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Brise marine, Mallarmé : commentaire

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Par Amélie Vioux

Voici un commentaire du poème « Brise marine » de Stéphane Mallarmé, publié dans le


recueil Poésies en 1887.

« Brise marine », Mallarmé, introduction :


Stéphane Mallarmé, poète inspirateur du symbolisme, est célèbre pour sa poésie
volontairement hermétique. « Brise marine » est un poème de jeunesse écrit en 1865,
période de crise durant laquelle le poète est en proie au sentiment de Néant, à l’ennui et à la
perte d’inspiration.

Questions possibles à l’oral de français sur « Brise marine » :


♦ De quelle manière s’exprime l’ennui du poète ?
♦ Que représente le voyage pour Mallarmé ?
♦ Quelle conception de la poésie nous propose Mallarmé dans ce poème ?

Annonce du plan :

C’est à partir de sa profonde lassitude (I) que le poète, en quête d’inconnu et d’inspiration
poétique, entreprend un voyage à la fois symbolique et métaphorique (II).

I – Le poète en proie à une profonde lassitude

A – Un fort sentiment d’ennui et de vide

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Dès le premier vers de « Brise marine », Stéphane Mallarmé fait le constat de sa lassitude
présente : “« La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres. »”

Il exprime son désespoir à travers l’interjection « hélas ! », l’adjectif « triste » et


l’hyperbole : “« tous les livres »”.

De plus, ce premier vers se termine par un point, ce qui lui donne un caractère définitif,
fermé et inéluctable.

La personnification de l’ennui – dont le terme est mis en valeur par la majuscule et sa


place en début de vers – crée un rapprochement entre Mallarmé et ce sentiment : le poète
semble bien être l’ennui personnifié ( “« Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,/Croit
encore à l’adieu suprême des mouchoirs ! » )”.

Cette profonde lassitude est accentuée par le rythme lent et allongé de l’alexandrin au
vers 1 et l’assonance en « an » tout au long du poème, qui traduisent la langueur et la
monotonie : “« Je sens » (v. 2), « qui dans la mer se trempe », « lampe » (v. 5-6), « que la
blancheur défend », « allaitant son enfant » (v. 7-8), « balançant », « Lève l’ancre » (v. 9-10),
« Ennui », « encore », « invitant » (v. 11 à 13), « qu’un vent penche », « sans mâts, sans
mâts », « entends le chant »” (v. 14 à 16).

En outre, l’ennui du poète s’accompagne d’un sentiment de vide comme en témoigne le


champ lexical du vide et de l’absence : “« Rien » (v. 4), « déserte », « vide » (v. 6-7),
« sans mâts »” (v. 15).

B – Le rejet des liens familiaux et du quotidien

Cette lassitude entraîne chez Mallarmé un rejet de l’environnement familier et quotidien.

On trouve ainsi dans la première partie de « Brise marine » un champ lexical du


quotidien : “« livres » (v. 1), « vieux jardins » (v. 4), « lampe », « papier » (v. 6-7), « jeune
femme allaitant son enfant »” (v. 8).

Les liens familiaux de Mallarmé sont mis à distance à travers l’emploi de la troisième
personne et l’article défini « la » pour désigner sa femme, évoquée ici de manière
implicite, comme une inconnue : “« la jeune femme allaitant son enfant »” (v. 8).

L’emploi du pronom « son » pour désigner leur enfant (« son enfant » ) accentue ce rejet.

Par ailleurs, la forte allitération en « r » traduit bien l’idée de saturation, d’un quotidien
devenu insupportable : “« La chair est triste », « livres », « fuir », « ivres », « D’être
parmi », « Rien », « jardins » (v. 1 à 4), « Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe »,
« la clarté déserte », « Sur le vide papier que la blancheur défend » (v. 5 à 7), « Je partirai !

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Steamer balançant ta mâture/Lève l’ancre pour une exotique nature » (v. 9-10), « les cruels
espoirs », « Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs », « orages », « naufrages » (v.
11 à 14), « perdus », « fertiles », « mon cœur »” (v. 15-16).

