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Argumenter

son mémoire
ou sa thèse
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M•~
Argumenter
' '
son memo1re
ou sa thèse
Lawrence Olivier et
Jean-François Payette

A~c la coUabŒatloo de
Maxime Grenier-labrecque

2010

111 Presses de I'Uni~rsitê du Québec


le Deha 1. 2875. boul Laurier. bu". 450
Québec (Québec) Canada GlV 2M2
CaliJ/ogllg<' Ul"llnl p 11blica1ion dl' Hibliahhp.tl' 1'1 Archii"N mliomla lÛI Q11HJ1'c
1'1 BibliotMq/le d A.rdril"l'~ Clltii/Jdu

O hvier. Lawrenœ. l953-


ArgWJenter son m~moi re ou !iii thhe
Comprend des réf bibtiogr.
ISBN 97&-2-7605-2629-7
1 . 1hl>se~ et écritsaea~miques. 2. Argumentat ion, 3. Per.luasion (Rhl'toriqu._.).
4. R aisonnement. l Payelle.Jean-François.l'179- 11 .1\tre.
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C 2010 l'renes de I"Univer!lité du Q uébec
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Ctlilw sur/'arsrmlfl!tutinr! kilrr_';t clh.lit pul.~qr., c'tst 9


counmt, nltfl' frhn et SU'fltJ, d'atsr•lll'lltrr. Lt' lwsilnl a {<1it dr
Guillmmu• et tle Mt~rit'-Octobœmm1 frère' n ma sœr.-; /.a 1•iem u
fait dts tmri(e)s. /'01.- 1111:1i, iiJ rt'prhmtmt l'lll't'llirtlll Qlrlm:: ""
pays ii blitir, 1mt' 1111tion ii l ibirrr. Et, {Kmssl p11r crtte _w/irlruitt
frntrmrlle, ils mr prmrrttrnt tl't>S{J&rr, tims //If"; momrntsrle
/JI)f/lt'IIOIIIOI/ft'IIX, lfll'lllljvllf. . 1/Q//Syarri\'fnHI$.

j .-F. P.
TABLE DES MATIÈRES

lntrodud ion ..
Convaincre ....
Persuader ..

CHAPIT RE !
L.1 strudure arg umentative ..... 13

C HAPITRE li
Argume ntaire el raisonnement .. 33
2.\.lesraisonnements .. . 37
2.2. les critères de validité formels d'un raisonnement .... 46

~:~: ~ s~~~~~~~~~~~~~~î~i~~·::···
5 50
53

CHAPITRE Ill
Preuve, argu ments el thèse..... . 59
3. 1. Faits et données ........ ......... 60
3.1. 1. Faits, données et arguments. .. 63
3.2. Compr(>ndre $a Thl.'se .... 71
3.2. 1. l'hypothèse .. 71
3.3. la démonstration de la proposition de recherche .... 79
_
x _ __ A.wmwntrr wtl mimoirrou Ja thN

(HAPifltEIV
fcrire pour convaincre: la rhétorique de l'écriture .. 85
4.1. les types de pl'euvc ...................... 90
4.2. les procédés rhélortqUC5 •.........•..•.•. 93
4.2.1. la prolepse ............................................... 93
4.3. les procécU51ittéraires. 97
4.4. le plan ............................. lOO
4.5. l'écrilurc. 103
4.6. forme •... 107

Conc lusion 109

Bibliographie 11 7
INTRODUCTION 1
La vérité e1t toojoon inférée d'autrei choleS.
G.Oeleuze

U ne partie importante de la démarche de recherche en science relève


de l'argumentation, en ce sens que toute recherche veut démontrer
ou faire admett re quelque chose. Ce «quelque chosel• peut être une
proposit ion (ortm'lleJ 01ypothèse) ou une significatio n do nnée à un
événement. On n'argumente pas n' importe comment si o n considère
qu 'il s'agit de faire accepter par ses pairs les idées que l'on veut soutenir.
En sciences soc iales, on défend en général une Thèse~. h ypothèse ou

1. l.es auteurs remerdcnt l 'é\~luateur anonyme mandaté p;~r les 11resse:sdei'Univer:slté


du Québec pour les deux lectures attentives du manuscrit et pour ses nombreux
commentaires qui ont enrichi cet ouvrage.
2. L'usa~~guillemetssignifie que Il' mot est pris dans un semdiffênmt d eœlui qui
est gl'lléralement admi1 ou pour ~itcr de le çonfondre awç les au lies mob d'une
phraJol'. l'ar exemplr, le • quelque c;:hm.e • est id en J.urlmposilion de la phra~. Il
di-signe la çh~ dont jeparleet non le pm ~Dm indé fini.
3 L'usage de l'italique signifie que le mot n'a pM le Jo~>ns ordinaire qu'on h.Ji prête.
!.'hypothèse n 'Mt pas une proposition fomteUe, mais on peut dire que p<~r rapport
aux propositions de rt't"herdte, eUe se distingue par un début de formalisation
4. Pour ~iter une ~;onfusion des termes, nous utili'ît'rons le mot T11h<', avec une majus-
cule, pour parler de l'affirmation, soit l'hypothèse ou b proposition de rectrrd1l',
qu'un proposant veut défendre. Lors.qu'il sera question de b thkt-de doctm:at.la
minusculeSoerautll~.
_
2 _ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

proposition de recherche. Le verbe tlr!ferulfl? est id approprié car il s'agit


de convaincre de la valeur de notre Thèse pa r des arguments solides, la
Thèse n'étant qu'une proposition qu'on est prêt à soutenir ou encore
qu'on doit défendre cont re un adversa ire réel ou imaginaire. C'est une
conjecture, une proposition considérée comme plausible qui exige une
vérification. On n 'argumente pas n'importe comment non plus si o n
cherche à expli quer ou à comprendre un phénomène avec un e certai ne
certit ude (vérité ou nécessité). L'a rgumentation, comme l'explique fort
judideusement Bertrand Buffon, .-a pour aspi ration et pour critère la
vérité, à tout le moins le vra isemblable 1 • . Argumente r est donc une
tâche essentielle de la démarch e scientifique; elle se développe une fois
le travail d'enquête et l'analyse des données effectuées.

Convaincre
S'il est fréquent d'argumente r, lors de discussions avec des amis ou des
parents par exemple, dans tous les cas, cela implique un raison nement.
Par raisonnement, on entend un certain enchaînement logique des
jugements - arguments - pour en a rriver à un énoncé vrai ou vrai-
semblable. Le mot clef de cette dé finition est •logique .. ; les enchaî-
nements ne son t pas faits n'importe comment ou de n'importe quelle
façon. Contrairement à une discussion entre amis où les arguments de
chacun sont souvent énoncés sans ordre, en reche rche, les a rguments
suivent des règles formelles qui établissen t une hiérarchisation ent re les
énoncés et les liens de nécessité qui les unissent dans le raisonnement.
Les jugements doivent être organisés d 'une façon telle - d'une propo-
sition a dmise je peux e n dédui re une autre qui soit nécessaire - que les
conclusions que je vais en tirer aient une certaine va leur, une valeur
indépendan te des opi nions de chacun. En suivant l'enchaînemen t des
jugements, le lecteur devrait pouvoir accepter la ou les conclusions qui
en son t déduites. Un bon raisonnement devrait rallier une majorité
de personnes à ma conclusion. Une telle démarch e donne en prindpe
un pouvoir de convaincre à l'argumentaire. Nous reviendrons sur ce
pouvoir qu'on oppose souvent à celui de persuader.

5. Bertrand Ruffon. Lll pruole prTSIIHÎI'f', l'a ris, l)resses universitaires de France, 2002,
p. 14. ~Vérité• et ~ uaiwmblable• nt' sont passynon)mes. Nous utilirrons • vrai·
semblable• parce qu'il est d e plus de plus difficile d'admettu• qu' une recherche
scientifique aboutisse à la \'érité o u mêm el des vérltk.
Introduction
_ _ __3

Dans le cadre d'un mémoire de maîtrise ou d'une thèse de docto-


rat, on comprend mieux l'importance et la per tinence d'une argumen-
tation. Même si e lle n 'est pas ou très peu enseignée dans les cours de
méth odologie à l'université en sciences sociales, l'argumentation repré-
sente, malgré tout, une partie essentielle du trava il de celui qui réd ige
son mémoire ou sa thèse. Il sera en g rande partie évalué sur la valeur
de l'argumentaire, la rigueur des raisonnements avec laquelle il défend
sa Thèse'. l..a .. chose,. semble aller de soi, mais ce n'est généra lement
pas le cas. Pour bien argumenter, il ne suffit pas seulement d'avoir de
bons arguments. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un bon argument ? La question
mérite que l'on s'y atta rde. Poser la question nous fait comprendre
qu'i l ne peut y avoir d'argument en soi; un argument fait toujours
référence à quelque c hose (TI1èse) auque l il se rattache de m a nière
nécessaire, ainsi (bien que ce ne soit pas le propos de ce texte) qu'à
un système référentiel de pensée. Un argumen t sera bon s' il parvient
à nous faire accepter la Thèse. Il faut aussi organiser les arguments en
une structure (argu men taire) pour les rendre convaincants. On pa rlera
alors de preuve. C'est rare d'argumenter avec un seul argument. les
deux termes - preuve et argument - ne sont pas tout à fait synonymes.
la distinct ion sera faite plus loin . Nous reviendrons au cours de cet
ouvrage sur le système complet allant de l'argument au raisonnement
et de l'argumentaire à la preuve.

On aurait beau proclamer que notre Thèse est p rouvée par des
observations empiriques, cela sera it insuffisant pou r convaincre de
la certitude ou de la vraisemblance de notre hypothèse ou de notre
proposition de recherche. C'est l' illusion que laissent croire, mais de
moins en moins, les te nants d'une conception très stricte et n'!ductrice
de l'activité scientifique. la vérifica tion empirique n'est ni suffisante
pour étayer une Thèse ni pour convaincre de son bien-fondé. C'est
procéder en éta lant su r une table des fruits, de la farine, du sucre, des
œufs, etc., et prétendre que voilà une tarte aux b leuets. les données
ne représentent qu'une partie de 1'argumentation d'une hypothèse ou
d'une proposition de recherche'. leur présentation ne garantit ni ne
prouve rien. Encore faut-il analyser les données; elles n'o n t pas en soi
de signification. Ce ne sont pas des faits qui, à eux seuls, peuvent servir

6. C'est ce que tout auteur souhaite mais qui n'arrive JlM toujours malheureusement.
1. La diJiinction entre l'hypothèsl> el la proposition de rechen::he sera faite au pœm ier
chapitre.
4
_ _ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

d'arguments. Il y a peu de recherches scientifique<> qu i peuven t con-


va incre uniquement sur la vafeurde v(J(itfdesdonnéesd'enquète, c'est-à-
di re la rigueur méthodologique avec laquelle elles ont été recueillies.
D'a illeurs, la plupa rt du temps, o n n'a pas un accès d irect à ces don-
nées. On s'en remet à leur prése ntation, à la man ière do nt elles sont
organisées. Au trement dit, les do nnées doivent êt re transformées e n
jugement insc rit dans une st ructure logicoth éorique grâce auquel il
deviendra possible d'argumenter. Le chercheur doit débatt re avec des
énoncés, des affirmat ions qu'il const ruit à pa rti r des don nées qu'il a
colligées. Cette structure doit être soutenue par u n travail réflexif qui
vient explique r la relatio n entre les variables! ou faire comprendre la
significat ion qui est donn ée a u phénomène étud ié. Il faut présenter
- ou organiser nous paraît plus juste - les jugements, les prémisses, qui
con duisent à l'adoption ou non de la Thèse (on dira aussi Conclusion)9 •
C'est certa inement l'un des aspects les plus importants de la recherche
scientifique, l'une des tâches qui attend forcément tout chercheur. C'est
a ussi l'un e des p lus satisfaisantes intellectuellemen t.

Persuader
Toute recherche, et le mémoire de maîtrise a insi que la U1èse de docto-
rat n'y font pas exception, suppose La d iffusion de nos résultats. Cette
transmission des résultats vise notamment à persuader les gens qui
vont les lire. Cet aspect de la recherche ne doit pas être banalisé, il est
bea ucoup plus important qu'on n e le croît générale ment.

On a beau indiquer l'évidence d es choses, établi r la qualité de nos


don nées ou affirmer la solidité de nos raisonnements, l'évaluation des
pairs est essentielle. JI fau t les convaincre et les persuader. Les oppo-
sants, les évaluateurs du mémoire ou de la thèse par exemple, sont sou-
vent t rès exigeants e t difficiles â convaincre. Ceux-cl jugent â pa rtir de

8 Il importe d e rappder qu'une hypothbe- e$l fomH~e de deux ou plusieurs variables


rdiées par un marqueur de relation. Un 111arqueur de rdation est le verbe central de
l'h)'pothbe- uuse, dépend,détemline, influençe, varie, etc. -. il définit plkbément
cequ 'ilyaàargumenter.
9. F.nklgiquede l'ougumentation, on utililesunout le maprft~r/s51:JX)Urdésigner les juge·
ments .l partir desquels on entend .soutenir une thèse; le to-me c~rc/ri5/otr •enferme
donc en q uelque sone une\"érité dam des limilesdffinil-s par les pr(mMes ... Ceue
définition est tir&- de Victor Thibaudeau, Prinâprs 1lr lvjÎq11r. Dlfitlili~t, érwuàttiur1,
nrisammwlll, Québec, Presses de I'Unive15ité U\"al, ::noti, p. 679, note 17.
Introduction
_ _ __5

n ombreux éléments parmi lesque ls il y a le respect de certains critères


de scient ifi cité - dans la collecte des don nées, dans leur prése ntation
et leur an alyse - , qui sont importa nts pourconvalncre. Ce ne son t pas
le seuls ni les p lus pert inents. Ce n 'est pas toujours une chose facile,
comme peuvent en témoigner de nombreux ca nd idats à la maît rise et
au doctorat. Le rôle de l'opposant , nous le verrons, ne se limite pas à
accepter ou à rejeter u ne Thèse; il n e se réduit pa saux membres du jury.
JI peu t être très utile, comme procédé rh étorique, dans la construction
d'un argumentaire rigoureux.

L'ensemble de la société exige aussi, pour le meilleur ou pour le


pire, qu'on la persuade de la valeur de nos rech erches. Ce t ravail n'est
pa s facile non plus; on ne convainc pas aisément et surtout pas n'im-
porte commen t. En scie nces sociales, la chose apparaît encore plus dif-
ficile que da ns les aut res sciences, et ce, pour deux raisons. D'une pa rt,
généralement, une partie des objets étudiés en sciences sociales sont des
sujets ayan t conscience d 'apparteni r à un e société où ils sont à la fois
sujets et objets des enquêtes sociales. D'autre part, nos objets occupent
une place importa nte dans J'actualité et plusieurs groupes revendiquent
le droit,la légitim ité e t même l'autorité d'en traiter. JI n'est pas rare de
voir, à propos de certaines questions, des groupes - syndicats, associa -
tio ns patronales, min istères, organ ismes gouvernementaux, groupes
religieux ou militants- s'opposer à des recherches, à des conclusions
d'enquêtes menées par des scientifiques. Ils prétendent pouvoir dire sur
ces quest ions ce qu'il y a à savoir, ce qui est i mportant, voire essentiel
de connaître selo n d'autres c ritères, ma is pas toujours, que ceux de
la science. L'étude de la controverse scientifique est aujourd' hu i un
domaine de recherche en forte expansion. Force pourta n t est d 'admettre
qu'ils sont persuasifs avec leur a ppel à la justice, à l'égalité ou à la pros-
périté. Malg ré que ces débats débordent large men t Je domaine scien-
tifique, cela ne veu t pas dire qu'il faille les ig nore r. Persuader est aussi
une tâche très importante et complémentaire de celle de convaincre;
c'est ce que nous vou lons montrer d ans ce t ouvrage méth odologique.

Les objets considérés dans les controverses scientifiques sont sou-


vent l' en jeu de luttes sociales et politiques intenses et variées. Ils sont
souvent appréciés selon des jugements de valeu r, des idéologies qui con-
frontent les rech erches scientifiques en modifiant les critères d'évaluation
sur la signification qu'on peut leur do nner. On en vient à ne plus savoir
quoi penser tellenlent les adversaires sont hab iles dans leurs argwnents et
_
6 _ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

malins dans leur rhétorique. Certaines de ces idéologies ont une préten-
tion à la vérité, celle-ci étant alors définie par son utilité SOCiale. Est vrai
ce qui est uti le polit iquement, c'est-à-dire ce qui penn ct la libération ou
l'émandpation. Elles forcent l'adhésion. Il n'y a pas à le déplorer: Il est
toujours possible et facile de trouver un expert pour contred ire un autre
expert 10• Ç.a ne prouve ri en sur la valeur ou le rô le de la science ou de la
recherche. Tout au plus pouvons-nous noter une d ifficulté de p lus qu'il
y a à surmonter. Convaincre et persuader ne sont donc pas chose facile.
En recherche, argumenter est une étape importante; persuader en est
une autre dom on fa il en ~néral peu de cas. la rhétorique a aujou rd' hui
mauvaise presse en science: on a souvent l'impression qu'elle sert, au
mème tit re qu'une publicité, que cert aines doct rines polit iques, que des
idéologies, aux tenants de la propagande qui en font un large usage JX>Uf
manipuler, tromper et abuser les gen s. Dommage, car elle représente une
dimension aussi importante de l'argumentation et, utilisée à bon escient,
elle peut être un outil efficace dans un mémoire de maîtrise ou un e thèse
de doctorat. Nouo; voulons dans cet ouvrage montrer l'importance de
bien argumenter sans n égliger celle de persuader.

Tout cela démontre aussi l'impo rtance d e la dimension argumen-


tative et persuasive dans tou t travail et plus particulièrement dans le
trava il scie ntifiqu e. La thèse de doctorat et le mémoire de maîtrise,
une fois de plus, ne fon t pas exception. Préoccupé par sa démarc he, sa
méthodologie, le cand idat s'aperçoit tardivement de l' im portan ce d e
bien argumenter sa recherche et même de la nécessité de persuade r. Il
conçoit difficilement l'existence d'u n e démarche rigoureuse propre à
l'argumentation tant les concepts de preuve, d'arguments et de rhé to-
rique sont associés au droit. Persuader n'est souvent même pas consi-
déré tant l'idée qu'une démarche rigou reuse, qu'une U1éo rie solide,
qu'une méthodologie étoffée suffisent amp lement à ét ayer la Thèse
défendue. Pourtant, il faut aussi persuade r puisqu' il ex iste d'au tres
interprétations concurrentes à celle qu'offre la recherche scientifique.
La rigueur, la validité de la démarch e méthodologique, la solidité des
raisonnements, ne sont pas les seuls critères, tant s'en faut, pour évaluer
un trava il scientifique. Sans négliger la portée, la place de la méthodolo-

10. Voir le bel OU\TagedeS!~hane La Branche: L Dumoulin. C. Roben, S.l.a Branche


el P. \\':nin (dir.), Us IIS<"WN pulifiiJrrn dt- l'n:pnti:w, Gu•nolJie, I>t~ d e I'Uni,-ersité
de Grenoble, 2004.
Introduction
_ _ __7

gie- collecte des données, outils e t techniques d 'enquête et d'analyse,


etc. - dans le travail de rédaction, e lle est moins g rande que celle de
l'argumentation et de la rhétorique.

Sans le savoir, sa ns même y penser, une pa rt ie du travail d 'écriture


relève de la rhétorique. On ut ilise souvent involontairement des pro-
cédés rhétoriques, sans intention de tromper ou de duper. On anticipe
des objections possibles et on les réfute. On ut ilise des analogies et des
exemples pour mieux expliquer ou faire comprendre. On tente de d iffé-
rentes manières de colmater des parties plus faibles de notre argumen-
tation en employant des métaphores, quelquefois des sophismes, des
paralogismes et même la caricature des posit ions adverses pou r en tirer
des conséquences légitimes ou non légitimes 11• Ce sont là quelques-uns
des procédés rhétoriques utilisés en sciences sociales. Leur puissance
de persuasion est souvent très grande et doit être ut ilisée adroitement.
La rhétorique est un outil qui peut nous aider dans l'a rgumentation de
notre Thèse; il faut savoir en faire un usage judicieux.

Nous avons fait le pari, certes d ifficile, de parler en même temps


d'argumentation et de rhétorique sans privilégier l'un au détriment
de l'au tre. Nous croyons qu'un étudiant à la maitrise ou au doctorat
doit être sensibilisé à l'importance des raisonnements qu' il sera appelé
à étayer pour défend re sa Thèse. Nous voulons surtout qu 'il accorde
à cette partie de la démarche de recherc he u ne énergie et un temps
conséquents. S'il est vrai que pendant sa formation, règle gé nérale,
l'étudiant aura eu peu de temps consacré à ces questions - dans le
meilleur des cas, quelques heures employées à l'étude du syllogisme et
de quelques exemples - , il n'en demeure pas moins que l'argumentation
et la rhétorique représentent u n outil méthodologique efficace qu'il ne
faut surtout pas néglige r.

I l. Sur la rhélorique,l'ouvragede 1-.Urc i\ngenoiDiii/Qstlt'stlr.smmls. Tmitt di- rllllttriqm.'


antill.',fiqtu• (Paril, MiUe el une nuits. 2«>8) e-sl un ouvr.tge renlllrqll.lble. JI recense
un nombre inu\culable de prod d(os r héloriques a\'I.'"C un sem de l'humour incom·
p.lrable.l..el remaf<jllt'lcrilii.JUCS de l'au1eur sonlauSli uès S.lvoureu$t':S. Noui ne
S.lmions lrOp recommander S.llecture pour son érudiliOll el sa valem péd.lgogîque.
Cenainemenlle meiUeur ouvrage sur la rhélorique publié depu\1 fon long1emps.
_
8 _ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

L'incompréh ension est totale lorsque le can didat se fait reprocher


des faiblesses dans ses raisonnemen ts. On ne lui avait jamais dit d'y
port er une attention partirulière puisque de toute façon, il est persuadé
que d'avoi r collîgé de bonnes données suffi t à soutenir efficacement
sa Thèse. La surprise est à la hauteur du peu d'intérêt qu'on a démon-
tré pendant sa form ation unive rsita ire â l'argumentation. Pou rquoi
soudainement devient-elle si importante? Elle l'a toujours été mais
l'intérêt pour les données, les techniques d'en quête et même pour les
cadres théoriques a détourné l'attentio n des raison nements. Il faudrait
certainement ajouter que les raisonnements t rop formels, sans lien
a vec la réalité empirique, est un reproche trop souvent e ntendu. À une
pé riode où on n'a jamais autant parlé de théorie en sciences sociales,
Il est regrettable de déplorer le peu d'effo rt e t d'i ntérêt con sacré au
raisonnement. On a rarement e t m ême jamais vu dans u n m émoire
ou une thèse de plan argumentatif. ~tonnant car dans les faits, ce plan
représente l'armature du mémoire ou de la thèse. D'une certaine façon,
il est plus important que la table des matiè res qui, pou rtan t, est une
obligation à laquelle un c andidat ne sau rait manquer. Le pla n argu-
mentalif, l'organisation dei raisonnements, possède, à notre sens, une
valeur pédagogique plus grande pour le cand idat. Il est en mesure de
faire sa propre évaluation de son argumentaire et de le rectifier au
besoin. De plus, il permet d e juger rapidement, autant que faire se
peut, de sa valeur, c'est-à-d ire de sa capacit é à rendre vraisemblable la
thèse défe ndue.

Que d ire de la rhétorique qu i ne soit encore pire que œ q ue l'o n


vient de dire à propos de l'argu ment aire? Nous l'avons d ît p lus haut:
la rhétorique a très mauvaise p resse en science. Elle vient d'une longue
tradition qui remontre, dit-on, aux Gœcsanciens 12• C'est d'abord l'art de
bien parler en public, d'utiliser des effets patllétiques pour plaire ou per-
suader. Cette courte définition n 'aide guère à redorer le blason quelque
peu terni de la rhétorique. Plaire et persuader nous font immédiatement
penser à ce qui est superfidel, éphémère, tromperie, mensonge joliment
emballé, poudre aux yeux, etc. En effet, la rhétorique ou plutôt la dia-

12. Pour une brève présentation de l' hhtoire de la rhétorique, voir Michel Meyer, ()If~·
fiiJfiS dt" rllhoriqllf'. l <UISifjl', m iro11 1'1 sA/riCfiiJfU, r•.uîs, Librairie g é n é rale fran çaise,
\993.
Introduction

lectique érisûque 11 a moins affaire à la vé rité qu'au vraisemblable o u au


plausible. Elle cherche mo in s à soutenir qu'à essayer d'avoir toujou rs
raison dans une discussion et de prendre les moye ns pour y parvenir. Elle
relève, chez Schopenhauer, de l'art de la guerre. On im agin e l'effroi des
scientifiques devant une telle particularité. S'en élo igner est même une
obligatio n s i on veut que la science conse!Ve un statut objectif et neutre.

Persuader v ise l'adh ésion de ~n interlocuteur ou d'un public à ses


idées ou à son propos. Elle est souvent associée à la démagogie, au popu-
lisme, à la sophistlque ~, car elle Eait appel souvent aux passio n s, aux
1

sentiments {Jxltlws), aux stratégies pour gagner un débat. La question de


l'utilité de la rhétorique se pose avec pertin ence: • I...J sert-elle à démas-
quer les artifices du langage, les fausses pensées, o u au contraire est-elle
l'instrument démoniaque qui les instaure, pour m ieux envoûter ceux
qu'elle trompe15 ? .. Le rhéteur serait un trompeur, voire un menteur ; il
sait bien parler et, possédant ce don, il essaie de mieux nous duper et
nous mystifie ri ' . Son talent n 'a d'égal que la futilité de son propos. Qui
n 'a jama is assisté à une conférence où l'orateur suscite l'intérêt de to us
uniquement par son talent de discoureur? Il y a de bons orate urs capa-
bles de faire accepter n 'importe quelle thèse; il suffit de savoir utiliser à
bon escient Je patltos, l'etllos et le togos 11• Pou rquoi alors en parle r dans

13. L'lrisflqurdl~igne u ne manièœ d 'argu menter dontl'objt'Ctif explicitent de g;Jgœr


ln débats et de dominer son ad ..·e rs.liœ.
14 Le wphisme est un rabonnement faux q ui a louin ln apparences d'un syllo-
gisme valable.l..e sophiste joue avec le mntenu de$ propO'Silions du syllogbm e. Par
exemple, le sophisme du t;ude s.:1hle. Combien faUI·Ü d e grains de sable pour faire
un tas de sable111 n'y a pas dt- réporues.:1tisfa i:sante, de ''érité, à celteqUf'$tion. Si
je dis 10000 grains de s.:1b le et que j'en ai 9999, alor.; U faut un grain de sable pour
faire un tas de sable. .\ 9998 grains. il en faut d eux. A 9997, il en faut uois. I.e rai·
sonnement peu t w poursui\Te a insi à l'infini.
IS. Miche1 Mt>)\'r,11(1.cit, p.S.
\ 6. On pense à la fable deLa Fontaiœ•le wnanletlecorbeau •, mais l'exemple contem-
porain de la politiq ue et des politiciens e>l encore plusconvaincartt. lia su ffi d'en-
tend re ln témoins lors de la Commission Gomery s ur le S<:andale canadien dn
commandites. Certainsjoumall'il~ 0 111 même louang(> la performance d'un ancien
premier ministre canadien impliqué dans œ S<:andale p1H1r s'en être bien tiré en
laiss.:1nt le commhs.:1ire s.:1rn \Uix. 011 se dema nde encore pourquoi ln gens sont
C)Tliqun.
17. Il peut soutenir avec la même éloquence une chose et son contraire: l'existence
de Dieu et son impO'Ssibilité. lltst iméressant de prêter à la rhétorique un tel pou-
voir qui, s'U s'avé rait efficace, et il n ' y a pas de raison d 'en d outer. œmet en cause
toute idée de '~rlté. Il ne peut y avoir de vérité si tout est lquiprimtmlio/1. Selon que
l'on croit en Dieu ou non, on consid érera qu 'u n argumentaire est plus vrai que
l'autre. Mais ce n'est là que aoyance et non en soi un a rgument. Imaginons qlK' la
croyance soit un argument; on IY peu t que la considérercomm e u ltime,c"est·à--<liœ
_
1 0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

le cadre d'une recherche de maîtrise ou de doctorat ? Heureusement,


elle n'est pas que cela et J'éristique n'est qu'une partie de la rhétorique.
Ce serait très réducteu r de la résumer qu'à cela, comme il serait to ut
a utant simpliste de vou lo ir soustraire l'éristique de la science. Il existe
une autre version de la rhétorique et, puisqu'il faut persuader, voyons
comment elle peu l être utile à notre propos.

Michel Meyer propose une définitio n plus attrayante: «{... ] c'est


la négociation de la distance sociale entre des hommes à propos d 'une
question, d'un problème. Celui -ci peut d'ailleu rs aussi bien les réun ir
que les opposer, mais il ren vo ie toujours à une a lternative 18. ,. Considé-
rée ainsi, la rhétorique n 'apparaît pas seulemen t comme un instrument
au service des démagogues, des publidstes o u des politiciens inté ressés
e t malhom1êtes. Elle représente un moment de négociation en tre les
h ommes, une manière de réduire ce qui les sépare. Le problème -ce
à propos de quoi o n d iscute ou on débat -réunît les hommes. Marc
Angenot défend une idée contraire. Il soutient que l'argumenta tio n
n'arrive jamais à récondlîer ceux qui discutent et qu'en fa it chacu n
refuse d'entendre l' autre, se campant sur ses positions quel que soit
l'argumentaire utilisé19 • On n e persuade jamais. JI n'est pas dit que la
rhétorique résout les conflits; il faut plutôt la penser comme une ren-
contre obligée, une mise en présence. Il n e s'agit donc pas seuleme nt
de pe rsuader, certes une d imension importante, mais trop réduc trice.
C'est un moment privilégié où des hommes se ren contrent et se parlent
à propos de quelque chose. On ne sait pas si, comme l'affirme Meyer,
elle renvoie à des alte rnatives, mais chose certaine, le problème, objet
de la rencontre, n e sera }amais plus le même après celle-ct.

En ce sens, son rô le est capital et il l'est d'au tant p lus pou r le can-
didat à la maîtrise ou au doctorat qui doit commu ni quer ses recherches.
On conçoit qu'îl v ise à faire comprendre la Thèse q u'il a défendue,
à expliquer son hypothèse. Autrement dit, il veut partager dans une
rencontre, le mémoire de maîtrise ou la thèse de doctorat, ses idées sur
u n problème. Il les défe nd pa rce qu'i l est persuadé qu'elles penn ette nt
de mieux expliquer ou comprendre le monde dans lequel nous vivons,

l'argument defmitif mntre lequel la raison trouve sa propre limite. C'est possible
seulemenl au prix d'une remise en caux- radicak- du mrionalîsme ou en supposant
un S)'lillme de rfférence idt.'>t-1 qui ne pru1 à sou rour Sl.lbir l'épreuw d u doure.
18. Michel Meyer, op. cit., p. 22·2.1.
19 . Marc ,\ngenol, op. d t.
Introduction _ _ _1_1

sans en être complètement certain tant que d'au tres n'ont pas partagé
ou examiné avec soin son hypothèse ou sa propositio n de recherche
et les arguments sur lesquels ils se fondent. Son importance justifie
amplement l'effort à mettre pou r persuader, l'application à séduire.

Séparées, rivales en certaines occasions, l'argumentation et la rhé-


torique sont indispensables au candidat à la maîtrise et au doctorat. On
ne peut en effet séparer la recherche de la vérité, de la cert itude, et la
volonté de la faire partager, d'être entendu e t écouté. On a trop souvent
sacrifié la seconde au p rof1t de la première sans se rendre compte que
c'était impossible. Prendre la p arole pour dire quelque chose et être
entendu n'est pas une chose si simple. Si, généralement, le droit de
parole est reconnu, il n'en est pas de même pour celui d'être entendu.
Il faut se disposer à parler et disposer ceux qui écoutent à b ie n recevoir
ce qui est dit. Il ne s'agit pas de parole d'évangile; la rh étorique est
souvent sou rce de con flits, d'oppositions. On parle plutôt de créer les
conditions d'un éc hange fertile. Dans ce dessein, Il faut tenir compte
des in terlocuteurs, se préparer pour qu'ils puissent entend re ce que
je veux leur dire et en retour me disposer à les écouter. C'est cela, en
grande partie, l'art de la rhétorique.

Une fois reconnue l'importance de l'a rgumentation et de la rhé-


torique, il faut voir maintenant comme nt e lles s' inscrive nt dans la
démarche de rech erche, son lien étroit avec le cadre d'analyse et son
hypothèse ou sa proposition de recherche. En procédant ainsi, le lecteur
est tou tours en mesure d'apercevoir où se situe l'argu mentation et de
comprendre les liens entre les parties de so n mémoire ou de sa thèse.
C'est peu t être la différence notab le de cet ouvrage pa r rapport à ce
que l'on trouve habituellement sur l'a rgumentation et la rhétorique
qui consiste en des exposés techniques sans référence à leu r utilisation
pour une rech erche universitaire.

Il faut aussi montrer sur le pla n théorique comment construire un


argumen taire de manière e fficace et pe rtinente par rapport à sa Thèse.
L'importance de bien bâtir une structure a rgumentative pour sa Thèse
fera l'objet du troisième chapitre. Nous insisterons sur l'importan ce
du plan logique. Il joue un rôle primord ial, nous l'avons souligné, à
ce niveau. Enfin, cet ouvrage ne saura it être complet sans un chapitre
sur la rh étorique, sa place et son efficacité dans le travail d 'écriture
du mémoire de maîtrise ou de la th èse de doctorat. Il nous a paru
impossible de traiter de mémoire ou de t hèse sans référence à la rhé-
_
1 2_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

torique. Il est vrai que c'est assez inhabituel tant les deux ront usuel-
lement séparés. Nous croyons que la rhétorique peut avoir une utilité
si, comme o n le croit, elle est autre chose qu'un outil de manipulation
et de propagande. L'éristique, à partir du moment où l'argumentat ion
confronte un proposant à un opposant, a certainement un rôle à jouer.
Nous espérons l'exposer. La rhétorique, nous croyons l'avoir exprimé,
est un outil e fficace qui, complémentaire à l'argumentation, a idera à
écrire et à défendre plus efficacement sa Thèse.
Ce livre a cette partlrularité d'expose r de manière quelquefois
a ssez abstraite des considérations théoriques sur argument et raisonne-
ment, h ypothèse et proposition de recherche, explication et compré-
hension. Sachant que cela peut rendre la lecture du texte à l'occas ion
ardue, nous avons tou tefoi<> cru ces comidératiom néces<;aire5. Il n'y
a pas de choix mé thodologiques qui ne reposent sur des fondements
phllosoph icothéoriques. Cela permet de comprendre les choix que l'on
est néœssairement amené à faire.

