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Presses Universitaires du Midi

Narcisse ailé Etude sur Muerte de Narciso (1937) de J. Lezama Lima


Author(s): Monique de LOPE
Source: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, No. 29 (1977), pp. 25-44
Published by: Presses Universitaires du Midi
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40849755
Accessed: 26-02-2022 01:59 UTC

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Narcisse ailé
Etude sur Muerte de Narciso (1937)
de J. Lezama Lima

PAR

Monique de LOPE
Université Paul-Valéry de Montpellier.

Je.
Le poème présente trois parties :
1. la première strophe;
2. strophes 2 à 15;
3. strophe 16.
La première strophe nous donne l'axe d'un destin et en évoque la
réalisation. Elle joue un rôle prémonitoire, dans la mesure où elle
synthétise le projet du poème.
« Danae teje el tiempo » : du présent, temps du mythe, temps fatal,
nous passons à l'imparfait, temps de l'anecdote et du devenir (« Era
el círculo en nieve que se abría »), qui se résoud à son tour en un
présent. Celui-ci nous montre l'image éternelle de Narcisse, l'image
créée par le mythe, donnée une fois pour toutes :
« la perfección que muere de rodillas
y en su celo se esconde y se divierte. >

La dernière strophe organise une synthèse, non plus du projet du


poème, mais des images évoquées dans le développement. Nous rele-
vons une affinité par exemple entre l'image du sang qui jaillit de la
blancheur (str. 11) :

« Relámpago es violeta si alfiler en la nieve... »

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16 C. DE CARAVELLE

et le premier vers de la stro


« Chillidos frutados en la nieve, el secreto en geranio conver-
tido »

De même,
« ...espadas y pestañas vienen
a entregar el sueño, a rendir espejo en litoral de tierra y roca
impura. »

reprend les images de la strophe 7 :


« ...junto a la fuente que humedece el sueño.
La ausencia, el espejo ya en el cabello que en la playa
extiende... ».

Nous retrouvons l'alternative présentée à la strophe 12 légèrement


modifiée à la strophe 16 :
« Si se aleja... si se hunde... » (str. 12).
et

« Si atraviesa el espejo... si se sienta... si declama... » (str. 16).

L'effet de condensation qui résulte de cette synthèse précipite le


rythme, et cette dernière strophe se hâte vers un dénouement dont
témoignent les expressions : « vienen a entregar el sueño », « ya tras-
pasa... », ainsi que le dernier vers :
« Así el espejo averiguó callado, así Narciso en pleamar fugó
sin alas. »

L'emploi du prétérit, qui n'apparaît que dans ce vers, accentue l'im


pression de dénouement.
Entre ces deux strophes se succèdent les images de la trajectoire
de Narcisse, de l'accomplissement de son destin. Il ne faut pas
chercher, cependant, de développement chronologique de l'anecdote.
Ainsi, l'auteur nous communique dès la troisième strophe une vision
du corps mort :
« Frío muerto y cabellera desterrada del aire
que la crea, del aire que le miente son
de vida arrastrada a la nube y a la abierta
boca negada en sangre que se mueve. »

Tandis que le mouvement décrit à la strophe suivante précède le


moment où Narcisse verra son reflet :

« La mano que por el aire líneas impulsaba,


seca, sonrisas caminando por la nieve.
Ahora llevaba el oído al caracol, el caracol
enterrando firme oído en la seda del estanque. »

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Du fait que la chronologie ne régit pas de façon absolue la distri-


bution des images, nous inférons qu'il ne s'agit pas, dans ce poème,
d'une description de la « mort de Narcisse », mais d'une réflexion qui
s'élabore par la confrontation des images.
« Dócil rubí queda suspirando en su fuga ya ascendiendo » :

la fascination de Narcisse par son reflet oriente une quête qu'expri-


me la réitération des mots preguntar, preguntas, buscar, et dont le
cheminement (caminos, rutas, estela) n'aboutit pas : l'égarement
apparaît avec les verbes « divertirse » et « divagar », pris tous deux
au sens de se « dé-voyer ». Quête frustrante, donc, et douloureuse. La
joie apparente à la strophe 4 (« sonrisas caminando por la nieve »)
laisse la place à « hastío » (str. 6 et 14), à « rabia » (str. 12), à la
tristesse aussi (« Triste recorre... » str. 9).
Remarquons que ces aspects de la quête de Narcisse sont pré-
sents dans les trois groupes d'images qui, à la manière d'un écho,
se répètent au long du poème :
- l'interrogation est évoquée en six occasions (str. 6, 7, 8, 11, 12)
dans un contexte négatif;
- la chevelure offre à trois reprises (str. 3, 7, 15) des images
d'isolement (desterrada, aislado), ainsi que la condition d'un être
aérien déchu (« desterrada del aire que la crea ») voué à la repta-
tation (« que en la playa extiende », « reptan ») ;
- le troisième groupe (str. 7, 10, 11, 12, 14) présente une image
de destruction qui réunit dans son contexte le corps de Narcisse et
l'eau (sous diverses formes).

Nous avons là une esquisse du développement du poème. Nous étu-


dierons maintenant les images dominantes, les mécanismes de l'ex-
pression, l'organisation des métaphores.

L'étude des locutions spatiales montre une tendance obsessive à


situer les divers mouvements et objets. On dénombre une quaran-
taine de locutions ou de prépositions à cet effet : en, entre, donde,
por, en su centro, sobre, en torno de, junto a, de frente a, en su
borde o en su frente. C'est toujours le lieu du mouvement qui est
envisagé, sauf dans deux cas où un but est proposé :
« No se apresura tal vez su fría mirada
sobre la garza real...?» (str. 2).
et

« Tierra húmeda ascendiendo hasta el rostro » (str. 11).

