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Le mot de la rédactrice en chef

par MariFrance Charette, directrice, Fédération Histoire Québec

Le magazine Histoire Québec a l’immense privilège de re­ Nous abordons également des thèmes qui nous sont
cevoir tout au long de l’année, de la part de passionnés chers, comme l’histoire de l’aviation. Un texte qui décrit
d’histoire et de chercheurs, des textes de grande qua­ les relations commerciales des avionneurs canadiens et
lité sur les sujets les plus variés. Le présent numéro, qui américains et qui démontre qu’avec le temps, le modèle
devait ne contenir « que des textes » sans thématique d’affaires des années 1960 n’a pas vraiment changé. « Le
annoncée, a finalement trouvé sa voie : l’identité. Cette Cosmopolitician  » trouverait encore sa place dans le
nécessité chez chaque humain, pour son développe­ ciel d’aujourd’hui.
ment, de se définir afin de se distinguer des autres, de
se connaître et d’être reconnu, et ce, à travers le temps. Pour terminer, deux thèmes peu présents dans nos pages
et encore moins dans le même article, la course automo­
Depuis le Moyen Âge, afficher son identité et ses bile et la philatélie. Quel est le lien entre Gilles Villeneuve
couleurs a pris différentes formes, de l’héraldique au et Postes Canada? Je laisse les amateurs le découvrir.
logotype en passant par la féminisation des appella­
­
tions. L’étude de l’histoire offre de nombreuses pistes de Vous remarquerez sans doute la nouvelle interprétation
­réponse à cette éternelle question : « Qui sommes-nous? » de la chronique « Histoire en images ». Une ­nouvelle
C’est un des effets secondaires de la connaissance de son collaboration avec de jeunes passionnés d’histoire et
histoire que de développer une identité propre et un de bandes dessinées, qui se poursuivra encore pour
sentiment ­d’appartenance à un groupe, à un village, à quelques numéros. Une généreuse chronique « Histoire
une région, à un pays. Il arrive même que, convaincu de de lire » vous est proposée et « Histoire sur Internet »
leur ­identité distincte, un groupe de citoyens créent leur vous transporte dans le monde des expositions virtuelles
propre république. du Musée canadien de l’histoire.

Pour conclure la thématique, dans ce cas-ci en présen­ En terminant, je vous rappelle que le rendez-vous ­annuel
tant la confusion des frontières, nous nous intéressons des amateurs d’histoire, soit le congrès de la Fédération
au phénomène des Line Houses, bordels sans frontière Histoire Québec, a lieu cette année à Victoriaville, du 19
fleurissant aux limites du Québec et du Vermont. Entre au 21 mai prochain. Consultez à la page 34 le ­programme
1860 et 1930, en pleine période de prohibition tant du des conférences.
côté canadien qu’américain, des établissements comme
le Palais du Péché s’établiront le long de la voie ferrée et Bonne lecture!
feront la fortune de tenancières chevronnées telle Lilian
Miner, que l’on surnommait « Queen Lil ».

THÉMATIQUES ÉTÉ 2018 – « Le Cœur-du-Québec », date de tombée : 3 avril 2018


DES PROCHAINS
NUMÉROS : AUTOMNE 2018 – Numéro académique – Invitation lancée aux étudiants et aux chercheurs

Vous pouvez soumettre en tout temps des textes pour parution dans le magazine.
Consultez le guide rédactionnel au www.histoirequebec.qc.ca, sous l’onglet MAGAZINE HQ. Contactez-nous! ehq@histoirequebec.qc.ca

4 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


Histoire de la féminisation des appellations au Québec

par Gabriel Martin

Gabriel Martin est étudiant à la maitrise en linguistique à l’Université de Sherbrooke. Il s’intéresse notamment aux questions
qui concernent le français de variété québécoise, la lexicographie et les dynamiques sociolinguistiques liées aux enjeux de genre. Il
dirige actuellement la préparation du Petit dictionnaire des grandes Québécoises, un collectif à vocation vulgarisatrice dont la
parution est prévue pour 2018.

« Un jour, il faudra prendre le temps d’écrire, avec un


grand souci du détail, l’histoire de la féminisation lin-
guistique au Québec1 », écrivait la linguiste Pierrette
Vachon-L’Heureux, il y a un peu plus de 25 ans. Dans
l’optique de contribuer à l’écriture de cette histoire, le
présent article propose de faire une synthèse du pan
lexical de l’histoire de la féminisation au Québec, du
début du 20e siècle à aujourd’hui. En plus d’y retracer
les grandes lignes du mouvement, on s’y attarde aussi
à quelques points de détails méconnus, révélés par un
retour aux sources de première main.

Les balbutiements
Au Québec, l’idée de féminiser des appellations de per-
sonnes traditionnellement masculines, c’est-à-dire de
leur trouver des formes féminines équivalentes, circule
dès le premier quart du 20e siècle. Dans les années 1910,
la directrice de la revue Pour vous mesdames utilise ainsi
des appellations féminisées sans les mettre en relief par
quelque procédé typographique que ce soit : « Mais
quel mal y aurait-il à voir une femme voter, devenir
échevine [conseillère municipale], mairesse, conseillère
législative, ministresse, être avocate, doctoresse, notaire,
marchande, enfin avoir les mêmes occupations que les
hommes2? »

À l’époque, la création et l’emploi de telles appella-


tions attirent ponctuellement l’attention de quelques
journalistes, chroniqueurs et langagiers. Ainsi, les com-
mentaires émis des années 1910 aux années 1950 dans
les publications canadiennes-françaises se positionnent
Publicité électorale de 1961 où la candidate et future députée
essentiellement en faveur de la féminisation :
Claire Kirkland-Casgrain est présentée avec les titres masculins
de candidat officiel et député.
« Il faudra féminiser sans l’autorisation de
(Source : Le Devoir, vol. 52, no 291, 13 décembre 1961, p. 6.
l’Académie. [...] Avec la femme dans la politique Domaine public.)
et au Parlement, il faudra inventer des équivalents
féminins à “orateur”, à “législateur”, à “sénateur”, à
“ministre”, aussi, sans doute, et à d’autres mots dont
il faudrait dorénavant faire fraternellement partage
avec la femme, au nom de l’immortel et souverain
principe de l’Égalité3. »

« “Une ancienne députée”, “une journaliste distin-


guée”. — Ne serait-il pas opportun de féminiser
ainsi tous les noms masculins de profession, puisque
aussi bien presque toutes les professions masculines
sont aujourd’hui accessibles aux femmes4? »

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 5


« En notre siècle de féminisme, n’y a-t-il pas un quatre femmes à l’Assemblée nationale. On demande
grand nombre de femmes […] qui contribuent au alors à l’Office de la langue française d’étudier la
succès de certaines industries nouvelles et même question de la féminisation des titres, en prévision de la
à l’avancement des découvertes scientifiques? Qui nomination éventuelle d’une femme à la présidence ou
niera, par exemple, que Mme [Marie] Curie soit une vice-présidence de l’institution13. Un mois plus tard, la
pionnière dans le champ du radium? Il est donc une députée Louise Cuerrier devient — sans doute plus tôt
fois encore inexact d’affirmer que pionnier n’a pas qu’on ne s’y attendait — vice-présidente de l’assemblée.
besoin de féminin5. » En l’absence de directives formelles et dans l’optique de
« forcer la langue à évoluer14 », elle déclare qu’on devra
« On n’ose pas encore écrire la professeure, l’ingénieure la nommer avec la formule boiteuse madame le président
comme on écrit la supérieure, la prieure. Il ne fait tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas féminisé l’en-
aucun doute qu’on y viendra un jour. On est rendu à semble des titres employés à l’Assemblée nationale.
la députée, l’adjointe. Qu’on ne s’arrête pas en route et
que l’on écrive également la sénatrice6. » Après les nombreux débats qui s’ensuivent dans les
médias, l’Assemblée nationale adopte officiellement
À la fin des années 1960, un chroniqueur favorable à l’expression madame la présidente en mars 1979. Quatre
la féminisation des titres pose même cette question à mois plus tard, à la demande expresse du Conseil du
l’allure de défi : « Qui osera ouvrir toutes les voies de statut de la femme15, l’Office de la langue française, qui
la dérivation devenues nécessaires, mais bêtement ne s’était jusqu’alors prononcé que timidement16, publie
interdites? Sera-ce le jeune Québec, la France millé- un avis officiel, qui se positionne comme favorable à
naire ou quelque autre membre de la francophonie7? » l’emploi des formes féminisées17. Cet avis, rédigé par la
L’idée d’adopter des titres féminisés reconnus revient linguiste Marie-Éva de Villers18, favorise grandement la
alors ponctuellement à l’ordre du jour, tant au Québec réussite de la féminisation des appellations au Québec.
qu’ailleurs dans la francophonie. Elle fait d’ailleurs Des féministes qualifieront cette publication de « geste
l’objet de discussions concertées dès 1969, lors de la particulièrement novateur19 ». Dès qu’elle est mise au fait
deuxième assemblée plénière du Conseil international de la position de l’organisme gouvernemental, la politi-
de la langue française8. cienne Lise Payette signe madame la ministre20, devenant
ainsi la première à porter ce titre au féminin21.
Malgré l’ouverture manifestée à leur égard au Québec,
les dénominations féminisées demeurent méconnues du La consolidation d’un standard québécois
grand public et ne sont donc employées que marginale- Dans les années 1980, le Québec devient littéralement
ment durant les trois premiers quarts du 20e siècle. Ainsi, l’épicentre de la francophonie en matière de féminisation
jusqu’à la fin de sa vie politique en 1973, la politicienne des appellations. Les actrices et acteurs des milieux
Marie-Claire Kirkland est appelée madame le député et militants (féministes, syndicalistes, universitaires...),
madame le ministre à l’Assemblée nationale du Québec9. dont les rédactrices de la revue La Vie en rose et quelques
L’accession de femmes à des postes qui leur étaient membres de la communauté uqamienne22, participent
jusqu’alors généralement déniés n’infléchit que très peu activement à l’avancement de cette cause.
l’usage général de la langue. Les luttes contre les stéréo-
types de genre, conjointement à l’arrivée massive des Principale autorité linguistique en la matière, l’Office
femmes sur le marché du travail, s’apprêtent cependant de la langue française étudie attentivement la question
à changer la donne10. de la féminisation, au moyen d’enquêtes et de consul-
tations durant la première moitié de la décennie. Les
Le tournant de 1976 travaux de l’office, en plus d’entrainer la publication
En février 1976, une première brèche s’ouvre : la publica- de quelques avis de recommandation officiels concer-
tion du roman L’Euguélionne, rédigé par l’écrivaine Louky nant les féminins des titres23, lui permettent de publier
Bersianik en 1973, propage au sein des cercles féministes un premier guide de féminisation, intitulé Titres et
québécois l’idée selon laquelle la féminisation des appel- fonctions au féminin : essai d’orientation de l’usage24.
lations est un enjeu digne d’attention. L’ouvrage en trois L’ouvrage, « déchainant ici le fou rire sur certains fémi-
parties, qui présente notamment un tableau de formes nins insolites, là des haussements d’épaules, plus loin
féminisées11, marque les esprits par sa manière radicale l’approbation, voire l’enthousiasme25 », s’impose comme
de remodeler la langue. Simonne Monet rappelle par ail- une source de référence crédible après quelque temps.
leurs combien le triptyque bersianikien a « étonné bien Conformément à ce que suggérait une première étude
des lectrices et des lecteurs par le titre de son premier d’opinion réalisée l’année précédente26, une majorité de
volet : « Nulle n’est prophète sur sa planète12 ». gens sont favorables à la féminisation.

C’est toutefois en novembre de la même année que la Dans les années 1990, le mouvement se poursuit et ren-
question gagne réellement l’attention du grand public, contre de moins en moins d’opposition. La plupart des
lorsque l’élection du Parti québécois permet l’arrivée de grandes organisations publiques et privées, lorsqu’elles

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Couverture de la revue féministe La Vie en rose, qui a consacré un important dossier à l’enjeu de la féminisation du français en 1986.
(Source : La Vie en rose, no 38, « Parlez-vous française? », septembre 1986. Reproduction avec l’autorisation de Francine Pelletier.)

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NOTES
ne l’avaient pas déjà fait, commencent alors à fémini-
1 Vachon-L’Heureux, Pierrette, « Quinze ans de féminisation
ser les appellations de personnes employées dans les
au Québec : de 1976 à 1991 », Québec, Recherches féministes,
documents qu’elles publient. Les linguistes aménagistes
vol. 5, no 1, 1992, p. 139.
commencent alors à décrire la féminisation comme un
2 Bélanger, Géorgina [sous le pseudonyme de Gaëtane de
« trait spécifique du français québécois standard27 ».
Montreuil] (1914), « Courrier du mois », Montréal, Pour
vous mesdames, mai 1914, p. 253.
Se percevant comme la gardienne d’un pouvoir nor-
3 Anonyme (1918), « Les femmes au parlement », Montréal,
matif exclusif à la France, l’Académie française réagit
La Patrie, 5 janvier 1918, 39e année, no 261, p. 4.
négativement à cette transformation de la norme et de
4 Degagné, Narcisse (1934), « Questions de français »,
l’usage québécois, susceptibles d’influencer le français
Chicoutimi, Le Progrès du Saguenay, 4 octobre 1934, vol. 47,
hexagonal28. Vers la fin de la décennie, des académiciens
no 48, p. 1.
se prononcent ouvertement contre la féminisation, qu’ils
5 Carrier, Alfred (1945), « Questions de français », Chicoutimi,
qualifient d’arbitraire et de démagogique29. Au Québec,
Le Progrès du Saguenay, 27 septembre 1945, vol. 59, no 7, p. 9.
les principales actrices du débat jugent que ces diatribes
sont « au service d’un combat d’arrière-garde30 » et 6 Académie canadienne-française (1958), [Sans titre],
Montréal, Bulletin de linguistique, mai 1958, no 15, p. 1.
qu’elles reposent sur des prétentions qui « attentent au
génie de la langue française31 ». L’opinion générale leur 7 Poisson, Jacques (1967), « À la recherche du français »,
Montréal, Le Devoir, 28 août 1967, vol. 58, no 198, p. 4.
donne raison, et les positions de l’Académie française
n’infléchissent aucunement celles de l’Office québécois 8 Le Bidois, Robert, « Réforme orthographique et profes-
de la langue française32. sions féminines », Paris, Le Monde, 23 avril 1969, 26e année,
no 7550, p. 14.
À la veille du nouveau millénaire, la féminisation est 9 Langevin, Suzanne (1992), « L’Assemblée nationale et la
bien implantée dans l’usage québécois : elle fait l’objet féminisation des titres : de madame le député à madame la
députée », Québec, Bulletin de la bibliothèque de l’Assemblée
d’« un large consensus au Québec, société qui joue un
nationale, novembre 1992, vol. 21, no 2-3, p. 18.
rôle de chef de file en la matière33 ». Alors qu’au début
10 Bouchard, Pierre, Noëlle Guilloton, Pierrette Vachon-
des années 1970 l’on disait encore couramment de
L’Heureux (1999), La féminisation des noms de métiers,
femmes de lettres comme Laure Conan, Gabrielle Roy
fonctions, grades ou titres : au Québec, en Suisse romande, en
ou Anne Hébert qu’elles étaient des écrivains, un peu France et en Communauté française de Belgique, Montréal et
moins d’un quart de siècle plus tard, on les dit exclusi- Bruxelles, Ministère de la communauté française; Louvain-
vement écrivaines. la-Neuve : Duculot, 1999, p. 6.
11 Bersianik, Louky (1976), L’Euguélionne : roman triptyque,
L’enclenchement d’une nouvelle phase Montréal, La Presse, 1976, p. 231.
Durant le premier quart du 21e siècle, tous les diction- 12 Monet, Simonne (1990), Pionnières québécoises et regroupe-
naires québécois majeurs (Usito, le Multidictionnaire, le ments de femmes, vol. 1, « D’hier à aujourd’hui », Montréal,
Grand dictionnaire terminologique...) présentent presque Éditions du remue-ménage, 1990, p. 13.
systématiquement les formes féminisées des appella- 13 De Villers, Marie-Éva (2008), « La féminisation des titres
tions de personnes. Bien qu’elle imprime profondément au Québec », Conseil supérieur de la langue française, Le
l’usage contemporain du français au Québec, la fémini- français au Québec : 400 ans d’histoire et de vie, 3e édition,
sation lexicale y demeure tout de même en partie ina- Montréal, Fides, 2008, p. 465-466.
chevée. Quelques formes féminisées (cheffe34, sauveuse,
clowne...) restent en effet absentes des principales listes
normatives35.