Nous sommes persuadés, malgré un langage souve nt technique,


de l'intérêt de œs considérations. De la même manière, n ou<> avom cru
important de parler de rhétorique da ns un ouvrage su r l'argumentation,
alo r<> que ce n 'est géné ralement pas le cas. Nous avons pensé que le
lecteur devait connaître les fonde ments de ce qu'i l allait faire et <;avoir à
tout moment où il se situait dans <;a d émarche de recherche, ce qu'il fai·
sait. Cette vision offre l'avantage de savoir pourquoi et à quel moment
on fait ce que l'on doit faire. Ce n'est pas rien, mais ce n'est <;urtout pas
un livre de formules, un prêt à utiliser pour bien argu menter. Son utilité
se mesure à la connaissance théor icométhodologique qu'il p ropose.
En ce sens, les exemples sont nombreux, diversifiés e t aptes à aider le
lecteur dans ses tentatives pour cons truire un argumentaire pour so n
mémoire de maîtrise ou sa thèse de doctorat.
CHAPITRE

D
LA STRUCTURE ARGUMENTATIVE
On ne retrowe dom /'obiet que ce qu'on y o introduit.
E.Kant

T out mémoire de maîtrise ou thèse de doctorat suppose une certaine


structure argumentative, c'est-à-dire un argumentaire composé d'une
suite de raisonnements logiquement articulés. Il est importan t de le
souligner ca r Je travail de reche rche repose sur des ênoncés postula -
toires (hypot hèse ou proposition de recherche) qu'il faut justifier e t,
par conséquent, argumenter. L'argumenta ire permet au cand idat à la
maîtrise ou au doctorat (désormais désigné comme le proposa11t) de
soutenir la Thèse défendue et de la faire accepter comme vraisemblable,
plausible ou crédible par la communau té sdentifique' . Ce faisant, il
présente à cette co mmunauté une interprétation ou une expl ication

l Nous croyons, à l'im't'fsedect'ftains,. que l'argumentation n e~mont~p.u la vérité


d 'une hypothèw, maisow>ulement sa "ui~blance,.sa pbu~ibilitéou~ crédibilité. La
position épbtémologique<jui at défendue ici nous apparaît da\<lntage ~fiéter l 'u~ge
<jUi t'$l fait d es h)polhèseso..L dcspropoJ;itionsd eredJerçhe. lly a peu dechert:heurs,
.sans nier leur e.'(istenœ. <jUi croient encore à b vérité de leur h)pothèw mCme s'Us om
des donn~ empiri<jue!l qui b vérifient. Vérifll>r et \irité sont e n boén&al comi~rés
comme condition l'une dl.' l'autrl.',la vérification étant b condition par la<Juelleest
établie- b vérité d 'une proposition. Mais déjà une teUe définition t'!if rebtive au mn·
textescie-mifiqueet selon le niveau de fonnalis.lltioo des systèmes théoriques.. Dans un
systioml.' fonnet, comme les m.llh{mariqut>S, on parlera plutôt de vérité sftnamique,
désignant par œne apr~lon une interplitatioo. Q,.ll' œrtains croient à la vétité est
une chose; b réception de leur hypothèse par la communauté scientifique se limite
_
1 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

pertinente d'un ph énomène, d 'une situation ou d'un objet de savoir


qu'il a construit. Gardons à l'esprit qu'un mémo ire ou une thèse s'ins-
crit dans u n cadre universitaire qui a des exigences propres quant à
l'énoncé de la Thèse et de son argumentation. L'article ou l'ouvrage
scientifique possède des requêtes légèrement différen tes.
L'a rgumentaire est le disposit if par lequel nous tentons de faire
accepter par la communau té scien tifique (par ses pairs: ici les membres
du jury du mémoire de maîtrise ou de la thèse de doctorat que nous
désignerons désormais comme opposantsZ) la Thèse défendue. On formule
souvent la question suiva nte: .. Comment const ruit-on un argumentaire
solide capable de sou tenir notre Thèse et de la faire accepter par nos
pairs?» C'est à cette quest ion que nous tenterons de répondre dans les
prochains chapit res. Mais avant de s'attaquer à cette tâche centrale et
multidimensionnelle, il faut exam iner comment se déplo ie cette struc-
ture et cette dynamique argumentatives entre le proposa11t (candidat à la
maîtrise ou au doctorat) et les opfXJSallts (jury). On pourra alors voi r sur
quelles bases se construit un raisonnement argu menta tif.

Pour bien, pour ne pas dire prudemment, construire une structure


argumentative, il faut êtTe ca)Xlble, croyons- nous, de bien se représenter
la matrice, le déploiement ainsi que la dynamique d'une argumentation
propre à ce type d'étude (mémoire de maîtrise ou thèse de doctorat).
La structure argumentative repose sur une disposition et des montages
méthodologiques particuliers - Je proposant devant argumenter son
mémoire ou sa thèse face à des opposants (qui nécessairement l'éva-
lueront pour décider de sa valid ité ou non) pou r la faire accepte r. C'est
toute la structure a rgumenta tive du mémoire ou de la thèse par son
déploiement, sa force de démonstrat ion, de persuasion et de pénétra-
tion qui fera, essentiellement, admettre ou non la Thèse ou la Conclu-
sion1. On comprend alors pourquoi il faut d 'une part construire u n
a rgumentaire solide capable de convainc re e t de persuader les oppo-
sants (nous verrons ce poin t dans les prochains chapitres) mais, d 'autre

plw souvent qu'autll'ment à y voir une <:onjeçturl;', une proposition heuri51iqueou


un l>no~I:é plausible ou créditie. On peme aussi que l'arguma11aire ne doit Jl.:U strie·
remenl x- limiter à b communauté ,;::imrifique.
2 L'oppcJSimt est défini comme celui à qui s'adresst' la Thèst' énoncée. Dam le cadre
d'un mémoire de mahris-e ou d 'une thèse de doctorat. on pense immédiatement
aux membres du jury.
3. Le 11.'-rmecOia"/IISÎIIfl est souvent utilisé en logique de l'arguml."ntation oomme syno-
nyme de Thèst'. Dans œ cas de figure, les deux mots seront accolés.
Lastmctrn ar~11111ft!tllliw _ _ _1_5

part, pourquoi il faut également saisir le canevas général de l'argumen-


tation d'un mémoire ou d'une thèse. Il nous aidera n écessairement
à construire une preuve solide et rigoureuse. Ce demler aspect nous
occupera da ns les prochaines pages.

Si nous voulions représenter schématiquement la logique e t la


structure argumentatives d'un mémoi re de maîtrise ou d'une thèse de
doctorat nous pourrions, à quelques variab les près, proposer le modèle
de structure argumentative suivant.

Comme le montre le schéma, nous remarquons qu'il y a dans une


structure argumentative, tel que déjà mentionné, un proposant e t un
opposant. Ce sont les points nodaux ainsi que la première particularité
d'w1estructure argumenta live. Le proposant présente une recherche dans
laquelle il défend une assertion qui prend la forme d'une hypothèse ou
d'une p roposition de recherche qu'il doit justifier, c'est-à-dire qu' il doit
foumirce qui garantit sa vraisemblance, sa crédibilité ou sa plausibilité.
Par exemple, je défends la thèse d'une relation entre la langue d'usage
et le parti politique pour lequel je vais vote r. Malgré une formu lation
encore trop '#-né raie, on comprend le principe dela Thèse; il y a un lien
entre la langue d'usage (français/anglais/autre) et le vote pour un parti
politique (Pa rti bleu, rouge et vert). Les opposants n'évalueront pas l'as-
sert ion elle-mème, mais ce qui atteste de sa valeur. Lis n'ont pas à discuter,
en faisant abstraction de la qualité de la revue de la documentation - ce
que certains appellent la revue de la littérature- ou de l'éta t de laques-
tion, de la valeur de l'énoncé lui-même. Est-il pertinent de faire ou non
cette recherche, ce lien est-il intéressant? Ces questions n'ont pa s à ê tre
prises en compte à ce moment-ci par l'opposant. Le rapport proposant/
opposant constitue la dynamique méthodologique et pédagogique d'un
mémoire de maîtrise ou d'une thèse de doctorat. Voyons d'un peu p lus
près cette conception du proposan t et de l'opposant.

Il faut souligner d'entrée de jeu que le p roposant est celui qui


fait la recherche (le mémoire de maîtrise ou la thèse de doctorat)~. Il
a non seulement l' initiative, mais il a aussi toute libert é de proposer,
à l'intérieur du champ cognitif de sa discipline ou d'autres discipline
scientifiques connexes et reconnues, en autant qu' il soit en mesure d'ar-

4. Pour b suite, now répéu•roml'énoncé • rn &noire dt• mahriseou thèse de doctorat •


S(>ulement lorsqu' il sera n&:essaiœ .li la romp~ht'nsion du propos. Il est assez évident
que nous traitons de ce type de A.'C:herche.
_
16_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

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Lastmctrn ar~11111ft!tllliw _ _ _1_7

gumenter solidement. Poursuivons. L'essent iel de son travail consiste


à formule r une idée, un point de vue, un angle de vision sur un objet
d'étude pou r qu'on en délibère. Idée, point de vue ou angle de vision
ne sont pas équivalents, nous en sommes conscients. La distinction
n'est cependant pas pour le moment essentielle au propos. On imagine
qu'un travail de recherche part d'une idée des plus vague ou générale.
Le c hercheu r doit la transformer e n une proposition ou en un énoncé
dont la visée est précise. Il s'agit d'une proposition qui met en relation,
qui relie formellement des variables, ou qui énonce une signific ation
défiante. C'est la formulation d'une Thèse, e t c'est très connu des étu-
diants; une assertion au sens fort du terme, un engage ment su r la vrai-
semblance ou la crédibilité de la proposition. Sans chercher à être trop
technique, disons encore brièvement un mot sur cette proposition.
L'énoncé d'une Thèse est un engagement, au sens d'une intention, pris
par Je p roposant de ch erd1er à montrer la valeur de celui-ci. Un enga-
gement qui se trouve dans le libellé de la propositio n lui-même car il
représente une prise de position da ns une controverse ou un débat qu'il
a exposé dans sa revue de la dorumentation. Cet engagement domine
son travail car, à cette étape, il est déjà préoccupé ou il devrait l'être par
l'idéed'a rgumenter, de soutenir sa Thèse à l'aide d'autres propositions.

Cette proposition exige une justification. Le mot justificatiou signi-


fie .. rendre raison • et il est utilisé pour défendre le b ien-fondé d'une
conclusion~. En principe, il existe un cheminemen t reconnu, épistémo-
logie de la discipline, quan t à la justifiCation d'une Thèse. On demande
au proposant de suivre cette démarche. L'opposant est celui qui géné-
ralem ent évalue les justifications et sur cette base accepte ou refuse la
proposition. Habitu ellement, cel le -d est formulée sous la forme d'une
hypothèse ou d'une proposition de recherche. Nous en dirons davan-
tage à son sujet un peu plus lo in. La Th èse est déduite et repose sur
certains préalables méthodologiques qu'il importe de bien con naître
et surtout de bien respecter. Le travail de reche rche commence avec

S. La définitlone'il tîréedeS}ivaîn t\uroux (dîr.) , Et~C~'CiopMie philosophique uuh't'rn'llt.


L..s II<Jfiom philosophiqttrs. DKfiamuiœ. Tome 1, 11atis. Press.t5 uni\t':lsitaiœs de France,
1990,p. 1413.
_1 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

la revue tle la docmtll'lltatioll ou 1'éttil de la qttestiol/6 • Il débouche su r la


problématisation de la littérature pertinente puis sur l'élaboration d'un
cadre théorique.

Il faut se rappeler, n 'en déplaise à certains, que c'est le proposa nt


qui établit et construit l'objet d'étud e de son mémoire de maît rise ou
de sa thèse de doctorat. Mais il n 'est pas bât i n'importe comment. Il
s'édifie à l'aide de ce qu'il est convenu d'appeler la revue de fa dom-
meutation (pour les étud iants à la ma îtrise) ou l'état de la question (pour
ceux du doctorat). Prése ntons-là succinctement. Cett e étape, centrale et
incontournable dans un e recherche universitaire, consiste à identifier
la littérature pertinente - idéalement 7 1es ouvrages et arti cles scien-
tifiques - à not re sujet d'étude, et de la présenter de manière orga-
nisée en associa nt ou en d issociant les ouvrages de cette littérature
selon certains critères d'ordre épistémologique ou méthOOologique par
exemple. Il faut la soumettre enfm à un examen critique, c'est-à -dire
identifier dans la littérature les laumes, les absences, les quest ions sans
réponse, les p rob lèmes sans solutio n , etc. Tout ce travail critique sert à
montrer comment le sujet a été tra ité dans la littérature et à souligner
ce qui reste à découvrir. Sans élaborer trop longue ment sur l'état de
la question, disons simplement qu ' elle a des exigences qui lui sont
propres. Selon josé Ha vel, • (... ll' état de la question est (lu ij-même une
contribution intellectuelle importa n te dans la mesure où (ill remp lit
les deux fonctions su ivantes: (...J fournir des in formations concrètes
sur quelques-uns des sous-domain es d'une discipline donnée; montrer
comment une discipline s'est fonnée e t institutionnalisée, les thèmes de
recherche privilégiés ou négligés, les grandes o rientations théoriques,
méthodologiques, les valeurs communes, les direction s de recherc hes
futures, e tc. 11• . L'état de la question suppose l'identificat ion des dif-
férents apports à l'institutionnalisation de la discipline. C'est à cette
étape que le proposant construit son objet e n fonnula nt une q u est io n
spédfique de rech erch e à laquelle il va répond re par u ne Thèse qu'il

6 Voir pour la démardle de nxhen:he L..awre n œ Oiivier et al., L't'l11lnmrtirm il'rme pro-
blllma tiqrll" dt- œdœrrlœ: sorrrrfl, or~ fils mitluxles , Paris, L'liann<Jtlan, 2005.
1. Nous disons idialt'mmt car il arrive qu'il y ait pl"U ou pas de littérature xientifique
portant sur notre sujet. On travaille ra a wc la littéra ture existante; cela n e sera
pas sans co nséquence sur Ll formulatio n de no ue Thèse. Voir sur cette qut'5tion
Lawrence O livier rf al., op. ât.
8. José Ha\'ct, Lrs hrrrks rh1 11iwloppt'tller• illtl'mationalmr C.auulu, Montréal l'~ de
I 'Unive~ité de Montréal, 198S, p. 34.
Lastmctrnar~11111ft!tllliw

s'engage à justifier. La Thèse prend en généra l la forme d 'une hypot hèse


à vérifier ou d'une proposition de recherche à justifier ou argumenter.
Cette é tape est essent ie ll e pour l'anticipation des éventuelles c rit iques
au sujet de la Thèse proposée, comme nous Je verrons au chapitre 4.

Une fois la revue de la documentation ou l'état de la question com-


plété, il est couramme nt recommandé de présenter le socle t héorique
à l'aide duquel on pourra formuler notre Thèse. Autreme nt d it, il faut
exposer les bases théoriques sur lesquelles s'appuien t la recherche et la
fonnulation de la Thèse.ll est hautement conseillé dans la communauté
universitaire et scien tifique de faire appel à un autre théoriq11t19 . La théo-
rie est un ensemble de propositions liées fonnellement selon les règles
de la logique. Le cadre th éorique est une tentative ou un e ffort plus o u
moins réussi de rendre la t héorie applicable à l'explication ou à la com-
préh ension de ce rtains phénomènes empiriques. On désigne par cette
expression un ensemble plus ou moins agencé, cohérent et défi ni de
concepts (représenta tion abstraite, simplifiée et organisée du réel), ayant
une valeur expl icative ou de co mp réhension 10• JI o ffre habituellement
une lecture encadrée de l'obtet en fournissant des variables explicatives
ou une signification au phénomèn e étudié. Ces variables ou cet te signi-
fication permettent soit des jugements synthétiques où l'objet est pensé
à l'aide d'attributs nécessaires, soit la révélation grâce à la sign ification
que le proposant lui prète de l'essencede sa manifestation. On pense par
ana logie au télescope qui pennet de voir et d'observer l'univers céleste
qui nous entoure et sans lequel le ciel n 'est que d iversit é d'éto iles, de
planètes, de points lumineux inconnus. Cette ana logie est intéressante
malgré ses limites car, comme le cadre théorique, elle permet d'observer
un e réa lité - qui pour plusieurs resterait soit inconnue soit incompré-
h ensible - , d'en décrire les détails, de rendre visibles les zones d'ombre,
d'observer des rapports, etc. C'est un instrumen t nécessaire à l 'explica-
tion ou à la compréh ension sans lequel on ne verrait aucun p hénomène
ou, dans le meilleur des cas, on l' in terpréterait seulement en surface.

9. Le terme n:1.-lu thfodqm• l'$t as.!oez muel, on ne.!oera pas ~urpris d'ent~dœ parler de
cadre d'analyse, de thOOrie, etc. Cl'$terrm-s sont en b~néral synOI1)11H~S. Un Oli\-Tagl!
sur la théorie e t le udre théorique en sci~ces sociales est~ cours de pn"paralion
On y trouvera un e.'l:posécomplet de cette étape très imponante de la dé marche dt>
recherche avec ses limites et ses tra,·e B.
10. Cette définition du cadre théorique est trop courte pou ravoir une valeur opération·
neill>. Nous n·a,·ons pas voulu présenter une définition étem.lue de la théodt.' car ce
n'est pas J'objet de cet ouvrage et suri OUt une prbe.ntation plus .!oerrét.'exigerait de
longsdévl.'loppements qui ne peuvent amil place Ici.
_
2 0_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Il est essent iel de bien suivre ces étapes de la démarche puisqu'elles


servent d'assises et de t remplin à J'hypothèse ou à la p roposition de
recherche. Ell es sont au cœur de l'argumentat ion, tout en restant des
préalables, d'un mémoire de maît rise ou d'une U1èse de doctorat . Préa-
lables, cependant, sans lesquels il n'y a pas de recherche de nature
scientifique.

Bien qu'e lle ne soit pas un argument en soi, la Thèse est le point
de départ de toute la structure argumentative. L'argu mentation est pré-
cisément la justification a ttendue de l'assertion, un engagement sur la
vraisemblance ou la crédjbilité de la proposition. Le but de l'argumen-
tation d'un mémoire de maîtrise ou d'une thèse de doctorat repose sur
cet engagement, c'est-à-d ire sur deux choses: 1) Il existe des jugements
qui permettent de souten ir e t de défend re la Thèse. Ces jugements,
le proposant les constru it et les formule. Insistons sur le fait que le
proposant doit const ruire ses arguments. Ils ne sont que t rès ra rement
donnés. 2) Il est possible d'organ iser - h iérarchiquement - selon des
règles de pensée rigoureuse l'ense mble de ces jugements en une p reuve.
Pour être plus précis, il faudrait plutôt dire que le proposant lloît orga-
niser h iérarchiquement ses arguments pour en fai re une preuve. Nous
verrons comment dans u n chapitre ultérieur.

La preuve permet de décider de la validité ou non de la Thèse


défendue. Sur des bases mal établies, toute la structure argu mentative
se trouve fragilisée, voire défaillante. L'étude reposant sur des juge-
ments de va leur ou des collages épistémologiques non justifiés laisse
ainsi place à davantage de crit iques ou d'objections. La recherche, sans
bonne revue de la documentation ou état de la question par exemple,
risque de sombrer da ns le pseutlo-scientismeu ou la simple opinion. FJie
risque de flirter avec la multiplication des interprétations pmsib les de
l'objet d'étude ou de fa ire l'objet encore de critiques méthOOologiques,
épistémologiques diverses impossib les à répon dre ou à réfu ter adé-
quatemen t. On comprend qu'on ne peut pre ndre à la légère le travail
d'argumentation

I l. !.'e xpression pserulo-sdrmismt utiüsée ici remuie- â un type de jugement flou, diffi.
cik.-â cerner car k.-scritères qui détem1incnt ce qui est scientifique ou non sont fon
variables. délicats â é tablir dam k.- domaine des sciences sociales dont les théories
sont peu formali~. Parler du • réalisme • comme d 'une théorie relè\'t' de l'usage
abusif du terme théorie. On pourrait en dire autant du fftninisme, du marxisme ou
d u libUalisme, qui ne sont au mieux que des doctrines militantes.
Lastmctrn ar~11111ft!tllliw _ _ _2_1

Une fois ces pri ncipes m is en œuvre, nous avons posé les bases sur
lesqu elles d'une part, l'étude peut s 'appuyer et se déployer, et d'autre
part, ces points de repère bien étab lis e t élaborés, nous sommes en
mesure de fonnuler l' hypothèse ou la proposition de recherche. Celle.d
répond à l'aide d'une proposition à la problématique e t, plus exacte.
ment, à une question spécifique de rec herche.

Voyons ce que signifie une Thèse. Il règne en sciences sociales une


certaine confusion quant à la définition et à l'u tilisation des notions
suivantes: Thèse, hypothèse et proposition de recherch e. Souve nt utili-
sées, à juste titre, comme syno nymes, elles ont tout de même certaines
spécificités propres qu'il est pertinent d 'exposer. La Thèse n'est pas à
proprement parler une hypothèse ou une p roposition de recherche,
comme nous le verrons dans les prochaines lignes. Certains pourraient
s'objecter à distinguer, de façon substantielle, une Thèse, une hypothèse
et une proposition de recherche et pourra ient ê tre tentés de demander
quelle différence il peut subsister entre chacune d'elles. Ils ne voient pas
l'intérêt d'opérer ces distinctions pu isque l'usage qui habituellement
ne le fait pas aurait finalement peu de conséquence sur la démarche de
recherche. Il est pourtant légitime de poser la question de la perti nence
de les différender dans un ouvrage consacré à l'argumentation.

L'argument en faveur d'une telle distinctio n est toutefois fort


simple. 1\lisqu'elles présentent des nuances importantes fondées sur des
distinct ions a ssez substantielles au p lan notionne l, il devient essentiel
de les dégager, d'identifier les différences qui les distinguent. L' hypo-
thèse, sa logique et sa structure a rgumentatives, d iffère de la propo-
sition de recherche et de la Thèse. Leur nature, leu r structure et leu rs
objectifs divergent d'une manière assez marquée. Ils n'ont pas la même
extensio n ni la même consistance. Voyons quelles so nt ces nuances
et pourquoi l'hypothèse et la proposition de recherche s'argumentent
différemment.

La Thèse, c'est une affirmation, explication ou signification, que


l'on propose, défend et tente de faire accepter par le ou les opposants.
Le terme vient du grec anc ien tltesis, qui sign ifie «a ctio n de pose r ...
Cette définition, un peu courte nous en convenons, nous permet cepen-
dant d'apercevoir à l'horizon de la compréhension et de l'interprétation
sa signification. L'action de poser, thei11ai en latin, se rapporte à une
proposition qui défe nd une !X>Sition; cette !X>Sition est assez forte !X>ur
que je sois disposé à la soutenir contre ses adversaires. ses contradicteu rs
_
2 2_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

éventuels ou simple m ent pour en montre.r la vraisemblance. La Thèse


a essentiellement deux caractéristiques: l) C'est une prise de position;
u ne affmnation que l'on tient pour vraie ou vraisemblable sur un objet,
un phénomèn e qui est volontairement soumis à la vérification, à la dis-
cussion ou au débat. 2) La Thèse exige un raisonnement puisqu'elle est
u n engagem ent- du fait d'être une pr ise de position que l'on veut prou-
ver - à en ga ran tir la vraisemblance, la crédibil ité ou la p lausibilité. De
plus, à tit re de prise de position, elle se confronte nécessairement avec
d'autres p rises de posit ion. Elle va, par conséquent, heu rter d'autres
positions sur la question débattue. IL est donc indispensable de l'argu-
menter. l'argumentation, au contrair e de la démonstrat ion, suppose le
connit et la confrontatio n 12• Elle p résage fatalement la confrontation
ct mème le conflit ; elle s'élabore dans un contexte de raisonnements
ct de cont re-raisonnemen ts.

La démonstration est plus «Ca l me • et moins ... agitée,.. La théo-


rie de la démonst ration v ise, après la fo rmalisation d'un domalne (la
mathématique, essentiellement) de connaissance, à en vérifier la consis-
tance. La démonstration s'intéresse au processus pa r lequel on arrive à
la vérité. Une telle défi nition est trop limitative au domain e des mathé-
matiques et trop théorique pour n ous servir. Disons plus simplement,
au prix d'une grande réduction de sa s ignification, qu 'e lle consiste à
établir la vérité d'une p roposition en la déduisant d'autres pro position s
cons idérées comme admises ou acceptées. Elle repose sur la fo rce, la
nécessité, des liens interpropositionn els. La d istinction entre arg11menter
ct dtmo11trer repose ici, à partir d'une simplification abusive, sur Je poi nt
de départ. Argumenter pose des prémisses, e n laissant e n suspens la
question de leur vérité ou de leur fausseté, alors que la démonstratio n
pose des prémisses co nsidérées comme démontrées.

La Thèse, c'est ce qu'on ret iend ra d'une recherche, correspond


grosso modo à l'idée globale que l'au teur veut défendre parce qu'elle
coïnc ide avec sa position sur cette question. Celle-ci est beaucoup
moins précise que l'hypothèse ou la proposition de recherch e. Gén é-
rale, il faudra la transfo rmer e n une hypothèse ou une propositio n d e
recherche. D'ailleurs, elle peut donner lieu à une o u plusieurs h ypo-
thèses o u propositions de recherche. Elle est moins précise sur deux

12. Voir Mariana Tutesru, lntrod!•ctim1 à l'frr•Ü 1/rt dism rn, Bucarest, Univer.sitatea din
Bu curestî, 2003 .
Lastmctrnar~11111ft!tllliw _ _ _2_3

plans; c'est u ne prise de position sans que l'o n sache encore très bien
quel{s) aspect(s) de la réalité elle met en relation; e lle ne permet pas
de mener concrèteme nt la recherche. La prise de posi tion - g lobale
ou générale - exige, on le comprend m ieux maintenant, qu'elle soit
opérationnalisée en une ou plusieurs hypothèses ou propositions de
recherche. Par exemple, j'énonce la Thèse suivan te: Dans la société
québécoise, la langue est une variab le importan te dans le comporte-
ment électoral des Québécois. La p roposition est générale; trop pour
qu'on puisse à ce moment-ci construire une démarche de vérification
pertinente et propre à l'explication de la Thèse. La Thèse devra être
opérationnalisée en une hypothèse plus prédse

Comme nous l'avons dit p récédemment, l' hypothèse est plus pré-
dse et davantage collée à son objet que ne peut l'être la Thèse. Marie-
Fabienne Fortin l'exprime fort justement: l'hypoth èse est l'« [é]noncé
for mel qui prédit la ou les rela tions attendues entre deux ou plusieu rs
variables. C'est une répo nse plausible au problème de rec: herchell. ,.
Dans le même sens, Gordon Mace explique œ qui suit :
l'hypothèse peut être envisagée comme une réponse anticipét que le cher·
cheurformule à sa question spécifique de recherc::he. Tremblay, Mannheim et
Rich la décrivent comme un énoncé déclaratif précisant une œlation anticipée
et plausible entre de!. phénomènes ol:m!rvés ou imaginé!.,..

Pour Madeleine Grawitz, e n fin, «!l]' hypoth èse est u ne p roposi-


tion de réponse à la question posée. Elle tend à fo rmuler une re la tion
ent re des fa its slgnifiCat ifsu. ,. En somme, issue du cad re théor ique,
l'hypoth èse est une réponse affirmative et concrète ayant une valeur
explicative. Une bonne h ypothèse permet surtout d'expliquer un phé-
n omène. Elle est une opérationnal isation de la Thèse. Plus précisément,
et la définition de Forti n est très complète, elle an tidpe la relatio n e ntre
deux ou plusieurs variables. Voyons ce qu'il en est.

L'hypothèse met en relation au moins deux variab les: 1) Une


mriabie imUperula11te. On dit en général que c'est la variable expl icative,
celle qui permet de prédire la relatio n de la variable dépendante. EJ ie

~~:~:~:~:~;~~~~~r~: r;:~t~~~:r> ~ ~ ;c~';;;lll': dl' Ill roncrptiot1 à


il
1 6 la rh11imtiou,
14. Gordon Mace, Guill<' d'/I(Worutiol! d'1m pmjrl dt- fc'('hfrrlu:'. Québec. rresses de l'Uni·
"crsité L.a"al, 1988, p. 35.
IS. Madeleine Grav.itz., MtfhiXIc's 1lc's K imcts socilll<'s, Paris, Dalloz, 1990. p. 443.
_
2 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

peut être conçue comme une cause, une explication, une variatio n,
une influence, etc. 2) Une variable dépetUlante. Elle est la conséquence
de la variable indépendante (elle dépend; elle est en réaction à l'action
de la variable indépe ndante), est celle que J'on cherche à expliquer.
L'hypothèse doit p résenter cette relation dans sa fo nnulatîo n et elle doit
offr ir une explication, permettre d'établir que la cause opéran te est effi-
ciente ou finale. Par exemple, dans: L'action économique du gouverne-
ment des ~tat s-Unis, plus précisément sa nouvelle politique sur le bOis
d'œuvre, entraîne une décroissa nce de la production des compagnies
québécoises de bois d'œuvre. On retiendra la variable illllépel/(/ante:
la politique du gouvernement des Ëta ts- Unis sur le bois d'œuvre; la
variabletléperultmte: l'exportation des compagn ies québéco ises de bois
d'œuvre; et le marqueurtll' relation: entraîne.

Une hypothèse possède toujours un marqueur de relation. C'est sa


partie la plus décisive. Il s'agit e n général du verbe de la p roposition. Il
a une grande portée: dire que X est la cause de Y établit non seuleme nt
le type de relation que l'on pose ent re X et Y mais, en même te mps,
le type d'explication recherché, car le marqueur de relation en précise
la n ature. Ici. l' h ypothèse affirme qu 'il existe un rapport de cause à
effet entre les deux variables. Ce n 'est pas la même chose que dire que
X varie selon Y ou que W influenceZ. Dans l'exemple du paragraphe
précédant, le verbe e11tmî11er oriente la rech erche dans une d irectio n
donnée; on pense qu' il veu t dire que cette mesure économique a un
e ffet négatif, ici une décroissance de la production du bois d 'œuvre
québécois. Sans une telle mesure de la part du gouvernement des États·
Unis, l'exportation du bois d'œuvre va soit au gmenter, soit rester au
niveau où elle était précédemment. Donnons encore deux exemples
pour illustrer notre propos.

La première h ypoth èse est relativement simple: Chaque fo is que


l'événement X se produit, l'événement Y se p roduira. Si les gens retirent
massivement et en même temps leur argent de la banque, cellc·d fera
faillite. On a donc ici une relation d e causalité simple e t formalisée:
si X alors Y. On ne ch erche pas à savoir pourquoi il en est a insi, pour·
quoi les gens agisse nt de cette façon. Un deuxième exemple to ut aussi
simple: Si la plupart des méd ias disent qu'un candidat à la présidence
a dom iné lors d'un débat des chefs, les gens diron t en majorit é eux
aussi, lorsque sondés le jour après le débat, que le candidat choisi par
les médias est celui qui, selo n eux, l'a emporté. La relation est ici d'in·
Lastmctrn ar~11111ft!tllliw _ _ _2_5

fluen ce: les médias (variable indépen dante} influe ncent l'opinion poli-
tique (va riable dépendante) des électeurs. On voit bien l'importance du
ma rqueur de relation et l'i nciden ce qu'il peut avoir sur l'argume ntaire.
On n e c herche pas non p lus à savoir com ment les médias possèdent
cette influence. C'est là une autre question qu i n 'est pas sans intérêt.
Le marqueur de relat ion dé fin it la démarche à suivre. On n 'argu-
mente pas de la même façon une relat ion de cause à e ffet et une relation
d'influence. Sans une défittitiotl claire du marqueur de relation, il est très
diffldle d'échafauder un argumenta ire rigoureux. Dire qu'une chose
en e ntraîne une autre ne suffit pas; en core faut-il préciser laquelle e t
comment. Une fois connus ces élé ments, on a une idée plus précise de
la manière dont il faut argumenter. Repre nons notre exemple. On sait
qu'il fixe une périOOe; celle où les mesures économiques de ~tat s-Unis
sont entrées en vigueur et le moment où elles ont eu l'inc idence que
l'on veut mesurer. Il faudrait ensuite mesurer quantitativement s' il y a
eu décroissance de la production du bois d'œuvre. Puis, il nécessitera
de montrer que les deux sont associées. Enfin, il faudra démontrer que
cette décroissance n'est pas seulement la conséquence d'un ralentisse-
ment saison nier e t d'une industrie en perte de vitesse. Une telle défini-
tion est à chercher dans des cadres d'analyse ou à bâtir soig neusemen t.

Nos exemples l'illustrent bien: sans une idée claire et p récise de


ce que veut dire la causalité et surtout d'opératio nnaliser ce lien, on
voit bien la difficulté que pose l'argumentation du premier exemple.
Co mment, à partir de mes recherches, des données colligées e t agré-
gées, j'établis un rapport de causalité assez. fort pour que ma Th èse, de
dubitative, devienne pl ausible. Il ne faut pas croire que l' influen ce est
plus facile à argumenter. C'est un e chose très diff1cile de montre r que
les médias influencent nos idées et nos comporte ments. Ce n'est pas
faute d'avoir essayé en ce qu i con cerne les débats télévisés o pposant
les chefs des différents partis lo rs d'une campagne é lecto rale. Que veut
dire exacteme nt ill{lm•llcer? Conforte r certaines perso nnes da ns leur
opinion , les faire cha nger d'idée ou simplement les amen er à voter alors
que tel n'était pas leur intention, ou encore, et ce n e serait pas rien, seu-
lement les attirer à regarder le débat entre les ch efs? Que dire enfin d'un
marqueur tel quet'11tminer? Il faudrait d 'abord définir le termeentmîner:
nature, étendue; et le lenne 11t"gati(qui J'accompagn e (qui condu it les
_
2 6_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

exportations vers la baisse): une diminution qui ne soit pas liée à une
conjoncture h abituelle. L'argument aire devra m ontrer Je lien entre l a
politique économique des ttats-Unis et la l>o.1lsse des exportations.

Suivant cette logique, on explique une hypothèse. Le verbe expli-


quer signifie ici .. rendre intelligible un phénomè ne (un objet) en le
rapportant à sa cause opérante-. L'expli catio n est-elle suffisante pour
qu'on accepte comme v raisemblable l' hypothèse? La question est fort
pert inente et, pour plusieurs, la réponse affinnative est su ffisa nte. Pour
d'autres, des p hilosophes surtout, l'explica tion est Impossible. Parler
de cause renvoie à des questions p h ilosoph iques diffidles à trancher.
À une cause, on peut toujours en trouver une autre, et la régression
est infinie sans même passer par des registres diffé rents d'explication.
Ce faisant, on sort du domain e de notre hypothêse 16 • laissons ici ces
considérations philosophiques, et demandons-nous- une fois l'hypo·
t hèse expliquée, l'événement rappo rté à sa cause opérante - ce que
nous pouvons faire de plus. Nous verrons d a ns le chapitre 4 qu'il faut
maintenan t l'argu menter et comment on peut le fai re.

n arrive assez souvent, compte tenu de la n ature des rech erches


en sciences sociales (qualitative), que l'on doive formuler des proposi·
tiom cie recllercl1e plutôt que des h ypoth èses. Il existe un e longue tra-
dition phi losoph ique et épistémologique qui, posa nt la spécificité des
objets des sciences de l'esprit, humaines e t sociales, fait appel à u n
a utre principe d' intelligibilité. Elle p ropose de substit uer à l'explica.
lion la compréhension, qu'on pourrait signifier ainsi: expliquer par les
raisons" . La compréheno;ion procède autrement que l'explication, elle,
cherche à saisir un phénomène dans sa totalité à l'aide des significations
intentionnelles. Elle s'intéresse aux significations, au sens que donne nt
les individus à leur activité, à leur comportement, à leur action dans
le monde (faire correo;pondre une idée au p hénomène; o;'im prégner
du phénomène et en saisir le sens pratique). La recherch e soc iale ne
fait pas différemment; elle donne aux choses, aux phénomè nes une
signification. Celle-ci devra être argumentée pour se faire accepter des
opposants et de la communau té scientifique; la co mp réhension ne

16. j. L.argeauh, PrbrcifWHie phi/os/Jflltit' ffir/isu, r.uis, Klinck:sied, 1985.


17. O'uneœruinefaçon, b rom préhension est une modalîtédel'explication.l.l com·
préhension est la recherche d 'une explication par les raisons plutôt que par une
cause opérante
Lastmctrnar~11111ft!tllliw _ _ _2_7

vi~ pas à rappo rter un phé nomène à sa cause. Bien au cont raire, elle
cherche à répondre à la question: Pourquoi la s ig nification - proposi-
tio ll tle rec'llercllt' - que vous pro posez de tel ou te l phénomèn e est-elle
plus crédible qu'une autre? Compre11t1re, comme mot d'act ion, veut
dire '" cherch er les significations immanen tes qui rendent intellîg ible Je
phénomène - ac tion, évén e ment, comportement, etc.- h umain "· Par
signification immane nte, nous voulons dire cell e qu i appartient aux
phénomènes eux-mêmes, qui n e se rapporte qu'à soL Nous som mes
dans une logiq ue de preuve plutôt que de vérification.

