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Le dernier feu

Devenue symbole de l'indépendance de la femme et de l'artiste au XXème siècle,


Colette devint une écrivaine marquante dans le paysage littéraire français, allant
même jusqu'à être élue à l'Académie Goncourt. En 1908, soit au début de sa carrière,
elle publie Les Vrilles de la vigne, recueil de vingt nouvelles aux styles et aux thèmes
variés : dialogues de bêtes, tableaux d'une nature enchanteresse, méditations sur
l'amour, réflexions sur le temps qui passe. «Le dernier feu», texte aux fondements
autobiographiques, est dédié à un certain M... , qui n'est autre que Missy, femme avec
qui elle a entretenu une relation amoureuse après sa séparation avec son mari Willy,
son premier mari. Nous pouvons nous demander en quoi l'évocation des violettes
permet-elle à Colette de faire revivre des souvenirs d'enfance et de célébrer la nature
et la complicité amoureuse?
Dans un premier temps, de «Et les violettes elles-mêmes» à «les printemps de ton
enfance«, Colette partage une complicité avec son amie face à l'éclosion des violettes.
Dans un deuxième temps, de «Plus mauves... » à « les petites bergères des fermes
environnantes...", les violettes font naître des réminiscences autobiographiques. Dans
un troisième temps, de «Violettes à courte tige» à «la palpitation de vos petits visages
innombrables m'enivre.." , la narratrice célèbre avec lyrisme les violettes. - Une
complicité partagée face à la nature
De " Et les violettes elles-mêmes " à « les printemps de ton enfance»
L'adresse constante à un destinataire tutoyé et les multiples interrogations ("les
reconnais-tu ?», « ne sont-elles pas ?», « ne te souviens-tu pas ?») font de ce premier
mouvement un faux dialogue.
Le tiret ou les points de suspension suggèrent les réponses ou les silences du
destinataire mais seule la narratrice s'exprime.
D'emblée, Colette s'enthousiasme face à l'éclosion des violettes. Le tableau est dressé
grâce aux compléments circonstanciels de manière, "par magie», de lieu, " dans
l'herbe», et de temps, " cette nuit» et un peu plus loin « ce printemps-ci».
La complicité entre les deux personnages est palpable comme le soulignent les deux
propositions coordonnées «Tu te penches, et comme moi tu t'étonnes».
La comparaison « comme moi«, les verbes pronominaux qui redoublent le pronom de
la deuxième personne, et l'allitération en «{t} » donne l'impression que les deux
amies se répondent en miroir.
Les deux personnages s'extasient devant l'intensité des couleurs dont le champ lexical
est omniprésent : «bleues», « obscures», " mauve azuré», «vert de l'herbe», «
mordorée».
L’euphorie de la narratrice face à la beauté des fleurs et la vivacité de ce soliloque
transparaissent dans la ponctuation expressive.
Les deux personnages comparent la couleur des violettes selon la saison actuelle ou
passée, ce qui conduit à des désaccords amicaux : «Non, non, tu te trompes, l'an
dernier je les ai vues moins obscures», ou un peu plus loin « plus mauves... non, plus
bleues». Grammaticalement, ces comparatifs d'infériorité et de supériorité soulignent
le jeu auquel les deux personnages se livrent. La complicité qui les lie est indéniable.
Parallèlement à la description des fleurs, c'est bien le portrait d'une femme aimée qui
se dessine: «Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire grave, le vert de l'herbe neuve
décolore l'eau mordorée de ton regard... » Dans cette phrase complexe, l'asyndète (=
absence de mots de liaisons) souligne l'émotion de la narratrice et la fluidité le leurs
rapports.
Colette a besoin de la nature pour décrire le regard de la femme aimée, comme le
soulignent les métaphores naturelles: «le vert le l'herbe neuve décolore l'eau
mordorée de ton regard... »
Les nombreux verbes à l'impératif présent («cesse», « porte», regarde» répété à deux
reprises) constituent une invitation à respirer « le parfum invariable de ces violettes
changeantes».
Une synesthésie opère alors puisque des sens différents se répondent. Ainsi, l'odorat,
à travers le parfum des violettes, fait apparaître une vision («regarde» répété deux
fois), qui n'est pas sans rappeler le processus de la mémoire involontaire (lorsqu'un
parfum ou un goût réveille des souvenirs).
La narratrice construit ainsi un pont entre la contemplation actuelle des violettes et le
passé : il ne s'agit pas simplement de regarder une saison mais de voir « ressusciter et
grandir [...] les printemps de [son]enfance». C'est donc le passé qui ressurgit.
La scène devient donc un « philtre qui abolit les années», faisant renaître souvenirs
et émotions de l'enfance.
Dans ce premier mouvement, la profusion des adjectifs épithètes rend compte d'une
nature luxuriante et du bonheur ressenti par la narratrice : la vue, l'odorat sont
convoqués pour sublimer les violettes.
II - Des réminiscences autobiographiques vivantes
Ces violettes ne sont donc pas de simples fleurs à contempler, à l'intensité variable
(«Plus mauves... non, plus bleues... »). Elles constituent une porte d'entrée aux
souvenirs de l'enfance.