Au moment d’écrire ces lignes, des formes épicènes


ou féminisées plus affirmées, telles que professionnèle36
et autrice37, gagnent de plus en plus l’attention de cer-
tains milieux militants, qui les emploient et en font
la promotion38. Comme nous le remarquions ailleurs,
« les débats entourant la féminisation du français sont
loin d’être clos. Au contraire, une nouvelle phase de ce
mouvement sociolinguistique est tout juste en train de
s’enclencher39 ». Sans le moindre doute, l’histoire qué-
bécoise de la féminisation continuera sa marche pour de
nombreuses années encore. Logo actuel de la Fédération des professionnèles, dans lequel
est attestée la graphie épicène professionnèle, officiellement
employée depuis 1998.
(Source : http://fpcsn.qc.ca. Reproduction avec l’autorisation
de la Fédération des professionnèles.)

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14 Vézina-Labrecque, Marité (1980), « Madame La — La 29 Druon, Maurice (1997), « Madame le Ministre, Monsieur
féminisation des titres à l’heure du Québec », Québec, La la souris », Paris, Le Figaro, 15 juillet 1997, no 16458, p. 28;
Gazette des Femmes, octobre 1980, vol. 2, no 5, p. 16 Druon, Maurice, Hélène Carrère d’Encausse et Hector
15 Dupuis, Henriette (1985), « Les titres féminins : état de la Bianciotti (1998), « L’Académie française veut laisser les
question en France et au Québec », Québec, Terminogramme, ministres au masculin », Paris, Le Figaro, 9 janvier 1998,
mars 1985, vol. 28, p. 3. no 16611, p. 25.
16 En 1977, la première étude de la Régie de la langue française 30 Beaudoin, Louise (1998), « La langue française doit être
(devenue l’Office de la langue française durant la même moderne et innovatrice », Montréal, La Presse, 24 janvier
année), bien que favorable à l’emploi de certaines appel- 1998, 114e année, no 93, p. B3.
lations féminines (la présidente, la sénatrice, la députée...), 31 De Villers, Marie-Éva (1998), « Un mal qui répand la ter-
recommande de s’en tenir aux formes strictement mas- reur », Montréal, Le Devoir, 27 janvier 1998, vol. 89, no 15,
culines pour les dénominations jusqu’alors sans équiva- p. A7.
lents féminins usuels (le chef, le docteur, le juge magistrat...). 32 Cet épisode de la lutte des femmes a contribué à l’affirma-
Ces positions préliminaires, résumées dans un article tion du français québécois standard par rapport au français
du Conseil du Statut de la femme (« Identité féminine et de France, lequel était généralement perçu comme la
langue française », Québec, CSF-Bulletin, juin-juillet 1977, source d’une norme quasi unique jusqu’à la seconde moitié
vol. 4, no 3, p. 18-20.), ont été republiées par Marie-Éva de du 20e siècle. Cessant de se représenter comme une colonie
Villers (« Des titres et des femmes », Chicoutimi, Études périphérique, le Québec poursuit, au 21e siècle, l’affirma-
littéraires, 1979, vol. 12, no 3, p. 387-392.) tion de son statut de « copropriétaire » du français.
17 Office de la langue française (1979), « Féminisation des 33 Bouchard, Guilloton et Vachon-L’Heureux, op. cit., p. 21-22.
titres », Québec, Gazette officielle du Québec [partie 1 : « Avis
34 D’abord employée presque exclusivement en Suisse, la
juridique »], 28 juillet 1979, 111e année, no 30, p. 7394-7395.
graphie féminisée cheffe a aujourd’hui gagné l’usage stan-
18 Martin, Gabriel (2017), « Féminisation lexicale au Québec : dard au Québec, bien qu’elle ne soit pas encore consignée
esquisse historique », Sherbrooke, Entrée Libre, novembre dans la plupart des sources normatives (Martin, Gabriel,
2017, vol. 32, no 7, p. 8. « Chronique linguistique — Quel est le féminin du mot
19 Baril, Lynda et Hélène Lévesque (1986), « La revanche du e chef en français québécois contemporain? », Sherbrooke, Le
muet », Montréal, La Vie en Rose, septembre 1986, no 38, p. 24. Collectif, 12 septembre 2017, vol. 41, no 1, p. 7.).
20 Rowan, Renée, « “La” ministre », Montréal, Le Devoir, 3 juil- 35 Pour une liste normative des principales formes d’ap-
let 1979, vol. 70, no 152, p. 16.. pellations féminisées privilégiées par l’Office québécois
21 De Villers, Marie-Éva, « La femme du boulanger et le génie de la langue française, voir Guilloton, Noëlle et Hélène
de la langue française », Montréal, La Presse, 16 août 1997, Cajolet-Laganière (2014), Le français au bureau, 7e édition,
113e année, no 292, p. B3. revue et augmentée par Martine Germain et Noëlle
Guilloton, Québec, Les Publications du Québec, 2014.
22 Lamothe, Jacqueline et Céline Labrosse, « Un fragment de
féminisme québécois des années 80 : la féminisation lin- 36 De manière complémentaire à la féminisation, on voit
guistique », Recherches féministes, vol. 5, no 1, 1992, p. 143- émerger de nouvelles formes épicènes, grammaticalement
151. neutres, telles que le pronom iels (plutôt que ils, elles), le
nom muniel (plutôt que monsieur, madame) et l’adjectif intel-
23 Ces avis ont été publiés dans la Gazette officielle du Québec lectuèle (plutôt que intellectuel, intellectuelle). Cette stratégie,
du 28 mars 1981 (p. 5040-5041), du 25 juillet 1981 (p. 8519), que l’on nomme dégenrisation lexicale ou queerisation lexicale,
du 24 mars 1984 (p. 1238) et du 31 mai 1986 (p. 2762). Les répond notamment à certaines revendications de milieux
avis historiques sur la féminisation d’appellations ont été dits queers. La graphie épicène professionnèle est l’une des
retirés dans le numéro du 10 mai 2014 (p. 513), puis ont formes ainsi privilégiées. Elle est employée depuis 1998
été remplacés par un nouvel avis dans celui du 9 mai 2015 dans le nom de la Fédération des professionnèles (Labrosse,
(p. 509-510). Céline, « Le mot “professionnèle” va à contre-courant de
24 Office de la langue française (1986), Titres et fonctions au la “grammatocratie” », Montréal, La Presse, 9 janvier 1999,
féminin : essai d’orientation de l’usage, Montréal, Office de la 115e année, no 78, p. B3).
langue française, 1986. 37 Voir Evain, Aurore, « Histoire d’autrice, de l’époque latine
25 Escomel, Gloria (1986), « Un “e” muet fait beaucoup de à nos jours », Paris, Sêméion : travaux de sémiologie, février
bruit », Montréal, La Presse, 16 août 1986, 102e année, no 292, 2008, vol. 6, p. 53-62, ainsi que Martin, Gabriel, « Une au-
p. B6. teure ou une autrice? », Sherbrooke, Entrée Libre, novembre
26 Martin, André et Henriette Dupuis (1985), La Féminisa- 2017, vol. 32, no 7, p. 8.
tion des titres et les leaders d’opinion : une étude exploratoire, 38 Pour un compendium des pratiques militantes les plus
Montréal, Office de la langue française, Coll. « Langues et récentes, voir Lessard, Michaël et Suzanne Zaccour,
sociétés », 1985. Grammaire non sexiste de la langue française : le masculin ne
27 Martel, Pierre et Hélène Cajolet-Laganière (1996), Le l’emporte plus!, Saint-Joseph-du-Lac, M éditeur, 2017. Cet
français québécois : usages, standard et aménagement, Sainte- ouvrage introduit le terme de féminisation ostentatoire, par
Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1996, opposition à la féminisation invisibilisante.
p. 106. 39 Martin, Gabriel, « Atelier sur la communication non sexiste
28 Larrivée, Pierre (2009), Les Français, les Québécois et la langue — Quand le masculin ne l’emporte plus! », Sherbrooke, Le
de l’autre, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 163-177. Collectif, 26 septembre 2017, vol. 41, no 2, p. 14.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 9


Récent timbre sur Gilles Villeneuve (1950-1982) :
Postes Canada doit corriger un pli fautif
par François Gloutnay

Journaliste, l’auteur est aussi un cartophile. Membre de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly, il s’intéresse à l’histoire
de sa ville.

Le 15 mai 2017, Postes Canada a dévoilé à Montréal cinq Dans ce communiqué, on ajoute que Gilles Villeneuve « a
timbres consacrés au 50e anniversaire du Grand Prix de couru en F1 de 1977 à 1982 pour les écuries McLaren et
la Formule 1 du Canada. Les vignettes montrent « cinq Ferrari, cumulant 6 victoires, 13 présences sur le podium
grands pilotes qui représentent chacun une décennie des et 2 pôles positions en une carrière d’un peu plus de qua-
50 ans d’histoire de cette course au pays ». Il s’agit de tre saisons. Il a remporté le premier Formula 1 Grand
Sir Jackie Stewart (Écosse), Gilles Villeneuve (Canada), Prix du Canada à se tenir à Montréal, à environ une
Ayrton Senna (Brésil), Michael Schumacher (Allemagne) heure de route de sa ville natale de Berthierville ».
et Lewis Hamilton (Angleterre).
Quoi? Gilles Villeneuve serait né à Berthierville? C’est
Le communiqué remis aux médias indique qu’« environ faux. Gilles Villeneuve est né à Chambly en 1950 – plus
150 invités étaient réunis au 1700 La Poste, un ancien précisément à l’hôpital de Saint-Jean-sur-Richelieu. Ses
bureau de poste de Montréal transformé en espace parents, Séville et Georgette Coupal, se sont épousés
destiné aux arts visuels, où Mme Villeneuve a dévoilé un à Chambly et y ont habité jusqu’au milieu des années
timbre célébrant son regretté mari et Sir Jackie Stewart 1950. Ils se sont ensuite établis à Berthierville.
en a dévoilé un à son effigie ».

Les cinq timbres émis lors du 50e anniversaire de la F1. On reconnaît le timbre consacré à Gilles Villeneuve.

10 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


Le rédacteur de ce texte a aussitôt informé Postes On sait que 11 000 enveloppes ont été produites et dis-
Canada de l’erreur qui s’était glissée dans le communi- tribuées à la mi-mai dans les bureaux de poste du Canada
qué de presse. Le 16 mai, on le remercie d’avoir écrit à afin d’être vendues à l’unité ou encore en lot de cinq plis,
Postes Canada et on lui indique que le texte a aussitôt un pour chaque timbre. On ne sait toutefois pas combien
été amendé. Gilles Villeneuve « a remporté le premier d’enveloppes ont pu être retirées de la vente. Les plis
Formula 1 Grand Prix du Canada à se tenir à Montréal, corrigés étaient disponibles un mois plus tard.
à environ une heure de route de la ville où il a grandi,
Berthierville », peut-on lire. Le pli premier jour officiel de ce timbre consacré à Gilles
Villeneuve est normalement vendu au prix de 1,85 $.
Le 18 mai, deux jours plus tard, les collectionneurs Le pli premier jour fautif, dorénavant une pièce
reçoivent par la poste les timbres et les pièces photo- philatélique très rare, est actuellement offert sur eBay au
graphiques commandées le jour même du dévoilement. coût de 140 $.
Surprise! Le pli premier jour – une enveloppe com-
mémorative contenant un timbre oblitéré le jour de son On s’explique mal cette erreur de Postes Canada. En 1997,
émission – indique encore que Berthierville est la ville la société avait pourtant émis deux timbres à l’occasion
natale de Gilles Villeneuve. du 15e anniversaire du décès de Gilles Villeneuve. Sur le
pli premier jour officiel, on avait bien écrit qu’il était né
Nouveau courriel d’urgence à Postes Canada qui dit à Chambly.
regretter cette erreur. « Nous sommes dans le processus
de retirer de la vente le pli premier jour officiel. Une nou-
velle version sera disponible dans nos bureaux de poste
et en ligne », confirme-t-on.

Le recto du pli premier jour consacré à Gilles Villeneuve.

À l’endos du pli premier jour, on a écrit que la ville natale de


Gilles Villeneuve est Berthierville. C’est faux. Postes Canada
a retiré de la vente cet article et a imprimé de nouveaux plis
premier jour, sans mentionner Berthierville... ni Chambly!

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 11


La république de l’Indian Stream : un État indépendant
dans le sud des Cantons-de-l’Est
par Michael Jacques

Originaire de Bromptonville dans les Cantons-de-l’Est, Michael Jacques a étudié l’histoire à l’Université de Sherbrooke. S’étant
spécialisé dans l’histoire industrielle du Canada au 19e siècle, il revient souvent à une autre passion : l’histoire des Cantons-de-
l’Est. Depuis plusieurs années il fait redécouvrir cette dernière grâce à des expositions muséales, un documentaire et un circuit
touristique faisant partie intégrante du fameux Chemin des Cantons. Il enseigne aujourd’hui l’histoire de Sherbrooke et l’histoire
des Cantons-de-l’Est à l’antenne UTA de l’Université de Sherbrooke.

En 1783 l’Empire britannique et les Patriotes de la que ces derniers eurent acheté des dizaines de milliers
Nouvelle-Angleterre signent le traité de Paris, mettant d’acres de terres au chef indien « King Philip » pour la
ainsi fin à une guerre d’indépendance longue et sanglan- somme de 5 000 $.
te et officialisant l’existence des États-Unis d’Amérique.
Bien que mettant fin aux hostilités, ce traité est aussi le Deux ans plus tard, en 1798, c’est Moody Bedel, Nathaniel
point de départ d’une autre guerre : la guerre des fron- Wales et David Gibbs qui font affaire avec « King
tières! En cette fin de 18e siècle, de nombreux arpenteurs Philip », lui achetant ainsi des terres pour la somme de
et cartographes américains et canadiens tentent de définir 3 100 $ et fondant la Bedel Company. La simple existence
la nouvelle frontière américano-britannique sans grand de ces deux compagnies est quelque peu cocasse étant
succès. D’une part en raison de l’immensité du territoire donné que, autant aux États-Unis qu’au Canada, il existe
à couvrir et du fait que l’ouest des deux pays n’est pas alors des lois interdisant quiconque d’acheter des terres
encore colonisé et exploité. D’autre part en raison de l’in- aux autochtones!
tention d’hommes politiques et de marchands voulant
s’approprier le plus de terres possible. Quoi qu’il en soit, Les deux compagnies fonctionnent sur le même prin-
plus d’un siècle de débats houleux entre les deux pays cipe. Soit on revend en grandes quantités à d’autres
découle de cette frontière mal établie. spéculateurs, soit on vend des lots de 100 acres à des
particuliers. Ces particuliers ne payent rien pendant les
Au Québec, c’est la région des Cantons-de-l’Est qui deux premières années. Ils doivent alors prouver qu’ils
souffrira le plus de cet état de fait. Zone qui suit la fron- sauront mettre en valeur la terre en construisant une
tière américaine sur plus de 300 km, les Cantons-de- maison et en défrichant au moins cinq acres. Par la suite,
l’Est font à l’origine partie des Terres de la Couronne, ils commencent les paiements qui peuvent s’échelonner
cette zone forestière inexploitée depuis l’époque de la sur de nombreuses années (le prix est de 1 $ à 2 $ l’acre
Nouvelle-France. Ouverte progressivement à la colo- selon la qualité du sol et l’emplacement).
nisation entre 1791 et 1803, la région accueille d’abord
des réfugiés de la guerre d’indépendance américaine qui Toujours est-il que la Bedel Company s’en sort mieux que
avaient fait le choix de rester loyaux au roi d’Angleterre. son compétiteur, cela grâce à Moody Bedel qui donne
C’est dans ce contexte social, historique et géographique le contrat de construire un moulin à farine et un mou-
que se glisse l’histoire méconnue de la République de lin à scie à un certain Ebenezer Fletcher en plus de faire
l’Indian Stream, colonie s’étant déclarée indépendante construire une route au cœur de l’Indian Stream. Brillant
face aux États-Unis et à l’Angleterre et qui, ultimement, procédé qui augmente la valeur des lots tout autour et
a failli déclencher une guerre entre ces derniers. qui permet à Bedel de vendre jusqu’à 86 000 acres en
cinq ans! Les derniers lots sont vendus vers 1820 et, en
Des débuts dans l’ère du temps 1824, l’Indian Stream est une petite colonie de 285 âmes
À l’origine le territoire que constitue l’Indian Stream et d’une superficie d’environ 150 000 acres.
n’est pas convoité pour des fins politiques ou même
pour échapper au contrôle des cercles politiques et Les disputes territoriales à l’origine de la République
juridiques existants. L’endroit est d’abord développé Beaucoup ont présenté la République de l’Indian Stream
par des spéculateurs, des hommes s’associant et achetant comme un des éléments déclencheurs de la dispute fron-
de grandes quantités de terres afin d’en faire la revente talière canado-américaine. Toutefois, l’explication serait
à profit. plutôt inverse et ce sont les débats sur la frontière qui
ont mené à la constitution de l’Indian Stream. Les dis-
La première de ces compagnies foncières est la Eastman putes en question prennent d’abord forme à la frontière
Company, fondée en juin 1796 par Thomas Eames, du Nouveau-Brunswick dans les années 1810. Grâce à
Nathan Hoit, John Bradley et Jonathan Eastman après la découverte de documents par Richard Hale Junior

12 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


dans les années 1950, nous savons dorénavant qu’une
commission ayant pour but de trouver une solution à
ces problèmes territoriaux prend place dès 1816 sous le
nom de Maine Boundary Commission. Au sein de cette
commission on retrouve des représentants américains,
dirigés par l’honorable Salma Hale, et des représen-
tants canadiens, dont le chef est Ward Chipman, un
Néo-Brunswickois diplômé de l’Université Harvard.