Mais que faut-il entend re par p roposition de recherche? Une p ro-


position en logique est un jugemen t susceptible d'être vrai ou faux.
Cet énoncé s'applique au calcul des propositions. Il faut l'entendre id
dans un sens un peu différent. Une proposit ion de recherche consiste
essentiellement en un énoncé- ph rase aya nt un sens- répondant d'une
ma nière affinnat ive à une question spécifique de recherche en lui don-
n a nt une signification orig inale. Si el le ne comporte pas â proprement
dit de variables comme l'h ypot h èse, elle met su rtout e n lumière les
raisons -les motifs, les inten tions, les résolutions, etc. - qu i rendent
intelligible ou permettent de comprend re le ph éno mèn e cons id é ré 18 •
Parmi ces raisons, îl y en a u ne q u'il faut expose r brièvement car elle
pennet de comp rendre ce que fait une proposition de recherche qui se
construit sur l'énoncé d'une signification.
L'intentionnalîté 14 renvoie à une propriété de .. )a conscience d'être
con sciente de quelque c hose ... La définition mér ite un éclaircissement
car on voit mal quel lie n l'intent ionnalité entretient avec la significa-
tion. Il est de deux ordres: d'abord, la conscience d e quelque c hose
oblige celle-ci à sortir d 'elle -même. On a conscience de quelque chose
sans pour autant nier le fait qu e la conscience peut ê tre co nsciente
d'elle-même. Ce .. quelque chose,. ne vient pas à la conscience par
h asard; il relève d'une intention ou d' une visée de la conscience. Celle -
ci n e devient elle -même qu'à travers cet autre. Ensuite, celte chose qui

18 On dbigne par principe d 'i11fl'lligibiliti œ qui permet la connaissance d'un objet


ou d'un phénomène. Par exemple, le pouvoir peut être comidt'rf par certains cher·
cheurs de sclenœ politique rom me un principe d'intfllisibiliti car il permet d 'ob-
server, d'expliquer et de comprendre plusieurs pœnomènes politiques: l'injustice;
la d omination, le totalitarisme, la gouvernanœ. etc.
19. C'est à la phénoménologie d'Edmund HusH•rt q ue l'on doil cette dt'finilion de
t•;,t tmtiomwliré (MMirmiomcartisinrus,11aris, Arm.1rd Colin, 1932).
_2 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

est visée par la conscie nce n'existe que par l'action de celle-ci. Sans la
conscience, elle n'existe pas à proprement dit. Il ne s'agit pas de n ier
l'existence object ive du monde, mais d'affirme r que c'est l'attribu t le
plus pauv re de la chose. Sans l'existence de la chose pou r moi, sans
la visée de ma conscience, celle-ci ne peut acquéri r un niveau d'exis-
tence plus subt il, plus complexe. flle reste une chose pou r elle-même,
inconnaissable.

C'est à cette frontière, en ce lieu de friction- conscience et objet-,


qu'apparaît l'intentionnalité. Comment e n e ffet les deux peuvent-elles
entrer en friction? L'intention nal ité est ce qui permet l'échange, l'inte r-
action, entre la conscience et le monde. Elle est l'acte qu i condu it la
conscience vers son objet, lequel arrive à la consdence comme sens
pour elle. Il advient com me sens et c'est ai nsi que je peux le com-
prendre. La signification joue un rôle majeur dans l'existence de tout
ce qui compose le monde. C'est ainsi qu'une partie des sciences sociales
conçoit la recherche. Elle l'envisage comme recherche de sens, une con-
naissance plus complète parce qu'elle considère la totalité de l'existence
à la seule objectivité de la chose, lim itée à ses attributs mesurables. En
ce sens, on préfére ra formuler des pro positions de recherche p lutôt que
des hypotllèses. C'est ce que l'on trouve dans la ma jorité des mémoires
et des thèses en sciences soda les.

La proposition de recherche, à la différence de l'hypothèse qui


explique, vise la compréhension. Compre ndre un ph énomène, o n
l'aura compris, ce n'est pas l'expliquer. Il s'agit de deux approches
fort différentes. La compréhension d'un phénomène comlste plutôt à
déch iffrer ou décoder ce phénomène (faire correspondre une idée au
phéno mène; s'imprégner du ph énomène et en sa isir la significatio n
pratique). Le terme comprell(/re veut dire étymologiquement • se mettre
à la place de •. L'approche consiste à trouver la signification qui donne
sens au phénomène étud ié. Au lrement dit, il s'agit d'en rendre raison,
de s'identifier aux sign ifications intentionnel les.

Le proposant formule pour sa part une proposition de rec herche


à l'aide d'u ne signification qu'i l prête à son objet: la significat ion, ce
qu'une proposit ion peu t faire connaître, les raisons d'un comport·e -
ment, d'un phénomène, d'une action, etc. Proposit ion qu'il s'agira aussi
d'argumenter. C'est ce qu'on appelle généralement comprmtlre. Une
proposition de recherche est un énoncé de sens et ne peut raremen t
être expérimentée, démontrée ou vérifiée. El le sera p lu tôt a rgumentée.
Lastmctrnar~11111ft!tllliw

11 faut partir du fait que l'h ypothèse ou la proposition de recherche


est, temporairement, posée comme crédible ou plausible. Elle sera vali-
dée d'une manière p lus fo rte par la suite grâce à la démonstration argu-
mentative. Ce poi nt de départ donne donc, stratégiquement, un poids
argumentatif très fort puisque th éoriquement la logique veut que le
candidat à la maîtrise ou au doctorat -le proposant - ne présume pas
que l'hypothèse ou la p roposition de recherche est fausse et qu'il doit
démontrer sa vérit é. C'est tout le con traire qu'on lu i demande. Nous
partons du fait que l'hypoth èse ou la proposition de recherche est vrai-
semblable ou crédible et qu'on doit fournir les argu ments rationnelle-
ment justifiés pour la défendre20•

C'est à partir d'ici, après ce trava il, disons, méthodologique, que


commen ce à proprement parle r l'a rgu mentation . C'est une fois la Thèse
énoncée que l'hypothèse ou la proposition de recherch e est formulée.
Nous l'avons dit, l'argumentation soutient, appu ie, voire positionne la
Thèse. Son fondement et son objectif sont de fai re acœpter la Thèse par
les opposants et même de les convaincre de la valeur de celle-ci. Géné-
ralement , un raisonnement argumentalif se construit en deux étapes.
La première étape est le raison nement argume ntatif lui-même, que
nous qualifions d'argumentation primaire puisqu'il est le fonde men t,
la manifestation si l'on veut, de l'a rgumentaire. Il est en quelque sorte
la démon stration 21 de la Thèse, de l' hypothèse ou de la proposition de
recherche. Il fait appel à des raisonnements, puisque la Thèse exige la
garantie de sa vraisemblance ou sa crédibilité. La seconde étape, l'argu-
mentation secondaire, se compose des exemples qui viendront soutenir,
démontrer, faire coller u ne .. image,. au raisonneme nt. L'exemple est un
p rocédé rhétorique fort efficace dans un argumen taire. Son pouvoir de
persu asion est ainsi très g rand. Ce serait dommage de ne pas l'utiliser.

20. Il e xbte très peu de ~henhe, nom n 'en avoru pour notre part jamai~ rem;:ontré
en sciences sociales, qui utilise Je nit~re de b falsification de Karl Poppet Il y a à
((']a ph.uieur$ raisons parmi l~uelles il faut m entionner l'usage assez limité de
l'hypothèse. I.e$ étude$ qui proposent de$ h}pothbes, pr~ue essentieUement d e
nallllt' quantitative, sont très heureuses de nous m ontrt'r qu't>lk.-s JON fondées par
les données e t le$lt'Sls stati~tiques. Leschen;:heurs ne s'évenuentque t~ rarement
li en teswr b fauswté. t:ncolt' faudrait·îl savoir ce que cela veut dilt' opérationnel·
len1ent parlant; comment arrh"e-1-on, par qwlle demarche demontre-t-on qu' une
hypothèse est fau~s.e.la référenœà la théorie de b falsillcation de Popper 5e résume
le plus souvent soit li fairt sanmt soit ii faire croire que b recherche fait appel, à ton.
à un nouveau paradigme.
21. t.e lenne démomtmtion est pris ici dans son sens usuel et non épistémologique.
_3 0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

L'argumentation dite primaire est donc ce lieu où l'on explidtera,


dans une certaine mesure, la Thèse e t où, du coup, on é laborera un
raisonnement structuré pour démontrer et faire acce pter celle-ci par les
opposan ts. L'argumentation est en fait l'exposit ion et Je déploiement
d'un raisonnement construit dans le respect des règles de la logique.
Substantiellement, l'argumentaire se oonstm it selon t rois n iveaux. Le
premier est le niveau «interne,., le ra isonnement lul-mème. Il englobe
les données et les faits retenus à titre d'argument ou de jugement dans
Je raisonnement. Il est important de s'assu rer de la pertin en ce des
faits et des jugements e n fonction de la Th èse. C'est le premier critère
d'un bon raisonnement; les jugements qui le co nstituent ont un lien
direct et nécessaire avec la Thèse. Un lien r"lécessaire signifie qu'en son
absence, il devient diffidle sinon impossible de défendre la Thèse. Le
choix des a rguments, des jugements, est donc très important.
Le second est le niveau ..externe)>: il concerne surtout le type de
raisonnement logique u tilisé: déductif, induct if ou abduc tion. Nous
allons revenir sur les types de raiso n nements ; disons simplement q u e
le syllogisme est essentie llement déductif. Cela dit, il n'est pas exclu
d'ut iliser un raisonnement inductif. L'a tx1uction, pour sa part, est mal-
heureusement peu ut ilisé en sciences sociales22• Il port e aussi su r l'or-
ganisation hiérarch ique des jugements. Ce tte question sera abordée
a ux chapitres 3 et 4.
Le troisième niveau est davantage associé à la rhétorique. Il faut
le mentionner car il porte su r les exemples. Nous l'avons d it, ceux-d
rendent accessible, p lus claire grâce à l'illustration qu' il<> pro posent une
explication ou fac ilitent grandement la compréhension. Technique-
ment, un argumentaire ne comporte que des jugem ents; mais pourquoi
se passer d'exemples qui ne peuvent que renforcer nos raisonnements
en les rendant plus convaincants ?

Récapitulons. L'argumentaire est un raisonnement rigoureux et


st ructuré fondé sur une démarche cohérente et ratio nnelle qui vise à
faire accepter, voire convaincre, une idée ou une position (ici la Thèse,
l'hypothèse ou la p ro position de recherche). Bien charpentée, elle

22. L'abduction consiste à Jl.1nîr des observatîom colligées à formuler u ne hypothèse


spkulatîw q ui attend sa justification. Ils 'agît d'explîqlK'r un t' ronc:lu~îon X par une
pr&nisse Y. Elle pos~ulll' grande valeur heuristique carelle permet la fùmlUbtîon
d'hypothèses originales
Lastmctrn ar~11111ft!tllliw _ _ _3_
1

comporte trois niveaux qui e ntretiennent ent re eux des relations et


des li en s et qui, b ien articulés, don nent force de démonst ration et de
persuasion. Précisons encore ceci. Il faut se rappeler que l'a rgumentaire
est un champ logicocognitif et démonstratif qui décou le indirectement
d'un problème auquel il n'y a pas de solution satisfaisante trouvée.
L'hypothèse ou la proposition de recherche est une réponse à la problé-
ma tique de recherche e t l'argumentaire est le .. support démonstratif,.
de celle-ci. Découlant donc d'un besoin scien tifique mais tou t en étant
.. enfanté » dans la problématisation, l'argumenta iredevra s'édifier a vec
cette lou rde considération théorique et méthodologique, pa r exemple,
en choisissant les concepts perti nents au problème identi fié ou encore
en élaborant hiérarchiquement les jugements, arguments ou la structure
argumentative en fonction de la probléma tique.

Nous avons dit peu de choses sur l'opposant même s'il représente
un élément structurel très impo rtant de l'argumentaire. La raison est
simple: son rôle sera abordé au chapitre 4. Pour éviter des répétitions
inutiles, nous n'avons fait ici que mention ner son existence.
m
CHAP ITRE

ARGUMENTAIRE ET RAISONNEMENT
La science o partie liêe avec ce qu'on lui ckmonde de imlifier.
Piefre Botxdieu

Û n ne peu t détacher l'argumentaire du ra isonnement. Pourtant,


entre les deux, les liens e t la différen ce ne paraissen t pas d'emb lée
évidents. Ils semblent synonymes, a lors qu' ils ne Je son t pas. Pour
clarifier ce lien, partons de l'idée d'un ensemble logique hiérarchisé.
Une fois la Thèse à défendre é noncée, il faut développer un argumen·
taire; un ensemble de raisonnements pour la soutenir. L'argume ntaire
est plus général que le raisonneme nt: il renvoie aux différents .. syl-
logismes • organ isés d'une telle manière qu' Il rend la Thèse vraisem-
blable, crédible ou plausible. On dira alors qu'elle est ratio nnellement
justifiée par l'ensemble des raisonnements. Le misotlllt'111CIIt est une
suite cohérente et n écessaire d'arguments em p loyés pour défendre un
énoncé qui demande ou exige une justification (fhèse o u Con clusion).
On con struit un ou des raisonnements à l'aide d'argu men ts. Nous
reprenons la défi nition que d onne G illes Gau th ier de l'argumen t :
.. (JI) consiste en l'ensemble articulé d'une p roposition et de sa ou ses
justifications 1 . ,. Pour être plus clair, o n éch afaude un argumenta ire

1. Gil~ Gauthil'r, · la prise de position étliroriale: J'e.>cemplede b pres~québécobe • .


Commtmimtion. ft(omwtio11, mMi,u, tJt«mes, pn11Ï.Jtli'J, vol 25, nQ1, amomne 2006,
p. J IJ
_3 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

pour soutenir une Th èse à l'aide de raisonnements. Ces dernie rs sont


constru its à partir d'argum ent s. Prenons un exemp le pour nous aider
à mieux comprendre ces d ifférentes distinctions. Imagino ns u ne t hèse
sur la valeur des sciences sociales :
(1) les sciences sociales ne sont p.n véritablement des sciences. (1) Elles ne
peuvent prétendre à l.a vérité cat les ph énomênes qu'ellei étudient ne wnt pai
des r&llités ob)ectives. (2) les phénomènes sociaux relèvent d 'interprétations,
de la signification que les chercheurs leur prêtent. (3) la signification des
phénomènes étudiés varie selon les chercheu~. (4) Il n'y a pas de consensus
sur les interprétations données. (5) De plus, il est difficile dans les sciences
sociales, contrairement en sciences, de faiœ des expérience s empiriques pour
valider lei théories. (6) l'expérimentation est pratiquement imrossib~. (7) les
sciencei sodalei sont des idéologies. (8) Certaines sciences comme les idéo-
logies chert:hent à intervenir dans le monde pour le transformer. (9) Or la
science vise avant tout à elCpliquer ou à comprendre le monde à l'aide d'une
théorie à partir de données empiriques. (10) Enfin, les sciences sociales sont
incapables de faire des prédictions Yalables. (11) Une bonne théorie sden-
tifique doit être e n mesure de préd ire des phénomènes, ce que ne peuvent
accomplir les sciences sociales.

Cet a rgumentaire à p ropos de la scien tifidté des scien ces socia les
est divisé en plusieurs raisonnements. Nous en avons identifié quatre.
Le premie r se résume aux prémisses 1, 2, 3 e t 42 • Le second raisonne-
ment recoupe le5 propositiom Set 6. Le t rois ième e5t composé des
propositions 7, 8 et 9. Enfin, le dernier n 'est com titué q ue des deux
prém isses JO et I l. Il importe d'avoi r b ien ide ntifié la Con clusio n,
proposition qu'on cherche à justifie[. Ici la propositio n <n qu i affinne
que les scien ces sociales ne sont pas véritable ment des sciences est la
Thèse défendue. Ce n'est pas une hypot hèse au sens où nous l'avons
définie a u c hapitre l. Elle s'apparente ici davan tage à la propo5 itio n
de recherche. On peut 5chémati5er cet argumentaire de la manière
suivante:

(fttBE) : l es sciences sociales n e sont pas véritablement des scien ces.

1" RAI$01\N EMf.NT


{1) FJie5 ne peuvent prétendre à la vé rité c ar les phénomèn es
qu'elles étudient ne sont pa5 des réalités objectives.

2. I.e tcnne prfmiŒ.' utUi~ ici at œlui des logicil'ns; nous allons le co nserver pour
p.:~rler ~ r.aisonnem ents. Cependant, le raisonnement at composé d'arguments
(prémisst"l). Le chapitre 3 traite des arguments.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _3_
5

(2) Les phénomènes sociaux relèvent d 'interprétations, de la


signification que les cherd1eurs leur prêtent.
(3) La signification des phénomènes étudiés varie selon les d1er-
chettrs.
(4) Il n 'y a pas de consensus sur les interprétations données.

2~ RAISONI'\'EM 1'!\rJ'

(S) De plus, il est difficile dans les sciences sociales, contrairement


en sciences, de faire des expériences empiriques pou r valider
les théories.
(6) L'expérimentation est pratiqueme nt impossible.
3~ RAISONI'\'I.MEI'\r r

(7) Les sciences sociales sont des idéologies.


(8) Certaines sciences comme les idéologies cherch ent à interve-
nir dans le monde pour le transformer;
(9) Or la science cherche à expliquer ou à comprendre le monde
à l'aide de t héorie à partir de données empiriques.
4" RAISONl'\"EM ~Nf

(10) Enfin, les sdences sociales sont incapables de faire des pré-
dictions valables.
(I l) Une bonne théorie scientifique doit ê tre en mesure de prédire
des phénomènes, ce que ne peuvent accomplir les sciences
sociales.
À l'aide de cet exemple, on peut déjà établir certains prindpes
qui nous aideront à bien comprendre la démarch e. La Thèse ou la
Conclusion est toujours, comme nous l'avons dît, une proposition que
le proposant justifie ou cherche à justifier. C'est là u ne bonne façon de
l'identifier en posant simplement la question: quel éno ncé cherche-t-il
à justifier? La Thèse par son caractère conjecture! exige u n argumentaire
composé de raisonnements, eux-mêmes bâtis d 'une suite d 'arguments.
On n'a pas à ce moment-ci à évaluer la pertinence ou la valeur des
argumen ts.
Dans un syllogisme, on appelle prémisse chaque argument qui
forme un raisonnement et qui soutient la Conclusion (Thèse). Il n'y
a pas de limite théorique au nombre d'arguments, mais en généra l
_3 6_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

on présente les plus pertinents au début et, en vertu du principe hié·


rarchique de la valeur des arguments, la force des arguments décli ne
a vec Je nombre.t. Les arguments plus faibles sont présentés à la fin. On
imagine fadlement aussi qu'un trop grand nombre d'arguments peut
se retourner contre le défenseur d'une Thèse. D'une pa rt, parce que
plus personne ne S<'ra sensible aux arguments après un certain temps,
sa force de persuasion se ra très faible. On le constate, l'argumen ta-
tion est difficilement dissociable de l a r hétorique. D'autre part, tous
les arguments ne soutiennent pas avec la même force la Thèse; à trop
en fournir, on présente en même temps des argu ments plus faib les,
davantage susceptibles d'être contrés par d'éventuels adversaires (l'op·
posant). Ils risquent d'affaiblir la va lidité de la Thèse. L'argum enta ire
doit être bien construit et bien dosé de raisonnements. On n otera en
dernier lieu qu'un argumentaire peut être assez complexe, utiliser des
raisonnements inductif, déduc tif ou analogique.

Cette façon de p rocéder « Thèse et prémisses ,. (ra isonnement


déductif) n'est pas la seule même si elle est très commu ne. Comme cela
est tout à fait logique, il n 'est pas interdit de prés.enter les prémisses et
de term iner par une Conclusion, qui devient la conséquence logique
des ra isonnements qui la précède (raisonnement induct if). Prenons un
exemple simple: Plusieurs électeurs n'aiment pas voter le dimanche; le
gouvernement veut adopter une loi fixant la date d'élection toujours
un dimanche; 30% des électeu rs vont s'abste nir de voter s i l'é lection
a lieu le dimanche. Si l'inférence n 'est pas très forte - on part d'une
observation indéterminée, plusieurs é lecteurs, e t on conclut à 30%
des électeu rs -, le raisonnement inductif n'est pas moins valable. La
généralisation va de plusieurs à 30%~.

Pourquoi choisir un mode de raisonnement plutôt qu'un autre?


Cette question sera abordée un peu plus loin, mais disons dès main te·
nant qu'elle ne relève pas seulement du choix du chercheur; des consi·

3. Ct- princip·e wur qu'on plfs.ente les meiUeuJS ar gu menu au d~but. On verra plus
loin que ln choses sonr plus compliquées.
<1. Manin Monlminy souligne qu'un raîsonnemenl inductif f!:SI inadéquat si les pré·
misses induisenr une co nclusion à 50% ou moins. Voir Manin Montminy, Rai·
~mmnlli'llf t•t pemh critiqur. llltro.luctitJtl ,; la logiqflt" in{ omN'IIe, ~iontréal , Pre:->ses de
I 'Unive~ité de Montréal, 2009, p. 61.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _3_7

dérat ions méthodologiques e t rhétoriques peuvent le cont raindre ou


l'obliger à raisonner de manière d éductive, inductive ou analogique 5 •
Pour l'instant, revenons à nos argumenta ires.

Parmi l'ensemble des raisonnements qu 'on peut trouver dans un


argumentaire, il en existe un qui a une forme relativement connue. Il
s'agit du syllogisme. On définit en général le syllogisme de la manière
su ivante: des propositions étant posées (prémisses), îl en résu lte une
autre (Thèse ou Conclusion) qui est une conséquence logique (néces-
saire) des prem iè res propositions. Cette définition assez com mune
comporte une chose importante à retenir: la Conclusion est une con-
séquence logique, e lle obéit à des règles de validité, des propositions
appelées prémisses posées et acceptées. La Conclusion est par consé-
quent un jugement de vérité", un résultat nécessaire des propositions
qu i la fondent. Au plan formel, les syllogismes possèdent une autorité
très forte.

2.1 . Les raisonnements


Avant d'aborder les règles de validité du syllogisme, il faut d'abord
préciser deux choses: 1) Tout syllogisme déducti f est constru it à partir
de trois termes: Je majeur, le mitM'Itret le moymlerme7. En fait, le moyen
terme est certainement le plus impo rtan t dans Je syllogisme. Il permet

S. Qu'on Sol' rappeUI.' ce qUI.' nous avons dît à propos du marqlll.'ur de tl.'btîon au cha·
pitre pri"Cédcnt.
6. C'est une très vaste question qlK' celle des}I(St'lllt'rtfs 1k vffiti. Pour un logicien. un
syllogisme ronstruît.st!kln les règles de b logique doit aboutir à un it(SI.'Int'llflll> 1-iriti.
~gld!~ t~~~!e~n~~st'!~~::;tr~f!~iit~u~':!!~~'!~~n~;!~!~~~~;~~;e~~
~t aU»î sémantique. Dl' pha, il importe $Ut la base de œtte distinction de noter la
diffél"'.'nce entrel~ propositiom fmmt>lko et empirique. Le propositions l'mpiriques
n'ont pas le nlilml.' critè l"'.' de vé rité t1ue le$ propositions théoriques. On le \'Oit la
v&ité~t unedlOSI:' rompll'xl.'quî appartîmtau jugema1t. Comml'flt alon préta1dre
à la vérité 7 Répondre à cette qu~tîon suppo.st! que wît précisé un t'nsemble de
conditions - sur 1~ én011ck, le S)'!>lème. etc. qui détl'!"mînentle rype dt- \~rtt é qUI.'
l 'o n \'a énonœr.
7. I.e maïeur dfsîgne en logique catégorique la proposition qui affirme ou nie et en
logiqlK' hypothétique.la prémisse qui c011tîent la condition. Le ntaitMcomporte
soit leSJjl't soit Il' prédîat.le miii<'IIT, c't>Stle terme qui est Il.' sujt'l de la conclusion.
Enfin le 1110''1.'11 lt'mtt' dl-signe celui qui est dans chacune des p!Tmisses. Il est l'ax e
autour duquel .s'établît Il' raisonm.>ment.
_3 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

d'établir le lien entre le majeur et le mineu r. 2) Il existe plusieurs types


de raisonneme nts. Voyons, en reprenant le t roisième raisonnement de
notre exemple, les trois termes du syllogisme:
(Q les sciences sociales sont des idéologies.
(1) Certaines sciences comme les idéologies cherchent à intervenir d ans le
monde pour le t ransformer.
(2) Or la science cherche à elCpliquer ou à comprendre le monde à l'aide d e
théorie à partir de donné@s empiriques•.

On a ici un raisonnement déductif avec les trois termes qui Je


composent:
- le ma;eur: Certaines sciences comme les idéologies cherche nt
à intervenir dans le monde pour Je t ransformer.
- le mitlfllf: Or la science cherche à expliquer ou à comprendre
le monde à J'aide de théorie à partir de don nées empiriques.
- le moyeu ten11e: science.

La Couclusiou: Pour arriverà la Conclu5ion, c'est-à-d ire à une pro-


position logiquement déductible des deux prémisses, je dois faire le
lien ent re le majettret le milu'" '· Le m oyen renne n 'entre jamai5 dam la
conclusion. Certaines K iences [le ma;eurJ cherchent comme les idéolo-
gies à interven ir dans le monde pour le ch ange r [le mhwur); le minetlf
s'ébauche à l'aide du moyen ten11e: or les sciences visent 5urtout à ex pli-
quer ou à comprendre. La Conclusion porte 5ur les Kiences 50Ciale5
en liant le maj('llf et le miueur: je puis alor5 condure que les sclence-5
sociales 5ant des idéologies.

Le raisonnement e-51 com truil formellement de la façon 5uivante:


si A (certaines sciences visent à intervenir da ns le monde pour le chan-
ger) alors B (les science5 cherchent à expliquer ou comprendre) et que B
(les sciences cherchent à exp liquer ou comprendre) a lon C (les sciences
sociales sont des idéologies). Par con séquent, si A alors C: les sciences
sociales sont des idéologies. En vertu du prindpe de transit ivité, et
c'est ce qui détermine sa validité formelle, si 1\ alors B et si B alors C,
il faut conclure nécessai rement: si A alors C. Ln Conclusi on est donc
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt

11écessair;,>. La proposit ion qui l'énon ce est apodictique9 , et elle nous


apprend quelque chose sur l'objet de ce raisonnement: les sciences
sociales. Nos raisonnements n e sont pas toujou rs ternaires; c'est le cas
du t•• raisonnement de n otre exemple, même s'il s'agit là de la fonne
nécessaire du raisonn ement déductif.
Précisons maintenant les deux autres types de ra isonnement en
considérant que notre e xemple relève du syllogisme déductif e n cec i
que la Conclusion étant d'abord posée, les prémisses suivent. Il s'agit,
comme l'explique VictorTh ibaudeau, d'un raisonnement du haut vers
le bas10• Il souligne d'a illeurs, à juste titre, que selon l'étymologie latine
du terme dMuctiot1, il s ignifie .. act ion d'emmener du haut vers le bas 11 :» .
Ce raisonnement est trinai re et il se construit comme nous venons de
l'exposer selon le principe de transitivité. Sa force de con viction est
élevée, mais ce type de raisonnement n'est pas à l'abri de critiques
importantes parmi lesquelles il faut sou lig ner le fait que puisque les
arguments suivent la Conclusion, il est toujours possible de trouver des
arguments qui la justifient et d'écarter ceux qui la réfuteraient. Sans
une théorie des faits pertinents qui expose pourquoi il est préférable de
choisir tel ou tel fait dans le cadre d'une vérification d'une hypothèse
ou de l'a rgumentation d'une proposition de recherche, la déduction
est un raisonnement sujet à caution. tvitons cependant de confondre
le raisonnement avec la méthode.

Voici un exemple de raisonnement déduct ifl 1 d'un ouvrage scien-


tifique. Dans son livre sur les relations internat ionales du Québec,
l'auteur défend la thèse suivante:
(P)remièrement, la doctrine Gérin-L.ajoie empêche le Québec de ~e doter
d'une politique étrangère soit une paradiplomatie identitaire parce qu'e lle
maintient la double allégeance canadienne et quêbécoise. Deuxièmement.
Id paradiplomatie identita ire, au contraire, source de conflits et de remise
en question de l'allégeance canadienne, permettrait au Québec d'adopter
le comportement d'un acteur étatique et gouvernemental particulier !>Ur la

9. Le terrne apodicriqr.., signifie •qui ~t néœsSiliR'ment vr.J.i • . C'~!$1 un bel extmpleck


v~rité )yntaxique
10 Vktor Thlbaudeau, tf'· rit. . p. 721.
I l. Ibid.
12. !"ar miMHmt'lllt'lll lli lfuctif. nous désignons b forme habituelle du misumtt'llli'/11 (/Mue·
ti(. C est-à-dire celui où on t'j~ ïe d'argumenta' une Thèse qui t>jf énoncée d 'entrœ
ckjeu.
4
_ 0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

scène internationale, d'organiser librement et sans ingérence du gou...erne-


ment fédéral ses relations interl\ltionales et de formuler et déployer ainsi une
véritable politique étrangère1l_

La Thèse s'élabore en deux parties. C'est donc dire que l'auteur


devra d'abord dispoM>r de la doctrine Gérin-Lajoie et ensuite exposer
ce qu'est la paradiplomatie identitaire.

Une telle Thèse déploie l'argumentai re suivant : 1) Une étude des


relations internationales du Québec jusqu'en 1960 (avant l'émergence
de la doctrine Gérin-Lajoie}; 2) Une étude des re lations internatio-
nales du Québec depuis la Révolut ion tranquille (depuis l'apparition et
!'.. application l" de la doctrine Gérin- Lajoie); 3) Présenter ce que pour-
rait être J'application de la paradiplomatie iden titaire pour le Québec.
f..n quoi ces trois moments de J'argumentation représentent- ils des argu-
ments pour défendre sa thèse?

La Thèse soutien t deux choses. Premièrement, que la doctrine


Gérin-Lajoie est un obstacle à la paradiplomatie iden t îtaire, soit une
politique étrangère au niveau subétatique, ici le Québec. Pour le mon-
t rer, l'auteur a choisi d'exposer en deux temps les relations intematio-
nales du Québec. L'objectif, ici, est de montrer les apports de la doctrine
Gérin-Lajo ie par rapport à la situation qui a prévalu en matière de
relations internationales québécoises jusqu'en 1960; ce qu'elle a pennis
a u Québec depuis sa fom1ulat ion lor.s de la Révolution tranquille ainsi
que ses limites. Cette dernière partie, les limites, est très importa nte car
la Thèse affirme qu'elle ne permet pas au Québec d'avoir une véritable
politique étrangère. Il est évident que la vra isembla nce ou la crédibilité
de la Thèse repose en g rande partie .sur cette analyse des limites de la
doctrine Gérin-L.ajoie. Mais une te lle analyse implique en même temps
de voir ce qu'a utorise la paradiplomatie ident itaire. C'est pourquoi il
expose ce à quoi ressemblerait l'appli cation d'une pa radiplomatie lden-
t itaire pour le Québec; ce qu'elle autoriserait pou r ce dernier, tout en
prena nt soin de soul igner les problèmes qu'elle pourrait souleve r dans
le cadre fédératif canadien. Entre autre chose, la paradiplomatie iden-
titaire reposerait la question de la souveraineté canadien ne.

13. jean-François Payene, llllnKiriCtion critiqr1r m1x œ/alio11S i1rlemalioualrs r/11 Q11éb«",
Québe-c, r>resses de l'Université du Q..rébc<:, 2009, p. 3 1.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ __ 4_1

11 existe des raisonne ments inductifs qui, à l'inverse du premier,


partent du bas vers le haut. Le terme ituluctioll- du latin itl(/ttctio, indu-
cere- signifie - action d'amener, d e conduire vers ,. et repose sur deux
principes faciles à comprendre car largement utilisés dans la vie quoti-
dienne. Le premie r principe précise que l'induction consiste à conclure
de la constatation de la régularité de certains faits ou observatio ns à leur
perslstanceu. Le mot clef de ce tte définition est régularité; la possibilité
de découvrir la répétition de certains faits (régularité) et de cette répéti-
tion conclure à leur constance. Le second principe co nsidère l'induction
comme la saisie du nécessaire dans la contingenœ 1s. ObseiVer dans la
contingence, dans ce qui n'a pas de raison d'être ou de n écessité, des
attributs récurrents. Pour le dire d 'une manière plus concrète, l'induction
vise à JXlrt ir de cas part iruliers à arri ver à une Conclusio n générale. Nous
l'avons dit plus haut, ce raison nement est largement répandu. D'une
certaine façon, c'est celui de l' habitude et du sens commun. La Conclu-
sio n de l'induct ion a valeur de vérité à part ir du moment où les cas
pa.rtiruliers comportent des régularités assez nombreuses, pertinentes et
n écessaires pour rendre possible une généralisat ion. Par géné ralisation,
il faut entendre le fait de transposer à une classe d' indivldus16 ce qui est
observable (les attributs) d'un individu de cette classe. Précisons, et la
chose a son importa nce, que la conclusion de l'induction est seulement
probable. Selon que l critère peut-on déterminer que cette probabilité
est assez forte pour justifier l'inférence? Selon Montmin y, une proba-
bilité de plus de 50% est suffisante pour affirmer que la géné ralisation
est adéquate. C'est à la fols beaucoup et peu. C'est beaucoup ca r des
inférences à partir de plus de 50% sont rares. C'est peu car 50% et p lus
signifie aussi qu'il y a une probabilité forte que l'inférence ne soit pas
adéquate. Des conclusions fondées su r des p robabi lités de 100% sont
très rares en sciences sociales. D'ailleurs, ce ne sont plus des probabili-
tés, mais des vérités.

La valid ité formelle de l' induction rep ose essen tiellemen t sur le
nombre d 'observations et leur pertinence. Il doit y avoir un lien entre
les faits obseiVés et la Conclusion. Ces faits doivent être assez nombreux

14 Cn principn som tirés de la d éfinition de l'induction e mpruntée à Lou ~· Mari e


Morfaux. Nomm u \ocab11laiœ de /11 phi los.:JPirieet des scietJœ$ Jnmi(IÏtlt'$, t1aris. Armand
Colin, 2004. p. 26S. Now suivons k texte de uès près.
!S. IbM.
16. Cettedasse d 'indivkiw peut êtreitlirnitk
4
_ 2_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

et présenter des régularités pertinentes et co nstantes afin de rendre pos-


sible une générali~tion, c'est-à-dire pennettre de prêter à l'ensemble
des mêmes faits non encore obse rvés les mêmes caractéristiques. Par
exemple, la couleur noire des corbeaux que j'observe. Pui s-je prêter
à tous les corbeaux existants, ayant existé et qu i existeront l'attribut
d'être de couleur noire? L'exigence est élevée et semble impossible à
sat isfaire, mais c'est à celle-ci que doit ultimement se soumettre l'in-
duction. C'est à la fois la force et la limite du raisonnement inductif1 7•
La couleur peut être une caractéristique pertinente pour un obseiVateur
a mateur des corbeaux. Pour un éthologiste, la cou leur serail certaine-
ment un mauvais critère de généralisation puisqu'il s'inté resse surtout
a ux comportements des a nimaux.

Le raisonnement inductif n'a pas la même force de conviction que


la déduction. Il résiste mal au cas singulier qui réfute la généralisation. Si,
après avoir observé, à plusieurs reprises, des co rbeaux et constaté qu'ils
étaient tous noirs, je peux généraliser en concluant : «Tous les corbeaux
sont noirs. ,. Le raison nement est le suivant: J'ai observé des corbeaux.
Or tous les corbeaux que j'ai observés .s on t noirs. Donc, les corbeaux sont
noirs. Pourtant, il suffirait qu'il y ait eu un corbeau blanc ou d'un e autre
couleur dans le piSsé, dans le présent ou même dans le futur pour réfuter
une telle conclusion. ~videmment, l'énoncé: ..j'ai observé des corbeaux .
ne respecte pas la règle de la validité fomtellede l'induction. On ne sait
pas combien decorbealLXont été observés: deuxouœnt mille?Sanscette
condition, il est d ifficile de procéder à la généralisation. Cela d it, l'induc-
tion est certainement le mode le plus généralisé et le plus commun de
raisonnement. Qu i n'a piS généralisé abusivement une observation ou
une expérience? Il est pertinent de l'utilise r comme raisonnement dans
le cadre d'un mémoire de maîtrise ou d'une thèse doctorat à condit io n
d 'en connaît re les limites. Une fois encore, il faut éviter de confondre le
raisonn ement inductif avec la méthode.

Comment construi re un raisonnement inductif? Le raison ne-


ment s'appuie d'abord su r l'observation; ensuite il s'agit à partir de
celle-d d'étendre nos résultats à toute une populat ion en précisant à
quelle condition se fait cette généra lisat ion. On peut dire que la plu-

17. En théorie, la remarque est ju~e. mais en fait la théorie de la ptobabililé permet de
rdever ledffi de la généralis.atîon en dl>tennînant les conditions de la génér.llîs.atîon
et le risque d'erreur e n faisant cene généralis.atîon. La question n'est donc pas aussi
algue qu'elle ne paraît.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _4_3

part des enquêtes sociales faisant appel à un échantillon probab iliste


ou par quota relève de la démarche inductive. Les sondages sont de
bons exemples. On fait une enquête auprès d'une partie de la popu-
lation- est-elle représentative de l'ensemble? - ; une fois les données
recueillies o n généralise à l'ensemble de la population. Par exemple,
une enquête sur le taux de satisfaction du gouvemement actuel auprès
d'un échantillon de 1025 personnes donne les résultats suivants: 35%
se disent très insatisfaits, 25% se disent insatisfaits, 25% se disent satis-
faits et 15% affirment être très satisfaits du gouvernement actuel. f.n
vertu de ces résultats, on peu t conclure, sans avoir inte rrogé toutes les
personnes de notre population, que 60% des personnes interrogées se
disent insatisfaites du gouvernement actuel. On pourra d ire alors que
la population québécoise est insatisfaite du gouvernement actuel Cette
prédiction est erronée une fois sur vingt.

