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Analyse linéaire n°3 : Colette, Les vrilles de la vigne (“Jour gris”,p.

150-151)

INTRODUCTION :

- Accroche:
- À l'aube du XXe siècle, un siècle de bouleversements artistiques et sociaux, la littérature
française commence à s’étendre et à explorer de manière plus intime et sensorielle le rapport de
l'homme à la nature.

- Auteur:
Colette était une écrivaine française qui se distinguait par sa capacité à fusionner l'homme et la
nature dans ses écrits. Son style narratif est marqué par une liberté et un lyrisme qui reflètent sa
vie personnelle audacieuse. Elle se fait connaître grâce à sa célèbre série de romans “Claudine".

- Oeuvre:
"Les vrilles de la vigne" est un recueil de textes courts de Colette, publié en 1908, qui explore
l'amour, la sensualité et la relation profonde entre l'homme et la nature à travers une prose
poétique riche et évocatrice.« Jour gris » fait partie d’un ensemble de trois textes dédiés à Missy,
son amante. Dans celui-ci Colette est en vacances avec Missy et lors d’une journée au bord de la
mer, elle songe à son pays natal.
Lecture
- Problématique:
En quoi cet extrait est-il une célébration originale du pays natal de Colette?

- Annonce du plan:
- 1er mouvement : De «Et si tu arrivais...» à «écoute bien, car...», l'envoûtement du pays de
l'enfance
- 2eme mouvement : De «Comme te voilà pâle» à « chèvres», Un brusque retour à la réalité.
ANALYSE LINÉAIRE :

I- L’envoûtement du pays de l’enfance

«Et si tu arrivais, un jour d’été... tu m’oublierais... tu t’assoirais»


Le ton du conte et du rêve est utilisé dès le début de l’extrait grâce aux verbes conjugués au
conditionnel, ce qui montre que Colette évoque un souvenir, celui de son pays natal.

«dans mon pays, au fond du jardin que je connais»


L’expression «dans mon pays» laisse imaginer une vaste étendue. Mais ce « pays » se situe
paradoxalement dans l’étroitesse du «fond d’un jardin».
Ici le jardin, pour l’enfant, constitue tout un monde où il construit ses jeux et son imaginaire.

«un jardin noir de verdure et sans fleurs»


Ce «pays» apparaît mystérieux, reculé, plein d’ombres et de végétation.

«dans mon pays» est suivie de «que je connais» , c’est une proposition relative associée au déterminant
possessif «mon», qui signale le caractère très intime du monde intérieur qui va nous être livré au long de
l’extrait.

“Au lointain, une montagne ronde ou les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même
azure mauve et poussiéreux.”
Colette crée ici une hypotypose (description vive et animée) d’un paysage de montagne.
On retrouve une double énumération, d’un côté ces couleurs pastels : « bleuir » , « azur mauve » et de
l’autre celle de la nature avec « une montagne ronde » les « cailloux » et « papillons». Colette ne
cherche pas à idéaliser ce paysage et pourtant, l’évocation se fait poétique.

«tu m’oublierais et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie.
On retrouve ce conditionnel montrant que cette contemplation du paysage montagneux provoque un
envoûtement en deux temps. D’abord une amnésie avec “tu m’oublierais” puis une immobilité qui relève
de l’enchantement magique avec “tu t’assoirais”

«il y a encore, dans mon pays»


Colette entame ici l’énumération des beautés de ce «pays natale».
Cette énumération est signalée par la locution verbale « il y a » associée à l’adverbe « encore » qui
suggère l’abondance. C’est le début d’une féerie.

une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s'étire et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu
Le champ lexical de l’étroitesse avec les termes « étroite comme un berceau » , « s’étire » , « un fil » , «
brouillard ténu » suggère l’intimité de ce lieu.

«une vallée étroite comme un berceau»


La comparaison entre la vallée et le berceau donne à ce pays son caractère originel et fondateur dans la
personnalité de Colette.

un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur l'air humide…
Cette personnification du brouillard à l'aide du rythme ternaire ténu, blanc, vivant confère un aspect
fantomatique à cet élément.
Les points de suspension contribuent à donner à cette description un aspect rêveur et suspendu: Colette
est elle-même envoûtée et parle comme en un songe éveillé.

Animé d'un lent mouvement d'onde, il se fond en lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie,
serpent langoureux, cheval à cou de chimère...
La personnification du brouillard se prolonge, et ses métamorphoses sont ensuite énumérées : « se fait
tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère...».Le «cheval à cou
de chimère»,nous plonge dans l’irrationnel du rêve

Si tu restes trop tard penché vers lui sur l'étroite vallée, à boire l'air glacé qui porte ce brouillard vivant
comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous...
mise en garde qui clôt ce paragraphe, le risque encouru par le spectateur est une ivresse.
La synesthésie «à boire l’air glacé» associe l’air à un liquide qui conduirait le spectateur aux
hallucinations ou aux cauchemars.
La magie qui se dégage de ce paysage est donc envoûtante et angoissante.

