Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le magazine Histoire Québec a l’immense privilège de re Nous abordons également des thèmes qui nous sont
cevoir tout au long de l’année, de la part de passionnés chers, comme l’histoire de l’aviation. Un texte qui décrit
d’histoire et de chercheurs, des textes de grande qua les relations commerciales des avionneurs canadiens et
lité sur les sujets les plus variés. Le présent numéro, qui américains et qui démontre qu’avec le temps, le modèle
devait ne contenir « que des textes » sans thématique d’affaires des années 1960 n’a pas vraiment changé. « Le
annoncée, a finalement trouvé sa voie : l’identité. Cette Cosmopolitician » trouverait encore sa place dans le
nécessité chez chaque humain, pour son développe ciel d’aujourd’hui.
ment, de se définir afin de se distinguer des autres, de
se connaître et d’être reconnu, et ce, à travers le temps. Pour terminer, deux thèmes peu présents dans nos pages
et encore moins dans le même article, la course automo
Depuis le Moyen Âge, afficher son identité et ses bile et la philatélie. Quel est le lien entre Gilles Villeneuve
couleurs a pris différentes formes, de l’héraldique au et Postes Canada? Je laisse les amateurs le découvrir.
logotype en passant par la féminisation des appella
tions. L’étude de l’histoire offre de nombreuses pistes de Vous remarquerez sans doute la nouvelle interprétation
réponse à cette éternelle question : « Qui sommes-nous? » de la chronique « Histoire en images ». Une nouvelle
C’est un des effets secondaires de la connaissance de son collaboration avec de jeunes passionnés d’histoire et
histoire que de développer une identité propre et un de bandes dessinées, qui se poursuivra encore pour
sentiment d’appartenance à un groupe, à un village, à quelques numéros. Une généreuse chronique « Histoire
une région, à un pays. Il arrive même que, convaincu de de lire » vous est proposée et « Histoire sur Internet »
leur identité distincte, un groupe de citoyens créent leur vous transporte dans le monde des expositions virtuelles
propre république. du Musée canadien de l’histoire.
Pour conclure la thématique, dans ce cas-ci en présen En terminant, je vous rappelle que le rendez-vous annuel
tant la confusion des frontières, nous nous intéressons des amateurs d’histoire, soit le congrès de la Fédération
au phénomène des Line Houses, bordels sans frontière Histoire Québec, a lieu cette année à Victoriaville, du 19
fleurissant aux limites du Québec et du Vermont. Entre au 21 mai prochain. Consultez à la page 34 le programme
1860 et 1930, en pleine période de prohibition tant du des conférences.
côté canadien qu’américain, des établissements comme
le Palais du Péché s’établiront le long de la voie ferrée et Bonne lecture!
feront la fortune de tenancières chevronnées telle Lilian
Miner, que l’on surnommait « Queen Lil ».
Vous pouvez soumettre en tout temps des textes pour parution dans le magazine.
Consultez le guide rédactionnel au www.histoirequebec.qc.ca, sous l’onglet MAGAZINE HQ. Contactez-nous! ehq@histoirequebec.qc.ca
Gabriel Martin est étudiant à la maitrise en linguistique à l’Université de Sherbrooke. Il s’intéresse notamment aux questions
qui concernent le français de variété québécoise, la lexicographie et les dynamiques sociolinguistiques liées aux enjeux de genre. Il
dirige actuellement la préparation du Petit dictionnaire des grandes Québécoises, un collectif à vocation vulgarisatrice dont la
parution est prévue pour 2018.
Les balbutiements
Au Québec, l’idée de féminiser des appellations de per-
sonnes traditionnellement masculines, c’est-à-dire de
leur trouver des formes féminines équivalentes, circule
dès le premier quart du 20e siècle. Dans les années 1910,
la directrice de la revue Pour vous mesdames utilise ainsi
des appellations féminisées sans les mettre en relief par
quelque procédé typographique que ce soit : « Mais
quel mal y aurait-il à voir une femme voter, devenir
échevine [conseillère municipale], mairesse, conseillère
législative, ministresse, être avocate, doctoresse, notaire,
marchande, enfin avoir les mêmes occupations que les
hommes2? »
C’est toutefois en novembre de la même année que la Dans les années 1990, le mouvement se poursuit et ren-
question gagne réellement l’attention du grand public, contre de moins en moins d’opposition. La plupart des
lorsque l’élection du Parti québécois permet l’arrivée de grandes organisations publiques et privées, lorsqu’elles
Journaliste, l’auteur est aussi un cartophile. Membre de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly, il s’intéresse à l’histoire
de sa ville.
Le 15 mai 2017, Postes Canada a dévoilé à Montréal cinq Dans ce communiqué, on ajoute que Gilles Villeneuve « a
timbres consacrés au 50e anniversaire du Grand Prix de couru en F1 de 1977 à 1982 pour les écuries McLaren et
la Formule 1 du Canada. Les vignettes montrent « cinq Ferrari, cumulant 6 victoires, 13 présences sur le podium
grands pilotes qui représentent chacun une décennie des et 2 pôles positions en une carrière d’un peu plus de qua-
50 ans d’histoire de cette course au pays ». Il s’agit de tre saisons. Il a remporté le premier Formula 1 Grand
Sir Jackie Stewart (Écosse), Gilles Villeneuve (Canada), Prix du Canada à se tenir à Montréal, à environ une
Ayrton Senna (Brésil), Michael Schumacher (Allemagne) heure de route de sa ville natale de Berthierville ».
et Lewis Hamilton (Angleterre).
Quoi? Gilles Villeneuve serait né à Berthierville? C’est
Le communiqué remis aux médias indique qu’« environ faux. Gilles Villeneuve est né à Chambly en 1950 – plus
150 invités étaient réunis au 1700 La Poste, un ancien précisément à l’hôpital de Saint-Jean-sur-Richelieu. Ses
bureau de poste de Montréal transformé en espace parents, Séville et Georgette Coupal, se sont épousés
destiné aux arts visuels, où Mme Villeneuve a dévoilé un à Chambly et y ont habité jusqu’au milieu des années
timbre célébrant son regretté mari et Sir Jackie Stewart 1950. Ils se sont ensuite établis à Berthierville.
en a dévoilé un à son effigie ».
Les cinq timbres émis lors du 50e anniversaire de la F1. On reconnaît le timbre consacré à Gilles Villeneuve.
