Vous êtes sur la page 1sur 2

Texte 3 : Arthur Rimbaud, « Ma Bohème » (Fantaisie)

Question : comment le poème allie-t-il le thème du voyage à celui de la création poétique ?

Introduction
Le poème d’Arthur Rimbaud « Ma Bohème », sonnet en alexandrins, est le dernier poème du
Cahier de Douai qui comprend « Sensation », « Ophélie » et « Le Dormeur du val ».
Rimbaud, poète innovateur du XIXe siècle, y évoque, dans un rythme allègre, par des images
pleines de fantaisie et de fraîcheur, ces errances adolescentes. Si le thème du voyage est présent, le
sonnet contient aussi de nombreuses allusions, originales, à la création poétique.
Nous étudierons donc tout d’abord l’image du voyage, puis la manière dont Rimbaud évoque
la création poétique, enfin nous nous intéresserons au rôle que le jeune poète attribue à ces deux
formes d’évasion.

I – Images du voyage
Dès le titre, ce thème est évoqué. Ici, la bohème ne désigne pas la vie insouciante et libre
des artistes parisiens qu’il rejoindra bientôt, mais à ce qu’il a vécu lors de ses nombreuses fugues.
L’errance est exprimée par de nombreux verbes de mouvement et des indications de lieux. Elle est
présentée comme un vagabondage heureux et insouciant.

a) le titre :
- un titre évocateur d’errance sans but, de voyage sans itinéraire précis
- le sous-titre « Fantaisie » affirme l’atmosphère libre, gaie de ces voyages

b) L’expression du déplacement :
- verbes de mouvement : répétition du verbe aller (v.1 : « Je m’en allais », v.3 : « j’allais »
) ; imparfait d’habitude qui souligne l’idée d’une action répétée.
- indications de lieux : elles ne désignent aucun lieu précis, le poète voyage mené par le
hasard et sa fantaisie (v.3 : « sous le ciel », v.7 : « auberge », v.9 : « bord des routes »). Ces
indications sont mises en valeur par leur place dans le vers : « sous le ciel » : avant une coupe ,
« mon auberge » : après une coupe, « au bord des routes » : à la rime.
- les effets du voyage sont aussi mentionnées : la fatigue : « assis au bord des routes », « de
mes souliers blessés » souligne l’usure des chaussures.

c) un vagabondage heureux
- l’absence des contraintes : le jeune poète dort à la belle étoile : « mon auberge était à la
Grande-Ourse, aucune contrainte horaire ne lui est imposée ; il voyage selon sa fantaisie.
- l’absence d’argent n’est pas perçue de manière dramatique : Rimbaud la souligne avec
humour : « Mon unique culotte avait un large trou »
- lors de ces errances, il vit en communion avec la nature : elle est protectrice « ces bons
soirs de septembre » ; elle permet le rêve : « Que d’amours splendides j’ai rêvées » ; elle est
troublante comme une femme « mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou », accueillante comme
une mère : il dort en son sein, elle le rafraîchit « des gouttes de rosée à mon front », elle se montre
complice, lui offre « comme un vin de vigueur » ; cette complicité est soulignée par les adjectifs
possessifs de la première personne : « mes étoiles », « mon auberge ».

Le voyage s’accompagne donc d’un bonheur simple, d’un enthousiasme juvénile au sein d’une
nature complice où le jeune Rimbaud va puiser l’inspiration poétique.

II – La création poétique
a) le titre et le sous-titre évoquent une certaine conception de la création poétique, elle est,
dans ce poème, inséparables de la « fantaisie », de la liberté.

b) la poésie, passe-temps du voyageur : elle semble être l’occupation essentielle du jeune


fugueur
- les mots « rimes » mis en relief par le contre-rejet et « rimant » soulignent ce point.
- la métaphore « Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course / Des rimes» donne à cette
occupation un aspect ludique et enfantin où les rimes remplacent les miettes de pain.
c ) L’expression poétique du voyage : la poésie métamorphose l’univers
- métamorphose du voyageur : l’adolescent fugueur devient « féal » V , « Petit-Poucet » V
, et rejoint ainsi les êtres de légende. Même son vêtement s’anoblit, son « paletot » V , quitte son
aspect matériel pour devenir « idéal » V ,
- métamorphoses des lieux : comparaison : « Mon auberge était à la Grande-Ourse » V ,
personnification : « mes étoiles avaient un doux frou-frou » V
- métamorphoses des objets : comparaison « Comme des lyres, je tirais les élastiques / De
mes souliers blessés » V ; comparaison « des gouttes / De rosée à mon front, comme un vin de
vigueur » V

Création poétique et voyage sont donc indissociablement mêlés, sans doute parce que leurs
rôles se confondent.

III – Voyage et poésie


a) L’un et l’autre permettent d’accéder à des mondes nouveaux
- un monde qui ouvre à l’imagination : monde du conte V , rêves V ,
- dépassement de la réalité : pauvreté transcendée V , ,
- un monde perçu différemment : image d’une nature simple, accueillante, familière ;
sensations exacerbées : plusieurs verbes de perception (v.9 :« je les écoutais », v.10 « je
sentais »), v.8 « un doux frou-frou », v.10-11 « des gouttes / De rosée à mon front »
b) ils sont l’un et l’autre synonymes de liberté et de création
- absence des limites du voyage : désignation imprécise des lieux, de l’époque
- refus des contraintes poétiques : fantaisie du ton, mélange des registres (termes familiers
(v.5 :« culotte », v 13 :élastiques », v.14 souliers », « pieds ») côtoyant des termes nobles (v.3
« féal », v.4 « amours splendides », v.3 « Muse », v.13 « lyre ») ; alexandrin malmené par les
contre-rejets (v. 6 : « Des rimes », v. 11 : « De rosée »), par les tirets (v.6 et 8)

Le voyage apporte la liberté de mouvement, la poésie celle de l’expression, Rimbaud exprime


ici son refus du conformisme.

Conclusion
Un poème qui évoque le bonheur lié au voyage, à la complicité avec une nature familière et à
la poésie
Un adolescent rebelle qui affirme ses désirs : désir de liberté : c’est loin de chez lui, par
l’évasion, que le jeune poète connaît le bonheur) ; désir d’une écriture non conventionnelle qui
rompt avec une tradition que Rimbaud rejette.
Un nouvel Orphée qui crée un autre langage poétique.

Vous aimerez peut-être aussi