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Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,


Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Introduction

Dans « Au lecteur », Baudelaire évoque avec autant de fascination que de dégoût la présence du mal en l’homme.
L’allégorie de l’Ennui qui clôt le poème vient le désigner comme source absolue du mal, trace de la chute originelle.
Le poème, « l’Albatros », deuxième poème du recueil développe ce thème. Nous verrons doc comment à travers la
figure de l’Albatros Baudelaire la difficulté d’être un homme en ce monde.
Etablir le mouvement.

I. L’évocation d’un voyage en mer

Revenir à la phrase minimale ” deux espaces à construire.


a. Le vers 1 semble poser un cadre de récit avec l’accumulation des circonstances « souvent » « pour s’amuser ».
L’adverbe « souvent » donne au présent « prennent » une valeur d’habitude.

b. Il est donc habituel en mer de capturer des albatros.


b. Ce quatrain est consacré à l’Albatros. On peut s’intéresser à l’ensemble des termes renvoyant au GN « des
albatros » Les deux vers suivants sont consacrés aux albatros désignés longuement dans deux vers coupés à
l’hémistiche, dans lesquels s’accumulent les expansions du nom (à relever et à analyser) + précision sur l’espace à
construire en poésie dans lequel la syntaxe concurrence le rythme et qu’il convient de commenter.
Ces deux vers disent l’amplitude du vol de l’albatros et sa majesté et s’oppose en cela au rythme plus rapide du vers
précédent 2/3/2/3. De même, le vers 4, se déploie dans l’étirement. L’ensemble du dispositif rythmique permet de
rendre sensible deux niveaux de perception : celui de l’agitation et de la vie humaine et celui des éléments.

c. La valeur philosophique de cette opposition se confirme dans la liaison « les gouffres amers » qui redouble par la
rime sémantique la rime phonique. En effet, l’amertume de l’eau de mer est évoquée tout en parvenant à redoubler
également la sensation d’immensité que l’hyperbole « gouffre » porte déjà. Par ailleurs, le rapprochement « des
gouffres » et de la finale « pour s’amuser » v 1 n’est pas sans rappeler la question pascalienne du divertissement que
l’homme met en œuvre pour échapper à l’angoisse existentielle. On notera encore que la répétition phonique [g]
contribue à la sensation d’immensité.

Ainsi, la distinction est déjà posée entre deux mondes : à la nature le calme de l’immensité aux hommes l’agitation du
divertissement.

II. Les hommes et l’oiseau

a. Le vers 5 qui s’ouvre sur une notation de temps « à peine » permet d’introduire l’hypotypose, donnant vivacité et
réalisme à la scène évoquée. Peinture est faite de ce que les marins, dans leur ennui, font subir aux albatros.
b. La strophe est construite sur un réseau d’antithèses qui évoque l’impossibilité pour l’albatros de se mettre sur le
même niveau que les hommes. Cela ne lui est naturellement pas possible.
« Rois de l’azur » / « maladroits et honteux »
« Piteusement » / « leurs grandes ailes »
Le croisement en chiasme rend perceptible la démarche claudicante de l’oiseau.
La comparaison finale « comme des avirons traîner à côté d’eux » rend compte d’une posture dans laquelle la
disproportion des ailes en fait un élément encombrant et inapproprié sur le sol, à la différence du ciel de même que
l’aviron est impropre au déplacement sur terre alors qu’il file sur l’eau.
c. Cette différence de nature en fait une victime toute désignée des hommes
Cette fois-ci, l’opposition est horizontale. Et les oppositions fonctionnent en redondance « ce voyageur ailé », « si
beau » / « gauche et veule », « comique et laid » pour aller jusqu’au grotesque « en boitant » et la périphrase
« l’infirme qui volait »
Le parallélisme v. 11 et 12 « l’un » « l’autre » et le choix des verbes « agace » « mime » disent le caractère malsain de
l’amusement des marins. Vulgarité que renforce le mot argotique « brûle-gueule ».

III. La leçon du poème

a. La poème pose au vers 13 une analogie « le poète est semblable »


La périphrase « le prince des nuées » fait du poète un être singulier parmi les hommes « un prince »

b. Un prince, non au sens courant et concret, mais au sens figuré, au sens d’une expérience privilégiée du monde la
relative « qui hante la tempête et se rit de l’archer » évoque la capacité du poète à affronter les difficultés de
l’existence, ainsi que la distance que son attention pour le langage crée. « Il se rit de l’archer ». Il dépasse la
méchanceté ordinaire.

Toutefois, ces dénominations valorisantes : la périphrase « prince des nuées », » ses ailes de géant » sont apposées à
des notations péjoratives « exilé sur le sol » « huées »
« L’empêchent de marcher ». Cette strophe conclusive et pessimiste, qui se fonde sur l’antithèse et le paradoxe tentent
d’exprimer le statut du poète : être inadapté à la société. Inadapté en ce qu’il lui est supérieur « il est un prince »
capable d’élévation, il est également singulier au milieu du vulgaire.
Cependant, le poète dans sa conscience aigu du monde vit et revit inlassablement, et avec la même intensité, la chute.

Conclusion

Celui qui ne s’adonne pas au divertissement malsain et sadique, ou cruel est voué au spleen. Car, une nature trop
aérienne, trop belle, trop pure rend le monde des hommes invivable et trop violent. Ainsi, dans ce poème, Baudelaire
parvient à rendre le caractère sombre de l’humanité soumise à l’Ennui, que Baudelaire désigne comme fondamental.
Nous traînons dans « la boue » de la nature humaine qu’il oppose à l’or de l’éther. Et l’opposition occupe toutes les
dimensions du poème : haut/bas ; lent/rapide ...

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