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Sido

En 1930, l’écrivaine française Colette publie un recueil de souvenirs d’enfance


qu’elle intitule Sido, du surnom de sa mère Sidonie. Elle y raconte avec humour et
poésie des épisodes de l’enfance heureuse qu’elle a passé dans un petit village de
l’Yonne, son amour de la nature et son rapport, admiratif et fasciné, à sa mère. Nous
nous demandons comment s’exprime la fascination de la jeune Colette pour la figure
maternelle et quel portrait nous en fait t’elle.Nous verrons dans un premier temps, du
début de l’extrait jusqu’à « des gants très chers » que Colette peint la femme
curieuse, exaltée, fantasque et généreuse qu’était sa mère. Puis dans un second temps,
nous montrerons que de «surtout elle nous rapportait » à « jusqu’à l’effusion » Sido
apparaît en mère adorée, attendu, coeur palpitant de cette famille et source d’un éveil
sensuel chez sa fille. Enfin, nous montrerons qu’à partir « d’un geste, d’un regard »
Sido franchit encore u n degré dans l’estime de sa fille, qui la voit comme une fée.

Nous sommes ici dans les premières pages de l’œuvre. Colette nous a présenté sa
mère comme une provinciale amoureuse de sa campagne. Elle se souvient alors des
moments ou «Sido» rentrait de ses excursions parisiennes.

I – Sido ou l’exaltation
De paris, Colette ne perçoit que ce qu’en rapporte et dit sa mère. Ainsi, à son retour,
c’est un déballage enthousiaste de cadeau qui témoignent de son caractère, de ses
activités et de ses intérêts. Sido a fait le pleins de produit que l’ont ne trouve pas en
province. Les friandises «chocolat en barre», «denrées exotique» ont été achetées en
quantité, comme l’indique l’expression «lourde de».
Les «étoffes en coupon» appesantissent aussi les bagages et signalent son besoin
d’élégance, son attrait pour les étoffes à la mode de Paris. La locution adverbiale
«mais surtout» attire cependant notre attention sur les « programmes de spectacles» et
l'«essence à la violette»: Sido est une femme raffinée, cultivée, possédant un certain
goût du luxe et une certaine sensualité.
Après cette énumération, la phrase rebondit et nous fait entendre la voix de Sido, qui
raconte, exaltée, son séjour: «et elle commençait de nous peindre Paris dont tous les
attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle ne dédaignait rien».
L'antithèse entre l'adjectif «tous», auquel répond le pronom «rien», témoigne de la
curiosité de Sido, femme virevoltante, qui veut tout voir.
Le passage suivant détaille, en une nouvelle énumération, la variété de ses activités
parisiennes, condensées «en une semaine»: aucune des nouveautés culturelles et
commerciales de la capitale ne lui échappe, ni les curiosités archéologiques (" elle
avait visité la momie exhumée, le musée agrandi»), ni «le nouveau magasin», ni les
étoiles de la scène musicale («entendu le ténor»), ni les manifestations intellectuelles
(«et la conférence sur la Musique birmane»).
L'allitération en \ m \ restitue le mouvement virevoltant de Sido: «En une semaine,
elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin, entendu le
ténor et la conférence sur la Musique Birmane.« L'énumération se contente de
désigner «la momie», «le nouveau magasin»,
«le ténor» avec un simple article défini, sans noms précis, comme si on entendait les
expressions mêmes de Sido. Mais les articles définis permettent aussi d'inscrire, avec
une pointe d'humour, ces récits dans l'habitude et la répétition: à chaque retour de
Paris, c'est un nouveau magasin qu'elle a vu, un nouveau ténor, une nouvelle
conférence qu'elle a entendus.Son goût pour la mode et le luxe sont une dernière fois
évoqués dans une énumération : « un nouveau manteau, des bas d'usage, des gants
très chers.«Cette énumération suggère également ses limites financières ou la
modérationde Sido: si elle peut s'offrir «des gants très chers», le manteau, lui, est
qualifié de «modeste» et les «bas d'usage» semblent ordinaires. De même, elle n'a
rapporté que des «étoffes en coupons», c'est-àdire des échantillons. Mais, comme le
souligne ensuite Colette, ce qui importe, dans ce retour, n'est pas matériel...
II - Sido, la mère adorée et l'éveil de la sensualité
De « Surtout elle nous rapportait son regard gris » à « jusqu'à l'effusion"L'adverbe
«surtout» détourne en effet notre attention des cadeaux rapportés par Sido, auxquels
la narratrice n'accorde finalement que peu d'importance. C'est le retour de la mère
adorée qui compte: «Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint
vermeils, deux trésors dont la maisonnée ne saurait se passer. Ce regard protecteur se
pose avec bienveillance sur toute chose. La couleur de son teint «que la fatigue
rougissait» fait ressortir la vivacité et la gaieté du caractère de Sido: sans eux, la vie
semble s'éteindre dans la maison. La métaphore des «ailes battantes» assimile
d'ailleurs Sido à un oiseau revenu à tire d'ailes au nid, consciente de son rôle capital
pour sa famille: «inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait la chaleur et le goût de
vivre». Sido est donc le véritable cœur de cette famille. La narratrice, enfin, en vient
au parfum du manteau de Sido. Elle confie au lecteur un secret d'enfance, jamais
avoué à sa propre mère: «Elle n'a jamais su que».La précision temporelle «à chaque
retour» suggère que Colette attendait cet instant pour s'enivrer de ce parfum, sans
doute respiré en cachette. Sensuelle et douce, la «pelisse en ventre-de-gris», manteau
de fourrure, est «pénétrée d'un parfum châtain clair»: une synesthésie associe couleur
et senteur, évoque un parfum chaleureux et une chevelure féminine «châtain clair».
La féminité et la pureté de cette présence sont confirmées par les adjectifs «féminin,
chaste»: ce parfum, celui du corps même de Sido, recèle en quelque sorte l'essence
même de cette femme. «Éloigné des basses séductions axillaires», il se distingue par
sa grande délicatesse, loin de toute vulgarité. Enfin, l'émotion intense qu'en ressent la
narratrice, qui la mène jusqu'à l'indicible («m'ôtait la parole jusqu'à l'effusion»),
témoigne également de l'intense sensualité qui habite l'enfant.