Cette commission débat et enquête durant de nom-


breuses années, mais sans jamais réellement arriver à
un terrain d’entente entre les belligérants. Envisageant
de demander l’arbitrage de Guillaume 1er, souverain du
Royaume des Pays-Bas, dès 1819, ils ne font la demande
à ce dernier qu’en 1822. Celui-ci présente ses conclusions
à la fin de l’année 1831, mais comme elles sont favorables
au Canada et à la Grande-Bretagne, elles sont rejetées
Carte de la république Indian Stream.
par le Congrès américain en juin 1832.
(Source : Musée d’East Hereford)
Durant toute cette période de surplace politique, les
habitants des territoires disputés, comme l’Indian
Stream, sont tiraillés entre deux systèmes politiques,
deux systèmes judiciaires et, surtout, deux systèmes
de taxation sur les biens et les terres. Voilà la véritable
explication de cette « anormalité » géographique qu’est
la République de l’Indian Stream.
L’escalade de la violence : la guerre évitée de justesse
De région frontalière à République Les débuts de la fin de la Répulique de l’Indian Stream
La fondation de la République de l’Indian Stream est en sont marqués par une série d’arrestations. En janvier
fait directement liée à la réaction du Congrès américain 1835, l’un des habitants du jeune territoire, Enos Rowell,
face aux conclusions du souverain néerlandais en 1832, est arrêté par un shérif du New-Hampshire pour dettes
car c’est quelques jours plus tard, le 11 juin 1832, qu’est impayées. Scandalisés, ses congénères demandent
fondé un comité chargé d’écrire la Constitution du nouvel aussitôt sa libération. Ils contactent un juge canadien
État. Le Comité est formé de David Mitchell, Luther établi à Sherbrooke, John Flectcher, qui envoie une lettre
Parker, Phineas Willard, Hermau Bechalder et Nathan à Lord Aylmer, lieutenant-gouverneur du Canada, et à
Judd. Cette Constitution est officiellement adoptée le Charles Richard Vaughan, consul britannique en terre
9 juillet suivant et a pour but de représenter les intérêts américaine, afin d’expliquer l’illégalité de cette arresta-
des 400 habitants de l’Indian Stream. En 13 actes, elle est tion et de faire libérer Rowell.
grandement inspirée du « Bill of Rights » britannique
et de la déclaration d’indépendance américaine. On y En mars les choses s’enveniment lorsque, confrontés au
retrouve le droit de chacun à la liberté d’expression et de même shérif qui avait arrêté Enos Rowell, Clark Haynes
religion, le droit du gouvernement de mettre en place un et Reuben Sawyer résistent à une arrestation par la vio-
système de taxation et un système judiciaire, le droit de lence. Luther Parker est fait prisonnier sous mandat
chacun d’être représenté équitablement en justice et les canadien en juin et tente de se faire libérer encore une
assises d’un système démocratique. À noter qu’à cette fois en passant par C.R. Vaughan, cela sans grand succès,
époque le droit de vote s’applique aux hommes blancs, puisque Lord Gosford, gouverneur général du Canada,
propriétaires terriens et âgés de plus de 21 ans, ce qui ne appuie l’initiative du shérif canadien.
correspond qu’à 75 des 400 habitants de l’Indian Stream.
John Tyler, arrêté début octobre de la même année, est
Le gouvernement est alors formé de cinq membres aussitôt libéré par une milice de ses frères de l’Indian
élus : Richard J. Blanchard, Jeremiah Tabor, Burley Blood, Stream. Alors que la tension entre l’Indian Stream, le
Abner Hyland et William White. À ceux-ci s’ajoute le Canada et les États-Unis est à son point culminant; c’est
même Luther Parker qui a participé à la mise en place de l’arrestation de Richard Blanchard qui va mettre le feu
la Constitution. Ce cordonnier du New-Hampshire est aux poudres.
dorénavant responsable de la cour de justice de l’État.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 13


Arrêté à la fin du mois d’octobre 1835 par un shérif
canadien, Alexander Rea, Richard Blanchard est
aussitôt libéré par des camarades armés. Cette fois, le
shérif Rea est blessé par balle et fait prisonnier au sein
de l’Indian Stream. Pendant que la Grande-Bretagne
profite de l’incident comme argument diplomatique en
vue de prendre le contrôle du territoire, les États-Unis
passent à l’action. Le Congrès américain adopte une
motion pour l’annexion du territoire disputé. La milice
du New-Hampshire, formée d’une quarantaine d’hom-
mes sous les ordres du gouverneur Badger et du général
Low, encercle l’Indian Stream dès le 13 novembre 1835
avant de finalement l’envahir par la force en février 1836.

Aussitôt le gouverneur général Gosford écrit à son chargé


d’affaires, Charles Bankhead, qui écrit au secrétaire d’État
américain John Forsyth. La Grande-Bretagne garde un
certain retrait et une certaine douceur diplomatique, ne
souhaitant en aucun cas la guerre ouverte. De longues
négociations reprennent donc, comme à l’époque de la
Maine Boundary Commission. En 1840, les habitants de
l’Indian Stream acceptent la citoyenneté américaine et
fondent la ville de Pittsburg, New-Hampshire. Au traité
de Webster-Ashburton de 1842, la Grande-Bretagne se
voit compenser cette perte en s’appropriant un autre ter-
ritoire disputé depuis de longues années, la République
de Madawaska, située à la frontière entre le Maine et
le Nouveau-Brunswick. C’est la fin de la guerre dite
d’Aroostook, guerre qui ne vit aucun réel combat armé
et aucun mort.

Ratification du traité Webster-Ashburton.


(Source : National Archives and Records Administration
of the United States)

BIBLIOGRAPHIE
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BROWN, Roger Hamilton. The Struggle for the Indian Stream territory. Western Reserve University Press, 1956, 114 p.
DOAN, Daniel. Indian Stream Republic: Settling New England Frontier, 175-1842. 1997. UPNE, 287 p.
ERWIN, James. Declarations of Independance: Encyclopedia of American Autonomous and Secessionist Movements, Greenwood Publishing
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HALE, Richard. «The forgotten Maine Boundary Commission», Proceedings of the Massachusetts Historical Society, third series,
vol. 71 (0ct 1953- Mai 1957), p. 147-155.
KEEDY, Edwin R. «The Constitution of the State of Franklin, the Indian Stream Republic and the State of Deserret». University of
Pennsylvania Law Review, vol. 101, no. 4 (jan 1953), p. 516-528.
MERRILL, George. History of Coos County New-Hampshire, Éditions W.A. Fergusson & co, 1888, 1018 p.
SHOWERMAN, Grant et HAMMOND, Otis. «The Indian Stream Republic and Luther Parker», The Mississippi Valley Historical
Review, vol. 3, no. 2 (sep 1916), pp. 239-240.
TSAI, Robert. America’s Forgotten Constitutions, Harvard University Press, 2014, 366 p.

14 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


Bleu, histoire d’une couleur politique

par Philippe Bernier Arcand

Philippe Bernier Arcand est professeur à temps partiel en Communications sociales à l’Université Saint-Paul (Ottawa). Essayiste,
il a notamment publié « Le Parti québécois : D’un nationalisme à l’autre » (Poètes de brousse, 2015), « La dérive populiste » (Poètes
de brousse, 2013 - Prix du livre d’Ottawa, 2014) et « Je vote moi non plus » (Amérik Média, 2009).

Depuis que Québec solidaire a changé son logo pour y Voilà sans doute ce qui explique pourquoi le Québec et
ajouter du bleu, en 2018, cette couleur se trouve présente le Canada se trouvent parmi les rares démocraties dans
sur tous les logos des partis politiques représentés à le monde où le rouge n’est pas associé aux partis com-
l’Assemblée nationale. Le marketing politique québé- munistes ou à la gauche en général.
cois a souvent fait une large place au bleu. Une couleur
qui a parfois été mal aimée, souvent difficile à assumer, En opposition au Parti rouge, il y avait le Parti bleu.
mais qui a toujours été présente sur la scène politique Le Parti bleu, c’était celui qui faisait la promotion des
québécoise. valeurs de la « survivance » et il avait l’appui du clergé.
D’ailleurs, plusieurs membres du clergé clamaient en
Aux États-Unis, pour désigner le rouge et le bleu, on chaire : « Le ciel est bleu, l’enfer est rouge » pour s’op-
parle des primary colors. Les républicains sont associés poser à la séparation de l’Église et de l’État. Le Parti bleu
au rouge et les démocrates au bleu. Cette expression était le prédécesseur du Parti conservateur qui formera
pourrait tout aussi bien s’appliquer au Québec. Pour le premier gouvernement du Québec en 1867. En fait,
aborder le bleu en politique québécoise, il faut d’abord pendant longtemps au Québec, comme dans bien des
passer par le rouge. démocraties, le bleu était une couleur associée au conser-
vatisme et à la droite.
Traditionnellement, le rouge s’affirme comme la couleur
de la gauche et notamment du communisme et du C’est pourquoi il était difficile pour un tiers parti de trou-
socialisme. C’est la couleur du drapeau de la Révolution ver sa place entre le rouge et le bleu. C’était notamment
française et de la Commune de Paris qui est devenue le cas de l’Action libérale nationale, qui exista de 1934
depuis un des symboles du mouvement ouvrier et des à 1939 sans jamais toutefois former le gouvernement,
mouvements révolutionnaires. Au Québec, on peut pen- qui choisit volontairement de ne pas être associée à une
ser aux « carrés rouges » de 2012 qui ne sont sans doute couleur. Son chef Paul Gouin disait que « [l]’Action libé-
pas étrangers à cette symbolique. Pourtant, sur la scène rale nationale n’a pas de couleur et n’entend pas avoir
politique québécoise, le rouge ne se voit pas vraiment de couleur, elle est avant tout une action nationale, c’est
associé à la gauche et à la révolution, mais plutôt au Parti dire qu’elle est ouverte aux membres de tous les partis,
libéral et au fédéralisme. conservateurs comme libéraux 1 ». Il a d’ailleurs déclaré :
« Le Canada, qui ne peut nous teindre en rouge vif, tente
Pour en comprendre l’origine, il faut remonter avant la tour à tour de nous passer au bleu ou de nous mêler au
Confédération canadienne de 1867, au moment du Parti linge sale de M. Taschereau : nous n’avons pas été passés
rouge et du Parti bleu. Le Parti rouge était vu comme au bleu ni n’avons les «bleus» […]2. »
radical, réformiste et anticlérical. Plusieurs de ses
membres avaient participé aux Rébellions des Patriotes
de 1837-1838. Son effondrement a amené à la création du
Parti libéral du Canada en 1867, qui a pris ses couleurs.

Anciens logos

Nouveaux logos

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 15


Ce fut aussi le cas de l’Union nationale fondée en 1935. Plusieurs logos de partis politiques au Québec, qui
Son chef Maurice Duplessis a déclaré en 1936 qu’il vou- naîtront à partir de cette époque, utiliseront aussi le
lait condamner, dénoncer et punir : « […] toutes les rouge et le bleu. Un peu comme si la présence de ces deux
canailles, bleues, rouges, Action Libérale Nationale ou couleurs permettait de représenter l’ensemble du spectre
sous quelque couleur quelles se cachent […] »3. En fait, politique québécois, de créer une certaine unité poli-
l’Union nationale a choisi le bleu, le blanc et le rouge tique. C’était le cas du Parti national populaire (1975), du
comme couleurs officielles et, du moins à ses débuts, Parti égalité / Equality Party (1989) et de l’Action démo-
elle ne se disait « ni bleu ni rouge ». Pourtant, le parti cratique du Québec (1994). Le Parti libéral du Québec,
deviendra associé au bleu par opposition au rouge, bien qu’avec une forte prédominance de rouge, utilise
d’autant plus que le Parti conservateur avait disparu. aussi les deux couleurs depuis 1989. Le rouge disparaî-
L’Union nationale s’est associée au bleu, notamment tra toutefois du logo du PQ en 2007, lorsque la barre du
lorsque ses organisateurs répétaient « Bleu à Québec, « Q » de son logo est passée du rouge au vert7. Quant à la
bleu à Ottawa! ». Mieux encore, comme à l’époque du Coalition Avenir Québec, elle avait un logo bleu et rouge
Parti bleu et du Parti rouge, plusieurs sympathisants du à sa fondation en 2011, avant d’adopter un logo multi-
parti claironnaient « L’enfer est rouge, le ciel est bleu! ». colore avec prédominance de bleu en 2012, puis un logo
Durant sa courte existence dans les années 1940, le Bloc entièrement bleu en 2015. Finalement, Québec solidaire,
populaire tentera également de trouver sa place entre les qui avait adopté la couleur orange, a ajouté du bleu aux
« rouges » et les « bleus », ces derniers étant de plus en couleurs de son logo en 2018.
plus associés à l’Union nationale4.
Le Bloc québécois, dès sa fondation en 1991, utilisera
À partir de l’élection de 1973, où l’Union nationale a été le bleu. Peu à peu, le mouvement souverainiste québé-
complètement rayée de la carte électorale du Québec, on cois se faisait associer de plus en plus à la couleur bleue.
s’est mis à utiliser l’expression « vieux fond bleu » pour Dans les médias, à partir des années 1990, on commen-
désigner les anciens comtés où le parti avait de forts cera à utiliser l’expression « vague bleue » pour décrire
appuis. L’expression est encore utilisée de nos jours pour les victoires du Parti québécois et du Bloc québécois et
désigner le Québec de droite, conservateur et tradition- non plus uniquement celles de l’Union nationale et du
naliste. Parti progressiste-conservateur du Canada, comme cela
s’avérait encore le cas dans les années 1980. Lorsque le
Quant au Parti québécois (PQ), du moins à ses débuts Bloc québécois a fait une campagne publicitaire télévi-
en 1968, il ne se voit pas bleu, mais rouge et bleu, ou sée en 2004 où des électeurs disaient « on devient bleu »,
même l’alternative aux « bleus » et aux « rouges ». Il faut en réaction au « scandale des commandites », la couleur
dire que ses premiers membres influents, René Lévesque bleue était déjà fortement associée au mouvement sou-
en tête, étaient des anciens libéraux, plutôt associés aux verainiste, même si on parlait encore de « vague bleue »
« rouges » qui avaient longtemps combattu l’Union pour qualifier les succès du Parti conservateur aux élec-
nationale, plutôt associée aux « bleus ». Lorsque l’on fai- tions de 2006 et les suivantes.
sait mention des « bleus », au moment de la fondation du
PQ, on référait exclusivement aux militants de l’Union Ainsi, au Québec, la couleur bleue a de moins en moins
nationale ou du Parti conservateur du Canada. cette connotation politique de droite. Cela a sans doute
été accentué avec l’émergence du Parti québécois et le
Ce qui fait qu’à ses débuts, le mouvement souverainiste déclin de l’Union nationale. Le bleu est non seulement
québécois n’était pas du tout associé à la couleur bleue. associé au Québec – en raison de la couleur de son dra-
On pense par exemple au logo du Rassemblement pour peau –, mais il est aussi surtout devenu consensuel.
l’indépendance nationale (RIN) (1960-1968), une tête de C’est vrai au Québec, mais aussi un peu partout dans
bélier stylisée, qui était rouge et noir, couleurs associées le monde. Le bleu représente également la couleur
à la révolution. Une autre variante du logo du RIN utili- de l’Organisation des Nations unies (ONU), celle de
sait le vert et le noir. Cependant, on remarque l’absence l’Union européenne, de même que celle de l’UNESCO,
du bleu, même si la couleur était déjà fortement associée du Conseil de l’Europe et de l’Organisation du traité de
au Québec, particulièrement depuis 1948 où le drapeau l’Atlantique Nord (OTAN).
fleurdelisé bleu et blanc flotta pour la première fois au
mât de l’Assemblée nationale. Le vocabulaire politique familier au Québec a souvent
été coloré. Sans être prisonnier d’une symbolique, le
Le logo rouge et bleu du Parti québécois se voulait la bleu a trop souvent été fortement associé à des courants
somme des tendances politiques traditionnelles. Le chef politiques, faisant en sorte que rarement un parti poli-
du parti, René Lévesque, voulait y voir « un front uni tique a choisi de s’identifier uniquement à cette couleur.
de tous les Québécois »5. Selon lui, c’étaient « aussi les Pourtant, en politique québécoise, aucune autre couleur
couleurs de l’unité nationale pour une tâche urgente : ne fédère autant que le bleu.
la conquête de la souveraineté et la construction du
Québec »6.