C'est le même procédé qui s'applique dans le cadre d'une enquête


sociale; on définit la population e nquêtée, on établit une mélhode
d'échantillon nage si celle-ci est trop g rande. L'enquête se fait de cet
échantillon de la population. Une fois les données colligées, il est possible
de généraliser les réponses de notre enquête à l'ensemble de la i>Opula-
tion en précisant la possibilité de se tromper lors de cette généralisation.

On constatera aussi l'existence du raisonnement analogique mo ins


connu mais très efficace malgré des Il mites évidentes. I.e mot analogie
signifie ... ce qui est en rapport avec .. et suppose la mise en relation de
deux termes sous le mode de l'identique. On parle de ressemblance entre
deux ch~ ou deux êtres. Cela n'est pourtant pas exactement une analo.
gie. Celle-ci représente une identité de rapport sous la diversité apparente
des phénomènes ou des êtres. Ce n'est pas une ressemblance et c'est
une erreur de confondre les deux. Dans un ra isonnement analogique,
l'identité entre deux choses se fait à partir d'un rap1>0rt étab li par celui
qui argumente, un rapport qui n'est pas nécessaill!ment apparent ou
évident. Il peut l'être - par exemple, la foudre et l'électricité - ou ne pas
l'être-un homme et une baleine. Essayons de voir à quoi ressemble un
raisonnement analogique à l'aide d'un exemple.
(A) Toute dé<:i!>ion wlontaire d'enlever Id v ie à un être humain est un meurtre.
(8) Or l e meurtre est immoral.

(C) L'avortement est une décision volontaire d'enlever la vie à un être humain.
(D) Or l'avortement est un meurtre.

Par conséquent, l'avortement est immoral (Conclusion).


4
_ 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

La valeur de la Conclusion tient à la valeur des p rémisses, au fait


de considérer les prémisses comme évidentes ou acqu ises. Da ns le cas
présent, les prémisses ne serai ent pas. évidentes ni même acquises pour
plusieurs personnes même si le raiso1mement est largement utilisé par
les partisans provie dans Je débat sur la légalisation de l'avortement. Le
cas échéant, la validité de la Conclusion sera a moindrie. On préte nd,
et c'est le ra isonnement ana logique de n otre exemple, que les deux
comportements - meurtre et avortement - sont semblables, c'est-à-
dire des décisions volontaires d'enlever la vie à quelqu'un. Le meurtre
et l'avortement son t m is en rapport sous la modalité de la décisio n
volontaire d'enlever la vie même si ce rapport est loin d'être évidenta .
Par conséquent, on peut conclure en su ivant le rals01mement proposé
qu'il s'agit dans les deux cas d'un acte immora l.

le prindpe formel de validité de J'a nalogie est le suivant : deux


choses, meurtre e t avortement , égales à une même troisième, e nlever
la vie, sont égales entre elles. Enlever la vie est un meurtre, l'avorteme nt
est l'acte par lequel 011 t'1tlève la vie, donc il est im moral. On pourrait
facilement trouver des exemples d'analogie dou teuse ou même non
valide. Celui sur l'avortement e t le meurtre est u n bel exemple. Il y
a aussi celui sur l'alcool et la drogue. Vendre de l'alcool, c'est comme
vendre de la drogue. Il s'agit de deux produits qui son t n éfastes pour la
santé des hommes. Il faut interdire la vente d'alcool. l 'an alogie repose
sur le fait que la drogue et l'alcool sont considérés comme des produits
néfastes. Interdire le premier, par raisonnement analogique, obligerait
à interdire le second.

le raisonnemen t a nalogique est répan du chez les défenseurs


de l'analyse systémique. On trouve ch ez eux l' idée que toute chose
fonctionne comme un système cybernétique. Il y a un émetteur qui

18 L'h•idt-IKf'~lloin d 'être une notion facile. Le terme d ésigne ce qui peul être vu
imm(>(liale menl, ce qui se donne à la per-ception sensible. Ce n 'esllà qu'une partie
de la d éfinition de l 'fd(lmcr car 1~ données de la ronsclenœ immédiate JOJU trop
fragiles pour permetlre un rai5onnemenl un lanl soil peu rigoureux. Il exiSie une
h•ilmcr rationnelle vou! am dire par ce temlt': ·Une propositim P de b fonne F (x, y.
l .. •) t'li une h·.Ur1.-r pow un locuteur Lsi la connaissance de la liférenœ des termes
sin!,'lllie~ x, y, z... de Pet du sens de F suffit à L pour d éterminer la lifl\renœ, i.e.
la valeur de vérité der~ (j.-G. Dumoncel, • Êvidt-nce~. dam Sylvain ,\uroux (dir.),
0(1. cir., p. 908). À défaut de pouvoir utllî.ser l'évidrncr rationnelle, li ne faudrait pas
croire que II.'S h •idr11cN de l'un le sont pour les autre:s. Le droit des femmes à l'avor·
tement n'étant pas une iv~f~Kr ratîonneUe, on peut comprendre qu' il ne soit pas
partagé ct qu'on puisse juger l' avonement criminel.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _4_5

envoie un message à un récepteur, celui-d analy<;e et décode le message


du récepteur. Selon le message et sa compréhension, il retourne au
récepteur une répon'ie attendue ou non attendue '>e lon que le message
a été bien ou mal compris. Les conditions de cette compréhension
dépendent de plusieurs facteurs; le code utilisé partagé entre l'émetteur
et le récepteur, la qualité de la communication (émetteur et réceptrur),
la rétroactio n, etc.

L'analyse systémique
(code) (code)
~metteur -- Message - - Récepteur

L _ Rétroaction .__j
(code) [code)

11 y a analogie à partir du moment où tout p hénomène peu t s'ex-


pliquer en suivant Je modèle systémique. Celui-ci a été appliqué au
système politique où la population (peuple) est l'émetteur qui envoie
au gouvernement (récepteur) des demandes (messages) grâce à un code
(sondage, manifestation, élection, etc.). En retour, le récepteu r reçoit Je
message, le décode et répond en posant ou en ne posant pas certaines
act ions (rétroaction). Tout fonctionne sous Je mode analogique; on
fait comme si la popu lation était un émetteur et le gouvernement, un
réceptrur, et ainsi de suite.

Un mot en term inant sur l'abduction qui, telle la p rose, est prati-
quée sa ns qu'on le sache tou ;ours. C'est ce qu'on pou rrait croire tan t
elle ressemble à l' induction. La différence est pourtant significative:
l'induction consiste à partir d'observations à généra liser le phéno-
mène, alors que l'abduction ne généra lise pas l'ob<;ervation; elle infère
une chose complètement différente qui n'aurait pu être perçu à partir
des observations. L'abduction a une va leur h euristique. Prenons un
exemple donnée par Charles Sanders Pierce, à qui on attribue l'intérêt
actuel pour ce mode singu lier de raisonner: Il y a sur une table un
paquet de haricots blancs et à côté de celui-ci un nombre indéterminé
de haricots. Devant ce constat, je fais l'ob<;ervation suivante: le paquet
contient des haricots et ceux-d sont blancs. L'abduction consiste à d ire
ceci: si tous les haricots de ce paquet sont blancs et si les haricots sur la
4
_ 6_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

table viennent du paquet alors les haricots sur la tableront bla ncs19. On
a ici un syllogisme dont la majeure est certaine, mais dont la conclu-
sio n, la mineu re, reste probable. La force d'induct io n de l'hypothèse
qui doit être formulée pour que de conjecturale elle devienne certaine
détermine la valeur de J'abduction. le raisonnement consiste donc à
expliquer une chose à partir d'une autre; expli que r Y, les haricots sur
la table, par X, les haricots blancs dans le sac. L'h ypoU1èse est celle-ci:
si les haricots sur la table viennent du sac alors ils sont b lancs.

2.2. les critères de validité fonnels d'un raisonnement


Nous avons déjà abordé très brièvement la question de la valid ité for-
melle des raisonnements. Il y a peu à ajou ter sur le raisonnement analo-
gique. L'essen tiel a été d it. Par co ntre, il y a encore beaucoup à dire sur
le raisonnement déductif et inductif. Sans développer inutilement dans
u n domaine qui sera de peu d'utilité pour a rgumenter son mémoire de
maîtrise ou sa thèse de doctorat, il c onvie nt tout de même de préciser
les rai sonn ements va lides de ceux qui ne le sont pas~. La suite de ce que
nous allo ns traiter conceme les raisonne ments déductifs. Ces préc isions
sont importantes; on n e peut utiliser intelligemment une chose si o n
n'en comprend pas les fondements.

En général. les propositions qui forme nt un syllogisme peuvent


être universelles ou particulières, négatives ou positives.

Les différents types de propositio n:

Universelle: Tous les hommes sont mortels.

Particuliè re: Certains h om mes so nt immortels.

Négative: Aucun homme n'est immorte L


Affinnative: Les hommes sont mortels.

19. ~ repren:>IU à nout• façon rexempledes haricots de i"'ierœ. L'alxloction resstm~e


à s'y méprendre à l'Induction mab, en y regardant d e plus pnl-s, on remarque que
l'inférencede l'abdtlction se fait à partir d 'él€menrsdifférenrs.
20. ~~::~~il" s'inspire brgermnt du travail de Victor 'fllib.ludeau, op. d r., p. 725 et
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _4_7

À partir de ces modalités des p ropositions, on peut constru ire plu-


sieurs types de syllogisme; universelle-négative (toutes les araignées ne
sont pas dangereuses), particulière-affirmative (que lques araignées sont
dangereuses), etc. Parmi celles-ct, il y en a certaines qui n 'ont pas de
signification. On ne peut avoir une proposition universelle-particulière
ou affirmative-négative sans qu' il y ait contradiction dans les termes,
à l'exception des oxymorons, par exemple, progressiste-conservateur,
constructivisme-critique, tropes littéraires. JI faut douter de tout est un
exemple fréquemment cité d'autocontradiction. Pour avoir un se ns,
cette proposition doit considérer qu'il y a au moins un énoncé dont il
ne faut pas do uter. Les exemples pourraient être fort nombreux mais,
dans l'absolu, les p ropositions possibles sont au nombre de 4 x 3 pro-
positions différentes.

À partir de ces quatre types de proposit ion, o n peut constru ire un


certain nombre de syllogismes valides et un certain nombre d 'autres
non valides. Par exemple, des prém isses universelles conduiront à une
conclusion universelle. Si je dis: Tout A est 8; Or tout 8 est C; Donc
tout A est C. Ce raisonnement ne pose pas en lu i-même de véritables
difficultés. On ne peut pas dire la même chose des raisonn ements sui-
vants. De prémisses négatives, je ne peux conclure à une proposition
universelle. Des prémisses suivantes: Aucun A n'est B; Aucun B n'est
C, je ne peux conclure: Il existe des D qui sont des C. Concrètement,
Aucun mort n'est vivant.
Or aucune personne en action n'est morte.
Donc. toute personne en action est vivante11 •

La non-va lid it é de ce raisonnement ne saute pas aux yeux. On


peut légitimement se demander en quoi il est fautif. Il l'est strictement
parce que la conclusion n'est pas déductible des prémisses. Les pré-
misses ne don nent aucu n poids à la conclusion; le lien ente les deux est
inexistant. On pourrait multip lier les exemples de raisonnement valide
ou non valide. Essayons plutôt de fournir, à la manière des logicie ns,
une façon d'ident ifi er les raisonnements valides et ceux qui ne le sont
pas. il existe en fait huit règles, ou lois, assez s imples à retenir.

21. Nous reprenons l'exemple donné par Victor Thib.:ludeau, op. cît., p. 144.
4
_ 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Les huit lo is du raisonnement déductif sont:


1. Le raison nement doit con te ni r trois termes uniqueme nt;
majeur, mineur et moyen terme.
2. Les tennes de la Conclusion ne peuvent avoir plus d'extensio n
que da ns les propositions de5 p rémisses.
3. Le moyen terme n'entre jamais dans la Conclusion.
4. Le moyen terme doit être w1i verse! dans au moins une des deux
prémisses.
S. Si les prém isses sont af firmatives, la Conclusion ne peut être
une proposition négative.
6. À partir de deux prémisses négatives, on ne peut rien conc lure.
7. la Conclusion ne peu t être plus forte que les prémisses.
8. À partir de deux p rémisses partirulières, on ne peut rien ronel ure.

Ces huit règles exigent cependa nt un certain nombre d'explîca ·


t ians. La première précise que ces règle5 s'appliquent au rais01mement
déductif. On ne pourrait les applique r à l' induction et ce rtai nement
pas non plus au raison nement analogique. Ensui te, il fa ut distinguer
les quatre p remières lois des quatre dernières. Elles ne portent pas sur la
même ch ose. Les quatre premières concernent les règles de forma t io n
du syllogisme. Nous en avons brièvement parlé plus haut. JI convient
peut-être d'ajouter un mo t sur la règle 2, qui éd icte que les termes de
la Conclusion ne doivent pas avoir plus d'extension que ceux des pré-
misses. Qu'entendons-nous par exte nsion? En logique, on d it d'une
proposition qu'elle possède un e extension pou r désigne r l'ensemble
des êtres, des faits qui sont subsumés par la proposition, compris dans
celle-ci. Le meilleur exemple que l'on pu isse don ner de l'extension est
évidemment une classification. Le concept de vivant a pour exte ns io n
les humains, les animaux, les plantes, etc. On ne pourrait donc avoir
logiquement une Conclusion sur un animal qui a it plus d'extensio n
que le concept de vivant. Dans ce cas, il est tout à fait logique que les
termes de la Conclusion ne puissent avoir u ne extension plus grande,
comporter des faits, des ê tres que les termes des prémisses. La Conclu·
sion est une conséquence nécessaire des prémisses; elle ne peut donc
déborder, comprend re plus de fa its ou d'êtres que ce qu'autorisent les
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt

tennesdesdeux prémisses. L'exemple utîli5é plu<> haut illustre le 5eeond


principe. La Conclusion - donc, toute personne en action est vivante - a
plu5 d'extension que les prémi55eS.

La règle 4 exige au<;si une brève explication. Le moyen tenne doit


être une proposition univer5elle dans au moim une des deux prémisse<>.
La raison est a <>sez <>impie: la Conclusion possède Wl caractère néces<>aire.
Cette néœs5ité n e peut venir de deux p ropositions négatives ou pa rticu·
lières (règles6 et 8) comme c'est le cas de notre exemple. De deux cas par·
tiruliers, on ne peut conclure à quelque ch05e d'universel. Contrairement
à une idée commune, deux négatif<> ne condui<;ent pa<> à une affirma·
lion. JI y a une idée assez largement répandue chez les logiciens qui veut
qu'une propo<;ition négative ne nou5 apprenne rien 5Ur le monde. On ne
peut certainement pas avoir en Conclusion une propo5it ion universelle.

La règle 7 stipu le que la Conclusion ne peut pas ê tre plus forte


que le<> prémisses sou<> peine d'avoir un lien faible ou très faible entre
les prémis5es et la Conclusion. Du fort, on peut con clure au faible,
mais jamais du faible au fort. Ne dit-on pas que • qui peut le p lus,
peut le moim ,., mais «qui fait le moim ne peut le plu<>,.12 ? Il va de soi
que les propositions universelles ou affirmatives sont considérées p lus
forte<> que les proposit ions particu lières ou n égativesll. Il ne faut pas la
confondre avec la règle 2, qui concerne un iquement la relation entre
les termes, a lors que la septième porte sur l'ensemble du raisonnement:
le ra pport des prémisses à la Conclusion.

À quoi 5ervent ces règles? D'abord, elles pennettent d'évaluer rapi-


dement, une fois famil iarisé avec e lles, la validité d'un raisonnement
déductif. Elles permettent de répondre aux questions suivantes: Le rai-
sonnement e<>t·il val ide dam 5a fonne ? La Conclu<>ion (la Th èse) est-elle
soutenue pa r les p rémisses? Ces règles sont donc utiles pou r juger de la
validité des raisonnements qu'on nous propose. Elles sont aussi utiles
pour la comtruction de nos propres raisonneme nts. Puisque dans le
mémoire de maîtrise ou dans la thèse de doctorat, on devra argumenter,
proposer des raison nements qui soutiennent la Thèse ou les sous-t hèses

22. Cette pwposition n'est valide qu'en logique. Dam la vie de tous les jours, eUe est
plus souumt qu'.:~utrement fausse. Le champion du 400 mètres n 'est pas champion
du IOOmi>tn.-s.
23. Il ser.:~it trup long d 'expliquer pourquoi. C'est une question de philœ.ophie du l.:~n­
flgt'- Ceb dit, il.:~rriveque les logil."iens considèrent .:~ussi des propositions comme
evidentes. ç'est-.1-dire qu'ils ne jugent pas n&:ess.:~ire de 1.:~ justifier ou de l'expliquer.
_5 0_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

défendues, les règles sont un outil efficace dans la construction de nos


raisonnements. Le prochain chapitre sera consacré à J'élaboration p ra-
tique de l'argumentation. Pour l' instant, il reste encore quelques idées
à préciser sur le raisonnement et les syllogismes.

2.3. Les syllogismes complexes


Nous avons jusqu'ici illustré notre propos à l'aide de syllogismes simples:
deux prémisses et une Condusion. Dans un mémoire de maîtrise ou une
thèse de doctorat, l'argumentaire ou même le raisonnement est souvent
plus complexe. JI ne se limite pas Selùement à des syllogismes déductifs;
on peut dans un ra isonnement trouver quatre, dnq ou six prémisses,
des enchaînements entre les arguments qu i font appel aussi à l'analo-
gie et à l'induction. Il faut aussi considérer l'object ion et la réfutat ion
d'arguments comme des raisonnements à part e ntière. Leur efficadté
est souvent très g ra nde. En somme, on est plus souvent face à des argu-
mentaires complexes que devant un syllogisme déductif simple. Voyons
brièvement les raisonnements complexes et leur forme.

En général, il existe trois formes de construction des raisonne-


ments. Le premier con ceme des arguments qui soutiennent d'autres
arguments. Il y a aussi les objections d 'argument et la réfu tation des
objections d'argument e t , enfin, les combinaisons d'arguments qui
appuient et ceux qui s'opposent 2~. Attardons-nous un insta nt aux argu-
ments qui soutiennent d'autres arguments.

Com me l'indique J'expression, on a affaire ici à des arguments qui


soutiennent d'autres arguments. On utilise aussi fréquemment l'expres-
sion argument par enchaînement. Il s'agit d'un raisonnement, c'est-à-
dire un argument, qui conduit à une Conclusion. Cette conclusio n
devient ensuite un argument faisant [Xtrtie d'un autre raisonnement qui
conduit lui aussi à une autre Co nclusion qui peu l servir d'argument,
et ainsi de suite. l'ensemble appu ie une Conclusion (Thèse) générale.
Prenons l'exemple suivant:

24. Unl' fois de plus, l'ou\Tagede Vic1or Thibaudeau, op. ât., p. 825 e1 suivanles, repté·
sente un outil essentiel. Nous nous en impirom latg('ment. Voir aussi l'exceUenl
ouvrage de Martin Monlminy, op. cit.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ __ 5_
1

(1) la protection de l'environnement est devenue aujourd'hui une préoccupa-


tion très importante des poputatiom occidentales. (2) U>s préoccupations des
populations occidentales deviennent ~vent des questions politiques i"1>0f·
tantes. (3) Donc,. la prote<tion de l'environnement est une question politique
importante. (4) les questions politiques importantes intér~nt les partis poli·
tiques. (S) les partis politiques mettent dans leur programme politique les
questioni politiques irJ'4X)rtantes. (6) Les questioni politiques importantes dans
les programmes de partis politiques représentent des raisons de voter pour un
parti politique. (QOn doit voter pour les partis politiques qui mettent dans leur
programme des propositions ..;sant la protection de l'erwironnemenl

Ce raisonnement s'organise de la manière suiva nte. Conclusion


générale (C): .. on doit voter pour les pa rti<> politiques qui mettent dam
leur programme des propositions visa nt la protection de l'environne-
ment. )O Cette Conclusion est elle-même appuyée par deux proposition<>
qui sont justifiées. Il s'agit des é n oncés (3) • La protection de l'environ~
ne ment est une question politique )O et (6) • Les questions politiques
importantes dans les programmes de partis !X>Iitiques représentent des
raisons de voter pour un partie politique Ch acun de ces énoncés est
)0,

appuyé par des prémisses: (3) se fonde sur (1) et (2), alors que (6) a pour
prémisses (4) et (5). Ü1l peut schématiser le tout de la façon suivante:

(1)+(2) (4)+(5)

T (3)
T (6)

~/
(Q

C'est un exemple de raisonnement par enchaînement où des argu-


ments soutiennent d'a utre<> arguments qui eux-mêmes permettent de
conclure d'une manière générale. Nous avons identifié deux prémisses
qui font offiœ de Conclusion à des argumen taires. La visualisation
par le schéma en arbre est très utile; elle permet de voir rapidement la
st ructure de notre raisonnement~. Nous allons voir un peu plus loin
comment en constru ire un et l'utilisation que nous pouvons faire de
ce procédé. Il en existe d'aut res dont nous repa rlerons aus<>i.

~~;:;~:~~~~~,e~,.,a;.:;~!~~~~~:~~~~~~~é~·~r~~t~~~~~~nR;=·!!ru ~~~;:
25
.
gique, 1994. Cet ouvrage est trè<i pédagogique, facile il lire et il comprendre sans
compromis sur la rigueur.
_5 2_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

L'objection et la réfutation sont des raisonne ments largement uti-


lisés dans la défense ou la justification d 'une Thèse. Ce sont aussi des
procédés rhétoriques fort efficaces. Clarifions les deux termes; l'objection
(obj.) est un argument qui s'o p pose à un autre argument qu i appuie
une Th èse (Conclusion), alors que la réfutation (Robj.) est un argument
qui s'attaque directement à la Th èse. Prenons un exemple :
Lorsque les principes d'une civilisation sont menacés, il faut faire la guerre.
Or l 'Irak menace 115 principes de la civilisation occident! le.
Par conséquent, il est nécessaire de faire la guerre à l'Irak.

L'objection s'attaque à une pré m isse. Dans cet exe mple, sachant
que les prinCipes d'une civilisation sont très difficiles à id entifier, o n
peut objecter à cette Thèse les qu estions suivantes: quels sont les prin-
cipes de la civilisation qui sont attaqués et surtou t qui déterm ine qu' ils
sont menacés? l'o bjection n e met pas en cause la Conclusion générale,
du moins pas directeme nt, elle s'attaque aux prém isses qui sou tie nne nt
le raisonnement . Dans ce cas, en a ttaquant l'une des p rémisses on met
en cause ce qui soutient la Conclusion (Th èse).

La réfutation s'attaque directement à la Con clusion (Thèse). Pour


reprendre l'exemple précédent, on p ourra it réfu ter la Conclusion de la
manière su ivante :
La g uerre e~t un moyen extrême de régler les problèmes.
Or il existe d'autres moyens comme la d iplomatie.
Donc. il n'est pas toujours nécessaire de faire la guerre.

La force de la réfutation dépend de la valeur des a rguments qui


doit être plus forte que ceux de la Th èse qui est combattue. O n peut
construire un raisonnement à l'aide d e l'objection et de la réfu tation. Il
est même possible, et la valeur rh étorique du raisonn ement s'e n trouve
grandement renfo rcée, d'utiliser la réfutation d'o bjection comme rai-
son nement pour mieux défendre sa propre Th èseU.

On peut iUustrer ce cas de figure de la manière suivan te:


(1) La p rotection de t'environnement est une chose importante pour l'être
humain. (2) La protection de l'enviromement touche à tous les aspe<ts de
notre existence: économique, politique et sociale. (C) Il faut donc voter pour

26. On parle id du procédé rhétorique - la prolepse - qui conshle à rHuter à l'avance


en anticipant unt>objectîon possible à notre thèse. Elle est largement traltt'-e au
chapitre 4.
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _5_3

le parti politique qui met dans son programme la protection de l'environ-


nement c'est..à-dire le Parti vert. (3) Cert.ai~ d iront qu'il y a d'autres partis
politiques qui traitent de l'environnement. (4) Il n'existe en rêalité qu'un
seul parti politique qui fait de la pr otection de l'environnement son principal
cheval de bataille: le Parti vert.

Ce raisonnement comporte deux p rémisses (1 et 2) qui appu ient


une thèse, une obfection (3) et une réfutation de l'objection (4). On voit
que le raisonnement en sort plus solide. Si on accepte lesargumentsqui
réfutent l'objection, on foumit de nouveaux arguments pour accepter
la Thèse. C'est comme si on colma tait les brèches avant qu'elles ne se
créent et qu'en même temps on fournissait de nouveaux arguments.

Voyons le schéma en arbre:


(1) +(2) ~

\~ (C)

On est plus souvent face à ce type d'a rgumentaire que devant des
syllogismes à trois termes. Cela dit, il est bon de bien connaître les syl-
logismes et la façon de les construire rigoureusement. Il ne faut jamais
oublier qu'en fin de compte un argumentaire consiste à faire admettre
rationnellement une Thèse (Conclusion) à l'aidede prémisses. Une fois
maîtrisées les règles, il est possible de deven ir son propre critique de
son argum en taire et de ses raisonnements.

2.4. La schématisation des a rgumentaires


Il existe pour schématiser les argumentaires un outil que nous allons
présente r brièvement. le schéma en arbre est certainement la façon
de représenter visue llement un raiso nnement la plus facile à maî-
triser21. La démarche est relativement simple; elle se décompose en
trois parties.

27. L'ouvrage de l'ierlt' Blackburn, op. d t., p. 89-124, ~ œrtainl"mentlemeilleuroulil


pour apprendre à faire un schérn.:1 en arbre..
_5 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

l. Il faut d 'abord identifier la Conclu<>ion ou la Thèse générale qui


sera soutenue. Une fois identifiée (f), on numérote chacune des
prémisses en procédant comme nous l'avons fait dans plusieurs
exemples: ( 1), (2), (3), etc. les obtections sont n otées (obj.) et
les réfutations de l'objection sont identifiées (Robj.).
2. On regroupe ensuite les prémisses selon les thèmes auxquels
elles appartiennent. Dans un argumentaire, il peut y avo ir plu·
sieurs thèmes ou un seul. Pour chaque U1ème, o n cherche la
prémisse qui fait figure de Conclusion et on identifie les pré-
misses qui la soutiennent.
3. Il faut enfin vo ir si les prémisses sont liées ensembles (il est
nécessaire d'avoir les deux ou les trois pour souteni r une
Conclusion) ou indépendantes (chaque prémisse soutient la
Conclusion indépendamment) des autres. Il suffit alors de
constru ire l'arbre qui schématise J'ensemble des prémisses et
la Conclusion en utilisant la rep résentalion construite pour
chaque thématique.

Une fois encore, illustrons le propos avec un exemple. Nous avons


construit un argumentaire sur le Québec faisant une synthèse des argu-
ments défendant l'idée du Québec comme pays en deven ir.
(Q le Québec en un pays en devenir. (1} Toute nation doit évoluer vers
son autodétermination. (2) l'autodé~rminatlon d'une nation se traduit par
la réalisation d'un pa~ souverain . (3) le Québec est une nation re<:onnue
comme telle par certaines instances internationales comme la Francopho·
nie et l'UNESCO. (4) La simple re<:onnaissance extérieure est..elle suffisante
pour qu'il y ait nation? (S) Une nation repose sur un sentiment national fort
comme le soutient le professeur Fernand Dumont. (6) La population des pays
souveraii'IS et des .. pays en devenir • ont une fiertk commune polK leur nation
qui se traduit par lX1 sentiment nationaliste. (7} les pa)'5 souverains ont tous
une fête nationale où leur peuple exprime leurfiertk envers leur nation. (8} le
Québec a une fête nationale, la fête d e la Saint-Jean, qu'il célèbre fièrement le
24 juin chaque année. (9} À l'occasion de cette fête, les Québécois affichent
fièrement leur appartenance à leLX nation. (1 0) le gouvernement canadien
n'a.t-il pas reconnu la nation québécoise sans pour autant accepter l'idée que
cette province canadienne devienne lX1 pays? (11) la visée politique d'LXle
telle reconnaissance est évidente; ma i n~nir le Québec dans la confédération
canadienne. (12} Cette remnnaissance n'évacue en rien le droit à l'auta -
détennination de la nation québé<:oise. (13) le Québec agit déjà de façon
autonome sLX la Rène internationale en exerçant depuis 40 ans des relations
internationales. (14) les relations internationales sont l'espace d'interaction
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ _ _5_5

des hats souverains. (15) Tout pays souverain a une structufl! institutionnelle
politique bien établie. (16) Le Québe<- s'est doté d'une structure institution-
nelle politique, I'Ass.emblée nationale, où des décisions officielles et fondées
sont prises pour l'ens.errblede son territoire. (17) Pour articuler cette structufl!
institutionnelle politique, il faut un gouvernement légitime. (18) les meml:res
de I'Ass.emblée nationale sont élus démocratiquement et œprésentent l'ex-
pression populaire de la nation québécoise.

Essayons de reconstruire l'argum entaire à partir des t hématiques


identifiées. On a parlé plus h aut de raisonnements. Les deux termes
sont synonymes; pour les besoins de l'exemple, on parlera de théma-
tique. Il y en a six qui seront identifiés de la man ière suivante:
1. La l "' thématique est cell e de l'autodétermination. Elle com-
prend les prémisses (l) et (2):
(1) + (2)

2. La 'l! thématique porte sur la reconnaissance extérieure et com-


porte une objection (3) et (4}obj.:
(3)

T
3. La J<' thématique po rte sur le sentime nt nalio nal e t regroupe les
prémisses (5), (6), (7), (8) et (9); elle comporte des réfutations
d'objections:
(5) Robj. + (6) Robj. (8) + (9)

1
(7) Condusion du raisonnement

4. Dans la 4~ thématique, la reconnaissance de la n ation, on


trouve les prémisses ( 10), ( 11) e t (12). Une fois e ncore, on a
une objection et des réfutations d'objections:

00)10bj

(11) Robj. + (12) Rob).


_5 6_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

S. La S• thématique, les relat ions internationales, est argumentée


à l'aide des deux prémisses ( 13) et (14) :
(13)

T(14)

6. La & thématique porte sur la structu re institution ne lle et com-


prend les p rémisses (15), (16), (17) et (18):
(16) + (17)

-r (18)

T
En regroupant l'ensemble de nos raisonnements ou thématiques,
on peut construire le schéma suivant:

(3) (10) (13) (16)+(17)

T T T 1

'~1}/
(C)v
On a pu ainsi suivre tout l'argu mentaire en ses différents raison-
nements. Le schéma en arbre permet d'en rendre compte d'un seul
coup d 'œil. On a pu observer ce qu'il y avait dans cet argumentaire:
des affnmations, deux objections, deux ré futations des objections, des
prémisses liées, d es enchaînements plus co mplexes. !.salon s u n instant
les raisonnements sur les objections et leur réfu tation. La première
Argtmwmaiœ et misiHmemt'ttt _ __ 5_7

objection est la suiva n te: (4) La reconnaissance extérieure est-elle


suffisante? On comprend la n ature de l'obtection qui est faite: le fait
pou r le Québec d'être reconnu comme une nation par des organisa-
tions intern ationales implique-t-il que cette nation doit devenir un
pays? Quelles sont les prémisses de la réfutat ion? On en a identifié
dnq: (5) Une nation repose sur un sentiment national fort co mme le
sout ient le professeur Fernand Dumo nt. (6) La populat ion des pays
souverains et des .. pays en deveni r" on t une fierté commune pour
leur nation qui se traduit par un .se ntiment na tionaliste. (7) Les pays
souverains ont tous une fête nationale où leur peuple exprime leur
fierté enve rs leur nation. (8) Le Québec a une fête nationale, la fête
de la Sain t-jean, qu'il célèbre fièrement le 24 juin chaque année. (9) À
l'occasion de cette fête, les Québécois affichent fu'>rement leur appar-
tenance à leur nation.

Il est intéressant de noter dans cette réfuta lion un appel à l'auto-


rité. On fait référence au propos du professeur Dumont.

Dans l'a utre objection, la réfutation est plus politique: (11) La


visée politique d'u ne telle reconnaissance est évidente; mainten ir le
Québec dans la confédération canadienne. Ce genre d'argument dans
un argumentaire sur le statut de pays du Québec est tout à fait accep-
table; il le serait moins dans un aut re contexte. La réfutation est Inté-
ressante parce qu'elle permet de mieux appuyer notre TI1èse avec de
nouveaux arguments tout en rejetant des objections possibles.

L'argumentaire a insi schématisé rend pl. us facile l'examen critique.


Les forces et les faiblesses sont exposées; il devient plus facile de renfor-
cer les raisonnements plus fragi les., de mieux articuler la force des liens
entre les prémisses; la thèse en fin de compte est m ieux défendue. Les
avantages d'un tel schéma sont fort nombreux. Nous veno ns de voir
pourquoi.

Ces considératio ns th éoriques sur l'argumentation so nt utiles


pou r organiser d'une manière rigoureuse le raisonnemen t qui sera
utilisé pour défendre la Thèse de son mémoire de m aîtrise o u de sa
recherc he doctorale. C'est aussi un outil fort pertinent dans l'évalua-
tion critique que l'on peut faire des raisonnements d'autrui simple-
ment pour nous pe rmettre d'identifier la Conclusion (Thèse) et les
arguments d'un texte. Le proposant peut faire u n sc héma en arbre
chaque fois qu'il construit un argumentaire, c'est-à-dire pour chaque
_5 8_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

sous-thèse. Enfin, il n 'est pas nécessaire d'apprendre par cœur les huit
lois du raisonn ement déductif, mais plutô t de développer une certaine
a ptitude à reconn aît re les raisonnements va lides. Voyons maintenant
concrètement comment on peut argumenter son mémoire de maî-
trise ou sa thèse de doctorat. Il importe d 'abord de b ien saisir ce qui
constitue un a rgument.
un
CHAP ITRE

PREUVE, ARGUMENTS ET THÈSE1


La recherche du sens du monde n'a elfe-même de sem
que lorsqu'on ~l en mnure de bien orgummter
celui que noos: prêtons au monde.

C onstru ire une preuve pour son mémoire de maîtrise ou sa thèse


de doctorat se mblera une démarche pour le moins étonnante. F.st-ce
bien une démarche méthodologique pertinente? Si la réponse semb le
évidente pour certai ns, on ne voit toujou rs pas e n quoi elle est néces-
saire. Ne confondons pas non p lus la preuve avec l'argument. Si la
première apparaît néœss.aire et engloban te, l'argu ment se résume assez
souvent à la p résentat ion e t à l'orga nisatio n des données recueillies.
En effet, une fois l'h ypothèse ou la proposition de recherche énoncée,
ne devons-nous pas chercher les données qui permettront de vé rifier
ou de démontrer notre Thèse? Ces données n e représentent-elles pas
finalement les argumen ts qui vo nt la soutenir?

La répon se se révèle tellement évidente qu' il ne paraît pas n éces-


saire d'e n d ire davantage. Une Th èse est sou tenue; e lle est ensuite
démontrée par des faits ou des don nées. Ce seraient là les arguments

1. l.es auwurs remeràent Pierre Drouilly, professeur au Département de sociologie de


I1Jnivel'iit~ du Québec .i Mont~al, pour .sa lecture attenti\.·e decechapitœ et pour
ses suggestions et commentaires enrichissants.
_
6 0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

en~ faveur. Est-ce là JX>ur autan t une preuve? C'est en général œ qui
correspon d non seulement à l'idée commun e que l'on se fait d'un argu-
mentaire, mais elle résume aussi assez bien la pratique habituelle en ce
doma ine. Pratique qu'on peut désigner à l'aide de l'expression .. idéal
empiriste ... Il consiste à croire que les données confirment ou non
notre Thèse et que c'est là une tâche in dispensable à accomplir dans le
cadre d'une recherche s.cienlifique. Est-ce exact ? Il y a ici une confusio n
fréquente entre preuve et arguments. C'est aussi mal comprend re la
preuve et les argum ents que de les rédu ire ainsi aux données d'enquête.

3.1. Faits et données


La collecte des données ou l'identificat ion des faits représenterait la
tâche principale pour argumenter so n mémoi re ou sa thèse. Elle doit
être vérifiée empiriquement 2• Les données sont souvent confondues
a vec les arguments. Pourtant, les deux n'appa rtie nnent pas au même
type logique. L'idéal e mpiriste ne nous égare-t-il pas? Est-ce aussi
simple? Faits, données et arguments sont-ils synonymes? Quel rapport
existe-t-il entre les do nnées, les faits et la p reuve?