Écoute encore, donne tes mains dans les miennes, si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je
connais
Colette relance sa description en soulignant le fait qu’elle parle à Missy avec les deux impératifs
“Écoute” “donne” à la deuxième personne du singulier.
L’adverbe « encore » souligne son désir à se replonger dans ce rêve éveillé.
“dans les miennes”, cette préposition souligne la proximité de missy et colette et la sensualité de cette
scène
Le retour de l’expression du début de l'extrait “de mon pays” et de la subordonnée relative “que je
connais” montre une fois de plus l’amour et le lien entre colette et son pays natal qu’elle chérit et
célèbre.
Cette fois, il ne s’agit plus seulement d’un tableau à contempler, mais d’un paysage dans lequel on peut
entrer et où Colette se fait guide de Missy mais aussi des lecteurs.

petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d'un rose brûlant , tu croirais gravir le sentier
enchanté qui mène hors de la vie...
“de digitales”, les digitales sont des fleurs, le terme digitale vient du latin digitalis lui même dérivé du
terme digitis qui veut dire doigt, Colette va, encore une fois, évoqué les sens et ici en particulier le
toucher.
Les Fleurs et les couleurs vives, absentes des premiers paragraphes de cet extrait, apparaissent. La
synesthésie du toucher et de la vue («rose brûlant») exprime l’intensité de la couleur.

tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie... Le chant bondissant des frelons fourrés
de velours t'y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur,
La subordonnée relative "qui mène hors de la vie" souligne que la beauté de ce paysage paradisiaque
est telle qu’elle mène à la mort.
Les allitérations en « r » et « f » font ici entendre le bourdonnement de l’insecte. On retrouve encore une
fois l'emploie des sens soulignant l’art pour la prose-poétique de colette
Ce paysage n’est pas seulement extérieur : il vit à l’intérieur de la narratrice, puisque les sons de son
propre corps se confondent avec ceux du paysage

jusqu'à la forêt, là-haut, où finit le monde... C'est une forêt ancienne, oubliée des hommes, et toute
pareille au paradis, écoute bien, car…
Ce premier mouvement se termine sur une comparaison entre la nature avec cette forêt ancienne qui
d'après elle serait le paradis après la mort. Colette nous laisse donc penser qu'elle a des croyances
animistes.

DEUXIÈME MOUVEMENT :
II- Un retour à la réalité brusque avec deux personnages d’émotions opposés

Anacoluthe → arrêt en plein milieu de sa phrase (retour brusque)

Comme te voilà pâle et les yeux grands !


La phrase exclamative (citer) et l’adverbe exclamatif “comme” montre la surprise et une émotion forte,
Colette se réveil de son rêve (souvenir) et revient brusquement à la réalité. Les termes “pâle” et “les
yeux grands” montrent que colette ne décrit plus un paysage mais le visage choqué de missy.

Que t'ai-je dit ! Je ne sais plus... je parlais, je parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent...
L’aposiopèse et les points de suspension de cette phrase montrent l’état de détresse dans lequel se
trouve Colette, elle est désemparée et ne sait pas ce qu’elle a fait pour mettre Missy dans cet état. “Que
t'ai-je dit !” Grâce à cette phrase exclamative colette relie les signes de malaise physique de missy avec
ses paroles . Cette phrase est aussi en réalité une interrogation qui montre l'oubli et l’amnésie de colette
car elle était auparavant dans un état second, état de rêve. La répétition “je parlais, je parlais” souligne
un bavardage inconscient. pour oublier la mer et le vent...
est un cc de but, colette montre que ce n’est pas missy mais le jour gris qu’elle veut oublié. “de mon
pays” revient encore deux fois dans ce paragraphe, pour montrer l’attachement de colette à ses origines.

Te voilà pâle, avec des yeux jaloux... Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine...
Répétition de l’expression “te voilà pâle” mais cette fois-ci accompagnée du groupe nominal “tes yeux
grands” se transforment en “tes yeux jaloux”, cet hypallage(personnification ?) montre la jalousie de
missy et introduit le pays natal de colette comme rival à missy dans cette relation amoureuse.
Nous voyons donc l’écart des sentiments ressentis par les deux personnages, colette est perdue,
nostalgique, contrairement à missy qui a l’air remontée et jalouse.