III - Sido, fée de la maison


Sido, âme de la maison, en est aussi la divinité: «d'un geste, d'un regard elle reprenait
tout». L'antithèse entre l'article indéfini singulier « un» et l'adverbe « tout» suggère la
toute puissance de cette mère-déesse à qui tout appartient.À nouveau, elle suscite
l'admiration de sa fille qui transparaît dans l'exclamation: «Quelle promptitude de
main!". Cette «promptitude» s'illustre dans une énumération d'actions: « elle
coupait", «déchaînait", «repliait avec soin». Sido agit comme une fée: en trois verbes,
le déballage, une sorte de libération magique des objets.
L'action de couper les «bolducs», le verbe «déchaînait» semblent le montrer avec
humour, et le rangement («avec soin») sont accomplis. Le détail de l'odeur des
«papiers noirs goudronnés qui sentaient le catafalque» nous ramène à nouveau à la
sensualité de l'enfant, pour qui ce retour de Paris est surtout un régal pour l'odorat.
C'est ensuite l'inspection discrète et efficace de la maisonnée, traduite par une
nouvelle énumération de verbes à l'imparfait : " Elle parlait, appelait la chatte,
observait (...) touchait et flairait mes longues tresse…" Paradoxalement, Sido n'utilise
la parole que pour appeler l'animal, en femme proche des bêtes: «elle parlait, appelait
la chatte». Mais pour les êtres humains, elle se sert de ses sens, vue, toucher, flaire, en
femme qui comprend et sent immédiatement, les choses sans recourir aux mots : elle
«observait à la dérobée mon père amaigri»; elle «touchait et flairait mes longues
tresses pour s'assurer que j'avais brossé mes cheveux...».Sido exerce une surveillance
très rigoureuse mais tout en bienveillance dans sa maison; rien ne lui échappe. Le
passage se clôt sur une anecdote. L'expression «une fois» et les verbes au passé
simple («elle s'aperçut», «s'enroula», «je frissonnai, et crus)) signalent le caractère
unique de ce souvenir, et tranchent avec les imparfaits d'habitude. Sido, tout en
défaisant les paquets («elle dénouait un cordon d'or sifflants), a également l'œil sur
les plantes, ici le géranium dont une branche est cassée: «un rameau pendant, rompu,
vivant encore». L'imagination de l'enfant est alors frappée par le bond du ruban sur la
plante: «la ficelle d'or à peine déroulée s'enroula vingt fois autour du rameau rebouté,
étayé d'une petite éclisse de carton."
«La ficelle d'or» semble animée d'une volonté propre puisqu'elle est sujet du verbe
d'action «s'enroula», comme si elle agissait par magie. Les points de suspension
marquent la surprise de l'enfant, son regard émerveillé devant ce ruban qui, sous les
doigts de sa mère, porte secours au géranium. Colette analyse ce sentiment: «Je
frissonnai, et crus frémir de jalousie», une jalousie pour cette plante ornée d'un ruban
d'or et objet du soin maternel. La répétition des fricatives « fr » et l'assonance en {i}
restitue le tressaillement de l'enfant.Mais la narratrice corrige son analyse : «il
s'agissait seulement d'une résonance poétique, éveillée par la magie du secours
efficace scellé d'or...». Le champ lexical du conte («poétique», « magie», «secours»,
«scellé d'or») dépeint Sido en fée secourable sous les doigts de laquelle tout prend
vie.

Le portrait de Sido, conclusion


L'extrait analysé correspond au premier portrait, admiratif et amoureux, que Colette
fait de sa mère.
Elle nous la montre à la fois cultivée, curieuse, élégante, exaltée comme une jeune
femme, mais aussi profondément maternelle, mature et puissante par sa bienveillance
et son sens de l'observation, sa diligence et ses aptitudes en toutes choses. Cœur de la
famille, capable de tout comprendre sans parler, d'observer et de sentir les choses, la
fée «Sido» ne laisse ni les humains, ni les animaux, ni les plantes hors de sa
sollicitude, et les objets semblent même lui obéir.
Mais au-delà de ce portrait, se dessine la personnalité de la jeune Colette, elle aussi
curieuse, contemplative, attentive à tout, et en qui sommeille une profonde sensualité.

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