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Département de Langue et Littérature Françaises

SEMESTRE 6
Module : La Poésie contemporaine
(4)
Prof. Ijjou CHEIKH MOUSSA

Lecture et analyse du poème « Et vous, Mers… »


Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous un soir aux rostres
de la Ville, parmi la pierre publique et les pampres de bronze ?
Plus large, ô foule, notre audience sur ce versant d'un âge sans déclin : la Mer, immense et
verte comme une aube à l'orient des hommes,
La Mer en fête sur ses marches comme une ode de pierre : vigile et fête à nos frontières,
murmure et fête à hauteur d'hommes ̶ la Mer elle-même notre veille, comme une
promulgation divine…

L'odeur funèbre de la rose n'assiègera plus les grilles du tombeau; l'heure vivante dans les
palmes ne taira plus son âme d'étrangère... Amères, nos lèvres de vivants le furent-elle
jamais ?
J'ai vu sourire aux feux du large la grande chose fériée : la Mer en fête de nos songes,
comme une Pâque d'herbe verte et comme fête que l'on fête,
Toute la Mer en fête des confins, sous sa fauconnerie de nuées blanches, comme domaine
de franchise et comme terre de mainmorte, comme province d'herbe folle et qui fut jouée aux
dés...

Inonde, ô brise, ma naissance ! Et ma faveur s'en aille au cirque de plus vastes pupilles!...
Les sagaies de Midi vibrent aux portes de la joie. Les tambours du néant cèdent aux fifres de
lumière. Et l'Océan, de toutes parts, foulant son poids de roses mortes.
Sur nos terrasses de calcium lève sa tête de Tétrarque.

Saint-John Perse, Amers, Paris: Poésie/Gallimard, 1988, p. 13.

8
Introduction

« Le vrai drame du siècle est dans l’écart qu’on laisse croître entre l’homme temporel et
l’homme intemporel »1, affirme Saint-John Perse dans son Discours de Stokholm prononcé
lors de la réception du Prix Nobel de littérature le 10 décembre 1960. Toute son œuvre est
une quête de l'unité entre les deux versants de l’homme, celui de l’homme embourbé dans le
matériel, « l’homme usuel aveuglé d'astres domestiques »2 et celui de « l’homme éclairé » 3
assoifé d’infini, « le pèlerin d’amour et d’absolu »4, qui cherche inlassablement la présence
du « divin » dans les choses.

La quête spirituelle persienne s’opère hors des cadres religieux traditionnels. Le divin,
chez Perse est de l’ordre de l’immanence et non de la transcendance ; il n’est pas situé dans
un au-delà du monde où règne la Face de Dieu, mais ici-bas, dans « l’immédiat du monde ».
Lors d’une conversation rapportée par le poète Claude Vigée, Perse déclare à ce sujet :

« Le feu divin, me dit Saint-John Perse, m'apparaissait déjà dans l'immédiat du


monde. Je n'avais besoin d'aucun intercesseur, sinon de ceux-là mêmes dont notre
univers se constitue ici bas. C'est pourquoi je n'ai jamais pu me sentir tout à fait
chrétien: comme les vrais enfants des îles, ajouta-t-il avec un sourire que démentait
le sérieux de son regard très noir, je suis sauvé de naissance… » 5

L’appréhension du divin chez Perse se fait grâce à la participation aux forces vitales du
monde (Neiges, Pluies, Vents, Mers, Oiseaux) ; c’est par l’observation du monde que l’on
peut espérer accéder aux secrets du monde, à « l’énergie spirituelle dans le monde »6. Et le
rôle de la poésie est justement de révéler les secrets du monde, de témoigner de la présence
du divin dans les choses:

« De l'exigence poétique, exigence spirituelle, sont nées les religions elles-mêmes, et


par la grâce poétique, l'étincelle du divin vit à jamais dans le silex humain. Quand les
mythologies s'effondrent, c'est dans la poésie que trouve refuge le divin ; peut-être
même son relais. »7

Et le rôle du poète est de « tenir pour nous liaison avec la permanence et l’unité de l’Être »8