Originaire de Bromptonville dans les Cantons-de-l’Est, Michael Jacques a étudié l’histoire à l’Université de Sherbrooke. S’étant
spécialisé dans l’histoire industrielle du Canada au 19e siècle, il revient souvent à une autre passion : l’histoire des Cantons-de-
l’Est. Depuis plusieurs années il fait redécouvrir cette dernière grâce à des expositions muséales, un documentaire et un circuit
touristique faisant partie intégrante du fameux Chemin des Cantons. Il enseigne aujourd’hui l’histoire de Sherbrooke et l’histoire
des Cantons-de-l’Est à l’antenne UTA de l’Université de Sherbrooke.
En 1783 l’Empire britannique et les Patriotes de la que ces derniers eurent acheté des dizaines de milliers
Nouvelle-Angleterre signent le traité de Paris, mettant d’acres de terres au chef indien « King Philip » pour la
ainsi fin à une guerre d’indépendance longue et sanglan- somme de 5 000 $.
te et officialisant l’existence des États-Unis d’Amérique.
Bien que mettant fin aux hostilités, ce traité est aussi le Deux ans plus tard, en 1798, c’est Moody Bedel, Nathaniel
point de départ d’une autre guerre : la guerre des fron- Wales et David Gibbs qui font affaire avec « King
tières! En cette fin de 18e siècle, de nombreux arpenteurs Philip », lui achetant ainsi des terres pour la somme de
et cartographes américains et canadiens tentent de définir 3 100 $ et fondant la Bedel Company. La simple existence
la nouvelle frontière américano-britannique sans grand de ces deux compagnies est quelque peu cocasse étant
succès. D’une part en raison de l’immensité du territoire donné que, autant aux États-Unis qu’au Canada, il existe
à couvrir et du fait que l’ouest des deux pays n’est pas alors des lois interdisant quiconque d’acheter des terres
encore colonisé et exploité. D’autre part en raison de l’in- aux autochtones!
tention d’hommes politiques et de marchands voulant
s’approprier le plus de terres possible. Quoi qu’il en soit, Les deux compagnies fonctionnent sur le même prin-
plus d’un siècle de débats houleux entre les deux pays cipe. Soit on revend en grandes quantités à d’autres
découle de cette frontière mal établie. spéculateurs, soit on vend des lots de 100 acres à des
particuliers. Ces particuliers ne payent rien pendant les
Au Québec, c’est la région des Cantons-de-l’Est qui deux premières années. Ils doivent alors prouver qu’ils
souffrira le plus de cet état de fait. Zone qui suit la fron- sauront mettre en valeur la terre en construisant une
tière américaine sur plus de 300 km, les Cantons-de- maison et en défrichant au moins cinq acres. Par la suite,
l’Est font à l’origine partie des Terres de la Couronne, ils commencent les paiements qui peuvent s’échelonner
cette zone forestière inexploitée depuis l’époque de la sur de nombreuses années (le prix est de 1 $ à 2 $ l’acre
Nouvelle-France. Ouverte progressivement à la colo- selon la qualité du sol et l’emplacement).
nisation entre 1791 et 1803, la région accueille d’abord
des réfugiés de la guerre d’indépendance américaine qui Toujours est-il que la Bedel Company s’en sort mieux que
avaient fait le choix de rester loyaux au roi d’Angleterre. son compétiteur, cela grâce à Moody Bedel qui donne
C’est dans ce contexte social, historique et géographique le contrat de construire un moulin à farine et un mou-
que se glisse l’histoire méconnue de la République de lin à scie à un certain Ebenezer Fletcher en plus de faire
l’Indian Stream, colonie s’étant déclarée indépendante construire une route au cœur de l’Indian Stream. Brillant
face aux États-Unis et à l’Angleterre et qui, ultimement, procédé qui augmente la valeur des lots tout autour et
a failli déclencher une guerre entre ces derniers. qui permet à Bedel de vendre jusqu’à 86 000 acres en
cinq ans! Les derniers lots sont vendus vers 1820 et, en
Des débuts dans l’ère du temps 1824, l’Indian Stream est une petite colonie de 285 âmes
À l’origine le territoire que constitue l’Indian Stream et d’une superficie d’environ 150 000 acres.
n’est pas convoité pour des fins politiques ou même
pour échapper au contrôle des cercles politiques et Les disputes territoriales à l’origine de la République
juridiques existants. L’endroit est d’abord développé Beaucoup ont présenté la République de l’Indian Stream
par des spéculateurs, des hommes s’associant et achetant comme un des éléments déclencheurs de la dispute fron-
de grandes quantités de terres afin d’en faire la revente talière canado-américaine. Toutefois, l’explication serait
à profit. plutôt inverse et ce sont les débats sur la frontière qui
ont mené à la constitution de l’Indian Stream. Les dis-
La première de ces compagnies foncières est la Eastman putes en question prennent d’abord forme à la frontière
Company, fondée en juin 1796 par Thomas Eames, du Nouveau-Brunswick dans les années 1810. Grâce à
Nathan Hoit, John Bradley et Jonathan Eastman après la découverte de documents par Richard Hale Junior
BIBLIOGRAPHIE
AUDET, Francois Joseph. La République de l’Indian Stream. Éditions J. Hope et fils, 1906, 9 p.
BROWN, Roger Hamilton. The Struggle for the Indian Stream territory. Western Reserve University Press, 1956, 114 p.
DOAN, Daniel. Indian Stream Republic: Settling New England Frontier, 175-1842. 1997. UPNE, 287 p.
ERWIN, James. Declarations of Independance: Encyclopedia of American Autonomous and Secessionist Movements, Greenwood Publishing
Group, 2007, 240 p.
HALE, Richard. «The forgotten Maine Boundary Commission», Proceedings of the Massachusetts Historical Society, third series,
vol. 71 (0ct 1953- Mai 1957), p. 147-155.
KEEDY, Edwin R. «The Constitution of the State of Franklin, the Indian Stream Republic and the State of Deserret». University of
Pennsylvania Law Review, vol. 101, no. 4 (jan 1953), p. 516-528.
MERRILL, George. History of Coos County New-Hampshire, Éditions W.A. Fergusson & co, 1888, 1018 p.
SHOWERMAN, Grant et HAMMOND, Otis. «The Indian Stream Republic and Luther Parker», The Mississippi Valley Historical
Review, vol. 3, no. 2 (sep 1916), pp. 239-240.
TSAI, Robert. America’s Forgotten Constitutions, Harvard University Press, 2014, 366 p.
Philippe Bernier Arcand est professeur à temps partiel en Communications sociales à l’Université Saint-Paul (Ottawa). Essayiste,
il a notamment publié « Le Parti québécois : D’un nationalisme à l’autre » (Poètes de brousse, 2015), « La dérive populiste » (Poètes
de brousse, 2013 - Prix du livre d’Ottawa, 2014) et « Je vote moi non plus » (Amérik Média, 2009).