Disons- le d'entrée de jeu: l'argmnentai reest organisé en une suite de


raiso1mements cohérents et pe rtinent s comrnsés d'arguments construits
à partir des données coll igées. Un raisonnement, nous l'avons compris,
comrnrte p lusieurs arguments. L'ensemble constitue une preuve, c'est-à-
dire ce qui permet de déc ider de la validité ou non d 'u ne Thèse. On
est jugé à la fols su r les a rguments (parties) et sur la preuve (le tout).
Voyons d'abord à distinguer entre données et arguments.

Il y a en effet un rapport ét roit entre les deux. Les données vont


constituer, c'est une éviden ce, une partie utile de nos arguments. Cette
évide nce mérite cepe ndant un examen plus soigneux. En supposant
que toute hypothèse doit ê tre vérifiée empiriquement, la soumettre

2. Ce n't':lil pastouioursle cas. spkialt'lllt'lll pour un mfmoiredt'maîuist'ouurethkt'


dt' doctorat de nature plw théorique. Dans œsc;u de figure, il n 'y a pas à prOJlre·
ment pari« de \~riflcation empirio:p.K' de b Thèse soutenllt', mais essentiellemenl un
argumentaire.l'expticaüo n est simple. ~sdencesllOCiales 'IOnt peu fonnatisées; il
y a peu de rJisonnement qui, à partir d 'axiomes, en déduise logiqlM!mmtlesconsé·
<tu ences nkess.aires. refSOnne n'est assez naif pour croire qllt' le réalisnw (ou néo),
l'imtitutionnalisme (ou néo), lecomtru.ctivisme, la thk>riecrilique, etc., .sont des
lhéorles au sens fort du terme.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ __ 6_1

à l'épreuve de la réalité comme on aime le p roclamer, les données


colligées ne représentent pas à proprement parler des arguments. On
désigne par argument un énoncé, considéré en lui-même, qui prouve
ou réfute une proposition qui exige une justification. Si l'expérience
de la réalité passe pa r J'exposédes fa its et des données; ceux-ci doivent
s'inscrire dans un cadre référentiel pour devenir un argument. Si les
faits sont tirés des données de l'expérience bien établies (construits), le
raisonnement est l'organisation de ces faits en preuve dont l'objectif est
de rendre vraisemblable, crédible ou plausible une hypothèse ou une
proposition de recherche. Un fait n'est pas un argument; ille devient
dans un contexte théorique ou juridique donné. Rappelo ns qu'un fait
ou même une donnée ne constitue pas en sol un argument. L'idée sur-
prendra. Expliquons davantage.

Les arguments constituent les éléments d'un raisonnement pour


démontrer, rendre acceptable ou plausible une assertion (h ypothèse
ou proposition de recherche) ou une théorie. Ce que ne fait pas d'em-
blée une donnée ou même un fait pris isolément. Il faut d'abord lu i
donner une signification. Dire par exemple «Le référendum de 1995 a
fait l'objet d'u ne tricherie,. est une donnée. Mais la proposition n'est
pas encore un fait. Un jugement de la cour condamnant les coupables
de la tricherie pourrait lui donner valeu r de fait tou t autant qu'une
enquête }ournalistique reconnue indépendante démontrant la triche-
rie. D'une certaine man i~re. le raisonnement remplit cette fonction ; il
donne aux données une signification claire, le plus possible dépourvue
d'ambiguïtés. Il les constitue en fa it en les inscrivant dans un mod~ le
explicatif ou compréhensif composé d'u n ensemb le d'arguments reliés
logiquement ou signif1cativement.

L'argumentaire élabore une preuve, c'est-à-dire qu'il organ ise les


raisonnements d'u ne manière structurée, cohérente, hié rarchique en
mont rant les liens entre eux. Il é tablit aussi le lien de nécessité entre
les raisonnements et la Thèse pour que la preuve soit décisive. Il est
opportun de rappeler ici qu'une preuve est d'abord une opération dis-
cursive qui a ses propres règles de fonct ionnement. Il n'est pas usuel
de parler de preuve en sciences sociales. Ce n 'est pas notre intention
de J'introduire; nous croyons important d'en discu ter brièvement pour
rendre la démarche p lus évidente. La preuve est surtout employée dans
deux disciplines: le d roit et la science.
_
6 2_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

En dro it, la preuve est n écessaire pour décider d'u n litige. Elle
repose su r un argumentaire qui fa it appel à des faits, des té mo i-
gnages, des théories ou même à l'expertise sd entlfique. En sc ience,
nous le savons, la preuve est aussi nécessaire IXlur accepter ou reje-
ter une hypothèse. L'expérimentation joue souvent un rôle capital.
L'expérimentat io n consiste à soumettre nos h ypothèses à des tests p la -
nifiés, organisés en vue de vérifier leur validité. Les données de l'expé-
rimentation n e sont que des éléments de la preuve.
Entre la p reuve en d roit et en science, il y a au moins deux points
communs: 1) La preuve est une exigence dans les p ratiques où l'o n
tente de lever J'in certitude sur la va leur d'un éno ncé qui est posé
d'abord comme une conjecture. 2) La preuve comma n de un argumen-
taire: celui-ci est composé de témoign ages, de faits, de t héories scien-
tifiques, d'aveux, etc. fl le fait appel à des jugements de fait, de valeur
ou de prescript ions. En droit, tout ce qui peut valider ou invalider
u ne preuve est utilisé, y compris des p rocédés rhétoriques, a lors qu'en
science, on prêtera beaucoup plus d'a tt ention aux do nnées et à l'expéri-
mentation. Le témoignage n'est pas exclu, ma is plus rare et retenu avec
circonspection. On parle de corroboration de nos do1mées par d'autres
recherches et d'appel à l'au to rité.
La preuve relève d 'une prat ique concrète, de ce qu'il faut faire pour
démontrer notre hypothèse ou n otre propositio n de recherche. Cepen-
dant, il n'y a pas de preuve sa ns un litige à dénouer ou sans évaluat ion
de la valeur d'un énon cé. On le sa it, ell e ne fait pas seulement appel
aux jugements de fait ca r elle vise aussi à convaincre. fl le convoque
aussi la rhétoriquel. Elle se construit minutieusement, rigoureusement;
chaque donnée con voquée trouve s.a place dans un argumentaire e n
fonction de sa pertinence, de sa valeu r et de son effet rhétorique. On
notera qu'il s'agit d'un ensemble plus ou moins complexe et hiérarchisé
de raisonnements fondés sur des témoignages, des faits, des donn ées o u
d'expé rime ntations organisées en vu ede dénouer un litige. La preuve,
selon la conjecture en question, doit être solide e t convainca nte. Ava nt
de traiter d 'argument, il faut parler des don nées et des faits. Ensu ite,
on verra comment on construit un fait pour argumenter- vérifier o u
réfute~ - notre hypoU1èse ou notre p roposition de recherche. En fi n, il

3. La rhétorique esttraitk- au prochain cha pitre.


4. Nous utilisomletenn~>rifiii«CJ.r on li> trouvi>dam la linératuœen sciencesS<X:iales
dan~ un sen~ trèl différ~>ntdecduide Kal'l l"opper et de .sa théorie fahiftcationi51e.ll
t'$1 p/tn facile d 'utiliser une approche hypothétic:o-dl-docti.,.eoù les hypot~ ~nt
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ __ 6_3

faudra comprendre comment le fait s'inscrit dans une structure argu-


mentative. Pour apprendre à construire son argumentaire, il est néces-
saire de comprendre avec quoi l'on argumente.

3 .1 .1. Faits, données et argu ments


Il y a deux choses à reco nn aître. La première: il n'existe pas de fait
en soi. Les fa is n'existent que par s ignification. Cet énoncé est, pour
plusieurs, énigmatique, pour ne pas dire absurde. On invoque souvent,
sans le savoir, à propos de ceux qui nient la réa lité, l'argument du
bâton qui cons iste à demander: .. Accepteras-tu de recevoir un coup
de bâton pour prouver l'exactitude de ta croyan ce qu' il n'y a d e fait s
que par signification?» Il en est de même pour les faits. Ils ex isten t,
rétorqueront-ils! Il est impossible de nier, par exemple, que la Seconde
Guerre mondiale a vraiment eu lieu ou que la lo i 101 a été adoptée par
le gouvernement de René Lévesque. On adme ura volo nt iers que ces
faîts n'ont de valeur argument at ive que si je traite de l'h istoire occiden-
tale contemporaine. Il est déjà plus difficile de faire admettre l' idée de
Seconde Guerre mondiale à certains histo riens ou politologues arabes.
Ils contesteront le caractère mondial de cette guerre européennes. Pour
la loi 101, le fait n'est pas tant de savoir qu 'elle existe - il y a bien eu
le vote par l'Assemblée nationale d'une loi portant le numéro 101 -,
ma is de comprendre quelle significa tion on lui accorde. Il y a dans une
année des dizaines de lois qui sont proposées par un gouvernement. La
loi 101 est devenue u n fait parce qu'on lui a accordé une signification
polîtique particulière.

ptatiquementtoujours démontlkos que d'affirmer que la s-eule certitude que l'on


peut avoir sur un phénomè~ donné, <:'est que notœ hypothbe 1.'$1 fom~.j'imagine
la rkeptlon d'un organl'îme .m bwnlkiiVlaireou des membres du jury de thèse ck
doctoral face à une telle affirmation On \'l'Ut des vérités, d es fain démontrables.
p.:u des ratiocinationJ épbtt'mologiqu~
S. l.'histoirt'est c~nain~mt•nt la sden<:e où les fain sont les plus <:ontrm·ersés. d ' un
pays! l'autre, pour ne pas parler d 'une dvl6sation à une autlt'. Non s.euk'nJefU Il'$
faits peuvent varier mais ceux qui sont re<:onnui semblabk's n 'ont pas la même
signification. u~ défaite pour l'un est souvent une victoire pour l'autre qi.K'isqUt"
soient les faits ou lesdonnk-5.11 y a auui que toute \i<:toire est wmposée ck petites
défaites et que toute défaite est <:onfeaionnée dt• p~tites victoires. Ce n 'est pas par
C)nism(' ou pour des raisons po6tiquesque l'on crie \i<:toire quand son armloe vient
dt! subir une défaite. La frontière entre \idoire et défa ite est toujours arbitraire
pul~ue c e ne sont que d es significatiom ou des signifiann vicks. Le débat - on
ckvrail plutôt dire la lutte - pone sur sa <:apacité à impost>t sa vision des choses; .î
faireauepter mm me fait hhtorique quesa défaite mililaitl' l'$1 ph.! tôt Ufll' victoire
politiqu e. L'Histoire joue id un rôle c.apital
_
6 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Un e disti nction importan te s'im pose. Il y a les tlomt{>t•s, ce que


certains appellent des faits de .. premier ordre .., et les f{1its, les don nées
de .. second ordre ... On désigne, pa r fait de premier ordre ou donnée, les
personnages, les événements (batailles, guerres, convent ions de paix,
tra ités, découvertes, institutions reconnues, etc.), les dates qu i sont
historidsés. On entend par là celles produites par des institutions œcon -
nues et auxquelles on accorde une valeur object ive (el les prennent sou-
vent la forme du n om propre). L'enseignement de l'histoi re est rempli
de faits de prem ier ordre: dates, personnages, guerres, batailles, grands
événements socîopol itiques et ainsi de suite. O n entend en généra l par
fait de second ordre la signification que prennen t ces données con si·
dérées comme objectives, l'interprét ation q ue l'on e n do nne<>. Quelle
signification possède la Révolution tranquille québécoise, la guerre
froide, la colonisation e n Afrique, la guerre de 1939·1945? Ces évén e·
ments pris au niveau de leur significat io n dev ien nent des faits. Aut re.
ment dit, les faits relève nt de la valeu r qu'o n leur attribue; celle-c i peut
l'être par des organismes, des gouvernements ou des institutions et des
cherche urs reconnus dans une o u plusieu rs sociétés données' . C'est
a vec rn derniers fait5 que l'on travail le dans son mémoire ou s.a thèse.

Ainsi, u n d üffre n 'est pas un fait, mais un e d onnée. Par exe mple,
dire • 30% des Québécois pensent que l'avortement est u n dro it acquis
pour les femmes .. est une donnée. Cette donn ée a une valeur à titre
de donnée d'enquête. Elle est un produit, mais pas encore un fait. fJie
devient un fait lorsqu'o n lui donne une signification, mais e lle ne l'est
pas s implement parce qu'elle est un résultat obtenu lors d'un sondage.
Le sondage ne transfonne pas d'emblée une donn ée en fait, m ais il a
en géné ral cet effet sur les gen s. «C'est vrai puisque le dit un sondage .. ,

6 . Il n'y a jamais delignifu:a tion objectiw puisque par définition ln faits, la v aleur
accOfdée à œnaine-s données, dépendent de l'interp~talion qu'on en donne. Il y
a dt"' tunt"' pour imposer telle ou telle interprétation. Certaine-s institutions ont
plus de poids q u e d'auiiH dans la lutte pour dominer le champ symbolique de5
interpretations
7. l..e gouwrnement de IJ Turquie mène une campagne très importante auprès entre
aUires desgouwrnemmu des pays occidentaux contu.•la reconnaissance dusltvcide
arménien. Il a menacé Je gouvernt"ment des bau-Unis d e retirer seJ baseJ militaires
de son territoire si la chambre des repr-ésentants du Congn."s étasunien donnait
une forme quelconque de reconnabsanœ à CC' • fait ~. Ya·t·il eu o u non génocide
du peuple arménien? Il est d iflidle d 'y repondre. La question n 'Hl pas ~ulement
théorique ou rhé-toriqlK' pour les Arméniens ou pour les Turcs. Pour en amir d iJCuté
avec une amie turque, on comprend vite qu'il s'agit d 'autre chose ; mais quoi au
juste1 C'est pratiq uement impossible de le savoir.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _6_5

entend-on souvent Il produit des d ormées institutionnalisées, Ils sont


le résultat d'un travai l qui utilise des méthodes et des techn iques jX)ur
produire des données. Personne ne prétend que le 30 % est un fait ;
c'est une donnée qu'il faut maintenant inteq>réte r. Ce n'est pas là une
chose aussi facile qu'on peut le penser. Il y a dans la société des luttes
dont la visée est de dormer une sig nification à ces données. Il s'agit de
luttes symboliques entre institutions, chercheurs, gouvernements, e tc.,
pour les imposer comme faits, pour le ur prescrire une sign ification ' . De
la donnée a u fait, il faut donc comprendre le processus par lequel la
première est transformée et surtout réaliser qu 'un fait n e s'impose que
grâce à un rapport de force. L'argumentation e t la rhétorique sont les
principaux instruments de ces luttes; malhe ureuse ment ce n e sont pas
les seuls' . Nous verrons comment on doit faire d'une donnée u n fai t
pour argumenter sa Thèse. Nous avons à peine esquissé la question de la
différence entre fait et donnée; le t emps est venu d'élaborer davan tage.
Disons d ès maintenant qu'on a rgumente avec des faits, des jugements
de faits surtout.

Qu'est-ce qu'un fait ? Le do nné 10 , comme le terme l'indique, est


une observation empirique pure te lle que saisie par l'intuition . JI est
ce qui est là, le là clewmt moî. Autre ment dît, c'est une présen ce immé-
diate à la conscience, Le donné s'appréhe nde par les sens. Il est le déjà
là, le ce qui est. L'être, sa présence, est l'attribut princ ipal du donné .
Il est relativement facile de s'entendre sur le donné, mais, et c'est la
principale d ifficu lt é qu'on re ncontre avec lui, il n e nous apprend que
peu de chose sur le monde. La France, la Côte d'Ivoire, le Qu ébec sont
des donnés. Il est difficile d'argumenter à propos d'un nom propre
sauf si o n en conteste l'être. La co ntestation n'est pas faci le. Qu i peut
nier l'existence de la Côte d 'Ivoire? Qu e d ire a lors de la d om ination
politique, de la guerre comme méca nisme de régulation, du vote, de

8. Il e~t fadle de 1'en 1\'ndrecompte en con1tatantl'dfort de plusieun groupe~, lodi·


vldm ou lmtitu liom pour donner une signif:u:ation à u • :Il%. Il faut co mp11'ndre
cet e ffort pour fa iredecettedonnêeun fait
9 On pen.se aux nombl\'uses doctrine!'> religie uses, politique$, aux idéologies, aux
mythl-s. aux slogans et aux fonnule~ politiques. etc. Ce sont tous à leur faço n des
procédén visant à traruformer des données en fa its.
10. Il imponede bien dbtinguer donn~ et donnfe. Le premier rtS~voieà une chose qui
e~tl à devant moi. une ch()S(' qui n 'e!il possible que si on en comtitue la saisie; la
donnét' e~ttout ce qui est recueilli d 'une nlani~re rigoureuse en vue de la traiter
avec des outils mathématiques ou statistiques.
_
6 6_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

l'adoption d'une loi? Ce sont des donnés qu' il faut transformer e n


fait. Quand considère-t-on qu'un conflit devient une guerre, combien
de gens doivent se fai re massacrer pour que le génocide soit un fait?

L'être n 'est cependant pas un attribut suffisant tX)Ur nous pennettre


de saisir la signification d'une donnée. Il ne nous d it rien sur la ch ose
elle-même. Ce ne sont que des attributs grâce auxque ls il est possible de
développer une connaissance de la chose . Dire qu 'une chose est (existe)
nous apprend peu sur ses caractéristiques, sur comment elle s'inscrit dans
le monde, c'est-à-d ire selon queUe moda lité (signification) elle existe
pour nous. On comprend mieux l'importance de l'argume n tation; les
faits ont une importance capitale dans nos manières de nous gouverner
nous-même et les aut res. La réponse à ces questions se trouve dans la
culture, da ns la signification qu'on accorde à tout ce qui existe . Parler de
culture, c'est w1e référence trop vaste JX>Uf permettre de saisir le processus
par lequel un donné devient un fait. Il faut parler d'interprétation, de
sign ification et, dans certains cas, de la valeur qu'on accorde au donné.

Par in terprétation, on en tend généralement la pratique qui con-


siste à prêter une signification à un évén ement o u à une chose. Il ne
s'agit pas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, de saisir le sens
comme s'il fallait seulement le recue illir. Interpréter, c'est prêter sens
à que lque chose qui n'en a pas d'emblée , lui donner une signification
singulière, une vie distinctive. C'est une question très difficile que celle
d'interpréter dans la mesure où mon existence est elle-même mise en
cause. Interpréter c'est d 'abord donne r vie à soi-même, c 'est déterm i-
ner qui je suis. Plutôt que de recueillir, il faut parler de produire de la
signification. Pensons à un artiste qui interprète une œuvre musical e. Il
ne che rche pas uniquement à jouer les notes l'une après l'autre dans le
bon ordre, de la bonne manière, su ivan t en cela les d irectives du com-
positeur; il veut en déco uvrir la signification. JI sou haite en éprouver
tou te la puissance. Il désire lui donn er vie.

Une chose n'existe que parce qu'o n lui accorde une significa t ion
ou une valeur. L'exemple qui suit devrait mieux faire comprendre l'idée
de sign ification comme modalité d e l'existence d 'une chose. Une p ierre
est un minéral, un objet sacré ou précieux (ayan t une gran de valeur
monétaire). Elle existe pour nous sous ses différentes modalités. Elle
n'est pas plus l'un que l'autre; le m in éralogiste n 'a pas plus raison que
le prélat ou le joaillier, mais l'existe n cede la p ie rre dépend de la signi-
fication que chacun lui accorde e t de sa capacité à l'impose r comme
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _6_7

étant sa véritable réalité. Le joai llier qui affi nne que cette pie rre est un
diamant a de bonnes chances d'imposer sa signification c ar il est un
spécialiste reconnu des pierres précieuses. Elle reste un minéral pour
le minéralogiste qui se soucie assez peu, sa ns l' Ignorer comp lète ment,
de la valeur marchande du diaman t dans nos sociétés. Pour certains, Je
fait que la p ierre soit un diamant n'a aucune valeur puisque pour eux
la pierre est sacrée, la représentation de la substance divine. On voit
mieux maintenant comment une pierre devient un fait.
La contingen ce du donné re nd précaire son utilisation dans un
raisonn ement. Chacun regarde le monde à sa façon et il prétend, a vec
justesse, que son observation est aussi valable que celle des autres. Com-
ment le convaincre que cette pierre n 'est pas sacrée, qu'elle a ou n 'a pas
de valeur économique11 ? Pour le joaillier, la chose est simp le. Selon ses
critères d'expertise, la pie rre est ou n'est pas un diamant. C'est moins
simple si je parle plutôt d'une pierre sacrée. Le d onné est peu utile
en science si ce n 'est pour signale r au plan métaphysique qu'i l existe
quelque chose p lutô t que rien. Si le don né n e sert pas véritable ment,
le fait peut-il nous être u tile? N'est-il pas un donné?
Le fait se ra d éfini comme un donné élaboré en vue de s'insérer
dans u n système ou plutô t dans un langage plus o u mo ins formalisé
nous permettant d e comprendre le monde qui nous entoure. Il n 'y a
de faits que par signification, avons-nous prétendu. Il y a donc une
construction du fait. Soyons plus poin tu encore et précisons ce que
l'on entend par construction d 'un fait. Nous devons d'abord préciser
un certain nombre de choses: 1) Le fait ne re lève pas de l' intuition
immédiate. 2) Il n 'acquiert de signification que par rapport à d'autres
faits. 3) Le fait est de l'ordre de la signification; il obé it à des règles
part iculières de production , celles de l'interprétation, se lon les discou rs
dans lesquels il s'inscrit. Un fait en physique n'est pas le m ême qu'en
histoire, en sociologie ou en science politique. Il est mê me très difficile
de les transposer d'un discours à l'autre. L'attribut politique, sociologique
ou ltistorique accolé à un donné lui confère une significati on particulière
et un statut différent dans une société donnée11 • Attardons-nous a ux
deux dernières caractér istiques du fait

1 L On pourrait au moins f'SS.l}"f de lui faite a<:œpter l' idée qu'elle e;t .i b fois toutes
çe-sçh~ en mème lem~.
12 Voir sur çette que-stion Lawll'nŒ Olivier etal., &penser l'llistoiudes idirs politiqm•s :
ré{lu i011s thforiqut':5. Montréal, Département de sdençe politiq ue, Unh.·ersité du
Québeç à Momréal, çoll. • Note de redleu:he ~. 2001
_6 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Dire qu'un fait n ' acquiert de signific ation que par rapport à
d 'autres faits est certainement la proposition la plus importante dans
l a définition d'un fait. Il importe de bien le comprendre pour pouvo ir
argumenter une thèse de doctorat ou un mémoi re de maîtrise. Un fait
est une relation avec un autre fa it. L'important, ce n'est pas tant la
co présence de deux faits, mais la relation. C'est elle qui construi t la
signification, qui donne u ne valeur, qui fait d'un donné un fait. Il y a
trois choses qu' il importe de saisir: 1) La relation est le fait. 2) la signi-
fication est dans la relation. 3) La dynam ique re lation/significati on est
ce qui lient lieu de fait. Précisons notre idée.

La relation est Je fait. L'énoncé est certainement très difficile à


saisir tant nous sommes habitués à concevoir le fa it comme une entité
unique, une unité. Le fait est conçu en général comme porteur d'un
sens. C'est ce qui nous autorise en général à parler de fait. Pourtant,
c'est l'inverse qui se passe. Ce qu'on désigne par fait est un ensemble
vide. C'est un dom1é, qui attend qu'on lui prête une signification. 1.11
démarche est relativement simple; il n'y a de fait que dans la rencontre.
Une donnée doit être mise en présence d 'une au tre donnée. La relation
entre les deux constitue u ne signification. Les exemples sont nombreux
et faciles à comprendre: la feuîlle et l'étendue, le bois et la solid ité, la
guerre et les pays. Dans ces exemples, les liens entre les faits ne sont
pas toujours de nécess ité; la guerre ne se fait pas toujours entre pays
même si par ailleurs la feuille de papier possMe toujours une étendue.
Il n'y a pas de feuille de papier sans ét endue; ce lie-d est la condition de
possibilité de la feui lle, sa co ndition a priori. La feuille de papier suppose
une étendue car c'est une manière de l'établir en réalité.

Maintenant, la deuxième chose notable à garder à l'esprit : malgré


la nécessité d'une relation, on ne voit pas comment elle s'établit. Ce
n'est certes pas l'effet du hasard; le fait doit avoir un caractère d'évi-
dence et de certitude. La relation est établie par le système référen-
tiel, cadre théorique, qui détermine à la fois les données pe rtinentes
à regarder, le type approprié de rapports possibles (cause, variation,
structuration, etc.) et les liens logiques entre elles. L'ensemble permet de
produire une explica tion ou une compré hension. Toutes deux ne sont
que des formes dérivées de significa tion. Le cadre référentiel permet
d 'établir des liens de nécessité. C'est cette nécessité qui fait d'un donné
un fait. Attardons-nous un moment â ce lien de nécessité.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst

Il ex iste deux grands types de nécessité: catégorilJitf ou incon-


dit ionne lle et ltypotllétique ou condit ion nelle. Le p remier re lève des
principes de la logique. Il s'agit d'une nécessité qui lie très fo rte ment.
Dans ce premier cas, je ne peux douter qu'une chose existe (fait) sans
violer les principes de base de la logique. les liens logiques puissants
tiennent lieu de nécessité. la logique ag it comme critère d 'évaluation
de la nécessité. Plus le lien logique est fort , plus la relat ion e ntre les
énoncés est rigoureuse. F..st nécessaire ce qui respecte les trois principes
de la logique class ique (identité, non-contrad iction et liers exclu). Cer-
tai ns syllogismes relève nt de la nécessité catégoriqueu . On pense à la
conclusion d'un syllogisme. Il est nécessaire qu'elle repose sur des liens
logiques syntaxiques fo rts avec les prémisses. Est nécessaire ce qui peut
toujours être d it d'une chose, d'un événeme nt ou d'une personne. Elle
relève d'un prédicable essentiel. Di re ~ une feuille de papier est étendue..
est un bon exemple. On ne peut imaginer une feuille de papier sans
étendue. Ce t ype de nécessité est plutôt rare en scie nces sociales et il
relève des systèmes formels.

En science, on fait surtout appel à la nécessité l1ypotllétique o u


conditionnelle. On la désigne aussi du nom de dé marche h ypothético-
déductive. La contingence y joue un rôle important. On entend par
contingence les choses qui sont en contact, en rapport ~. Le lien entre
1

les choses n'est pas aussi pu issant que dans la n écessité; il n'est pas
non plus complètement dû au h asard. Il est probab le. Cela ne veut
absolument pas dire que les conclusions n'ont pas de valeu r. Il importe
de distinguer l'usage que les sciences et les sciences sociales e n font.
En science, on pose un certain nombre d'ax iomes à partir desquels on
déduit l'ensemble des conséquences logiques. Les axiomes sont des
énoncés considérés comme vraies (ou non démontrab les), sources de
toute démonstration mais n e pouvant en faire l'objet. Il n'y a pas à
les justifier, mais à dégager les conséquences logiques de ces axiomes.
On comprend que les sc iences se présenten t comme des systèmes très
cohérents, solidement articulés où la nécessité est très forte entre les
prémisses et la conclusion (fhèse). On parle alors de système formel;
ces systèmes o nt des exigences e t des lois qui leur sont propres.

Il. Voir le chapitre 2, p. 39 et suivantes.


14. VIctor Thib.audeau,lfl. dt., p. 17'9· 180.
_
7 0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

En sciences socî.ales, la manière de procéder est un peu différente


sans pour auta nt altérer leur statut de science. On énon ce, en général,
u ne Thèse - dont on ne discute pas le bien-fondé 1.S - que l'on c hen:: he
à argumenter à l 'aide de faits. C'est une forme affaiblie et affadie de la
nécessité conditionnelle1" . C'est à cette logique que se rattache pour la
plupart la démarche du m émoi re de maîtrise ou de la t hèse de doctorat.
C'est donc dire que les faits doivent a voir un lien avec la Thèse, un lien
évident (probable) e t surtout pe rtinent. La nécessité est condit ion nelle
même si J'expression paraît paradoxale et la conclusio n est plus sou-
vent qu'autrement seulement probab le. Le terme probable peut donner
l'im pression qu'il est difficile sino n impossible d'atteindre la certitude.
Ce n 'est pas le cas; il faut seulement noter qu'en sciences sociales Il est
très difftcile de démontrer des liens de nécessité p uissants. Le nombre
de variables est trop élevé et changeant. Par e xemple, une cause produ it
un effet qui devient lui-même une cause d'au tres variab les. JI n'est pas
toujours fadle de distinguer une cause d'un effet tant l'enc hevêtrement
des deux est con stant et d iffidle à identifier. Si l'évidence relève de la
logique, la pertinencedé~nd de la force du lien qu i unit deux propo-
sitions. Elle découle de la compréhension- théorique et logique - de la
Thèse énoncée. Est pertinent ce qui s'impute directement de la Thèse.

La pe rtinen ce des faits est un critère supérieu r dans la perspective


de l'argumentaire à la quantité des faits ou des données rassemblées.
La raison est simple: c'est le lien de n écessit é entre les faits qui importe
a van t toute autre considérat ion. Il ne pourrait à la limite n'y avo ir
qu'un seul a rgument. Il y a donc un t ravail préalab le à faire sur les faits.
Comment faire d'une donnée un fa it pertinent ou un argument e n

I S. En fait, il f.lut apporte r les précisions sulvante:5. li> bim·{umll de la Thèse est établi
en amont lm~ de la revue de la documentation ou dl" l'état de la q uestion. 0;-lle-cl
pt'rmet d'établirqu'elle s'im.all dans lesdébab <k la disciplirr; elle appartient .i un
ç hampçognitif donné;elle est une lipome à une question de ra:hen:;:he daireme nt
présentée. La Thbe est un i" affirmation, u ni" tonjedure, q u 'il f aut justifier. Son
bim-fomll est discuté à J'aide des a~uments. Un raisonntJnent faible ou trk faible
rond uira à :10n rejet mais, en général, elll" est rare rrn:-nt refu5ke d 'emblée. Le tas
khlam, il n 'y a pasâ débanu•.Si la déman:::he h}VOthéti<:O· dé<h.IC"tÎ\leestlargement
utilisée en stlentes sociales, te n 'est pas la seule. La déman:::he inductiw est aussi
utilisée ainsi que des logiques mixtes <:omme <:hez Michel C rozier qui utiliR une
approo:he hypoth1?tito-indoctive. Gregory Bateson et l'aul feyerabend font appel à
une approche maleu tiq ue (dialogiqu e).
\ 6. Il n'ya pas, à quelque:sexœplions près. ffiO)'t'n defaire autrement.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _7_1

faveur de notre Thèse? Avant de répo ndre à ce tte question, précirons


certaines choses utiles à propos de l'hypothèse et de la proposit ion de
recherche.

3.2. Comprendre sa Thèse


3 .2. 1. L'hypothèse
Lorsqu'on parle d'hypothèse, il importe de comprendre que l'on a affaire
à des énoncés postulatoires11 • En effet, une h ypothèse, rappelons-le,
énonce une relation entre des fa its virtuels. Dire qu'il y a une re lation
entre la langue et le vote est un fait virtuel qui exige une vérification.
Un fait virtuel étonne jusqu'au montent où on saisit qu'il s'agit d'une
conjecture, une supposition qui paraît plausib le et féconde. Celle-ci,
l'hypothèse, est en général de nature probabiliste. Il s'agit à pa rti r des
données colligées et grâce à des outils statistiques de vérifier la relation
postulée entre mes var iab les. Deux rema rques s'imposent : la première
concerne l'usagedes outils statistiques et la seconde, d avantage la véri-
fication elle-même, le lien des arguments à l'hypot hèse. Auparavant, il
faut saisir le sens de notre hypothèse.

Il faut bien comprendre le sens logique de notre hypothèse ou de


notre proJX>sition de recherche 1$. Rappelons-le, l'hypothèse est une pro-
position qui met généra lement en relation deux variables(une variable
dépendante et une variable indépendante) à l'aide d'u n marqueur de
relation. Avant de construire un a rgumentaire, il faut être en mesure
de saisir ce qu'implique la relat ion que nous cherchons à établir entre
nos deux variables. Si je soutiens l'hypothèse .. Le vote pour les partis
politiques varie selon la langue d'usage des électeurs "• il faut rom-
prendre que la signification du marqueur de relat ion ~·arie. Mon hypo-
thèse m'ind ique dé jà la voie à suiv re: je cherche à établir un lien de
variation. Une chose varie selon les paramètres de variation d'une autre
chose avec laquelle elle est mise en rapport. Elle peut être positive ou
négative. Prenons l'exemple simple de deux part is politiques pour la

17. Gilles-Gmon Granger,Lt1 1ffi{imtion, Parts, Odile jacob, 1992, p. 221-249.


Ill. Nous n'allons pas ftlpéter chaque fois les tl'rmes hrpothi!wet propositim1 ,,.. ft.'chnr he.
l.ech<~pitre 1 a bien établi la différenœente les deux, ce qui nou.~ oblige à les tfaiter
l'un après l'autre.
_
7 2_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

va riable dépendante, le Parti jaune et le Part i noir, et les langues d'u~e


suivantes pour la variable indépendante: Je m arsien et Je vénusien. La
variation suggérée par l' hypothèse a quatre conditions de vérification
qui prédsent la nature de la variation. On peut le comprendre de la
manière suivante: les marsinophones votent pour le Parti jaune et les
vénusophones votent pour le Part i noir. La rela tion inverse est aussi
très valable: les marsinophones votent pour le Parti n oir et les vénuso-
phones votent pour le Parti jaune. Pour établir cette relation, je devrai
faire appel à des out ils statistiques qui me permettront de mesurer stat is-
tiquement la variation, et de vérifier si elle est significative. O n en te nd
par là si la relat ion existe réellem en t ou si elle est due au hasard. S'il
y a relation entre la langue et le vote, on cherche à voir si elle est sta-
tistiquement significative. C'est la raison pou r laque lle o n présente les
conditions où la relation est nulle (absence de relatio n). C'est en fonc-
tion de l'h ypo thèse nulle que s'établit la relation significative. L'hypo-
thèse nulle est celle où il est impossible de prévoi r (prédicab le) quoi
que ce soit puisque la relation entre mes variables est due au hasard 19•

Les conditions de vérificalion d ' une h ypothèse


(association parfaite)

Vote

Parti jaune mal'iinophone (1 00%)


Parti noir vénusophone ( 100 %)

Vote Langues

Parti jaune vénusophone (100 %)


Parti noi r mal'iinophone (1 00%)
Données théoriques

19. Une relation est due au h asard t il y a a utant de chance (SO%) q ue les mar.sinopho-
nes vo tent pour le Parti jaune ou le Pan i noir et les "'énusophones votent pour le
Parti noir ou j01 une. En somme, je ne peu:>; rien prklire sur le comportem l'n t des
marsinophoneset des vénusophones.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _7_3

Les conditions de vérificalton d'une hypothèse


(associatton nulle)
Vote Langue&

Parti }aune ma~inophone (50%)

Parti noir vénusophone (50%)

Vote Langue&

Parti }aune vénusophone (50 %)


Parti noir ma~inophone (50%)

Données théoriques

L'enquête donnera rarement des résultats aussi tranchés que l' illus-
trent nos exemples. La variation serait parfaite si tous les marsinophones
votent pour le Parti jaune et tous les vé:nusophones pour le l'arti noi r ou
vice-versa. Connaissant la langue, je peux alors prédire, avec u ne proba-
bilité connue de me tromper (je peux la calculer), pour qui les mars!no-
phones ou les vé:nusopho n es voteront. Mais, e t c'est p lus fréquent, il est
possible, par exemple, que 80% des marsinophones votent pour Je l'arti
jaune et 20% pour le Parti noir, et que 75% des vénusophones votent
pour le Pa rt i noir et 25 % pour le Parti jaune.ll n 'est pas important dans
le cadre de cet ouvrage de savoir comment à l'aide d'ou tils statistiques
on parviendra à montrer l'existence ou non d'une association ent re n os
deux variables. Il faut plutôt savoir quoi faire avec les résultats obtenus.
Supposons que l'étud iant ayant fait un Chi carré b::l) et que ce dernier
soit significatif. De plus, son résultat est validé pa r des mesures associées;
est-ce à dire que cela suffit pour argumenter mon hypothèse? Qu'il y
ait association - statistique - entre Je vote et la langue représente-t-il un
argument suffisant pour étayer mon hy)X>thèse? Nous ne le croyons pas.
Vérification et argumentation doivent être distinguées. La vérification est
un processus assez complexe; elle exige une démonstration assez longue
qu i ne peut avoi r lieu ici20• Cela étant dit, on peut, malgré tout, présenter

20. On consultera pour œ faite l'ouvrage dt' Gilles-Canon Gr anger, op. d t.


_
7 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

les g randes lignes de la vérificatio n en sciences sociales sans entrer dans


toutes les considérations théoriques et méthodologiques que méritera it
un tel exercice.

