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Classes de 1e F2 et F3

Séquence III – La poésie


Alchimie poétique : la boue et l’or

EL4 - Victor HUGO, « Le Mendiant », Les Contemplations, V, 1856.

LE TEXTE

Le Mendiant
Un pauvre ͜ homme passait dans le givre ͜ et le vent. //
Je cognai sur ma vitre ; il s’arrêta devant =>
Ma porte, que j’ouvris d’une façon civile. //
Les ͜ ânes revenaient du marché de la ville,
5. Portant les paysans ͜ accroupis sur leurs bâts. //
C’était le vieux qui vit dans ͜ une niche ͜ au bas =>
De la montée, / et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard de la terre,
Tendant les mains pour l’homme ͜ et les joignant pour Dieu.//
10. Je lui criai : - Venez vous réchauffer ͜ un peu. //
Comment vous nommez-vous?// - Il me dit : - Je me nomme =>
Le pauvre. // Je lui pris la main. // - Entrez, brave ͜ homme.//
Et je lui fis donner une jatte de lait. //
Le vieillard grelottait de froid; il me parlait,
15. Et je lui répondais, pensif et sans l’entendre. //
- Vos ͜ habits sont mouillés, dis-je, il faut les ͜ étendre =>
Devant la cheminée. // Il s’approcha du feu. //
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu =>
Étalé largement sur la chaude fournaise,
20. Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l’âtre, et semblait ͜ un ciel noir ͜ étoilé. //
Et, pendant qu’il séchait ce haillon désolé =>
D’où ruisselaient la pluie et l’eau des fondrières,
Je songeais que cet ͜ homme était plein de prières,
25. Et je regardais, sourd à ce que nous disions, =>
Sa bure ͜ où je voyais des constellations.

Décembre 1854.

1. Bât : dispositif que l’on place sur le dos des bêtes de somme pour le transport de leur charge.
2. Liard : ancienne monnaie française ; petite somme, très petite quantité.
3. Haillon : vieux lambeau de toile, d’étoffe ; vieil habit usé.
4. Bure : grossière étoffe de laine brune.
I. L’INTRODUCTION

- Accroche : Le poète possède la faculté de déchiffrer le sens de l’univers, d’y découvrir des
aspects que les autres hommes ne voient pas et de transmuter en beauté tout ce qu’il perçoit.
- Présentation de l’auteur et de l’œuvre : Poète incomparable, Victor Hugo est l’auteur des
Contemplations, un des recueils les plus connus de la poésie française, paru en 1856.

Ou bien :
- Accroche : « Peuples! écoutez le poète ! //Écoutez le rêveur sacré ! » écrit Victor Hugo
dans son poème « Fonction du poète ».
- Présentation de l’auteur et de l’œuvre : C’est la figure du poète rêveur sacré que l’on voit
dans le poème « Le Mendiant », extrait des Contemplations, un des recueils les plus connus
de la poésie française, paru en 1856.

- Présentation du texte : « Le Mendiant » est le neuvième poème du livre V de ce recueil. Ce


poème composé de 26 alexandrins relate une rencontre avec un vieil homme miséreux qui
va se transformer en vision grâce au regard du poète.
- Lecture : Je vais à présent procéder à la lecture du poème. // Permettez-moi de lire le poème.
(Pour bien vous entraîner à la lecture, écoutez à plusieurs reprises le poème lu par un
professeur sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=BJtS9x-FF9g&t=27s
ATTENTION aux TROIS diérèses : « liard » (v.8), « fondrières » (v.23) et
« constellations » (v.26))
- Les mouvements : Pour étudier ce poème, je vais le découper deux mouvements. Le
premier est composé des vers 1 à 13 (=> « lait ») qui racontent les circonstances de la
rencontre et la présentation du mendiant ; les vers 14 à 26 forment le second mouvement
qui évoque la vision du poète.
- Enjeu du texte ou problématique : Dans mon analyse, je vais tâcher de montrer comment
le regard du poète voyant peut transfigurer la réalité la plus triste.