Depuis que Québec solidaire a changé son logo pour y Voilà sans doute ce qui explique pourquoi le Québec et
ajouter du bleu, en 2018, cette couleur se trouve présente le Canada se trouvent parmi les rares démocraties dans
sur tous les logos des partis politiques représentés à le monde où le rouge n’est pas associé aux partis com-
l’Assemblée nationale. Le marketing politique québé- munistes ou à la gauche en général.
cois a souvent fait une large place au bleu. Une couleur
qui a parfois été mal aimée, souvent difficile à assumer, En opposition au Parti rouge, il y avait le Parti bleu.
mais qui a toujours été présente sur la scène politique Le Parti bleu, c’était celui qui faisait la promotion des
québécoise. valeurs de la « survivance » et il avait l’appui du clergé.
D’ailleurs, plusieurs membres du clergé clamaient en
Aux États-Unis, pour désigner le rouge et le bleu, on chaire : « Le ciel est bleu, l’enfer est rouge » pour s’op-
parle des primary colors. Les républicains sont associés poser à la séparation de l’Église et de l’État. Le Parti bleu
au rouge et les démocrates au bleu. Cette expression était le prédécesseur du Parti conservateur qui formera
pourrait tout aussi bien s’appliquer au Québec. Pour le premier gouvernement du Québec en 1867. En fait,
aborder le bleu en politique québécoise, il faut d’abord pendant longtemps au Québec, comme dans bien des
passer par le rouge. démocraties, le bleu était une couleur associée au conser-
vatisme et à la droite.
Traditionnellement, le rouge s’affirme comme la couleur
de la gauche et notamment du communisme et du C’est pourquoi il était difficile pour un tiers parti de trou-
socialisme. C’est la couleur du drapeau de la Révolution ver sa place entre le rouge et le bleu. C’était notamment
française et de la Commune de Paris qui est devenue le cas de l’Action libérale nationale, qui exista de 1934
depuis un des symboles du mouvement ouvrier et des à 1939 sans jamais toutefois former le gouvernement,
mouvements révolutionnaires. Au Québec, on peut pen- qui choisit volontairement de ne pas être associée à une
ser aux « carrés rouges » de 2012 qui ne sont sans doute couleur. Son chef Paul Gouin disait que « [l]’Action libé-
pas étrangers à cette symbolique. Pourtant, sur la scène rale nationale n’a pas de couleur et n’entend pas avoir
politique québécoise, le rouge ne se voit pas vraiment de couleur, elle est avant tout une action nationale, c’est
associé à la gauche et à la révolution, mais plutôt au Parti dire qu’elle est ouverte aux membres de tous les partis,
libéral et au fédéralisme. conservateurs comme libéraux 1 ». Il a d’ailleurs déclaré :
« Le Canada, qui ne peut nous teindre en rouge vif, tente
Pour en comprendre l’origine, il faut remonter avant la tour à tour de nous passer au bleu ou de nous mêler au
Confédération canadienne de 1867, au moment du Parti linge sale de M. Taschereau : nous n’avons pas été passés
rouge et du Parti bleu. Le Parti rouge était vu comme au bleu ni n’avons les «bleus» […]2. »
radical, réformiste et anticlérical. Plusieurs de ses
membres avaient participé aux Rébellions des Patriotes
de 1837-1838. Son effondrement a amené à la création du
Parti libéral du Canada en 1867, qui a pris ses couleurs.
Anciens logos
Nouveaux logos
Dès la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs organi- présence de l’alcool sur leur territoire. Quelques comtés
sations chrétiennes luttent contre les ravages de l’ivro- plus francophones et catholiques voteront du côté mouillé
gnerie, dénoncés comme les maux de la société moderne (wet) pour autoriser la vente. Avec la Confédération de
nord-américaine de cette époque. Ces mouvements de 1867, le député fédéral Richard William Scott propose
tempérance, du latin temperancia (modération du plaisir) un projet de législation identique au Dunkin Act pour
se donnent le mandat biblique de lutter contre Satan à tout le Dominion canadien. Le Scott Act est voté par
travers la consommation d’alcool blanc ou « whisky de le Parlement d’Ottawa en 1878, sous le vocable public
patate »1 en Amérique du Nord. de Loi de tempérance du Canada, toujours en vigueur
en 2017.
Au Québec, les principaux mouvements de la tempé-
rance sont la Dominion Alliance, Sons of Temperance Un contexte de complot criminel
et la Woman’s Christian Temperance Union (WCTU). sur la frontière (1890-1920)
Ces groupes de pression incitent le pouvoir politique À la fin du XIXe siècle, le village frontalier d’Abercorn
à contrôler le débit d’alcool, par des lois prohibitives avait cinq hôtels près de la démarcation américaine du
imposant la fermeture des hôtels et tavernes dans les Vermont, dont les principaux étaient The Prince of Wales,
comtés frontaliers majoritairement protestants. Pour The Prince Albert, International House et le Abercorn
justifier leurs revendications, ces groupes dénoncent la House. Mais le plus redoutable demeure sans conteste
problématique du fléau de l’ivrognerie, provoquant les la taverne The Bucket of Blood, ayant sa production de
bagarres et les crimes de sang. Ce désordre crée des vic- mauvais whisky de patate (Home’s Liquor), destinée aux
times, majoritairement des femmes et des enfants, car les ouvriers du chemin de fer venus construire les voies fer-
consommateurs sont des maris et des pères de famille rées du Canadian Pacific Railway (CPR) entre Montréal
travaillant pour les chemins de fer ou en foresterie sur la et Boston. Simple cabane de bois avec des étagères de
frontière Québec-Vermont. bouteilles et un comptoir de 8 à 12 pieds, le Bucket of
Blood se trouvait à une dizaine de mètres du poste de
En réalité, les villes frontalières des Cantons-de-l’Est douane canadien à la frontière américaine. La mauvaise
connaissent une intense contrebande d’alcool criminel, réputation du Bucket of Blood venait des continuelles
celle des contrebandiers de liqueurs (smugglers), bien bagarres et règlements de comptes qui étaient quoti-
avant la prohibition américaine de 1919. Plusieurs Line diens entre ivrognes.