1
SAINT-JOHN PERSE, POESIE. Allocution au banquet Nobel du 10 décembre 1960, in : Amers,
Paris : Pésie/Gallimard, 1970, p. 170.
2
SAINT-JOHN PERSE, Amers, VI, p. 64.
3
POESIE. Allocution au banquet Nobel du 10 décembre 1960,op.cit, p.170
4
SAINT-JOHN PERSE, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,
1972 p.450 .
5
Ibid., p. 1302-3
6
Id., Poésie, Allocution …, op.cit., p. 171.
7
Ibid., p. 169.
8
Ibid., p. 170.
9
Dans cette quête de l’Être, la mer occupe une place centrale ; elle est le « miroir
symbolique de toutes les recherches humaines, temporelles et éternelles9». Amers, écrit
pendant la Seconde Guerre mondiale et publié en 1957 chez Gallimard, est tout entier centré
sur l’élement maritime ; c’est un hymne « en l’honneur de la Mer . Une note de Perse pour
son traducteur suédois Erik Lindegren, explicite la thématique globale de ce long poème de la
mer :

« J'ai voulu exalter, dans toute son ardeur et sa fierté, le drame de cette condition
humaine, ou plutôt de cette marche humaine, que l'on se plaît aujourd'hui à ravaler et
diminuer jusqu'à vouloir la priver de toute signification, de tout rattachement
suprême aux grandes forces qui nous créent, qui nous empruntent et qui nous lient.
C'est l'intégrité même de l'homme - et de l'homme de tout temps, physique et moral,
sous sa vocation de puissance et son goût du divin - que j'ai voulu dresser sur le seuil
le plus nu, face à la nuit splendide de son destin en cours. Et c'est la Mer que j'ai
choisie, symboliquement, comme miroir offert à ce destin - comme lieu de
convergence et de rayonnement : vrai "lieu géométrique" et table d'orientation, en
même temps que réservoir de forces éternelles pour l'accomplissement et le
dépassement de l'homme, cet insatiable migrateur.
J’ai pris la marche vers la Mer comme une illustration de cette quête errante de
l’esprit moderne, aimanté toujours par l’attrait même de son insoumission.10»

Composé à la manière des tragédies antiques, Amers comprend 4 mouvements :


« Invocation », « Strophe », « Chœur » et « Dédicace ». Le chant « Et vous, Mers… », objet
de notre analyse, ouvre le premier mouvement qui est une sorte d’exorde ; il se présente
comme une invocation, une louange adressée à un locuteur symbolique : la Mer, force
médiatrice entre le monde des apparences et le monde de la profondeur, lieu privilégié de la
rencontre avec l’Être : « auxiliatrice et médiatrice autant que révélatrice – au cœur même de
l’homme »11, déclare Saint-John Perse.

Annonce du plan
1. La composition du chant
2. Le cadre spatio-temporel
3. Les protagonistes
4. Poétique de l’éloge

9
Carol RIGOLOT, Saint-John Perse: la culture en dialogues, Paris : L'Harmattan, coll. « Critiques
littéraires », 2007, p. 182.
10
SAINT-JOHN PERSE, « Note pour un écrivain suédois sur la thématique d’Amers », in :
Œuvres complètes, op.cit., p. 569-570 .
11
Ibid., p. 570.
10
Dévéloppement

