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Objet d'étude : la poésie.

Les Fleurs du mal (1857) Baudelaire

Analyse linéaire de Moesta et errabunda.


1 Dis-moi ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe,
Loin du noir océan de l'immonde cité
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ?
5 Dis-moi, ton cœur parfois s'envole-t-il, Agathe ?

La mer la vaste mer, console nos labeurs !


Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu'accompagne l'immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse ?
10 La mer, la vaste mer, console nos labeurs !

Emporte-moi wagon ! Enlève-moi, frégate !


Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos pleurs !
- Est-il vrai que parfois le triste cœur d'Agathe
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,
15 Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?

Comme vous êtes loin, paradis parfumé,


Où sous un clair azur tout n'est qu'amour et joie,
Où tout ce que l'on aime est digne d'être aimé,
Où dans la volupté pure le cœur se noie !
20 Comme vous êtes loin, paradis parfumé !

Mais le vert paradis des amours enfantines,


Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,
25 - Mais le vert paradis des amours enfantines,

L'innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,


Est-il déjà plus loin que l'Inde et que la Chine ?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l'animer encore d'une voix argentine,
30 L'innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?

Les Fleurs du mal - Spleen et Idéal - Charles Baudelaire

INTRODUCTION

Présentation du texte. Titre, auteur, contexte (date ? Si nécessaire relier l 'œuvre à son époque) et
place du passage dans l’œuvre + éventuellement histoire littéraire)
Présentation de l’œuvre : Selon Yves Bonnefoy, poète majeur du XXe, le recueil des Fleurs du
mal (FDM) est « le maître-livre de notre poésie ». En effet, depuis sa 1e parution en 1857, qui a valu
à Baudelaire un procès pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs, les FDM a
révolutionné la poésie en renouvelant les thèmes et en introduisant la modernité dans la tradition
lyrique occidentale.
LECTURE A HAUTE VOIX DU TEXTE
Unité, thème et forme du passage . Moesta et errabuna est paru en 1855 dans la Revue des deux
mondes et qui donc bien antérieur à l'organisation du recueil. Si Baudelaire le place dans Spleen et
Idéal, c'est parce qu'il veut souligner l'impossibilité du départ vers un ailleurs (Idéal) et la tentation
de tomber dans le spleen. » Il est inscrit dans le projet des Fleurs du mal (qui explique son titre) :
faire du beau avec l'évocation du laid [à relier avec la boue et l'or+ titre fleurs du mal]. Le poème
reflète bien cette double tendance du poète à se diriger à la fois vers la fascination mélancolique
pour le mal et le laid (le « spleen ») et à en dégager en s'élevant plus haut une Beauté
transcendante, « idéale ». À partir d’un thème désolant, celui de la tentation de fuir l'immonde surgit
la beauté de l'oeuvre poétique.
Mouvement, découpage du texte.
6 quintils d'alexandrins . Mais en y regardant de plus prés plutôt des quatrains auxquels s'ajoute
systématiquement en fin de strophe le vers initial répété, comme un refrain (en réalité cela
s'appelle antépiphore) . Poème musical.
1° strophe Adresse à Agathe, questionnement du poète sur désir d'évasion de la jeune
femme.
2° strophe La mer (= l'ailleurs).
3° strophe Désir d'évasion du poète.
4° strophe FORTE RUPTURE: Abîme entre le monde réel et celui de l'Idéal : évocation
nostalgique du paradis terrestre représenté par la jeunesse.
5° et 6° strophe Les raisons de cette impossibilité à retrouver le paradis perdu posées avec
nostalgie : élognement spatial et temporel. Le poète pose le problème sous forme de
question (espoir? Désespoir?).

Des quintils : en réalité des quatrains + antépiphores. Rimes croisées (régulier) + vers
répété.

Pistes de lecture : Il s'agit de voir comment la réflexion sur l'envie de départ et d'ailleurs loin des
misères de ce monde permet de passer du destin individuel à la réflexion sur les êtres humains et leur devenir
général.

Étude linéaire :
Etude du titre importante:
Moesta et errabunda vient du titre latin. Moestus: triste. Errabundus: errant. Au féminin. Celle
qui se sent triste et exilée sur cette terre= les êtres sont soumis au Spleen , à l'image du poète
rejeté et incompris par la société. Le poète contemple ce même sentiment chez un être féminin
singulier. Mais ce titre en a final pourrait être aussi un féminin pluriel (des choses tristes et
vagabondeses?). En tout les cas, errance en quête d'un paradis perdu , d'un monde meilleur. Les
3 A dans ce titre éclatent et sont étouffées par les occlusives (les T, les R, les B) La seule évasion
est de partir dans le texte lui-même, la poésie. La seule évasion serait-elle la création poétique? .