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Dans ce dernier vers hasta n'indique pas cependant l'aboutisse-


ment d'un mouvement réel, ce qui limite sa valeur expressive.
Remarquons que « desde », à la seconde strophe, a une simple va-
leur de situation : « Vertical desde el mármol ».
C'est donc une localisation qui prédomine, et dont les principaux
terrains sont :
- l'eau et son pourtour, l'eau sous ses formes métaphoriques
(« sobre el otoño de aguas tan hirvientes », « en la ola », « junto a la
fuente », « desde el mármol », « en la playa », « en litoral de tierra »,
« en la seda del estanque », « en torno de ajedrez dormido », « en
el espejo sin estrías », etc.) ;
- certaines parties du corps humain et leur expression métapho-
rique (« en el pecho », « entre frentes y garfios », « entre labios y vue-
los », « en la nieve », « en la pluma », « nidos blancos, en su centro
encienden... »).
A côté de ces lieux dominants, nous relevons l'air dans deux
expressions : « por el aire » et « en el cielo apuntalado ». Un bruit, en
une occasion sert de référence spatiale : « el surtidor de frente a su
sonido » (str-12).
Ainsi, le corps et l'eau apparaissent comme les espaces favoris du
poème. Les éléments d'un paysage lié au contexte anecdotique sont
peu nombreux : la floresta, los pinos, los bosques, la playa, el litoral
de tierra y roca impura. Si on leur rattache les images anecdotiques
de l'eau (estanque, fuente), l'espace peut être vu selon deux pers-
pectives :
- celle d'un espace décor, peu important;
- celle d'un espace poétique, considérable, qui englobe le corps
humain, l'eau, et de façon secondaire, l'air.

La valeur spatiale du corps est relevée par l'emploi de métaphores


topographiques (islas, caminos). C'est un espace parcouru (« los
cabellos... reptan perfiles, labios sus rutas » - « Ascendiendo en el
pecho solo » - « el otoño recorre las islas no cuidadas » ) , dont les
limites sont floues (« nube en el desgaire » - « el perfil desgajado »)
ou au contraire dessinées avec précision : « curva ceñida en ceni-
ciento airón » - « curvos brazos y engaste de la frente » ) .
Lorsque le corps est évoqué sous des termes propres, non métapho-
riques, il se produit un éclatement de ses parties. Une seule fois nous
en recevons une vision unitaire, à la strophe 12 :
« tejen blanco cuerpo en preguntas de estatua polvorienta. »

Hormis cette image, ce sont des fragments que l'œil perçoit :


brazos, manos, dedos, pecho, frente, boca, labios, lengua, ojos, oído,

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NARCISSE AILÉ 29

rostro, perfil, cabello, gargant


piel, pulso. Le corps est un espace infiniment fragmenté et que
l'abondance de ces fragments, leur répétition, leur mise au plu-
riel (frentes) semble démultiplier.
Or, cette démultiplication, n'est-elle pas aussi celle de l'eau : la
strophe 9 nous en donne quelques images :
« Convocados se agitan los durmientes, fruncen las olas batiendo
en torno de ajedrez dormido, su insepulta tiara.

Reluce muelle : falsos diamantes... >,

images où nous voyons miroiter les facettes de l'eau.


Sous la métaphore du miroir, l'eau est d'ailleurs sujette à la
fragmentation, ainsi que le suggère cette image de la strophe 14 :
« recta destroza vidrio en el oído. »

Ce qu'elle reflète est également brisé : « el granizo/en blando


espejo destroza la mirada que le ciñe ». On dirait que l'ensemble de
l'espace considéré participe de cette qualité du miroir qui fait que
toute fragmentation est une démultiplication.

La dispersion de l'espace, du corps en tant qu'espace, est aussi


dépossession 0) : comment refaire l'unité perdue d'un corps dont
les éléments paraissent autonomes ?
Sur une soixantaine de références à une partie du corps, six
d'entre elles seulement font apparaître une forme possessive, et cette
absence relative du possessif ne laisse pas de renforcer l'autonomie
des éléments. L'emploi, en son lieu, de l'article défini, ou même l'ab-
sence d'article, isolent les fragments du corps autant que peut le
faire le contexte : « se destacan los brazos », « cabellera desterrada »,
« aislado cabello », « un río que recurva y aprisiona los labios », « el
pecho solo », « un aliento que olvida y desentraña ».
En outre, par voie de métaphore ou de juxtaposition, ces fragments
deviennent objets : « los dedos en inmóvil calendario », « ahogadas
cintas mudo el labio las ofrece », « el rostro, flecha cerrada », « entre
frentes y garfios », « espadas y pestañas », « el aliento que en halo
convertía ».
Espace dispersé, duquel le sujet est dépossédé, et pour lequel celui-
ci ne peut exister qu'en tant qu'objet passif, comme en témoi-
gnent les deux seules références à la première personne grammati-
cale : « pez mirándome », « espaldas que nunca me preguntan ».

(1) Severo Sarduy fait allusion à la dépossession de l'espace dont souffre le


sujet baroque (Barroco p. 66, éd. du Seuil, 1975).

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Les images de l'eau.

