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OBJET D’ÉTUDE N°4 : LE ROMAN ET LE RÉCIT DU MOYEN ÂGE AU XXI° SIÈCLE

Support : COLETTE, Sido (1930) suivi de Les Vrilles de la vigne (1908)

Parcours : La célébration du monde.

Séance 4
LL n°2 : Les Vrilles de la vigne, « Dernier feu », depuis le début jusqu’à « et grandir devant toi les
printemps de ton enfance ! ... ».

Colette (1873-1954) est une grande figure de la littérature du XX° siècle. Elle a mené de
multiples carrières (comédienne, journaliste…) et une vie aussi riche que libre. Mariée très jeune, elle
découvre la vie parisienne grâce à son époux qui la guide dans ses premiers pas d’écrivaine, mais
s’attribue la paternité des œuvres ainsi créées. Les Vrilles de la Vigne sont un recueil publié par Colette
en son nom propre (sous le pseudonyme Colette Willy), alors qu’elle prend ses distances par rapport à
son époux et entame une vie nouvelle et libre d’artiste de music-hall. « Dernier feu » appartient à un
cycle de trois textes poétiques dédiées à sa compagne d’alors, Missy, qui l’aide à se consoler des
déceptions engendrées par son époux. Dans ce texte en prose poétique, la narratrice évoque avec émotion
l’arrivée du printemps dans le jardin. Comment la narratrice célèbre-t-elle avec lyrisme la puissance
du printemps ?
Lignes 1 à 16 : la narratrice célèbre la puissance féconde du soleil qu’elle oppose à la lumière du feu.
Lignes 17 à 38 : elle célèbre la beauté mystérieuse de la nature et son pouvoir magique.

Premier mouvement :

- La première phrase justifie le titre de la nouvelle, en même temps qu’elle introduit le lecteur dans un
climat de tendre intimité : la nouvelle prend la forme d’un discours au présent adressé à l’être aimé,
discrètement présent dès la dédicace, mais aussi grâce aux marques de la 1° et 2° personnes.
- L’injonction initiale : « Allume… le dernier feu de l’année » est prolongée par les marques de la
deuxième personne et les références au corps de l’être aimé : « ton visage » « ton geste ». Un climat
d’intimité s’installe avec l’emploi du « tu » et du « je », unis dans un « nous » : « notre feu de l’hiver »
« notre chambre ». L’espace de la chambre définit l’intimité des deux amantes.
- Tout un éloge du feu est présent dans les premières lignes du texte grâce au champ lexical nourri de la
lumière : « allume » « feu » « flamme » « illumineront » « ardent », à la belle métaphore « un ardent
bouquet » et même à la personnification « notre feu arrogant et bavard ».
- Mais cet éloge fait mieux ressortir, par contraste, la suprématie accordée au soleil, annonciateur du
printemps : c’est ce que marque d’abord la négation partielle : « je ne reconnais plus notre feu » et la
comparaison implicite avec le soleil ici nommé par périphrase : « un astre plus puissant ».
- Dans le deuxième paragraphe, la narratrice prend ensuite à témoin son interlocutrice, sa compagne,
mais aussi le lecteur : « Regarde ! ». La prière répétée, amplifiée par les exclamations, rappelle celle
adressée par Sido à sa fille : « Chut ! Regarde » : une même invitation à admirer la nature environnante,
ici plus particulièrement dans l’espace du jardin.
- Elle souligne la puissance régénératrice du soleil qui métamorphose le jardin grâce à un ensemble de
négations : « il n’est pas possible que le soleil favorise autant que le nôtre les autres jardins ». Les
négations syntaxiques soulignent le caractère d’exception du jardin, véritable Eden : « rien n’est pareil
ici ». Le cadre est à la fois familier et subtilement différent et la nature prend vie et s’anime comme le
montre le jeu des personnifications : « cette année… s’occupe déjà de changer le décor de notre vie
retirée ». La narratrice est sensible aux plus infimes changements, comme le montre le jeu des notations
visuelles dans la dernière phrase du paragraphe (aux lignes 13 à 15) qui s’allonge, dans un jeu de
parallélismes, pour mieux mimer le réveil de la nature.

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Deuxième mouvement : elle célèbre la beauté mystérieuse de la nature et son pouvoir magique.