1° strophe Adresse à Agathe, questionnement du poète sur désir d'évasion de la jeune


femme.
Les 3 premières strophes disent la nécessité impérieuse de partir, de quitter le monde réel.
Dès le vers 1 la question de l'enfermement de l'être dans la cité est clairement mis en avant.
L'emploi immédiat du présent « s'envole » montre que l'individu est limité ici et maintenant. Le
sens du verbe est renforcé par l'adverbe « loin ». Le constat douloureux d'enfermement des êtres
dans la ville déclenche l'invitation à partir, à fuir les misères du monde urbain. L'appel du vers 1
s'effectue par l'interrogation totale avec la synecdoque1 « ton coeur s'envole-t-il .. ». L'adresse
directe à la femme passe par l'impératif « dis-moi » et, à la fin du vers 1, le nom de la jeune fille

1 Synecdoque : on désigne l'ensemble par la partie, le cœur pour Agathe.


« Agathe ». En effet, le prénom Agathe vient du grec "agathos" qui signifie "bonté" et "gentillesse" :
ici la femme est consolatrice comme dans l'Invitation au voyage2, sœur de misère du poète, (yeux
verts ? comme une Agathe pierre précieuse ; référence à Marie Daubrun rencontrée en 1854?). Elle
est pierre précieuse et permet donc de faire passer dans le monde supérieur vers lequel on s'envole.
Elle est représentative de la tentative de fuite vers l'Idéal. Vers 1 rythme mélodieux mimant l'envol
encore possible [dis-moi (2)/ ton cœur (2)/ parfois (2)/ s'envole-t-il (4 allongement = envol?)//
Agathe (2) apaisement] . A noter le balancement nonchalant de ce vers qui va contraster avec le vers
2. La césure à l'hémistiche (on respire au milieu du vers après « parfois ») renforce cette impression.

1° RUPTURE vers 2 : L'univers réaliste et quotidien dans lequel le poète est prisonnier (le Spleen)
est représenté comme désolant, contraignant, avilissant sur le plan matériel et moral. Les termes
employés au vers 2 ont une connotation fortement péjorative (2 adj « noir » et « immonde »). Dans
cette 1e strophe, la boue est concrète, matérielle : la ville est noire. Les rues de Paris, avant ou au
tout début de la réfection des boulevards3 par le Baron Hausman sont réellement couvertes de boue
(Baudelaire en a horreur). De plus, l'industrialisation + la misère des taudis renforcent la noirceur.
La ville est devenue « immonde cité », référence aux cités antiques (à relier avec la résonance latine
du titre), à la fois laides et sales dans les bas-fonds mais aussi majestueuses avec leurs monuments
+ cité terme désignant les grandes villes modernes : Baudelaire pose son regard sur un monde qui
change. Une métaphore renforce ce caractère angoissant de la ville : si elle est « océan », peut-être
est-ce dû à sa violence, sa noirceur (adj vs2) , sa dangerosité . Flot humain = roulis des vagues et
marées. L'océan du vers 2 va s'opposer à l'océan du vers 3 et à « la mer » de la strophe 2 (ici à)
considérer comme synonyme de l'océan du vers 2)
Le voyage est ici imaginaire. Le poète rêve de "l'autre océan" (celui qui n'est pas la ville) et de
"la mer". Chez Baudelaire lieu privilégié de l'évasion pour 2 raisons: 1° raison car l'autre
interviendra dans la 2° strophe, la pureté (vs 3 la splendeur et vs 4 comparaison avec "la
virginité" image féminine de la nature). Au vers 4 trois adj sont associés "bleu, clair, profond" :
ces résonnances marines représentent un monde sensible et pur (jardin d'Eden, paradis perdu) où
la mer semble devenir la mère, la soeur consolatrice (image féminine traditionnelle de pureté).
La strophe s'achève sur l'antépiphore (retour de l'envie d'ailleurs, le point d'interrogation ouvre
la quête).

2° strophe La mer (= l'ailleurs).

