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Corrigé du commentaire de « l’Albatros » de Baudelaire

Le « poète maudit » est une expression inventée par Paul Verlaine en 1884 à propos de
quelques-uns de ses contemporains. Les poètes de la deuxième moitié du XIXe siècle sont en
effet nombreux à se considérer en marge de la société et plusieurs l’ont exprimé dans des
poèmes où ils s’identifient à des animaux, comme Tristan Corbière qui se compare à un crapaud
dans Les Amours jaunes ou Charles Baudelaire qui se compare à un albatros dans Les Fleurs du
mal. Ces comparaisons permettent aux poètes de dénoncer le mépris qu’ils suscitent et de
revendiquer leur originalité, voire de se glorifier d’un statut à part, au-dessus des autres humains.
Il convient donc d’étudier le poème de Baudelaire en se demandant en quoi Baudelaire fait l’éloge
de la poésie et du statut de poète à travers la comparaison qu’il établit entre le poète et un
albatros. Pour ce faire, nous allons tout d’abord étudier la conscience douloureuse de la
marginalité du poète, puis nous verrons que la comparaison avec l’albatros permet de faire l’éloge
de la poésie et du poète.

Nous allons tout d’abord étudier en quoi ce poème est l’expression pathétique de la
marginalité du poète.
Le poème est fondé sur une comparaison entre l’albatros et le poète. Le premier alexandrin
de la dernière strophe éclaire le début du poème : si le poète nous parle d’un oiseau de mer, c’est
pour parler du statut du poète dans la société : « Le poète est semblable au prince des nuées » v.
13. Tout le poème peut en effet être réinterprété en remplaçant le comparant « l’albatros » par le
comparé « le poète » : dans ce cas, le lecteur comprend que si l’oiseau est un « roi de l’azur » v. 6
ou « prince des nuées » v. 13, le poète vit aussi dans le ciel des idées. L’albatros subit les
brimades des « hommes d’équipage », qui représentent la foule, « les planches » où ils le
déposent (v. 5) sont celles du théâtre de la société où le poète n’est pas à sa place. Le destin de
l’albatros permet d’exprimer celui du poète, en tout point semblable, majestueux en l’air et
malhabile au milieu des hommes vulgaires.
Le poète nous présente aussi une situation horrible : les brimades et la déchéance subies
par l’albatros peuvent toucher le lecteur. On peut être sensible au caractère pathétique de la
scène évoquée par Baudelaire : les planches du bateau se muent en véritable en théâtre de la
cruauté : « L’un agace son bec avec un brûle gueule / L’autre mime, en boitant, l’infirme qui
volait » v. 11-12 : les marins feignent de le brûler avec leur pipe, ils l’humilient en se moquant de
sa démarche pataude. La situation devient même tragique quand on songe à la déchéance du
poète : l’albatros / poète est comparé à un roi autrefois splendide et désormais déchu (v. 6), puis à
un « infirme » qui « volait » v. 12 et aujourd’hui boite. L’opposition est donc très forte entre son
passé flamboyant et sa situation présente, faite d’humiliation et de moqueries. Elle se manifeste
par une série d’antithèses. Ainsi, le premier hémistiche du vers 6 désigne l’espèce comme celle
des « rois de l’azur », le second hémistiche les dépeint « maladroits et honteux ». Les vers 9 et 10
procèdent de même : « Ve voyageur ailé » s’oppose à « comme il est gauche et veule ! » ; « Lui
naguère si beau » tranche avec « qu’il est comique et laid ! ». Enfin, la rime « nuées » / « huées »
v. 13 et 15 offre un raccourci saisissant du changement affectant l’oiseau / poète quand il passe
du ciel à la terre. La situation du poète / albatros est donc décrite comme pathétique et tragique
dans ce poème.
Nous pouvons nous intéresser à présent aux raisons d’un tel destin, et c’est dans la
marginalité du poète qu’on trouvera des réponses. Le poète est, en effet, comme l’oiseau,
inadapté à la vie sur terre : « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » v. 16. Les deux
grandes ailes blanches sont parfaites pour « hant[er] la tempête et se ri[re] de l’archer » v. 14,
mais inadaptées à la vie sur terre : « Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches / Comme
des avirons traîner à côté d’eux » v. 8 : la comparaison des ailes avec des avirons suggère la
maladresse, la lourdeur, la raideur de la démarche de l’oiseau avec ses ailes encombrantes. Si
l’oiseau est malhabile sur les planches du pont, le poète est aussi inadapté au monde des
hommes.
La comparaison du poète avec l’albatros met donc en évidence deux mondes séparés : le
monde céleste où vivent les albatros et les poètes et le monde terrestre, trivial où le poète vit
« exilé ». Le passage de l’un à l’autre est pour l’oiseau comme pour le poète une chute, voire une
déchéance.

Si le poète est exilé sur terre, cette malédiction est aussi le signe d’une bénédiction : le
poète est un être à part, qui vit au-dessus du monde réel et trivial. Le poème de Baudelaire est
aussi l’occasion de faire l’éloge de la poésie et du poète.

Etc.

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