16 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


NOTES
1 Le Devoir, 22 octobre 1934, p. 8
2 Le Bulletin des agriculteurs, 21 février 1935, p. 6.
3 Le Devoir, 19 juin 1936, p. 8.
4 Horace Roy, candidat du Bloc populaire aux élections de 1944, dans un discours à la station de radio CHRC à Québec, parlait de
Maurice Duplessis et « son parti bleu indigo ». (Le Devoir, 17 mai 1944)
5 ROY, Michel, « Le Parti québécois présente son sigle et ses nouvelles couleurs », Le Devoir, 23 décembre 1968, p. 3.
6 Idem.
7 Le vert a été choisi pour s’associer à la mouvance écologiste. Pourtant, il a une tout autre histoire en politique québécoise. Le vert,
sur la scène politique québécoise, représente la couleur des créditistes. Il s’agit aussi de la couleur qu’a choisie le Parti réformiste
du Canada en 1987. C’était donc une couleur plutôt de droite et populiste, avant qu’elle soit associée aux courants écologistes.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 17


La prohibition sur la frontière Québec-Vermont (1860-1930)

par Laurent Busseau


Historien consultant sous le label Historien sans Frontière depuis 2011, Laurent Busseau possède une M.A. en histoire et un
certificat en journalisme (Université de Montréal). Chercheur indépendant, il présente des conférences lors des Belles Soirées de
l’Université de Montréal, à l’UTA de l’Université de Sherbrooke et auprès des organismes privés et publics. En 2016, il a publié Les
Féniens arrivent… histoire illustrée des invasions irlandaises 1866-1870 aux Éditions Histoire Québec et Alcool, crime et
prostitution sur la frontière à Frelighsburg pour la Société d’histoire et de patrimoine de Frelighsburg.

Dès la seconde moitié du XIXe siècle, plusieurs organi- présence de l’alcool sur leur territoire. Quelques comtés
sations chrétiennes luttent contre les ravages de l’ivro- plus francophones et catholiques voteront du côté mouillé
gnerie, dénoncés comme les maux de la société moderne (wet) pour autoriser la vente. Avec la Confédération de
nord-américaine de cette époque. Ces mouvements de 1867, le député fédéral Richard William Scott propose
tempérance, du latin temperancia (modération du plaisir) un projet de législation identique au Dunkin Act pour
se donnent le mandat biblique de lutter contre Satan à tout le Dominion canadien. Le Scott Act est voté par
travers la consommation d’alcool blanc ou « whisky de le Parlement d’Ottawa en 1878, sous le vocable public
patate »1 en Amérique du Nord. de Loi de tempérance du Canada, toujours en vigueur
en 2017.
Au Québec, les principaux mouvements de la tempé-
rance sont la Dominion Alliance, Sons of Temperance Un contexte de complot criminel
et la Woman’s Christian Temperance Union (WCTU). sur la frontière (1890-1920)
Ces groupes de pression incitent le pouvoir politique À la fin du XIXe siècle, le village frontalier d’Abercorn
à contrôler le débit d’alcool, par des lois prohibitives avait cinq hôtels près de la démarcation américaine du
imposant la fermeture des hôtels et tavernes dans les Vermont, dont les principaux étaient The Prince of Wales,
comtés frontaliers majoritairement protestants. Pour The Prince Albert, International House et le Abercorn
justifier leurs revendications, ces groupes dénoncent la House. Mais le plus redoutable demeure sans conteste
problématique du fléau de l’ivrognerie, provoquant les la taverne The Bucket of Blood, ayant sa production de
bagarres et les crimes de sang. Ce désordre crée des vic- mauvais whisky de patate (Home’s Liquor), destinée aux
times, majoritairement des femmes et des enfants, car les ouvriers du chemin de fer venus construire les voies fer-
consommateurs sont des maris et des pères de famille rées du Canadian Pacific Railway (CPR) entre Montréal
travaillant pour les chemins de fer ou en foresterie sur la et Boston. Simple cabane de bois avec des étagères de
frontière Québec-Vermont. bouteilles et un comptoir de 8 à 12 pieds, le Bucket of
Blood se trouvait à une dizaine de mètres du poste de
En réalité, les villes frontalières des Cantons-de-l’Est douane canadien à la frontière américaine. La mauvaise
connaissent une intense contrebande d’alcool criminel, réputation du Bucket of Blood venait des continuelles
celle des contrebandiers de liqueurs (smugglers), bien bagarres et règlements de comptes qui étaient quoti-
avant la prohibition américaine de 1919. Plusieurs Line diens entre ivrognes.
Houses et Whiskey’s Lounge avec prostituées apparaissent
le long de la ligne de chemin de fer proche de la fron- En 1894, dans ce contexte dangereux, William W. Smith,
tière du Vermont. Les tavernes et autres Rum Hole sont responsable de la station ferroviaire à Sutton Jonction
espionnés, photographiés et dénoncés par la WCTU, car et représentant de la société de tempérance Dominion
plusieurs tenanciers d’hôtels profitent du passage du Alliance, lutte activement contre les trafiquants d’alcool
train pour organiser un trafic de boissons alcoolisées. dans le comté de Brome. À la suite de son action contre les
Parallèlement, la prostitution commence à attirer une hôtels de Sutton et Abercorn, il est sauvagement agressé
clientèle masculine de travailleurs du chemin de fer. à la gare de Sutton durant la nuit du dimanche 8 juillet
1894. Véritable tentative de meurtre commanditée, son
Dès 1860, une évolution politique voit apparaître la assaillant lui assène un violent coup à la tête, pour le traî-
volonté d’imposer par la justice des hommes la bonne ner sur la voie ferrée et maquiller son crime en accident.
morale de Dieu contre la consommation d’alcool. C’est le Smith ne doit son salut qu’à sa bonne condition physique
projet légalisé d’interdire la vente avec une prohibition, et un tempérament robuste. L’assaillant, un Américain
du latin prohibitio, signifiant « tenir loin de moi ». C’est nommé Walter Kelly, prend la fuite devant la détermi-
ainsi que la première loi de prohibition naît au Canada- nation de sa victime, pourtant gravement blessé à la tête
Est (Québec) dans les Cantons-de-l’Est, avec le soutien avec un traumatisme crânien. Une enquête du détective
du ministre de l’Agriculture et député du comté de Silas Carpenter retrouve le coupable et découvre un
Brome, Christopher Dunkin, qui crée le Dunkin Act en complot commandité par des hôteliers locaux2.
1864. Cette loi permet aux échevins des comtés fronta-
liers de voter un règlement « sec » (dry) pour interdire la

18 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


En mars 1899, Burton Macy, un membre zélé de la tempé-
rance, est retrouvé mort « accidentellement » sur la voie
ferrée Boston-Montréal, après avoir annoncé sa volonté
de mettre un bâton de dynamite dans le fameux Bucket
of Blood. Dans le journal vermontois Richford Gazette,
les tavernes frontalières québécoises sont régulièrement
dénoncées par la WTCU comme des lieux de débauches
alcoolisées et de jeux illicites du crime local entre 1900 et
1910. Les comtés frontaliers de Brome et de Missisquoi
vivent une lutte sans merci entre les mouvements de la
tempérance et les propriétaires d’hôtels pour le contrôle
de la vente au détail d’alcool.

Avant 1920, le chemin de fer offre un nouvel essor éco-


nomique dans certains villages des Cantons-de-l’Est,
Portrait non daté de la propriétaire du Palace of Sin de 1912 à
autour du commerce prohibé d’alcool. Dans ce contexte 1929, Lilian Miner, connue sous le nom de « Queen Lil » depuis
criminel, la prostitution joue un rôle économique le fameux Old Red Light de Boston dès 1900.
discret, à l’exemple atypique d’une femme d’affaires
indépendante, Lilian Miner, alias Queen Lil, propriétaire
d’une maison de plaisir appelée Palace of Sin (Palais du
Péché) directement située sur la ligne frontalière entre le
Québec et le Vermont de 1910 à 1930. deux bars situés au rez-de-chaussée de chaque côté de
la réception, l’un dans le Vermont, et l’autre au Québec.
Le Palais du Péché : un bordel sans frontière Queen Lil recrutait ses prostituées à Montréal et à
entre le Québec et le Vermont (1910-1930) Boston. Comme dans la pratique connue des tenancières
Lilian Miner est née en 1866 dans le comté de Franklin nord-américaines, elle choisissait des jeunes filles ayant
au Vermont, où ses parents sont de simples fermiers. les inclinations à faire du profit pour un service sexuel.
Au début du 20e siècle, Lilian devient caissière dans On ne connaît pas la filière qui permettait à la propriétaire
un gymnase du célèbre Faneuil Hall situé au cœur de du Palais du Péché de recruter ses filles, mais les rapports
Boston. Par la suite, elle développe une nouvelle carrière de police de Boston indiquaient que majoritairement les
de gérante dans un bordel bostonien. En 1910, Lilian pensionnaires des bordels étaient des filles-mères âgées
est une tenancière de maison close à Boston, mais doit de 16 à 25 ans, issues des petites villes du Maine et du
quitter la ville précipitamment car la police veut Vermont. L’autre catégorie touchait les jeunes femmes
éradiquer toute forme de prostitution dans le quartier immigrantes européennes sans famille qui devenaient la
du Old West Side. Elle retourne se cacher dans la ferme proie des proxénètes américains ou de Montréal.
familiale au Vermont.
La frontière, les Line Houses et
Femme d’affaires avisée, elle prospecte une opportunité la prohibition (1919-1929)
de refaire fortune, et aussitôt elle rachète les fondations Avec l’adoption du 18e amendement de la Constitution
d’un ancien hôtel incendié construit sur la frontière américaine le 17 décembre 1917 soutenue par les mou-
internationale. Le terrain est situé près du pont inter- vements « secs » du Congrès des États-Unis, la nouvelle
national de la rivière Missisquoi qui sépare le Vermont loi fédérale est instaurée le 29 janvier 1919 pour tous
du Québec, au pied des monts Glenn et Sutton. Une loi les États américains. C’est la Volstead Act3 qui donne
fédérale américaine interdisant toute construction sur naissance à la Prohibition, une restriction absolue sur la
la frontière, un procureur du comté de Franklin pour- vente, la consommation et la production d’alcool entre
suit Lilian pour empêcher son projet. Elle engage alors 1920 et 1933.
un avocat de Boston, P.B Gill, et un juriste de Richford,
L.B Rowley, pour faire valoir que Mme Miner effectue des Avec l’arrivée de la prohibition, les différentes pègres
réparations sur l’ancien bâti et non une nouvelle cons- nord-américaines imposent une contrebande d’alcool
truction sur sa propriété. avec leurs Bootleggers4, ces contrebandiers qui se ravi-
taillent au Québec. Ainsi, le Palais du Péché devient un
haut lieu du trafic frontalier d’alcool. Cet hôtel permettait
En 1912, l’ancienne The Madam de Boston devient offi- d’échapper aux descentes de police américaines avec
ciellement propriétaire d’un Line House à cheval sur une porte au Québec et une autre au Vermont. Dès 1921,
la frontière internationale, le futur bordel Palace of Sin les conducteurs de train du Canadian Pacific Railway
situé aux croisements des routes frontalières du Québec faisaient d’eux-mêmes un arrêt devant les portes du
et du Vermont. La ligne ferroviaire du Canadian Pacific Palace of Sin pour débarquer une clientèle du Montréal-
Railway, reliant Boston et Portland à Montréal passait Boston Express avec des billets vendus pour l’occasion,
au pied de l’hôtel. L’établissement Palace of Sin avait les fameux « The $10 Drunk Ticket ».

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 19


L’établissement Palace of Sin avait deux bars
situés au rez-de-chaussée avec une entrée
au Vermont et l’autre au Québec. Courtoisie
Historical Richford Society Vermont-USA

Malgré son réseau d’influence, c’est sous la juridiction


canadienne du Scott Act de 1878 que le douanier et
officier des postes Francis Fyles d’Abercorn (munici-
palité de Sutton avant 1929) obtient une intervention
policière conjointe avec le shérif du comté de Richford,
Otis Gross, qui surprend les occupants du Palace of Sin à
3 h du matin le 12 juin 19255. Lors des arrestations, trois
couples surpris du côté américain et deux autres du côté
canadien. Deux hommes et deux femmes sont trouvés
entièrement nus et appréhendés dans les chambres du
second étage. Plusieurs caisses de bières sans timbres
fiscaux sont saisies. En date du 3 juillet 1925, le Richford
Gazette rapportait que Queen Lill était défendue par
l’avocat de Richford L.B Rowley pour plaider coupable
à l’accusation de tenir « une maison de prostitution et
trafic d’alcool dans l’État du Vermont » et à celle con-
cernant la présence d’une jeune mineure ayant moins
de 21 ans, sa propre nièce Betty Nelson, lui imposant
500,00 $ de contravention à la loi fédérale Mann Act.

Malgré cette arrestation de quelques jours, le Palais


du Péché continue sa vocation de bordel jusqu’à son
incendie vers 1930, qui marque la fin d’une époque sur
la frontière pour beaucoup de Line Houses. Dès 1930,
l’échec social et politique de la prohibition aux États-Unis
précipite la fin du Volstead Act avec le nouveau prési-
dent démocrate des États-Unis, Franklin Roosevelt, qui
fait voter une nouvelle loi annulant le 18e amendement
le 23 mars 1933. Lilian Miner abandonne donc « le plus
vieux métier du monde » pour devenir une importante
propriétaire terrienne de trois exploitations agricoles,
qu’elle a achetées sous le nom de son dernier mari, Levi
Fleury, dès 1924. Elle décède en 1951, laissant le souvenir
d’une femme d’affaires incontournable, dans l’histoire
frontalière des comtés de Brome-Missisquoi bien avant
la prohibition des « Roaring Times ».