Houses et Whiskey’s Lounge avec prostituées apparaissent
le long de la ligne de chemin de fer proche de la fron- En 1894, dans ce contexte dangereux, William W. Smith,
tière du Vermont. Les tavernes et autres Rum Hole sont responsable de la station ferroviaire à Sutton Jonction
espionnés, photographiés et dénoncés par la WCTU, car et représentant de la société de tempérance Dominion
plusieurs tenanciers d’hôtels profitent du passage du Alliance, lutte activement contre les trafiquants d’alcool
train pour organiser un trafic de boissons alcoolisées. dans le comté de Brome. À la suite de son action contre les
Parallèlement, la prostitution commence à attirer une hôtels de Sutton et Abercorn, il est sauvagement agressé
clientèle masculine de travailleurs du chemin de fer. à la gare de Sutton durant la nuit du dimanche 8 juillet
1894. Véritable tentative de meurtre commanditée, son
Dès 1860, une évolution politique voit apparaître la assaillant lui assène un violent coup à la tête, pour le traî-
volonté d’imposer par la justice des hommes la bonne ner sur la voie ferrée et maquiller son crime en accident.
morale de Dieu contre la consommation d’alcool. C’est le Smith ne doit son salut qu’à sa bonne condition physique
projet légalisé d’interdire la vente avec une prohibition, et un tempérament robuste. L’assaillant, un Américain
du latin prohibitio, signifiant « tenir loin de moi ». C’est nommé Walter Kelly, prend la fuite devant la détermi-
ainsi que la première loi de prohibition naît au Canada- nation de sa victime, pourtant gravement blessé à la tête
Est (Québec) dans les Cantons-de-l’Est, avec le soutien avec un traumatisme crânien. Une enquête du détective
du ministre de l’Agriculture et député du comté de Silas Carpenter retrouve le coupable et découvre un
Brome, Christopher Dunkin, qui crée le Dunkin Act en complot commandité par des hôteliers locaux2.
1864. Cette loi permet aux échevins des comtés fronta-
liers de voter un règlement « sec » (dry) pour interdire la
BIBLIOGRAPHIE
BRAULT, Jean-Rémi. Histoire d’Abercorn, Montréal, Septentrion, 2004.
BUSSEAU, Laurent. Crime, alcool et prostitution sur la frontière, Société d’histoire de Frelighsburg, 2016.
DANSEREAU, Danielle. Frontières, douanes et contrebande à Frelighsburg..., Société d’histoire de
Frelighsburg, 2001.
KESTERMAN, Jean-Pierre et al. Histoire des Cantons-de-L’Est, Presse ULaval et IQRC, 1999.
PORTES, Jacques. Les États-Unis au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1997.
PRÉVOST, Robert et al. L’histoire de l’alcool au Québec, Montréal, Alain Stancké, 1986.
SALISBURY C., Jack. Richford Vermont frontier town, Phoenix Publication, Canaan-VT, 2006.
NOTES
1 Alcool vient de l’arabe Al-Cohol qui signifie « chose du subtil » dans le langage des premiers
alchimistes chrétiens orientaux du IVe siècle. Le mot anglais whisky (whiskey en irlandais) est
d’origine celte « Uisge Beathe », littéralement « eau-de-vie ». En Amérique du nord, l’alcool
blanc est d’abord un produit de conservation et de soin pour les premiers colons européens. Sa
contrebande sur la frontière des Cantons-de-l’Est prend son essor durant la guerre de 1812-1814
avec l’embargo britannique contre les marchandises américaines.
2 Entre 1894 et 1896, la Dominion Alliance engage Silas Carpenter, alors détective du Canadian
Service Secret Agency à Montréal, pour enquêter sur le complot de meurtre contre William
Smith sur la frontière. En 1898, au palais de justice de Sweetburg (Cowansville), un procès
mettra en relief les implications financières et politiques des trafiquants d’alcool dans le comté.
Le Canadian Pacific Railway est mis en cause par la Dominion Alliance pour la contrebande
d’alcool, dans un livre pamphlétaire, The story of a Dark plot or Tyranny on the frontier, publié en
1902 à Boston.
3 « Volstead Act » est un texte législatif fédéral américain présenté par le Parti républicain pour
renforcer la politique de prohibition du 18e amendement ratifié le 16 janvier 1919 et appliqué le
16 janvier 1920. Face à l’échec de la prohibition, le Volstead Act est amendé par Roosevelt avec
le Blaine Act et disparaît le 5 décembre 1933.
4 Bootlegger est un terme de l’argot américain lié aux coureurs de bois du 18e siècle signifiant
« l’homme qui cache une bouteille dans sa botte » pour échapper aux contrôles des postes
britanniques.
5 Plusieurs articles de presse du St-Albans Messenger rapportent les faits (Richford historical
Society, County Franklin Newspapers), 1920-1930. Voir Salisbury, Jack, Richford Vermont frontier
town et Brault, Jean-Rémi, Histoire d’Abercorn.
Stéphan Garneau possède un baccalauréat en histoire et un certificat en archivistique de l’Université Laval. Il possède aussi
un diplôme d’études complémentaires de 2e cycle en archivistique, orientation administration et entreprise contemporaines de
l’Université Libre de Bruxelles (Belgique). Au niveau professionnel, il occupe le poste de responsable de la bibliothèque au Cégep de
Thetford et siège à ce titre au conseil d’administration de la Société de généalogie et d’histoire de la région de Thetford. Sa passion
pour l’héraldique et l’histoire régionale l’a amené à rédiger une quinzaine d’articles. Il est également l’auteur de trois volumes
portant sur l’histoire des mines d’amiante au 20e siècle, le Cégep de Thetford et le Collège canadien des armoiries.
Pour ce qui est des autres livres d’héraldique qui sont tous
d’origine européenne, il faut remarquer dans un premier
temps la présence de trois grands classiques. Le premier
est L’Armorial général de Jean-Baptiste Rietstap qui réunit
pour la première fois en un seul ouvrage des centaines
d’armoriaux de toute l’Europe. Le deuxième est le Grand
Armorial de France d’Henri Jougla de Morenas qui cons-
titue le volume de base en ce qui concerne l’héraldique
française. Le troisième, quant à lui, est Le Véritable art du
Blason ou l’Usage des Armoiries du père Claude-François
Ménestrier, mort à Paris le 21 janvier 1705. Sous ces
incontournables, la collection du CCA se compose
d’ouvrages de vulgarisation comme, Vocabulaire-Atlas
héraldique, publié par la Société du Grand Armorial de
France en 1952, Dictionnaire des figures héraldiques, du
Belge Théodore de Renesse, Le Blason, de Geneviève
d’Haucourt et Georges Durivault, et Précis d’héraldique,
de Théodore Veyrin-Forrer. À ces volumes, il faut encore
ajouter l’Annuaire du Conseil héraldique de France, publié ainsi de quatre documents qui sont, le Dictionnaire général
annuellement entre 1888 et 1909. du Canada du père Louis Lejeune (1931)7, l’Encyclopedia of
Canada de William Stewart Wallace (1948), le Dictionnaire
En résumé, la collection de livres héraldiques utilisée encyclopédique Quillet (1934), dont le but est de per-
par le CCA est suffisante dans la mesure où l’orga- mettre au lecteur de trouver une synthèse résumée qui
nisme se consacre à la réalisation d’armoiries. Ainsi, soit au niveau de toutes les sciences contemporaines et
les connaissances des principes de base de l’héraldique qui englobe toutes les activités humaines, et le Guide to
sont apportées par les volumes de Ménestrier ou encore, Canadian Ministries since Confederation 1867 - 1957 (1957).