1. Composition du chant

Le chant possède une compostion tripartite qui rappelle le mouvement de l’ode


pindarique12. Pindare13 (518 – 438 av. J.-C.) est l’un des plus grands poètes lyriques grecs.
L’ode pindarique célèbrait les dieux et les hauts faits des hommes illustres ; elle était
accompagnée de danse, en cercle autour d’un autel. Elle était formée d’une triade composée
d’une Strophe, d’une Anti-strophe et d’une Epode. Les deux prémières parties étaient
chantées sur la même mélodie et la la troisième sur une autre mélodie.
La première partie du chant, qui correspond à la strophe de l’ode pindarique, occupe la
première strophe (« Et vous Mers… divine »). C’est une requête, la sollicitation d’une
rencontre d’un ‘’nous’’, qui représente la foule qui afflue vers la Mer, et d’un ‘’vous’’ qui
représente la Mer, à laquelle est adressée la requête. La seconde partie, équivalent de l’anti-
strophe, s’étend sur la 2ème strophe (« L’odeur funèbre… jouée aux dés »). C’est une louange
adressée à la Mer. La troisième partie (« Inonde…Tétrarque ! »), équivalent de l’Epode de
l’ode pindarique, et plus courte que les deux premières parties, occupe la dernière strophe du
chant. Elle dit la rencontre du ‘’nous’’ et du ‘’vous’’, la manifestation de la Mer aux hommes
venus la solliciter. C’est la réponse à l’interrogation posée dans la première strophe (1er
verset).
Les deux premières parties sont construites sur le même schéma prosodique : 3 versets
chacune, et presque le même schéma syntaxique. Dans la première nous avons 2 phrases :
une phrase intérrogative, suivie d’une phrase déclarative distribuée sur 2 versets et terminée
par des points de suspension ; dans la deuxième, nous avons 3 phrases : une phrase
déclarative suivie d’une phrase intérrogative puis d’une phrase déclarative elle aussi
distribuée sur 2 versets et terminée par des points de suspension. La troisième partie est
constituée de 2 versets et de 5 phrases dont 3 exclamatives. Les interrogations des parties
précédentes cèdent la place à l’exclamation, expression de l’émotivité de la foule face à la
révelation.
La symbolique des nombres14 attribue une signification spirituelle aux chiffres et « peut
déterminer aussi bien le nombre des vers que celui des strophes d’un poème… »15. Le chiffre
3, qui domine dans le texte de Perse, est le plus sacré des nombres, il symbolise la totalité, la
plénitude et représente le principe divin ; dans le texte persien, il exprime la nature spirituelle
de la quête. Le chiffre 2 symbolise la dualité, les deux versants de l’homme. Le 5 est le chiffre
12
On distingue trois types d’ode : l’ode pindarique caractérisée par son style sublime ; l’ode
horatienne (du poète Horace) de style moyen et teintée d’épicurisme, et l’ode anacréontique (du
poète Anacréon) de style plus leger et traitant des sujets familiers.
13
Saint-John Perse est un admirateur de Pindare qu’il a traduit. Voir à ce sujet l’article de Colette
Camelin, « Saint-John Perse, lecteur de Pindare », Revue d'Histoire littéraire de la France, Vol. 91
(4/5), 1991, p. 591-611.
14
Voir à ce sujet : E.R. CURTIUS, La littérature européenne et le Moyen-âge latin, t.II, Paris : PUF,
1956, p. 327-349.
15
Ibid., p. 334.

11
du centre et en tant que somme (2+3) il symbolise l’union, l’immanence, c’est-à-dire la
présence de l’Être en la matière elle-même16 ; dans notre texte, il peut signifier les
retrouvailles, la rencontre de la Mer et du ‘’nous’’.

2. Cadre spatio-temporel

a. Le temps

Indication temporelle : « un soir » →Temporalité indéterminée.

Aucune description du soir. Le poète ne s’intéresse pas au soir pour le spectacle qu’il
peut offrir, le soir est choisi parce qu’il est le moment priviligié de la méditation. L’emploi de
l’article indéfini ‘’un’’ devant ‘’soir’’ peut avoir deux valeurs : une valeur de singularisation
qui l’extrait de l’ensemble des soirs, autrement dit, il s’agit d’un soir différent des autres soirs,
ou bien une valeur emphatique qui met l’accent sur sa qualité . Les deux valeurs se rejoignent
pour souligner le caractère exceptionnel de ce moment.