II. L’EXPLICATION LINÉAIRE

1er mouvement : v. 1 à 13
- Intro : Dans le premier mouvement, le poète fait le récit de sa rencontre avec un mendiant.
- Le vers 1 commence avec un groupe nominal, « un pauvre homme », qui attire l’attention
par l’adjectif apposé « pauvre » qui sert à insister sur l’état pitoyable du passant.
- L’indication temporelle « dans le givre et le vent » accentue la détresse du mendiant et
inscrit le récit dans un cadre réaliste, plus précisément dans la saison hivernale.
- L’allitération en « v » dans les v.1 à 4 imite d’ailleurs les frissons causés par le froid :
« pauvre », « givre », « vent », « vitre », « devant », etc
- Le pronom personnel de la première personne « je » paru au v.2 désigne le poète qui observe
la scène, et le possessif « ma » dans les vers 2 et 3 indique que cette scène est vue de
l’intérieur de sa maison.
- L’apparition du mendiant frappe vivement le poète, qui réagit immédiatement en l’invitant
à entrer. Cela est montré par le passé simple « cognai » (v.2). En ouvrant sa porte, le poète
fait preuve de charité.
- Les v 4 et 5 poursuivent l’ancrage dans un cadre réaliste mais l’on peut voir également dans
la posture des paysans « accroupis sur leurs bâts » une sorte d’indifférence face à cet homme
et à sa misère.
- Le présentatif du v. 6 avec l’article défini et la subordonnée relative « C’était le vieux qui
vit dans une niche au bas … » indiquent que le vieil homme est déjà connu du poète qui
peut nous donner certains renseignements sur lui.
- Le mot « niche » dans ce même vers désigne un abri rudimentaire mais peut aussi désigner
l’endroit où vit un chien : cela veut dire que le mendiant ne vit pas dans des conditions
dignes d’un être humain. Et le rejet au v 7 « au bas / De la montée » transmet la même idée :
le mendiant est rejeté « au bas » de la société.
- Les parallélismes dans les v. 8 et 9 « ….. » continuent à donner des informations sur le
mendiant : il se contente de peu comme l’indique la diérèse qui porte sur le mot « liard » ;
il vit de la charité des hommes et passe son temps à prier. Cette relation privilégiée avec
Dieu annonce la fin du poème.
- Le poète invite le mendiant chez lui comme l’indique le vb à l’impératif « Venez » (v.10)
et lui demande son nom. Notons qu’il le vouvoie, témoignant de sa politesse, de son respect.
- Le rejet dans les v 10 et 11 met en évidence la désignation du mendiant : il se définit lui-
même par sa pauvreté, comme s’il représentait tous les hommes de sa condition.
- Conc : Ce premier mouvement raconte donc les circonstances de la rencontre du poète avec
un vieux mendiant qu’il invite chez lui amicalement.

2e mouvement : v. 14 à 26
- Intro : Nous verrons dans ce mouvement la transfiguration progressive du mendiant par le
regard du poète rêveur.
- L’observation du vieil homme déclenche chez le poète une rêverie méditative comme le
montre l’adjectif « pensif » dans le v. 15. Il ne prête pas beaucoup d’attention à ce que lui
dit le vieil homme, son imagination est ailleurs.
- Il l’invite cependant à sécher son manteau mouillé. Le rejet du CC Lieu « devant la
cheminée » du v. 17 met en valeur cette source de chaleur, mais aussi de lumière, élément
qui va jouer dans les derniers vers un rôle essentiel dans la vision du poète.
- Commence alors une description du manteau. De description réaliste avec les
caractérisations péjoratives « tout mangé des vers, et jadis bleu », elle devient de plus en
plus lyrique :
 Le champ lexical de la lumière : « cheminée, feu, lueur, braise, étoilé »,
 la redondance formée par le participe « étalée » et l’adverbe « largement » (v.19)
 et l’hyperbole « mille trous » …..
qui rendent le manteau de plus en plus grand préparent la comparaison du vers 21 :
« semblait un ciel noir étoilé ». Tous ces procédés donnent au manteau une valeur
supérieure. Il se transforme en ciel et les trous qui laissent voir la lumière du feu deviennent
des étoiles. Il est ennobli, transformé, transfiguré.
- Dans les v. 22 et 23, Hugo opère un bref retour à la réalité pathétique et misérable du
manteau avec le GN « haillon désolé, d’où ruisselaient la pluie et l’eau des frontières » afin
de relever le contraste entre la réalité et la vision qui embellit cette réalité.
- Le verbe « songer » fait allusion à cette vision dans laquelle il est absorbé et qui lui révèle
en outre la nature de ce mendiant, « un homme plein de prières » (v.24), un saint homme
donc.
- Les verbes de perception « regardais » et « voyais » aux v. 25 et 26 renvoient à cette faculté
qui distingue le poète du commun des mortels, celle de voir la réalité cachée au-delà des
apparences, de décoder le mystère du monde. Hugo a su déceler la beauté derrière le vieux
manteau rongé de vers
- Le poème se clôt sur une sorte d’apothéose : « Sa bure où je voyais des constellations. ».
 L’emploi du mot « bure », tissu grossier qui désigne par métonymie la robe du moine
fait écho à l’expression « homme plein de prières » du v.24 et transforme le mendiant
en une créature divine.
 La métaphore des constellations, mot appuyé et amplifié par la diérèse, procure une
dimension cosmique au manteau.
- L’impression qui se dégage finalement de ces vers, c’est que le personnage du mendiant
est comme un envoyé de Dieu.
- Conc : Le poète voyant, en observant un personnage humble et misérable, est donc capable
d’y découvrir des significations cachées.

III. LA CONCLUSION
- Bilan : Pour résumer mes propos, « Le Mendiant » est une illustration de l’art de Victor
Hugo de dépasser le monde réel, prosaïque et triste pour accéder par sa poésie à une réalité
supérieure et cachée.
- Ouverture : Ce poème fait écho au vers de Baudelaire adressé à la ville de Paris « Tu m’as
donné ta boue, et j’en ai fait de l’or » puisque Hugo, tel un alchimiste, a transmuté la misère
en beauté, le « haillon » en « constellations ».

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