- Toute la puissance lyrique de la narratrice se déploie surtout dans la deuxième partie du texte avec la
célébration des fleurs (lilas d’abord, tamaris ensuite, violettes enfin). Exaltation sensible d’emblée à
l’exclamation (marquée par l’interjection « oh »). Une invitation pressante à l’impératif présent adressée
à l’amante, et par-delà au lecteur, à s’émerveiller de l’éveil et du développement de la nature : « vois
comme ils grandissent (…). Regarde bien l’ombre… ».
- La narratrice souligne l’exubérance de la végétation grâce à un jeu d’oppositions entre passé, présent
et futur : « l’an dernier » s’oppose à « Mai revenu », et plus loin à « l’an prochain ». Comme une forme
d’allégorie du printemps marqué par l’emploi de la majuscule au mois de mai. Le jeu des négations
syntaxiques amplifie tous les changements annoncés et les promesses de la nature : « tu ne les respireras
qu’en te haussant sur la pointe des pieds » « tu ne la reconnaîtras plus ». Et le recours au futur marque
le caractère inéluctable de cette exubérance florale.
- Cette beauté comble tous les sens : la vue, d’abord et surtout, avec l’importance des sensations
visuelles, mais aussi les sensations olfactives et même gustatives, comme le montre le choix des verbes
« respireras » « abaisser leurs grappes vers ta bouche ».
- Mais l’exaltation lyrique de la narratrice est surtout sensible dans le troisième paragraphe du
texte avec l’éloge des violettes présentées comme un miracle de la nature : « écloses par
magie ». Les « violettes » apparaissent en tête de phrase grâce à une antéposition du COD : « Et
les violettes ». Cette fleur n’est sans doute pas choisie au hasard, la violette évoquée par Sapho
faisait partie, avec le monocle, des signes employés par les femmes lesbiennes pour se
distinguer. Le passage de l’exclamation à une question rhétorique aux lignes 25 et 26 marque
la volonté d’ouvrir les yeux du destinataire sur ce miracle d’une nature qui échappe à l’homme
et se développe en autonomie. Tout un dialogue fictif s’ensuit entre les deux interlocuteurs, fait
de questions : « ne sont-elles pas ce printemps-ci plus bleues ? » et de négations : « Non, non,
tu te trompes ». Un dialogue est retranscrit mais sans incise, sans guillemets, comme si les voix
se mêlaient dans un jeu de questions et de réponses complices, rappelant les moments partagés
et le temps qui s’est écoulé. De plus, l’usage du présent employé tout au long du texte donne
l’impression d’une scène qui se déroule sous nos yeux et non d’une scène dont se remémore la
narratrice. Ce débat sur les nuances de la nature se poursuit plus loin avec l’opposition entre
« plus mauves » et « plus bleues ».
- La suite du texte donne lieu à la description, par petites touches, de l’être aimé : on entend son
« rire grave » et on perçoit ses yeux ; « le vert de l’herbe neuve décolore l’eau mordorée de ton
regard ». Il ne s’agit pas ici de décrire ses yeux mais plutôt d’en suggérer la beauté, la pureté et
peut-être la candeur puisqu’ils se combinent avec la fraîcheur de l’herbe neuve. Le lecteur
perçoit une taquinerie amoureuse « Cesse cette taquinerie ! » dont se dégage beaucoup de joie.
- Le dialogue débouche sur une injonction ou plutôt un conseil au présent de l’impératif : « Porte
plutôt… ». Il s’agit de changer notre appréhension du monde. Comme souvent, Colette a
recours à l’odorat, le plus noble des sens selon elle, car le parfum des violettes, lui, ne change
pas. Respirer ces violettes, c’est « respirer le philtre qui abolit des années » : le terme « philtre »
rappelle le mot « magie » employé plus tôt, introduisant une réminiscence très proche des
expériences proustiennes avec l’aubépine ou la madeleine. Comme si elle était douée de
pouvoirs magiques, la narratrice incite son ami(e) à observer, comme des génies sortant de la
lampe, « les printemps de [son] enfance » qui ressuscitent et grandissent devant elle. Colette
était intéressée par la magie et, plus loin dans Les Vrilles, la narratrice cherche auprès d’une
voyante la trace de ses parents. Mais ici, c’est grâce à l’odeur des violettes qu’elle retrouve son
enfance perdue par un système précis de synesthésies.

Ainsi, dans cette méditation poétique, la narratrice célèbre-t-elle la puissance du printemps et le


renouveau de la nature, l’exubérance et la prolifération des fleurs. Elle reprend ainsi une tradition
ancienne, celle de la reverdie (poésie médiévale célébrant le retour du printemps). Mais elle montre

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surtout combien l’attention au monde et à ses métamorphoses est la clé d’un bonheur primordial qui fait
renaître le passé oublié. En ce sens, la méditation poétique de Colette évoque ici l’entreprise qui guide
Proust, son contemporain, dans A la recherche du temps perdu.

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