Veyrin-Forrer, tandis que les ouvrages de Rietstap et
de Jougla fournissent une base d’exemples à consulter. La seconde catégorie, de son côté, contient trois
En ce qui concerne ce volet, le seul élément négatif volumes : Origines des familles canadiennes-françaises
de la collection se réfère au faible taux d’illustrations (1914)8 de Narcisse-Eutrope Dionne, responsable de
dans les livres. Peut-être est-ce pour suppléer à cette la bibliothèque de l’Assemblée législative du Québec,
absence d’images que le Collège possède les dessins de Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de
110 000 écus dans ses archives6. Toutefois, en ce qui a trait France (1951), et Les noms de famille de France (1945), tous
à l’autre mandat de l’organisme, recherches historiques les deux d’Albert Dauzat. Ce dernier est un linguiste
et héraldiques, il ne fait aucun doute que la collection français renommé, fondateur et directeur de l’impor-
présente de nombreuses lacunes, puisque des parties tante revue de linguistique Le Français moderne. En ce qui
entières de l’Europe ne sont pas ou peu couvertes alors concerne les ouvrages de géographie, la collection du
que la France est surreprésentée. CCA comprend le Dictionnaire historique et géographique
des paroisses, missions et municipalités de la Province de
Livres de référence Québec (1925) d’Hormisdas Magnan. Celui-ci renferme
Composant la masse la plus importante, les ouvrages de les monographies de 1 130 paroisses ayant curé résidant
référence présents dans la collection du CCA viennent et 138 missions. En complément, la bibliothèque pos-
en aide aux héraldistes pour connaître l’histoire d’une sède aussi un exemplaire du livre Noms géographiques de
agglomération, mieux connaître une personnalité célèbre la province de Québec et des provinces maritimes empruntés
d’un coin de pays, trouver un cri de ralliement perti- aux langues sauvages (1906) d’Eugène Rouillard, membre
nent, ou encore, définir plus précisément un terme ou fondateur de la Société du parler français au Canada.
un élément. Par conséquent, il est possible de les diviser Finalement, l’organisme héraldique montréalais peut
en quatre catégories : les encyclopédies, les volumes qui compter sur deux répertoires de devises, soit Devises
traitent des familles, les ouvrages de géographie et les (1952) de Jules-J. Plamondon, et le Dictionnaire des devises
répertoires de devises. La première catégorie se compose ecclésiastiques (1907) d’Henri Tausin.
Malgré tous ces volumes de référence, il arrive dans cer- fait Grand-Croix de l’Ordre de Saint-Louis puis
tains cas que le CCA doive faire appel à des ouvrages créé Marquis en 1702. […] Fille de Pierre Joybert de
encore plus pointus pour mener à bien ses recherches. Marson, Sieur de Soulanges, et de Marie-Françoise
Par exemple, pour réaliser les armoiries de Lorrainville, Chartier de Lotbinière, la future marquise de
les héraldistes ont consulté Le symbolisme de la croix Vaudreuil naquit à la rivière Gemsek, en Acadie, où
de Lorraine (1948), La croix de Lorraine, son origine, sa son père commandait. (2 : Bulletin des recherches
signification (1945), L’Héroïque épopée de la croix de la historiques) Elle fit ses études chez les Ursulines
Lorraine et d’Anjou. Ses origines divines, hongroises, ange- de Québec.9
vines (1945), L’Abitibi, région de colonisation (1939), Notes
historiques sur le Témiscamingue (1937), L’Abitibi, pays de Cependant, dans la grande majorité des cas, il faut
l’or (1938), Journal de l’expédition du chevalier de Troyes directement étudier l’œuvre héraldique pour remarquer
à la Baie d’Hudson en 1686 (1918), et Le Canada ecclésias- les emprunts aux volumes effectués par les employés du
tique (1911). De même, la bibliographie des armoiries de CCA, comme le démontrent les trois exemples suivants.
Beauceville contient les livres Branche aînée de la famille
Taschereau en Canada (1896) et La famille Taschereau (1901). a) L’Armorial du Canada français d’Édouard-Zotique
Bref, il est possible de conclure que les ouvrages de réfé- Massicotte et Régis Roy
rence utilisés par le Collège sont nombreux et touchent à
l’ensemble des sciences utiles à ses employés. Au mois d’août 1955, le CCA dévoile les nouvelles
armoiries de la ville de Roberval qui contiennent les
Preuves de l’utilisation des ressources documentaires armes de Jean-François de la Roque, Sieur de Roberval,
Les livres étudiés jusqu’à présent ont été répertoriés à de qui la municipalité tire son nom. Aussitôt, une con-
partir des bibliographies qui succèdent aux descriptions troverse éclate alors qu’un citoyen mentionne que les
des armoiries. Mais quelle preuve démontre que les anciennes armoiries, différentes des nouvelles, représen-
héraldistes se sont bel et bien servis des volumes men- tent déjà les armes du Sieur de Roberval. Dans le but de
tionnés pour réaliser les blasons? Dans de très rares cas, clore le dossier, les héraldistes du Collège indiquent à
comme celui des armoiries de la municipalité de Rigaud, la presse régionale que leur blason est le bon, puisqu’il
les spécialistes indiquent clairement leurs sources dans représente les armes du Sieur de Roberval illustrées
leurs descriptions : à la page 15 de L’Armorial du Canada français10. Loin
de se laisser convaincre par l’argument, les historiens
Le premier Rigaud qui passa en Nouvelle-France régionaux, comme le chanoine Victor Tremblay, font
fut Philippe de Rigaud de Vaudreuil, né en 1643. appel à d’autres spécialistes de la province. Si le prési-
Le 21 novembre 1690, il épousait Louise-Elisabeth dent du collège héraldique de la Société historique de
de Joybert de Marson. (1 : Bref aperçu Historique Montréal, Victor Morin, ne peux donner de réponse
sur la Famille D’Amours) Monsieur de Rigaud fut adéquate pour trancher le débat, le propriétaire de
1 L’organisme disparaît en 1959 après avoir déménagé ses locaux à trois reprises.
2 Victor Morin, Traité d’art héraldique, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1919, p. 12-13.
3 Édouard-Zotique Massicotte et Régis Roy, Armorial du Canada français, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1915, p. V.