3.2.1.1. L'argumentation de l'hypothèse


Que fait l'outil statistique? Il mesure à partir des don nées colligées
l'existence ou non d'une relation statistique -dépendance, corrélation,
a ssociation pour ne nomme r que les p lus impo rtantes - entre les don-
nées de c hacune de mes variables. En supposant que le résultat de mo n
analyse statistique soit positif, c'est-à-dire que je constate qu' il existe
une relation statistiquement significative entre mes variables, s'agit-il
d'un argument? La réponse est négative. Voyons pourquoi.

Il fa ut alors parler d'un énon cé statistique, s ignifiant par là qu'il


est virtuel et seu lement probable. Cela ne pose pas en soi de rée lles
difficultés, mais en définissan t ainsi la donnée, il faut mon tre r ce que
signifie maintenant vérifier. Pou r ce faire, il faut parler du cadre réfé-
rentiel et du rapport U~éorie/empirle. La donnée repose sur url énoncé
probable dont la valeur dépend pour l'essentiel de la stabilité des fré-
quences observées21 • La relativité d'une fréque nce attribue à la donnée
une certaine objectivité par l'obse rvation empirique, mais en même
temps, elle ne vérifie pas l' hypothèse. La donnée reste à ce plan un fa it
de premier ordre. Elle ne nous apprend que peu de chose sur le monde.
L'objectivité relative de la donnée, une fois ca lculée la probabilité que
l'événement 11 survienne ou ne survien ne pas, exige une explication.
Autrement dit, il faut l'interpréter e t lui donner une signification.

Comme il s'agit d 'un fait virtuel soumis à l'examen empirique,


la donnée ne fait que mont rer une occurrence. Il fau t et c'est à ce
n iveau qu'inte rvient l'argumentat ion, la situer dans un cadre référen-
tiel qui lui donne une signification. Par cadre référentie l, on désigne
le cadre théorique qui a dotmé lieu à la formulation de l' hypothès.e2 2•
Comment s'établît la signification? Il faut actualiser le fait virtuel. Que

2 1 Nous suivons dans les prochaines ligne~ Yexposé de GiUt'l·Ga~ton Granger, 11p. rit.,
p. 199-208.
22. Ce n'est ni la pbœ ni le moment pour parler du cadre th&>rique. On entend par ce
terme la théorieopérationnalîsk,concrétisk d'une manière telle qu'elle R':nd pos-
5ibles non st'Uitn~ent desobservationsS\lr le mon~. mabgrâceaux ronceptsqu'eUe
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _7_5

faut-il comprend re? L' hypothèse est toujours liée à un ch am p cognitif;


elle e~t l'énoncé d'u n fait virtue l. Il ~'ag it maint enant de donner une
signification à ce fait virtuel. L'observation empirique e st insuffisante.
La donnée e~t rappo rtée aux concept~ clef~ du cad re référentie l qu i
l'inscrit dan~ son champ cognitif comme élément qui permet de véri·
f1er l'hypothèse. Celle-ci n'a cependant de réalité qu'en rapport avec
les concepts; la donnée permet a lors d'étoffer notre champ cognitif.
Ce travail exige une argumentation, une actualisation du fait. C'est lui
qu i, en mettant en rapport les données avec les con cepts, lui donne
une signification en l'insérant dans une explication plu s large du phé·
nomène. L'a rgumentation se situe à ce niveau. flle a son origine dans
les deux questions su iva ntes: En quoi les do nnées ainsi inscrites dans
le cadre théorique permettent-e lles de mieux re ndre compte du phé·
nomène étudiée? Qu'est-ce qu'elles autorisent com me explication?

Nous ~avons déjà comment une donnée devient un fait; il faut


maintenant voir commen t ces faits peuvent constituer une p reuve.
tta blir une preuve statistique est quelque chose de fort com plexe qu i
relève en partie des mathémaliquesli. C'est une chose de montrer les
liens qui unissent deux variables ou plus, c'en est une autre que de
prouver que ce lien est nécessaire et qu'il peut argumenter une hypo-
thèse. À l'évidence, la preuve statistique est insuffisante. Le lien entre le
modèle théorique et le modèle empirique - les données colligées~ est
loin d'être évident. Que les données formelles, les résult ats statistiques,
confirment ou infmnent le cadre référentiel n'est pas facile à établir.
En fin de compte, la difficulté est t'o u jours de même nature. Il faut ins·
cri re les faits dans le cadre référentie l. Celui-ci doit être en mesure de
leur don ner une signification particulière et de faire des données des
élé ments d'une preuve. Il n'y a pas de preuve sans interprétation des
don nées, a lors transfonn ées en fait.

L'exemple du vote e t de la langue est intéressant. Il ne suffi t pas


d'avoir étab li statist iquement que les marsinopho n es o nt voté ma jo·
ritai rement pour le Parti jaune et que les vénusophones ont voté eux
aussi en grand nombre pour le Parti noir; encore faut-li comprend re

utilise elle permet de fournir une eKjJiication aux phénomènes qu'elle a identifiés
comme penint'llls.. Il arrivesouwntqu 'un cherchwr fasse appel à plusieurs th4!-orîes
pour bricoler son cadre référemiel ou théoriqllt'.
2]. Voir à ce sujet Claudine Schwartz (dir.), Stutisti111U': rxphimn lln; modélisrr, simrrlrr,
Paris, Vuiben, 2006.
_7 6_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

pourquoi. Pour argumen ter le lien en te la langue et le vote, il faut


établir une preuve. Celle-ci repose sur deux questions auxque lles o n
doit répondre: que prédit le cadre référen tiel? Il affi nne certainement
qu'un groupe linguistique vote d'une manière et que l'autre groupe
linguistique vote différemment, d onc pour l'autre parti. Une fois l a
prédiction faite et vérifiée statistiquement, il faut m ai ntenant établir
la preuve; associer et interpréter les données à d'autres variab les socio-
logiques. Quels sont les faits, les données sociologiques qui nous per-
mettent non pas d'établir la re lation entre la langue et Je vote, mais
d 'en comprendre la signification? Le co ntexte sociopolit ique peut être
évoqué, comme le genre, l'âge, le revenu, le statut social, le statut civil,
le type d'e mploi, les croyances religieuses, etc. On pourrait multiplier le
n ombre de variables, mais ce serait inutile pou r notre exemple. Le cadre
de référence propose celles qui sont considérées les plus pe rtinentes et
cap1bles de fournir une explication vraisemblable, plausible ou crédible.

La prédict ion une fols établie, avons-nous dit, il faut construJre la


preuve. Elle repose pour l'essentiel sur Je lien qu'on peut établir entre
les variables du cadre référentiel (théorique} et les données d 'enquête
(empirique). On veut expliquer u n phénomène: Je lien entre Je vote
et la langue. La preuve cherch e à étayer ce lien qu i n 'est pas évident.
Dans ce dessein, en tenant compte des prédictions du cadre référentiel,
il s'agit d'établi r les faits pertin ents. La langue qui paraît une va riable
relativement simple ne l'est pas. Il faut au moins distinguer la langue
d'usage, celle parlée à la maison, et la langue parlée avec les amis, au
travail, la langue maternelle, celle acquise pa r l'éd ucati on des pa rents.
Il peut y avoir dans les deux cas p l us qu' une réponse. Le vote n 'est
guère plus simple; s'il est plus facile de savoir pour qui u ne personne
a voté, les raisons qui l'expliquent sont beaucoup plus difficiles à éta-
blir. Entre les résultats des deux langues et Je vote, l'explication prend
place. Elle consiste pour l'essentiel à étab lir un lien nécessaire entre les
deux. Comment expliquer que 80% des marsinophones votent pour
le Parti jaune? La preuve se situe à ce niveau. Tout compte fait, elle
sera obligatoirement de nature socio logique. La raison en est simple:
la preuve devra transformer des données en fa its qui voient da ns les
conditions sociales des deux groupes linguistiques les raisons de leur
choix politique.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _7_7

Les marsinophones appartena nt à un groupe minoritaire appuient


le Parti jaune car ce dernier prône dans son programme politique la
défense de la la ngue marsienne et la p romotion de l'égalité des chances.
Les Marsiens sont une population peu scolarisée, occupant majoritai-
rement des emplois faible ment rémunérés, de tradition religieuse nihi-
liste, etc. Il ne suff1t pas, on s'en doute, d'énumérer ces caractéristiques.
Il faut les associe r en élément d e preuve démontrant leur appui au
Parti jaune. Le même procédé s'applique aux Vénusiens. De plus, les
explications pour les Marsiens doivent être mises en rapjX>rt avec celles
des Vénusiens. Les caractéristiques d'u n groupe peuvent constituer des
raisons pour l'autre groupe d'appuyer un part i différent. Les uns sont
nihilistes, les autres panthéistes, le Parti jaune ayant des politiques
antiavortement alors que Je Pa rti noir est davantage prochoix. On le
notera, la formation de la preuve est exigeante e t toujours incomplète.

La comp lexité de la J)re uve

Manlens Vénusiens

Nihiliste Panthéiste (enquête)


Niveau d e ~enu Revenu (enquête)
Scolaris.ation Scolarisation (enquête)
langue langue
Emploi Emploi

P•rtl noir

Antiavortement Prochoix (étude du programme)


Politique sociale libEralisme êconomique et social (ibid.)
Protection de la langue Ubre choix (ibid. et êtudes secondaires,
témoignages, entrevues, etc.)

Notons cependant qu'il n'y a jamais de données objectives et


qu'une preuve dépend toujours de l'interprétation (théorie) que l'on en
don ne. Nous avons seulement identifié quelques variables et quelques
références, auxquels on peut fa ire appel pour établir la preuve, per-
mettant d'expliquer la relation entre la langue et le vote. Il y en aurait
certainement plusieurs autres, J'objectif étant, nous l'avons d it, de trou-
ver un lien nécessaire fort entre le vote e t la langue. On peut mesurer
_7 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

la force du lien par sa capadté à énoncer des prédid ions; con naissa nt
votre appartenance linguistique, je peux di re, avec une proba bilité
connue de me tromper, pour que l parti vous allez voter. Pour en arriver
là, le travail de constituer une preuve statistique est exigeant.

La preuve doit faire appel à toutes les données perti nentes, col-
li gées à l'aide d'enquête, de témoignages, de données, d'analyse de
source primaire e t secondaire, etc., qu'elle o rganise en vue de démon-
trer l'existenced'une relation entre langue et vote. Pour constituer une
preuve qu i soit pertin ente par rappo rt à l'hypothèse, les données sont
a ssociées aux variables considérées comme pertinentes. Il s'agit d'éta-
blir des relations entre les variables socioéconomiques et Je vote pour
tel ou tel parti. Une fo is établis, il faut mainte nant les expliquer, les
inclure dans un modèle gén éral qui vise à saisir les facteurs qu i incite nt
les Marsiens à voter pour le Parti jaune e t les Vénusiens à voter pour le
Parti noir ou vice-versa. La démarche se fera en de ux te mps: la langue
ct le vote. Si la langue est la variable considérée comme pertinente pour
expliquer le vote, e ncore faut-il être certain, ma lg ré les apparences,
qu'elle est importa nte pour les marsinophones et les vénusophones.
L'argumentaire l'utilisera abondam ment dans ses raisonnements, qui
se développeront a u tou r de deux axes principaux. Le prem ier consis-
tera à montrer l' im port ance de la langue ch ez les marsinophones. Le
raisonnement pourrait fa ire appel à des enquêtes qu i la montre nt dans
des con textes variés. Il po urra faire é tat de sondages qui l'affirment.
On pou rra a ussi ut ilise r des exemples qui illustrent l'importan ce de la
langue ch ez les marsinophones. Deuxièmeme nt, il s'ag it de fa ire de la
langue un fait social important et pert inent pour nos deux com munau-
tés en sachant qu'il est possible qu 'elle n'ait pas la même importance
pour chacun d'entre elle. Le cas échéan t, il faudra en tenir compte dans
l'explicatio n à donner de cette re lation. Pou rquoi est-elle importa nte
pour une communauté et moins ou même pas du tout pour l'au tre?

La preuve ne peut se limite r à ce premier raisonnement ; on doit


a ussi éta blir le lien entre la langue et le vote. On a un lien statistique,
il faut lui donner une signification sociologique qui rend l'hypothèse
plausible, créd ib le ou vraisemblable. Pou rquoi l'impo rtance de la langue
se traduit-elle a u p lan politique par un appui importa nt au Parti jaune?
Il faudra certainement bien compren dre à la fois la composition socio-
logique du parti: Qui en sont les memb res? Quelles sont les ca racté-
ristiques socioéconomiq ues de ces membres? Que p ropose le parti? Le
P«tnt',Uf811111mtsetthfst

nombre d'adhérents? Qui cherche+il à rejoindre? Comment y par-


vien t-il? Réussit-il? Quel est le niveau de participation des membres?
Etc. Les mêmes questions doivent aussi être posées au Parti noir. Car il
est possible et probable qu'une partie de la réponse à notre hypotl1èse
se trouve dans les réponses aux questions posées au Parti noir. Le rai-
sonnement doit faire état de l'ensemble des réponses à ces questions.
Il faut les organiser en des raisonnemen ts qui expliquent le lien entre
le vote et la langue.

3.3. la démonstration de la proposition de recherche


Dans le cas d'une proposition de recherc he, u n énoncé de sens qui
propose de do nner à tel ou tel ph énomène social une nouvelle signi-
ficat ion, la démarche est similaire. hidemment, la propos ition de
recherche peut avoir une multitude de formes, allant du simple énoncé
à u ne proposition de signification très élaborée. Par exemple, .. La Suisse
est intervenue politiquement en Côte d'Ivoire pour préserver ses inté-
rêts économ iques et particulièrement ses intérêts dans la production du
cacao,. est un é noncé relativement simple dont la fonne est courante
en science politique. Par contre, la proposition suivante est plus com-
plexe et sophistiquée: .. IL]econflit ivoirien est un mécanisme m ilitaire
et polit ique de régu lation de l'houphouëtisme destin é à contrôler la
refondation en vue d'assurer la reproduction du système de dépen-
dance structurelle de la Côte d ' Ivoire de la France2-l. ,. On ne trouve pas
dans les deux propositions- d'une manière évidente-de marqueur de
relation ni même de variables. Il n'y a pas non plus de variable dépen-
dan te, Indépendante ou autre au sens tech nique du terme. Il y a don c
un travail de compréhension de la proposition de rech erche à faire.
Il sera possible ensuit e, mais seulement à ce moment, d'élaborer les
raisonnements capables de rendre vraisemblable, crédible ou plausible
la proposition de recherche.

Dans la proposition de rech erc he sur la Côte d'Ivoire, trois élé-


ments clés sont à comprendre et à définir: I) Le conflit ivoirien comme
mécanisme militai re et politique de régulation de l'houphouëtisme.
2) Contrôle de la refondation. 3) Assurer la reproduction du système

24. C'est la proposition de œcherche d'Adolphe lUé Kessé dans son o uvrage l." Côte
•l'lmi«mguerœ: ft .mlsde /7mposltfft {mll(llise, l•:nis, L' l-brmattan, 2005, p. 30.
_8 0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

de dépendance structurelle de la Côte d'Ivoire. Déjà, en précisant et en


définissant chacun de ces éléments de la proposition de recherch e, une
compréhension plus fine, mieux maîtrisée sedégagera. ll s'agit d'interpré-
ter le conflit ivoirien comme un méca11isme par lequel un gouvernement
étranger essaie de maintenir sa tlominatioll politique et économique sur la
Côte d'ivoire. À partir de là, il fau t constru ire les faits pertinents capab les
d'argumenter cette proposition de recherche. Ces faits do ivent obliga-
toirement porter su r le mécanisme mil ita ire et po litique de régulation,
Je maintien de la domination et surtout, et c'est le p lus important, sur
le lien qu'il est possib le de tracer entre les deux . Tou l'e la difficulté- la
source des raisonnements à const ruire- se trouve id. Elle se traduit à
l'aide des deux questions suivantes: la proposition de recherche donne-
t-elle aux événements de la Côte d'Ivoire une signification qui permet
de mieux comprendre en partie ou en totalité le conflit ivoirien, c'est·à-
dire au moins trois choses: 1) La nature conflictuelle de ce qui s'y passe.
S'agit-i l d'un con flit? Si oui, de que lle nature est-il ? (guerre, rébellion,
invasion, déstabilisation, complot, etc.). 2) Permet-elle d'identifier le plus
objectivement possible les acteurs import ants? La proposition affinne
que la France joue un rôle de premier plan. Est-il possible de montrer ce
rôle de premier plan? Par quels compor l'e ments identifiables ou obser-
vables peut-on le montrer? Qui sont les autres acteurs? Est-il possible
de rendre co mpte de leur action? 3) La compréhension des enjeux de la
crise ivoirien ne est-elle concevable?

La proposit ion énonce que l'intervention de la France vise à main-


tenir sa domination sur la Côte d'Ivo ire. Que veu t dire .. ma in tenir sa
domination?,. La proposition est complexe ca r elle suppose une com-
préhension claire et relativement simple de ce qu'est une domination 25•
Que veut-on analyser lorsqu'on parle de dominatiCHl? On précise dans
la proposition qu'il s'agit de maintenir la dominatiCHl, c'est donc qu'elle
existe déjà. L'utilisation du cadre d'analyse est ici essentielle. Il faut
ètre en mesure de comprendre ce qu'implique la manière de saisi r le
pluscCHlCrètement possible le maillti('ll d'une dominatio n dans un pays
étranger. L'auteur fait appel à l'analyse des systèmes d'Edgar Morin pour
rendre compte de ce qu'il appelle la rétroaction négative de la France

25. Le rer me de tloiiiÎIIIIIion t'lil fort couranr dans cenaines approches en science sociales
el polîlique. C'est une notion diflidle â opéralionnali'it'r parce qu'elle relève d'un
discoul'> sunou1 militant. Veur-on dire à la 1ui1e d 'Herben MarcuSI.' qut• c'est une
manièred'instmmenlalîser les rapports humains? [[ fa ul alors montrer les formes
concrett"l de œue instrumenulisalion.
P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ __ 8_1

-actions de la France-, ch erd 1ant à contrer la refondation politique,


les changements polit iques intervenus e n Côte d'Ivoire. Ré troaction
négative car les actions de la France sont une réponse aux mouvements
sociaux qui mettent fin au système houphouëtîste.

La seconde question est d'ordre plus épistémologique et détermine


l'intérêt de la recherche: est- il possible de montrer qu'une pu issance
étrangère, la France, dominante en Côte d'Ivoire, utilise le conflit comme
mécanisme de régu lation de la société ivoirien ne dans J'objectif de pré-
server ses intérêts? Cet objectif devra être bien argumenté. Il est le cœur
de la proposition de recherch e. Quels sont les intérêts de la France en
Côte d'Ivoire? Sont-ils sont d'ordre économique, politique? Comment
les identifier de manière objective? Est-ce possible de les identifier clai-
rement et d'en faire part d'une manière pertinente? Il faudra faire appel
à des faits permettant de bien saisir cette logique de l'action française en
Côte d'Ivoi re. Essayons de voir à quoi peut ressembler l'argumentaire26.

THBE (PROPOSITION DE REC HERCHE)


Commenl analyser la crise en Côte d' Ivoire en tenant compte
des changemen ts sociaux qui s'y produisent
ST, Le IJStème houphouttlste ST1 La guerre
Qu'en<e que le synème Comment expliquer t'intervention
hol.4)houêtiste? de la France

Au un mode de régulation A L, sa justification


Au la crhe du système A u la guerre comme rétroaction
houphouëtiste négative
crise sodoé<:onomique
crise sodopolitique
crise de la régulation
coup d'hat militaire
Au La refondaUon Au les accords de Marcoussis
rupture avec le système
houphouëtiste
le coup d'ltat manqué
A1A le~ diffkultés des accords

26. Nous 5UÏlronJd;ms.st"$grandeslign~ e n laiss;~nt dec.ûté u-rtainsargumenhl;'tsous-


lhèses, l'argumentaire de Adolphe Blé Kessé, op. dt. JI Sagit d'un o:cellent exemple
de proposition de ll'Cherçhe
_8 2_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Les raisonnements font appel à des faits, des dates, des lieux, des
traités; ils utiliSent aussi des discussions très précises sur le système
houphouëtiste, la pé:riOOe de transition, les Accords de Marcoussis, etc.,
que l'auteur explique, analyse. Il cherch e avant tout à faire comprendre.
L'ensemble s'organise de la ma n ière suivante: le système houphouëtiste
gouverne le pays e t l'auteur cherche à mont rer qu'i l tire à sa fin. Il le
fait: 1) En observan t les nombreuses aises qu'il n 'arrive pas à régler.
2) En mon trant que celles-ci condu isent à un coup d'ttat m ilitaire
bien accueilli par la population. Ce dernier co nduit à la jX>Iitique de
refondation, une période de rupture po litique proposant de nouvelles
institutions polit iques pour la Côte d'Ivoire. Un tel changement n 'est
pas sans avoir une incidence négative pour la France. Incidence que
l'au teur observe: 1) Par une tentative de coup d'ttat contre le gouver-
netnent Gbagbo. 2) Par le déclenchement de la guerre • interne.. ; les
rebelles s'opposant au Président contrôlant une partie du nord du pa ys.
3) Pa r l'in tervention militaire frança ise en Côte d'Ivoire. 4) Il analyse
ensuite la manière dont la guerre est u tilisée comme mécan isme de
régulation politique de la Côte d 'Ivoire.

Il s'agit de mont rer Je lien qui unit ces différentes parties de la


st ructure a rgumentative, les liens de ... probabilité» ou de vra isem-
blance assez convaincants pour qu'on puisse accepter la T hèse « Le
con mt ivoirien est un mécanisme militaire et politique de régulation de
l'houph ouëtisme dest in é à contrôler la refondation, en vue d'assurer la
reprOO.uction du système de dépendance structurelle de la Côte d'Ivoire
de la Franœ2 1. .. L'auteur vise à l'aide des raisonnements po ur chaque
sous-thèse à é laborer u ne preuve qui permet de mieux comprendre ce
qui s'est passé e t de rendre plausible, crédible ou vraisemblable la pro-
position de recherche, la compréhension qu'il nous propose.

Avec ces deux exemples, on espère avoir mis en évidence les pre-
miers éléments du raison n ement, d'avoir montré avec quels faits il
faudra compter pour bien argumenter sa thèse. On souhaite qu'on
comprenne mieux où doivent s'établir les liens de nécessité pour argu-
menter solidement son hypothèse ou sa proposi tion de rech erch e.

27. Ibid., p. 30.


P«tnt',Uf811111mtsetthfst _ _ _8_3

Une quest ion se pose d'emblée: comb ien d'arguments faut-il avoir
pour é tab lir une preuve solide ? Il existe toujours une mu lt ipli cité e t
une di versité de faits28• La chose est enco re plus vraie si o n traite de la
soc iété ou de polit iq ue. Il y en a telleme nt q u' il serait pratiq uement
impossible de ne pas en tro uver un o u même p lusieurs qui soutie nnent
n otre h ypothèse ou notre propositio n de rech erch e. Si c'est le cas, il
faut alors se d em ander : faut-il p ren dre to us les faits? La ré ponse est
évidemment négative. Alors quels son t ceux que nous devons rete nir?

Il fau t garder les faits pertinents. La réponse est trop sibylline po ur


être complè te. Qu'est-ce q u'un fait pertine nt ? Qui décid e qu'un fait est
pertinen t ? La difficulté de répondre à une telle question tien t à deux
choses: la m ultitude et la diversité des faits impliq uen t q u'il puisse en
exister plusieurs qui soien t pertinen ts par rapport à no tre hypothèse
ou notre proposition de recherche. Mais ce ne peut ê tre là u ne raison
valable ni même un c ritè re pou r décider des faits pertinents. Laper-
tine nce d'un fait dépe nd du cadre référe ntiel adopté o u de la théorie
qu i a présidé à la formulatio n de l'h ypoth èse o u de la proposition de
recherche2'11. Cepen dant , une te lle réponse n e résout rien car la théorie
oriente la rech erch e vers certains faits qu i ren dront l' hypo thèse ou la
proposition de rech erche vraisemblable au prix de to us les autres qui
la contrediron t. De p lus, peu de m odèles en sc ie n ces soc iales exposent
leur théorie des faits sociaux pe rtinents. On n e sait jamais pourquoi
tel fait est choisi et n on tel aut re. Que fa ire si l'on veu t éviter cette
situation? Une ch ose est certai ne : po ur qui veu t traiter de la crise en
Côte d'Ivoire en sou te nant q ue la Fran ce cherche à maintenir et à sau-
vegarder sa d ominatio n polit ique et économique sur ce pays, les fa its
sociaux pertinents à reteni r con cem ent :
1. Le systè me ho up h ouëtiste e t sa significati on : Que lle p lace
occupe-t-il dans la société ivoirien ne? Quel mode de régula -
tio n sociale auto rise-t-il? Quels sont les in térêts économ iques,
poli tiq ues q ui l'organisent et le structurent ?

28. D.lns toute société, ile" bte des faits historidsés. des donnk-s con.sidéri't'S comme
des faits par des imtitution.sreconnues: irutitutsde rechen:he, ag~ce.s gou\t>rne-
mentales. u niversités, ml-dias, disciplines ~ientiflques, ministères, etc.
29. tl e)(j.ste une logique dt- ta pertinence; cel !t--el consiste à établir dans le cadre d'un
raisonnement de type Si A alors 8 est vrai seulement si A est connecté à 8 par
quetq ut' chose de commun et q œ ce ~ quel que chose de commun» est en mênw
temps nkessairt'. D.lns li> GIS d'une proposition de ll"Chen::he, œ point commun et
nécessaire, critère de pertinence, est plus difficile à établir.
_8 4_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

2. La guerre« interne .. et sa signification: Com ment expliquer


cette guerre «interne»? En quoi est-e lle liée aux intérêts éco-
nomiques et politiques de la France et non à ceux des groupes
sociaux de la société ivoirienne?
3. Les liens que l'on peut établir, qui doivent avoir une certai ne
part de néœssité, ent re la signification du système houph ouë-
tiste que l'on a établie et celle de la guerre • interne .. que l'o n
a p roposée.

C'est donc dire qu'argumenter ne se limite pas seulement à l'expo-


sition de faits ou d'une suite de données. Il n'est même pas certain que
le nombre (quant ité) de faits présentés ait une que lconque importance
quant à la valeur de l'argumentation . Il faut respecter un ordre h iérar-
chique dans l'exposé des arguments. Il est indispensable que les faits
a ya nt un lien de n écessité fort avec la Thèse soient d'abord présen tés.
Ceux dont le lien est plus faible suivront jusqu'au point d'ignorer les
plus faibles. En effet, il faut présenter les faits qui pennettent d'étab lir
le bien-fon dé ou non de notre hypothèse ou proposi tion de rec herche
dans un raisonnement. Les raisonnements sont eux-mêmes organisés
en un e preuve.

Est-ce là l'essen tiel de la preuve? La réponse à cett e questio n est


négative. Nous avons dit p lus haut que la preuve comporte une dimen-
sion rhétorique. Une fois établie, encore faut-il être en mesure de la faire
accepter. Or les arguments, con trairement à ce que l'on croit générale-
ment, ne suffisent pa s. JI fa ut fa ire appel à la rhé to rique.
CHAP ITRE

ID
ÉCRIRE POUR CONVAINCRE
La rhétorique de l'écriture
En effet, quand mon adversaire réfute mo pretNe et que œla
équNauc à réfuter mon affirmation elle-même, cpJi peut cependam
ftre étayée par d'autrn preuves - auquel cas, bien entendu, le
rapport nt lnve~ en ce qui concerne mon adven.oire - il a roison
bien qu'il ait objectivement tort. Donc, la vérité objective d'une
proposition er lo validité de celle-ci ou plan de l'opprobocion des
oppcuants et des auditeurs sont deux cho5n bien distinctes.
A. Schopenhauer

P our certains, argumente r et persuader sont deux choses très d istinctes.


Elles appartiennent à des univers qu i, quelquefois, peuvent s'ent recroi-
ser, relèvent de situat ion de communication très dissemblab les. L'argu-
mentation est essentielle à la démarche scientifique; les Th èses doivent
être soutenues avec rigueur et cohérence. La rhétorique appart ient à
la communication dialogique 1• Elle relève de l'échange e ntre deux ou,
même si la chose parait incongrue, plusieurs personnes. Pourtant, on
comprend intuit ivement qu'il ne suffit pas, même e n science, d'avoir

1. I.e tt'nnetlitllogitpa> vleru de dialogue qui signifie, selon sa racine grecque. tlia, •de
l'un à l'autrt' •, et logos, · discours•, d iscours t'Ill re deux intcrlocutt>urs. Ct•ttt> défl·
nition est tîrk- de Michel Blay (dit), Dic'tiommiœ tles COIHptS philosoplliqllfi, r•aris,
Larousse, Ct\'RS &litions, 12001}, p. 214.
_8 6_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

un argumentaire solide, d'élaborer une preuve étoffée pour conva incre.


La preuve, ensemble structuré et orga nisé des raisonnement ~. doit pe r-
suader. Ce serait une erreur aussi de consi dé rer la rhétorique comme
relevant seulement de procédés littéraires. On la définît co mme l'art de
plaire ou de persuader; elle est aussi l'art de réduire, se lon la belle défi-
nition empruntée à Michel Meyer, la distance sodalel. Voyons quelle
place e lle ocrupe dans la structure argumentative.

Nous a vons parlé p lus haut de l'opposan t. Le temps est venu d'ex-
poser son rôle dans la mesure où le proposant s'adresse à un oppo-
sant. L'opposa nt est un sujet imaginé. Voyons e n quel sens. Dans le
cadre d'une recherche à la maîtrise ou au doctorat, on peu t dire que les
membres du jury représentent un opposant concret, mais imaginé1 . Ils
représentent la communauté scientifique; ils ont la tâche de juger de
la valeur de la TI1èse e t de l'argumenta ire~. de dire si elle répond aux
exigences ct aux critères d'un travail scientiftque. L'opposant est là pour
évaluer d'abord l'argumentaire et les différents raisonnements qui le
composent. Il peut conteste r les argu ments soit parce que le lien avec
la Thèse n'est pas assez fort so it parce qu'il ne les juge pas pertinents.
Dans ce demier c as de figure, la critique est méthodologique; e lle n e
porte pas sur l'argumentatio n. Il peut aussi récuser les exemples qui les
illustrenl. Il arrive qu'il s'attaque à la T hèse elle-mê me parce qu'elle est
mal formulée ou qu'elle n'est pas une réponse pe rti nente à la q uestio n
spécifique de rech erche. Elle peu t être trop vague; ell e peut être n or-
mative ou prescriptive, c'est-â-dired iffidle à démontrer ct à argumen-

2. MicheiMe yer,op.dt.
3. Au moment de la rédaction, on ne connaît pas encor!:! la romposltion <k.> notre lury
mème.si on peut en avoir l'idœ. On .1.1it pourt.lnt qu'on devra li!' wumt'tlre à une
évaluation par un jury de pain. Son absenœ/présenœ Jl'lane toujOurs .sur le candidat.
4 Il arriw malheureusemem tropwuwnt que les ml-moires d e m.1îtrise et tes thke.s
de doctorat !iOient jugk ~ur d'.1utres critl>res; il y .1 ~effet de nombrt'U~ évatua-
tionJ de nature idéologique, politique ou personnelle. Lorsqu'il y a une défen~.
une wutenancede thke, l'impétunt peut SI;' défendre et r.1ppeler qu'il.1 à être jugé
.sur ce qu'il a écrit, ~ur sa démarche et lx-mKoup moins .sur le contenu. fuwquoi le
contenu a·t·il ur..- importance moindrt' dun.sl'{"\\aluation? L'explication est Jimple.
Le contenu relè\.'l' d u cadre théorique, de sa capacité à donner une .significarion à
tel ou tel phénomène.lntervenir .sur le romenu, c'est souvem refuser le cadre théo-
riqu e de départ. On ne peut jam.lis fl'fu._>;e-r lecadre, leschoix théoriques, à moimde
pouvoir montrer ou son incohérence, .'l.l faiblesse ou sa non-p«tinenœ dans l'étude
d 'un objet. Dilns k-usrontralre, on aura .1pprb que la r«:hen:he .'iCientifique n 'a pas
d'.1utres rlglesquecelle.s des lnd i\idu.squi composent la communauté-scientifiqu e.
tcriœpotl com•ail~rr _ __ 8_7

ter. Il n'est pas seulement celui qui évalue, commente ou critique une
rech erche. L'opposant peut être un procédé intéressant qui peut nous
aider à régler ces problèmes~.

La recherche est en partie argumentée en fonction d'un opposant


imaginai re. Ce n'est pas comme dans le cas d'un membre d'un jury une
personne rée ll e. L'opposant est un double de soi, un lecteur inventé
avec qui j'entre en dialogue. On anticipe la récept ion de ce que l'on
va écri re. Ce lecteur imaginé, on le souhaite exigeant. On veut qu'il
formule des objections, repère les cont radict ions éventuelles, soulève
des ob jections, corrige n otre manière d'écrire ou de formuler, etc. L'op-
posant est toujours là, derrière, à surveiller ce que l'on écrit, comment
on argumente. Ce faisant, il nous aide à précise r notre pensée, à étof-
fer nos raisonnements, à clarifier notre propos. Le protX>sant ant icipe
les réactions, prévoit les objections, les remarques qu'on pourra lui
faire sur sa Thèse et sa manière de la défendre. Une solide revue de la
documentation devrait aider le p roposant à antidper les objections, les
critiques ou les attaques. JI sait qu'il défend une posit ion que d'autres
contestent avec des arguments qu'i l connaît bien. En connaissant les
différentes positions défendues lors des débats qui touchent son sujet,
il peu t prévoir les remarques, les commentaires ou les critiques qu'on
pourrait éventuellement lui adresser. Il faut aussi être en mesure d'en
anticiper d 'autres, mais on doit se limiter aux p rincipales et aux p lus
imiX>rtantes. Il n 'est pas nécessaire d'essayer de tout prévoir ou de tout
anticiper. De toute manière, c'est impossible et contre-productif.

Ce dialogue du proposant et de l'opJX>sant relève de la rhétorique.


Il n'est pas a ussi simple qu'il n'y paraît. Marc Ange not le mo ntre dans
son ouvrage Dialogue cie sourds, où, d it-Il, peu Importe les arguments
et même leur valeur, il semble qu 'on n'arrive pas à se convaincre"'. Ce
serait un trop long débat que de répondre à Ange not; sou lignons pour
le moment qu'il montre avec beaucoup de brio les difficu ltés de con-
vaincre à l'a ide de raisonnements.

S. Il esl in1portan1 de-souligner que éelt le IÔie du din!eteur de It'Che~he d C' veiller à
ce que la Thèse .Y3it bien formulée. Encore fam-il que le chercheur ait précM à son
direaeur sn attentel. Une attaqtll' à a niveau mel en cause l'ensemble- du trava il
de recherche.
6. Marc Angenot, op. cir.
_8 8_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

L'évaluation des membres du jury se t rouve à la dernière étape,


alors que le travail de J'opposant s'effectue tout au long du parcours de
la recherche. On ne cesse jamais de se demander: ma démarche est-elle
cohérente, rigoureuse? Mon argumentai re est-il solidement structuré,
mes raisonn ements reposent-ils sur de bons arguments? Mes exemples
sont-ils appropriés? La preuve est-elle sol ide? Comment répondre adé-
quatement à ces questions?

La rhétorique est indispensable au t ravail de rédaction que l'on


fait à la maitrise ou au docto rat puisqu'elle concerne aussi l'argumen-
taire. À ce sujet, o n recommande à chaque chapitre d'en fa ire le plan
argumentaire. Il permettra de mieux structurer et déployer notre argu-
mentation, tout en gardant à l'esprit lors de son é laboration le ques-
tionnement suivant: Quel est mon but dans ce chapitre? À quelle(s)
question(s) je cherche à répondre? Pu is-je les formuler clairement? Y
a-t-i l entre ces questions un lien de nécessité? Avec quels arguments,
je veux défendre la réponse à ces questions? Une fo is le plan construit,
évaluez-le avec recul comme si vous étiez un ledeur extérieur ou un
opposant. Le p la n devient alors un outil qui permet de visualiser votre
démarche, d'en voir la cohérence int em e, d'évaluer les lie ns logiques
entre vos arguments et la quest ion à laquelle vous cherchez à ré1X>ndre.
Il est plus facile d'argumenter une réponse à une question (sous-thèse)
liée à la Thèse que d'essayer de toujours élaborer ses raisonnements en
fond ion de la Thèse prindpale. Enfin, et ce n'est pas la moindre de ses
qualités, l'opposant facilite la rédaction de votre mémoire de maîtrise
ou de votre thèse de doctorat.