20 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


ARCHIVES ET SOURCES IMPRIMÉES
A.L.O.C, The story of a dark plot or tyranny on the frontier, Warren Press, Boston, 1903.
Société d’histoire et du patrimoine de Frelighsburg, collection photographique & archives.
Richford historical society, records 1920-1930.

BIBLIOGRAPHIE
BRAULT, Jean-Rémi. Histoire d’Abercorn, Montréal, Septentrion, 2004.
BUSSEAU, Laurent. Crime, alcool et prostitution sur la frontière, Société d’histoire de Frelighsburg, 2016.
DANSEREAU, Danielle. Frontières, douanes et contrebande à Frelighsburg..., Société d’histoire de
Frelighsburg, 2001.
KESTERMAN, Jean-Pierre et al. Histoire des Cantons-de-L’Est, Presse ULaval et IQRC, 1999.
PORTES, Jacques. Les États-Unis au XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1997.
PRÉVOST, Robert et al. L’histoire de l’alcool au Québec, Montréal, Alain Stancké, 1986.
SALISBURY C., Jack. Richford Vermont frontier town, Phoenix Publication, Canaan-VT, 2006.

NOTES

1 Alcool vient de l’arabe Al-Cohol qui signifie « chose du subtil » dans le langage des premiers
alchimistes chrétiens orientaux du IVe siècle. Le mot anglais whisky (whiskey en irlandais) est
d’origine celte « Uisge Beathe », littéralement « eau-de-vie ». En Amérique du nord, l’alcool
blanc est d’abord un produit de conservation et de soin pour les premiers colons européens. Sa
contrebande sur la frontière des Cantons-de-l’Est prend son essor durant la guerre de 1812-1814
avec l’embargo britannique contre les marchandises américaines.
2 Entre 1894 et 1896, la Dominion Alliance engage Silas Carpenter, alors détective du Canadian
Service Secret Agency à Montréal, pour enquêter sur le complot de meurtre contre William
Smith sur la frontière. En 1898, au palais de justice de Sweetburg (Cowansville), un procès
mettra en relief les implications financières et politiques des trafiquants d’alcool dans le comté.
Le Canadian Pacific Railway est mis en cause par la Dominion Alliance pour la contrebande
d’alcool, dans un livre pamphlétaire, The story of a Dark plot or Tyranny on the frontier, publié en
1902 à Boston.
3 « Volstead Act » est un texte législatif fédéral américain présenté par le Parti républicain pour
renforcer la politique de prohibition du 18e amendement ratifié le 16 janvier 1919 et appliqué le
16 janvier 1920. Face à l’échec de la prohibition, le Volstead Act est amendé par Roosevelt avec
le Blaine Act et disparaît le 5 décembre 1933.
4 Bootlegger est un terme de l’argot américain lié aux coureurs de bois du 18e siècle signifiant
« l’homme qui cache une bouteille dans sa botte » pour échapper aux contrôles des postes
britanniques.
5 Plusieurs articles de presse du St-Albans Messenger rapportent les faits (Richford historical
Society, County Franklin Newspapers), 1920-1930. Voir Salisbury, Jack, Richford Vermont frontier
town et Brault, Jean-Rémi, Histoire d’Abercorn.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 21


Analyse de la bibliothèque du défunt
Collège canadien des armoiries
par Stéphan Garneau

Stéphan Garneau possède un baccalauréat en histoire et un certificat en archivistique de l’Université Laval. Il possède aussi
un diplôme d’études complémentaires de 2e cycle en archivistique, orientation administration et entreprise contemporaines de
l’Université Libre de Bruxelles (Belgique). Au niveau professionnel, il occupe le poste de responsable de la bibliothèque au Cégep de
Thetford et siège à ce titre au conseil d’administration de la Société de généalogie et d’histoire de la région de Thetford. Sa passion
pour l’héraldique et l’histoire régionale l’a amené à rédiger une quinzaine d’articles. Il est également l’auteur de trois volumes
portant sur l’histoire des mines d’amiante au 20e siècle, le Cégep de Thetford et le Collège canadien des armoiries.

Créé en 1954 par d’anciens employés de l’Institut Livres d’héraldique


généalogique Drouin, le Collège canadien des armoiries Dans son volume, Traité d’art héraldique, Victor Morin
est un organisme privé qui se spécialise, comme son mentionne que :
nom l’indique, dans la conception d’armoiries1. Si ses Au Canada, nous comptons nombre de familles qui
héraldistes conçoivent des armoiries pour des organis- descendent de la vieille noblesse française; de fait,
mes, des paroisses ou des particuliers, ses réalisations les grands noms de l’histoire de France ont été liés
concernent surtout le domaine municipal. De fait, en si intimement à la fondation et au développement
juin 1955, le Collège signe une entente avec l’Union de notre colonie qu’un écrivain a pu dire avec raison
des municipalités de la province de Québec. Celle-ci qu’en lisant l’histoire du Canada on croirait parcourir
sera bénéfique pour l’organisme montréalais alors que un armorial de France. Et pourtant, les ouvrages qui
200 municipalités font appel à ses services. Dans le but traitent de la science héraldique sont si peu nom-
de répondre à la demande, le CCA peut compter sur breux dans nos bibliothèques, les données les plus
une équipe qui comprend des héraldistes et des artistes. élémentaires de cet art quasi mystérieux sont si peu
Mais quelles sont les ressources documentaires mises à répandues parmi nous, que ceux-là mêmes qui ont
leur disposition dans le but de mener à terme leur tâche? recueilli les armoiries des familles dont ils descen-
Après analyse de plus de 150 armoiries, une liste d’une dent seraient souvent embarrassés de les décrire.2
quarantaine d’ouvrages émerge et permet de brosser un
portrait représentatif de la collection du CCA. Jamais une affirmation n’aura été autant vraie qu’en
regardant la bibliothèque du CCA. Ainsi, sur les
ouvrages répertoriés, une dizaine d’entre eux concernent
spécifiquement l’héraldique. De ce nombre, un seul
ouvrage a été publié dans la Belle Province, L’Armorial du
Canada français d’Édouard-Zotique Massicotte et Régis
Roy. Ce dernier, publié en deux volumes en 1915 et 1918,
a pour objectif de réunir les « armes des Canadiens et des
Français anoblis qui ont vécu en ce pays ou qui figurent
dans notre histoire »3.

Bien qu’il soit d’un intérêt indéniable, on peut se poser


des questions sur l’absence de certains incontournables
dans la bibliothèque du CCA. Parmi ceux-ci figurent
L’Armorial des évêques du Canada publié en 1940 par le
frère Gérard Brassard, ou encore, le Traité d’art héraldique
publié en 1919 par Victor Morin, président de la Société
historique de Montréal et membre de la Société royale
du Canada. Dans ce dernier cas, on peut supposer que
l’intervention de l’auteur dans la saga des armoiries de
Roberval n’incite pas les administrateurs du Collège à
vouloir lui faire de la publicité4. De même, son interven-
tion sur les faux collèges héraldiques dans son ouvrage
ne doit pas être au goût des dirigeants qui ont justement
choisi un nom qui porte à confusion pour des personnes
qui ne sont pas des profanes :

22 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


Il ne faut pas confondre les Collèges d’Armes, qui
se prononcent officiellement sur l’octroi et l’enre-
gistrement des armoiries, avec les institutions
d’initiative privée qui prennent le nom de « collèges
héraldiques » ou autres désignations analogues; il va
de soi que ces comités n’ont qu’un caractère pure-
ment consultatif.5

Pour ce qui est des autres livres d’héraldique qui sont tous
d’origine européenne, il faut remarquer dans un premier
temps la présence de trois grands classiques. Le premier
est L’Armorial général de Jean-Baptiste Rietstap qui réunit
pour la première fois en un seul ouvrage des centaines
d’armoriaux de toute l’Europe. Le deuxième est le Grand
Armorial de France d’Henri Jougla de Morenas qui cons-
titue le volume de base en ce qui concerne l’héraldique
française. Le troisième, quant à lui, est Le Véritable art du
Blason ou l’Usage des Armoiries du père Claude-François
Ménestrier, mort à Paris le 21 janvier 1705. Sous ces
incontournables, la collection du CCA se compose
d’ouvrages de vulgarisation comme, Vocabulaire-Atlas
héraldique, publié par la Société du Grand Armorial de
France en 1952, Dictionnaire des figures héraldiques, du
Belge Théodore de Renesse, Le Blason, de Geneviève
d’Haucourt et Georges Durivault, et Précis d’héraldique,
de Théodore Veyrin-Forrer. À ces volumes, il faut encore
ajouter l’Annuaire du Conseil héraldique de France, publié ainsi de quatre documents qui sont, le Dictionnaire général
annuellement entre 1888 et 1909. du Canada du père Louis Lejeune (1931)7, l’Encyclopedia of
Canada de William Stewart Wallace (1948), le Dictionnaire
En résumé, la collection de livres héraldiques utilisée encyclopédique Quillet (1934), dont le but est de per-
par le CCA est suffisante dans la mesure où l’orga- mettre au lecteur de trouver une synthèse résumée qui
nisme se consacre à la réalisation d’armoiries. Ainsi, soit au niveau de toutes les sciences contemporaines et
les connaissances des principes de base de l’héraldique qui englobe toutes les activités humaines, et le Guide to
sont apportées par les volumes de Ménestrier ou encore, Canadian Ministries since Confederation 1867 - 1957 (1957).
Veyrin-Forrer, tandis que les ouvrages de Rietstap et
de Jougla fournissent une base d’exemples à consulter. La seconde catégorie, de son côté, contient trois
En ce qui concerne ce volet, le seul élément négatif volumes : Origines des familles canadiennes-françaises
de la collection se réfère au faible taux d’illustrations (1914)8 de Narcisse-Eutrope Dionne, responsable de
dans les livres. Peut-être est-ce pour suppléer à cette la bibliothèque de l’Assemblée législative du Québec,
absence d’images que le Collège possède les dessins de Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de
110 000 écus dans ses archives6. Toutefois, en ce qui a trait France (1951), et Les noms de famille de France (1945), tous
à l’autre mandat de l’organisme, recherches historiques les deux d’Albert Dauzat. Ce dernier est un linguiste
et héraldiques, il ne fait aucun doute que la collection français renommé, fondateur et directeur de l’impor-
présente de nombreuses lacunes, puisque des parties tante revue de linguistique Le Français moderne. En ce qui
entières de l’Europe ne sont pas ou peu couvertes alors concerne les ouvrages de géographie, la collection du
que la France est surreprésentée. CCA comprend le Dictionnaire historique et géographique
des paroisses, missions et municipalités de la Province de
Livres de référence Québec (1925) d’Hormisdas Magnan. Celui-ci renferme
Composant la masse la plus importante, les ouvrages de les monographies de 1 130 paroisses ayant curé résidant
référence présents dans la collection du CCA viennent et 138 missions. En complément, la bibliothèque pos-
en aide aux héraldistes pour connaître l’histoire d’une sède aussi un exemplaire du livre Noms géographiques de
agglomération, mieux connaître une personnalité célèbre la province de Québec et des provinces maritimes empruntés
d’un coin de pays, trouver un cri de ralliement perti- aux langues sauvages (1906) d’Eugène Rouillard, membre
nent, ou encore, définir plus précisément un terme ou fondateur de la Société du parler français au Canada.
un élément. Par conséquent, il est possible de les diviser Finalement, l’organisme héraldique montréalais peut
en quatre catégories : les encyclopédies, les volumes qui compter sur deux répertoires de devises, soit Devises
traitent des familles, les ouvrages de géographie et les (1952) de Jules-J. Plamondon, et le Dictionnaire des devises
répertoires de devises. La première catégorie se compose ecclésiastiques (1907) d’Henri Tausin.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 23


Les premières armoiries de Montebello. Les armoiries de Montebello révisées.

Malgré tous ces volumes de référence, il arrive dans cer- fait Grand-Croix de l’Ordre de Saint-Louis puis
tains cas que le CCA doive faire appel à des ouvrages créé Marquis en 1702. […] Fille de Pierre Joybert de
encore plus pointus pour mener à bien ses recherches. Marson, Sieur de Soulanges, et de Marie-Françoise
Par exemple, pour réaliser les armoiries de Lorrainville, Chartier de Lotbinière, la future marquise de
les héraldistes ont consulté Le symbolisme de la croix Vaudreuil naquit à la rivière Gemsek, en Acadie, où
de Lorraine (1948), La croix de Lorraine, son origine, sa son père commandait. (2 : Bulletin des recherches
signification (1945), L’Héroïque épopée de la croix de la historiques) Elle fit ses études chez les Ursulines
Lorraine et d’Anjou. Ses origines divines, hongroises, ange- de Québec.9
vines (1945), L’Abitibi, région de colonisation (1939), Notes
historiques sur le Témiscamingue (1937), L’Abitibi, pays de Cependant, dans la grande majorité des cas, il faut
l’or (1938), Journal de l’expédition du chevalier de Troyes directement étudier l’œuvre héraldique pour remarquer
à la Baie d’Hudson en 1686 (1918), et Le Canada ecclésias- les emprunts aux volumes effectués par les employés du
tique (1911). De même, la bibliographie des armoiries de CCA, comme le démontrent les trois exemples suivants.
Beauceville contient les livres Branche aînée de la famille
Taschereau en Canada (1896) et La famille Taschereau (1901). a) L’Armorial du Canada français d’Édouard-Zotique
Bref, il est possible de conclure que les ouvrages de réfé- Massicotte et Régis Roy
rence utilisés par le Collège sont nombreux et touchent à
l’ensemble des sciences utiles à ses employés. Au mois d’août 1955, le CCA dévoile les nouvelles
armoiries de la ville de Roberval qui contiennent les
Preuves de l’utilisation des ressources documentaires armes de Jean-François de la Roque, Sieur de Roberval,
Les livres étudiés jusqu’à présent ont été répertoriés à de qui la municipalité tire son nom. Aussitôt, une con-
partir des bibliographies qui succèdent aux descriptions troverse éclate alors qu’un citoyen mentionne que les
des armoiries. Mais quelle preuve démontre que les anciennes armoiries, différentes des nouvelles, représen-
héraldistes se sont bel et bien servis des volumes men- tent déjà les armes du Sieur de Roberval. Dans le but de
tionnés pour réaliser les blasons? Dans de très rares cas, clore le dossier, les héraldistes du Collège indiquent à
comme celui des armoiries de la municipalité de Rigaud, la presse régionale que leur blason est le bon, puisqu’il
les spécialistes indiquent clairement leurs sources dans représente les armes du Sieur de Roberval illustrées
leurs descriptions : à la page 15 de L’Armorial du Canada français10. Loin
de se laisser convaincre par l’argument, les historiens
Le premier Rigaud qui passa en Nouvelle-France régionaux, comme le chanoine Victor Tremblay, font
fut Philippe de Rigaud de Vaudreuil, né en 1643. appel à d’autres spécialistes de la province. Si le prési-
Le 21 novembre 1690, il épousait Louise-Elisabeth dent du collège héraldique de la Société historique de
de Joybert de Marson. (1 : Bref aperçu Historique Montréal, Victor Morin, ne peux donner de réponse
sur la Famille D’Amours) Monsieur de Rigaud fut adéquate pour trancher le débat, le propriétaire de

