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Texte n°3

Colette, Sido, 1933

Extrait : Etés réverbérés


Parcours : La contemplation du monde

Introduction : Colette (1873-1954) est une grande figure de la littérature du XXème siècle.
Elle a mené de multiples carrières (comédienne, journaliste..) et une vie aussi riche que
libre. Elle a écrit une trentaine d’oeuvre dès 1900, mais ne les a signées de son seul nom
qu’à partir de 1923 avec Le Blé en herbe. Elle publie Les Vrilles de la Vigne, un recueil de 18
nouvelles, en 1908. Ces nouvelles d’inspiration autobiographiques adoptent des thèmes,
des formes et des genres variés.

Sa mère Sidonie meurt en 1912, mais c’est en relisant ses nombreuses lettres en 1926
qu’elle décide de lui rendre hommage. Une première parution de Sido ou Les points
Cardinaux a lieu en 1929, avant la version définitive de 1930, en trois volets, Sido, le
Capitaine et Les Sauvages, unissant à l’hommage maternel celui au père et aux frères.
Dans les premières pages de son récit, l’autrice dresse le portrait d’une mère hors du
commun qui fascinait autrefois les siens comme elle la fascine encore au moment de
l’écriture. Elle ressuscite aussi le passé idéalisé de son enfance, dans la maison natale de
Saint-Sauveur, en Puisaye, en Bourgogne. Dans cet extrait, Colette évoque les promenades
estivales à l’aube que sa mère l’autorisait à faire seule, alors qu’elle n’avait qu’une dizaine
d’années.

Problématique : Comment les souvenirs d’enfance de Colette lui permettent-ils de glorifier le


monde et la figure maternelle ?

Plan linéaire :
> 1er mouvement : De “étés réverbérés” à “groseilles barbues” : l’aube en cadeau (1er
paragraphe)
> 2ème mouvement : De “A trois heures et demie” à “son éclosion” : la naissance du jour
(2ème paragraphe)
> 3ème mouvement : De “Ma mère me laissait partir” à “enfants endormis” : le regard
rétrospectif de l’autrice sur le duo mère-enfant. (3ème paragraphe)

1er mouvement : De “étés réverbérés” à “groseilles barbues” : l’aube en cadeau (1er


paragraphe)

Ce passage s’ouvre sur la célébration de l’été, les étés de l’enfance à l’intensité inégalée.
Cette célébration des saisons est d’ailleurs le fil directeur depuis la page 46.
La première phrase relève de l’hommage commémoration par son lyrisme : “Etés réverbérés
par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés
presque sans nuits…”.
On remarque le rythme ternaire de la phrase nominale (trois propositions nominales sont
juxtaposées).

L’été est associé au jeu de lumière : voir le participe passé “réverbérés” qui donne l’idée que
la lumière traverse l’espace, et l’idée de la chaleur.
Les 2ème et 3ème phrases marquent l’après, celui de l’envol lyrique de la première phrase.
Colette évoque le souvenir des promenades matinales.
“Car j’aimais tant l’aube, déjà que ma mère me l’accordait en récompense… [...] groseilles
barbues”
L’adverbe “déjà” marque la continuité entre l’enfant et l’adulte qu’elle est devenue.

La 3ème phrase est plus factuelle, précisant l’heure “trois heures et demie”, les accessoires,
“un panier à chaque bras”, le but de la promenade (la cueillette des fruits), mais sans
renoncer au lyrisme d’une prose poétique :
- Anaphore de la préposition “vers” ;
- Personnification des “terres maraîchères” par le verbe de la subordonnée relative “se
réfugiaient”
- Enumération gourmande des fruits “les fraises, les cassis et les groseilles barbues”.
L’énumération des fruits rouges donne un appel à la vie, à la gourmandise.

Dans ce premier mouvement la célébration, selon un registre lyrique, passe donc de l’été à
l’aube, tout en l’assimilant à la figure maternelle sublimée, détentrice du bonheur de l’autrice.

2ème mouvement : De “A trois heures et demie” à “son éclosion” : la naissance du jour


(2ème paragraphe)

Ce paragraphe décrit poétiquement l’atmosphère magique du moment et la communion


entre l’auteure et la nature.
“Trois heures et demie” répété une seconde fois est mis en valeur à l’attaque de la phrase,
ainsi Colette souligne le caractère exceptionnel du moment : en pleine nuit, Colette enfant
est seule dans la nature et elle le vit comme un privilège.