La mer est le thème de la strophe. 2° raison de privilégier l'élément maritime afin de s'évader :
l'infinité (adj "vaste" au vs 6). Le rythme de ce vers est mélodieux comme le roulis des vagues.
La mer // la vaste mer,// console// nos labeurs !
2 4 3 3 : césure à l'hémistiche , impression de va-et-vient+
exclamation et surtout encadrement de l'adj vaste par la mer qui le berce (on tente de nous
emporter loin, lyrisme intense). Le verbe consoler fait partie du refrain et sera répété vers 6 et
10: la mer= la mère, paronymie qui console les affligés. Ici affligement dû au travail qui avilit
l'homme, le labeur terme négatif (rappel époque industrielle avec usines très angoissantes//
Pour le poète gagner sa vie= ne pas pouvoir s'adonner entièrement à l'écriture poétique).
Les éléments naturels, ici la mer, sont représentés dans leur mouvement et les sensations
sonores procurées. La mer= instrument formidable vs 9 "fonction sublime de berceuse" (image
maternelle). Cependant image ambivalente puisque ce n'est pas dieu mais un "démon" inconnu
(7 à 10 question sur ce démon) qui lui a donné ce pouvoir. Rappel le démon chez Baudelaire= le
rejeté comme lui et aussi l'alchimiste comme le poète qui transforme un matériau initial en autre

2 Connaître ce poème célébrissime.


3 Poème publié en 1855, travaux de 1853 à 1870, donc au tout début, Paris encore empli de taudis miséreux et de
ruelles étroites. De plus, B même pdt et après les travaux rejette ce nouveau Paris. Le vieux Paris et ses laideurs l'ont
fasciné.
chose, la boue en or. Ici la mer inquiétante devient mère berceuse par la magie du "démon". Le
Spleen est donc omniprésent, même dans la tentative de consolation des êtres. A noter que si la
strophe 1 se penchait sur les souffrances et envies d'ailleurs d'Agathe, la strophe 2 offre une 1°
personne du pluriel commune à tous les êtres.
Des termes de fureur accompagnent l'image de la mer "rauque" (elle a trop crié), et la sublime
métaphore de "l'immense orgue des vents grondeurs" avec une personnification quasiment
mythologique (Ulysse) des vents , devenus ici comme la mer chanteurs et musiciens. Cette
fureur est devenue divine (divinités antiques). Les enjambements des ves 7à 8 et 8 à 9
intensifient cette fureur créatrice des éléments. L'apaisement se fait dans le vers 10 par
l'antépiphore (l'exclamation demeure mais la répétition en fait un refrain).

3° strophe Désir d'évasion du poète.


Cette strophe concerne à nouveau davantage Agathe ; mais sans aucun doute le poète
s'identifie-t-il totalement à des paroles attribuées à la femme-amie.
Ainsi le vers 11 est-il basé sur 2 hémistiches parallèles: chacune s'ouvre sur un impératif ,
demande d'Agathe (et du poète?) à un moyen d'évasion, le Wagon et la frégate. Ainsi à
"emporte-moi" répond "enlève-moi". Le train et le mer se répondent comme tentatives de fuir le
Spleen. Chaque hémistiche se divise selon un rythme 4/2 (em-por-te-moi 4/ wa-gon 2 etc...).
Dernière symétrie , chacune se termine sur un point d'exclamation soulignant l'exaltation du
rêve d'ailleurs, l'appel d'Agathe (et du poète) à être éloignés de ce monde par les moyens de
transport qu ipermettent le voyage.
Le vers 12 amène très concrètement le thème de la boue= monde réel dont il faut s'extirper par
la poésie= or. L'adverbe "loin" suivi du point d'exclamation ouvre le vers. La rythmique du vers
traduit la souffrance. En effet les deux premiers pieds du vers ("Loin! Loin!") semblent se
détacher et être suivis d'une longue plainte terminée sur les pleurs d'Agathe, du poète, mais aussi
du genre humain (dét possessif "nos"). La boue, concrète au début du pème avec la noirceur de
la cité, prend ici un 2° sens plus moral (souffrance, vices). Aux vers 13 et 14, dans une question
(Moesta et errabunda soulève des questions et ne répond pas totalement), la boue morale se
précise: la souffrance devient synonyme de 3 termes " remords, des crimes, des douleurs, » :
c'est le Mal baudelairien qui est défini ici et dont le poète veut s'éloigner (répétition de loin vs
14) . Le mal c'est le Spleen , ce qui ronge l'âme et le corps, avilit celui qui souffre et celui qui
fait souffrir.
Les paroles rapportées (tiret vs 12) sont attribuées au "coeur d'Agathe" (retour de la
synecdoque) mais par rapport au désir d'ailleurs de la strophe 1 la mélancolie se fait forte
puisque l'adj "triste" qualifie ce coeur.
Le retour de l'appel au voyage vers 15 [antépiphore ] (wagon et frégate) dans le dernier vers de
la strophe est sans doute plus désespéré qu'au vers 11.