4 Pour plus d’information, voir la troisième partie, premier exemple.
5 Morin, op. cit., p. 164.
6 Dans une lettre adressée à la municipalité de Candiac le 15 septembre 1958, Jean Simard, alors président du CCA mentionne : Les
110 000 écus qui se trouvent dans nos archives ont surtout pour objet d’éviter des copies involontaires ou de retracer les armoiries anciennes
de particuliers.
7 Le titre au complet est Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences,
mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada.
8 Le vrai titre de l’ouvrage est Origine des familles émigrées de France, d’Espagne, de Suisse, etc., pour venir se fixer au Canada, depuis la
fondation de Québec jusqu’à ces derniers temps, et signification de leurs noms.
9 Description et symbolisme des armoiries de Rigaud.
10 « À propos des armoiries de Roberval », L’Étoile du Lac, 8 septembre 1955, p. 3.
11 Lettre de Gabriel Drouin, président de l’Institut généalogique Drouin, à monsieur Maurice Simard, le 28 septembre 1955.
12 Hormisdas Magnan, Dictionnaire historique et géographique des paroisses, missions et municipalités de la Province de Québec, Arthabaska,
L’Imprimerie d’Arthabaska, Inc., 1925, p. 97.
13 Jules-J. Plamondon, Devises, Québec, Les Éditions Caritas/Librairie Universelle, 1952, p. 9.
M. Fortier complète une maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke et un doctorat en histoire à l’Université Laval en 1982
et 1990. Il travaille au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada depuis 1987, et occupe le poste de Conservateur, aviation et
espace, depuis 1995.
M. Fortier est le conservateur responsable de cinq expositions temporaires réalisées au musée, soit 1909 - L’année lumière;
L’aviation rêvée et réinventée; Les Faucheurs de marguerites : un album de l’aviation au Canada, 1909-1914; En quête
de ciel : le centenaire des frères Wright; et Vers un ciel vert. En 1995, il est recherchiste de l’exposition itinérante Au temps
des ballons, réalisée avec le Musée Stewart de Montréal et le Musée de l’Air et de l’Espace de Paris.
M. Fortier a rédigé divers essais photographiques pour le site Web du musée, dont Le R-100 au Canada; Le bouclier et l’épée;
1909 - L’année lumière; Au Temps des Ballons; et Garder l’œil sur nos côtes. Au fil des ans, il a contribué à des séries telles
que 300 ans de science au Canada et Avions, mises en ondes en 1999 et 2004.
Bombardier compte aujourd’hui parmi les plus en service en avril 1953. La popularité de cet avion rela-
importants fabricants d’avions de ligne régionaux au tivement silencieux et peu sujet aux vibrations cause
monde. Un des éléments clés de ce géant est Bombardier bien des maux de tête à Convair2.
Aéronautique Montréal. Autrefois connue sous le nom de
Canadair, cette compagnie fabrique pendant longtemps Pour demeurer compétitif, l’avionneur américain lance
des avions pour l’Aviation royale du Canada et des for- le Modèle 440 Metropolitan en 1956. Plus populaire à
ces aériennes étrangères. En 1958, toutefois, l’avionneur l’étranger qu’aux États-Unis, le Metropolitan est à ce
de Cartierville acquiert l’outillage de production d’un point réussi que plusieurs transporteurs aériens l’utili-
avion de ligne de taille moyenne fabriqué jusque là par sent jusqu’à l’introduction des premiers avions de ligne
une compagnie sœur américaine, Convair. à réaction de taille moyenne, pendant les années 1960.
Convair en produit environ 170, dont une vingtaine
Un succès à l’échelle mondiale, le Convairliner pour l’U.S. Air Force et l’U.S. Navy.
L’histoire de la famille d’avions de ligne de taille moyenne
de Consolidated Vultee Aircraft (Convair) commence
avec un classique du transport aérien, le Douglas DC–3.
Fabriquées en masse aux États-Unis pendant la Seconde
Guerre mondiale, les versions militaires du DC–3 ven-
dues aux surplus de guerre deviennent les avions de
ligne de choix de nombreux transporteurs aériens une
fois la paix revenue1.
Le début des années 1950 est une période clé dans l’his-
toire de l’aviation civile qui voit l’entrée en service de
deux types de moteurs pour le moins révolutionnaires,
le turboréacteur et le turbopropulseur, un moteur à
réaction muni d’une hélice. Dans les deux cas, c’est le Un Douglas DC-3 de Trans-Canada Air Lines,
Royaume-Uni qui joue le rôle de pionnier. Le premier Aéroport de Montréal (Dorval), juillet 1947,
avion de ligne turbopropulsé, le Vickers Viscount, entre Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, négatif 5573.
Une seconde jeunesse pour le bimoteur Convair Une ou des personnes proposent alors de faire appel
En 1954, un fabricant de moteurs d’avions britannique à Canadair, une compagnie sœur de Convair depuis
d’importance secondaire sans trop d’expérience au 1953. C’est ainsi que, en 1958, l’avionneur québécois
niveau civil commence à s’intéresser au Convairliner. achète l’outillage de production et les droits de vente du
D. Napier & Son croit que la prochaine version de cet Convairliner, ainsi que deux avions invendus. Canadair
avion pourrait être munie de puissants turbopropulseurs ne tarde pas à préparer les plans de nouvelles versions
Eland. Fort intéressée par cette idée, Convair lui vend civiles et militaires, connues sous le nom de Canadair 540
un Convairliner vers octobre 1954. Une fois modifié, cet ou CL-66. Les quelques centaines d’avions que la direc-
avion entame des vols d’essais en février 1956. Ses per- tion espère fabriquer vont placer l’avionneur en position
formances sont impressionnantes. forte sur la scène internationale. Ces commandes doivent
par ailleurs réduire le risque de mises à pied chez
Au fil des mois, D. Napier & Son élargit quelque peu Canadair. En effet, deux importants programmes de
sa stratégie. En effet, les nombreux utilisateurs civils production d’avions militaires prennent fin en 1958-595.