De même, la consonance en « k » peut traduire la sensation d’étouffement ou de


suffocation : “« Je sens que », « l’écume inconnue » (v. 2-3), « ce cœur qui », « la clarté »,
« que la blancheur » (v. 5-7), « Lève l’ancre pour une exotique nature », « cruels espoirs »,
« croit encore » (v. 10-12), « mon cœur »” (v. 16).

C – L’appel et l’idéalisation du voyage

La répétition du verbe « fuir » au vers 2 souligne l’impatience du poète : “« Fuir ! Là-bas


fuir ! »”

La ponctuation exclamative traduit la plainte et l’enthousiasme face à l’appel du


voyage : “« Fuir ! Là-bas fuir ! » (v. 1), « O nuits ! » (v. 6), « Je partirai ! », « Lève l’ancre
pour une exotique nature ! » (v. 9-10), « Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs ! » (v.
12), « entends le chant des matelots ! »” (v. 16).

Cet enthousiasme, comme un élan vital, est accentué par l’accélération du rythme dès
le vers 2.

Cette accélération est due notamment à la syntaxe – qui donne à certains vers un rythme
saccadé (v. 2, 13, 15) – et aux enjambements successifs (v. 2 à 3, 4 à 5, 6 à 7, 11 à 12).

Par ailleurs, l’emploi du futur et de l’impératif marque l’aspect décisif de cet appel du
voyage : “« Je partirai ! » (v. 9), « Lève l’ancre » (v. 10), « entends le chant des matelots »”
(v. 16).

Le poète est décidé et rien ne pourra désormais le retenir, comme le démontre


l’accumulation des propositions négatives et l’anaphore de « Ni »dans la première
partie du poème : “« Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux/Ne retiendra ce cœur qui
dans la mer se trempe/O nuits ! Ni la clarté déserte de ma lampe […] Et ni la jeune femme
allaitant son enfant »” (v. 4 à 8).

Cet appel est d’autant plus fort que le voyage est idéalisé par Mallarmé, comme le
soulignent les champs lexicaux de l’exotisme de l‘inconnu et de l’ailleurs : “« là-bas » (v.
2), « l’écume inconnue » (v. 3), « exotique nature » (v. 10), « fertiles îlots » (v. 15), « le chant
des matelots »” (v. 16).

C’est également un voyage sensuel, marqué par une plénitude de sensations : “« Je


sens », « ivres », (v. 2), « reflétés par les yeux », « trempe », « nuits », « clarté »,
« blancheur » (v. 4 à 7), « entends le chant des matelots »” (v. 16).

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Bien qu’idéalisé, le voyage n’exclut pas le danger avec l’évocation du naufrage à la fin du
poème : “« Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,/Sont-ils de ceux qu’un vent penche
sur les naufrages »” (v. 13-14).

Transition : Mais nous allons voir que c’est avant tout un voyage symbolique et
métaphorique que le poète entreprend ici.

II – Un voyage à la fois symbolique et métaphorique

A – Un voyage maritime qui symbolise l’envol et la liberté

Dans « Brise marine », le voyage représente la liberté, ce qui est symbolisé par l’image du
ciel et des oiseaux : « “Je sens que des oiseaux sont ivres/D’être parmi l’écume inconnue
et les cieux ! » ”(v. 2-3).

Le mouvement d’envol et d’élévation apparaît dans le rythme même du vers 2,


irrégulier et croissant : “« Fuir! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres »” (1/3/8).

Mais c’est avant tout la mer qui domine à travers le champ lexical de la mer et de la
navigation : “« l’écume » (v. 3), « la mer » (v. 5), « Steamer » (v. 9 > terme anglais qui
désigne un bateau à vapeur), « mâture », « l’ancre » (v. 9-10), « mâts » (v. 13 et 15),
« naufrages » (v. 14), « matelots »” (v. 16).