24 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


l’Institut généalogique Drouin, Gabriel Drouin, pour bibliographie d’aucune des réalisations de l’organisme
sa part, affirme sans l’ombre d’un doute que les nou- montréalais. Manque d’imagination ou apologie de la
velles armoiries de Roberval ne sont pas celles du facilité, toujours est-il que de nombreuses villes et cités
Sieur de Roberval ni même de sa famille. Pour preuves québécoises s’enorgueilliront d’un cri de ralliement
d’indiquer dans une lettre datée du 28 septembre 1955 : trouvé dans un bouquin au bon goût des héraldistes
du CCA.
O’Gilvy dans « Le nobiliaire de Guyenne et de
Gascogne » (1858) tome 1 page 330 a commis une Conclusion
erreur monumentale quant aux armoiries de Jean- La bibliothèque du Collège canadien des armoiries sem-
François de la Roque, Sieur de Roberval. Magny ble contenir une masse d’informations suffisante pour
dans « L’Annuaire de la Noblesse » (1858) page 228 aider les spécialistes de l’organisme dans la création
et Massicotte et Roy dans « L’Armorial du Canada d’armoiries. Ainsi, elle contient des volumes techniques
français » ont répété et copié mot à mot cette erreur.11 en héraldique, des ouvrages de géographie, des livres de
devises et des encyclopédies. De plus, grâce à l’analyse
Par conséquent, les héraldistes du CCA n’ont fait que de certains blasons, il a été démontré que ces volumes,
répéter une erreur tirée des pages de L’Armorial du loin de n’être que des faire-valoir, sont réellement uti-
Canada français. lisés par les employés du Collège. Cependant, ne jetant
vraiment pas un œil critique face aux données contenues
b) Dictionnaire historique et géographique des paroisses, dans les ouvrages, les héraldistes du CCA semblent pren-
missions et municipalités de la Province de Québec dre tout ce qui est écrit pour pure vérité. Il en ressort une
d’Hormisdas Magnan série d’erreurs recopiées à l’identique dans les armoiries
qu’ils créent, quand ce n’est pas des emprunts multiples
Loin d’avoir appris de cette erreur, les spécialistes de dans un seul et même répertoire. L’une des raisons qui
l’organisme montréalais connaissent une situation simi- peuvent expliquer cette situation est certainement due
laire, deux ou trois ans plus tard, lorsqu’ils réalisent les au statut du Collège. De fait, étant un organisme privé
armoiries de Montebello. Ainsi, en se basant sur l’his- à but lucratif, il en résulte que les ateliers ressemblent
torique de la municipalité présente dans le dictionnaire davantage à une « chaîne de production industrielle »,
d’Hormisdas Magnan qui mentionne que « le nom de qu’à un bureau où recherche et rigueur vont de pair.
Montebello a été donné en 1854, en souvenir du Duc de Comme quoi la qualité d’une bibliothèque ne garantit
Montebello, que Papineau avait connu dans un de ses pas forcément une œuvre de grande valeur.
voyages en France12 », les héraldistes décident d’illustrer
des étoiles, tirées des armes du maréchal d’Empire, dans
le blason de Montebello. Or, des documents d’archives
témoignent que le nom de la municipalité ne provient
pas du duc du même nom, mais d’une transcription en
italien du nom Mont-Joli que souhaitait donner Louis-
Joseph Papineau au bureau de poste de sa seigneurie.
Face à cette erreur grossière, qui résulte encore une fois
de l’absence de vérification des sources, les experts du
CCA réalisent une deuxième version des armoiries. Pour
ce faire, les étoiles sont remplacées par des éléments tirés
des armes de Mgr de Laval, ancien seigneur de la sei-
gneurie de la Petite-Nation.

c) Devises de Jules-J. Plamondon

Dans son livre publié en 1952, Jules-J. Plamondon


indique : « De préférence, nous le disions il y a un
instant, inventez votre propre devise.13 » Loin d’être
le leitmotiv des héraldistes du Collège, ce conseil sera
bafoué couramment alors qu’une étude exhaustive
des armoiries municipales réalisées par le CCA
démontre que plus de la moitié des devises situées sous
les blasons sont tirées du volume de l’auteur. Parmi
les municipalités concernées, il y a : Amqui, Gatineau,
La Malbaie, La Sarre, Pointe-aux-Trembles, Rimouski,
Les armoiries de la ville de La Sarre.
Saint-Lambert, Sainte-Foy, Sorel, ou Windsor. Pire
encore, l’ouvrage de Plamondon n’est cité dans la

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 25


NOTES

1 L’organisme disparaît en 1959 après avoir déménagé ses locaux à trois reprises.
2 Victor Morin, Traité d’art héraldique, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1919, p. 12-13.
3 Édouard-Zotique Massicotte et Régis Roy, Armorial du Canada français, Montréal, Librairie Beauchemin Limitée, 1915, p. V.
4 Pour plus d’information, voir la troisième partie, premier exemple.
5 Morin, op. cit., p. 164.
6 Dans une lettre adressée à la municipalité de Candiac le 15 septembre 1958, Jean Simard, alors président du CCA mentionne : Les
110 000 écus qui se trouvent dans nos archives ont surtout pour objet d’éviter des copies involontaires ou de retracer les armoiries anciennes
de particuliers.
7 Le titre au complet est Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences,
mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada.
8 Le vrai titre de l’ouvrage est Origine des familles émigrées de France, d’Espagne, de Suisse, etc., pour venir se fixer au Canada, depuis la
fondation de Québec jusqu’à ces derniers temps, et signification de leurs noms.
9 Description et symbolisme des armoiries de Rigaud.
10 « À propos des armoiries de Roberval », L’Étoile du Lac, 8 septembre 1955, p. 3.
11 Lettre de Gabriel Drouin, président de l’Institut généalogique Drouin, à monsieur Maurice Simard, le 28 septembre 1955.
12 Hormisdas Magnan, Dictionnaire historique et géographique des paroisses, missions et municipalités de la Province de Québec, Arthabaska,
L’Imprimerie d’Arthabaska, Inc., 1925, p. 97.
13 Jules-J. Plamondon, Devises, Québec, Les Éditions Caritas/Librairie Universelle, 1952, p. 9.

26 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


« Napier + Convair + Canadair = Cosmopolitan »
La fascinante histoire de l’avion de ligne Canadair 540
par Rénald Fortier

M. Fortier complète une maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke et un doctorat en histoire à l’Université Laval en 1982
et 1990. Il travaille au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada depuis 1987, et occupe le poste de Conservateur, aviation et
espace, depuis 1995.
M. Fortier est le conservateur responsable de cinq expositions temporaires réalisées au musée, soit 1909 - L’année lumière;
L’aviation rêvée et réinventée; Les Faucheurs de marguerites : un album de l’aviation au Canada, 1909-1914; En quête
de ciel : le centenaire des frères Wright; et Vers un ciel vert. En 1995, il est recherchiste de l’exposition itinérante Au temps
des ballons, réalisée avec le Musée Stewart de Montréal et le Musée de l’Air et de l’Espace de Paris.
M. Fortier a rédigé divers essais photographiques pour le site Web du musée, dont Le R-100 au Canada; Le bouclier et l’épée;
1909 - L’année lumière; Au Temps des Ballons; et Garder l’œil sur nos côtes. Au fil des ans, il a contribué à des séries telles
que 300 ans de science au Canada et Avions, mises en ondes en 1999 et 2004.

Bombardier compte aujourd’hui parmi les plus en service en avril 1953. La popularité de cet avion rela-
importants fabricants d’avions de ligne régionaux au tivement silencieux et peu sujet aux vibrations cause
monde. Un des éléments clés de ce géant est Bombardier bien des maux de tête à Convair2.
Aéronautique Montréal. Autrefois connue sous le nom de
Canadair, cette compagnie fabrique pendant longtemps Pour demeurer compétitif, l’avionneur américain lance
des avions pour l’Aviation royale du Canada et des for- le Modèle 440 Metropolitan en 1956. Plus populaire à
ces aériennes étrangères. En 1958, toutefois, l’avionneur l’étranger qu’aux États-Unis, le Metropolitan est à ce
de Cartierville acquiert l’outillage de production d’un point réussi que plusieurs transporteurs aériens l’utili-
avion de ligne de taille moyenne fabriqué jusque là par sent jusqu’à l’introduction des premiers avions de ligne
une compagnie sœur américaine, Convair. à réaction de taille moyenne, pendant les années 1960.
Convair en produit environ 170, dont une vingtaine
Un succès à l’échelle mondiale, le Convairliner pour l’U.S. Air Force et l’U.S. Navy.
L’histoire de la famille d’avions de ligne de taille moyenne
de Consolidated Vultee Aircraft (Convair) commence
avec un classique du transport aérien, le Douglas DC–3.
Fabriquées en masse aux États-Unis pendant la Seconde
Guerre mondiale, les versions militaires du DC–3 ven-
dues aux surplus de guerre deviennent les avions de
ligne de choix de nombreux transporteurs aériens une
fois la paix revenue1.

Cela dit, plusieurs sociétés aériennes songent à rempla-


cer le DC-3. Convair conçoit un bimoteur pour répondre
à ce marché. Entré en service en 1948, ce Modèle 240 est
le meilleur avion de ligne de taille moyenne au monde
en dépit d’un niveau sonore en cabine un peu élevé.
Un Modèle 340 amélioré suit en 1952. De nombreuses
lignes aériennes, américaines et étrangères commandent
près de 375 Modèles 240 et 340, rapidement surnommés
Convairliners. L’U.S. Air Force et l’U.S. Navy, quant à
elles, achètent près de 500 de ces avions.

Le début des années 1950 est une période clé dans l’his-
toire de l’aviation civile qui voit l’entrée en service de
deux types de moteurs pour le moins révolutionnaires,
le turboréacteur et le turbopropulseur, un moteur à
réaction muni d’une hélice. Dans les deux cas, c’est le Un Douglas DC-3 de Trans-Canada Air Lines,
Royaume-Uni qui joue le rôle de pionnier. Le premier Aéroport de Montréal (Dorval), juillet 1947,
avion de ligne turbopropulsé, le Vickers Viscount, entre Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, négatif 5573.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 27


En tout, Convair fabrique environ 1 075 Convair 240, 340 Ces bonnes nouvelles expliquent en partie l’inaugura-
et 440 entre 1947 et 1958, dont environ 560 aéronefs civils. tion du siège social d’une filiale de D. Napier & Son à
À partir de la fin des années 1950, plus de 250 Convair- Washington. En novembre 1957, cette dernière livre son
liners perdent leurs moteurs à pistons au profit de turbo- Convairliner converti à une firme californienne, PacAero
propulseurs plus puissants. Engineering, afin d’obtenir une certification permettant
à de tels aéronefs de transporter des passagers aux États-
Au fil des décennies, le Convairliner porte les couleurs Unis. L’avion de D. Napier & Son, rebaptisé Convair 540
de plus de 375 sociétés aériennes dans au moins 60 pays, ou Cosmopolitan, se pose à Ottawa en cours de route et
de l’Afghanistan au Zaïre (l’actuel Congo). Au Québec, effectue des vols de démonstration pour des représen-
Air Inuit, Intair, Inter-Canadian et Québecair mettent des tants de Canadair, de l’Aviation royale du Canada (ARC)
avions à la disposition de la Société d’énergie de la Baie et du gouvernement fédéral.
James pendant plusieurs années. De fait, cette dernière
est la propriétaire de six de ces aéronefs, livrés entre 1976 Convair et sa maison mère, General Dynamics, recon-
et 1978, utilisés pendant plusieurs années. naissent depuis quelques années le potentiel du pro-
gramme de conversion de D. Napier & Son. Mieux
Le Convairliner compte parmi les meilleurs avions de encore, ils croient que ce projet peut ouvrir la porte à la
ligne de taille moyenne du 20e siècle. Plusieurs douzaines, production d’avions neufs. L’avionneur américain n’est
des avions convertis en turbopropulsés pour la plupart, cependant pas en mesure d’exploiter ce filon. Il a en effet
volent encore en 2018. Ce survol de la saga du Convairliner mis fin à la production du Convairliner afin de préparer
nous introduit au cœur même de cet article3. celle d’un avion de ligne à réaction4.

Une seconde jeunesse pour le bimoteur Convair Une ou des personnes proposent alors de faire appel
En 1954, un fabricant de moteurs d’avions britannique à Canadair, une compagnie sœur de Convair depuis
d’importance secondaire sans trop d’expérience au 1953. C’est ainsi que, en 1958, l’avionneur québécois
niveau civil commence à s’intéresser au Convairliner. achète l’outillage de production et les droits de vente du
D. Napier & Son croit que la prochaine version de cet Convairliner, ainsi que deux avions invendus. Canadair
avion pourrait être munie de puissants turbopropulseurs ne tarde pas à préparer les plans de nouvelles versions
Eland. Fort intéressée par cette idée, Convair lui vend civiles et militaires, connues sous le nom de Canadair 540
un Convairliner vers octobre 1954. Une fois modifié, cet ou CL-66. Les quelques centaines d’avions que la direc-
avion entame des vols d’essais en février 1956. Ses per- tion espère fabriquer vont placer l’avionneur en position
formances sont impressionnantes. forte sur la scène internationale. Ces commandes doivent
par ailleurs réduire le risque de mises à pied chez
Au fil des mois, D. Napier & Son élargit quelque peu Canadair. En effet, deux importants programmes de
sa stratégie. En effet, les nombreux utilisateurs civils production d’avions militaires prennent fin en 1958-595.
de Convairliner constituent un marché de choix pour
des conversions qui demandent peu de modifications D. Napier & Son et Canadair n’attendent pas l’arrivée
structurelles. La firme britannique n’est pas sans savoir du dernier train chargé d’outillage pour se mettre en
que l’entrée en scène d’avions de ligne turbopropulsés quête de contrats. Elles savent très bien que l’ARC uti-
performants diminue la valeur de revente des avions lise encore plus de cent avions de transport Douglas
usagés munis de moteurs à pistons. Du coup, les lignes Dakotas, des DC-3 militaires qui datent de la Seconde
aériennes doivent emprunter de l’argent pour payer Guerre mondiale. Leur proposition s’avère à ce point
leurs programmes de modernisation. Les opérateurs de intéressante que le gouvernement fédéral annule, en
Convairliner ont toutefois une porte de sortie. L’installa- février 1958, un contrat de l’ARC pour un petit nombre
tion d’Eland sur leurs avions usagés augmenterait beau- de Viscount. Les militaires, assez mécontents, doivent
coup leurs performances, maintenant ainsi leur com- s’incliner. Canadair obtient ainsi une commande pour
pétitivité encore plusieurs années. Elle peut par ailleurs dix CC-109 Cosmopolitan capables de transporter des
accroître leur valeur de revente. passagers ou du fret. Cette commande est en fait une sub-
vention déguisée. Elle doit aider l’avionneur à se tailler
D. Napier & Son propose des programmes de conver- une place dans l’industrie du transport aérien, réduisant
sion à plusieurs transporteurs aériens de par le monde. ainsi sa dépendance envers le marché militaire.
Ces efforts ne donnent de bons résultats qu’au Brésil.
Une société privée, REAL Aerovias Brasília, décide de Le Cosmopolitan, dont un premier exemplaire vole en
convertir trois Convairliners. Serviços Aéreos Cruzeiro janvier 1960, entre en service en avril. Fréquemment uti-
do Sul, une société d’État, dit vouloir acheter des kits lisé pour transporter des politiciens et leur entourage, le
de conversion pour douze aéronefs, dont quatre qu’elle « Cosmo » est parfois surnommé « Cosmopolitician6. »
pense acheter.