Il sera a lo rs possible de construire le p lan de l'argumenta ire.


D'abord, fonnulerla Thèse T (hypothèse). Ensuite, il faut traduire cette
thèse principale ou générale en sous-thèses ST sous forme de ques-
tions auxquelles il faut répondre pour soutenir ou défendre la Thèse.
Les raisonnements s'organiseront e n fo n ctio n des sous-thèses, des
réponses à donner à ces questions. On propose deux ou trois sous-
thèses, dont le lien avec la Thèse est évident ; e lles découlent ou pro-
cèdent directement d'elle. Autrement dit, les sous-thèses représentent
les questions a uxquelles il faut réjX)nd re pour soutenir la Thèse. Ces
questions déterminent les fa its qui seront nécessaires au raiso nnement.
Pour chaque sous-thèse, on établit le raison nement, les arguments A et
les exe mples E. On peut raisonner avec des arguments mais aussi avec
des obtfd ions (obj.) et des réfutaHons d'objection (Robj.).
tcriœpotl com•ail~rr

Schématisé, le p la n d'un argumentaire se présente de la manière


suivante:

Structure d'un argumentaire co mplet

sr, sr, sr,

A, A, A,
E

A, A," Au
Robj. u
E

Au Au Au

Représentations théoriques

Cet exemple est fictif. Il peut y avoir p lus ou moins de sous-th èses
et plus de deux arguments pa r sous-thèse. Les objections et les réfuta-
tions d'objections peuvent être u tilisées dava ntage que ne le montre
n otre schéma. Ch aque sous-thèse peut être considérée comme un cha-
pitre de notre mémoire de maîtrise ou de notre thèse de doctorat.

Le travail de l'opposant est relativeme nt simple à comprendre. Il


est plusdiffidle de saisir comment il s'inscrit dans la structure argumen-
tai re. C'est id que la rhétorique e nt re en jeu. Il existe une multitude
et une diversité de p rocédés rhétoriques. Certains d'entre eux relèvent
de procédés littéraires; d'autres, par contre, peuvent être uti les dans
l'organisation de notre argument aire. Leur énumérat ion serait fasti-
dieuse et sans intérê t pour ce qui nous importe 7• Nous allons traiter
de ceux qui nous paraissent davantage liés à l'argumentaire. Nous les
avons divisés en deu x ; les prem ierc;, plus directs, comme la prolepse,

1. Sur œ sujet, on lira awc intérêt les o u vrages d 'Olivier ReiJoOul, fltlnKIIIctiOIIÔ la rlt;-
toriqur , ~ris, r'resses univcrsit.lires de Franœ,(19981, et de Ben rand Buffon, op. cil.
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

a ide immédiatement à la constructio n des raisonnements. Les autres,


moins évidents, font appel à des procédés logiques (argumentat ion par
l'absurde, a rgument pa r re lation fonctionnelle) ou littéraires (a na logie,
exemples, modèles) qui participent à la construction d'un raisonne-
ment étoffé. Auparavant , un mot sur le genre de preuve que l'on exige
en sdenœs sociales.

4.1. Les types de preuve"


Il y a en rhétorique quatre grands types de preuve. La preuve e:d rinsè-
que (ateclm01) est celle qui se trouve dans les faits eux-mêmes; elle est
extérieure à l'orateur. On pense au t émoignage, aux lois, à ce que dit
explidtement un texte. Les preuves extrin sèques sont pa rticulièrement
recherchées; elles semblent object ives. Le témoin présent sur les lieux
du crime, le message explicite d'un texte, ce qu'autorise ou non la
loi, e tc., appa raissent com me des preuves très solides, vo ire objective.
Sans provoquer un débat, qui n'a pas sa place ici, il faut comprendre
que la définition de la preuve extrinsèque soulève quelques difficultés.
Existe-t-il vra imen t des preuves extrinsèques? Le témoin est·il toujours
crédible? Le sens latent d'un texte n'est-il pas aussi important que le
manifeste? Plusieurs le croient. Comment détenn in er s'il est latent ?
La question se pose dès lors que nous avons dit qu' il n 'existe de faits
que par signification. Nous verrons un peu plus loin q ue l usage on fait
de la preuve e:drinsèqm'.

La preuve intrinsèque est complèteme nt construite par le pro po-


sant. Elle fait appel à son tale nt et à sa créativité. Elle est sy nonyme de
l'argumentaire et se compose comme lui de plusieurs raisonnements.
Le proposant peut faire appel à de nombreux procédés jouant à la fois
du pathos, du logos et de l't'l/10s pour persuader l'opposant d'adhérer
à son propos9 • C'est le talent d'un bon orateur, d'un bo n débatteur,
que de faire appel dans ses raisonnements, selon son auditoire, à des

8 Nous sui\·ons dans les prochaines ligne5 l'ouvrage de Bertrand Buffon, op. dl. la
prudence s'imprn.e dans l'ma~'!;' qui est fait ici du terme pœmt': o n peut <~voir l'im·
pn-ssion qu' il t""St synonyme d 'arguments. Ce n'est p.u le ças. Nous remercions
SoJ>hie Gélinas pour l'exœllente synthbedetous 1~ procédés rhétoriques présentés
dam Youvrage de Buffon. Ce doaHTI<'nt nous a ét~ d'une uêsgrande utilit~.
9. On trouvera dans Chai"m Pen•lman et 1.. Olbrecht-T)1hica, Tmirfdt• /'tlfSI• IIml<lfiml.
LliiiOin·l'lk rl1iroriqrr, Bruxelles, tditions de I'UniH•rsit~ de Bruxe.Ues, 1988, la mise
en œuvre de ces diff~re.nts g enres.
tcriœpotl com•ail~rr

valeurs communes, des désirs et des émotio ns qu'il veut faire partager,
pathos, ou d'asseoir sa crédib ilité et son au torit é, !'tJ10s. C'est sa capacité
à bien doser chacun de ces genres qui donne sa force de persuasion à
la preuve intrinsèque.

Le syllogisme, dont a abondamment parlé au ch apitre 2, est le type


de la preuve par excellen ce. En effet, en faisant accepter les prémisses,
le raisonnement se complète logiquement à la conclusion. C'est le p lus
difficile à réfuter parce qu'il possède la force du raisonnement fonnel.
La preuve est puissante dans sa fom1e {syntaxique) et dans son contenu
(sémantique). Évidemme nt, si les prémisses n e sont pas partagées, la
conclusion ne tiendra pas longtemps.

Il y a quelques p ièges à évit er parmi lesquels les soph ismes. Le


sophisme est un raisonnement qui, au plan formel, respecte les œgles
logiques du syllogisme mais dont la conclusion est fausse. Pa r exemple:
.. Le Québec n 'est pas une société into lérante; il suffit de regarder ce qui
se passe dans d'autres socié tés comme les États-Unis pour le constater. ,.
Le Québec n'est pas une société intolérante parce que les États-Un is sont
plus intolérants. L'argument n e tie nt pas e t on saisit rapideme nt pour-
quoi. S'il vise à tromper volontairement o u involontairement, o n dira
alors qu'il s'agit d'un paralogisme. Les sophismes et les paralogismes,
sont sou vent utilisés d a ns l'éristique, qui, n ous le rappelon s, est l'art
d'argumenter pour gagner les débats et dominer son adversai re 10• Le
mémoire de maîtrise ou la thèse de doctorat n 'a pas cet objectif; ce n'est
pas une joute oratoire. Il n 'y a rie n à gagner ou à perdre à ce n iveau.

Enfin, J'et1t/Jymème est un syllogisme dont les p rémisses et la


conclusio n son t seulement probables. La p reuve est p lus vul nérable,
mais c'est celle qui est la plus fréquente en sciences sociales où il est
diffidle de trouver des prémisses qui soie nt acceptables ou partagées
pa r tous. On peut prétendre, par exemple, que le système international
se caradérise par un état d'anarchie, mais cette p rémisse est très frag ile.
Elle repose uniquement sur un ra isonnement qu i procède négative-
ment : s'il n 'y a pas de société ou d'État capable d'imposer sa force, le
résultat ou la cond ition qui précède l'état de société est obl igatoirement
une situation d'ana rchie et de chaos où règne en maître la violen ce

10. Voir Arthur Schopenhauer, L'arr oi'IIKJÎr foujoms misu1, mulit~lrcriqm•iriHitJIII', Belfort,
Circé, 1999. q ui expose plusieurs proddéoi pour gagœr les débats.
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

a rbitraire. Rie n n'est moins certain tout simplement pa rce qu'on ne le


sait pas. Ce n'est qu'une déduction, certes plausible sans être la seule,
qui ne possède aucun fondement empirique malgré ce que l'on peut
prétendre. On peut penser au contraire que les ind ividus ava nt l'état
de société collaboraient e nsemble, que chacun cherc hait le secours des
a utres sans lequel il ne pouvait surv ivre. Il y a auta nt d'arguments favo-
rables que défa vorables à cette conclusion. Elle est loin d'être pa rtagée
par tous. Sans parler de l'utilisation de termes comme indétenn ination,
chaos qui reçoivent un sens singulie r qui en font des prémisses qu' il
est diffidle de contester:

L'a rgumentaire est un système complexe qui fait appel, selon les
besoins, à ces différents types de preuve. Cela dit, dans le cadre du
mémoire de maitrise ou d'une thèse de doctorat en sciences sociales,
on utilise surtout les preuves intrinsèques et lesenthymèmes11 • Concer-
nant les preuves extrinsèques, elles ne sont pas aussi objectives qu'elles
paraissent. Elles sont toujours sujettes à interprétatio n. Il est pratique-
ment impossible de savoir ce que dit véritablement un texte, de s'as-
surer entièrement de l'au thentidté d 'un témoignage, de la vérité d 'un
fait. L'inte ntion d'un texte dépend de l'inte rprétation qu'on en donne.
Il y en a autant qu'il y a de lecteurs di fférents. Ce ne sont que des
interpréta tions12•

Les syllogismes ne sont pas complètement absents des raisonne-


ments en sciences sociales. Il est possible d'en avoir ma lgré le niveau
de forma lisation faible des théories en sciences sociales. Lorsqu' il y
en a, les raisonnements reste nt souvent fonnels, sa ns lien- direct ou
empirique - avec la réalité étudiée. Il n'y a pas à le déplorer ou à cher-
cher à mieux fonder nos raisonnements. Les Thèses en sciences socia les
appartiennent à la logique de la preuve et non de la vérité. Il faut les

Il Cel~ ne wut pa~ dire qu'on n e f<l»t' pa<;; appel quand c't'"ll pos~ible à des preu'l'S
e1mir\'ièq Ut""~ et aux ~llogismt'"l. les théorit'"l en scie nces sociales. à quelqUt'"l excep-
tion~ près (é-conomé trie, p!i)'l:hométrie) n e sont pa~ d t'"l ~y~tèmes formels. Il est
difficile de ll"S soturn.'ttl\' srrktement~ux principt>S de b logique. l 'exbtenœest un
phénon1ène fon complexe. Voir Lav.nnœOiivit'f, Dhmiw.J.a bgi.JI., ,-Jto l'exhtmct'.
M ontré~!. Uber, 20Cil.
12. Toutl"S les interprétations sont-elles aussi v~l~bles les unes que les autres ? Cette
q u l5tion f~it l'objet de débats dont on ne peut f~in.• M~t icl Oison~ simpk>mmt que
nou~ répondrion~ p~r t •affirm~tlve à œiiL-<i.
tcriœpotl com•ail~rr

argumenter. Il est difficile de fa ire plus ou mieux avec la nature des


objets qu'on traite. C'est ce qui peut aussi justifie r ou expliquer l'usage
de la rhétorique.

4.2. Les procédés rhétoriques


Il existe une mu ltitude de procédés rhétoriques. Bertrand Buffon e n
fait un inventaire assez complet dans son ouvrage Lo parole perslla-
sive11. On en trouve un autre très comple t chez Olivier Reboul dans
son flllrotlurtioll à la rlu1loriqrœH. Nous n'allons pas faire état de tous
ces procédés; nous n' identifierons que ceux, les plus in téressants et les
plus pertinents, capables de don ner à un argumentaire une force de
persuasion plus grande. La prudence s'im pose avant de commencer ;
si les procédés rhétoriques visent à persuader, il est possible d'en faire
un usage inapproprié.
On le sait, la rhé torique a é té l'arme des dictateurs, des usur-
pateurs, d es politiciens et des militants, de tous ceux en somme qui
cherchent à manipuler ou à bem er les populations, les peu ples ou les
individus. Ce n'est pas de cette façon qu'on veut l'utiliser. Il ne s'agira
jamais de proposer un procédé pour faire accepter un a rgument ou un
raisonnement faible ou mauvais. Un mauvais argu ment reste ra mauvais
peu importe la manière dont on l'habille; mais, bien couvert , il sera
plus d ifficile à percer. Au contraire, les procédés rhétoriques aideront à
étoffer les raisonnements.

4.2.1. La prolepse
Nous en avons déjà parlé s.ans vrai ment le nommer. La prolepse consiste
à faire une objection à son propre raisonnement 1s. C'est certainement
le procédé le plus efficace pour éto ffer son argumentaire. La prolepse est
une anticipation; en construisant notre raisonnement, o n prévient l'ob--
jection que l'on pourrait nous opposer. Elle a au moins deux fo nctions
JX>Ur le proposant : elle l'oblige à revoir et repenser son raisonnement

Il. Benrand buffon, op. cit.


14. Olivie r Rebou l, op. cit.
IS. Olivier Reboul d i finilla prolepse com me le proœdiqui •1---J deva nce l 'argumenl
(réc.>l ou tictif) de l'adven.aire pour le re1ourner conue lui • (op. âr., p. 14 1).
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

pour voir s'il est capab le de surmonter l'objectio n. FJie permet d'étof-
fer son raisonnement en voyant ses failles ou ses faiblesses. La prolepse
fonctionne en général ifl abseutia, c'est-à-dire que je ne suis pas obligé
de l'énoncer clairement dans le raisom1ement.

L'objection est une idée abstraite faite par un opposant imaginai re.
Cela dit, elle peut ê tre utilisée à titre de procédé rhétorique comme
un é lément imr~>rtant du raisonnement. )'énonce l'objection qu'on
pourrait faire au raisonnement que je construis. Nous l'avons vu au
chapitre 3. En l'énonçant, je peux parer l'objection d ans mon raisonne-
ment. Il y a une autre variante de la prollpse. Il est aussi possible d'énon-
cer et puis de réfuter l'objection. Ce procédé rh étorique est très habile.
je démontre que te connais les objections importantes qu'on peut me
faire et que je suis e n mesure de les réfuter par de nouveaux arguments
qui militent en faveu r de la Thèse que je sout iens. Non seulement je
connais les objections qu'on peut me faire, mais je les ré fute immé-
diatement. j'offre par la même occas ion de nouveaux a rguments pour
défendre ma Thèse. Ce faisant, je renforce la TI1èse ou la sous-thèse du
chapitre ou de la partie que j'argumente. À titre d'exemple: .,Certains
pourraient s'objecter, s'agissant de la paradiplomatie identitaire, qu'elle
représente un concept qu i n'atoute pour ainsi dire rien de nouveau aux
potentialités que recèle déjà la doctrine Gé rin-Lajoieu._,.

On voit nettement dans cet exe mple la référence à un opposant


- ... (cjerta ins pourraient s'objecter• - qui n'est pas spédfié. Cela d it,
cet te prolepse repose sur une com1a issance approfond ie de la littérature
et des débats sur la parad iplomatie.

Il existe d' autres façons de réfuter une objection. On peut pro-


céder en utilisant le raisonnement pa r l'absurde. Cette fois-ci, il faut
démontrer que l'objection est absurd e et qu' il faut retenir la Thèse que
l'on propose. Le procédé est relativement s imple. Il
[ ... ) consiste â prendre pour hypothèse une thèse d ivergente de celle que
l'on soutient et â montrer que les conséquences auxquelles elle conduit sont
absurdes, c'est-â<lire incompat ibl ~ avec ce que présuppose la thèse posée
au départ,. ou dénudées de sens, w ire impossibl ~ 7.
1

16. jean-François Payelle, op. rit., p.8l.


17. 8ertrand8uffon, op.rir.,p.I6S.
tcriœpotl com•ail~rr

Ce procédé doit ê tre utilisé judicieusement; l' h ypothèse réfutée


doit avoir un lien avec notre Th èse et surtout il faut absolument éviter
la ca ricature. C'est tou}ours fadle de simpl ifier ou d 'exagérer à outran ce
une Thèse opposée pour ensuite la réfuter. Par exemple, dire: le rela-
tivisme affirme que tout se vau t (hypothèse adverse) alors, su r la base
de cet énoncé, il n'y aurait aucun problè me à traiter un être humain
comme une d 1ose ou un objet et à prétendre que le relativ isme conduit
à des formes destructrices de n ihilisme. C'est une s implification exa-
gérée du re lativisme ca r la conséquence, ma lg ré ce qu'on peut en dire,
n 'est pas une con dusion logiquement nécessaire de la prémisse. C'est
un bel exemple de paralogisme.

On pourrait aussi montrer qu 'une objection à no tre Thèse se réfute


elle--même, par exemple dire: e la sdenceest un discours no nnatif qui
sert les intérêts des plus pu issants... L'objection est relativement fadle,
on peut questionner la val eur d'un tel énoncé car il repose lu i-même sur
la défense d'intérêts normat ifs dont on peut questionner le bien-fondé
surtout qu'il ne prétend aucunement échapper au jugement nonnatif.
JI faut qu 'il affi rme la supériorité d e certaines valeurs sur d'autres. Cela
ne pose pas en soi de problème si ce n 'est son incapadté à fonder ulti-
mement cette supériorité. JI est diffidle de faire autrement car il n 'existe
aucun fondement définitif pour les valeurs. Le p iège est inévitable.

Si la prolepse est le procédé le plus ut ile, ce n'est pas le seul. Cet te


fois nous aborderons quelques p rocédés rhétoriques dont il faut se
méfier. On les utiüse sans toujours s' en rendre compte et/ou dans u ne
volonté de manipuler. Un raisonnement, avons-nous répété à maintes
reprises, repose sur des liens de nécessité entre la Thèse et les arguments
et entre les a rguments. Il y a un certain nombre de d ifficult és qu' il faut
savoir prévenir: les relations qua si-logiques. Il y a e n trois que nous
voulons souligner plus particulière ment : la C011tmtlictio11, le renverse-
meut, l'mltodestmctioll.
Il peu t paraître étrange de parler de contradiction à prorK)S d'un
raisonneme nt. JI arrive plus souvent qu'on ne le pense qu'u n e telle
chose se produise. Est-il possible par exemple d'affirmer que te l auteur
est un postmoderne d ifférent des autres postmodernes sans posséder les
caracté ristiques de ce mode de pense.r? Com men t être une chose sans
l'être? Par définit io n s'il est d ifférent, il n'est pas postmode me pu isque
l'être c'est rassembler sous une même unité ce qui est semblable. Com-
ment lever cette contradiction? Il faudrait bien expliquer en quoi il
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

l'est et en quoi il diffère tout en étant postmoderne. Pourquoi l'asso-


cier à ce mode de penser? Il y a peut-être à cela de multiples raisons,
mais aucune ne semble pertinente et rigoureuse. Ce type d'explica tion
devien t rapidement sans intérêt. Plus généralement, pour éviter les
con tradictions, le plan argumentat ifest u n ou til inestimable. Le recul
qu'il pennet sur le raisonnement devrait suffi re à lever les contradic-
tions les plus apparentes. Faites lire votre texte par une autre personne,
votre directeur par exemple, en lui demandant s'il ne voit pas de cont ra-
diction dans votre raisonnement. Il n'est pas ob ligatoire que ce lecteur
soit un spécialiste de la question. On veut seulement que la personne
sollidtée identifie de possibles contradictions.

Le rem't'I'Sernmt Il nous a rrive de fom1uler des énoncés sans se rendre


compte que ces conséquences peuvent s'appliquer à notre raisonnement.
Le ca s le plus flagrant est certainement celui d'un individu qui, en poli-
tique, a ffirme que tout gouvernement est corrompu et quelques mois
plus tard il est élu au gouvernen1ent. Si tout gouvernement est corrompu.
pourquoi le sien ne le serait-il pas? N'a-t-il pas été Je premier à le dire?
À dénoncer les autres, on risque de subir le même traitement. Ce n'est
pas grave de se faire critiquer, c'est plus gênant de se faire servir sa propre
médecine.ll ne peu t s'en tirer qu'à l'aide de paralogismes ou de sophis-
mes. Son argwnentaireet ses raisonnernentsdeviennent, par le fait même,
plus faibles et moins pertinents. Son pouvoir de persuasion est amoindri.

L'autodestructio11. Il faut être très p ruden t lorsqu'on s'attaque à


des théories ou à des systèmes t héoriques. La critique ou la remise en
cause semble souvent faci le. Toute cri tique doit s'assurer que ses propres
fondements sont solides. À défaut de quoi la critique se retourne contre
soi. C ritiquer le construct ivisme en affirma nt qu'i l n'y a pas que des
discours soulève Je problème de sa propre fonnu lation. Mon propos est
lui-même énoncé dans un d iscours. Dire que l'éta t d'anarchie n'existe
pas soulève la question de ce qui existe alors e t de la réalité de cette réa-
lité. Cette quest ion de la réalité de la réalité est d'ord re philosophique
et épistémologique; elle fonde les mises en cause des construct ivistes.
Elle relève de la question des fondeme nts. Il est très d ifficile d'éviter
la question des fondements et de l'impossibi lité d'établir ult imeme nt
toute proposition. On peut le faire de deux façons. Soit on refuse d'abo r-
der cette question et le problème persiste. L'ignorer ne change rien à
l'impossibilité de fonder. Soit , au contrai re, on l'accepte et alors il faut
admettre notre impuissance et ses conséque nces, ce qui est plus rare.
tcriœpotl com•ail~rr _ _ _9_7

Dans ce cas, pour la majo rité des théories en sciences socia les, on
traitera l'état d'anarch ie comme un postulat, c'est-à-dire une proposi-
tion considérée comme un principe de déduction. Soit o n l'admet et
alors on peut à partir d'elle dédu ire un certain nombre de conséquence~
par exemple, dire qu'avant l'état d e société, il y avait un état de nature
anarchique est un postulat à partir duquel o n peut tire r de nombreuses
conséquences: état de guerre et de conflits, menace de mort, désordre,
nécessité d'un ~tat capable d'imposer un ordre, etc. Soit on le refuse
alors la suite du raisonnement ne tient plus; s'il n'y a pas d 'anarchie, il
n'y a rien à dire sur la nécessité d ' un ~tat possesseur du mon opole de
la violence légitime. Ou, enfin, on accepte les conséquences- ~tat de
guerre de tous contre tous, violence, ttat imposa nt l'ordre - comme
postulat et on essaie de construire avec tous ses postulats un raisonne-
ment de nature théorique.

Dans le même ordre d'idée, il n'y a pas beaucoup d'intérêt à cr iti-


quer ou à réfuter un postulat. Ce n'est pas impossible car on n'adhère
pas à ces conséquences. On peut a lors le refuser e t en proposer un
autre, c'est-à-dire un autre principe de déduct ion plus confonneà nos
croyances. Est-il JX>SSible de ne pas en avoir? À cette difficile question, il
existe dans la littératu re de nombreux débats. Disons simplement qu'en
science, la chose paraît impossible pu isque les t héories scientifiques
sont en général des systèmes fonnels, fondés sur des pri ncipes déductifs.

Quelle leçon devons-nous reten ir à la suite de ces exemples de


contradiction, de renversement et d 'autodestruction ? Il y en a au moins
deux. À proprement parler, il s'agit surtout de formules, à l'occasion
des mots d'esprit dont la visée est de frapper les esprits; ce ne sont
pas des arguments. Elles créent plus de p rob lèmes qu'elle n'arrivent à
convaincre. Il est très d ifficile d'argumenter ou même de persuader, et
c'est la deuxiè me leçon, avec des slogans ou des for mules polit iques.
Le mémoire de maîlrise ou la thèse de doctorat n 'est pas le lieu pour ce
type de littérature. Il vaut mieux Les éviter.

4.3. l es procédés littéraires


Nous venons de parler de procédés rhétoriques qui peuvent nous aider
à rendre notre argumenta ire et les ra ison nements qui le composent
plus rigoureux. Il en existe beaucoup d'autres qui peuve nt être utiles
dans la rédaction du mémoire ou de la thèse. Nous en avons identifié
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

deux types: les arguments fondés sur les relations de ressemb lance et
les figures de pensées. Nous J'avons déjà d it, il e n existe de nomb reux
autres, ma is il est impossible de tous. les aborder.

Nous allons r10us attarder aux trois figu res su ivantes: l'analogie,
l'exemple et Je modèle. L'analogie est certai nemen t le type d'argume nt
a près Je syllogisme le plus connu et Je plus utilisé. Nous en avons parlé
a u chapitre 2, ajou tons id quelques précisions. L'analogie est un raison-
n ement dont la forme est la suivante: deux choses égales à une même
troisième sont égales entre elles. Il s'agil d'une similitude de structu re.
Il est importa nt de rappeler qu'il s'agit d'une resse mblance de rapport.
On entend en général p1r ressemblance ce qu i est semblable par certains
de ces attributs. Reprenons 110tre exemple d 'analogie:
(A) Toute dêd~ion volontaire d'enlever la vie A un être humain e~t un meurtre.

(8) Or le meurtre est immoral.


(Q l'<Wortement e~t unedéci5ion volontaire d 'enlever la vie à un être humain.
(0) Or l'avortement est un meurtre.

Chaïm Perelma n propose d'appeler tllèmt' chacun de termes sur


lesquels portent la conclusion (dkision vo lontaire et avortement) et
pl10re l'ensemble des tennes qu i se!Vent à étayer la conclusion (meurtre
et immoral) 111• Le lien entre le thème et le plwre doit être assez puissa nt
pour faire en sorte que l'analogie soit con vaincan te même si le rapport
entre les deux est toujours asymétrique. Ils appartiennent selon notre
exemple à deux doma ines différents, spirituel e t juridique, se lo n les
conditio ns d'un e bonne analogie. Le raisonnement analogique dans
sa fonne est le suivant : A (la décision volontaire d'enlever la vie à u n
ê tre humain est un meurtre) est à B (le meu rtre est immoral) ce que
C (l'avortement est une décision volonta ire d'enlever la vie à un être
humain) est à D (l'avortement est un meurtre).

L'a rgument (analogie) est pertine nt e t il autorise la p roductio n


d'une nouvelle con naissance dont o n ne peut d outer de la valeur dans
un raisonn ement. Il y a cependant des cond itio ns à l'utilisation de
l'analogie car l'argument n'est pas sans danger. L'analogie est d 'auta nt
plus forte qu'elle se limite à des points particuliers; décision d 'enlever

\8. Chaim P«elman et L. Olbrechts-T}1e<:a, op. cil., p. S()()..SOI. Nous sui\.·ons dans les
prochalne'i lignes les propos des auteur~ ~ur l'a nalogie.
tcriœpotl com•ail~rr

la vie et moralité dans notre exemple. Il importe aussi que la structure


de comparaison force J'adhésion. Dans le cas contraire, on aura vite fait
de considérer l'analogie comme oiseuse et non pertinente.
On suppose qu'il est plus fa d le de fai re accepter une Thèse qui
rejX)se sur un argum entaire composé de plusieurs raisonnements plutôt
que d'un seuL Le principe est va la ble à deux conditions: les raisonne-
ments doivent avoi r un lien nécessaire e t pertinent par rapport à la
Thèse. Il existe une limite au no mbre de raisonnements possible sans la
rendre vulnérable. CeUe-ci représente un système solidement articu lé.
Dans tout système, il y a les parties solidaires, essentielles au mainlien
du système, et les autres, m édiatrices, qui contribuen t seulement à
mieux faire comprendre le raisonnement. On pense immédiatement
aux exemples qui ne sont pas à proprement dit des arguments. Mais
un bon exemple accroî t sensiblement la pu issance d'un argument. Rien
n'interdit de reprendre da ns notre recherc he l'exemple d'un auteur qui
nous paraît particulièrement adéquat. C'est encore m ieux si on arr ive
à en formuler un qui fait appel à un fait ou à une valeur partagé par
ceux à qui l'on adresse la TI1èse. Cela démontre une maîtrise du sujet
et un bo n exemple renforce considérablement l'argument e t rend le
raisonnement convaincant.
L'exemple est un excellent procédé rhétorique. Il consiste à illus-
trer un argument avec un cas particulier. Le cas particulier est l'amorce
d'une possible généralisation 1~. Un bon exemple doit référer à un fait
connu ou familier. Plus l'exemple est familier à l'opposant, plus son
effet de persuasion sera gra nd. L'exe mp le a ced de particulier qu'il
repose sur une connaissance empirique et non théorique. Cela ne veut
pas dire qu'on ne peu t pas donner en exemple un fait théorique. li faut
seulement qu'il .soit connu de l'opposant, qu'il appartienne au même
univers culturel. Il ne faut jamais hésiter à utiliser un exe mple.
L'argument du m<XIèle est très près de celui de l'exemple. On pour-
rait presque d ire qu'il s'agit d'une variante à ceci près qu'il implique une
action. On fait peu usage de l'argument du m<XIèle en sciences sociales.
La raison est simple; elles prétendent au statut de science et évitent pour
cette raison d'argumenter avec ce qui semblera des prescriptions. On
en trouve plusieurs en philosophie. S'il est juste de d ire que le m<XIè le

\9. lbM..p.4 7 L
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

possède une finalit é prescriptive, il n'en demeure pas moi ns qu'il peut
s'avérer un procédé rhétorique efficace. On peut, en effet, uti lise r le
modèle pour prescrire ce qu'il est préférable de faire dans certaines situa-
tions. Exemple: fa ites comme le gouvernement des ttats-Unis et u tilisez
la force pou r défendre vos intérêts et contre vos en nemis.

Il arrive aussi que le modèle sert d 'antimodèle, de repoussoir; voilà


ce qu'il n e faut pas faire. Son usage est plus fréquent car l'impression
de prescrire une chose à faire est plus diffuse. Exem p le: ne faites pas
comme ces pa.rents qui forcent leurs enfants à faire du sport ou à étudjer
pour se glorifier.

S'il est pertinent d ' utiliser des p rocédés rh étoriques pour n o us


aider à mieux argumenter une Thèse, il ne faut pas négliger le travail
d 'écriture. Sans prétendre élaborer longuement sur ce qui pou rrait faire
l'objet d'un ouvrage, quelques suggestions utiles pourront favoriser
J'élaboration d'un meilleu r système argu mentatif.

4.4. Le plan20
Opérationalise r une structure argurnentatîve, communêrnent appelée
un plan, peut faire sourciller bien d es candidats à la maîtri ses ou au
doctorat... certains voient ce travail com me une o;urch arge de labeur
inutile à la rédaction du tra vail scientifique. Bien que nombre de cher-
c h eurs édif1ent leur structure argumentative au fur et à mesure que
s'élabore leur a rgumentation, voire qu'ils réd igent leu r étude, cette
méthode de travail sans plan peut entraîner des difficultés de rédaction,
voire des risques d 'embûches méthodologiques import ants. JI n 'est pas
rare de rencontrer dans le travail scientifique des difficultés quant à la
recherche d'une structu re logique du d éploiement du mé moire o u de
la thèse, ou quant à l'intégration par le chercheu r d'u ne lig n e d irec-
trice cohérente et linéaire de l'étude, tout e n risquant de sombre r dans
une .. ]... ] surch arge cognitive, c'est-à dire d'avoir à (A) cherch er des
idées, à (8) réfléc hir à leur o rgan isation, et [...)à (C) songer à in tégrer
sa J>ensé(' 21 ,., ses idées, en mots, en p hrases, en .. points•, en sections,

20. Dans œtte section, nous suivons, par moments, l'otl"T.l# de flt'mard Meyer, M11flrisff
I'WJlllllt'ltf«timt, Paris, Armand Colin , 2002.
2 1. lclt•m, p.S7.
tcriœpotl com•ail~rr _ __ 1_0_1

en chapitres, e tc. Pour év iter de tels problèmes, la fond ion d'un plan
peut s'avérer un outil intéressant pour l'élabo rat io n et la rédad ion du
mémoire de maîtrise ou de la th èse de docto rat.

Mais e n quoi consiste substentie lllement cette tâch e? Il s'agit de


faire un canevas dans lequel on organise, o rdonne et strudure les dif-
férentes idées et les différents éléments - idéalement de façon logique
(id un enchaînement des idées) - que nous croyons essentiels d'intégrer
et de traiter dans notre étude. le pla n comportera donc u n ensemble
d'•ddées .. et d'«éléments .. ayant un rapport d irect avec l'objet détude,
mais également donnera une certaine .. o rgan isatio n .. et une certaine
« Strudure ,. à l'étude, ordonnant les idées et les éléments dont nous
envisageons le déploiement et l'exploration d ans le mémoire o u la
thèse. Cet ensemble de disposit ions peut prendre différentes formes
-selon la manière dont nous projetons d'examiner l'objet étudié. Par
exemple, il est possible de dresser un plan chrono logique en classant
les différents éléments que nous avons l'in tention de manipule r dans Je
mémoire ou la thèse selon un e logique temporelle (d isposition dans Je
temps cro issa nt ou décroissant), ou encore par thème en organisant les
idées selon leur nature et leur possible affinit é didactique.l'utilisation
d' un plan p rocu rera donc une première organisation strudurelle de
l'étude et, du fait même, des arguments, tout en jouant minima lement
le rôle de guide o u de tu teur au chercheur-celui-cl po uvant suivre un e
ligne directrice rigoureuse et même projeter Je déploiement global du
travail scientifique.

Il est possible de faire appel au p lan dans la structure m~me du


mémoire de maîtrise ou de la thèse de doctorat. Cette méthode, cette
forme de réthorique de l'écriture, consiste à annoncer et à identifier
dans l'introduction de chaque chapitre les principaux axes traités, élé-
ments et points importa nts de celui-ci en indiquant ses intentions et ses
paramètres épistémologiques. li est également possible de faire mention
de ces arguments ce ntraux ainsi que des concepts fondamentaux que
l'on y retrouve (idéalement en les définissant succintement). Ce travail
méthodologique pennettera de plus faci lement d isposer les oppos.antsà
l'ensemble de la démonstration argume ntative que l'on retrouve dans
le chapitre, ai nsi qu'à la compréhension de la démarche et du raisonne-
ment de celui-ci, puisque nous leu_r en indiquons les points référentiels
essentiels à observer.
_
1 0_2_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Un «plan introductif• (plan en intnxJuction de chapitre) peut per-


mettre aux opposan ts de se rapporter plus facilement aux idées centrales
du chapitre. Il peut aussi faciliter, cognîtiveme n t, les passages entre les
arguments d'un même chapitre, voire entre les passages d'u n chapitre
à un autre. Enfin, un oc plan introducti f,. peut favoriser la mémorisation
des arguments, des idées, des élé ments, etc., que l'on retrouve dans
chacun des chapitres. La fonnalisat ion d'un « plan introductif,. peut
donc devenir un facteur de clarification, de co mpréh ension, voire de
persuasion, procurant a insi une plus grande efficacité aux arguments22•
Voici un exemple tiré du livre de Luc Bernier, De Paris à Wtisllington:
Dam ce chapitre, nous faisons état. dam LW1 premier temps, de la façon dont
les relations internationales du Québec o nt été étudiées au cours des demières
années e n soulignant tout d'abord que ce que fait le Québec serait sOre-
ment moins nêgtigé s'il n'agissait pas dans le cadre constitutiomel canadien
actuel mais bien comme un hat souverain. Dans un deuxième temps, nous
décri\IOm les approches utilisées pour étudier ce qui se fait. Enfin, dans un
troisième temps, nous présentons le modèle que nous comptons utiliser dans
le présent o uvrage pour étudier la politique internationale du Québec. Nous
proposons ce modèle parce que, comme nous le verrons dans ce chapitre, les
approches privilégiées par la tinératLXe traitant des relations internationales
sont peu adaptées à l'étude de ce que fait un ~tat non national comme le
Qufibecll.

tgalem ent, il est possible, pour donnne r encore p lus de force à


cette méthode, en entrée en matière de ce •plan introduct if "• de faire
un bref retour sur le chapitre précédent. Il s'agît de souligner et de faire
ressortir le noyau ce ntral ainsi que ses points forts tou t e n faisa nt les
liens avec les é léments du chapitre qui suit (tel que suggéré plus h au t).
Ce travail aura un e ffet pl'dagogique, voire rét horique, intérressan t
puisqu'il mettra en relief les repères conceptuels et argumentatîfs sou-
haités par le chercheur, attiran t ainsi davantage l'attention des oppo-
sa nts sur les composantes vou lues des chapitres en plus de faciliter la
..rétention d'i nfo mlatiorh espérée par le candidat.