4° strophe FORTE RUPTURE: Abîme entre le monde réel et celui de l'Idéal : évocation
nostalgique du paradis terrestre représenté par la jeunesse.
Dans cette 4° strophe, la nécessité impérieuse de partir se mue en évocation mélancolique et
douce d'espaces heureux inatteignables. Le ryhtme des vers s'apaise et donne une image
durable . Ces mondes sont définis par l'exclamation "comme vous êtes loin" avec la répétition
de l'adverbe qui marque la fracture spatiale et temporelle (loin : ailleurs et il y a longtemps).
Recréer ces mondes pour le poète c'est revenir au mythe du paradis perdu (jardin d'Eden pour la
religion, Monde des Idées chez Platon ; chez Baudelaire on l'appelle l'Idéal et l'impossibilité à le
rejoindre ramène l'homme au Spleen initial). Ce regret du vers 16 est renforcé par la structure du
vers 6/6 (avec une virgule à la césure). Pour faire entrapercevoir au lecteur le paradis perdu,
Baudelaire fait intervenir un réseau de correspondances horizontales ou synesthésies [lien entre
les sensations olfactives, visuelles etc...les correspondances (voir pème de ce nom) qui dominent
dans un monde où "les parfums, les couleurs et le sons se répondent"]. Ainsi au vers 16 les
"paradis parfumés" (sensation olfactive +) vont-ils s'unir au "clair azur" (sensation visuelle +)
du vers 17, le tout s'intégrant à un champ lexical de l'harmonie "paradis", amour et joie",
"aime", "digne d'être aimé", "volupté pure4". Si la Nature était métaphore négative (océan =
ville) au début du texte, puis éléments protecteurs mais un peu inquiétants par leur puissance
strophe 2, elle est désormais dans cette strophe 4 joie et harmonie du paradis terrestre. Le "tout "
hyperbolique répété vs 17 et 18 insiste sur cette sensation. Le passage de l'actif "aime" dans la
1e hémistiche du vs 18 au passif "digne d'être aimé" crée l'image parfaite d'un univers de
sensations et d'émotions positives. L'évocation du paradis perdu se fait incantatoire comme pour
créer un chant magique pouvant recréer ce monde idéal. L'anaphore en où (3X vs 17, 18, 19) y
contribue ainsi que l'accumulation des termes positifs. La synecdoque du coeur pour désigner le
rapport de l'être au monde, ses émotions, ses sensations revient et ici le verbe "noyer" renvoie à
l'extase des sens (pure cependant comme le rappelle l'adj), mise en relief par le point
d'exclamation.
Cette strophe a créé par les mots et les rythmes un monde Idéal, harmonieux où l'être ne se sent
plus exilé. Cependant l'antépiphore vient nous rappeler que cet ailleurs n'est pas à notre portée
immédiate et qu'il est toujours "loin" ; le constat devient inquiétude. Cependant la poésie (l'or) a
récréé ce que le poète ne parvient pas à atteindre; les mots nous éloignent temporairement du
Spleen et de la boue par l'alchimie poétique .

5° et 6° strophe Les raisons de cette impossibilité à retrouver le paradis perdu posées avec
nostalgie : élognement spatial et temporel. Le poète pose le problème sous forme de
question (espoir? Désespoir?).

Ce qui n'était qu'inquiétude se mue en regret violent comme l'indique la conj de coordination
"mais" en tête du vs 21. Le monde regretté et éloigné de la perfection est représenté comme
coloré ("vert paradis": fraîcheur, jeunesse, naïveté), enfantin ("amours enfantines" jeux
amoureux purs) et en mouvement ("courses") dans la nostalgie intense de la pureté de l'enfance.
Par l'accumulation aux vs 22 et 23 les noms communs créent une synesthésie (correspondance
horizontale) : on peut évoquer tout d'abord l'ouïe avec les "chansons" et les "violons" dont la
diérèse VI_O_LON et l'allitération en V avec "vibrant" créent une sonorité poétique. Les
"bouquets" quant à eux amènent à la fois les sensations visuelles et auditives. Enfin, les baisers
jouent sur la senstion tactile et auditive. Nous percevons les bribes de ces joies comme des
spectateurs éloignés d'une fête champêtre puisque la musique s'effectue "derrière les collines".
Le thème de la fête se développe dans le vers 24 où la 1e hémistiche reprend l'allitération n V et
nous fait entendre une ivresse légère et harmonieuse tandis que la 2e fait percevoir une
allitération en S nous conduisant dans des refuges naturels protecteurs "le soir dans les
bosquets". Les enjambements tout au long de cette strophe renforcent l'impression d'harmonie et
de continuité.
La poésie, comme le ferait la musique, crée ici une émotion sensorielle. Ce monde créé par les
mots et les idées est un refuge loin de l'ici-bas, un moment suspendu comme nous sommes
suspendus, en attente du verbe qui se rattache à cette énumération à travers l'enjambement entre
les 2 strophes.
L'antépiphore au discours direct (tiret) remet la conj "mais" en avant et le lecteur se souvient
que cette image n'est pas le monde réel. Le poète (et Agathe) vont s'adresser directement à lui et
aux autres êtres pour faire entendre la plainte .