28 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


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HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 29


Le projet de production prend une envergure plus grande Soucieuse d’attirer l’attention de clients potentiels,
encore au cours de l’été 1958 avec l’annonce de négocia- Canadair installe des Eland sur les deux Metropolitan
tions pouvant entraîner la vente d’une centaine d’avions qu’elle a achetés et sur un troisième avion acheté plus
en Amérique du Sud. Tirant profit des discussions tard. Le premier d’entre eux vole en février 1959.
amorcées par Convair quelques années auparavant, L’avionneur loue deux de ces Convair 540 à l’ARC et
Canadair veut construire une usine à Sao Paulo, au utilise le troisième pour fin de publicité. Cet avion entre-
Brésil. Une filiale, Canadair International, dirigerait prend une tournée de promotion en Amérique du Sud
les opérations. La production en série du Canadair 540 en avril. En parallèle, deux avions convertis par PacAero
se ferait graduellement : fabrication de sept avions à Engineering entreprennent en mars et juin des tournées
Cartierville, fabrication de dix-huit avions à Cartierville similaires au Canada et aux États-Unis, et en Europe
avec réassemblage au Brésil, puis fabrication au Brésil. occidentale. Commandités par Canadair et D. Napier &
Son, ces trois Convair 540 visitent onze pays européens
Le gouvernement brésilien espère que cette usine ren- et une soixantaine de villes du continent américain, du
flouera l’économie nationale, fortement affectée par une Canada à l’Argentine.
mauvaise récolte de café. Il est par ailleurs question de
vendre en Amérique du Sud d’autres avions fabriqués En mai 1959, un Convair 540 vole de Rio de Janeiro à
par Canadair. D. Napier & Son entend bien appuyer Brasilia, la nouvelle capitale du Brésil alors en construc-
l’avionneur de son mieux. Les deux compagnies savent tion dans la forêt amazonienne. Le président brésilien
en effet que des avionneurs européens et américains effectue le voyage avec quelques ambassadeurs, dont
s’intéressent au marché sud-américain. De fait, Fairchild celui du Canada. D’aucuns voient dans la présence de
Engine and Airplane, une société américaine qui va pro- Jusceliano Kubitschek de Oliveira une indication de son
duire un tout nouvel avion de ligne turbopropulsé de intérêt pour le projet d’usine de Canadair.
taille moyenne, le Fokker F-27 Friendship hollandais,
songe à construire une usine d’assemblage au Brésil7. De fait, tous les efforts déployés par l’avionneur et par
D. Napier & Son semblent porter leurs fruits. Des sociétés
À l’automne 1958, D. Napier & Son lance une grosse aériennes de l’Argentine, du Brésil et de Colombie, sans
campagne de promotion aux États-Unis, où se trouvent parler de deux lignes aériennes régionales américaines
la moitié des Convairliners pouvant être convertis. au moins, manifestent un réel intérêt pour le Convair
Encouragée par l’intérêt suscité par l’Eland, D. Napier & 540 ou le Canadair 540. Mieux encore, le gouvernement
Son fonde une filiale à Montréal en février 1959. Dépour- américain permet aux transporteurs aériens locaux
vue d’usine au pays, D. Napier & Son (Canada) compte de financer la conversion d’avions de ligne à l’aide de
sur Canadian Pratt & Whitney Aircraft de Longueuil, prêts garantis par l’État. Allegheny Airlines loue un
l’actuelle Pratt & Whitney Canada, pour effectuer Convair 540 et l’utilise au cours de la seconde moitié de
l’entretien des Eland. À plus long terme, la compagnie 1959. Satisfait de ses performances en dépit de quelques
britannique songe à établir des ateliers d’entretien en problèmes techniques, la société aérienne commande
sol américain. cinq autres conversions en novembre, devenant ainsi le
principal utilisateur de Convair 540. Allegheny Airlines
prévoit aussi convertir quatre des onze Convairliners
usagés qu’elle achète ce même mois.

PacAero Engineering étant impliquée dans un autre


programme de conversion du Convairliner appuyé par
Convair, qui vise l’installation de turbopropulseurs
conçus par la division Allison de General Motors,
D. Napier & Son se tourne vers une autre société cali-
fornienne pour effectuer les conversions commandées
par Allegheny Airlines. La compagnie britannique est
à ce point confiante de voir d’autres lignes aériennes
signer des commandes qu’elle achète neuf Convairliners
usagés en décembre 1959.

Toujours en 1959, Québecair loue un des Convair 540


convertis par Canadair. Le transporteur aérien achète les
deux autres vers septembre 1960. La direction soutient
que la présence de ces avions et l’utilisation de briseurs
de grèves lui permettent de surmonter une grève illégale
de deux mois de ses pilotes.
Un des Convair 540 convertis par Canadair, Musée de l’aviation
et de l’espace du Canada, négatif 25505.

30 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


Les espoirs de Canadair et D. Napier & Son en matière Ces décisions suscitent une réaction rapide de la
de production et de conversion s’évanouissent toutefois part d’Allegheny Airlines. Fin avril, D. Napier & Son
en fumée. Les problèmes économiques du Brésil met- rachète les cinq Convair 540 que cette société aérienne
tent fin au projet d’usine. Toutes les sociétés aériennes utilise encore. Allegheny Airlines les remplace par
qui ont songé à convertir des avions y renoncent. Même des Metropolitan usagés. De fait, les cinq Convair 540
la conversion des Convairliners d’Allegheny Airlines retrouvent rapidement leurs moteurs d’origine – un
s’arrête en cours de route. Tous les avions usagés achetés retour en arrière unique dans l’histoire du transport
par cette dernière et D. Napier & Son demeurent intacts. aérien. La prise de contrôle par Rolls-Royce du seul
Pis encore, Canadair commence à proposer des versions moteur d’avion Napier encore en production, en 1962,
civile et militaire du CL-66 / Canadair 540 munies de confirme le retrait définitif de D. Napier & Son du sec-
turbopropulseurs Allison vers le milieu de 1961. Que teur aéronautique10.
s’est-il donc passé8?
Le nombre de Convairliners convertis avec des moteurs
Au fil des mois, l’ARC et Québecair doivent réduire Eland, dix en tout, est bien minime. Canadair ne fabrique
le temps entre révisions déjà peu impressionnant de par ailleurs aucun autre avion de ce type après la livrai-
l’Eland – une situation unique à l’époque. D. Napier & son du dixième CC-109 Cosmopolitan, l’unique avion
Son ne peut que s’excuser. Canadair doit elle aussi faire produit en série qui utilise des moteurs Eland. Les pro-
face à de sérieux problèmes. Le coût élevé du Canadair grammes de conversion et de production envisagés par
540 une fois les taxes et droits de douanes inclus (1,4 mil- D. Napier & Son et Canadair ont échoué11.
lion vs 760 000 $ US pour un F-27 Friendship fabriqué
aux États-Unis) éloigne les clients potentiels, surtout En guise de conclusion
américains. Ces derniers savent par ailleurs que les Ainsi prend fin la triste histoire du Canadair CL-66 /
Convairliners convertis dans le cadre du nouveau pro- Canadair 540. Lancé en grande pompe en 1958, ce pro-
gramme de PacAero Engineering coûtent bien moins gramme de production s’effondre dès 1962. Tout com-
cher qu’un Canadair 540. De fait, compte tenu qu’un me par le passé, c’est grâce à la production d’avions de
avion converti par Canadair coûte moins de 520 000 $ US, combat pour l’Aviation royale du Canada et des forces
on peut se demander si le programme de production du aériennes étrangères que Canadair se maintient à flot au
Canadair 540 avait la moindre chance de succès9.
cours des années 1960.
Les difficultés financières qui assaillent D. Napier &
Son, liées directement au manque de fiabilité de l’Eland,
ajoutent aux problèmes de Canadair. Soucieux de
préserver l’industrie aéronautique nationale, le gouver-
nement britannique encourage les fusions. En juin 1961,
une compagnie contrôlée à parts égales par D. Napier &
Son et Rolls-Royce voit le jour. Dirigée par un représen-
tant de cette société connue mondialement, Napier Aero
Engines prend aussitôt en charge les activités aéronau-
tiques de D. Napier & Son.

Confrontée elle-aussi à de sérieux problèmes financiers,


Québecair tente d’obtenir un monopole sur certaines Un des Canadair CC-109 Cosmopolitan de l’Aviation royale
routes et des subventions pour son réseau. L’avenir même du Canada, début des années 1960, Musée de l’aviation et de
de cette ligne aérienne semble menacé. La Commission l’espace du Canada, négatif 25531.
des transports aériens fait enquête. Elle conclut que
Québecair utilise ses deux Convair 540, qui lui ont coûté
bien cher, sur des routes peu rentables. Le transporteur
aérien doit mettre de l’ordre dans ses affaires. En janvier
1962, Québecair remet ses Convair 540 à Canadair.

Cette mise au rancart semble avoir joué un rôle cer-


tain dans la décision, en février 1962, d’English Electric
Group, la maison-mère de D. Napier & Son, de ne plus
accepter de commandes civiles pour l’Eland. Pis encore,
la compagnie annonce un peu plus tard qu’elle prévoit
fermer la chaîne de montage. Rolls-Royce, qui tire les
ficelles, ne voit pas l’utilité de poursuivre la mise au Un des Convair 540 convertis par Canadair et loués par
point d’un moteur peu fiable. Québecair, octobre 1960, Musée de l’aviation et de l’espace
du Canada, négatif 25525.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 31


NOTES
1 Henry M. Holden, The Legacy of the DC-3 (Brawley, Californie : Wind Canyon Books, 2002), 193-199.

2 J.M. Gradidge et al., The Convairliners Story (Tunbridge, Angleterre : Air Britain (Historians), 1997), 10-11 et 13.

3 J.M. Gradidge et al., op. cit., 13. Gaétan Lavoie, « Des Convair 580, pas très jeunes, mais fiables. » Aviation Québec 2 (Juillet-août
1978), 15-18. John Wegg, General Dynamics Aircraft and their Predecessors (Annapolis, Maryland : Naval Institute Press, 1990),
187-189. Des bimoteurs Convair sont visibles dans environ 50 films, principalement américains mais aussi européens et sud-
américains, et ce depuis les années 1950. Le Convairliner est présent dans au moins 4 séries télévisées, dont The Twilight Zone / La
quatrième dimension – un des classiques du fantastique télévisé. Un des meilleurs épisodes de la série, « Nightmare at 20,000 feet /
Cauchemar à 20 000 pieds » diffusé en 1963, met en vedette un comédien d’origine montréalaise. En 1966, William Shatner prête
ses traits à un personnage plus grand que nature de la série télévisée Star Trek / Patrouille du cosmos, le capitaine James Tiberius
Kirk. Un Convairliner de la société aérienne belge SABENA compte par ailleurs parmi les nombreux avions qui peuplent les
aventures de Tintin, un héros de bande dessinée créé par le Belge Georges Prosper Remi, dit Hergé. Cet avion est visible sur deux
pages de L’affaire Tournesol, une histoire d’enlèvement et d’espionnage publiée en album en 1956. J.P. Telotte, « In the cinematic
zone of The Twilight Zone’s cultural and mythological terrain. » Science Fiction Film and Television 3 (Printemps 2010), 1-17.
4 Anon., « Napier Eland airliner. » Flight 69 (3 février 1956), 136-137. Anon., « Civil aviation – R.E.A.L. hopes for Eland. » Flight 71
(22 mars 1957), 359. Anon., « Civil aviation – Elands for Brazil? » Flight 72 (12 juillet 1957), 57. Anon., « From all quarters – Eland
Convair for certification. » Flight 72 (22 novembre 1957), 790-791. Anon., « Napier pushes Convair-Eland campaign. » Aviation
Week (AW) 67 (30 décembre 1957), 64-66. L.L. Doty, « Used-plane market faces critical era. » AW 69 (7 juillet 1958), 26-28. Tony
Merton Jones, « The Eland enigma, part 1. » Propliner 65 (Hiver 1995), 33-37.
5 Anon., « Turboprop Convair ordered by RCAF. » AW 68 (17 février 1958), 40-41. Anon. « Napier + Convair + Canadair =
Cosmopolitan. » Aircraft 20 (April 1958), 26-28 et 66-67. Tony Merton Jones, op. cit., 35-36.
6 Anon., « Turboprop Convair ordered by RCAF. » AW 68 (17 février 1958), 40-41. Anon., « From all quarters – Canadair CL-66
Cosmopolitan. » Flight 73 (21 février 1958), 228. Anon. « Napier + Convair + Canadair = Cosmopolitan. » Aircraft 20 (April 1958),
26-28 et 66-67.
7 Anon., «Canadair plant for Brazil. » The Financial Post 53 (26 juillet 1958), 1. Anon., « Civil aviation – Canadair in Brazil. » Flight
74 (29 août 1958), 300.
8 Anon., « Air transport – PacAero Engineering to convert Hawaiian Convairs to turboprops. » AW 70 (19 janvier 1959), 39. Anon.,
« Financial – Tight market hampers airline. » AW 70 (19 janvier 1959), 67. Anon., « Aeronautical engineering – Napier inaugu-
rates Canadian subsidiary. » AW 70 (2 mars 1959), 66. Anon., « Air transport – Sales drive begins for Canadair 540. » AW 70
(30 mars 1959), 44. Anon., « Air transport – Return to service scheduled for 540. » AW 71 (3 août 1959), 38. Anon., « Air trans-
port – Alleghany orders 540s. » AW 71 (16 novembre 1959), 42. Anon., « Air transport – Alleghany planning mixed fleet; to
convert Convairs to turboprops. » AW 71 (30 novembre 1959), 40-41. Anon., « Air transport – Napier buys Convairs from United
Air Lines. » AW 71 (21 décembre 1959), 31. Anon., « Airline observer. » AW 73 (12 septembre 1960), 52. Anon., « Airline obser-
ver. » AW 73 (24 octobre 1960), 52. Robert I. Stanfield, « Aviation Week pilot report – Turboprops boost Convair’s capabilities. »
AW 70 (20 avril 1959), 103-104, 107, 109 et 111.
9 Tony Merton Jones, « The Eland enigma, part 2. » op. cit., 19-20.
10 Anon., « World news – No more Elands. » Flight 81 (1 mars 1962), 313. Anon., « Air commerce – Up-to-date with Alleghany. »
Flight 81 (3 mai 1962), 706-707. Tony Merton Jones, « The Eland enigma, part 2. » op. cit., 20-22.
11 Tony Merton Jones, « The Eland Enigma, part 2. » op. cit., 20-23. Au fil des ans, les Canadair CC-109 Cosmopolitan souffrent
des nombreuses carences de leurs moteurs Napier Eland. En 1966-67, soucieuse de les maintenir en service, l’Aviation royale
du Canada fait installer des turbopropulseurs Allison sur huit avions. Les Cosmopolitan encore en existence sont entreposés en
1994. Andrew H. Cline, « Canadian Forces – Cosmo closeout. » Wings 35 (Décembre 1994), 43 et 53.