Le mythe de Narcisse et l'apport métaphorique de la poésie baro-


que fournissent la métaphore récurrente du miroir comme une
image superficielle de l'eau.
Sa surface est encore évoquée par une série de métaphores :
« fruncen las olas/. ..su insepulta tiara », « Su insepulta madera
blanda », « ajedrez dormido » (str. 9).
La dimension la plus essentielle de l'eau n'est cependant pas le
plan, mais la profondeur, à laquelle fait allusion, a contrario, l'image
de surface contenue dans « insepulta ».
Dès la strophe 3 nous voyons s'entrouvrir cette profondeur mys-
térieuse :

« El espejo se olvida del sonido y de la noche


y su puerta al cambiante pontífice entreabre. »

II y a donc un au-delà du miroir, une réalité entrevue derrière l'ap-


parente réalité du reflet.
La profondeur est également présente dans la seconde dimension
du jet d'eau (strophe 12) dont l'image jaillissante se prolonge en
une image d'enfouissement :
« el surtidor...
...fabrica sus raíces y su mansión de gritos soterrados. »

L'eau est vue fréquemment comme le lieu d'un enfouissement,


qu'une série de verbes exprime (enterrando, se entierran, hundidos,
se hunde, sumergida) et qu'explicite la métaphore de « sepulcro »
(str. 6) à relier à « insepulta ».

En tant que force jaillissante, extérieure, elle est associée à des


images lumineuses dont la principale est le feu (llama, fuego), ce
feu qui lui fournit sa matière :

« El surtidor...
...en la llama fabrica sus raíces. »

Notons le caractère exclusivement visuel de ce feu qui peut être


froid (llama fría). L'eau apparaît aussi à travers une image de
bouillonnement :

« el otoño de aguas tan hirvientes » (str. 5).


« hierven las aguas que agitan el oído » (str. 16).

(cf. la métaphore du cygne pour l'eau : « hirviente cisne », à la


strophe 9).

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NARCISSE AILÉ 31

La signification de chaleur contenue dans « hirviente » ou « her-


vir » semble secondaire, si Ton en juge d'après l'emploi verbal à la
strophe 16.
Aux images de jaillissement et de bouillonnement viennent s'ajou-
ter les images fluides de l'eau, transmises
- par des verbes (derramar, vertir, colar) ;
- par des adjectifs (blanda, muelle) ;
- par les formes particulières qu'elle épouse (ola, oleaje, surtidor,
río, espuma).

En tant qu'espace profond, elle se caractérise par son épaisseur,


suggérée par l'expression « el espacio que manos desalojan » (str. 9).
Sa densité immobilise et retient, si l'on en croit la métaphore de la
prison. Par ailleurs, une sorte de transformation alchimique lui
confère un caractère maléfique : elle se change en « veneno que
nunca se pervierte ».
Ces images négatives de l'eau amènent la métaphore de « sepul-
cro » qui en fait le lieu de la mort.
Profondeur mystérieuse, elle semble aussi étroitement reliée au
sommeil. L'eau et le sommeil (et sa dimension onirique) apparais-
sent conjointement à la strophe 3 :
« Máscara y río, grifo de los sueños »
et 7

« ...junto a la fuente que humedece el sueño. »

Or cette contiguïté tend à s'affirmer comme une équivalence :


nous trouvons à la strophe 16 un parallélisme syntaxique qui pro-
pose l'équivalence sueño/espejo :

« espadas y pestañas vienen a entregar


el sueño, a rendir espejo en litoral de tierra. »

La mise en relation de deux vers des strophes 2 et 3 aboutit au


même résultat :

« el poniente, grito que ayuda la fuga del dormir »


et

« El espejo se olvida del sonido y de la noche ».

Il y a dans ces deux vers trois éléments communs, de toute évi-


dence : poniente/noche, grito/sonido, et olvido/fuga. Nous pouvons
donc rapprocher le quatrième élément espejo/dormir.
Ainsi, le miroir s'entr'ouvre sur une profondeur que ces images
nous donnent comme celle de l'inconscient. Narcisse fasciné par l'eau

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s'absorbe en lui-même (cf. str. 1 « en su celo se esconde »), et cette


introversion se justifie autant par la profondeur de l'eau que par le
reflet que sa surface renvoie.
L'équivalence eau/sommeil s'appuie encore sur une communauté
de métaphore : à la strophe deux, la flamme apparaît comme une
métaphore de « dormir » alors qu'elle est plus fréquente comme
métaphore de l'eau.
Enfin les mouvements de l'eau se présentent comme ceux d'êtres
endormis : « ajedrez dormido » est suivi de « Convocados se agitan
los durmientes » (str. 9) et « los más dormidos son los que más se
apresuran » (str. 10).
Ces dernières métaphores allient les deux caractères contraires
de l'eau relevés plus haut, sa mobilité (jaillissement, bouillonne-
ment) et son immobilité (cárcel, sepulcro) : l'être engourdi est mis
en mouvement (se agitan, se apresuran).
Remarquons qu'à une autre occasion (strophe 5), la fixité due à la
cristallisation de l'eau par le froid est promise à une mobilité :
« Granizados toronjiles y ríos de velamen congelados aguardan
la señal de una mustia hoja de oro alzada en espiral sobre el
otoño de aguas tan hirvientes >.