Le temps est aussi balisé par les temps verbaux qui tracent les étapes de la quête :

- ‘’qui lisiez’’ : l’imparfait à valeur historique marquant la durée et renvoyant à un


temps passé où la Mer était proche des hommes ;
- ‘’nous laisserez-vous… ?’’ : le futur employé dans l’interrogation et exprimant la
crainte d’être à jamais séparés de la Mer ;
- ‘’n’assiègera plus’’, ne taira plus’’: le futur à valeur prophétique qui vient dissiper la
crainte et exprimer l’espoir des retrouvailles avec la Mer ;
- ‘’J’ai vu sourire…’’ : le passé composé qui a une valeur de témoignage ;
- ‘’inonde ‘’ : l’impératif à valeur injonctive, exprimant la prière du « je » qui
demande la bénédiction de la Mer ;
- vibrent’’, ‘’cèdent’’ , ‘’lève’’ : le présent d’actualité qui correspond au temps de la
communion générale avec la Mer.

b. L’espace

Deux espaces sont en présence, un espace urbain, celui de la ‘’Ville » et un espace


naturel, celui des‘’Mers’’ :
« Et vous, Mers, qui lisiez dans de plus vastes songes, nous laisserez-vous un soir
aux rostres de la Ville, parmi la pierre publique et les pampres de bronze ? »
L’emploi des majuscules allégorise et les Mers et la Ville. Et comme dans toute allégorie
deux sens se superposent : un sens apparent dans lequel la Ville renvoie à l’espace urbain et
les Mers à l’élément marin, et un sens figuré qui fait de la Ville l’allégorie du monde
physique et des Mers l’allégorie de l’autre versant de ce monde, le « versant d’un âge sans
déclin ». Les deux espaces s’opposent :

16
Dans Chant pour un équinoxe, Saint-John Perse écrit : « Dieu l’épars nous rejoint dans la diversité »,
in : Œuvres complètes, op.cit., p. 437.
12
- par l’article qui les détermine : Ville au singulier et Mers au pluriel ⇒ Ville = espace
restreint, délimité ≠ Mers = espace immense, sans limites ;
- par leurs caractéristiques : l’espace de la Ville évoque la Rome antique et son
faste architectural , mais il est placé sous le signe du mineral, du /non-vie/: ‘’rostres’’,
‘’pierre publique’’, ‘’pampres de bronze’’, ‘’terrasses de calcium’’; tandis que celui
de la Mer évoque un espace primitif placé sous les signes du végétal et de la lumière,
de la /vie/: ‘’palmes’’, ’’sagaies de midi’’, ‘’fifres de lumière’’.

3. Les protagonistes

Schéma actanciel

Objet Destinataire
Destinateur (Mer, Être) (L’Humanité)
(la foule)

Quête

Adjuvant Sujet Opposant


(Le Songe) ( La Mort, le
(Le Poète)
Néant)

a. La Mer

La Mer est saisie dans sa réalité d’espace maritime et d’espace symbolique. Elle continue
à être ce qu’elle est tout en incorporant une réalité qui appartient à un mode d’être supérieur .
Elle se rapproche de ce que Mircéa Eliade, à la suite de Rudolf Otto17, appelle le « Tout-
autre » et qui se manifeste comme « une réalité d’un tout autre ordre que les réalités
naturelles »18. Etant « Tout-autre », elle est ineffable et innommable, c’est pourquoi elle est

17
Rudolf OTTO, Le Sacré. L’élément non rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le
rationnel, trad. Fr. A. Jundt, Paris : Ed. Payot, 2001 (1ère édition 1949).
18
M. Eliade, Le sacré et le profane, Paris : Gallimard, coll. « Folio Essais », 1965, p. 16.

13
désignée par des périphrases : ‘’la grande chose fériée‘’, ‘’âme d’étrangère ‘’ et par des
caratérisations .