de Convairliner constituent un marché de choix pour
des conversions qui demandent peu de modifications D. Napier & Son et Canadair n’attendent pas l’arrivée
structurelles. La firme britannique n’est pas sans savoir du dernier train chargé d’outillage pour se mettre en
que l’entrée en scène d’avions de ligne turbopropulsés quête de contrats. Elles savent très bien que l’ARC uti-
performants diminue la valeur de revente des avions lise encore plus de cent avions de transport Douglas
usagés munis de moteurs à pistons. Du coup, les lignes Dakotas, des DC-3 militaires qui datent de la Seconde
aériennes doivent emprunter de l’argent pour payer Guerre mondiale. Leur proposition s’avère à ce point
leurs programmes de modernisation. Les opérateurs de intéressante que le gouvernement fédéral annule, en
Convairliner ont toutefois une porte de sortie. L’installa- février 1958, un contrat de l’ARC pour un petit nombre
tion d’Eland sur leurs avions usagés augmenterait beau- de Viscount. Les militaires, assez mécontents, doivent
coup leurs performances, maintenant ainsi leur com- s’incliner. Canadair obtient ainsi une commande pour
pétitivité encore plusieurs années. Elle peut par ailleurs dix CC-109 Cosmopolitan capables de transporter des
accroître leur valeur de revente. passagers ou du fret. Cette commande est en fait une sub-
vention déguisée. Elle doit aider l’avionneur à se tailler
D. Napier & Son propose des programmes de conver- une place dans l’industrie du transport aérien, réduisant
sion à plusieurs transporteurs aériens de par le monde. ainsi sa dépendance envers le marché militaire.
Ces efforts ne donnent de bons résultats qu’au Brésil.
Une société privée, REAL Aerovias Brasília, décide de Le Cosmopolitan, dont un premier exemplaire vole en
convertir trois Convairliners. Serviços Aéreos Cruzeiro janvier 1960, entre en service en avril. Fréquemment uti-
do Sul, une société d’État, dit vouloir acheter des kits lisé pour transporter des politiciens et leur entourage, le
de conversion pour douze aéronefs, dont quatre qu’elle « Cosmo » est parfois surnommé « Cosmopolitician6. »
pense acheter.
Éditions du Phœnix
aborde l’histoire en offrant de l’aventure à ses lecteurs. Ils découvriront,
à travers des romans sous forme de faits vécus et de fiction, la vie de plusieurs de nos héros.
Visitez notre site :
www.editionsduphoenix.com
2 J.M. Gradidge et al., The Convairliners Story (Tunbridge, Angleterre : Air Britain (Historians), 1997), 10-11 et 13.
3 J.M. Gradidge et al., op. cit., 13. Gaétan Lavoie, « Des Convair 580, pas très jeunes, mais fiables. » Aviation Québec 2 (Juillet-août
1978), 15-18. John Wegg, General Dynamics Aircraft and their Predecessors (Annapolis, Maryland : Naval Institute Press, 1990),
187-189. Des bimoteurs Convair sont visibles dans environ 50 films, principalement américains mais aussi européens et sud-
américains, et ce depuis les années 1950. Le Convairliner est présent dans au moins 4 séries télévisées, dont The Twilight Zone / La
quatrième dimension – un des classiques du fantastique télévisé. Un des meilleurs épisodes de la série, « Nightmare at 20,000 feet /
Cauchemar à 20 000 pieds » diffusé en 1963, met en vedette un comédien d’origine montréalaise. En 1966, William Shatner prête
ses traits à un personnage plus grand que nature de la série télévisée Star Trek / Patrouille du cosmos, le capitaine James Tiberius
Kirk. Un Convairliner de la société aérienne belge SABENA compte par ailleurs parmi les nombreux avions qui peuplent les
aventures de Tintin, un héros de bande dessinée créé par le Belge Georges Prosper Remi, dit Hergé. Cet avion est visible sur deux
pages de L’affaire Tournesol, une histoire d’enlèvement et d’espionnage publiée en album en 1956. J.P. Telotte, « In the cinematic
zone of The Twilight Zone’s cultural and mythological terrain. » Science Fiction Film and Television 3 (Printemps 2010), 1-17.
4 Anon., « Napier Eland airliner. » Flight 69 (3 février 1956), 136-137. Anon., « Civil aviation – R.E.A.L. hopes for Eland. » Flight 71
(22 mars 1957), 359. Anon., « Civil aviation – Elands for Brazil? » Flight 72 (12 juillet 1957), 57. Anon., « From all quarters – Eland
Convair for certification. » Flight 72 (22 novembre 1957), 790-791. Anon., « Napier pushes Convair-Eland campaign. » Aviation
Week (AW) 67 (30 décembre 1957), 64-66. L.L. Doty, « Used-plane market faces critical era. » AW 69 (7 juillet 1958), 26-28. Tony
Merton Jones, « The Eland enigma, part 1. » Propliner 65 (Hiver 1995), 33-37.
5 Anon., « Turboprop Convair ordered by RCAF. » AW 68 (17 février 1958), 40-41. Anon. « Napier + Convair + Canadair =
Cosmopolitan. » Aircraft 20 (April 1958), 26-28 et 66-67. Tony Merton Jones, op. cit., 35-36.
6 Anon., « Turboprop Convair ordered by RCAF. » AW 68 (17 février 1958), 40-41. Anon., « From all quarters – Canadair CL-66
Cosmopolitan. » Flight 73 (21 février 1958), 228. Anon. « Napier + Convair + Canadair = Cosmopolitan. » Aircraft 20 (April 1958),
26-28 et 66-67.
7 Anon., «Canadair plant for Brazil. » The Financial Post 53 (26 juillet 1958), 1. Anon., « Civil aviation – Canadair in Brazil. » Flight
74 (29 août 1958), 300.
8 Anon., « Air transport – PacAero Engineering to convert Hawaiian Convairs to turboprops. » AW 70 (19 janvier 1959), 39. Anon.,
« Financial – Tight market hampers airline. » AW 70 (19 janvier 1959), 67. Anon., « Aeronautical engineering – Napier inaugu-
rates Canadian subsidiary. » AW 70 (2 mars 1959), 66. Anon., « Air transport – Sales drive begins for Canadair 540. » AW 70
(30 mars 1959), 44. Anon., « Air transport – Return to service scheduled for 540. » AW 71 (3 août 1959), 38. Anon., « Air trans-
port – Alleghany orders 540s. » AW 71 (16 novembre 1959), 42. Anon., « Air transport – Alleghany planning mixed fleet; to
convert Convairs to turboprops. » AW 71 (30 novembre 1959), 40-41. Anon., « Air transport – Napier buys Convairs from United
Air Lines. » AW 71 (21 décembre 1959), 31. Anon., « Airline observer. » AW 73 (12 septembre 1960), 52. Anon., « Airline obser-
ver. » AW 73 (24 octobre 1960), 52. Robert I. Stanfield, « Aviation Week pilot report – Turboprops boost Convair’s capabilities. »
AW 70 (20 avril 1959), 103-104, 107, 109 et 111.