Il faut que je refasse le chemin, il faut qu'une fois encore j'arrache, de mon pays, toutes mes racines qui
saignent…
Colette est toujours dans son pays natal, même éloignée géographiquement.« Il faut que je refasse le
chemin » Cette métaphore du chemin montre combien il est difficile pour elle de faire renaître ses
souvenirs et la nostalgie qu’elle ressent. La répétition du verbe impersonnel « il faut » exprime une
contrainte, colette doit revenir à la réalité.

il faut qu'une fois encore j'arrache, de mon pays, toutes mes racines qui saignent…
Grâce à la métaphore qui compare colette à une plante qu’on déracine, au terme polysémique « racines
»qui évoque les liens familiaux, les origines mais les racines d’un arbre ou d’une plante, colette exprime
combien il est difficile pour elle de quitter son refuge, son pays natal. “qui saignent” est une subordonnée
relative qui souligne la violence de l’arrachement ressentit par colette. Le champ lexical de l’arrachement
“j’arrache”,”mon pays”, “mes racines”, “saignent” suggère que ce retour à la réalité est vécu comme un
exil par l’auteure.
Nous pouvons constater que les longues phrases visibles dans la première partie du texte laissent place
à des phrases courtes, brèves et symbolisent le retour douloureux au réel.

Me voici ! de nouveau je t'appartiens. Je ne voulais qu'oublier le vent et la mer. J'ai parlé en songe…
Grâce à ces exclamations, colette montre son désenchantement et son retour au présent, à la réalité.
La négation restrictive "Je ne voulais qu’oublier le vent et la mer", indique que son seul désir était de fuir
ce jour gris. La phrase "J’ai parlé en songe..." sert à la fois d'excuse et de clarification sur la nature de
ses paroles, soulignant le fait que ses visions n'étaient qu'un rêve enchanté.
Que t'ai-je dit ? Ne le crois pas ! Je t'ai parlé sans doute d'un pays de merveilles, où la saveur de l'air
enivre ?... Ne le crois pas ! N'y va pas : tu le chercherais en vain.
L’enchaînement d’interrogations partielles et de phrases exclamatives (citer) montrent que colette ne
laisse pas le temps à missy de répondre. La répétition de la phrase exclamative “Ne le crois pas !”
montre le fait qu’elle tente de dévaloriser et de démentir ces paroles pour rassurer son amante déjà
remontée. La locution «sans doute» montre qu’elle ne se souvient plus exactement – ou fait mine de ne
plus se souvenir – du paysage qu’elle a décrit. On peut souligner qu’après cette interrogation, la réponse
de missy est remplacée par des points de suspension, en effet, missy ne parle pas de tout l’extrait.
Colette revient donc d'une rêverie et adopte un nouveau point de vue, s'excusant et minimisant ce
moment d'égarement dans la nostalgie. Les propositions juxtaposées “N'y va pas : tu le chercherais en
vain” suggèrent une tentative de la part de colette de protéger son monde secret (ou pour oublier
elle-même des souvenirs qui la rendent nostalgique). La ponctuation excessive laisse paraître un trouble
de la part de colette.
tu le chercherais en vain. Tu ne verrais qu'une campagne un peu triste, qu'assombrissent les forêts, un
village paisible et pauvre, une vallée humide, une montagne bleuâtre et nue, qui ne nourrit pas même les
chèvres…
“tu le chercherais en vain” Tu ne verrais qu'une campagne un peu triste” est un paradoxe car “tu le
chercherais en vain” suggère que ce pays n’existe pas, mais colette confirme son existence grâce à la
négation restrictive “ne verrais qu’une campagne” qui minimise une fois de plus ces propos. Cette
négation restrictive, les adjectifs “triste”, “pauvre”,”humide” et le verbe “assombrissent” ternissent ce
paysage. De plus les éléments énumérés, "village paisible et pauvre" "montagne bleuâtre et nue"
reflètent les visions idéalisées précédentes. qui ne nourrit pas même les chèvres… la négation totale
souligne la pauvreté de ce paysage, incapable de nourrir des chèvres. Mais celui-ci a nourri l’âme de
Colette, qui ne peut s'empêcher de le caractériser de “pays de merveilles” grâce à une périphrase
laudative. Ce dernier paragraphe reprend donc l'idée du voyage au pays natal, mais le présente de
manière inversée, sans l'idéalisation antérieure.
Ce deuxième mouvement est donc un dur retour à la réalité pour colette qui se retrouve confronté à
missy qui ne partage pas son de point de vue au sujet de son pays natal.

Conclusion:

Bilan:
A travers son écriture,Colette réalise une célébration unique de sa terre natale. Elle transforme
habilement les caractéristiques brutes de ce paysage en éléments empreints de merveille. Par la magie
de ses mots, elle capte et magnifie chaque détail de beauté de son environnement natal, qu'il s'agisse
des nuances d'un paysage, de la brume humide ou même des frelons. Cependant, Colette est
pleinement consciente que cette glorification de son pays natal n'est qu'une forme d'embellissement,
rendue possible uniquement grâce à l'enchantement de la littérature et que la réalité n’est pas si
enchantée qu’elle n’aimerait le croire.

Ouverture:
Après avoir étudié cet extrait, on pourrait s'intéresser à comment Colette développe le thème de la
nature dans ses œuvres ultérieures, notamment dans "La Naissance du Jour" publié en 1928, révélant
ainsi son évolution artistique et personnelle.

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