Le verbe «je revois», répété à deux reprises, insiste sur le caractère visuel de ce
souvenir, qui se présente comme une image.
À chaque fois, le verbe «je revois» est suivi d'un très long complément d'objet, ce qui
souligne la puissance du sens qui permet de faire surgir les souvenirs dans leurs
moindres détails. D'abord, le premier complément d'objet concerne une énumération
de détails offerts par la nature, qui passe des paysages arborés aux évocations de l'eau
puis des fleurs printanières.
Presque chaque élément se voit attribuer une expansion du nom plus ou moins
longue, comme pour mieux saisir la beauté des paysages et des souvenirs. En effet,
cela va de l'épithète (" ruisseaux froids», " jeannettes jaunes ») à la proposition
subordonnée relative («que la première poussée des bourgeons embrume d'un vert
insaisissable»), en passant par le complément du nom («de Pâques», «au coeur
safrané»).
Le tiret et les points de suspension semblent mimer le surgissement des souvenirs, qui
continuent d'apparaître par bribes.
L'énumération s'achève sur la mention en rythme ternaire des violettes qui souligne la
passion intacte de la narratrice pour cette fleur : « et des violettes, des violettes, des
violettes..." . Ensuite, le second complément d'objet s'attache à faire renaître des
souvenirs autobiographiques : «une enfant», qualifiée tour à tour de «silencieuse» et
de « prisonnière», deux adjectifs dont la connotation peut être perçue de façon
péjorative.
L'emploi de la troisième personne du singulier permet de mettre à distance des
émotions trop vives.
Mais d'emblée, le lecteur comprend que cette passion pour le printemps date de
l'enfance et mêle des émotions contradictoires : les oxymores « bonheur sauvage» et
«triste et mystérieuse joie» le suggèrent.
Les violettes restent le fil directeur qui relie le présent au passé : Colette se souvient
d'avoir fait du troc pour obtenir «les premiers bouquets de violettes des bois, noués
d'un fil de coton rouge, rapportés par les petites bergères des fermes environnantes...
». La précision des détails souligne combien ce souvenir est prégnant, encore au
moment de l'écriture. Respirer « le parfum invariable de ces violettes changeantes».
Une synesthésie opère alors puisque des sens différents se répondent. Ainsi, l'odorat,
à travers le parfum des violettes, fait apparaître une vision («regarde» répété deux
fois), qui n'est pas sans rappeler le processus de la mémoire involontaire (lorsqu'un
Parfum ou un goût réveille des souvenirs).
La narratrice construit ainsi un pont entre la contemplation actuelle des violettes et le
passé : il ne s'agit pas simplement de regarder une saison mais de voir « ressusciter et
grandir [...] les Printemps de [son]enfance». C'est donc le passé qui ressurgit.
La scène devient donc un « philtre qui abolit les années», faisant renaître souvenirs et
émotions de l'enfance.
Dans ce premier mouvement, la profusion des adjectifs épithètes rend compte d'une
nature luxuriante et du bonheur ressenti par la narratrice : la vue, l'odorat sont
convoqués pour La narratrice révèle leur force, qui transparaît dans les verbes
d'action de ces fleurs qui s'élèvent ("vous montez», « vous treillagez») et leurs
fragilité en raison de leur petitesse («petits visage«) et de la subtilité du mouvement
qui les anime (« palpitation»).
Le dernier verbe («m'enivre») et les points de suspension sont révélateurs : la
contemplation des violettes correspond à un Avec humour même, Colette évoque des
« violettes de coucou anémiques et larges».
La profusion des adjectifs qualificatifs mime celle des violettes dans la nature et des
souvenirs qui refont surface.
Le verbe disparaît et laisse parfois place à des violettes fleuries trop tôt :
l'énumération « déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées... »
laisse sous-entendre la pitié ressentie par la narratrice.
Mais c'est avec lyrisme qu'elle s'extasie, comme le soulignent l'exclamation « Ô
violettes de mon enfance! » et l'adresse directe aux violettes par le pronom de la
deuxième personne du pluriel : « vous montez», « vous treillagez». Par cette
apostrophe lyrique, les violettes acquièrent le statut d'entités dignes de vénération.
Les violettes sont d'ailleurs personnifiées dans la dernière phrase, avec leurs « petits
visages innombrables».Les violettes, Colette, conclusion
Au terme de cette analyse, nous pouvons conclure que cet extrait marque le lecteur
par sa portée lyrique et autobiographique.
En effet, Colette fait part d'une description enthousiaste face à 'éclosion des violettes,
grâce notamment à un vocabulaire riche.
Sa communion avec la nature est palpable dans tout l'extrait, avec intensité.
Elle livre également des bribes autobiographiques : par exemple, celle de sa
complicité avec Missy, dans un cadre bucolique, ou encore celle de ses souvenirs
d'enfance qui reviennent avec intensité.
La célébration des violettes printanières est donc la porte d'entrée à l'expression de
moments de bonheur et des réminiscences enfantines.

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