“Quand je descendais le chemin de sable” : proposition subordonnée circonstancielle de


temps ; le verbe “descendre” suggère que l’auteure s’enfonce au centre de la terre, au plus
profond de la nature.

Colette enfant participe activement à la création du monde. Plus, elle descend, plus son
corps entier s’imprègne de la nature. La sève remonte en elle au fur et à mesure qu’elle
descend.
- Les différentes parties de son corps sont mentionnées de bas en haut : “mes
jambes”, “mon petit torse”, “mes lèvres, mes oreilles et mes narines”.
- “Le brouillard”, état intermédiaire entre nuit et jour semble l’absorber
progressivement comme elle l’absorbe par tous ses sens. Colette vit une expérience
multisensorielle :
- La vue : “bleu originel”
- Le toucher : “baignait d’abord mes jambes”, “atteignait mes lèvres”
- L’odorat est privilégié grâce au superlatif “mes narines plus sensibles que tout
le reste de mon corps”

Il y a comme une métaphore filée de la naissance : naissance du jour, naissance du monde


et naissance de l’enfant.
Il s’agit non seulement non seulement d’une expérience de bonheur en communion avec
l’aube mais aussi d’une expérience identitaire fondamentale. Ce que souligne la formule
présentative en anaphore “c’est sur ce chemin”, “c’est à cette heure”, les démontratifs
marquent le caractère précieux et essentiel du lieu et du moment.
Le choix du verbe “que je prenais conscience” donne la mesure du caractère existentiel ou
initiatique de cette expérience fondatrice de l’identité de l’enfant, qui dépasse les mots : “état
de grâce indicible”.

La naissance du jour achève la phrase à-travers la métaphore de “l’éclosion” du soleil, nous


retrouvons une fois encore la métaphore filée de la naissance.

Dans ce deuxième mouvement, la célébration lyrique se centre totalement sur la magie de


l’aube, comparée à une naissance, dans son lien intrinsèque avec l’enfant (on pense encore
à Rimbaud “‘J’ai embrassé l’aube d’été”).

3ème mouvement : De “Ma mère me laissait partie” à “enfants endormis” : le regard


rétrospectif de l’auteur sur le duo mère-enfant

Le 3ème paragraphe reprend l’action des deux paragraphes en revenant à Sido, ce qui
permet à Colette adulte de poser un regard attendri sur sa mère Sido et sur l’enfant qu’elle a
été.

Le paragraphe s’ouvre par “Ma mère me laissait partir” ; Sido est le sujet des verbes
“regardait”. C’est donc d’elle dont il est question.

“j’étais peut-être jolie…ne sont pas toujours d’accord”. L’écriture autobiographique permet à
la narratrice adulte de poser un regard plus critique sur l’enfant qu’elle était.
La distance entre l’écriture autobiographique et le passé se mesure dans l’emploi des
verbes “j’étais” (imparfait, renvoie au passé) / “ne sont pas toujours d’accord” présent
d’énonciation, renvoie au temps de l’écriture autobiographique.

Ainsi ce 3ème mouvement célèbre à nouveau Sido célébrant sa fille. Mais l’autocélébration
est évitée par la distance critique de l’écriture autobiographique et le retour au motif de
l’aube, au coeur du lyrisme de l’extrait.

Conclusion :

Colette célèbre le monde dans cet extrait en partant de la lumière des étés de son enfance
pour arriver aux moments enchantés de l’aube. Mais au-delà de la nature, il s’agit de
célébrer Sido, reine de la nature, qui semble offrir l’aube à son enfant.
Le texte devient alors une célébration de l’amour maternel et de l’enfance qui, bien au-delà
d’une simple anecdote, participe à la naissance du jour en une sorte de passage initiatique,
que l’écriture autobiographique permet de recréer.

Ouverture :

Le “Dernier feu” dans Les Vrilles de la Vigne pour l’hommage à la nature.


Le texte de Coen, Le livre de ma mère, pour l’hommage à la mère.

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