Ses caractéristiques :

- lieu de rassemblement , la Mer devient une sorte d’autel sacré ;


- l’immensité : ‘’ Mers, ‘’immense’’, ‘’Océan’’ Préside au destin de l’homme : ‘’Nous
laisserez-vous un soir aux rostres de la Ville…?’’ ;
- objet de respect : le vouvoiement : ‘’Et vous, Mers…’’ et de vénération, objet fêté :
‘’comme fête que l’on fête’’
- le pouvoir de pénétrer dans les esprits : ‘’lisiez dans de plus vastes songes’’ ;
- l’éternité: ‘’versant d’un âge sans déclin’’, ‘’ode de pierre’’;
- source de vie, de renaissance, d’espoir et de joie: ‘’verte comme une aube à l’orient
des hommes’’, ‘’promulgation divine’’, ‘’vivante’’ ,‘’Pâque d’herbe verte’’, ‘’vibrent
aux portes de la joie’’ ;
- domaine de liberté : ‘’sa fouconnerie de nuées blanches’’( le faucon est symbole de
puissance et de liberté), ‘’domaine de franchise’’, ‘’terre de mainmorte ;
- le pouvoir de vaincre la mort : ‘’L’odeur funèbre de la rose n’assiégera plus les grilles
du tombeau’’, ‘’Les tambours du néant cèdent aux fifres de lumière’’, ‘’foulant son
poids de roses mortes’’ ;
- terre à conquérir, une sorte de paradis perdu : ‘’province d’herbe folle et qui fut jouée
aux dés’’ ;
- la puissance et la souveraineté : ‘’sa tête de Tétrarque’’
- un guide qui oriente les hommes vers le lieu de l’Être situé à l’est, à l’orient : ‘’une
aube à l’orient des hommes’’ ( l’Orient est le berceau de l’humanité, il symbolise le
lieu de la lumière et de la sagesse ;
- moyen d’élévation spirituelle: ‘’murmure et fête à hauteur d’homme’’, ‘’lève sa tête
de Tétrarque’’.

c. La foule

La foule est constituée de tous les hommes en quête d’Absolu et parmi lesquels figure le
poète, d’où l’emploi du pronom personnel sujet ‘’nous’’ et des déterminants possessifs
‘’notre’’ (2 occurrences) et ‘’nos’’ (4 occurrences). La foule est désignée à travers sa quête et
son rapport à la Mer. Ce rapport est celui de la vénération (voir les occurrences du mot
‘’fête’’ et ses dérivés) ; celui d’un inférieur avec son supérieur (‘’nous laisserez-vous …’’),
d’un vassal avec son suzerain (‘’sur nos terrasses de calcium lève sa tête de Tétrarque’’). La
foule est aussi présentée dans une situation d’attente, attente de la revélation et de la
communion avec la Mer (’’vigile’’, ‘’veille’’).

d. Le « Je »

14
Dans la deuxième et la troisième strophe, le ‘’nous’’de la foule cède la place au ‘’je’’du
poète lyrique qui vient, non pour épancher son « moi » à la manière du poète romantique,
mais pour témoigner de son expérience spirituelle et de sa rencontre avec l’Être.

- Le ‘’je’’ est présenté comme un voyant, celui qui voit ce que les autres ne voient pas :
‘’J’ai vu sourire aux feux du large la grande chose fériée…’’
- Le ‘’je’’ est un être élu de naissance : ‘’Inonde, ô brise, ma naissance !’’
- Le « je » demande à être éclairé par la Mer, non pour lui même mais pour les autres
hommes (d’où l’emploi du verbe ‘’Inonde’’), pour leur transmettre les messages de la
Mer et partager sa vision avec eux:‘’Et ma faveur s’en aille au cirque de plus vastes
pupilles…’’

4. Poétique de l’éloge

Le premier trait de la parole élogieuse est celui de la grandiloquence ⇒ grand style,


style sublime. Le sublime selon Longin est ce qui « ravit » et « transporte » l’auditeur ; il ne
vise ni à « plaire » ni à « persuader » :

« Il ( le Sublime ) ne persuade pas proprement, mais il ravit, il transporte, et


produit en nous une certaine admiration mêlée d’étonnement et de surprise, qui est
toute autre chose que de plaire seulement, ou de persuader. »19

Dans « Strophe III » d’Amers, pour renouveler leur art, les Tragédiennes réclament un grand
style :