Ceci nous permet de considérer les images de la fixité comme cel-


les d'une attente ou d'une promesse de mouvement, ce qui attache
une signification aux deux visions de la mort de Narcisse. L'image du
corps figé et immobile tel que nous le voyons à la strophe 6 :
« mano sin eco, pulso des-
doblado :
los dedos en inmóvil calendario... »

ou 12

« estatua polvorienta >

apparaît comme le revers d'une image présente dans la dernière stro-


phe :
« Ya traspasa blancura recto sinfín > - «la estela » -
« fugó >.
A

L'eau et le corps envahissent l'espace du poème, en sont les ima-


ges dominantes : la métaphore de l'oiseau les unit en un même pro-
jet, celui du vol.
L'oiseau apparaît en tant qu'image dès la première strophe où nous
voyons s'établir une solidarité entre l'image du corps fragmenté et
celle de l'oiseau :

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« entre labios y vuelos », « La mano o el labio o el pájaro


nevaban. »

L'oiseau s'introduit dans le contexte anecdotique de la chasse, se


définissant sous les traits d'un héron (« garza real »). Le choix
de cet oiseau a une signification, car il porte la double marque de
l'eau et d'un vol puissant.
Pour Narcisse, il est une proie vers laquelle se dirige son regard : il
est l'objet d'un mouvement extraverti, et se substitue au reflet du
corps, objet virtuel d'un mouvement introverti que Narcisse ne
connaît pas encore :
strophe 2 :
1. « ...no miraba/la frente que se abría en loto húmedo »;
2. « No se apresura tal vez su fría mirada/sobre la garza real... ? »
Ce héron apparaît à nouveau à la strophe 6 (« ...flaco garzón tra-
baja noche y cielo »), entouré d'images de la chasse. Pourtant la
polysémie de garzón dessine la possibilité d'une métaphore, suggé-
rant une identification entre l'homme et l'oiseau, pleinement déve-
loppée par la suite.
En effet, à deux reprises s'applique à Narcisse la métaphore du
héron : « garza divagada » (strophe 15), et
« Triste recorre - curva ceñida en ceniciento airón - el espa-
cio que manos desalojan... » (strophe 9).
L'ambiguíté de « garzón » se résoud en deux métaphores de Nar-
cisse-oiseau. Le milieu dans lequel se meut le héron de la strophe 6
est proprement aérien (« noche y cielo »), tandis qu'à la strophe 9
nous sommes en présence d'un espace plus dense, introduit par les
derniers vers de la strophe précédente (strophe 8) comme un milieu
aquatique. Quant à la métaphore de la strophe 15, elle fait surgir,
en un seul mot, l'image de l'air et l'image de l'eau : « garza diva-
gada » évoque le milieu naturel du héron (l'air) par rapport auquel il
se dé-voie puisqu'il évolue dans l'eau.
L'image du héron nous projette donc à la fois vers l'air et vers
l'eau, nous les donnant comme deux éléments symétriques.

Si Narcisse est oiseau en vertu d'une métaphore, il semble sur le


point de le devenir aussi du fait d'une métamorphose :
« Ya se siente temblar el pájaro en mano terrenal ?
Ya sólo cae el pájaro, la mano que la cárcel mueve » (strophe 8).

Cette métamorphose n'est peut-être qu'illusion, impression subjec-


tive (« se siente », et à la strophe 7, « la mirada... le miente la pluma
por los labios » ) , mais parce que Narcisse se sent oiseau, il se tend
vers le monde aérien, son attraction vers l'eau est un désir d'envol.

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34 C. DE CARAVELLE

Cette constante métaphorique donne certainement un sens à


l'image de la colombe, qu'une lecture denotative permet mal de
situer. Nous pouvons formuler l'hypothèse qu'elle est aussi une méta-
phore du corps de narcisse, car, outre l'identification corps-oiseau,
nous avons relevé en sa faveur :
- un parallélisme syntaxique (strophe 13) :

« guiados por la paloma que sin ojos 'chilla


que sin clavel la frente espejo es de ondas... »
- une localisation particulière (strophe 15) :
« ...racimo
de palomas
ocultas en la garganta muerte... >

- des traits sémantiques communs (blancheur, douceur).

En s'appliquant à l'autre pôle d'intérêt du poème, l'eau, la méta-


phore de l'oiseau impose un mode d'être qui fait glisser l'ensemble
vers le monde aérien.
L'oiseau est évoqué à propos de l'eau par la mise en rapport des
images de surface (« insepulta madera blanda », « reluce muelle »,
« terso atlas ») avec les aspects d'un cygne (« Su insepulta madera
blanda el frío pico del hirviente cisne », « pluma cambiante », « en
sus venas »). (2). Le cygne est présenté selon un contraste (frio/hir-
viente) qui est aussi celui de l'eau (congelados/hirvientes).
Enfin, l'eau est oiseau dans ses bruits et ses mouvements : « ver-
des chillidos », « pluma en el grito, silbo enmascarado ». Le mouve-
ment des vagues est un vol :
« ...despertando el oleaje en ...vuelos sosegados » (strophe 13).
L'image de l'oiseau engage donc Narcisse dans un processus de
métamorphose (métaphorique, du moins) qui semble le conduire à
un envol. Le glissement de l'eau vers l'air amené par cette même
image en est une garantie.
***

Nous avons vu que l'image de l'oiseau joue un rôle métaphorique


important dans la mesure où elle définit la tendance profonde de
Narcisse comme aérienne, contradictoire en apparence avec l'appel
de l'eau, même si celle-ci est évoquée à son tour sous l'espèce de
l'air.

(2) Strophe 9.