9 Tony Merton Jones, « The Eland enigma, part 2. » op. cit., 19-20.
10 Anon., « World news – No more Elands. » Flight 81 (1 mars 1962), 313. Anon., « Air commerce – Up-to-date with Alleghany. »
Flight 81 (3 mai 1962), 706-707. Tony Merton Jones, « The Eland enigma, part 2. » op. cit., 20-22.
11 Tony Merton Jones, « The Eland Enigma, part 2. » op. cit., 20-23. Au fil des ans, les Canadair CC-109 Cosmopolitan souffrent
des nombreuses carences de leurs moteurs Napier Eland. En 1966-67, soucieuse de les maintenir en service, l’Aviation royale
du Canada fait installer des turbopropulseurs Allison sur huit avions. Les Cosmopolitan encore en existence sont entreposés en
1994. Andrew H. Cline, « Canadian Forces – Cosmo closeout. » Wings 35 (Décembre 1994), 43 et 53.
par Anne-Marie Charuest, membre du C.A. FHQ, et Jeannine Ouellet, gouverneure de la FHQ
Que voici une volumineuse biogra- Quel exercice éclairant sur cet homme
phie d’un homme au caractère coloré, malmené par l’histoire politique du
qui savait défoncer les barrières XIXe siècle! Martin Lavallée y a con-
au profit des nombreuses causes sacré son mémoire de maîtrise, éplu-
auxquelles il croyait. Jean-Philippe chant les archives, les journaux de
Warren a eu la lourde tâche (et le l’époque, mais également ce qu’en
mérite) d’assembler les morceaux du ont écrit les historiens au cours des
casse-tête si particulier que constitue décennies.
la carrière d’Honoré Beaugrand,
car il n’a laissé que peu de traces L’exercice, nécessairement chrono-
manuscrites. Warren en profite donc logique, nous permet de comprendre
pour nous contextualiser le quotidien l’évolution de la pensée intellectuelle
de Beaugrand, en nous racontant de cet homme politique, élu député
le XIXe siècle. Cela nous permet de dès 1808. À travers les événements
saisir comment certains événements bouleversants du mouvement
ont contribué à faire avancer sa car- patriote, de la création de l’Union
rière. Grand voyageur, aimant le et de la montée du groupe des
beau et la bonne société, il ne cache réformistes, on comprend que Viger
pas sa réticence face au clergé. Son est un homme réfléchi, mais parfois
mandat à la mairie de Montréal est naïf face aux tractations politiques,
marqué par l’épidémie de variole des deux côtés de l’Atlantique. Il
et Beaugrand, lui-même souffrant vivra de nombreuses désillusions et
d’asthme chronique, sera parfois malheureusement pour lui, se fera
obligé de s’absenter de la place « subtiliser » un des concepts poli-
publique. À titre de propriétaire du tiques auquel il a consacré plusieurs
journal La Patrie, il est le premier heures de recherches et de nombreux
à engager une femme journaliste articles dans le journal L’Aurore des
francophone, Robertine Barry alias Canadas : sa doctrine de la double
Françoise, en 1892. Finalement, la majorité. Ses relations difficiles
parution de son livre de contes cons- avec Louis-Hippolyte LaFontaine
titue le plus beau cadeau que s’offre et les réformistes nous ramènent
Honoré Beaugrand, à titre d’éditeur à de similaires déchirements dans
et de bibliophile : La Chasse-Galerie l’actualité politique actuelle. Lavallée
and Other Canadian Stories est un l’écrit avec justesse : « Viger est
exemple de beau-livre par sa couver- davantage l’aristocrate, l’éminence grise,
ture riche, ses illustrations remarqua- le penseur politique et constitutionnel
bles et même les armoiries de l’auteur […]. Il n’est pas celui qui harangue les
en page titre. Mission accomplie, une foules et mène les troupes. » (p. 119).
fois de plus, à Jean-Philippe Warren, On ne peut que féliciter l’auteur de
qui a su attirer notre attention sur un nous contextualiser l’homme face
homme fort remarquable. aux événements politiques difficiles
Par Anne-Marie Charuest qui ont marqué sa carrière politique
Par Anne-Marie Charuest
On l’a longtemps connu sous le nom de Musée canadien La section des expositions en ligne mérite un détour et
des civilisations. D’autres, plus âgés, se souviennent surtout une longue visite. On y trouve près d’une centaine
qu’il fut aussi nommé le Musée national de l’Homme. d’expositions aux titres les plus variés. Cela va de l’his-
C’est en décembre 2013 qu’on attribue le vocable de toire du golf à l’évolution des coiffes des infirmières, des
Musée canadien de l’histoire à cette institution muséale boîtes à cigares à l’histoire du vote au Canada.
qui serait aujourd’hui la plus visitée au pays.
Une de ces expositions est particulièrement réussie et
Le site Web de ce musée sera d’abord utile pour ceux et devrait servir d’exemple aux amoureux de l’histoire
celles qui souhaitent parcourir ses étages et s’y retrouver locale et régionale. Son sujet est celui d’un illustre
parmi les expositions temporaires et permanentes qui inconnu, un immigrant danois nommé Christian
y sont offertes. Quelque 25 000 mètres carrés d’aire Bennedsen. Voilà que cet homme, décédé en 2002, a
d’exposition, ce n’est quand même pas un espace que envoyé ou a reçu, durant son demi-siècle au Canada,
l’on visite à la hâte. plus de 900 articles de correspondance, et a accumulé
quelque 3000 photographies et bien des documents
Quant aux visiteurs virtuels, ceux et celles qui ne qui racontent les bonheurs qu’il a vécus mais aussi les
peuvent se rendre rue Laurier, à Gatineau, ils n’ont pas épreuves qu’il a affrontées.
été oubliés par les responsables des pages muséales.
«Il conserva tout», indiquent les responsables de cette
Sachez d’abord que 218 000 artéfacts de la collection exposition virtuelle qui ont recréé à l’écran, la trame
du musée sont accessibles en ligne (voir la section de sa vie. Une vie si passionnante qu’elle mérite d’être
collections). Si vous n’avez que quelques minutes au musée!
devant vous, n’allez surtout pas inscrire un lieu ou un
thème dans le moteur de recherche. L’adresse : www.museedelhistoire.ca