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Un chant dans une nuit sans air…

– La lune plaque en métal clair


Les découpures du vert sombre.

… Un chant ; comme un écho, tout vif


Enterré, là, sous le massif…
– Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…

– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,


Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… – Horreur ! –

… Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?


Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
.....................
Bonsoir – ce crapaud-là c’est moi.

Ce soir, 20 Juillet.

Les Amours jaunes, Tristan CORBIERE, 1873.

Dans « le Crapaud », Corbière construit une analogie propre à définir le poète, comme le fit avant
lui Baudelaire dans « l'Albatros ».
Nous verrons en quoi l'inversion volontaire est au cœur de ce poème de Corbière.

1.
Une tentative d'évocation poétique

a. Le crapaud est évoqué en premier lieu par « un chant », l'expression est reprise en anaphore
et en polyptote et joue de la répétition, comme le chant du crapaud réitère le même son
inlassable. Cette ouverture du poème insiste sur la touffeur de l'ambiance vespérale et sur la
polysémie de « sans air » qui désigne autant l'atmosphère lourde qu'un chant incomplet les
paroles sans la musique.

b. Le même procédé est repris dans la description de la lune. Le verbe « plaquer » renvoie par
métaphore à l'art de la gravure quand simultanément la lumière recouvre les arbres désignés
par la métonymie qui en valeur leur couleur « découpure du vert sombre ». Le poème tente
l'image noble grâce au motif de la lune, recherche les effets de contraste. Se crée ainsi une
image figée et stéréotypée du paysage poétique.

c. mais le chant n'émane pas de là où l'on pense, l'ensemble est atténué par la comparaison «
comme un écho » ainsi que par les notations spatiales « enterré », « là », « sous le massif », «
dans l'ombre ».

Les deux premiers tercets proposent donc dans une ouverture étonnante de regarder ailleurs.
Cesser de regarder les cieux pour se pencher sur les créatures les plus prosaïques, en
l'occurrence un crapaud.

2.

L'irruption du dialogue

a. La scène se double d'une prise de parole inattendue dans un poème. L'usage des tirets
marque de manière volontaire la présence d'une autre scène : celle d'amoureux 'ton soldat
fidèle » en promenade interpellé par le « chant » du crapaud.

b. Les deux personnages sont d'un avis contraire. On observe alors un jeu d'antithèses dans les
désignations du crapaud. + oxymore

c. deux tonalités s'opposent aussi : celle de la douceur et celle de l'hystérie idiote


3.
L'apologue

a. Le dernier vers, « l'envoi » invite à une relecture du poème,

b. le poète est incompris « ne vois-tu pas son œil de lumière », lumière de l'intelligence et de la
beauté qui est de la même nature que celle de la lune (synesthésie ?)

c. Inadaptation au monde « non il s'en va, froid, sous la pierre »

d. Ainsi, que l'ironie et l'auto-dérision : poète tondu' qui dit à la fois la peau nue du crapaud
tout aussi bien que le fait qu'il se fasse ruiner par sa belle.

« sans ailes » dit avec plus de force encore que ne le faisait Baudelaire, l'absence d'espoir dans
l'idéal, qui ne récolte que des cris d'effroi.

C° : la poésie est donc pour Tristan Corbière le lieu de tous les renversements, à commencer par
celui de la forme, celui de la porosité des genres, celui de l'alchimie du verbe la boue en or, celui
de l'introspection de la lune on finit par élucider le fond de son cœur dans une page de journal
poétisé.

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