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NARCISSE AILÉ 35

Une autre métaphore centrip


fait intervenir les images du t
Il s'agit tantôt du matériau (
(tejer, hilar), et on pourrait leur adjoindre une image telle que
« velamen », au double titre d'objet tissé et d'objet blanc. En effet,
les images du tissage sont d'abord des métaphores de la blancheur :
« Mano era sin sangre la seda » (strophe 1) - « las hilachas... tejen
blanco cuerpo » (strophe 12) - « hilando... el abismo de nieve alqui-
tarada » (strophe 13) - « La blancura seda es en labio derramada »
(strophe 16).
Du fait, peut-être, de leur blancheur commune, cette métaphore
est en étroite relation avec le corps, entretenant avec ses images un
rapport de réciprocité.
La réciprocité existe parallèlement entre les images de Veau
et celles du tissage. En témoignent les expressions « seda del estan-
que » (strophe 4) et « seda ... derramada » (strophe 16) (3).
La métaphore du tissage « fonctionne » en rapport avec les deux
images centrales du poème, le corps et l'eau.

Sa principale signification nous est sans doute donnée par le pre-


mier vers du poème, dont les indices connotateurs nous renvoient à
la mythologie antique et à l'image de la Parque (« Danae teje el
tiempo »). Le thème de la quête est pris dans l'axe d'un destin. Et
de même que la notion de destin contient celle de fatalité, l'image
du tissage évoque celle de l'emprisonnement. C'est bien d'une capture
qu'il s'agit à la strophe 1 :

« envolviendo los labios que pasaban


entre labios y vuelos desligados ».

Immobilisé, le corps de Narcisse (ici, los labios), est en même


temps isolé, et cet acte : « envolviendo los labios... » produit une
individualisation à partir de laquelle peut commencer le processus
de réalisation qui se développe dans le poème, depuis « Era el cír-
culo en nieve que se abría » jusqu'à « Ya traspasa blancura recto
sinfín ». Ce processus se manifeste dans l'abondance des locutions
temporelles (« ya ») et dans des vers tels que :

« el río en la suma de sus ojos anunciaba


lo que pesa la luna en sus espaldas... » (str. 5).
« ...espadas y pestañas vienen

(3) Ce rapport de réciprocité et les images qu'il concerne seront étudiés plus
loin.

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36 C. DE CARAVELLE

a entregar el sueño, a rendir


« Granizados toronjiles y ríos
aguardan la señal de una mus
Rien d'étonnant alors à ce que
ges de l'eau (lieu fatal du destin de Narcisse) soient imbriquées.
Comme les filets de Danae, l'eau immobilise : elle est évoquée à
plusieurs reprises par la métaphore de la prison.
Les deux images offrent un phénomène de durcissement, de cris-
tallisation. L'eau se cristallise selon les images du miroir, du verre,
du marbre, du diamant, de la grêle, du glaçon, et se durcit dans
l'image du bois. Le fil devient cristal :
« como la fresa respira hilando su cristal » (str. 7).

L'eau et le tissage sont réunis dans une image de cristallisation à


la strophe 5 : « ríos de velamen congelados », et par voie métapho-
rique à la strophe 12 :
« las hilachas que surcan el invierno » apparaissent dans le contexte
comme une métaphore de l'eau congelée.

Enfin, l'eau et la métaphore du tissage ont en commun leur ambi-


guïté à propos de la vie et de la mort. Nous avons vu que l'eau por-
tait en elle des forces jaillissantes et des forces souterraines. L'acte
de tisser a un aspect créateur auquel s'ajoute l'image de la strophe
7 (« la fresa respira hilando su cristal »). Cependant la première
strophe nous en présente une image négative :
« ...la seda que borraba
la perfección que muere de rodillas >

et la blancheur de la soie évoquée à la strophe 16 est celle de la mort.

Dans ses rapports avec Narcisse, l'eau se présente comme une


force de séduction, doublée d'une attraction cosmique. Ainsi, l'eau
et la lune s'entendent à prédire le destin de Narcisse :
« El río en la suma de sus ojos anunciaba
lo que pesa la luna en sus espaldas... » (str. 5),

et se conjuguent au moment de l'évasion finale qui a lieu « en plea-


mar ».

L'eau séduit par l'illusion (« le miente la pluma po


introduit au monde des rêves (« Máscara y río, grifo
mais elle est mensongère (« firmeza mentida del esp
sos diamantes ») et maléfique (« veneno que nunca s

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NARCISSE AILÉ 37

Force d'attraction puissante,


et tend à imprégner de sa qu
- « loto húmedo », « tierra húmeda », « Húmedos labios »,
humedece el sueño », « humo tan aguado ».
- une série de verbes « liquides » contaminent leurs sujets ou
objets respectifs : cuelan, se derrama, derramada, vierte, destilan.
Par ailleurs, certains éléments aquatiques (caracol, pez, concha,
valvas, corales) (4) prolongent sa présence, soit en s'appliquant mé-
taphoriquement à d'autres objets, soit par contamination sémanti-
que.
De sorte que le domaine de l'eau s'étend :
- à l'air (ola de aire)
- au feuillage (« Fronda leve vierte la ascensión », « hojas llovi
nadas »)
- à l'absence (se derrama)
- à la nuit (« Frescas las valvas de la noche »)
- aux images du feu («Antorchas como peces », « Si se hunde,
media sirena al fuego » )
- au corps de Narcisse : son front est un « humide lotus », sa
main une coquille, ses lèvres, des coraux. Cette dernière métaphore
est sans doute conventionnelle, issue de la poésie précieuse, mais
dans ce contexte elle prend tout son relief « aquatique ».
Enfin, c'est sous l'espèce aquatique que le corps apparaît dans une
série d'images :
« ...concha en la ola, nube en el desgaire,
espuma colgaba de los ojos, gota marmórea y dulce plinto no
ofreciendo » (strophe 15).

De la même façon, nous voyons se transformer la métaphore ver-


ticale du pin en métaphore de l'eau :
« Mas esforzado pino, ya columna de humo tan aguado que
canario es su aguja y surtidor en viento desrizado » (strophe 14).

