologie linguistique nationale, tout comme l'aménagement linguistique
unitaire. Autrement dit, la mentalité traditionnelle, adaptée à un marché
linguistique national restreint, doit impérativement s'adapter, aujourd'hui, à
un contexte élargi.
C'est ainsi que la mondialisation impose à la France, comme à tous les
États du monde développé, non seulement des bouleversements
économiques et sociaux, mais également culturels et linguistiques, et la
contraint à redéfinir son identité au-delà même de son identité nationale. Si
elle consentait à ce nouvel aménagement, la France pourrait offrir à la
mondialisation une véritable alternative, celle de la diversité, qui
représenterait, en quelque sorte, une continuation de l'esprit français. La
France, qui, depuis le 18e siècle, offre au monde les idées de tolérance
religieuse et de droits de l'Homme pourrait également apporter aux
contemporains la richesse d'une diversité linguistique universelle.

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