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Colette, Sido, Le portrait de Sido (le retour de Paris)

Pages 39-40 - De la ligne 55 « Elle revenait chez nous lourde de chocolat... » à la ligne 90 (« la
magie du secours efficace scellé d’or... »).

Vocabulaire :
- Pelisse en ventre-de-gris : manteau en fourrure de ventre d’écureuil.
- Axillaire : qui vient des aisselles. Colette évoque les odeurs de sueur.
- Bolduc : ruban pour les paquets cadeaux
- Calfatage : traitement des coques des navires avec du goudron pour les rendre étanches.
- Rebouté : réparé.
- Éclisse : plaque servant à étayer, c’est-à-dire à soutenir, un membre fracturé

Lecture linéaire :
Romancière française, comédienne, journaliste, femme libre et académicienne, Colette écrit
Sido en 1930. Ce récit autobiographique évoque avec nostalgie le souvenir de sa mère. Dans cet
extrait, l'auteure raconte, au début de son livre, le retour de sa mère qui vient de passer une
semaine à Paris et qui reprend possession de la maison. A travers cette évocation, nous
découvrons le portrait élogieux d'une mère.

Problématiques possibles :
- En quoi cet extrait propose-t-il le portrait original d’une mère ?
- Comment le texte présente-t-il Sido à son retour de Paris ?

I/ Un retour exalté de Paris


« Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d'étoffes
en coupons, mais surtout de programmes de spectacles et d'essence à la violette, et elle
commençait de nous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle
ne dédaignait rien. »

Ce portrait de Sido insiste sur son appétit de vivre, sur le fait qu’elle se régale de toutes les
beautés de la capitale, ce qui en fait un personnage très vivant.
« Elle revenait » : imparfait d'habitude/ verbe de mouvement ➔ liberté de
mouvement (femme libre)
Dès le début du texte, on voit qu’elle rapporte beaucoup de cadeaux (cf. l’adjectif ‘’lourde de’’)
+ énumération : chocolat, denrées exotiques, étoffes, huile essentielle de violette, programmes
de spectacles.... ➔ générosité + partage ce qu’elle a découvert.
Sido n'est nommée que par le pronom « elle », ce qui en fait une figure centrale, tutélaire (qui
protège). Cette dimension apparaît dès la première ligne (« elle revenait chez nous ») : le
pronom « elle » l'oppose au « nous » familial.
L'expression « chez nous » = périphrase désignant la famille en l'absence de la mère.
- « dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle ne dédaignait rien » : Sido se compare
implicitement aux habitants de la capitale. Elle ne se veut pas une provinciale « montée à
Paris », elle se pense une vraie parisienne : voir page 32 : « En vraie provinciale, ma charmante
mère, « Sido », tenait souvent ses yeux de l'âme fixés sur Paris ».
Le déterminant indéfini « tous » + la phrase négative ‘’elle ne dédaignait rien’’ = valeur
hyperbolique ➔ la mère veut tout voir de Paris.

« En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin,
entendu le ténor et la conférence sur la Musique birmane. Elle rapportait un manteau
modeste, des bas d'usage, des gants très chers. »
- « En une semaine » : Le programme varié et très riche est réalisé en un laps de temps assez
court ; le complément précise la brève durée du séjour, il est mis en valeur au début de la
phrase et précède une énumération, suggérant une grande énergie et un appétit de vivre.
- L’énumération de ses visites variées à Paris montre que Sido aime les belles choses et qu’elle
a des intérêts et des goûts éclectiques pour l’art, la beauté, la nature...
- « momie exhumée », sans doute à la mode (= utilisation de l’article défini ‘’LA’’ ; de même pour
‘’LE ténor’’= sans doute artiste reconnu)
L’association du « musée agrandi » et d'un « nouveau magasin » montre la diversité des
intérêts ➔ art et consommation.
L’adjectif ‘’modeste’’ s'oppose à ‘’très chers’’, comme si la valeur des choses importait peu.
Les énumérations montrent qu'il n'y a pas de hiérarchie dans les goûts de la mère.

II/ Une mère admirée


« Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeil que la fatigue
rougissait, elle revenait ailes battantes, inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait la
chaleur et le goût de vivre. Elle n'a jamais su qu'à chaque retour l'odeur de sa pelisse en
ventre-de-gris, pénétrée d'un parfum châtain clair, féminin, chaste, éloigné des basses
séductions axillaires, m'ôtait la parole et jusqu'à l'effusion. »
Pour la narratrice, plus que les cadeaux, ce qui importe, c'est le retour de Sido que traduit
l'adverbe ‘’surtout’’.
Dans les éléments de description physique, domine une dimension aérienne avec l'expression
‘’son regard gris voltigeant’’ + la métaphore ‘’ailes battantes’’ qui l'associe à un oiseau reprenant
possession du nid et évoque sa légèreté.
« inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait la chaleur et le goût de vivre » : renforce
l'impression que la mère est une figure centrale insufflant la vie au foyer ➔ dimension
maternelle (‘’inquiète’’).
« privé d'elle » suggère la puissance du lien, l'importance de son rôle dans la maison ; la douleur
suscitée par l'absence de Sido.
- La narratrice évoque les sensations ressenties. Les sensations olfactives sont très présentes.
L'intérêt pour l'essence à la violette au début du texte est confirmé ensuite par la longue
description de ‘’l'odeur de la pelisse en ventre-de-gris pénétrée d'un parfum châtain clair,
féminin, chaste, éloigné des basses séductions axillaires’’. L'accumulation d'adjectifs associe
par hypallage une couleur (celle de la fourrure) à la fragrance exhalée du manteau.
Ces senteurs décrites comme pures, idéales (puisque opposées aux ‘’basses séductions
axillaires’’ péjoratives), saisissent l'enfant jusqu’à la rendre muette, interdite (‘’m’ôtait la
parole) et ‘’jusqu'à l’effusion’’, c'est à dire les larmes, et soulignent la violence de l'émotion et
le terrible manque qu'elle a eu de sa mère.
Colette confie au lecteur un secret d’enfance, jamais avoué à sa propre mère: "Elle n’a jamais
su que"». Le passé composé établit un lien entre le souvenir et le temps de l'écriture.
Dans ces deux premiers paragraphes, la narratrice fait le portrait d'une mère énergique et
vivante, un personnage doté de qualités qui ont suscité son admiration lorsqu’elle était enfant.