Remarquons que l'extension de l'eau au corps de Narcisse le déma-


térialise, sous l'effet d'images où celle-ci est présentée sous une
forme ténue (nube, espuma, humo aguado, surtidor desrizado). Le
caractère terrestre du corps, attesté, comme nous l'avons vu, par
la métaphore de « islas » (la plus aquatique, d'ailleurs, des images
de la terre) et par l'adjectivation dans « mano terrenal », ce caractère
s'estompe, sapé par le travail de l'eau. De la strophe 2 à la strophe 4
Narcisse se détourne de la terre (et de la chasse) pour s'approcher

(4) Nous pourrions inclure dans cette liste « loto », ainsi' que « garza » et
€ cisne ».

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38 C. DE CARAVELLE

du domaine aquatique. La coqu


gibier. De là, les deux perspec
Un poisson le regarde (pez mir
équestres (« Ecuestres faisanes ya no advierten mano sin eco »),
expression où nous voyons une image de la chasse, et de la terre, car
l'eau se définit en contrepoint : « en su escudo ni potros ni faisanes ».
L'usage de plusieurs privatifs (sin eco, desdoblado et « inmó-
vil » ) dans les images du corps accentue son evanescence.

L'eau met donc en œuvre le processus de dématérialisation que


présentent les images de Narcisse.
Dans la mesure où le désir de son reflet devient en ce dernier une
idée fixe, comme la répétition de « preguntar » permet de le croire,
Narcisse se détourne du monde sensible et dialogue avec l'absence :
« Si la ausencia pregunta con la nieve desmayada » (str. 8).
Or, ce processus de dématérialisation lui est bien particulier, car
l'imagination poétique tendrait plutôt, dans ce poème, à matérialiser
les images : soit par l'attribution d'une couleur (secreto albino, frío
verde, verdes chillidos, tiempo dorado), soit par l'attribution d'une
forme et d'une densité (« cuerpo del sonido », « pluma en el grito »,
« polvos de luna », « convierten... rizos las voces », « el aliento que
halo convertía », « el secreto en geranio convertido »).
***

A ce stade de l'analyse, remarquons que si les images de la déma-


térialisation de Narcisse suggèrent un processus évolutif, elles sui-
vent en cela une structure que nous avons déjà rencontrée.
Ce processus évolutif est également présent dans le système
d'images décrit comme métaphore de l'oiseau, puisqu'il montre une
métamorphose (métaphorique) de Narcisse.
Par ailleurs, à travers l'analyse de la métaphore du tissage et de
ses rapports avec les images de l'eau, nous avons relevé un troisième
processus parallèle aux deux précédents : celui qui conduit Narcisse
d'une immobilisation à une évasion :

envolviendo -» cárcel-aprisiona -» fugó


str.l str.8-10-11 str.16

Ces trois systèmes, qui font intervenir les images fondamentales


du poème (L'eau, le corps, l'oiseau, le tissage), s'organisent selon
une structure identique, qui montre une trajectoire. Nous pouvons
voir à juste titre dans la trajectoire, non seulement une image (cf.
p. 2), mais aussi un élément structurant, une ligne de force du poème.

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NARCISSE AILÉ 39

En introduisant l'image du double identique dans le domaine des


eaux profondes le reflet suggère à l'imagination baroque une pos-
sible réversibilité entre le monde aquatique et le monde placé en-deça
de l'axe que représente la surface de l'eau (5).
Nous allons voir que la réversibilité de l'univers n'apparaît pas
dans ce poème comme thème poétique mais comme structure.
Tout d'abord, elle instaure une symétrie, et c'est une symétrie de
cet ordre qui structure l'image de la strophe 4 :
« Ahora llevaba el oído al caracol, el caracol enterrando
firme oído en la seda del estanque. »

Symétrie des formes : « oído » de Narcisse, « oído » de la coquille.


Il ne s'agit pas d'un reflet proprement dit, mais la construction en
chiasme des images (oído/caracol-caracol/oído) nous propose un
reflet métaphorique :
1. le rapprochement de Narcisse et d'un être de l'eau (la coquille)
par l'entremise de « oído » pose une identité.
2. la coquille apparaît comme l'objet d'un mouvement extraverti
de Narcisse (« llevaba el oído al caracol »).
Cette image joue donc le rôle d'un reflet en présentant la coquille à
la fois comme « autre » et comme « identique » par rapport à Nar-
cisse.
Elle nous intéresse à un double titre : d'une part la réversibilité y
fait fonction de structure (exprimée ici sous forme de chiasme, ainsi
qu'à la strophe 8 « forma en la pluma no círculos que la pulpa aban-
dona », et à la strophe 1 où les temps sont construits en chiasme :
présent-imparfait-imparfait-présent). D'autre part la réversibilité y
établit une identité entre Narcisse et un être de l'eau.

Nous pourrions nous attendre à ce que, par la suite, le reflet de


Narcisse dans le miroir de l'eau nous montre l'image d'un être
aquatique, mais c'est un être aérien qui apparaît : l'oiseau au lieu du
poisson.
La bouche reflétée est une plume :
« ...la mirada
que le miente la pluma por los labios ».

La réversibilité de l'univers propose l'oiseau et le poisson comme


deux être symétriques. Si l'oiseau apparaît comme image de Nar-
cisse, il semble bien que ce soit par le fait d'une ellipse : la méta-
phore du poisson est le maillon manquant de la relation métapho-
rique

(5) Cf. Gérard Genette « L'univers réversible » in Figures /, p. 9 et suivantes.