« Ah ! qu’un grand style encore nous surprenne, dans nos années d’usure, qui
nous vienne de mer et de plus loin nous vienne, ah ! qu’un plus large mètre nous
enchaîne à ce plus grand récit des choses par le monde, derrière toutes choses de
ce monde, et qu’un plus large souffle en nous se lève, qui nous soit comme la mer
elle-même et son grand souffle d’étrangère ! » (p.47 )

Les marques du sublime :

- « l’invention » :
 La mer est l’image même du sublime, incarnation du divin dans les choses ;
elle est personnifiée et douée d’une âme.
 La célébration de la Mer comme lieu de l’Être ;

- l’emploi du verset, auquel on attribue une valeur originelle qui le situe en deçà des
catégories poétiques. Le verset persien imite le verset biblique des Psaumes qui célèbrent le
Créateur dan sa création. Sa forme plus étendue et plus souple que celle du vers, épouse et le
chant hymnique du poète et le mouvement de la Mer.

19
LONGIN, Traité du sublime, traduction de Boileau, Paris : Bibliothèque classique du livre de poche,
1995, p.74.
15
- l’emploi du coordonnant ‘’Et’’ à l’ouverture du poème ; ‘’Et vous, Mers…’’ qui imite
la syntaxe paratactique de la langue hébraïque et du style épique.
- le lexique emprunté à des savoirs spécialisés : l’architecture (‘’rostres’’, pierre
publique’’, pampres de bronze’’, ‘’terrasses’’ ; le juridique (‘’domaine de franchise’’, ‘’terre
de main morte’’) ; le domaine de la chasse (‘’sous sa fauconnerie de nuées blanches’’). Ce
lexique participe à la connaissance du monde.

- la multiplication des phrases nominales, trait du style persien. Selon Roger Caillois, ce
procédé « exprime la constatation pure, l’évènement enregistré sans description ni
commentaire dans une secheresse absolu d’expression »20.
- l’usage du vocatif qui contribue à créer une tonalité élévée dans la tradition de
l’hymne : ‘’ô foule ‘’, ‘’ô brise’’

- les figures de répétition à valeur incantatoire qui sont des substituts du mètre et de la
rime :

*répetition lexicale de ‘’Mer’’ et ‘’fête’’, ‘’verte’’;

* Polyptote : ‘’fête/ fériée » », ‘’vivante/vivants’’, ‘’rose/roses’’

* anaphore : ‘’Et vous’’, Et ma faveur’’, Et l’Océan’’/ ; ‘’La mer immense’’/


‘’la mer en fête’’/ ‘’La Mer elle-même’’, la Mer en fête de nos songes’’.

* allitérations:/f/, /v/, /m/, /r/, /s/

* parallélisme syntaxique :

- La Mer…comme une ode’’/ la Mer…comme une promulgation’’, ‘’la Mer…


comme une Pâque’’, ‘’Toute la Mer… comme domaine… et comme terre de
mainmorte, comme province d’herbe folle’’ ;

- ‘’Les sagaies de Midi vibrent aux portes de la joie/ ‘’Les tambours du néant
cèdent aux fifres de lumière’’= Nom + de + nom + verbe + aux + nom + de +
nom.

- Les figures d’analogie sous forme de comparaisons avec ‘’comme’’, qui sont des
composantes majeures du langage figuré de l’écriture persienne et par lesquelles le poète
essaie de rendre l’invisible visible : « Par la pensée analogique et symbolique, par
l’illumination lointaine de l’image médiatrice, et par le jeu de ses correspondances, sur mille
chaînes de réactions et d’associations étrangères, par la grâce enfin d’un langage où se
transmet le mouvement de l’Être, le poète s’investit d’une surréalité qui ne peut être celle de
la science. »21

Conclusion

20
Roger CAILLOIS, Poétique de Saint-John Perse, Paris : Gallimard, 1972 (1ère édition 1954), p.
21
« Poésie. Allocution… », op.cit., p. 168.
16
La conclusion doit comporter une récapitulation de l’analyse et une ouverture, soit une
ouverture sur d’autres textes de Perse, soit sur d’autres auteurs ayant traité la même
thématique.

17

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