32 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


Annonce publicitaire de la division Convair de General Dynamics pour le Modèle 340, Aviation Week, 7 septembre 1953, 19.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 33


CONTES ET MYSTÈRES CURIEUSES HISTOIRES DES
DE LA FORÊT PLANTES DU CANADA 1760-1867
Échos des Premières Nations Tome 3
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illustrations d’Émily Bélanger Jacques Mathieu
Éditions du Septentrion, 2016 Éditions du Septentrion, 2017

L’ouvrage permet de découvrir à En 2015, un premier tome présen-


travers des personnages attachants tait les plantes du Canada existant
et des histoires amusantes les entre l’an 1000 et 1670 (lauréat du
mœurs et coutumes des Premières prix Marcel-Couture), alors que le
Nations amérindiennes québécoises second proposait celles de la période
qui vivent tout près de nous, de la du Régime français. Voici, à présent,
plaine du Saint-Laurent jusqu’à la un troisième tome qui fait connaître
banquise de l’Arctique en passant celles que des femmes et des hommes
par l’Outaouais, le lac Saint-Jean et ont découvertes entre la Conquête
la Gaspésie entre le kayak et l’umiak, et la Confédération. Après l’ère des
la tente tremblante et la maison explorations et des découvertes,
longue : les Abénaquis, les Micmacs, place à la science!
les Iroquoiens du Saint-Laurent, les
Montagnais, les Hurons-Wendat, les On y apprend, entre autres, qu’un
Naskapis, les Algonquins, les Cris, botaniste allemand souhaitait rédiger
les Attikameks, les Inuits ainsi que une flore canadienne grâce aux plan-
les Malécites. tes récoltées par Lewis et Clark lors
de leur fameuse expédition, que le
Onze contes captivants, agrémentés plus grand peintre naturaliste de son
d’illustrations d’Émily Bélanger, époque, James Audubon, étudiait
racontent autant de nations amé- les oiseaux et les végétaux dans la
rindiennes, dévoilant leur histoire, région de Natashquan, que trois
leur culture. En abordant une série prêtres canadiens-français devinrent
de thèmes fort variés, Contes et mys- célèbres : l’un pour son ouvrage sur
tères de la forêt nous entraîne dans un la flore canadienne, un autre pour sa
voyage imaginaire aux descriptions carrière de professeur de botanique
presque sensorielles. L’œuvre nous à la nouvelle Université Laval et le
présente aussi des informations per- troisième pour son remède popu-
tinentes sur la situation actuelle et laire gratuit à base de plantes.
sur les principales caractéristiques
différentes pour chacune des nations. L’ouvrage présente 29 histoires
personnalisées mettant en scène des
Dans ces 168 pages, le lecteur personnages fascinants qui nous
apprend que manger du chien est guident dans la découverte de plantes
excellent, que l’adoption peut chan- aux usages multiples et étonnants. Un
ger profondément une personne, que index imposant et de somptueuses
l’aide ne se trouve pas toujours là où illustrations complètent les riches
l’on pense, que la paix a son prix, que informations scientifiques, culturelles
l’apprentissage débute au plus jeune et historiques souvent méconnues
âge, que les rêves sont importants et de ce remarquable essai d’histoire,
que la mort devrait être traitée avec véritable trésor documentaire.
respect. Un livre à découvrir! Par Jeannine Ouellet
Par Jeannine Ouellet

36 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


HISTOIRE DE LIRE

par Anne-Marie Charuest, membre du C.A. FHQ, et Jeannine Ouellet, gouverneure de la FHQ

LA VIE LIBERTINE EN LA PÊCHE À LA MORUE


NOUVELLE-FRANCE EN NOUVELLE-FRANCE
AU XVIIe SIÈCLE La seconde parade – 1939-1969
Robert-Lionel Séguin, préface de Mario Mimeault
Denis Vaugeois Éditions du Septentrion, 2017
Éditions du Septentrion, 2017
Même si la traite des fourrures pra-
« Prudes s’abstenir! » dit Denis tiquée pendant la période de la
Vaugeois. Était-ce une prémonition Nouvelle-France a monopolisé toute
aux événements de l’automne 2017 l’attention de la plupart des histo-
alors que les faits et gestes d’hommes riens, les auteurs de Canada-Québec
trop entreprenants font la man- ont placé la morue sur le même pied
chette des journaux et la désappro- que le castor, le saviez-vous? Oui,
bation de millions d’êtres humains, le rôle de la morue est « plus qu’un
surtout Américains, Canadiens et symbole » pour l’alimentation des
Européens? Vous l’aurez compris, peuples, particulièrement ceux de
cet ouvrage lève le voile sur le tabou l’ouest de l’Europe. Déjà Champlain
qu’était la sexualité au XVIIe siècle en et Talon croyaient que les pêches
divulguant de croustillantes anec- pouvaient rapporter annuellement
dotes et de surprenantes révélations des millions de livres sonnantes à la
sur la vie libertine de nos ancêtres. France. « La pêche à la morue gérée
par les gens de la Nouvelle-France
Prolifique auteur des années 1955 à était plus qu’une activité d’appoint,
1972, Robert-Lionel Séguin a abordé mais bien une industrie en émer-
des thèmes variés de la vie tradi- gence », préfacera Denis Vaugeois.
tionnelle de l’habitant. Il en a étonné
plus d’un au moment de la parution, Grâce à l’essai de Mario Mimeault,
en 1972, de La Vie libertine en Nou- les pêcheurs autochtones et euroca-
velle-France au XVIIe siècle en voulant nadiens qui ont œuvré le long de
sortir nos ancêtres de la légende. la côte atlantique et du golfe du
« Ils aimaient s’amuser, faire bonne Saint-Laurent à l’époque coloniale
chère. Ils levaient aussi allègrement trouvent enfin leur place dans
le coude que le cotillon », avait-il l’histoire. Sa synthèse s’appuie sur
commenté en recevant le prix une étude approfondie des prin-
Duvernay. cipaux lieux d’exploitation de la
pêche à la morue : le Mont-Louis,
Cette nouvelle édition allégée le Labrador, le Pabos, la Grande-
(une version numérique complète Rivière, la côte de Gaspé et la baie
peut être consultée à www.sep- des Chaleurs.
tentrion.qc.ca) de 544 pages pré-
sente des transcriptions en français Le titanesque ouvrage de près
moderne et de surprenantes gra- de 450 pages comporte croquis,
vures de Jean-Honoré Fragonard. tableaux, illustrations, cartes ainsi
Un généreux index révèle les noms qu’un index très élaboré et une vaste
de 2 200 individus du XVIIe siècle et bibliographie contenant à la fois des
s’offre comme outil essentiel pour sources canadiennes (BAC), québé-
les chercheurs et les généalogistes coises (BAnQ), néo-brunswickoises,
qui trouveront dans ces textes une anglaises, françaises et américaines.
source première de précieux rensei- Par Jeannine Ouellet
gnements.
Par Jeannine Ouellet

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 37


HONORÉ BEAUGRAND. DENIS-BENJAMEN VIGER
La plume et l’épée. 1848-1906 Un patriote face au Canada-Uni
Jean-Philippe Warren Martin Lavallée
Boréal, 2015 VLB Éditeur, 2017

Que voici une volumineuse biogra- Quel exercice éclairant sur cet homme
phie d’un homme au caractère coloré, malmené par l’histoire politique du
qui savait défoncer les barrières XIXe siècle! Martin Lavallée y a con-
au profit des nombreuses causes sacré son mémoire de maîtrise, éplu-
auxquelles il croyait. Jean-Philippe chant les archives, les journaux de
Warren a eu la lourde tâche (et le l’époque, mais également ce qu’en
mérite) d’assembler les morceaux du ont écrit les historiens au cours des
casse-tête si particulier que constitue décennies.
la carrière d’Honoré Beaugrand,
car il n’a laissé que peu de traces L’exercice, nécessairement chrono-
manuscrites. Warren en profite donc logique, nous permet de comprendre
pour nous contextualiser le quotidien l’évolution de la pensée intellectuelle
de Beaugrand, en nous racontant de cet homme politique, élu député
le XIXe siècle. Cela nous permet de dès 1808. À travers les événements
saisir comment certains événements bouleversants du mouvement
ont contribué à faire avancer sa car- patriote, de la création de l’Union
rière. Grand voyageur, aimant le et de la montée du groupe des
beau et la bonne société, il ne cache réformistes, on comprend que Viger
pas sa réticence face au clergé. Son est un homme réfléchi, mais parfois
mandat à la mairie de Montréal est naïf face aux tractations politiques,
marqué par l’épidémie de variole des deux côtés de l’Atlantique. Il
et Beaugrand, lui-même souffrant vivra de nombreuses désillusions et
d’asthme chronique, sera parfois malheureusement pour lui, se fera
obligé de s’absenter de la place « subtiliser » un des concepts poli-
publique. À titre de propriétaire du tiques auquel il a consacré plusieurs
journal La Patrie, il est le premier heures de recherches et de nombreux
à engager une femme journaliste articles dans le journal L’Aurore des
francophone, Robertine Barry alias Canadas : sa doctrine de la double
Françoise, en 1892. Finalement, la majorité. Ses relations difficiles
parution de son livre de contes cons- avec Louis-Hippolyte LaFontaine
titue le plus beau cadeau que s’offre et les réformistes nous ramènent
Honoré Beaugrand, à titre d’éditeur à de similaires déchirements dans
et de bibliophile : La Chasse-Galerie l’actualité politique actuelle. Lavallée
and Other Canadian Stories est un l’écrit avec justesse : « Viger est
exemple de beau-livre par sa couver- davantage l’aristocrate, l’éminence grise,
ture riche, ses illustrations remarqua- le penseur politique et constitutionnel
bles et même les armoiries de l’auteur […]. Il n’est pas celui qui harangue les
en page titre. Mission accomplie, une foules et mène les troupes. » (p. 119).
fois de plus, à Jean-Philippe Warren, On ne peut que féliciter l’auteur de
qui a su attirer notre attention sur un nous contextualiser l’homme face
homme fort remarquable. aux événements politiques difficiles
Par Anne-Marie Charuest qui ont marqué sa carrière politique
Par Anne-Marie Charuest

38 HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4


HISTOIRE DE LIRE (suite)

MARGUERITE-MICHEL À L’ORÉE DE LA VIE


La cloche de la liberté du Yvan Morier
Québec et du Canada collaboration d’Alain Asselin
Onil Perrier Éditions La Soleillée, 2016
Éditions Histoire Québec
Collection Société d’histoire Mon regard fut attiré par ce petit
des Riches-Lieux, 2017 bouquin d’à peine plus de 120 pages,
grâce à la photographie de couver-
Une fois de plus, la cloche ture nous présentant deux magni-
Marguerite-Michel de l’église Saint- fiques ormes bordant une route de
Denis aura su rassembler les gens. campagne. Cette image d’un passé
Le projet de publication d’un hom- pas si lointain nous invite à suivre
mage à cet objet patrimonial a réuni le chemin de l’enfance de l’auteur
les bénévoles de la Société d’histoire qui, de façon simple et poétique,
des Riches-Lieux et de la Fabrique nous raconte de multiples anec-
Saint-Denis, qui ont pu bénéfi- dotes de la vie à la campagne au
cier de l’expertise de l’équipe de la début du 20e siècle à Saint-Mathias-
Maison nationale des Patriotes. La sur-Richelieu. Chaque petit chapi-
brochure de 23 pages nous résume tre est comme un tableau vivant,
la petite et grande histoire du vil- où l’auteur nous entraîne dans ses
lage de Saint-Denis-sur-Richelieu, souvenirs. Quelques photographies
qui s’est déroulée sous le « regard » accompagnent parfois les textes et
de cette cloche deux fois centenaire. contribuent à mettre en valeur les
Témoin du quotidien des Dyonisiens archives personnelles de la famille
et Dyonisiennes, elle fut également Morier. Le talent de conteur d’Yvan
celle qui avertit la population, le Morier nous rend les événements
23 novembre 1837, de l’imminence somme toute très agréables et on
d’une bataille qui passera à l’his- s’imagine être assis sur la galerie
toire. L’exercice littéraire permet extérieure pendant que celui-ci nous
aussi d’expliquer les rites religieux raconte ses aventures, à l’ombre d’un
et leur évolution (ou disparition) au grand lilas planté près de la maison.
cours des siècles. Petit détail intéres- Par Anne-Marie Charuest
sant : la couverture arrière comporte
un court résumé en anglais de l’his-
toire de la cloche et de la bataille de
Saint-Denis, permettant aux touristes
de mieux comprendre comment le
mouvement patriote fut intimement
lié à l’évolution de la démocratisa-
tion des peuples dans le monde.
Par Anne-Marie Charuest

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 39


HISTOIRE DE LIRE (suite)

LES ÉLITES ET LE BICULTURALISME PROMENADE DANS LE PASSÉ


Québec-Canada-Belgique DE MONTRÉAL
XIXe - XXe siècles Dinu Bumbaru et Laurent Turcot
Sous la direction d’Alex Tremblay Éditions La Presse, 2017
Lamarche et Serge Jaumain
Septentrion, 2017 Foi d’archiviste ayant déjà traité le
fonds d’archives d’un photographe-
La Belgique et le Québec partagent journaliste oeuvrant pour un hebdo-
plusieurs similitudes culturelles madaire commercial, je peux vous
depuis le XIXe siècle. Déjà, en 1830, affirmer que les trésors visuels de ces
Denis-Benjamin Viger s’était penché artistes sont d’une valeur historique
sur ce sujet. Sous l’impulsion des renversante. C’est ce que notre colla-
études doctorales d’Alex Tremblay borateur au comité du patrimoine
Lamarche sur le biculturalisme, Dinu Bumbaru et l’historien Laurent
une dizaine de chercheurs et pro- Turcot ont découvert lorsqu’ils ont
fesseurs ont contribué à analyser fouillé dans les archives photogra-
différents aspects des luttes cultu- phies du quotidien La Presse. Parmi
relles des populations belges et les milliers de clichés, ils ont dû éta-
canadiennes-françaises pour la pro- blir des thématiques afin de trouver
tection de leurs langues et leurs reli- la trame narrative de ce projet. Cela
gions. Chaque chapitre traite le sujet permet d’y voir plusieurs images iné-
à la lueur des travaux des auteurs, dites du quotidien des Montréalais, à
tels Bryan Young qui nous relate travers les rues, les saisons, les diver-
le cas particulier de Jean-Joseph tissements et les sports. Comment ne
Taschereau; Matteo Sanfilippo qui pas être impressionné par les clichés
décortique comment les prises de témoignant de l’évolution de cette
position du Saint-Siège ont eu des grande ville à travers les multiples
conséquences négatives pour la démolitions et reconstructions qui
population francophone du Canada; ont marqué non pas seulement les
Catherine Hinault qui nous dresse années 1960, mais tout le 20e siècle!
un portrait du cas particulier des Chaque chapitre est sommairement
franco-protestants en Montérégie au présenté par les deux collabora-
XIXe siècle; et Dave Guénette qui nous teurs, ce qui contribue à une mise
présente une intéressante analyse sur en contexte nécessaire car, on le sait
la comparaison entre les élites belges bien : une photo vaut mille mots,
et canadiennes. Ce dernier conclut mais la mémoire est une faculté
d’ailleurs que les élites politiques qui oublie.
canadiennes auraient avantage Par Anne-Marie Charuest
à s’inspirer des élites belges, qui
semblent avoir trouvé un meil-
leur équilibre d’influence mutuelle
(p. 221). Certains textes peuvent
paraître moins faciles d’accès, mais
l’ensemble contribue à faire avancer
la réflexion sur l’historicité du bicul-
turalisme, autant dans les « vieux
pays » que dans les nouveaux.
Par Anne-Marie Charuest

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L’HISTOIRE EN IMAGES

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 4 41


L’HISTOIRE SUR INTERNET
Le Musée canadien de l’histoire
par François Gloutnay, journaliste et chroniqueur Web auprès de plusieurs médias,
membre de la Société d’histoire de la seigneurie de Chambly.

On l’a longtemps connu sous le nom de Musée canadien La section des expositions en ligne mérite un détour et
des civilisations. D’autres, plus âgés, se souviennent surtout une longue visite. On y trouve près d’une centaine
qu’il fut aussi nommé le Musée national de l’Homme. d’expositions aux titres les plus variés. Cela va de l’his-
C’est en décembre 2013 qu’on attribue le vocable de toire du golf à l’évolution des coiffes des infirmières, des
Musée canadien de l’histoire à cette institution muséale boîtes à cigares à l’histoire du vote au Canada.
qui serait aujourd’hui la plus visitée au pays.
Une de ces expositions est particulièrement réussie et
Le site Web de ce musée sera d’abord utile pour ceux et devrait servir d’exemple aux amoureux de l’histoire
celles qui souhaitent parcourir ses étages et s’y retrouver locale et régionale. Son sujet est celui d’un illustre
parmi les expositions temporaires et permanentes qui inconnu, un immigrant danois nommé Christian
y sont offertes. Quelque 25 000 mètres carrés d’aire Bennedsen. Voilà que cet homme, décédé en 2002, a
d’exposition, ce n’est quand même pas un espace que envoyé ou a reçu, durant son demi-siècle au Canada,
l’on visite à la hâte. plus de 900 articles de correspondance, et a accumulé
quelque 3000 photographies et bien des documents
Quant aux visiteurs virtuels, ceux et celles qui ne qui racontent les bonheurs qu’il a vécus mais aussi les
peuvent se rendre rue Laurier, à Gatineau, ils n’ont pas épreuves qu’il a affrontées.
été oubliés par les responsables des pages muséales.
«Il conserva tout», indiquent les responsables de cette
Sachez d’abord que 218 000 artéfacts de la collection exposition virtuelle qui ont recréé à l’écran, la trame
du musée sont accessibles en ligne (voir la section de sa vie. Une vie si passionnante qu’elle mérite d’être
collections). Si vous n’avez que quelques minutes au musée!
devant vous, n’allez surtout pas inscrire un lieu ou un
thème dans le moteur de recherche. L’adresse : www.museedelhistoire.ca

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