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40 C. DE CARAVELLE

corps/ (poisson)
'
(poisson) /oiseau

Remarquons d'ailleurs que cette métaphore «


du poème dans l'expression « piel arponeada », ou
titue à la flèche.
En pratiquant cette ellipse, l'auteur joue sur la réversibilité de
l'univers. Il ne nous présente pas un monde réversible, mais une
métaphore fondée sur la connaissance de la réversibilité de ses
images. Métaphore intellectuelle, dont la création est un acte cul-
turel.
La réversibilité n'est plus élément fonctionnel du monde mais
des métaphores : c'est dans leur rôle métaphorique que le pois-
son et l'oiseau sont interchangeables.
Ainsi, une relation de réciprocité s'établit entre les images domi-
nantes du poème :
- l'eau et le feu :

nous trouvons une métaphore aquatique pour une image du


(« antorchas como peces »), et inversement, le feu est métaph
l'eau (« Hamas tristes las olas », « despertando el oleaje en lisas
llamaradas », etc.) ;

- l'eau et le tissage :
« la seda del estanque » (str. 4) présente la soie comme métaphore
« in praesencia » de l'eau ;
« seda derramada » (str. 16) montre l'emploi métaphorique d'un
verbe « liquide » appliqué à la soie;
- le corps et le tissage :
la soie est vue comme une main (« Mano era sin sangre la seda »),
et le corps est tissé (« tejen blanco cuerpo ») ;
- le corps et l'eau :
l'eau reflète le front (« no miraba/la frente que se abría en loto
húmedo » - strophe 2), le front reflète l'eau (« la frente espejo es
de ondas » - strophe 13).

Sur un axe vertical, la réversibilité entre aussi en fonction, impo-


sant une symétrie : au jaillissement d'un jet d'eau elle donne un
reflet, un enfouissement de racines (strophe 12).
Une équivalence s'établit entre mouvement ascendant et mouve-
ment descendant, de sorte qu'une image ascencionnelle (« Tierra

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NARCISSE AILÉ 41

húmeda ascendiendo hasta el rostro ») exprime une chute. Il y a


coïncidence totale entre les deux mouvements, et à la strophe 8 le
reflet justifie le rapprochement de termes contradictoires :

« Fronda leve vierte la ascension que asume. »

Dans l'eau, les arbres projettent vers le bas leur frondaison, et la


chute de Narcisse suivant l'axe de ce reflet est le reflet d'une ascen-
sion qui est, en parallèle, aussi réelle que celle des arbres. Cette imag
est au nombre de celles qui, à côté de la métaphore de l'oiseau, tirent
Narcisse « vers le haut », et donnent à sa fuite le caractère d'un
envol. Dans cette perspective, et en tenant compte des connotations
qui renvoient à la mythologie grecque (en commençant par le mythe
lui-même), on pourrait dire que Narcisse apparaît comme Vimage
inversée d'Icare.
La dimension d'infini de la fuite de Narcisse, dans le poème, prend
alors tout son relief.
L'eau-miroir lui propose une interrogation sur l'identité et l'alté-
rité, et lui donne en réponse la connaissance de la fugacité de l'être :
« Desde ayer las preguntas se divierten o se cierran
al impulso de frutos polvorosos o de islas donde acampan
los tesoros que la rabia esparce, adula o reconviene »
(strophe 12)

Cependant la trajectoire de Narcisse, cette trajectoire sensible


dans les images de la dématérialisation, le mène ailleurs. Deux ima-
ges, à la strophe 9 et à la strophe 16, nous montrent que l'espace où
Narcisse se meut change de catégorie :
« Triste recorre...
el espacio que manos desalojan... » (str. 9).
et

« Ya traspasa blancura sinfín en llamas secas y hojas


lloviznadas » (str. 16).

De l'une à l'autre, l'espace souffre une perte de densité. Dans le


premier cas, le verbe desalojar suggère l'épaisseur du milieu et
l'effort que coûte la progression : c'est un espace de la lourdeur. Dans
le second cas, l'infini se substitue à l'espace délogeable, et le mouve-
ment ne rencontre pas de résistance (« recto sinfín »).
Narcisse trouve sa voie (par opposition à « garza divagada » ) dans
un espace dématérialisé auquel l'ambiguïté du contexte donne un
caractère aérien autant qu'aquatique. En effet, « recto sinfín » est
défini par deux images, « llamas secas » et « hojas lloviznadas » : si
le feu est, dans le poème, l'expression métaphorique coutumière de

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42 C. DE CARAVELLE

l'eau, cet aspect est ici contre


si le feuillage évoque l'air, « l
S'agit-il d'un plongeon ou d'u
le muerden la estela » ) puisq
estela) et celle de l'air (abejas) ?
Le dernier vers nous paraît significatif : le besoin de préciser à
propos de Narcisse et de son évasion, « fugó sin alas » montre bien
que c'est un envol que nous devions attendre, et que Narcisse réa-
lise contre toute apparence.
L'ambiguïté de l'eau que propose l'imagination de Lezama Lima
nous permet d'infléchir de façon particulière cette remarque de
G. Genette à propos du « complexe de Narcisse » :
« Ainsi ce que Narcisse découvre au bord de sa fontaine ne met
pas en jeu de simples apparences : le lieu de son image lui donne le
mot de son être » (6).
La fugacité et le caractère insaisissable de l'existence n'apparais-
sent à Narcisse que pour le projeter dans un espace sans terme, en
proie à une « ambición de infinitud » qu'il partage avec Icare (7).