Le vers 26 crée un lien fort avec la strophe précédente avec la répétition du mot "paradis": de
"vert" il est devenu innocent. De l'image sensorielle on passe à la notation morale. Les plaisirs
purs de la strophe 5 sont ici qualifiés de "furtifs" comme s'ils étaient déjà de l'ordre de ce que
l'on ne peut plus rattraper. Vers 27 l'adv "loin" revient à nouveau (mot le plus présent avec
paradis: donc thème paradis perdu) mais cette fois dans une question angoissée (inversion est-il

4 Plaisir sensuel intense ; ici l'adj « pure » vient donner une connotation positive à un terme ambivalent chez
Baudelaire (volupté souvent impure).
dans un présent qui permet de constater ce qui a disparu) et un comparatif de supériorité "plus
loin". Comparaison avec l'Inde et la Chine un ailleurs lointain porteur de rêve (difficile à
atteindre). La dernière question angoisée court sur 3 vers (avec enjambements) : inversion
"peut-on": le poète , image des êtres englués dans le monde réel , cherche à résoudre
l'éloignement spatial (difiicile mais possible) et temporel ("le rappeler" comme qqc de perdu
dans le passé), impossible sinon par le souvenir. Les âmes comme chez Pkaton auraient la
nostalgie de cet ailleurs perdu. La souffrance engendrée est une approche du spleen pour tout un
chacun avec les "cris plaintifs" représentatifs de ce que nous éprouvons quand nous ne pouvons
atteindre nos idéaux.
Le désir du poète et de tout un chacun est ici d'être en harmonie avec ce monde et d'être en
correspondance avec lui en faisant resurgir le paradis perdu : "l'animer encore (le faire revivre)
d'une voix argentine (qui résonne comme de l'argent, voix claire , pure)" : regret d'un monde de
rêve et regret de la pureté enfantine se mêlent ici.
La dernière antépiphore nous laisse sur une question sans réponse: l'être peut-il retrouver l'Idéal
et fuir loni du spleen? Si la réponse semble être non, le poète n'en a pas moins recréé par la
poésie un univers beau et parfait tout en sonorités. Ainsi, si la dernière strophe semble
pessimiste sur la capacité à se débarasser de ce qui nous entrave, elle prouve cependant par
l'assonance en I la capacité de l'artiste par son pouvoir créateur à faire vivre au moins par
l'imagination ce monde. Le poète est bien un alchimiste pouvant changer la boue du monde réel
en or.

CONCLUSION : Ainsi, Moesta et errabunda a permis à l'individu par le biais de la poésie de


s'élever vers un Idéal même s'il ne parvient pas à l'atteindre. Baudelaire, par la magie du rythme
poétique, nous a permis de visualiser les pouvoirs du poète alchimiste, changeant ce qui est laid
au début du poème en un rêve doux et nostalgique, et donc en or. Triste et exilée comme
l'indique le titre, Agathe, la compagne -accompagnatrice imaginaire du poète, l'aide à entrevoir
un ailleurs beau mais inaccessible. On a ici résumé la quête de Spleen et Idéal. Mais si le voyage
concret a échoué , le voyage poétique a abouti. Nous avons oublié les laideurs du monde réel
qui est malgré ses souffrances inspiration poétique pour l'artiste qui crée des textes pour s'en
échapper. OUVERTURE: Dans les Tableaux parisiens le thème de la boue, très présent ici au
début du poème, sera très développé; Le poète ne cherchera plus à partir, à fuir mais il
contemplera fasciné ces horreurs riches en inspiration pour lui, faisant des malheureux
rencontrés ses frères de misère.

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