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Explication linéaire « car j’aimais tant

l’aube », Sido, colette


Le livre Sido paraît en 1930 alors que Colette a 57 ans. Au cours de l’été 1926, elle parcourt les
lettres de sa mère, morte depuis quatorze ans et décide de lui consacrer un écrit. Dans cette
œuvre, Colette célèbre le monde, grâce au genre autobiographique. Elle rend compte de sa
fascination de la nature, héritée de Sido, et de son intérêt pour les êtres aimés (famille,
animaux…)

Dans cet extrait, Colette se lève à l’aube et parcourt la nature endormie. Elle est en harmonie
parfaite avec son environnement à tel point qu’elle semble se fondre, se confondre avec lui. Elle
propose une écriture basée sur les sens et observe, touche, sent, goûte et écoute le décor de son
enfance

La lecture du texte nous invite à nous demander comment les souvenirs de Colette sont ravivés
grâce à la sollicitation des sens.

L’extrait étudié débute par une communion privilégiée avec la nature de la ligne 1 à 7 (§1), et se
termine avec le regard de Colette sur l’enfant qu’elle était de la ligne 8 à 24 (§2+3).

I/ Une communion privilégiée avec la nature (l 1-7)

C’est bien plus qu’une promenade dans la nature que Colette décrit, c’est une communion, une
fusion. Ce que nous pouvons noter, en premier lieu, c’est que la nature est endormie et que la
narratrice va vivre un moment privilégié. Les trois adjectifs : « un bleu originel, humide et
confus » (l 5) plantent un décor mystérieux qui trouble les sens. Notons ici que la nature est
bleue, couleur composant plusieurs éléments du monde et couleur que Colette privilégie
énormément dans ses écrits. Le brouillard entoure la jeune fille jusqu’à faire corps avec elle. Il
est vrai qu’elle plonge, au sens propre comme au sens figuré, dans le paysage. Progressivement,
chaque partie de son corps va être en communion avec la nature et ce grâce à la
personnification : « « le brouillard retenu par son poids baignait d’abord mes jambes puis mon
petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le
reste de mon corps… » (l 6 à 8) Il y a une forme de synesthésie dans la mesure où le brouillard
paraît brouiller les sens : « mes lèvres, mes oreilles et mes narines » Il devient un brouillard que
Colette goûte, entend et surtout respire. La narratrice mesure la chance qui est la sienne.
L’énumération : « C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais conscience de mon
prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier
oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion… » (l 8 à 11) rend compte du privilège
qui lui est offert. Le lecteur ressent le bonheur de l’enfant mais également celui de l’écrivaine
adulte qui se remémore cet instant. Elle est décrite comme observant la Terre à son
commencement, comme si elle était le premier être à parcourir le monde. En effet, la répétition
de l’adjectif « premier » : « le premier souffle accru, le premier oiseau » (l 10) et la métaphore
du soleil : « le soleil encore ovale, déformé par son éclosion … » semblent indiquer que Colette
assiste à la naissance du monde.
II/ Le regard de Colette sur l’enfant qu’elle était (l 12 à 26)

Dans ce dernier mouvement, Colette procède, concernant la temporalité, à un retour en arrière, à


un retour à l’aube. Elle évoque Sido qui devient, d’ailleurs, le sujet des deux premières phrases
de ce paragraphe : « Ma mère me laissait partir » (l 12), « elle regardait courir » (l 12-13)
L’amour de sa mère est audible en entendant les surnoms affectifs qu’elle lui donne : « Beauté,
Joyau-tout-en-or ». (l 12). Plus encore, Colette mêle la voix de Sido à sa propre voix de
narratrice grâce à la proposition incise : « « chef-d’oeuvre », disait-elle. » C’est l’occasion pour
elle de marquer une pause pour réfléchir au jugement de sa mère. L’adverbe modalisateur
« peut-être » : « j’étais peut-être jolie » (l 13-14) introduit la réflexion de l’autrice du présent qui
observe les photographies d’elle enfant et qui remet en question l’objectivité de Sido via la
négation totale : « ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord… » (l
14) Elle nuance son opinion en soulignant que c’est son lien particulier avec la nature qui, par
ricochets, la rendait jolie. Ainsi, elle associe sa jeunesse et l’aube : « à cause de mon âge et du
lever du jour » (l 15), la couleur de ses yeux et le paysage : « à cause des yeux bleus assombris
par la verdure » (l 15). Néanmoins, c’est une beauté sauvage, non conventionnelle qui est décrite
via la négation exceptive / restrictive : « des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon
retour » (l 16) On retrouve, à nouveau, l’anticonformisme de Sido dans la mesure où
l’antithèse : « enfant éveillé sur les autres enfants endormis » (l 16-17) peint Colette et par
extension Sido comme des êtres à part, uniques. Nous pouvons remarquer que la Colette du
passé et la Colette du présent se côtoient dans cet extrait. Il y a véritablement un va et vient entre
les souvenirs et le temps de l’écriture. En effet, le verbe de mouvement « je revenais » (l 18)
marque la fin du vagabondage de la narratrice. Mais, elle plonge à nouveau dans sa promenade
dans la phrase suivante. Au contact de la nature, Colette devient animale. Elle se compare à un
chien solitaire qui explore la forêt : « un grand circuit de chien qui chasse seul » (l 19) Grâce à
son odorat extraordinaire, elle découvre deux sources secrètes. Le verbe « révérer », qui signifie
craindre, respecter, précise que la narratrice regarde les sources comme des sortes de divinités.
D’ailleurs, elles vont être toutes deux personnifiées, humanisées grâce à des verbes d’action :
« se haussait », « traçait », « se décourageait », « replongeait », « froissait », « s’étalait » (l 20,
21, 22) Ces sources ont une importance symbolique. En premier lieu, l’eau est associée à la vie.
Dans les religions, elle est utilisée pour les purifications. Enfin, l’eau évoque la fécondité et donc
la figure maternelle. C’est le sens du goût qui va permettre à Colette de solliciter sa mémoire :
« La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe… » (l 24) Ce
qu’il est intéressant de noter c’est que ces sources ont la saveur de ce qui s’observe ou de ce qui
se sent et troublent de la sorte les sens : « chêne », « fer, tige de jacinthe » (l 24) Notre extrait se
clôt sur une phrase au présent. Ce souvenir est tellement intense, tellement enchanteur que
l’écrivaine désire y goûter avant de mourir. La « gorgée imaginaire » (l 26) que Colette demande
à emporter avec elle peut faire référence à l’obole, une pièce de monnaie que les Grecs
déposaient dans la bouche des morts afin de payer la traversée du Styx, le fleuve des Enfers.
C’est donc en compagnie de cette source secrète, de ce goût particulier qu’elle veut rendre son
dernier souffle.
Ce texte est extrêmement riche dans la mesure où il délivre de nombreuses informations sur
Sido, sur Colette et sur le lien privilégié qu’elles entretiennent avec la nature. La narratrice suit le
fonctionnement aléatoire de la mémoire et propose des va et vient entre passé et présent. Comme
Arthur Rimbaud avant elle, elle narre le bonheur du vagabondage et pourrait à son image écrire :
« Mon auberge était à la Grande-Ourse ».

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