&

En commençant « Muerte de Narciso » par ce vers surprenant :


« Danae teje el tiempo dorado por el Nilo »,

Lezama Lima nous introduit à un univers poétique défini par la con-


notation.
Il nous renvoie à une réalité mythique issue de l'antiquité greco-
romaine, et qui prend corps avec l'évocation de Danae, l'expression
« teje el tiempo » qui suscite l'image des Parques, et l'emploi de
mots comme « grifo » (strophe 3), « sirena » (strophe 12).
Le mythe de Narcisse fait partie de cette référence à la mythologie
grecque, mais nous amène également à l'autre connotation « forte »
du poème, celle qui nous introduit à l'univers de la poésie baroque.
On connaît en effet la prédilection des auteurs baroques pour le
mythe de Narcisse, porteur d'images et de thèmes qui leur étaient
chers : le reflet et l'interrogation sur l'être (altérité/identité), la
métamorphose, la fugacité et le caractère illusoire de l'existence.
Dans « Muerte de Narciso », nous trouvons des indices de la con-
notation baroque au niveau de la thématique, des images et de la
syntaxe.

(6) G. Genette « Complexe de Narcisse » in Figures 1, p. 27.


(7) « Icaro es la ambición de infinitud > J. Lezama Lima, à propos de
Paradiso, cité dans « Indice ».

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NARCISSE AILÉ 43

1. Au niveau de la thématique, ce sont les thèmes conventionnels


du mythe de Narcisse, dont nous avons dit qu'ils entraient dans la
thématique baroque.
2. Les images.
Le rapprochement de l'eau et du feu fait partie de l'imagerie baro-
que.
L'auteur emploie pour le corps humain des métaphores consacrées
par la poésie baroque, et qui offrent une minéralisation des substan-
ces : « rubí », « coral », « nieve ». Et pour l'eau : « falsos diaman-
tes ».

Un autre indice connotateur est l'organisation des images en


groupes de contraires : « el frío pico del hirviente cisne », « vierte la
ascensión », « madera blanda », « blando espejo », pour ne citer que
les expressions les plus directes de cette tendance.
Certaines images naissent d'un jeu baroque sur les concepts
(« cárcel sin sed » pour l'eau) ou sur les mots : dans un contexte
aquatique, « espadas y pestañas » évoque irrésistiblement « espa-
dañas ».
Et il faudrait ajouter ici toutes les images de la réversibilité.
3. Au niveau de l'expression, les hyperbates nous renvoient au
langage baroque. Nous en avons un exemple à la strophe 7 :
« así el otoño en que su labio muere, así el granizo en blando
espejo destroza la mirada que le ciñe que le miente la pluma por
les labios, laberinto y halago le recorre junto a la fuente que
humedece el sueño ».

et à la strophe 8 :
« forma en la pluma, no círculos que la pulpa abandona sumer-
gida. >

Autre indice, la tournure elliptique :


« Relámpago es viólela si alfiler en la nieve y terco rostro »
(str. 11).

A côté de cette connotation qui nous met en rapport avec la poé-


sie, deux images font allusion à l'art plastique : « curva corintia »
(str. 8) nous renvoie à l'architecture grecque, et « los cabellos
guiando florentinos reptan perfiles » évoque les profils élégants tra-
cés par les peintres de la jeune Renaissance italienne.
Enfin, l'expression « el centurión pulsa en su costado » (stro-
phe 16) nous situe dans l'aire mythologique chrétienne et nous
montre Narcisse sous l'image du Christ.
A ce propos nous remarquerons que le poème met en présence
(explicite et implicite) Narcisse, Icare et le Christ, que Lezama Lima

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44 C. DE CARAVELLE

réunira postérieurement dan


Licario ». Il s'agit sans doute
le sens ne nous apparaît pas clairement. L'expression citée ci-dessus
met en parallèle la blessure du Christ en croix et celle que présente
Narcisse (« Chorro de abejas increadas le muerden la estela, pídenle
el costado »). La trajectoire de Narcisse semble s'apparenter à la
Passion du Christ.

Nous voyons à quel point la connotation est un phénomène fon-


damental dans ce poème.
Celui-ci se développe par référence à deux réalités culturelles bien
déterminées :
- une réalité poétique, celle de la poésie baroque
- une réalité mythique, celle de la mythologie grecque essentiel-
lement.
L'auteur utilise ces deux réalités, mais en les transformant. Le
thème de la métamorphose est présent dans le poème, mais il s'agit
d'une métamorphose inattendue. Nous avons vu par ailleurs que
cette métamorphose devait sa forme a un principe de réversibilité
(poisson/oiseau), relié à la connotation baroque. La vision poéti-
que baroque réagit sur le mythe antique. L'imprévisibilité propre
à toute création poétique naît donc ici de l'utilisation et de l'interac-
tion de deux mondes culturels.
Cette même imprévisibilité existe lors de l'emploi de clichés baro-
ques, comme la métaphore de la neige pour le corps. L'auteur joue
d'abord sur l'effet de surprise (poétique) dû à ce que le mot « nieve
n'est plus directement perdu dans notre contexte culturel comme une
métaphore de la chair. La connotation baroque nous la donne cepen-
dant comme telle, rétablissant une communication logique. Mais
même après avoir procédé à cette reconnaissance, un décalage
demeure par rapport à l'ordre logique, car certaines images renvoient
au sens propre de « nieve » par un trait comme la cristallisation par
exemple. Dès lors, « nieve » cesse d'être une métaphore perçue intel-
lectuellement et en quelque sorte traduisible, et recouvre, par la
référence à son contexte propre, une efficience métaphorique.

W^'Vn

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