III / Une fée du logis


« D’un geste, d’un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait
des bolducs roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs
goudronnés qui sentaient le calfatage. Elle parlait, appelait la chatte, observait à la
dérobée mon père amaigri, touchait et flairait mes longues tresses pour s’assurer que
j’avais brossé mes cheveux… Une fois qu’elle dénouait un cordon d’or sifflant, elle s’aperçut
qu’au géranium prisonnier contre la vitre d’une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un
rameau pendait, rompu, vivant encore. La ficelle d’or à peine déroulée s’enroula vingt fois
autour du rameau rebouté, étayé d’une petite éclisse de carton… Je frissonnai, et crus
frémir de jalousie, alors qu’il s’agissait seulement d’une résonance poétique, éveillée par
la magie du secours efficace scellé d’or… »

‘’D'un geste, d'un regard elle reprenait tout’’ + ‘’promptitude’’: La vivacité de la mère lui confère
un pouvoir.
L'énergie est rendue sensible par l'enchaînement des actions : accumulation des verbes ➔
‘’reprenait, coupait, déchaînait, repliait, parlait...’’ etc.
Le pronom ‘’elle’’ est sujet de tous les verbes d'action ➔ sujet agissant, alors que le ‘’nous’’
est plutôt objet (direct ou indirect/ subissant ou spectateur)
- admiration de la narratrice : la phrase exclamative et nominale ‘’Quelle promptitude de main !’’
traduit parfaitement l'émerveillement de l'enfant pour l'autorité maternelle.
Les phrases, construites souvent par juxtaposition, énumèrent des actions et suggèrent que la
mère fait tout simultanément :
➔ s'occuper de ses présents : « elle coupait...déchaînait...repliait »
➔ s’occuper des êtres vivants : « elle parlait...appelait ...observait »
Elle s’occupe sans distinction et aussi bien des membres de la famille que du chat et des plantes.
- ‘’rameau rompu’’, ‘’père amaigri’’ ➔ en son absence, la maison dépérit.
Sido exerce une surveillance très rigoureuse dans sa maison ; rien ne lui échappe.
Paradoxalement, elle n’utilise la parole que pour appeler l’animal, en femme proche des bêtes :
"elle parlait, appelait la chatte". Mais pour les êtres humains, elle se sert de ses sens : vue,
toucher, odorat, sans recourir aux mots ➔ elle "observait à la dérobée mon père"; elle
"touchait et flairait mes longues tresses …".
Elle apparaît comme une magicienne guérisseuse à la fin du texte lorsqu'elle répare le rameau
du géranium. La prose poétique de Colette exprime l'exploit transfiguré de la jardinière.
Les métaphores « Un cordon d'or sifflant » ou « ficelle d'or » + la périphrase métaphorique
« la magie du secours efficace scellé d'or » métamorphosent un simple ruban de bolduc (ruban
doré pour papier cadeau) en un accessoire redonnant la vie à la plante. L’or, métal précieux par
excellence, est un, métal recherché par les alchimistes. Ici cette anecdote présentée comme
une « résonance poétique » dans la dernière phrase, ressemble fort, pour le lecteur, à une
alchimie poétique car ce dernier assiste bien à la métamorphose de la réalité imaginée par
Colette. Le « rameau [qui] pendait, rompu, vivant encore » reprend vie comme par miracle grâce
aux soins de la mère qui devient fée et règne sur le jardin.
On remarquera la tournure impersonnelle « La ficelle... s'enroula vingt fois » ainsi que les
participes passés de sens passif « rebouté, étayé », qui contribuent à donner l'impression d'une
réparation fabuleuse, surnaturelle.
Devant cet exploit, la narratrice ressent un sentiment de jalousie qui ne s'exprime pas
verbalement. Elle note « je frissonnai et crus frémir de jalousie » lorsqu'elle considère le soin
apporté par Sido à la plante. Les deux verbes évoquent des sensations physiques assez intenses
et l'on perçoit la douleur de l'enfant, abandonnée pendant l'absence maternelle et qui, adulte,
repense à ce moment avec nostalgie.

Conclusion
Ce texte autobiographique évoque avec finesse et poésie une figure maternelle originale.
Portrait d'une femme libre pour son époque et particulièrement vivante, fascinante pour
la famille qu'elle subjugue, elle acquiert une dimension presque magique qui charme la narratrice
et le lecteur.

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