Cette omniprésence de la mer est également traduite par les allitérations en « l » et en


« m » dont la fluidité évoque le bercement de l’eau : “« La chair est triste, hélas ! Et j’ai lu
tous les livres. » (v. 1), « parmi l‘écume » (v. 3), « la mer », « la clarté déserte de ma
lampe », « le vide papier que la blancheur défend » (v. 5-7), « la jeune femme allaitant »,
« balançant ta mâture », « lève l‘ancre » (v. 9-10), « désolé par les cruels espoirs »,
« l‘adieu suprême des mouchoirs », « les mâts invitant les orages » (v. 11-13), « sans mâts,
sans mâts, ni fertiles îlots…/Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots ! »” (v. 15-
16).

Le rythme irrégulier des vers imite le roulis du bateau et renforce la sensation de


balancement :
♦ « “Je partirai! Steamer balançant ta mâture”« (vers 9)
♦ « “Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots… ” » (vers 15) : le rythme saccadé traduit
ici le mouvement du naufrage.

B – Une métaphore de l’écriture poétique

Le voyage maritime est également une métaphore de l’aventure poétique. C’est en effet
l’inspiration que le poète recherche à travers ce voyage.

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Le chiasme des vers 6 et 7 évoque l’angoisse de la page blanche et indique la panne
d’inspiration éprouvée par le poète dans son environnement présent : “« ni la clarté
déserte de ma lampe/Sur le vide papier que la blancheur défend »”.

Cette impuissance se retrouve également dans la présence des verbes à l’infinitif et des
participes passés qui traduisent la passivité : “« Fuir », « D’être » (v. 2-3), « reflétés » (v.
4), « désolé » (v. 11), « Perdus » ”(v. 15).

La mer représente alors la source de l’inspiration à laquelle puise le poète : “« ce cœur


qui dans la mer se trempe » ”(v.5) (Mallarmé se désigne ici par métonymie par son cœur).

On retrouve également l’idée d’inspiration au vers 15 à travers l’adjectif « fertiles »


qualifiant les « îlots ».

Mallarmé puise également son inspiration dans la poésie baudelairienne à laquelle il rend
hommage : le voyage maritime, l’exotisme, l’ailleurs, l’angoisse face au néant et à
l’impuissance créatrice sont autant de thèmes chers à Baudelaire.

On trouve d’ailleurs plusieurs références précises aux poèmes baudelairiens, telles que
« “l’adieu suprême des mouchoirs” » (v. 12) qui renvoie au poème de Baudelaire « Un
hémisphère dans une chevelure » (“« […]comme un homme altéré dans l’eau d’une source,
et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans
l’air »”), ou encore « “le chant des matelots” » (v. 16) qui rappelle « Parfum exotique » (“« Se
mêle dans mon âme au chant des mariniers »”).

Comme chez Baudelaire, la quête poétique n’est pas de tout repos. L‘oxymore « “cruels
espoirs” » (v. 11), met en relief les désillusions et les échecs inhérents au voyage :
“« Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots »” (v. 15).

Le jeune Stéphane Mallarmé en quête d’inspiration poétique cherche celle-ci dans ses
influences (Baudelaire principalement) et en lui-même, conscient que le voyage poétique
peut aboutir au naufrage.

Brise marine, Mallarmé, conclusion :


« Brise marine » est un des premiers poèmes de Mallarmé, dans lequel il évoque son
impuissance créatrice et les difficultés de l’écriture poétique.

Influencé par la poésie de Baudelaire, il utilise les thèmes du voyage et de la navigation


comme métaphore de l’aventure poétique pouvant aboutir au naufrage, ce qu’on retrouve
bien plus tard dans d’autres de ses poèmes tels que « Salut » (1893) ou « A la nue… »
(1895), mais aussi chez Rimbaud dans « Le Bateau ivre » (1871).

Tu étudies Mallarmé ? Regarde aussi :

5/6
♦ Verlaine
♦ Les Voiles, Lamartine
♦ Le lac, Lamartine
♦ La Port de Palerme, Anna de Noailles (lecture linéaire)

6/6

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