22. ibid., p. S8
2.1. Luc Berrû~.>r, Dl' l'mis 1! 1\luhiiiSfotl, Québec, Pn.>Sses dt> I'Univenill- du Quêbt-c, 1996,
p.9.
tcriœpotl com•ail~rr

4.5. L'écriture"
Nous avons présenté fort peu de procédés rhétoriques; le temps et l'es-
pace manquent pou r en aborder d'autres. Il faut maintenant parler de
l'écriture du mémoire de maîtrise ou de la thèse de doctorat, de l'organi-
sation du texte pour persuader. Nous allons proposer une démarche assez
classique, mais facile à comprendre. Il y a d'abord ce qu' il est convenu
d'appeler la COIIWIItioll d'auteur. Le p roposant doit clairement é tablir ce
qu'il a fait dans sa recherche et co mment ill'a fait . L'une des critiques les
plus souvent ad ressées au proposant: .. Vous auriez dû fai re œci ou cela
ou a border telle ou telle question. ,. La recherche prête d'autant p lus le
nanc à ce type de remarque que le proposant n'a pas clairement balisé
sa recherche. C'est important de le faire pour éviter le type de critique
.. vous au riez dû faire ... ,. et surtou t pour dispose r l'opposant ou le lecteur
à accepter et à évaluer la recherche qu'il a réellement faite.

Que doit-on trouver dans la convention d'auteur? D'abord, il faut


que soient précisés le sujet e t l'objet de la recherche. Il est bon de rappe-
ler la question spécifique. Celle-ci précise bien l'orientation du travail.
Ensuite, il faut exposer sa démarch e; quelle réponse on a donné à la
question spécifique (hypothèse ou proposition de recherche) et quelle
sera no tre démarche pour argumenter la Thèse. Enfin, il est bon de préci-
ser en anticipant les questions du type .. Vous auriez dû ... "• de délimiter
la rech erche, ce qu'on a d loisi de ne pas faire et d'expliquer pourquoi
on a fait ces cl1oix théoriques ou méthodologiques plutôt que d'autres.

La rédaction du mémoire de m aîtrise ou de la thèse de doctorat est


assez similaire à la visit e guidée. Lorsqu'on fait une visite gu idée d'un
musée, le guide annonce toujours à l'ava nce ce que l'on va regarder
dans te lle ou telle sa lle. Il précise même le ou les tableaux que l'on
va examiner. Il prend soin de nous dire ce que l'on doit observer. Il
dirige la visite en laissant le moins possible les visiteurs dans l'igno-
rance. Il explique les choses à voir avant qu'i ls ne les voient. Le procédé
nous semble in téressant et efficace. le proposant est le gu ide; il nous
indique Je ch em in à su ivre. Sa démarche est certainement présentée
dans l'introduction où il rappelle, comme o n vie nt de le d ire, sa p ro-
blématique, sa question spédfique de rech erche, son hypothèse o u sa
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

p roposition de recherche. Cette connaissa nce est fort utile pour appré-
h ender la su ite du raisonnement. Nous c royons qu' il est aussi impor-
tant de présenter trois choses pour chaque chapitre ou partie. Cette
présentation peut être considéré com me l'introduction d u chapitre ou
de la part ie: 1) Il est bon de rappeler à qu elle questio n (sous-thèse) ce
chapitre va essayer de répondre. 2) Il est également p rof1table de djre
rapidement quels sont les argumen ts qui seron t utilisés pour répon dre à
la question. JI n'est pas nécessaire de tous les présen ter, mais de don ner
une idée sur le ou les raisonn ements qui seron t employés. 3) Enfi n,
mont rez brièvement comment vous allez construire votre argumentaire.
Il fau t montrer à l'opposant que vous avez rélléch i sur la manière d'ar-
gumenter ce chapitre. Ce n'est pas le h asard qui guide votre démarche.

Une fois cette brève introductio n complétée, qui tient en une page
ou une page et demi, o n commen ce avec la présentation du premier argu-
ment. Nous avons parlé plus h au t des types de preuve. À vous de c hoisir
celle qui vous paraîtra la plus convain cante. C'est le mo tnent d'utiliser la
prolepse, l'objection, la réfu tation ou l'exemple, etc. Une chose est impor-
tante à rappeler surtout si l'on utilise des tableaux, des schémas, etc. JI ne
faut jamais présumer que les données du tableau son t faciles à lire, que
le schéma est clair et évident. C'est à vous d'expliquer et de faire com-
prendre le tableau: vous devez d ire comme nt il faut le lire, ce qu'il faut
en retenir, les tendanœs, lesdonnées importantes, et quelle conclusion il
faut en tirer. Ce travail est essent iel pouréviterque l'oppœantl'interprète
à sa façon, et en tire des objections contre votre raisonnement et même
contre votre Thèse. Il n 'existe pas de lecture objective d'un tableau; e lle
dépend toujours du cadre th éorique avec lequel o n Je regarde et le com-
prend. Guidez le lecteur en lui d isant ce qu'il doit voir et reten ir. Tous
ces conseils s'appliquent aussi à unedtation. L'appel à l'auto ritéest utile,
voire nécessaire. Un mémoire ou une thèse qui ne citerait jamais de
spécialistes sur son sujet pour argumente r serait certainemen t accusé de
méconnaître son su jet et de manquer de rigueur. On n 'est jamais seul
et rarement le premie r à traiter d'un sujet ; la référe nce aux auteurs est
indispensable et pas seulement dans la revue de la documentation. Une
bonne citation d'un a uteur reconnu est u n argument tout à fait valable
à la condition que cet appel à l'autorité soit égal ement valabJe!S.

25. Il y a troh condilions à la valid ité d'un appel à l'a utorité: 1) l'autoritéest~Uea uto­
rité? Il n'est pas toujours facile d•établir .:e qu't•st une autorité. Oisons simplement
pour faire court qu'une personne qui a p ublié -articles ou ouvrages scientifiques-
tcriœpotl com•ail~rr

C'est une bonne idée de tenniner le chapitre en montrant les liens


entre nos arguments et la question à laquelle on a essayé de répondre.
C'est le bon momen t pour expliquer à l'opposa nt la force des liens
ent re nos arguments et la sous.thès.e. C'est aussi l'occasion de dire qu'il
s'agit seulement de la première étape de l'argumentaire et que celui-ci se
poursuivra ensuite avec la réponse à une nouvelle question, elle-même
déductible de l'hypot hèse ou de la proposition de recherche. L'enchaî-
nem ent entre les pa rties se fait alors d'une manière rigoureuse et très
coh érente puisqu'on reste au plan de l'argumentaire.

Il est important d ans la rédactio n de la red1erche que le propo-


sant i11tervimne dans son texte.ll faut comprendre ici deux choses. Un
mémoire de maîtrise ou une thèse de doctorat est une recherche qui se
fonde su r une a nalyse. Il ne s'agit pas seulement de décrire des faits; il
faut les insérer dans un système interprétatif (de significations). Cette
an alyse, ne l'oublions pas, comporte trois é léments: les données, les
argumen ts et leur interprétation. Les deux dernie rs relèvent du propo-
sant. C'est lui qui organise les raisonneme nts et qui donne une inter-
prétation, une s ignification aux données, aux faits. Il est bon pour
le proposant d 'indiquer les moments où son interprétatio n re lève de
certaines autorités et ceux où elle est originale. La référen ce à des textes
ou des auteurs ayant traité cette question est justifiée pour renforcer un
argument en montrant qu'on n 'est pas le seul à défendre cette thèse
de cette manièreU.

Il est pennis de s'adresser au lecteur ou à l'opposant. Il existe plu-


sieurs procédés rhétoriques à œ sujet: la question oratoire, la priJe t) JXlftie,
la pétitio11 tle pri11cipe, la C0/,111111/icalioll. En effet, on peut u til iser la forme
interrogative pour défier le proposant de pouvoir répondre. Par exemple:
.. Est-il aussi facile de résoudre ce problème qu' il n'y parait? • C'est une

dan) un domaine peut ètre con.si~ré comme une autorité. 2) Cette autorité e$to4i'Ue
ri"CCnnue dam le domaine )Cit"ntifiqu e l'Il q~tion 1 N'utili'iez. p.H E.irutl'in à toute
occaSion. 3) F.xi.stt"-t·i.t dan! œ domaine )Cient ifique un consensus sur le s ujet traité?
Cette condition n 'e$1 pas toujours facile à remplir, sunout en )Cit"ncn $0Cialn Par
con)('nsw. on entend un accord général de$ chercheurs. Il existera toujours <!el
théorie$ di!.sidentn û,>) théorie$ font-elle; pattit"$ de$ déball llH mtresujet1 N ous
reprenons ~ propos d e Ne!Tt' Bbckburn, op. dt., p. 158.
26. Il n 'est pas obligatoire de citrr son directeur de thè-se. s;~uf dans les cas peniœnu.
C'est au proposant de le détennine~ J>.:IS au dirt'Cteur de thèse. Vous n' avez pas à falre
la promotion de ses idées;argumrnte.zave-c:: les vôtres. N'ayez pas peur de présenter
vos idées e t de les dMendre. Si vous ne le faites pas dans vos t«hert:he:s, où et quand
altt'Z•VOUS Je faire?
Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

bonne manière de montrer la difficulté à laquelle vous vous a ttaquez.


La pétition de pril~eipe est un procédé rhétorique intéressant qui consiste
à considére r qu'une th èse est acceptée alors qu'il s'agit précisément de
la d émo ntrer. • La nature des choses pesantes, dit-il, est d e tendre vers le
centre du monde. Or J'expérience nous fait voir que les choses pesantes
tendent au centre de la Terre. Donc le centre de la Terre est le œntœ du
morlde 21. " PrerNire à JXIftie le lecteur est un bon p rocédé qu'il faut cepen-
dant utiliser a vec soin. JI est fadle d'accuser Je lecteur ou un opposant
de ne pas suivre notre raisonn ement ou de ne pas adhé rer à votre Thèse
parce qu'il prend partie pour une position adverse indéfendable ou sim-
plement parce qu'il feint de ne pas co nnaître les conséquences désas-
treuses de sa position. • Allez-vous laisser faire condam ner cet homme!"
On n'est pas très é loigné du débat polilique partisan. La commwticatiou
consiste à se mett re en relation avec le lecteu r ou l'opposa nt pou r Je
persuader en Je co nsultant et lui montrer qu'on tiendra compte de sa
réponse . .. y a-t-il une solution à cette situation? Si ou i, laquelle?»

JI est inutile de tous les présenter; il importe plutôt devoir qu'il ne


faut pas hésiter à moutrer sa présmce dans Je texte que l'on rédtge. Trop de
recherches sont écrites dans un style n eutre, sans saveur. Si Je style est une
question personnelle, il existe des outils qui permettent de lui don ner
une certaine valeur estllétique et surtout une force persuasive certaine.

On hésite souvent à affinner son apport, croya nt à tort que ce que


l'on dit vient des lectures que l'on a faites. JI faut voir les choses autre-
ment. Le proposant, s'il a bien fait son travail méthodologique, sait très
bien que son h ypoth èse ou sa proposition de recherche est o rig inale.
Pourquoi ne pas le d ire? Pourquoi doit-il s'abstenir de souligner que
tel ou tel argument qu' il dévelo ppe est nouveau dans la littérature? Ce
n'est pas prétentieux de p rocéder ainsi, c'est un bon procédé rhétorique
que de montrer l'originalité de ce que l'on vient d'écrire. Comme il
n'est pas mauvais de m ont rer les limites de son interprétatio n ou que
tel ou tel aspect de la Thèse est plus difficile à argumenter. La maîtrise
d 'un sujet ne veu t pas d ire qu'on sait tout ce qu'il y a à savoir; elle
relève plutôt de not re ca pacité à connaître les limites de ce que l'on
peut dire, de savoir qu'il y a des choses qui ne son t pas certaines ou que
tel aspect relève du probable plutôt q ue du certa in. Il faut savoir quand
on est sur un sol solide ou quand on marche dans les sables mouva nts.

27. Olivier keboul, op. cit., p. 173.


tcriœpotl com•ail~rr

4.6. Forme
Au plan de la fonne elle-même, on recommande une écriture simple,
c'est-à-dire d 'éviter les phrases trop longues, les paragraph es intermi-
nables. Les auteurs qu'on a lus ne sont pas toujours de bons exe mples
à suivre. Des ph rases courtes (épitroclmsme} ont pour effet de donner du
ryt hme au texte. Les phrases longues deviennent vit e ennuyeuses pour
le lecteur. tvitez de mettre deux ou trois idées dans un paragraphe. Une
seule suffit pourvu qu'elle soit clairement exposée. Il est bon d'ut iliser
des marqueurs de re latio n : premièrement, deuxièmement, d'abord,
ensuite, donc, par conséquent. Ces marqueu rs aident le proposant à
organiser sa pensée. Avec l'expérience, le style se développe. Plus on
écrit, plus o n apprend à maîtriser la langue. Avec Je temps et l'expé-
rience d'écriture, ils disparaîtron t et le style se raffine ra. Gardons à
l'esprit un principe s imple: p lus la recherche est conçue clairement,
plus Il est facile de la présenter oralement ou par écrit. Pl us on s'engage
dans ce que l'on fait (temps, in térêt et passion), plus la rédaction nous
semblera facile.

Une chose à éviter absolument: écrire pour faire savant, intelligent


ou profond. Certains utilisent des termes techniques~ à la mode- dans
des phrases complexes pour paraître pénét rant:!$. C'est une maladie du
monde universitaire que de se montrer intelligent et utiliser un langage
tedmique pou r ce fa ire. JI est facile, surtout dans le milieu universitaire,
de faire appel à des termes techniques pour rendre obscur Je propos
et faire croire que l'on vient de dire quelque chose de très important.
À éviter à tout p rix. Les mots utilisés sont choisis po ur leur significa-
tion claire et concise. Toute science possède son lexique de termes
techniques. Le p roposant doit le maîtriser, c'est-à-di re bien con naître
la signification des termes qu'il utilise ou qu'il emprunte. Un te rme
tech nique doit toujours ê tre accompagné de sa définit ion, même si on

28. Il est étonnant de <:omt;uer que <:en;~ins mou ou 1ermt'S fuc:inent ct devicnnem
rapidement de$ mots valises enx:iŒJc:es.wdales: paradigme, d'laos, dkonnruc:tion,
etc:., ont tousc:onnu ou c:onnaÎSlt'nt actueUcment leur heure de gloire. Aujourd'hui,
pl.us personne ne c:rilique. lOulle monde dkonstruit. Sam bien savoir c:e que la
déc:onstruc:tion, <:elle dt• jac:ques Derrida, fait li-ellement c:omm t' travail. On parlt'
de posîthisme, de JIOSUUuc:turalisme. d 'ontologie sans c:onnaitre le c:ontenu deœs
mots. On emend plutôt: . Nous, en relatiom internationales, on l'utlli'S(! de cette
façon! • Mauvais argument et sunout manque de rigueur déroutant. Un concept
~~~~~~~ ~~~nn:~aJ:sé~;::~:s~~i~tu~~:~l.:tntique qu'on ne peut rejeter du
_1 0_8_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

s'adresse à un auditoire spécialisé dans le domaine. On peut toujours


décider de donner une autre sign ification à un tenneou un mot ; il faut
pour cela bien justifier sa décision en faisa nt référence à la litt érature
pertinente sur le sujet. Jamais le proposant ne doit en faire un outil pour
rendre obscur un propos qui ne Je ~rait pas autrement.
Il faut maîtriser les termes que l'on utilise et savoir lorsqu'u n mot
est nécessaire ou qu'il se rt à impressionner la galerie. Les termes tech-
niques doivent être distinctement définis et lorsqu'ils sont empruntés
â un au tre domaine scientifique, il fau t préciser les conditions et les
limites de so n ut ilisation. Fa ire savant est un défaut auquel cèdent cer-
tains, mais la mystification ne dure jamais longtemps. JI y a toujours
quelqu'un pour demander d'expli quer ce que l'on veut dire. C'est tres
mal reçu dans le cadre d'un mé moi re d e ma îtrise ou d'une thèse de
doctorat.
Il y aura it beaucoup plus à dire su r la rhétorique et l'argumenta-
tion. Ce d lapitre n'avait d'autre ob jectif que de mon trer qu 'elle fa it
partie d'un bon argumentaire. Persuader est une composante essentielle
de toute recherch e qu i propose à une com mu nauté, scientifique ou
non, une Thèse nouvelle, originale. La r hé to rique est en soi un argu-
ment en faveur des idées que l'on défend.

Nous avons limité à quelques exemples simples notre présen tatio n


de la rhéto rique. C'était impossible de fai re une présentation un ta nt
soit peu exhaustive des procédés rhétoriques. Il y a à ce sujet de nom-
breux ouvrages, certa ins cités en référence, pour ceux qui voudraie nt
parfaire leur formation. Les quelques exemples présentés n 'avaient
pour but que de susci ter l'intérêt et d 'illustrer l'apport de la rh étorique
dans l'élabo ration d'un argumentaire. Il ne faudrait pas nég liger les
remarques sur l'écriture. Ici aussi, il y a aurait un traité ou un gu ide à
rédiger29 sur l'art de l'écriture, mais à quoi pourrait-il bien servir puisque
jamai s il n e pourra montrer et expliquer le pla isi r de l'écrit ure.

29. Voir rouvrage dejean·f'aut Simard, op .dt ; il .s'agît d'un excellent livre par a illeurs.
CONCLUSION

A rgumenter et faire accepter une Thèse représente un travail impor-


tant dans le cadre de son mémoire de maîtrise ou de sa thèse de docto-
rat. Ce travail ne va pas de soi; les exigences se situent à deux niveaux.
Le proposant doit avoir une idée claire et précise de ce qu'il veut mon-
trer. Cette idée s'exprime dans un énoncé: hypothèse ou p roposition
de recherche. Est-il besoin de rappeler que celle-ci est une réponse à
la question spécifique de recherd1e? Certes pas! Mais rappelons que
chaque hypothèse ou proposition de recherche représente l'énoncé que
l'on veut justifier. La justification sera d 'autant plus facile à concevoir
que l'hypothèse ou la proposition de recherche est construite à l'aide
de concepts ou variables dont les défin itions sont univoques, concises
et vérifiables. Le cad re référentiel ou cadre théorique fournira ces défi-
nitions et propo sera une articu lation cohéren te entre les concepts ou
les variables. Il doit proposer une explication (énoncé établissant des
liens de nécessité entre des variables) ou foumir des significations aptes
à nous faire comprendre le phénomène étudié. C'est l'explication ou
la signification proposée que l'on va argumenter. Il est important de
s'assurer que ce tte partie de la démarche est bien comprise, à défaut
de quoi il sera diffidlede bien argumenter son mémoire ou sa thèse.

Le proposant doit aussi savoir avec précision comment il entend


démontrer la vraisemblance, la crédibilité ou la plausibilité de son
hypothèse ou de sa proposition de recherche. Il doit non seulement
connaître avec exact itude les données qui lui seront nécessaires et qu'il
_
11_0_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

a colligées - les identifier, comme nt les trouver, établir leur crédibi-


lité et leur pertinence - , mais avoir préalablement établi sa démarche
a rgumenta! ive. On entend par là la conn aissance d es faits importants
a vec lesquels il va travail ler et la ma nière dont il entend les o rganiser
en un argumentaire complet. On doit pouvoir éno ncer les conditions
de vé rification de son hypothèse ou de sa proposition de recherche,
savoir les faits pertinen ts et être en mesure de dire de quelle manière
ils vont permette n t de la vérifier. Le proposant doit être capable de se
représenter schématiquement son argumentaire et les raisonnements
qui le composent. Cela n'est possible qu'en aya nt une com préhensio n
t rès précise de l' hypothèse ou de la proposition de rech erche, des don·
n ées que l'on a colligées et des liens que l'on peut établir entre elles.

Un e telle compréh ension exige un certain laps de temps; elle


commande surtou t la maîtrise des concepts que j'ut ilise pour formu·
1er mon hypot hèse ou ma proposilio n de recherche. Il n e suffit pas
seulement d'en connaître la définition; maîtriser signifie en prendre
possession, être e n mesure de l'utiliser efficace ment. On e ntend par là
deux choses. Un concept renvoie à une idée abstrait e (idéel) qui intrO·
duit de la sign ification dans un univers divers et multip le. JI déploie
son idéalité dans un certain nomb re de significations. Il faut donc à la
fols appréhender l'idée et les significations qu'elle autorise. Ce faisant,
il permet à l'entendement d'établir dans l'u niversobservé des relations
de n écessité, ou de comprendre.

Le cadre U1éorique pennet e t autorise ce type d'infé rence; c'est ce


qui est recherché. D'abord, il penn et d'établir un lien formel e ntre les
concepts et ensuite la possibllité de dégager un certain no mbre d'ex·
p lication ou de significations du phénomène obse rvé. Il fau t bien com·
prendre ces rapports de n écessité pour deux raisons; les liens q u i sont
établis entre variables, e ntre les concepts sont puissants. On e ntend par
là que ces liens ne sont pas fortuits; ils ne sont pas dus au hasard. Ils
relèvent de liens formels (syntaxique), logiques établis par l'ente nde_..
ment. C'est le premier sens à donner au terme nf>cessité. La nécessité, et
c'est le second sens à prêter au te nne, permet de connaître; d'expliquer
ou de compren d re. En établissa nt des rapports de n écessité, le cadre
théorique à l'a ide des hypothèses o u des propositions de rech e rche
fournit une explic ation ou offre une significa tion à une ou à des réalités
CoudriSiotr _ _ _ 1_1_1

phénoménologiques. Elles agissent comme principe d'intelligibilité; ce


sont des projX)Sitions d'explication ou de compréhensio n qui rendent
intelligible l'objet étudié. Encore faut-il les démontrer ou les prouver.

Maîtriser les con cepts suppose aussi que je suis en mesure d'en
connaître les implications à la fois théoriques et méthodologiques. Le
choix des concepts o riente l'ensemble de la démarche. Il dirige l'expli ca-
tion dans une direction donnée et oriente la sign ification d 'une manière
irrémédiable. JI importe de le savoir. L'explication n e sera pas la même
si on envisage, par exemple, le p roblème du vote selon les variables
de revenu, de statu t socioéconomique ou selo n que l'on propose de le
comprendre à l'aide de la lutte des classes ou d'une analyse de genre.
C'est aussi facile à comprendre que l'argumentaire n'aura pas le même
contenu ni la même structure. Encore faut-il maîtriser les concepts
utilisés jX)Ur en connaître les implications dans ma démarche.

Nous avons p roposé de traduire la Thèse e n sous-thèses qui ont


chacune la fonne d'une question à répondre. Ces questions son t formu-
lées à partir de l'hypothèseou de la proposition de recherche.leur opé-
rationnalisation en questions, en général deux ou trois, facilite le travail
de la constitution de la preuve (argumentaire). Elle engage immédiate-
ment dans l'argumentation. C'est plus facile d'a rgumenter la réponse à
une question que de diviser une Thèse en plusieurs chapitres sans trop
savoir comment faire cette division. On voit e ncore trop de mémoires
ou de Tllèses desc riptifs. Les plans tiroirs sont à éviter1 • les sous-thèses
représentent chacune un chapitre, c'est-à-dire une question à répondre.
En procédant ainsi, Th èse, argumentaire (sous-thèses et arguments), la
démarche d'ensemble se construit co mme un système structurée! très
coh érent. Ch aque partie est liée e t surtout déductible de la précédente.
le plan a rgumentaiif représente un très bon ou til permettant au p ro-
posant un recul, une mise à plat de son travail méthOOologique, pour
évaluer sa démarche.

1. On t'ntend par plan tiroir ceux q ui consisrmt à faire l'historique d 'un sujet, à chercher
les causes d ' un phénomène o u encore à en analysa les conséqu ences. Il n'y a pas
d'objection à étudier lei causes d 'un t.-..:énement; encore faut·il que cene rt.'Cherche
des causes .\erve à montrer ou à faire comprendœquelque chose. Pour ravoir rl;Jkê
souvent, on défend une Thèse.
_
11_2_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

L'a rgume ntaire est d'autant pluo; facile à construire que le pro-
posant sait exactement à quelle(s) question(s) il ve ut répond re. Il fera
a ppel pour chaque ra isonnement de son argumentaire aux faits qu'il
a préalablement construits. Une fo is e ncore, les argumen ts se ront
présentés selon deux critères: pertinence et hiérarchie. Comme il est
impossible de p résenter tous les fait.s, on commenœra par ceux jugés
les plus importants jusqu'aux moins importants. Nous l'avons déjà d it
à plusieurs reprises: il ne faut pas avoir un raisonnement compo rtant
t rop d'arguments e t risquer ainsi que cela ne le rendre vulné rable à la
critique ou aux objectio m . Cette hiérarchie s'établit selo n le crit ère de
la pertinence. les arguments doivent a voir un lien évide n t e t fort avec
la Thèse que l'on souhaite défendre.

Combie n fau t-il d 'arguments pour d é fend re e fficacement sa


Thèse? Il n'y a pas vé ritablement de réponse à cett e question. On pour-
rail répondre autant qu'on le juge nécessaire et que les arguments pré-
sentés sont pertinents. Comment sait -on qu'un argument est pertinent
o u qu'il ne l'est pas? La pertinence s'évalue en fonction du lien entre
l'argument et la Thèse. Ils doivent apparte nir au même univers con cep-
tuel ou phénoménologique. Il semblera diffi cile en e ffet de défendre
u ne Thèse sur l'impossibilité de la vie en société en la soutenant à l'a ide
d'arguments empruntés à la physique quantique o u à la zoologie. Il
s'agit de deux univers cognitifs trop différents pour que le raisonneme nt
ou les arguments soient con vaincants. Les argumen ts feront ap pel sur
un tel objet à d'au tres fa its sociaux; par exe mple, l'agression physique,
morale ou psychologique constan te et continuelle des memb res d 'une
société. Il est bon de rappeler un vieux prin cipe durkheimien: les faits
sociaux s'expliquent par d'autres faits sociaux. Il ne s'agit pa s ici de
revenir à une forme de déterminisme ou de holisme; il faut seuleme nt
comp rendre la nécessité de faits sociaux pertine n ts. Nous n e croyons
pas n on plus que la plu ri- ou l'interdisciplinarité signifie qu'il est pos-
sible d e faire appel à n'importe quel fait pour argumen ter. L'explic ation
en sciences socia les et même la compréhension doivent re1ever de faits
sodaux2 •

2. C'est u n débat <lui perdu ft' en sciences .'JOdales et qui ne sera pas t ranché Id . Une
ch~ est cenaine : une foi5 délxurass.f.t' de l'idée métaphysique de libené, on verra
q ue plusieurs problèmes épistémologiques n'avaient a~Kun fondement. À panirdu
moment où l'on acce5Xe l'idée de libené sociologique, ce qu' il est pœsible de faire
compll' tenu de notre lrabitus, on •,;oit m.al où prend r.acine un débat entre holi!ime
et individualisme.
CoudriSiotr _ __ 1_1_3

On souhaiterait toujours argumenter à l'aide de syllogismes. Nous


avons vu qu'il s'agit d'un raisonnement puissant puisque la conclusion
suit nécessairement, logiqu ement, les prémisses. Elle est certaine. La
difficulté avec le syllogisme, c'est qu'on s'en tient surtout au lien formel
-logique- entre les propositions sans tou jours accorder une grande
importance au contenu de celles-cl. C'est plus diffici le en sciences
sociales de limiter les raisonnements aux liens logiques e ntre les p ro-
positions. Le contenu des propos! tions a une certaine importance. On
évite ainsi des paralogismes. De pl us, le syllogisme implique un raison-
nement à trois propositions (majeur, mineur et conclusion); la majorité
des raisonnements en sciences sociales fait souvent appel à plus que
trois propositions1 . On a plutôt affaire à des raisonnements complexes
où quelquefois les prémisses sont indépendantes et, d'autres fois, liées.
Une prémisse peut être à la fois une cause et un effet dans un même
raisonnement. Les réduire à un syllogisme est très d ifficile.

On fera surtout appel aux preuves intr insèques et aux en th y-


mèmes en retenant principalement deux choses. La première, le fait
de construire sa preuve n'enlève rien à sa valeu r. Un e preuve bien
constru ite, solidement é tayée acquiert la force de la vraisemblance ou
de la crédibilit é. Elle fait appel à des témoignages, des données, des
faits. Il n'y a pas non plus de reproche à faire à un raisonnement qui
est seulement probable. En sciences sociales, on n 'a pas à se surpren-
dre d'arriver à des conclusions probables. De p rémisses probables, on
ne peut conclure à des conclusions certaines. Les théories en sciences
sociales sont pou r la plupart peu formalisées; e lles reposent sur des
propositions postulées. Par exemple,l'idéed'état de n ature, de la réalité
con struite ou l'opposition des genres ne sont que des postulats posés,
jamais démontrés ou démontrables. Il n'y a pas à se surprend re que les
conclusions soient seulement probables ou des fictions. Il ne fau t pas
confondre les postu lats, des énoncés considé rés comme des évidences,
avec les propositions que l'on ch erche à justifier. N'oublions pas e nfin
que les sciences sociales relèvent d'u ne logique de la preuve et non
de la vérité. Et c'est Je p ropre de la preuve que de se soumettre à la
contr~pe.rtise ou, pour être piWi pertinent, à la critique. La preuve ne
débouche pas sur une vérité; c'est seulement une con jecture probab le

3. Comprenons bien: ce n'tost pas le nombre de proposition qui compte, mais la struc·
t ure: si, alors, donc. On ne la retrouve pas toujours dans les raisonnements en
sciences sociales.
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11_4_ _ _ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

dont la valeur repose sur sa vraisemblance, sa crédib ilité o u sa plau-


sibilité. D'où l'Importance de bien l'argumenter. Rappelons, et c'est
importa nt de le faire une dernière fois, qu' il n'existe pas de rec herche
qui ne d onne pas lieu à des critiques ou à des réfutations. L'essen tiel se
joue aux plans du raisonnement et de l'argumentaire. À un argument,
on peul toujours o pposer un contre-argument , â un f ait un au tre fa it
dont la pertinence mérite d'être évaluée. À chacun de les antidpe r pour
étoffer son argumentai re. Enfin, i l est impossible de se prémunir cont re
des attaques injustifiées ou des commentaires non pertinents. Il est
bon de le rappeler. On ne peut pas se pré munir contre tout; il n'y a pas
d 'argumentaire parfait. la preuve est toujours soumise à la critique. Une
démarche bien con çue, où les étapes sont bien maîtrisées et expliquées
clairement, désamorce en grande partie œ type de remarques. Il est no n
seulement difficile de faire plus ou d 'exiger davantage, il faut le savoir,
mais aussi de ne pas s'étonner du caractère seulement probable de nos
conclusions ou de nos Thèses.

Une fois le raisonnement bien établi, on recom mande d'en faire


Je schéma en arbre. Nous avons déjà montré comment le faire. Il est
bon d'évoquer une dernière fo is son utilité. Il permet de visualiser son
raisonnement en montrant les enchaînements entre a rguments, leur
cohérence, la force ou la faiblesse des liens. Un tel outil permet au pro-
posant d'évaluer lui-même la force et la valeur de son raison nemen t. Il
lui permet d 'avoir plus d 'autonomie comme chercheur. Cela d it, il est
toujours bon de soumettre son texte à la lecture d'autres personnes et
pas seulement à celle de son d irecteur de recherche. Un tel exercice doit
se faire dans les meilleures conditions possibles: en gardant à l'esprit
que toute critique est bonne à p rendre lorsqu'elle est pertin en te et
const ructive et qu'elle concerne ce qu'on a écrit et non ce qu'on aurait
dû faire ou même nos aptitudes intellectuelles•.

4 C 'e .stçertainementl.i une attitudt'difficilt;>â avoir.l'ourtilnt. la çritiqueest inhé~nte


.1 tout tJa\-'ail de ~hen::he. U> proposant apprendr.~trè; vite, o u ildevr.~l'app~ndre,
à distinguer les rernarquesou les critiqu es pertinentes d e œlles qui sont sans intérêt.
l'arton.s du prindpequ' une çritique pertineme \i.se la mhé~nçe de la ~man::he,
la maiuiw des outils méthodologique.s. les erreurs factueDt>S. des o ublis bibliogra·
phique.s - arride.s o u o uvrage liCientifiques pertinents et importants - mais elle ne
doit jamais poner sur le oontenu, faire él:at d 'opinions personnelles sur Il.' sujlt't o u de
préférences théoriques. Des remarques~ ur la pertinrmœdu adred'analy.sed evraient
être accompagnées de .solides ju stlflcatiom. (crire ou défendre une Thèse n'oblige
personne à eue le d iscipledt.<(JUÎqueœ soit OU à falœ l'apologie des travaux de son
directe ur. Dans çes conditions, Il est v mi de prétendre qu 'une ni tique est toujours
bonne à prend re.
CoudriSiotr _ __ 1_1_5

Le raisonnement est un outil indispensable pour argumenter, mais


il n'est pas suffisant. Il faut aussi persuader. Constru ire une preuve
solide exige l'ut ilisation de procédés rhétoriques. Il existe des procédés
rhétoriques qui ajoutent à la force du raisonnement et de l'argumen-
taire. Nous avons fait é tat de la prokpse, de la réfutatioo tl'une obioc-
tion pour illustrer l'u tilité de la rhétorique. Nous avons aussi parlé des
exemples qui, sans être des arguments stricto seum, a ident à convaincre
l'opposant à accepter la Thèse proposée.

On fait malheureusement, aujou rd'hui, peu de cas e n sciences


socia les de la rhétorique. C'est dommage. Son lien avec la logique de
l'argumentation n'est pas éviden t même si les ouvrages consacrés à
celle-ci démont rent le contrait~. Sans d iscuter du bien-fondé ou non
de parler de la rhétorique dans un ouvrage sur l'argumentation, nous
avons montré l'utilité de certains procédés rhétor iques. Nous sommes
persuadés que leur u tilisation dans le cadre de la rédaction d'un
mémoire de maîtrise ou d'une Thèse de docto rat ne pourra que œndre
l'argumenta ire plus étoffé et co nvaincant.

Nous avons mis en garde contre certains p rocédés d'écriture, fr!ire


sava11t, qui vont à l'encontre des principes de rigueur et d'honnêteté
intellectuelle d'un travail de recherche un iversitai re. Il y a un principe
qui gotNeme tout bon travail: ce qui se conçoit bien s'énonce dairement.
Une recherche bien conçue n 'a besoin d'aucu n artifice plU r démontrer sa
valeu r. L'usage de termes tech niques n'est pas prohibé à condition qu'il
soit bien maîtrisé et qu'il pennette de mieux compre ndre le propos. Si
la tentation est gran de, ne pas y succomber est le signe de beaucoup de
rigueur et d'intelligence. D'ailleurs, ce genre de mystification ne trompe
personne longtemps. On écrit pour être lu et compris par le plus de lec-
teurs possible. Un mémoire de maîtrise et une thè se de doctorat sont des
recherches qui mér itent d'être publiés. Faîtes en sorte qu'elles puissent
l'être. Nous avons parlé de la visite guidée comme principe qui pouvait
rendre plus facile et clair la lecture de notre trava il. On ne fera que peu
de reproches à un au teur qui explique aux lecteurs sa démarche, ce qu'il
veut montrer et comment il compte le faire.

S. On pense aux excellen~OU\Tagt!Sde Perelm.lnl't ûl.brecht-Tythîca. Buffon, Rebout,


Meyer(déjà cités).
_
11_6_ __ Acyume1Ur Wllmémoiri'Oll sa tiiN

Bien argumenter son mémoire de maît rise et sa thèse de doctorat


exige un certain nomb re d 'efforts auxquels o n n e pense pas immédia-
tement. On a souven t l'impression qu'en rédigeant, le texte prendra
naturellement forme, que l'écriture permet d'organiser sa pensée. Le
raisonnement n'est pas faux, mais il est insuffisant. S'il est vrai qu'en
écrivant o n est forcé d'organ iser un tant soit peu ses idées, il n'e n
demeure pas mo ins que cette o rganisati on est trop souvent intuitive.
On suit le chemin d'une idée; il est souvent fort d ifférent de celui de
la logique qui suppose un raison nement bien organisé. Le mémoire
de maîtrise et la t hèse de dodorat exigent des raisonnements b ien
st ructurés. L'organisation en raisonnement de ses idées, mais s urtout
de ses données, appartient au monde de la logique; elle a ses règles, ses
exigences. Nous les avons présentées; elles imposent à l' écritu re, à la
stratégie textuelle, certaines con train tes. Ell es n'empêchent pas le style,
la formule car, sans rhétorique, aucun argumentaire ne peut con vaincre.
Il est bon de rappeler en temlina nt que si o n écrit pour êl!e lu, il faut
a ussi et surtout convaincre. La vérité n 'est-elle en définitive rien d'autre
qu'une démonstration conva incante?
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